GUENON sur le zoroastrisme Introduction Générale à lÉtude des Doctrines hindoues, p.162-164 Quoi quil en soit, la tradition hindoue, ou du moins celle qui porte maintenant c ette désignation, et qui alors pouvait en avoir une autre ou même nen avoir aucune, c ette tradition, disons-nous, lorsquelle se fût établie dans lInde, fut adoptée tôt ou tard par la plupart des descendants des populations indigènes ; ceux-ci, les Dravidien s par exemple, devinrent donc hindous en quelque sorte « par adoption », mais alors ils le furent tout aussi véritablement que ceux qui l avaient toujours été, dès lors quils avaient été admis dans la grande unité de la civilisation traditionnelle, et quand bie n même il dût subsister chez eux quelques traces de leur origine, sous la forme de m odalités particulières dans la façon de penser et dagir, pourvu seulement quelles fussen t compatibles avec lesprit de la tradition. Avant son établissement dans lInde, cette même tradition était celle dune civilisat ion que nous nappellerons point « âryanisme », ayant déjà expliqué pourquoi ce mot est dépou de sens, mais pour laquelle nous pouvons accepter, à défaut dautre, la dénomination d« in do-iranienne », bien que son lieu de développement nait été vraisemblablement pas plus lIr an que lInde, et simplement elle devait par la suite donner naissance aux deux ci vilisations hindoue et perse, distinctes et même opposées par quelques traits. Il dut donc, à une certaine époque, se produire une scission assez analogue à ce que f ut plus tard, dans lInde, celle du Bouddhisme ; et la branche séparée, déviée par rapport à la tradition primordiale, fut alors ce quon nomma l« Iranisme», cest-à-dire ce qui deva t devenir la tradition perse, appelée encore « Mazdéisme ». Nous avons déjà signalé cette ten ance, générale en Orient, des doctrines qui furent dabord antitraditionnelles à se pose r à leur tour en traditions indépendantes ; celle dont il sagit avait sans doute pris ce caractère longtemps avant dêtre codifiée dans lAvesta sous le nom de Zarathustra ou Zoroastre, dans lequel il faut voir dailleurs, non pas la désignation dun homme, mai s plutôt celle dune collectivité, ainsi quil arrive souvent en pareil cas : les exempl es de Fo-hi pour la Chine, de Vyâsa pour lInde, de Thoth ou Hermès pour l Égypte, le mont rent suffisamment. Dun autre côté, une trace très nette de la déviation est demeurée dans l a langue même des Perses, où certains mots eurent un sens directement opposé à celui quil s avaient primitivement et quils conservèrent en sanskrit ; le cas du mot dêva est ic i le plus connu, mais on pourrait en citer dautres, celui du nom dIndra par exempl e, et cela ne peut être accidentel. Le caractère dualiste quon attribue dordinaire à la tradition perse, sil était réel, serait aussi une preuve manifeste daltération de la doc trine ; mais il faut dire pourtant que ce caractère semble bien nêtre que le fait dune interprétation fausse ou incomplète, tandis quil y a une autre preuve plus sérieuse, c onstituée par la présence de certains éléments sentimentaux ; du reste, nous navons pas à i nsister ici sur cette question. Comptes Rendus, René Guénon, éd. Éditions Traditionnelles, 1986 p.86 Certains avaient déjà voulu rattacher le Christianisme au Mazdéisme et même au Bouddhism e, et cela pour nier la filiation traditionnelle, pourtant évidente, qui le relie au Judaïsme ; voici maintenant une nouvelle théorie qui, avec les mêmes intentions, prét end le rattacher directement à lHellénisme. Études sur lHindouisme, René Guénon, éd. Éditions Traditionnelles, 1968 p. 120 Une vue des plus contestables est celle qui consiste à expliquer les particularités de lIslam en Perse par une sorte de survivance du Mazdéisme ; nous ne voyons, pour notre part, aucune trace un peu précise dune telle influence, qui demeure purement hypothétique et même assez peu vraisemblable. Ces particularités sexpliquent suffisamm ent par les différences ethniques et mentales qui existent entre les Persans et le s Arabes, comme celles quon peut remarquer dans lAfrique du Nord sexpliquent par le s caractères propres aux races berbères ; lIslam, beaucoup plus « universaliste » quon ne le croit communément, porte en lui-même la possibilité de telles adaptations, sans quil
y ait lieu de faire appel à des infiltrations étrangères. Du reste, la division des M usulmans en Sunnites et Shiites est fort loin davoir la rigueur que lui attribuen t les conceptions simplistes qui ont cours en Occident ; le Shiisme a bien des d egrés, et il est si loin dêtre exclusivement propre à la Perse quon pourrait dire que, e n un certain sens, tous les Musulmans sont plus ou moins shiites ; mais ceci nou s entraînerait à de trop longs développements. À partir du moment où se fut produite la séparation dont nous venons de parler, la tradition régulière peut être dite proprement « hindoue », quelle que soit la région où elle se conserva tout dabord, et quelle ait ou non reçu dès l ors en fait cette désignation, dont lemploi, dailleurs, ne doit aucunement donner à pe nser quil y ait eu dans la tradition quelque changement profond et essentiel ; il na pu y avoir alors, aussi bien que dans la suite, quun développement naturel et no rmal de ce qui avait été la tradition primordiale. La Crise du Monde Moderne, René Guénon, éd. Gallimard folio essais, 1994 p.27 Au VIe siècle avant lère chrétienne, il se produisit, quelle quen ait été la cause, des cha gements considérables chez presque tous les peuples ; ces changements présentèrent dail leurs des caractères différents suivant les pays. Dans certains cas, ce fut une réadap tation de la tradition à des conditions autres que celles qui avaient existé antérieur ement, réadaptation qui saccomplit en un sens rigoureusement orthodoxe ; cest ce qui eut lieu notamment en Chine, où la doctrine, primitivement constituée en un ensembl e unique, fut alors divisée en deux parties nettement distinctes : le Taoïsme, réservé à u ne élite, et comprenant la métaphysique pure et les sciences traditionnelles dordre p roprement spéculatif ; le Confucianisme, commun à tous sans distinction, et ayant po ur domaine les applications pratiques et principalement sociales. Chez les Perse , il semble quil y ait eu également une réadaptation du Mazdéisme, car cette époque fut c elle du dernier Zoroastre1. Dans lInde, on vit naître alors le Bouddhisme, qui, quel quait été dailleurs son caractère originel1, devait aboutir, au contraire, tout au moins dans certaines de ses branches, à une révolte contre lesprit traditionnel, allant jusquà la négation de toute autorité, jusquà u véritable anarchie, au sens étymologique d« absence de principe », dans l ordre intellectue l et dans lordre social. (1) Il faut remarquer que le nom de Zoroastre désigne en réalité, non un personnage pa rticulier, mais une fonction, à la fois prophétique et législatrice ; il y eut plusieu rs Zoroastres, qui vécurent à des époques fort différentes ; et il est même vraisemblable que cette fonction dut avoir un caractère collectif, de même que celle de Vyâsa dans l 'Inde, et de même aussi que, en Égypte, ce qui fut attribué à Thot ou Hermès représente loeu re de toute la caste sacerdotale. Mélanges, René Guénon, éd. Gallimard, 1976 p. 11 Chapitre premier - Le Démiurge Nous nous retrouvons donc ici en présence de la question posée dès le début, et nous po uvons maintenant la formuler ainsi dune façon plus générale : comment lUnité a-t-elle pu p roduire la Dualité ? Certains ont cru devoir admettre deux principes distincts, opposés lun à lautre ; mais cette hypothèse est écartée par ce que nous avons dit précédemment. En effet, ces de ux principes ne peuvent pas être infinis tous deux, car alors ils sexcluraient ou s e confondraient ; si un seul était infini, il serait le principe de lautre ; enfin, si tous deux étaient finis, ils ne seraient pas de véritables principes, car dire q ue ce qui est fini peut exister par soi-même, cest dire que quelque chose peut veni r de rien, puisque tout ce qui est fini a un commencement, logiquement, sinon ch ronologiquement. Dans ce dernier cas, par conséquent, lun et lautre, étant finis, doiv ent procéder dun principe commun, qui est infini, et nous sommes ainsi ramené à la cons
idération dun Principe unique. Dailleurs, beaucoup de doctrines que lon regarde habit uellement comme dualistes ne sont telles quen apparence ; dans le Manichéisme comme dans la religion de Zoroastre, le dualisme nétait quune doctrine purement exotérique, recouvrant la véritable doctrine ésotérique de lUnité : Ormuzd et Ahriman sont engendrés t ous deux par Zervané-Akérêné, et ils doivent se confondre en lui à la fin des temps. Recueil, René Guénon, éd. Rose-cross Books, 2013 P.157 Une doctrine pour laquelle la dualité nest pas primitive ne saurait être qualifiée pro prement de dualisme ; on nest pas dualiste par cela seul quon admet une dualité, même si lon se refuse à réduire lun de ses termes à lautre ; il est vrai que, dans ce dernier cas, on nest pas moniste non plus, mais cela prouve simplement quil y a des concep tions auxquelles de semblables dénominations ne sont pas applicables : ce sont cel les qui résolvent lopposition apparente en lintégrant dans un ordre supérieur. Il y a de s doctrines de ce genre quon a lhabitude de dénaturer en les interprétant dans un sens dualiste, et cest ce qui arrive notamment pour celle de Zoroastre, dont les Mani chéens nont eu, semble-t-il, quune compréhension incomplète et grossière : Ahriman nest pa « léternel ennemi » dOrmuzd, et il ne suffit pas de dire qu« il doit être un jour définit nt vaincu » (p. 11) ; en réalité daprès lAvesta, il doit être réconcilié dans lunité du Pr prême, appelé Akarana, mot qui signifie à la fois « sans cause » et « sans action », ce qui e fait très exactement léquivalent du « non-agir » de la métaphysique extrême-orientale, ains que du Brahma neutre et « non-qualifié » de la doctrine hindoue. Dailleurs, ce nest pas dans ces doctrines traditionnelles, dune façon générale, quon peut trouver un dualisme véritable, mais seulement dans lordre des systèmes philosophiques : celui de Descarte s en est le type, avec son opposition de lesprit et de la matière qui ne souffre au cune conciliation, ni même aucune communication réelle entre ses deux termes. Recueil, René Guénon, éd. Rose-cross Books, 2013 P.139 Que les derniers néo-platoniciens se soient réfugiés en Perse, et que de là ils aient ex ercé une certaine influence sur le monde musulman, cela est fort admissible ; mais enfin il y a eu autre chose, et, en Perse même, le Mazdéisme nétait pas un élément négligea le (notons dailleurs, à ce propos, ce fait trop généralement ignoré, que les musulmans ho norent Zoroastre comme un prophète).
++++René Guénon dans une exegèse du verset (37.2) : Faz-zâjirâti zajran (Par ceux qui chas sent en repoussant) dans son article "La langue des oiseaux" indique que Ormuzd et Ahriman personnifient le symbolisme de lantagonisme de la lumière et des ténèbres : "Le second verset exprime la lutte des anges contre les démons, des puissances céle stes contre les puissances infernales, cest-à-dire lopposition des états supérieurs et d es états inférieurs (5). (5) Cette opposition se traduit en tout être par celle des deux tendances ascendan te et descendante, appelées sattwa et tamas par la doctrine hindoue. Cest aussi ce que le Mazdéisme symbolise par lantagonisme de la lumière et des ténèbres, personnifiées re spectivement en Ormuzd et Ahriman." (René Guénon, Symboles de la Science sacrée, coll. « Tradition », Éditions Gallimard, 1962, ch. VII. p.55-59).