Cte Bernard C. Bieler de Bühem
La Force bouleversante de la prière 150 prières et méditations pour le XXIe siècle
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TrajectoirE
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Éternel De ton ciel, Pour l'amour de Jésus accueille nos Prières. Nous voulons célébrer tes conseils magnifiques, Et toutes les faveurs Dont l'Esprit de lumière, Par ta grâce, ô bon Père ! Remplis nos cœurs.
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« Nous sommes les enfants des Saints, et nous attendons la vie future que Dieu doit donner ».
Avant-propos de la première partie
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n général, lorsque le croyant prie, il ne se pose pas de questions sur la nature de l'acte qu'il accomplit, sur les besoins profonds qui l'y poussent, sur ses effets en lui ou autour de lui. Il est tout engagé dans cet acte, au même titre que nous sommes engagés dans une conversation avec un supérieur ou un ami. C'est sous l'aspect d'une relation de personne à personne que cet acte se présente à lui, sous la forme d'un rapport entre un être fragile, limité, éphémère et l'Être parfait, infini, subsistant. Si on l'interroge sur les effets de sa prière, il répondra généralement qu'elle lui fait du bien, le console et le fortifie et il ajoutera peut-être que son objet est souvent exaucé. Cependant ce sont là des déclarations bien vagues et l'acte orant a pris dans les diverses civilisations une place assez importante pour qu'on réfléchisse davantage à sa signification et à sa nature. Si paradoxale que la chose paraisse, cette réflexion ne doit pas être nécessairement l'apanage du croyant. L'argument de l'expérience n'est même pas ici décisif, car un incroyant peut avoir, lui aussi, une expérience orante. Il peut s'être engagé dans la prière sans croire à l'existence d'un Dieu personnel ou d'autres forces cosmiques individualisées. Il peut être animé par un souci d'expérience, par un goût de l'exploration, par la curiosité ou le désir de « voir ce qui arrivera ». Dans tous ces cas, il se produit évidemment quelque chose, et nous ne savons pas si ce qui advient est différent de la prière lorsqu'elle émane du cœur d'un croyant. J'avouerais qu'au moment où j'ai commencé de prier, je ne possédais pas la foi en un
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Dieu personnel. J'avais seulement le souci de retrouver en moi et autour de moi un état d'unité que j'avais perdu et je voulais expérimenter dans quelle mesure la répétition rythmée de certains mots et de certaines formules, accompagnée au besoin de la formation d'images mentales, pouvait favoriser un tel état unificateur ou avoir d'autres conséquences que je ne soupçonnais pas. Cte Bernard C. Bieler de Bühem s'adresse à tous ceux qui, dans ce monde difficile ou nous vivons, veulent retrouver les droits que Dieu a accordés à chacun de ses enfants : santé, amour, aisance financière. Ces droits sont à notre portée pourvu que nous ne demandions que ce qui nous est raisonnablement accessible. « Tout peut changer dans la vie, selon que l'on croit ou que l'on ne croit pas à la puissance de la prière ». Cette parole est profondément vraie, faite là Vôtre pour toujours, car nous sommes les rachetés de l'Éternel. Lui-même a payé notre rançon ; et nous marchons ensemble vers la sainte Cité, vers ce Tabernacle de Dieu, avec les hommes, où nous, son peuple, nous habiterons toujours avec lui. Nous étions esclaves, et nous sommes affranchis. Le joug et le bâton de l'exacteur ont été mis en pièce ; la douleur et le gémissement se sont éloignés ; nous avons obtenu la joie et l'allégresse ; nous en sommes couronnés, et un chant de triomphe a été mis en nos bouches. C'est l'éternel et immuable amour de Dieu qui en est le sujet inépuisable. Ce sont les gratuités du Père, le sacrifice du Fils, la vie et les consolations de l'Esprit-Saint, que nous célébrons avec confiance ; et nos cantiques s'unissent au Chant nouveau dont la sublime harmonie remplit la demeure des saints glorifiés. C'est ainsi qu'enseignée de Dieu, et dans la communion de notre bien-aimé Sauveur, notre foi fait éclater les transports que l'Esprit d'adoption produit en nos âmes. C'est ainsi que notre bonne, joyeuse et vive espérance exprime avec actions de grâces son attente assurée de la glorieuse immortalité. C'est encore ainsi que notre amour pour Jésus, lequel nous aime quoique nous ne l'ayons pas vu, manifeste avec abondance ses tendres et puissantes étreintes, et notre désir de voir, de saisir et de posséder l'accomplissement de cette vie éternelle, dont nous avons reçu le gage, et dont nous portons le sceau. Aussi l'Esprit du Fils de Dieu, que le Père a répandu dans nos cœurs renouvelés, nous incite-t-il à soulager les peines et les fatigues de notre marche, en cette terrestre vallée de Baca que traversent les tribus du Seigneur, pour se présenter en Sion, devant lui. Notre force est en la joie de l'Éternel. C'est lui qui aplanit notre route, et qui fait jaillir des sources nombreuses et rafraîchissantes du sol aride que nous parcourons. Lui-même étend l'ombre du rocher, et nous envoie les brises qui abaisseront le hâle du milieu du jour ; et c'est encore lui qui nous prépare et nous multiplie les bénédictions et les délivrances que nous avons la consolation de célébrer
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dans nos psaumes et nos hymnes. Il est vrai, Frères bien-aimés, que cette joie de l'Éternel, qui nous soutient, ne donne pas en tout temps à notre cœur les mêmes tressaillements, et n'éclate pas toujours en transports. Notre sentier, constamment sûr et dirigé vers notre patrie, n'est cependant pas à toute heure également facile et lumineux. Alors cessent les champs joyeux, et les soupirs, les plaintes et les larmes s'élèvent et se répandent en présence de l'Éternel. Alors l'enfant de Dieu, abattu et froissé, verse dans le sein de son Père ses ennuis et ses regrets ; et son âme affligée épanche en celle de son Sauveur, toujours compatissant, les douleurs de son repentir. Mais alors aussi, l'Esprit d'adoption, le Consolateur, se fait sentir au fidèle éprouvé, et témoigne à ce racheté de Christ, que son Père l'aime pour toujours, et qu'il ne visite ainsi son enfant, que pour le rendre plus heureux, en le rendant plus saint. Nos chants deviennent alors des prières, des cris, des supplications. Leurs accents ne sont plus ceux de l'allégresse, mais ils ont encore les sons et l'harmonie de la paix de Dieu qui est au-dessus de tout entendement. Leurs notes sont plaintives, et la harpe d'Israël gémit, à moitié détendue : mais c'est encore dans le sanctuaire, c'est autour de l'autel, c'est dans le lieu très saint, c'est auprès de l'arche et du propitiatoire que l'Église répand ses pleurs et si ses cantiques ont moins d'éclat, ils n'en ont pas moins de vie ; s'ils sont ralentis, ce n'est que parce qu'en les prononçant, elle implore et écoute la réponse de son Roi, dans la force et la fidélité, duquel elle l'attend avec assurance. Oh que bienheureux est le peuple qui sait ainsi ce qu'est le cri de réjouissance, et qui marche à la clarté de la face de l'Éternel ! Ils s'égaieront tout le jour en son Nom, et se glorifieront de sa justice, parce qu'il est la gloire de leur force. Ils aiment ce Nom magnifique : c'est pourquoi ils tressailliront d'allégresse en lui ; car l'Éternel leur a donné sa joie. Leur âme le loue avec des lèvres joyeuses ; et bénies du Seigneur, qui fait resplendir sur eux sa lumière, ils se joignent aux cieux et à la terre pour chanter la louange du Dieu Fort, qui les réjouit dans sa maison et son sanctuaire, où ils l'invoquent avec foi. Enfants de Sion ! C'est à nous qu'appartient cet héritage : le monde n'y a point de part. Qu'il répète son chant de mort devant ses impures idoles que nous faisons retentir en présence du Très-Haut ; car notre Dieu est au ciel ; il s'appelle l'Éternel, et nous le connaissons. Jésus, notre bien-aimé Jésus, nous l'a manifesté. Il nous conduit à lui, il nous introduira dans sa demeure ; et déjà le regard de sa face, qu'il a levé sur nous, a mis plus de joie en nos cœurs, que les enfants de ce siècle n'en peuvent ressentir lorsqu'ils amassent leur froment et leur meilleur vin. Réjouissons-nous donc humblement et saintement au Seigneur, nous, Rachetés de Christ, qui avons reçu l'onction de réjouissance, que notre Prince possède en
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plénitude. Servons notre Dieu avec allégresse et chant de triomphe. Entrons en ses portes avec actions de grâces, et dans ses parvis avec louanges. Célébrons-le ; bénissons ensemble son Nom ! Car l'Éternel est bon : sa gratuité demeure à toujours, et sa fidélité d'âge en âge Cte Bernard C. de Bühem
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PREMIÈRE PARTIE
Réflexions sur la prière.
« L'acte orant » Ses causes et ses effets
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Éternel ! De ton ciel, pour l'amour de Jésus accueille nos Prières. Nous voulons célébrer tes conseils magnifiques, et toutes les faveurs dont l'Esprit de lumière, par ta grâce, ô bon Père ! Remplis nos cœurs. »
L'acte orant
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ettre sa prière à côté de sa vie, fût-ce même tout juste à côté, c'est placer le ferment à côté de la pâte et pousser la clef tout juste à côté de la serrure. Notre vie chrétienne doit être priante. C'est donc que, malgré sa banalité d'aspect et son peu de relief extérieur, elle est susceptible d'être divine. La solennité conventionnelle, par cela même qu'elle est voulue et fixée d'avance, jette sur notre piété une ombre froide et comme une sorte de mensonge impalpable. Pour n'avoir pas osé être vis-à-vis de Dieu tels que Dieu les a faits, plusieurs se sont privés de connaître la vie d'oraison, qui s'alimente de franchise lumineuse. Le scrupule d'être corrects a ravagé en eux le bonheur d'être vrais. Ils n'ont pas eu la sainte audace de se fier au 15réel et à Dieu qui en est le maître, et ils ne sont préoccupés surtout de ne pas manquer aux prescriptions d'un formulaire minutieux et sans grâce. Aujourd'hui la pratique de la communion fréquente, amenant les chrétiens vers le Dieu de chaque jour, dissout lentement, dans les consciences, les préjugés majestueux. Le Dieu de chaque jour se mêle donc aux événements quotidiens, à cette foule très pédestre de petits tracas ou de minces ennuis ; il s'y mêle comme jadis aux enfants poussiéreux de Nazareth, à la plèbe anonyme de Galilée, à ces milliers de ruraux très ordinaires, sur lesquels il semait la nouvelle de ses Béatitudes. Pourquoi notre prière ne consisterait-elle pas à sanctifier par une coopération de plus en plus consciente et de plus en plus calme à la grâce muette, cette existence que Dieu nous donne et qu'il nous faut aimer, divinement ? On dit : quand je m'agenouille devant Dieu, je congédie tout le reste... et quand je parle à mon Seigneur, vite je supprime les trois quarts de mon vocabulaire habituel ; je cherche des mots plus rares et j'évite de nommer des choses vulgaires ; je fais semblant d'être autre, je n'ose pas lui dire que j'ai mal à la tête à cause du vent du Nord ou que mes
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pieds de pèlerin lassé brûlent douloureusement dans mes souliers trop étroits. Pourquoi ces timidités païennes ? Et faut-il dissimuler, faire semblant, devant la Vérité substantielle ? Est-ce qu'au festin de Cana il n'a pas réparé une imprévoyance qui n'était guère tragique ? Est-ce qu'il ne recommandait pas, très simplement, à Jaïre de faire dîner la jeune enfant, à peine ressuscité ? Est-ce qu'il ne regrettait pas que, reçu chez Simon le Pharisien, on eût négligé de lui donner, avec l'accolade hospitalière, de l'eau pour ses pieds et des parfums pour ses cheveux... ? Alors, si dans les Prières qui composent ce livre, vous découvrez des mots et des choses très humbles, ne vous en scandalisez pas comme d'un manque de respect, et ne les chassez pas comme on chasse des intrus. Ces réalités humbles et quotidiennes sont chez elles dans la maison du Père, où notre fierté et nos airs de courtisans gourmés, et nos purismes classiques, et nos dédains péremptoires sont seuls déplacés et ridicules. Le Dieu du Ciel et de la Terre ; le Verbe créateur de tout ce qui est, soutenant tout par la vertu de sa puissance ; le Père, le Fils et l'Esprit n'ont rien rejeté de ce qu'ils ont fait et nous réconcilier avec tout le réel, c'est le premier et dernier de nos devoirs. C'est au nom de la Sainte Trinité que l'on marque d'une croix à la pointe de son couteau la miche de pain avant de le couper ; et c'est encore au nom des trois personnes, et après s'être signé, que le chrétien boit un verre d'eau ou mange une brioche. Et si nos oreilles sont froissées d'entendre que Dieu se mêle à nos gestes de petites fourmis éphémères, c'est une preuve évidente que nous n'avons pas encore compris ce que nous sommes ni saisi la signification de notre vie. Je n'ai pas cru qu'il fût nécessaire de donner à ces prières de toutes les heures une ossature didactique, ni de les disposer en préludes, points, affections et colloques. Je n'ai pas même voulu assigner à leur succession un ordre bien défini. Les heures, dans la vie des hommes, n'obéissent pas à des lois absolues, et les vertus ne nous deviennent pas nécessaires une à une suivant la hiérarchie savante de la Secunda Secundae. Le lecteur bienveillant remarquera d'ailleurs que dans ces pages le mouvement de la pensée n'est pas simple aventure, et que les sentiments ne se confondent pas dans une anarchie sans contrôle. Ce qu'on a désiré — et ce qu'on n'a guère réussi sans doute à faire — c'est aplanir les chemins de l'Esprit, de cet Esprit qui reste le maître souverain de ses démarches et que nul ne peut enchaîner par des méthodes rigoureuses. Montrer que Dieu est proche — Dominus enim prope est — c'est continuer la besogne des apôtres, et commenter le message éternel. Les textes de la Sainte Écriture ne sont utilisés dans ces pages que comme les auxiliaires de la piété. Bellarmin disait jadis, dans une formule très nette, que l'Écriture devrait être comprise par l'esprit qui l'avait inspirée, c'est-à-dire par l'Esprit-Saint. -Omnis Scriptura eo spiritu débet intelligi quo scripta est, id est Spiritu Sancto. — Il est sans doute permis de glaner dans les pages du texte sacré, ou dans les feuillets du missel, des invitations à réfléchir et des encouragements à prier. Les Saints Pères n'ont pas fait autrement, et l'Église catholique nous propose de la même manière des allusions et des
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adaptations dans ses Introïts et dans ses Antiennes. Les enfants ont le droit de parler la langue de leur mère. Ils ont même le droit de penser que, sous les termes inspirés, Dieu a caché pour eux des lumières et des leçons, et, sous réserve des décisions infaillibles, ils peuvent découvrir dans la Sainte Écriture ces consolations apaisantes que l'auteur, après tant d'autres, les engage à rechercher, et que l'Esprit, Père des Pauvres, leur a préparées dans le secret.
L'acte orant constitue-t-il une régression ? On peut se demander au préalable si le besoin d'expérimenter en cette voie n'est pas la traduction logique de pulsions infantiles ou archaïques inconscientes et si le fait d'y répondre ne constitue pas une régression. Il arrive, en effet, que des personnes ayant abandonné toute croyance religieuse et n'admettant qu'une attitude de vie rationnelle se prennent à formuler des invocations ou des prières en cas de danger pressant, au moment d'un accident ou au cours d'une maladie, ou encore à l'heure de la mort. D'une manière générale, il semble que l'on puisse établir un rapport entre le besoin de prier et l'angoisse, que celle-ci soit provoquée par un danger extérieur ou par des sentiments de culpabilité, conscients ou inconscients. En de tels cas, ce besoin peut être ressenti comme une humiliation, un affaiblissement du centre conscient et un débordement des eaux primitives. C'est ainsi que des rationalistes éminents mirent en garde leurs amis et la postérité contre l'attitude religieuse qui pourrait être la leur au moment de la mort, attitude qu'ils redoutaient comme un effondrement de leur lucidité et un retour victorieux du primitif en eux. Il va sans dire que cette méfiance du rationaliste à l'égard d'une impulsion religieuse qui s'impose à lui, en quelque sorte du dehors et à sa conscience défendante, trouve des justifications solides et dignes d'estime. La voie de la culture, de même que celle de la spiritualité authentique, est celle de la lucidité et de la maîtrise de soi, et, par conséquent, celle de l'élargissement et de l'approfondissement de la conscience. Mais, précisément, cette voie ne peut être parcourue avec authenticité que dans la mesure où l'on s'efforce d'extraire les pulsations inconscientes de leur chaos ténébreux et de les intégrer dans la lumière d'une conscience plus vaste. À son terme idéal, elle devrait correspondre à une reprise en tutelle de toutes les fonctions physiologiques et psychiques, qui demeurent en nous à l'état de réflexe non contrôlé. La négation et le refoulement du besoin religieux n'ont guère plus de sens que la négation et le refoulement du besoin sexuel. Ces deux sortes d'impulsions, pour être maîtrisées, doivent au préalable être reconnues pour ce qu'elles sont vraiment et leur fonction doit être située d'une manière exacte dans la totalité de l'économie psychique. Le réflexe orant dont j'ai parlé se présente comme la forme la plus fruste et la plus grossière d'une activité religieuse dont la gamme est très étendue. Mais c'est aussi en raison de son caractère élémentaire que ce réflexe mérite une considération plus
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attentive. Qu'on puisse y trouver des résidus infantiles, que la prière elle-même ne soit en ces sortes de cas que la résurgence des formules naïves introjectées dans le petit âge par les éducateurs, cela ne signifie en aucune manière qu'ils puissent se réduire à ces résidus ou à ces formules. Ceux-ci ne sont que la forme donnée par l'éducation à un besoin qui lui est antérieur et à un réflexe beaucoup plus élémentaire. Dans chaque civilisation, cette forme varie selon les croyances et les traditions particulières, et elle peut même, en certaines circonstances, être celle de superstitions condamnées par les religions constituées. Mais une réaction partout semblable se constate sous les formes traditionnelles issues de l'éducation : l'on tente d'échapper au danger par une brusque saisie de l'inconnu, par un refuge en quelque chose qui excède la conscience ordinaire, par un appel et un recours à des forces qui sont éprouvées par cette conscience comme étrangères. Il importe donc de faire une distinction entre la forme prise par l'activité orante au cours de l'éducation et le besoin fondamental se trouvant à sa base, entre le réflexe conditionné et le réflexe inné. Si le premier peut être considéré comme infantile, et traité comme tel, il n'en est pas de même pour le second, qui ne pourrait être nié qu'en refusant également les schèmes formatifs de la nature humaine. Il est vrai qu'au-delà des contenus infantiles de la prière, l'on pourra découvrir d'autres contenus — ou même — en tant que résidus archaïques ancestraux. Outre que tout le problème de l'hérédité psychique est ainsi posé, il faut encore se demander dans quelle mesure l'individu, qui a déjà tant de peine à se libérer de ses pulsions infantiles, possède sans se détruire la capacité de se libérer des pulsions archaïques et ancestrales. En toute hypothèse, les partisans d'une telle libération devraient indiquer par quels moyens, par quelle ascèse ou par quelle thérapeutique, un tel déracinement est possible. Et alors encore, les pulsions archaïques et ancestrales ne feraient que reporter à l'échelle des âges culturels et de l'espèce elle-même le problème que les pulsions infantiles posent à l'échelle de l'individu. Dans un cas comme dans l'autre, un réflexe élémentaire aurait donné naissance aux formes orantes particulières aux diverses civilisations, sous la seule pression des éducateurs ou également par voie d'hérédité psychique. En somme, si l'on peut considérer comme un réflexe infantile le fait qu'en cas de danger je réagis par une invocation du genre : « Bon Jésus, sauvez-moi ! » parce que telle est la formule par laquelle mes éducateurs m'ont appris à répondre à l'angoisse, je ne puis envisager de la même manière le besoin inné qui me pousse à une telle réponse, dont la nature serait différente chez des individus appartenant à d'autres époques ou à d'autres civilisations. Ce qui importe est donc le besoin inné et ce qu'il signifie. Or si, comme je le disais plus haut, il correspond à un recours à des forces qui paraissent étrangères à la conscience ordinaire, il faut souligner que cette conscience ordinaire est très limitée et que l'identification opérée avec elle est tout à fait arbitraire. Dans la réalité, nous savons que cette conscience séparative ne saisit que les processus les plus superficiels de notre être, à savoir cette personnalité de surface par laquelle un comportement pratique nous est
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facilité dans l'univers extérieur. Mais un grand nombre d'autres processus, inconscients par rapport à ce centre particulier de conscience, quoique très conscients sans doute à leur manière, et en quelque sorte de leur point de vue, demeurent agissants en nous, sinon déterminants. Ces processus, loin de se limiter à cette entité abstraite que l'on nomme individu, relient précisément le complexe personnel à ce qui le conditionne et l'environne et, par conséquent, à la réalité cosmique dans laquelle il est inclus. Cependant, nos images spatiales sont très insuffisantes pour suggérer ce qui se passe en réalité. Car il faudrait dire que si, à un certain point de vue, l'individu n'est qu'un point infime dans l'océan de substance cosmique qui le presse de toutes parts, il est non moins vrai qu'à un autre point de vue, l'univers entier se trouve en lui. Le corps visible n'est, en effet, que le symbole ou le signe algébrique d'une réaction infinie, dont l'ultime racine ne peut être située en un point déterminé du temps et de l'espace, et rejoint la cause initiale du déploiement universel. Cet aspect de la psyché ne peut être compris sans doute que si l'on fait appel au langage de la physique nouvelle et si l'on admet que les processus psychiques les plus subtils appartiennent au monde de l'infiniment petit. De même que les corpuscules élémentaires dont les atomes sont constitués et qui forment la trame subtile du corps visible ne peuvent être décrits par nos naïves images spatio-temporelles, de même les processus psychiques échappent à toute imagerie de ce genre. La psyché, comme ces corpuscules, doit être considérée plutôt comme des nuages, au contour très flou, dont la densité va décroissant du centre vers la périphérie. L'une et les autres, tout en étant localisés en un endroit déterminé, emplissent cependant l'univers entier, dont les événements se produisent à l'intérieur d'eux. Cette vue de la psyché et de ses processus inconnus de la conscience permet de comprendre que le réflexe orant, ou réponse religieuse à l'angoisse, peut n'être rien d'autre, psychologiquement parlant, qu'un recours et un appel de la partie fragmentaire de l'être identifiée par la conscience à sa totalité inconnue, en laquelle elle pressent à juste titre une force considérable, qu'il n'est pas exagéré de considérer comme cosmique ou divine. Par ce réflexe, le Moi conscient en danger s'agripperait à sa propre totalité psychique, à l'âme dans laquelle il est inclus et, par-delà celle-ci, à l'Esprit lui-même, à la racine divine et éternelle de sa forme passagère. Il semble dès lors qu'au lieu d'ignorer une réaction aussi élémentaire et aussi fondamentale ou de s'en épouvanter, l'individu devrait s'efforcer de l'intégrer à sa vie consciente et de tenter une identification croissante de la conscience avec l'ensemble des processus qui la conditionnent et débouchent en elle. Si mon raisonnement est exact, le réflexe orant devrait alors être considéré comme le signe de ce que la conscience personnelle est ignorante de ses dimensions les plus ultimes, de ses forces les plus secrètes et de ce qu'il lui appartient d'intégrer les unes et d'utiliser les autres. Qu'il se produise le plus souvent à l'heure de l'angoisse, dans la faiblesse ou la maladie, pour répondre à un danger ou à un sentiment de culpabilité, indique précisément que la conscience ordinaire ne suffit plus pour faire face à ce qui se
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produit en de telles circonstances. Au lieu de mépriser la prière parce qu'elle est surtout le fait des faibles, des malades ou des vieillards, l'on devrait s'émerveiller plutôt de ce qu'elle confère une force admirable là où les possibilités de la conscience ordinaire sont défaillantes. Si les puissances ultimes de l'être humain sont ainsi actualisées là où la faiblesse est manifeste, les forts pourraient se demander quel rayonnement serait le leur s'ils consentaient, en pleine lucidité, à multiplier, par elles, les forces déjà considérables d'une nature extérieure encore intacte.
L'acte orant comme actualisation des réflexes infantiles et archaïques. Il est donc faux de considérer comme une régression le consentement au besoin de prier, c'est-à-dire au besoin qu'éprouve le Moi conscient de se raccrocher à une totalité indéfinie et de s'inclure en elle. Il y a là un réflexe inné, auquel il n'est pas plus régressif de s'abandonner qu'il ne l'est de consentir au besoin de manger, de boire ou d'aimer. On ne peut parler de régression que dans les cas où l'individu consent à un comportement qui n'est plus adapté au stade normal de son évolution, lorsqu'il répond aux stimulations de la vie extérieure par des réactions qui, tout en ayant été adaptées dans le petit âge, ne présentent plus d'efficacité chez l'adulte, ou n'obtiennent qu'une efficacité moindre. Mais il existe certains types de stimulation et certains types de réponse qui ne sont pas particuliers à un stade déterminé de la vie humaine et correspondent en elle à des constantes. Il en est ainsi pour les réflexes innés, parmi lesquels je range le réflexe orant, comme réponse type à l'angoisse. Cependant, le réflexe inné dont je parle ne se présente encore qu'à la manière d'une hypothèse féconde, d'une haute probabilité. C'est en considérant l'universalité du réflexe orant que je conclus à son caractère inné, après l'avoir dépouillé des formes particulières élaborées par les diverses civilisations. Ce dépouillement est encore une œuvre de l'esprit car, dans la pratique, le besoin de prier se présente toujours sous une de ces formes particulières, associé à des croyances propres à un temps et à une époque, c'est-à-dire comme un réflexe conditionné. Pour qu'il en soit autrement, il faudrait qu'une technique spéciale parvienne à éliminer ou à isoler ce que l'éducation a associé au réflexe inné, ou encore que l'on arrive, par des méthodes appropriées, à connaître la réaction interne du bébé à l'angoisse. Si la psychanalyse peut, dans une certaine mesure, faire prendre conscience de l'apport des parents ou des éducateurs, il n'est pas encore certain que l'on arriverait alors à voir fonctionner dans sa pureté le réflexe inné, tout au moins si l'on considère celui-ci comme une réponse universelle de l'espèce à une stimulation donnée. C'est que, même en de tels cas, nous nous trouverions en présence de ce qu'une civilisation particulière a transmis à l'individu par voie d'hérédité ; nous nous trouverions en
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présence de l'inconscient collectif en lui. C'est ici que la méfiance ou la répulsion du rationaliste envers la prière reprennent leur valeur car l'on peut considérer que s'il n'y a rien de dégradant ou de régressif à s'abandonner à un réflexe inné, il peut y avoir une grave réduction de liberté dans l'abandon aux forces infantiles et archaïques individuelles ou collectives. Cet abandon peut être conçu comme une forme d'aliénation, comme une résignation, à d'inadmissibles pesanteurs, comme une soumission dégradante au passé. Et, de fait, il pourrait n'être rien d'autre qu'une forme de conservatisme spirituel, une renonciation aux exigences de l'avenir, une automatisation de l'être. Il n'en demeure pas moins que nous ne pouvons pas escamoter le passé. En le niant, nous le chassons seulement du champ de la conscience ou écartons toute chance de l'y voir accéder jamais, mais il n'en continue pas moins d'exister et d'agir en nous. C'est précisément alors qu'il est dangereux. Car l'aliénation ne consiste pas à prendre conscience de ses pesanteurs et à faire leur part, elle réside très exactement dans le refus ou l'impossibilité de cette prise de conscience et dans l'action inconnue et non contrôlée des forces infantiles et archaïques sur un Moi crispé qui ne prétend s'identifier qu'à ce que sa raison voit et explique. La liberté qu'il nous est donné d'atteindre ne correspond guère à une volatilisation du passé et de tout ce qui conditionne l'individu, mais seulement à l'établissement de la conscience en une altitude qui lui permet de voir avec lucidité ses pesanteurs, d'agir sur elles, de les intégrer et, par là, de les rendre moins dangereuses. Au reste, nous aurions tort de considérer le passé comme une sorte de bloc inerte, qui serait attaché à la conscience comme le boulet à la jambe du forçat. C'est par une illusion de notre Moi séparé, par les exigences d'un comportement limité et fragmentaire que nous découpons la réalité indivisible en ses tronçons distincts du passé, du présent et du futur. D'une certaine manière, le passé, lui aussi, est présent, comme l'est d'ailleurs le futur. Mais tandis que l'un est présent en des zones de l'être qui n'ont pas encore été parcourues, l'autre est présent en des régions qui, dans les circonstances ordinaires, ne peuvent plus être rejointes. Notre conscience n'est qu'une petite lanterne éclairant la seule partie de la route où nous posons nos pas, tandis que tout ce qui est derrière ou en avant d'elle demeure dans l'obscurité. Ce que nous appelons le présent n'est qu'une faille ou une fente imperceptible par où se déverse le présent réel, dont le passé et le futur font partie. C'est pourquoi nous avons toujours le sentiment que le passé et le futur agissent dans le présent et le déterminent, le premier par une sorte de poussée obscure et le second par un appel indéfini. Tous ceux qui ont étudié l'Inconnu psychologique, et notamment les rêves, ont pu constater que les résidus infantiles et archaïques sont loin de s'y manifester comme de simples répétitions mécaniques. Quelle que soit l'importance de ces dernières, ces résidus sont constamment au travail en des ensembles originaux qui, à leur manière, tentent d'élaborer un nouveau comportement, sont déjà ce comportement dans sa phase d'essai. Le passé est en nous à titre de mouvement obscur à la recherche d'un but. Il est inséparable de l'avenir vers lequel nous marchons et qui, quels que soient les projets de la conscience, est toujours différent de ce que veut celle-ci et perceptible seulement par
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l'intuition, en des circonstances exceptionnelles. Le passé est la matière de notre avenir, au même titre que la racine est celle de la fleur et il est impossible de n'envisager que l'avenir tout en se déracinant du passé ; il existe une continuité de l'un à l'autre. De sorte qu'à vouloir se libérer de son passé (au sens de n'en point tenir compte), on se libérerait aussi de son avenir, on se déboussolerait complètement. Ce qui ne signifie pas qu'il ne faille avoir que les yeux fixés sur lui, ce qui est le propre de l'esprit réactionnaire ; le passé, lui aussi, ne peut être compris qu'en fonction de l'avenir qui l'appelle et l'accomplit. La conscience la plus large est celle qui saisit les diverses dimensions du temps comme une totalité indestructible et articulée. Ces considérations étaient nécessaires pour comprendre que les formes traditionnelles de la prière ne sont pas des comportements régressifs, dans la mesure où la conscience en accueille librement les contenus. Cette prière est la forme prise, dans une civilisation déterminée, par le besoin inné de réponse à l'angoisse. À ce titre, elle actualise en nous les types de réponse élaborés par les générations aux problèmes posés par certaines situations. En l'utilisant, nous faisons l'économie de la recherche individuelle pour la solution de ces problèmes et nous libérons nos forces personnelles pour des tâches nouvelles que l'avenir pose à l'individu et à l'humanité. Nous bénéficions de la force acquise des réponses données par des millions d'hommes à des stimulations particulières, nous laissons ces réponses se reproduire en nous comme des mouvements adéquats qui nous facilitent l'expansion de la conscience vers l'avenir. Dans quelle mesure nous pouvons isoler et reconnaître dans la prière traditionnelle ce qui appartient à l'âme collective d'une civilisation déterminée, la chose est difficile à dire, car l'enseignement religieux rejoint et recouvre sans doute ce qui appartient à l'âme collective. Cette recherche aurait cependant la chance d'aboutir à des résultats féconds si elle pouvait avoir pour objet les rêves des enfants ou la pensée religieuse inconsciente de personnes non croyantes élevées dans un milieu complètement agnostique. Ce qui apparaîtrait en ces rêves puérils ou chez ces personnes pourrait être considéré, en effet, comme la part de la tradition assimilée par l'inconscient collectif. Les réponses ancestrales actualisées par la prière traditionnelle, si elles peuvent être considérées comme le passé agissant en nous, ne peuvent cependant être assimilées à de simples pesanteurs sur lesquelles la conscience aurait à établir son contrôle. Je viens de le dire, elles nous paraissent plutôt une base dynamique pour des développements ultérieurs, un point de départ favorable à la libération des forces individuelles en vue des tâches qui lui sont propres. Ces réponses, en effet, ne peuvent être confondues avec certains processus négatifs transmis par hérédité, processus qui alourdissent la vie individuelle ou la séparent de l'environnement. Ces processus négatifs se manifestent généralement à titre de prédispositions morbides et d'insuffisances constitutionnelles et ils peuvent affecter aussi bien la santé physique que l'intégrité psychique. Mais il s'agit ici, au contraire, de processus constructeurs ou réorganisateurs
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qui visent sans cesse à compenser les insuffisances, à pallier aux dangers des prédispositions morbides, à remédier à la peur ou à l'angoisse, à brider des instincts dangereux, à relier la conscience séparée à ce qui l'environne, à l'élargir et à la transcender dans une conscience plus vaste et plus accueillante. Lorsque nous employons, par exemple, le mot « Dieu », nous actualisons les millions de réponses positives faites aux stimulations les plus difficiles de l'humanité, depuis l'aube de la civilisation. Car, quel que soit le contenu métaphysique de ce mot, il correspond historiquement et psychologiquement à l'effort le plus intense accompli par les générations antérieures pour s'élever et se relier à ce qui les dépasse, pour atteindre leur unité intérieure et l'unité avec tout ce qui vit. Le caractère monosyllabique de ce mot en fait d'ailleurs un véritable réflexe d'unification, qui produit ses effets par son seul énoncé et sa seule répétition. Chaque fois que les hommes ont lutté contre la faiblesse, la maladie ou la mort, chaque fois qu'ils ont voulu vaincre les processus destructeurs qui les menaçaient, chaque fois qu'ils se sont efforcés de transcender leur égoïsme et d'embrasser jusqu'à leurs ennemis dans le mouvement de compassion ou d'amour, ils ont associé leur effort au terme « Dieu ». C'est pourquoi également, et en vertu de la loi de l'association des idées, chaque fois que nous prononçons ce mot, nous appelons en nous la force qui lui a été associée au cours des temps, nous renouons une chaîne de réflexes positifs immémoriaux, nous faisons affleurer les ondes bénéfiques qui se sont déroulées jusqu'à nous à travers les innombrables générations de nos parents et de nos ancêtres. De ce point de vue, Dieu possède une existence psychologique en nous et dans l'humanité, en tant que somme d'efforts accomplis par les générations successives pour s'élever et s'unifier à l'existant. Cette présence psychologique de Dieu ne peut être confondue, évidemment, avec son existence ontologique, mais elle en est sans doute un aspect particulier, en ce sens que, pour le croyant, le Divin est nécessairement là où on l'invoque. C'est d'une manière analogue que l'on peut parler d'une présence du Christ dans l'âme occidentale, ou de celle de Krishna dans l'âme indienne, ou de celle du Bouddha dans l'âme chinoise ou tibétaine. Pour chacune de ces civilisations, les noms en question jouent le rôle de catalyseur ou de signal pour des réponses d'un type particulier dont ils économisent à l'individu l'effort original d'élaboration et d'inutiles essais. Ce sont précisément ces réponses qu'actualise la prière traditionnelle et c'est de leur force que nous nous privons en partie lorsque nous renonçons à elle. Je dis bien : en partie, car, malgré tout, ces réponses existent en nous et y agissent d'une certaine manière mais précisément alors de cette manière qui est inconnue de la conscience, comme une résistance parfois inadéquate ou une poussée non identifiée pour ce qu'elle est. En les accueillant librement, en les multipliant par une action volontaire, nous développons une sorte de capital de réponses correctes aux stimulations extérieures ou aux dangers intérieurs. Et si la force de l'être est ainsi accrue aux heures d'intégrité et de lucidité par l'automatisation favorable qui s'opère en lui, cette possibilité de réponses correctes devient particulièrement précieuse lorsque ces heures disparaissent ou risquent
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de disparaître et que la conscience est menacée de submersion par les forces auxquelles elle ne parvient plus à faire face. À l'instant de l'agonie notamment, la conscience possède rarement la force nécessaire au contrôle de l'être et à son orientation décisive : elle ne peut que regarder le conflit ou le déroulement de la multitude de réflexes positifs et négatifs qui se déclenchent à l'approche des suprêmes périls. L'être est alors emporté par la puissance dynamique de son passé, comme une barque l'est au fil de l'eau lorsque le pilote s'est endormi ou, blessé, ne peut plus utiliser ses rames. Selon que l'emportent en ce crépuscule les réflexes positifs ou négatifs, l'être aborde la mort dans la paix ou dans la terreur. Et, sans doute, est-ce également d'eux que dépend sa manière de prendre conscience de cette dimension des choses que dévoile la mort et dans laquelle on peut entrer du pied droit comme du pied gauche, selon ce qu'on est à l'heure du dernier râle. Il est possible ainsi de comprendre comment la pratique fréquente de la prière traditionnelle, en actualisant et en multipliant les possibilités de réponses favorables au danger, est capable de « sauver » l'individu à l'heure de la mort en l'orientant d'une manière quasi automatique, et par la puissance même de son passé, vers les régions de la paix et de la sérénité ainsi que vers un accueil tranquille de l'inconnu. En ce sens, nous pouvons avoir une idée de ce que sera notre agonie par la manière dont se produit notre endormissement. À la fin de la journée, avant que le sommeil ne nous envahisse tout à fait, la conscience, encore éveillée, n'a plus cependant la capacité de contrôler ses impressions et elle assiste, passive, à la libération des automatismes. Elle peut être alors emportée dans une confusion angoissée, dans une incohérence affolante ou, au contraire, reposer avec calme dans une sorte de silence lumineux qui la baigne de toutes parts. C'est ainsi qu'il lui est susceptible d'avoir un avant-goût de ce qui présage sa perte ou son salut.
L'acte orant comme émergence de l'être profond La prière traditionnelle a pris, dans toutes les civilisations, une forme verbale et rythmique qui a fait l'objet de théories souvent audacieuses. Que ce soit en Occident, aux Indes, dans l'Islam ou en Extrême-Orient, nous retrouvons la psalmodie comme forme collective de la prière et une sorte ou l'autre de chapelet comme forme efficiente de la prière individuelle. De prime abord, il apparaît que l'important dans ces pratiques n'est pas le contenu intellectuel ou dogmatique. Dans chaque civilisation, ce contenu est différent et la prière produit des effets analogues. L'essentiel est d'une part une aspiration générale vers le Divin qui, selon la religion particulière, s'identifie à une croyance dogmatique ou intellectuelle déterminée, d'autre part, un élément rythmique et vibratoire partout identique. Tant dans la psalmodie que dans le chapelet, il se manifeste une tendance à modeler le rythme verbal sur le rythme respiratoire. Je n'insisterai pas sur l'importance et la signification générale du rythme dans la vie humaine et dans la vie universelle, importance et signification bien connues et que de nombreuses études ont
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mises en valeur. Je ne m'étendrai pas davantage sur l'aspect moins familier de la prière verbale, celui du ton. Qu'il suffise de dire que les effets psychologiques d'une récitation verbale sont différents, non seulement selon le rythme adapté, mais aussi selon le ton. Mon expérience permet de suggérer que les tons graves, bas, agissent avant tout sur les zones inférieures du psychisme, sur la partie instinctive de l'être, sur tout ce qui, en lui, se rapporte au passé et au souvenir, de sorte que la prière articulée de cette manière se révèle particulièrement efficiente dans les cas de maladie, de dépression physique ou mentale, de vertige sensuel ou sentimental ; elle pénètre dans les zones obscures de l'être en les apaisant. En revanche, les tons élevés ou aigus paraissent davantage en rapport avec ce qui, dans le psychisme, n'est pas dévoilé à la connaissance et concerne son devenir. La prière aux tons élevés est un marteau frappant aux portes de l'avenir. Elle tend à rejoindre les zones supérieures du psychisme, zones que l'être n'a pas encore parcourues mais qui existent comme sa possibilité la meilleure ; elle aiguise l'intuition qui déchire le voile les cachant à la conscience ordinaire. Il est vrai qu'en parlant ainsi des effets de la prière, selon le ton sur lequel elle est modulée, je devance quelque peu mon sujet, puisque je n'ai pas encore expliqué comment de tels effets peuvent être observés. Cependant, il n'y a rien de tel en pareils cas que de se livrer à l'expérience. Et celle-ci est significative. Si l'on récite des psaumes ou un chapelet pendant un temps suffisamment long, par exemple une heure ou deux, l'on peut constater comme premier effet de cette pratique une tendance à l'endormissement. La constatation de cette tendance a fait dire à certains esprits superficiels que la prière n'est qu'une forme d'hypnose. Cependant, cette conclusion est prématurée, car l'hypnose se caractérise par un effondrement de la conscience et une impossibilité de mettre en œuvre les processus centraux de nature volontaire. Dans la prière, il n'y a rien de tel et nous verrons, au contraire, que lorsqu'elle est correctement conduite, elle aboutit à une élévation du niveau de conscience et à un affinement des perceptions. La prière ne provoque l'hypnose que dans les cas où l'individu ne s'est pas encore éveillé à une véritable conscience personnelle et vit dans un monde crépusculaire qui constitue tout son horizon. Car ce qui, par elle, s'endort vraiment est cette partie superficielle de l'être, essentiellement instinctive, quoique tournée vers le monde extérieur et sensible à ses stimulations les plus immédiates et les plus grossières. Le sommeil atteint alors l'être de surface dans lequel nous vivons habituellement, dont les réactions bruyantes occupent le plus souvent notre champ de conscience et qui nous voile l'être profond, sensible à des stimulations plus lointaines, plus délicates et plus subtiles. C'est cet être profond que la prière fait émerger et venir à l'avant-plan, grâce à l'endormissement de l'être de surface. Il est donc clair que plus est forte la sensation de sommeil, plus aussi est manifeste le signe que l'on vit ordinairement à la superficie de soi et que l'on est ignorant de ses dimensions ultimes. Les individus qui trouvent le plus « endormante" la prière verbale et rythmée sont aussi ceux dont l'éducation est la moins évoluée, dont la conscience est la plus crépusculaire, dont l'aliénation à l'immédiat est la plus violente. En revanche, ceux qui ont atteint déjà un
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certain degré de maturité intérieure n'éprouvent cette tendance à l'endormissement que sous sa forme la plus bénigne, à la manière d'un engourdissement ou d'un apaisement de la partie superficielle de l'être qui leur permet de s'identifier au plus tôt avec l'être profond. Qu'est-ce que l'être profond ? C'est, assurément, la partie de nous qui excède le complexe de l'ego, le déterminisme et le relie à l'universel. Psychologiquement, c'est l'affleurement à la conscience des processus dont je vous ai parlé au début de cet ouvrage et qui constituent l'âme enfantine et l'âme collective, c'est la divination par cette conscience des zones les plus lumineuses de l'être vers lesquelles elle est appelée ; c'est, au-delà de cette perception croissante du passé et de l'avenir, la saisie d'une réalité indifférenciée, dans laquelle tout le reste est contenu à titre d'étalement possible dans le temps et dans l'espace ; ontologiquement, c'est l'identification de l'être avec son principe ultime d'identité, avec son Soi le plus profond qui rejoint le Soi cosmique, le Divin en nous et dans le monde. C'est cet indifférencié que la prière fait émerger toujours plus, rejetant de la conscience et endormant les processus les plus grossiers et les plus immédiats qui nous aliènent pour nous faire atteindre, à travers des processus plus vastes et plus subtils, la région indéfinie où l'existence pure rejoint la connaissance pure et la jouissance pure. Cette émergence de l'être profond, qui est éprouvée par l'individu orant comme une réalité subjective indiscutable, trouve une confirmation curieuse dans un phénomène qui fait généralement suite à la tendance à l'endormissement dont je viens de parler. Il s'agit de l'élévation de la température du corps. Cette élévation de température est d'autant plus intéressante qu'elle n'est pas produite par une excitation extérieure, ni même, au sens habituel, par une excitation intérieure, puisqu'elle coïncide au contraire, avec un apaisement des zones de l'être où cette excitation, généralement, se produit. Ce n'est pas, en effet, un souci particulier, ou une idée particulière, ou un sentiment déterminé qui animent à ce moment le psychisme et agissent par son intermédiaire sur le corps. Il s'agit plutôt d'une aspiration vague et indifférenciée (tout au moins lorsque la prière n'a pas pour objet une demande précise), d'une activation des processus centraux, du noyau même de l'être. Cette élévation de température peut être assez considérable pour être remarquée sans instruments. Elle peut obliger l'individu orant à enlever des vêtements nécessaires au début de la prière. Elle permet d'effectuer toute autre activité mentale. Certes, je ne possède pas encore d'observations statistiques sur ce phénomène que chacun peut cependant constater. Mais ces observations seraient faciles à obtenir, pour autant qu'un nombre suffisant de sujets consente à se faire observer au cours des différentes phases de l'activité orante. Si l'on réfléchit au fait que l'élévation de la température correspond à une augmentation de la vitesse du mouvement moléculaire, et qu'elle est produite par un processus central à l'exclusion de toute excitation extérieure, nous devons en conclure que la prière est un phénomène qui met en mouvement quelque chose se trouvant dans le monde de l'infiniment petit, ce mouvement entraînant lui-même
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l'accélération de toute nébuleuse humaine. L'élévation de la température n'est que le signe extérieur et grossier d'une agitation moléculaire et atomique qui se produisant aux confins de l'énergie par une rotation plus vive et, tout en rejetant par sa vitesse accrue les corpuscules gravitant habituellement à son orbite, prendrait une importance accrue dans l'économie humaine. Cette accélération du noyau énergétique, dont l'élévation de température serait la manifestation grossière, correspondrait, sur le plan de la physique humaine, à ce que j'ai décrit, sur le plan psychologique, comme une émergence de l'être profond. L'élévation de température permet de comprendre comment la prière peut provoquer la modification des perceptions sensorielles et, d'une manière générale, transformer la relation de l'individu avec le monde et la représentation qu'il s'en fait. Cette relation et cette représentation ne sont, en effet, que le résultat d'une situation sensorielle particulière, une saisie partielle de la réalité environnante par l'organisation sensorielle en un état déterminé de son évolution. Mais toute transformation a des correspondances dans sa perception et sa représentation du monde. C'est pourquoi l'émergence de l'être profond permet de saisir des qualités de l'univers qui demeurent étrangères à la conscience ordinaire et qui, plus proches de la nature du noyau même de l'existence, sont également plus éloignées de la vision cristallisée de cette existence dans les catégories déformatrices du temps et de l'espace. Je ne m'étendrai pas ici sur les perceptions et les qualités nouvelles susceptibles d'être saisies par la conscience orante , il suffit, pour l'instant, de démontrer la réalité de la transformation opérée par la prière dans le sujet. Cette transformation est encore manifeste dans l'effet qu'elle produit sur le système nerveux et plus particulièrement, sur le système sympathique. Les modifications apportées au système nerveux par la prière n'ont pas encore fait l'objet à ma connaissance, d'observations expérimentales. Cependant, celles-ci ne seraient pas impossibles et offriraient même aux chercheurs un champ fécond d'explorations. L'expérience subjective indique sans conteste que la prière est susceptible de déclencher des ondes nerveuses dont le point de départ paraît se trouver dans la région du cervelet tandis que le parcours en aboutirait aux terminaisons nerveuses périphériques après être passé par la colonne vertébrale. En attendant qu'il soit possible de photographier les ondes radiatives émises par la volonté et le cerveau ou, mieux encore, de cinématographier l'influx nerveux, la réalité de ce dernier peut, dans le cas qui nous occupe, être décelée par un réflexe facilement observable, je veux dire : le réflexe pilomoteur. Celui-ci, couramment appelé « chair de poule », consiste en une contraction, tantôt localisée, tantôt généralisée, des muscles érecteurs des poils, contraction provoquée ellemême par l'innervation de l'orthosympathique. Le réflexe pilo-moteur a été étudié surtout du point de vue pathologique et l'on a souligné qu'il est produit le plus souvent par des stimulations extérieures, telles que le froid, la peur, le crissement de certains objets..., mais aussi par des sensations esthétiques ou affectives. Toutefois, l'on a reconnu qu'il peut encore être provoqué par des
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excitations centrales, c'est-à-dire par la représentation imaginaire des stimulations extérieures qui sont habituellement à son origine. Le réflexe pilo-moteur est ainsi un réflexe encéphalique et un réflexe sympathique et il est caractéristique que la prière puisse le déclencher, sur toute la surface du corps, sans qu'une représentation imaginaire soit nécessaire à cet effet. Une émotion particulière, liée à une demande précise ou à une idée déterminée, n'est pas davantage nécessaire puisque nous avons constaté que le réflexe en question se produisait encore lorsque l'être, écartant systématiquement toute image, toute pensée ou tout sentiment objectif, cherche seulement à obtenir une saisie pure de sa réalité indifférenciée. Dans cet acte qui est éprouvé subjectivement comme une identification de l'être avec lui-même, comme un vide plein, une mise en présence du Moi devant le Soi ou une étreinte de l'être en son ultime nudité, le réflexe pilo-moteur est contenu tel le signe extérieur de l'émotion indifférenciée ou de l'émotion sans objet qui est atteinte là. Certes, dans la prière ordinaire, on ne peut parler d'une manière rigoureuse d'une émotion indifférenciée ou sans objet, mais la remarque que je viens de faire n'en était pas moins opportune car la prière opère un éloignement progressif de ce qui provoque habituellement l'émotion pour aboutir à cette émotion indifférenciée que provoque elle-même une stimulation indifférenciée. Nous arrivons ainsi, par d'autres voies, à des conclusions analogues à celles de mes observations précédentes. Dans le domaine nerveux et affectif, lui aussi, la prière met en œuvre les processus centraux les plus subtils et les moins différenciés et les prolonge, à travers la colonne sympathique et la moelle dorso-lombaire, jusqu'aux terminaisons nerveuses dont le réflexe pilo-moteur montre l'innervation. Cet influx nerveux est lui-même transmis par une décharge d'adrénaline, dont on connaît les effets. De sorte que nous voyons un acte volontaire, verbal et rythmique tel que la prière provoquer d'une manière constante et progressive des modifications nerveuses que seules des stimulations extérieures et épisodiques parviennent à déterminer en d'autres circonstances. Ces modifications paraissent avoir quelque rapport avec celle produite par la musique (tout au moins une certaine musique), à cette différence qu'elles correspondent ici à un processus volontaire et interne. Peut-être pourrai-je suggérer encore qu'elles ne sont pas étrangères à certains effets des thérapeutiques de choc qui opèrent une dissolution des structures superficielles du psychisme pour le ramener à sa réalité indifférenciée. Mais, tandis qu'en de telles thérapeutiques, il s'agit de procédés mécaniques d'où la conscience et la volonté sont absentes, la prière aboutirait, au contraire, à une lente reconquête de l'indifférencié par la volonté et dans la pleine lucidité de la conscience. En toute hypothèse, les transformations nerveuses opérées par la prière, et éprouvées subjectivement comme une augmentation de force et de joie, doivent être considérées comme une réorganisation ou un affermissement de l'équilibre sympathique. C'est ce qui explique qu'en certains cas de psychasthénie constitutionnelle ou de troubles neurovégétatifs, la prière puisse avoir des effets qui font penser à ceux des injections d'extraits glandulaires ou des thérapeutiques
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de choc. En revanche, lorsque la santé est intacte, elle renforce la tonicité de l'organisme et lui confère des capacités de perception inaccoutumées ou des forces pour les tâches inhabituelles.
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La prière est-elle exaucée ? La prière est-elle exaucée ? Il ne fait pas de doute que nous arrivons ici à ce qu'il y a de plus problématique et de moins compréhensible dans l'acte orant. Pour le croyant, cette question n'offre guère de difficultés et elle est même sans objet. Car il s'adresse à un tiers personnel, omniscient et tout-puissant, qui écoute la prière ainsi que le ferait un être humain, l'accueille ou la rejette et met en œuvre une volonté omnipotente. Il est vrai que, même alors, la volonté de Dieu se heurte à la liberté de ceux dont l'action est nécessaire à la réalisation du vœu émis et trouve ainsi ses limites dans les lois qu'elle a fixées ellemême à sa création. Mais de telles considérations se situent sur le plan théologique et ne nous apprennent pas grand-chose dans le domaine psychophysiologique où nous nous entendons nous situer. Peut-être conviendrait-il à ce propos de faire une distinction entre la prière visant une transformation dans le sujet et celle s'efforçant d'obtenir en faveur du sujet une modification des circonstances extérieures qui le concerne. Si je prie pour obtenir la santé morale ou physique, je puis comprendre le processus par lequel cette prière sera exaucée, car je sais par ce qui a été dit plus haut comment l'acte orant actualise les forces cachées et les libère. Il se produit un appel de la conscience ordinaire à la totalité psychique dans laquelle elle est incluse, du complexe de l'ego au soi qui le conditionne et l'enveloppe. Ce processus a quelque rapport avec l'autosuggestion, en ce sens que l'esprit conçoit de luimême une image qui est différente de celle de son être apparent, mais qui correspond à une des ses potentialités. Cette image — qui est déjà une réalité en mouvement — opère son œuvre dans la totalité de l'être, modifiant progressivement ce dernier selon ses schèmes formatifs et selon une force décroissante depuis les zones du psychisme pur jusqu'à l'organique proprement dit. Il faut bien voir, en effet, qu'à l'intérieur du sujet, il existe des régions de plus forte résistance et que la conscience physique est généralement la dernière à sortir de son inertie et à répondre aux excitations internes de nature élevée. Et cette résistance ne paraît pouvoir être vaincue que dans la mesure où l'image mentale de la transformation souhaitée a été élaborée avec une extrême précision. La vivacité et l'intensité de l'image du désir sont le truchement psychologique par lequel la prière opère ses modifications. C'est par la descente de cette image dans les zones inconnues de la psyché et par l'action de celles-ci que le résultat s'obtient. Mais l'on voit ainsi combien l'acte orant requiert une technique difficile pour arriver à reproduire d'une manière consciente et volontaire ce qui, dans certains cas, s'opère d'une manière inconsciente et involontaire. L'efficacité de la prière est soumise à des conditions psychologiques particulières : ce sont notamment la définition claire, la formulation précise et la représentation correcte de son objet. Ces conditions sont-elles également opérantes lorsque le sujet cherche à obtenir une modification des circonstances extérieures qui le concernent ? Certes, aucune démonstration, au sens scientifique de cette expression, ne peut être apportée ici. Nul tableau statistique ne serait même convaincant, car nous nous trouverions toujours en
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présence de phénomènes dont la causalité n'est ni évidente ni nécessaire. L'on pourrait toujours arguer de coïncidences en cas de réussite, de même que l'argument de la liberté d'autrui pourrait toujours être évoqué en cas d'échec. Cependant, il n'est pas vrai non plus que nous nous trouvions ici dans le seul domaine de la foi. La conviction qui naît spontanément chez le sujet orant, et d'après laquelle il s'établit un rapport entre lui et le monde extérieur dont il demande la modification, cette conviction mérite qu'on s'y arrête un peu. Certains n'y verront qu'un résidu de la pensée magique. Mais ce n'est pas là une explication, car il faudrait se demander si la pensée magique n'est pas le vestige ou la caricature d'une réalité gigantesque dont l'humanité a perdu la conscience exacte et le maniement. Il s'agit de savoir si la croyance du primitif ou de l'enfant en la toute-puissance de la pensée n'est pas le souvenir confus, à un niveau très bas de conscience, de l'existence d'un psychisme universel et de la possibilité d'une saisie générale de tout par tout. Mais laissons pour l'instant cette hypothèse dont l'évocation n'était nécessaire qu'aux fins de montrer la fragilité des arguments relatifs à la pensée magique. Revenons plutôt à la conviction du sujet orant et à ce qui peut la constituer dans le mécanisme de la psyché, tel que nous le connaissons. L'image du désir qui se forme dans la prière efficace transforme le sujet, je l'ai démontré plus haut. Mais l'individu n'est pas un phénomène clos et séparé. C'est un rapport avec l'environnant. Chaque événement qui se produit en lui est événement qui se produit dans le monde. Il modifie la relation de l'être avec le monde et, par conséquent le monde lui-même. De quelle importance et de quelle nature peut-être cette transformation du monde ? Nous ne pouvons le soupçonner qu'en nous interrogeant davantage sur la transformation du sujet. Celle-ci, nous le savons, ne s'opère pas seulement dans les couches conscientes de la psyché ; elle s'accomplit encore en ses zones inconnues qui paraissent inconscientes au complexe de l'ego. Or, c'est là que se détermine le plus puissamment la conduite. C'est là que se crée cette fatalité qui contredit si souvent les désirs conscients de l'individu. C'est là que se modèle le destin et que se structurent les événements qui l'accomplissent. La psychanalyse provoque les actions qui doivent satisfaire ses vœux et qui, dans bien des cas, s'opposent à la volonté ou aux intérêts de l'individu. Voici un prisonnier. Il est convaincu de vouloir sa libération sans réserve. Il croit accomplir dans ce but tout ce qui est nécessaire. Et cependant, il échoue sans cesse. Constamment, des erreurs se glissent dans son comportement et provoquent un résultat contraire à son désir conscient. L'on se livre à l'analyse de ses rêves. Il apparaît alors que sa psyché est pleine de résistances inconscientes à sa libération, elle n'en veut pas, elle est dévorée par un sentiment de culpabilité qui exige la souffrance et l'autopunition. Mais voici que le prisonnier prie pour sa libération. Et son désir conscient pénètre lentement dans les couches inconnues de la psyché. Il les transforme, écarte progressivement les résistances, apaise le monstre jaloux qui y siège, crée un dynamisme secret qui le pousse désormais à accomplir les actes nécessaires à ce qu'il souhaite. Voilà une première façon pour la prière de rapprocher l'individu de son désir : elle détruit ses obstacles intérieurs,
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accumule en lui le maximum de chances pour la réussite, harmonise les zones conscientes de la psyché, le fait peser du poids de la totalité de l'être sur l'environnant, sur les circonstances et sur les hommes. Mais n'y a-t-il pas davantage ? Cette relation de l'individu et du monde n'a-t-elle de réalité que dans les dimensions du temps et de l'espace familières à la conscience ordinaire ? Nous pouvons répondre par la négative. Je l'ai dit au début au début de cet ouvrage : seul l'être superficiel évolue dans ces dimensions. L'être profond plonge ses racines au-delà, en des zones de l'existence où l'ego perd de sa réalité, où les psychismes s'interpénètrent et se rejoignent dans l'océan de l'indifférenciation universelle. Les faits télépathiques dont témoignent les rêves, mais qui peuvent être également obtenus à l'état de veille et soumis dans une certaine mesure à la volonté, nous donnent une idée du genre d'action que la prière est capable d'opérer à distance sur autrui. La parole de saint Paul selon laquelle nous sommes à la fois membres d'un seul corps et membres les uns des autres, ou l'ancienne exclamation indienne : « Je suis toi, tu es moi ! », perdent beaucoup de leur caractère mystérieux et deviennent plus intelligibles qu'autrefois. Car s'il est vrai que les phénomènes psychiques appartiennent dans leur manifestation au monde de l'infiniment petit, il n'est plus impossible de comprendre comment chaque psyché, dont le centre apparent est localisé en un point déterminé de l'espace et du temps, se trouve en réalité dépourvue de circonférence, occupe d'une certaine manière l'univers entier et pénètre par conséquent les autres psychés. En quittant notre être de surface, nous ne descendons pas seulement dans notre être profond, nous accédons à l'être profond d'autrui, au Soi universel qui conditionne toutes les existences superficielles et la réalité seconde de leur séparation. Par la prière, nous cherchons à agir sur autrui, et par conséquent sur des événements inaccessibles à notre Moi séparé, en rejoignant le psychisme universel dont autrui et nous-mêmes ne sommes qu'une manifestation passagère et, en partie, illusoire. C'est comme si la vague s'efforçait d'influencer d'autres vagues en agissant des profondeurs océaniques qui sont son ultime dimension et la détermination de toutes les formes marines. Car plus nous creusons profondément, plus nous accédons, par-delà la matière et l'énergie, par-delà le corps et l'âme, à l'Esprit éternel dont l'espace, le temps et la causalité ne sont que des manifestations. À ce point ultime, que seuls de rares mystiques ont atteint sans doute, la conscience la plus profonde serait non seulement libérée de l'ego ou accessible aux réalités de cet univers caché que l'infiniment petit nous fait soupçonner, mais elle s'identifierait au Je transcendant et universel dont le « je » ordinaire n'est que la réfraction dans le monde de l'apparence et de l'aliénation. Mais à ce point, la prière cesserait aussi, car la conscience de toute dualité serait abolie. L'être ne recourrait plus à ce qui le dépasse pour obtenir la satisfaction de ses vœux ; il serait devenu ce qui le dépasse et mettrait directement en œuvre sa puissance illimitée. Il n'implorerait plus un Dieu qu'il serait devenu. Dans l'expérience offerte à l'immense majorité d'entre nous, cette identification correspond à une limite à peine concevable. Nous continuons d'évoluer dans un monde de dualités, mais nous pouvons reconnaître
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désormais que celles-ci n'ont pas le caractère absolu qui leur est attribué par la conscience ordinaire, que des interpénétrations se produisent et que l'action de la prière sur autrui et sur les événements est de l'ordre des choses probables et intelligibles.
La prière et l'obsession Certains se demanderont si la concentration de la pensée sur un désir et la répétition verbale de la formulation de ce désir n'entraîne pas un état obsessionnel. Si l'on réduit ce dernier à ce qu'on appelle dans le jargon psychologique une « monoïdéisation » et aux processus qui en découlent, la prière, en effet, peut être comparée à l'obsession. Mais qui ne voit que cette réduction est insuffisante et incapable de rendre compte de l'obsession proprement dite? La monoïdéisation est un phénomène inhérent à tout processus créateur, qui exige la concentration sur la tâche à réaliser et l'élimination des préoccupations qui lui sont étrangères. Mais dans l'obsession, tout au contraire de la prière, cette monoïdéisation s'impose au sujet malgré lui. Elle est une irruption des zones inconnues de la psyché. Tandis que le sujet orant demeure le maître des processus évoqués et capable de les rejeter ou les appeler à son gré, l'obsédé est asservi à ce qu'il ne puisse ni comprendre ni dominer. Alors que, dans la prière, la conscience pénètre dans ce qui l'entoure et la conditionne, dans l'obsession, le contraire se produit. La conscience cède sous la pression de forces qu'elle ne peut identifier et le sujet, tout « occupé » de son idée fixe comme le serait un peuple par l'ennemi, se laisse conduire par elle vers des buts qui le détruisent. Car c'est là une autre distinction qu'il importe de souligner entre les deux sortes de phénomènes dont il est ici question. Les processus pathologiques, parmi lesquels il faut ranger l'obsession, sont des processus destructeurs. Et ils le sont, en ce sens qu'il rendent le sujet moins apte à vivre et à créer, non seulement dans le milieu social qui est habituellement le sien, mais même de cette manière plus profonde et moins immédiate qui peut être celle du génie, dont l'inadaptation à l'immédiat ne résulte que d'une compréhension de ce qui est plus vaste et plus lointain. Mais l'obsession n'est pas créatrice ; elle est isolante. Elle coupe le sujet qui en est victime de toute communion véritable ; elle le réduit à l'enfer de son individualité ou des forces infrarationnelles. La prière, au contraire, rattache à l'universel et au divin, à tout ce qui, dans les zones inconnues de la psyché, est lumineux et créateur ; elle abolit ou réduit les barrières de l'ego, elle rend l'être capable d'une compréhension et d'un accueil plus larges. La monoïdéisation qu'elle opère n'est qu'un instrument de défrichement et d'exploration, une manière de se frayer une voie dans la forêt du monde et des événements.
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La prière, comme voie d'accès à la conscience cosmique J'ai parlé de la prière comme réflexe et réponse à l'angoisse. J'ai montré comment la prière traditionnelle constitue une reprise volontaire des réflexes infantiles et archaïques positifs. J'ai indiqué certains de ses effets dans le sujet orant et autour de lui. Mais, en tout cela, je ne me suis préoccupé que des formes inférieures de la prière, bien qu'à vrai dire les plus courantes. Il est clair, notamment, que l'usage de la prière pour obtenir la satisfaction d'un désir demeure une manifestation primitive de la spiritualité. De ce point de vue, il n'y a pas une différence essentielle entre les commerçants allant en pèlerinage pour obtenir le succès de leur commerce et le prisonnier priant pour sa libération. Psychologiquement, l'on ne sort pas plus dans un cas que dans l'autre de la tendance de l'ego à se satisfaire et à se fortifier. Le complexe personnel cherche seulement à utiliser des forces qui le dépassent pour sa propre conservation. Cependant, cette étape est nécessaire dans la spiritualité comme dans la vie. Elle constitue déjà un début de dépassement de l'individu, car elle est en elle-même une reconnaissance de ce qui excède l'ego, une tentative de relation et de croissance. L'individu ne peut accéder à la conviction intime de l'existence des forces psychiques et de leur pouvoir que par la voie de cette prière égoïste. C'est la réalisation du désir qui ouvre les portes d'une connaissance supérieure, fait soupçonner que cette réalisation n'apporte guère la liberté et que celle-ci est le point où doit nécessairement déboucher la spiritualité authentique. Lorsque les portes de cette connaissance sont franchies, la prière pour soi devient de plus en plus rare et elle est progressivement remplacée par la prière pour autrui et pour le monde, et, enfin, par la grande prière oblative et glorificatrice en laquelle le complexe de l'ego se perd pour n'exalter que l'indifférencié et le Soi dans lesquels il est contenu. Il se produit là une évolution analogue à celle que la psychanalyse a décelée dans le comportement individuel. La prière d'abord narcissique et captative devient une expression de la tendance à l'oubli de soi, au sacrifice et à l'oblation. Lorsque les anciens hymnes védiques chantent l'identité de tout ce qui est, lorsque l'Église catholique entonne le Te Deum laudanums, lorsque le psalmiste, dans le Cantique des Trois Jeunes Hébreux, attribue au soleil et aux étoiles, aux montagnes et aux rivières, aux bêtes et aux troupeaux une conscience qui leur fait glorifier Dieu, lorsque, comme dans le Psaume 150, il délire dans l'allégresse d'une reconnaissance infinie, lorsqu’encore François d'Assise chante son Cantique au Soleil, la prière atteint une réalité psychologique et ontologique différente de la prière de demande. Il s'agit d'un évanouissement de la conscience ordinaire dans une conscience plus vaste qui fait singulièrement penser à ce que Sri Aurobindo appelle la conscience cosmique mais qui, dans le Yoga de celui-ci, est recherchée par la concentration et l'aspiration au don de soi plutôt que par la prière proprement dite. Cette conscience cosmique n'est atteinte généralement qu'en des états exceptionnels et il faut admettre que la grande majorité des êtres humains peut à peine soupçonner son existence. C'est elle cependant dont témoignent les œuvres des grands
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mystiques, des grands poètes et des grands musiciens. L'art puissant et serein de J.-S. Bach semble y avoir puisé l'essentiel de son inspiration, rendant compte, comme dans certaines de ses Toccatas et Fugue, de la déchirure qui se produit dans le voile séparant la conscience ordinaire de la conscience cosmique, et de l'irruption libératrice de celle-ci. De même est-ce sur ce monde de liberté que débouche, après des efforts torturés et angoissants, la Neuvième Symphonie de Beethoven. Une caractéristique de ces œuvres et des états dont elles témoignent, c'est de présenter la joie comme la vérité dernière des choses, leur substance la plus cachée, le terme de tout effort et la découverte ultime de toute lucidité. Si nous cherchons à écarter des descriptions dont je viens de parler ce qui y demeure lié à des formes particulières de pensée ou de sensibilité et à en dégager l'essentiel, si nous nous efforçons de confronter ces témoignages avec les états exceptionnels dont nous avons pu avoir l'expérience, nous pourrons dire que ce qui est appelé ici la conscience cosmique implique que le sentiment que la conscience n'est plus située dans le corps mais, au contraire, l'enveloppe et le contient, que les événements, les êtres et les choses ne sont plus perçus comme une relation d'un univers extérieur à un Moi clos et séparé, mais comme des réalités se situant ou survenant à l'intérieur de soi. Le corps propre n'est plus ressenti comme la seule identification possible et réelle mais une identification analogue, quoique moins nette et toujours intermittente se perçoit pour d'autres corps ou d'autres objets. Le criminel et le saint deviennent compréhensibles et fraternels car ils se révèlent telles des dimensions de soi, des potentialités ou des réalisations de Cela qu'on est au plus lointain de soi-même. L'ami et l'ennemi, l'imbécile et le génie, l'étoile et l'amibe surgissent dans cette conscience comme manifestations également nécessaires de l'Observateur ultime dont on emprunte le regard en reculant de dos vers lui. Si les distinctions et les séparations de la conscience ordinaire continuent d'être perçues sur leur plan et reconnues là comme réelles, elles sont transcendées par la vision seconde qui est celle de l'unité de tout ce qui vit dans une conscience unique. Ce que la prière laudative et glorificatrice est susceptible d'accomplir par sa répétition, c'est précisément de multiplier les possibilités d'accès à cette conscience cosmique qui, sinon, demeure exceptionnelle et l'effet d'une grâce ou d'un don incompréhensibles. Par elle, l'on cherche à reconquérir ces états d'une manière volontaire et permanente et à en faire le niveau stable et normal auquel l'être doit s'établir désormais. L'on s'efforce ainsi de faire descendre la conscience cosmique dans la totalité de la vie et de modifier, par elle, le comportement. Il faut bien voir, en effet, que dans la mesure où la prière dont je parle accomplit son œuvre, elle ne se borne pas à faciliter ou à multiplier les états que j'ai décrits, elle transforme le comportement dont les états de conscience sont l'avant-garde et le précurseur, ce comportement lui-même dans sa phase balbutiante et germinale. L'acte orant diffère profondément en cela de l'opération artistique qui, lors même qu'elle atteint une vision cosmique et libère un instant l'artiste dans la perception confuse d'un univers glorieux, se borne à canaliser l'émotion ainsi atteinte vers une œuvre qui en rend
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témoignage, mais qui l'objective et la cristallise. C'est l'œuvre qui importe en ce cas et non la vie qui, elle, demeure le plus souvent inchangée. De là le contraste habituel entre l'ampleur, la sérénité et la gloire des œuvres d'art et la mesquinerie, l'angoisse et le caractère sordide de la vie de tant d'artistes. L'individu orant ne se satisfait pas de tels contrastes et son action a pour objet la transformation de la vie. Et, dans le cas qui nous occupe, la prière produit, en effet, une transformation du comportement qui se traduit par une capacité accrue de transcender les réactions propres à l'ego, par une plasticité et un pouvoir plus grands sur les circonstances et les événements, par une adaptation de plus en plus adéquate à la marche profonde de l'histoire, des peuples et des civilisations, par une admission et un accueil toujours plus vastes de ce que la conscience ordinaire répudie comme différent ou redouté. Une découverte croissante de Sens des choses, y compris ce que le complexe de l'ego qualifie de laid, de monstrueux ou de terrible, est la conséquence d'une vision plus large des causes et des effets. Cette découverte n'est pas le fruit d'un raisonnement logique ou de quelque méditation spéculative, mais elle est une signification des choses se dévoilant au sein même de l'action, où elles avancent comme nanties d'une intention. Une guérison de l'angoisse s'opère par l'abandon serein de l'existence individuelle à ce qui la dépasse et la conditionne et par l'accueil de tout le possible comme une manifestation de l'être le plus profond. Le différent et le redouté sont éprouvés, eux aussi comme moyens par lesquels le Soi ultime renverse les barrières de l'ego et, prenant possession de la conscience ordinaire, se révèle à elle comme son propre et ultime principe d'identité. Par-delà les aliénations, bonnes ou mauvaises, positives ou négatives du complexe individuel, la liberté d'une conscience qui peut tout accomplir, car elle accueille et contient l'infinie possibilité, est enfin entrevue et atteinte dans une certaine mesure. Je dis bien « dans une certaine mesure », car cette conscience cosmique dont j'ai parlé, autant que le comportement qui lui est lié ne sont jamais atteints comme stable et normal que par un ou deux hommes sur quelques centaines de millions et, sans doute, une vie entière y suffit à peine. Pour la plupart d'entre nous, c'est déjà une bénédiction de pouvoir accéder à cette conscience en des heures de grâce et de savoir que la prière laudative et glorificatrice constitue une voie d'approche vers ce but lointain de l'évolution, le dernier formulable sans doute si l'on considère que de la conscience divine proprement dite, qui est derrière et au-delà de cette conscience cosmique, aucune description, même approximative, n'est possible et que le silence seul peut en rendre compte. Mais cette prière est comme un doigt pressant sans cesse la membrane qui sépare la conscience ordinaire de la conscience cosmique, l'entrouvrant de temps à autre, jusqu'à ce que, par un effort persévérant et toujours renouvelé, elle finisse par céder et permettre la libération dans les espaces infinis de la joie. C'est dans la mesure où l'on se rapproche de ce terme que la prière elle-même se libère de ses pesanteurs. D'abord réponse à l'angoisse, ensuite expression puis reprise volontaire et actualisation des pulsions infantiles et archaïques favorables au dépassement de l'ego,
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elle finit par se distancer de ce qui la constituait, au moins en ce qui nous en apparaissait sur le plan psychologique. L'intention qui l'habitait, à savoir ce besoin obscur qu'a l'ego de s'agripper à la totalité qui l'inclut et de s'identifier à elle, est ici réalisée, ou en voie de réalisation. La prière laudative et glorificatrice mérite encore à peine le nom de prière, car elle n'est plus demande de quelque chose à quelqu'un, mais reconnaissance infinie de tout ce qui est et de tout ce qu'on est. Elle devient hymne, cantique, chant et elle s'évade sans cesse des formes traditionnelles qui avaient été son éducatrice pour s'identifier à la vie même. L'activité orante a produit d'abord un éloignement de l'être de surface dans lequel nous vivons habituellement, des préoccupations, des pensées et des sentiments qui le caractérisent ; elle a permis ensuite une immersion contrôlée en des couches plus profondes de la psyché, où siègent les pulsions infantiles et ancestrales ; elle a fait déboucher enfin sur l'être indifférencié et universel qui est celui de la conscience cosmique et de la liberté. À ce point, les déterminations et les conditionnements humains sont vus en avant de soi comme un jeu de la nature qui n'affecte point l'être profond ou l'Observateur ultime avec lequel il s'identifie désormais. Peut-être est-il encore intéressant de signaler ici que, selon mon expérience, des figures symboliques sont susceptibles d'apparaître dans l'espace visuel interne, à meure que la conscience se rapproche de ce point d'indifférenciation qui est son terme. Il s'agit de figures géométriques et lumineuses, analogues à celles des mandalas orientaux qui préfigurent la symbolisation du Soi. Ces figures, qui sont généralement une combinaison du cercle, du carré et de la croix, voire du triangle et de l'œil, ne nous sont jamais apparues en rêve, tout au moins sous cette forme pure de toute autre combinaison. Elles paraissent une propriété de l'état orant et comme le signal de ce que le complexe de l'ego s'est immergé dans le Soi qui le conditionne. L'individu, ayant alors accompli ce don intérieur par lequel il se renonce au profit du Je transcendantal qui est son principe ultime d'identité, atteint un état de conscience limpide et heureuse, où la joie paraît avoir l'éclat d'un miroir et la rutilance de Noël. Il serait utile de vérifier si, d'une manière générale, il y a coïncidence, en effet, entre l'approche de cet état de conscience et l'apparition des symboles dont je viens de parler.
La prière communautaire et ses effets. Que se passe-t-il lorsque la prière traditionnelle, verbale et rythmique est entreprise, non plus par un individu isolé, mais par un groupe, une communauté ou une foule ? Ses effets sont multipliés d'autant1. Les barrières de l'ego sont renversées avec une aisance qui résulte d'un véritable phénomène de contagion psychique, signalé par Jung. Les zones infantiles et archaïques, communes aux individus présents, sont excitées en plusieurs points à la fois, au lieu de l'être en un seul. Une animation accrue s'y produit et l'être collectif, submergeant les différenciations individuelles, se porte en avant
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et s'impose comme le seul réel. Ce point d'émergence de l'être collectif est évidemment capable d'exercer sur ce qui l'entoure une influence plus forte que le point d'émergence manifesté chez l'individu isolé. Tout ce qui passe dans le rayon de ce centre énergétique est susceptible d'être frappé par ses ondes. Un individu dont la conscience est étrangère à la foi de la foule orante, mais qui appartient à son âme collective, sent soudain celle-ci se réveiller et agir en lui. Sans doute, ce que je viens de décrire peut ne pas paraître fort différent de ce qui se passe dans toute manifestation commune, où les invocations, les répétitions verbales et les champs sont utilisés comme moyens de créer ou de réveiller une âme collective. Mais celle-ci peut n'être alors qu'une création transitoire et superficielle, qui n'est pas l'expression de ce qui existe mais de ce qu'on tend à faire exister. De plus, lors même qu'on cherche à porter en avant des données de l'âme collective, il arrive qu'on n'évoque de celle-ci que des processus destructeurs tandis que la grande prière liturgique, telle que l'a élaborée par exemple l'Église catholique, est un choix consciencieux et prudent de ce qui, dans cette âme collective, ne correspond qu'à des processus favorables à l'unité de l'individu, de la communauté et du monde. Enfin, elle va bien au-delà de ces zones infantiles et ancestrales, puissantes mais toujours troubles, puisqu'elle est capable d'atteindre l'être profond de chacun, l'indifférencié en l'homme, son Soi ultime qui est une participation au Soi cosmique et divin. 1. C'est également ce principe que l'auteur a développé dans son livre « Le Signe Sacré. Le grand Égrégore de la Trinité ».
Du moins, c'est ce qui se produit lorsque la prière commune est entreprise par des individus capables d'aller jusque-là et d'y entraîner autrui. Ce qui se dévoile alors, ce n'est plus l'âme collective d'un groupe, d'une nation ou d'une race, mais ce qui est au-delà d'elle, l'Esprit universel qui, en chaque être, gémit après sa propre réalité et veut prendre conscience de soi dans la multiplicité qui le réfracte et l'aliène. C'est pourquoi la perte de conscience et de lucidité qui est souvent le résultat de l'émergence de l'être collectif ne se produit pas ici. Le principe d'identité, par lequel la conscience ordinaire se reconnaît être ce qu'elle est, est retrouvé dans le Soi universel comme en sa source ultime et en sa réalité la plus secrète. L'être universel n'est pas une réalité en laquelle il s'évanouit, il est luimême cet être universel, dont les existences distinctes ne sont qu'une réalité seconde. Cet Être chante par la bouche des suppliants et implore par leur geste. Le dieu enchaîné en chaque individu brise ici ses chaînes : il parle et agit par des centaines ou des milliers de langues et de bras. Il surgit de la multitude des consciences où il était enfoui pour les transcender dans son identité et sa stature véritables. Les barrières, les distinctions et les séparations étant alors effacées on estompées, sa puissance illimitée se répand dans les zones de détresse ou aux nœuds de résistance de ce grand corps assemblé là. C'est alors que les cœurs les plus endurcis se fondent, que les paralytiques marchent, que les sourds entendent et que les aveugles voient. Les guérisons physiques et spirituelles qui s'accomplissent dans les pèlerinages ou les sanctuaires de l'Occident ou des Indes ou qui s'accomplirent dans les temples et les Hauts lieux de l'antiquité sont le fruit de cette
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émergence de l'Être profond dans la communauté des suppliants, du déversement de ses eaux purificatrices dans les âmes et les corps qui sont sa manifestation dans l'univers de la multiplicité. Mais il est vrai que si cette irruption de la puissance et de la santé s'opère en des cas assez fréquents, ainsi que l'histoire en témoigne, la fonction de la conscience individuelle et de la conscience cosmique en tant que phénomène de lucidité est infiniment plus rare. Le plus souvent, l'être individuel s'oublie en quelque chose que son intelligence ne peut identifier, car elle n'est pas habituée à être illuminée par ces sources. Il se rend compte de l'extraordinaire qui se produit en lui, mais il ne parvient pas à l'interpréter ou l'interprète mal. L'instant d'élite une fois passé, il est capable d'en mettre le souvenir et le dynamisme au service de l'aliénation et de l'égocentrisme. La source limpide des sommets devient le fleuve boueux du fanatisme, de l'esprit de secte ou des tendances paranoïaques. Mais ces conséquences de la prière collective ne tiennent pas à son essence ; elles ne se produisent que dans les cas où la foule orante comprend trop peu d'individus vraiment spiritualisés et elles résultent du fait que si les forces libérées par les conducteurs de la prière sont susceptibles de bouleverser chacun, seule une intuition décantée par une longue discipline intérieure permet d'en discerner la nature réelle.
Prière, aspiration et concentration L'acte orant, pour être accompli, n'exige pas une grande force préalable. Il est, au contraire, un appel de la faiblesse à la force. Il diffère en cela des autres disciplines psychologiques qui, telles la concentration et l'aspiration, sont proposées par certaines traditions spirituelles, et notamment la tradition indienne. Dans ces disciplines psychologiques, qu'il s'agisse du yoga de Patanjali, du yoga de la connaissance, du yoga synthétique proposé de Sri Aurobindo et de tous les yogas récents pratiqués actuellement, la force, ou en tout cas un degré déjà impressionnant de force est exigé comme condition préalable à leur pratique. Et ce degré de force est très exactement celui qui est précisé par tous les commentateurs yoguiques et qui suppose, entre autres, la continence, l'esprit de vérité, la non-violence et la vigueur corporelle comme les bases nécessaires à tout progrès ultérieur. Lorsque le yoga est entrepris sans de telles bases, il aboutit à un échec et est capable d'engendrer la névrose ou la folie. Il suppose comme point de départ ce que la prière s'assigne souvent comme point d'arrivée. Mais il semble qu'en raison de cette particularité, les disciplines psychologiques sur lesquelles il est fondé, à savoir la concentration et l'aspiration, permettent d'aller plus loin, et surtout d'une manière plus lucide, dans l'exploration et la maîtrise de ces zones psychiques que la prière défriche également. Elles sont susceptibles sans doute de provoquer une libération plus rapide et plus radicale à l'égard des pulsions archaïques et infantiles, même fécondes et créatrices. Elles sortent davantage de la condition humaine et il n'est pas sans intérêt de signaler que l'un de leurs plus grands maîtres, Sri Aurobindo, affirme tranquillement que l'objet
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de son yoga est de créer une race supra mentale qui devrait être aussi différente de la race humaine que celle-ci fut des races d'hominidés qui annoncèrent son apparition. Précisément, la prière demeure adaptée davantage à la condition humaine, à ses contradictions, à ses aller et retour, à ses faiblesses et à ses dégradations. Elle n'est pas l'apanage exclusif du saint ou du voyant. Le criminel, le malade, le hors-la-loi, le médiocre peuvent y recourir avec une égale efficacité. Elle est l'instrument par lequel chacun peut exhausser jusqu'à ses désirs les plus sordides vers la lumière qui les purifiera. Elle est une méthode pour faciliter les réponses correctes de l'individu aux excitations dont l'expérience ancestrale connaît les dangers et les particularités. Elle est une discipline d'unification de soi avec soi et de soi avec le monde. L'homme moderne prétend souvent la rejeter en raison de ce qu'elle paraît liée à des credo ou à des conceptions dogmatiques auxquels il ne peut adhérer. Mais, j'ai montré que la valeur psychologique de la prière est indépendante de ces credo dans leur forme dogmatique et, pour celui qui n'y peut croire, rien n'est plus aisé que de transposer le sens littéral des paroles sur le plan spirituel qu'il croit le sien. Si les credo en question contiennent une vérité qui n'est pas perçue par l'individu orant, cette vérité se dévoilera nécessairement à lui, car il est de la nature du vrai de se révéler à qui s'engage à sa recherche. Et si rien ne se dévoile, c'est que nulle vérité ne s'y trouve. Mais il paraît évident que l'homme moderne, en refusant de prier, se prive des forces les plus fécondes de son passé et de son être secret. Ces forces demeurent inemployées, voire refoulées, tandis que l'individu, dont la conscience n'est plus reliée à l'universel, se débat à la superficie de lui-même, dans l'illusion d'une liberté qui recouvre une aliénation profonde et une ignorance méprisable. Pour l'immense majorité d'entre nous, la prière demeure cependant la seule voie praticable vers la guérison physique et morale, vers la réconciliation avec les ancêtres, vers la compréhension et l'acceptation du réel, vers la liberté elle-même, car toutes ces choses n'ont d'existence que dans l’Un qu'elle nous dévoile et dont elle est en nous le premier réveil.
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DEUXIÈME PARTIE
Méditations et prières Objet de Foi.
La vérité a été donnée de Dieu au monde Publication de la Bonne-Nouvelle
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« Éternel ! De ton ciel, pour l'amour de Jésus accueille nos Prières. Nous voulons célébrer tes conseils magnifiques, et toutes les faveurs dont l'Esprit de lumière, par ta grâce, ô bon Père ! Remplis nos cœurs. »
Avant propos des 2e, 3e, 4e et 5e parties Préparation aux textes sacrés Méditations et prières
L
textes de prières de cette deuxième partie font référence aux doctrines ésotériques les plus anciennes de l'Église. Ils s'adressent à tous ceux qui, dans ce monde difficile où nous vivons, veulent préserver ou retrouver les droits que Dieu Universel a accordés à chacun de nous : santé, amour, bien-être. Ces droits sont à notre portée pourvu que nous sachions les demander. ES
« Tout peut changer dans la vie, selon que l'on croit ou que l'on ne croit pas à la puissance de la prière ». Cette parole est profondément vraie, faite là Vôtre pour toujours, car nous sommes les rachetés de l'Éternel. Lui-même a payé notre rançon ; et nous marchons ensemble vers la sainte Cité, vers ce Tabernacle de Dieu, avec les hommes, où nous, son peuple, nous habiterons toujours avec lui. Nous étions esclaves, et nous sommes affranchis. Le joug et le bâton de l'exacteur ont été mis en pièce ; la douleur et le gémissement se sont éloignés ; nous avons obtenu la joie et l'allégresse ; nous en sommes couronnés, et un chant de triomphe a été mis en nos bouches. C'est l'éternel et immuable amour de Dieu qui en est le sujet inépuisable. Ce sont les gratuités du Père, le sacrifice du Fils, la vie et les consolations de l'Esprit-Saint, que nous célébrons avec confiance ; et nos Prières s'unissent au Chant nouveau dont la sublime harmonie remplit la demeure des saints glorifiés. C'est ainsi qu'enseignée de Dieu, Puissance Universelle, notre foi fait éclater les transports que l'Esprit d'adoption produit en nos âmes. C'est ainsi que notre bonne, joyeuse et vive espérance exprime avec actions de grâces son attente assurée de la glorieuse immortalité. Notre force est en Dieu. C'est lui qui aplanit notre route, et qui fait jaillir des sources nombreuses et rafraîchissantes du sol aride que nous parcourons. Lui-même étend l'ombre du rocher, et nous envoie les brises qui abaisseront le hâle du milieu du jour ;
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et c'est encore lui qui nous prépare et nous multiplie les bénédictions et les délivrances que nous avons la consolation de célébrer dans nos psaumes et nos hymnes. Il est vrai que cette joie de l'Éternel, qui nous soutient, ne donne pas en tout temps à notre cœur les mêmes tressaillements, et n'éclate pas toujours en transports. Notre sentier, constamment sûr et dirigé vers notre patrie, n'est cependant pas à toute heure également facile et lumineux. Alors cessent les champs joyeux, et les soupirs, les plaintes et les larmes s'élèvent et se répandent en présence de l'Éternel. Alors l'enfant de Dieu, abattu et froissé, verse dans le sein de son Père ses ennuis et ses regrets ; et son âme affligée épanche en celle de son Sauveur, toujours compatissant, les douleurs de son repentir. Nos chants deviennent alors des prières, des cris, des supplications. Leurs accents ne sont plus ceux de l'allégresse, mais ils ont encore les sons et l'harmonie de la paix de Dieu qui est au-dessus de tout entendement. Leurs notes sont plaintives, et la harpe du destin gémit, à moitié détendue : mais c'est encore dans le sanctuaire, c'est autour de l'autel, c'est dans le lieu très saint, c'est auprès de l'arche et du propitiatoire que l'Église répand ses pleurs et si ses prières ont moins d'éclat, ils n'en ont pas moins de vie ; s'ils sont ralentis, ce n'est que parce qu'en les prononçant, elle implore et écoute la réponse de son Roi, dans la force et la fidélité duquel elle l'attend avec assurance. Oh que bienheureux est le peuple qui sait ainsi ce qu'est le cri de réjouissance, et qui marche à la clarté de la face de l'Éternel ! Ils s'égaieront tout le jour en son Nom, et se glorifieront de sa justice, parce qu'il est la gloire de leur force. Ils aiment ce Nom magnifique : c'est pourquoi ils tressailliront d'allégresse en lui ; car l'Éternel leur a donné sa joie. Leur âme le loue avec des lèvres joyeuses ; et bénies du Seigneur, qui fait resplendir sur eux sa lumière, ils se joignent aux cieux et à la terre pour chanter la louange du Dieu Fort, qui les réjouit dans sa maison et son sanctuaire, où ils l'invoquent avec foi. Enfants de Sion ! C'est à nous qu'appartient cet héritage : le monde n'y a point de part. Qu'il répète son chant de mort devant ses impures idoles que nous faisons retentir en présence du Très-Haut, car notre Dieu est au ciel ; il s'appelle l'Éternel, Puissance Universelle, Intelligence Universelle et nous le connaissons. Réjouissons-nous donc humblement, ensemble en son Nom ! Car l'Éternel est bon : sa gratuité demeure à toujours.
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« Holà ! Vous tous qui êtes altérés, venez aux eaux ; même vous qui n'avez point d'argent, venez, achetez et mangez : venez, dis-je, achetez sans argent et sans aucun prix du vin et du lait. »
Méditation Où Dieu puisse reposer la tête
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ieu cherche à se reposer quelque part, à l'abri d'un amour fort et vigilant ; il cherche à pouvoir dormir en paix, en dehors des cohues bruyantes et des tumultes tapageurs ; il cherche une âme qui l'accueille et soit heureuse de le veiller, même quand il se tait ; une âme qui soit contente de le posséder, même quand il est immobile, silencieux et comme assoupi ; une âme hospitalière et dévouée, qui lui soit un asile rassurant et sur laquelle il puisse faire reposer sa lassitude.
Il la cherche et ne la trouve guère, car la plupart des hommes sont trop occupés d'eux-mêmes pour mettre leur seul bonheur dans le repos que Dieu goûte en eux. Nous voulons qu'on nous parle ; tout ce qui se tait longtemps nous rend las et le silence nous paraît vide, et nous ne comprenons pas un Dieu muet ; nous n'avons pas assez de foi pour le croire présent et agissant et divin, même quand il dort et qu'il reste immobile. Il cherche une âme pleine de vertus moelleuses et fermes, une âme sans aspérités et sans raideur, et cependant consistante et solide, c'est-à-dire une âme qui acquiesce sans résistance à son vouloir et qui ne se pelotonne pas sur elle-même pour s'opposer à toute demande de sa grâce. Une âme douce et docile comme le coussinet du rameur dans
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la barque des apôtres, une âme qui sache s'oublier et s'accommoder, s'assouplir et se livrer. Je suis plein de moi-même, rugueux et dur, blessant et cassant, sans condescendance et sans vraie douceur. Et surtout je ne le laisse pas reposer sur moi et en moi. Pour qu'il se repose sur moi, je devrais éviter les soubresauts et les secousses, et le bien comme le mal me trouble et m'agite. Les bons désirs qui sont en moi, sont tout mêlés d'ardeur humaine et, quand je veux simplement lui obéir, la fougue inconsidérée de mon élan m'emporte presque toujours au delà du but. Je m'enchante de projets, j'élabore de merveilleux programmes de sainteté, je me fixe d'avance un idéal de vertu qui me ravit, sans presque jamais filtrer d'abord mon désir à son vouloir ou corriger mes vues par les siennes. Aussi, de tous ces beaux programmes, de toutes ces résolutions naïvement excellentes, il ne reste plus bientôt que des déceptions intimes, des meurtrissures secrètes et une mauvaise irritation contre moi-même, un mépris impuissant et qui n'a rien de chrétien. Est-ce dans cette âme qu'il trouvera un asile sûr et délicat ? Est-ce sur ce coussinet, si rempli d'éléments terrestres et disparates, que pourra s'incliner sa tête divine ? Pour lui ménager son lieu de repos, ne faudrait-il pas garder toujours la paix intérieure, et pour garder la paix intérieure, prendre toujours conseil de son Esprit avant d'adopter fût-ce même un bon désir ? Les projets de vertu, les programmes de réforme sont nécessaires, mais pour être autre chose que des amusements et des illusions, ils doivent prendre racine dans un entier détachement intérieur, dans une disposition d'acquiescement total et douce à toute la Providence de Dieu sur nous. Seigneur, donnez-moi la forme que vous avez choisie pour moi ; je ne veux rien avant que vous ne l'ayez voulu, et il me suffira toujours d'être semblable à votre désir. Je ne puis le laisser au-dehors, en plein vent, dans la poussière des routes ou la rosée des nuits ; je ne puis le laisser reposer sur les pierres sa pauvre tête divine, toute détrempée par la buée nocturne, avant d'être toute mouillée par la sueur du sang. Mon âme doit lui être une demeure de recueillement, dans laquelle, comme dans les sanctuaires, on ne marche qu'à pas contenus ; dans laquelle, comme auprès de ceux qui dorment, on ne se permet de parler qu'à voix basse. Le motif du recueillement — et la meilleure méthode pour l'acquérir — c'est ce respect souverain et pénétré d'amour que nous devons porter au Dieu qui repose en nous. Aussi le recueillement est comme un acte
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de foi et c'est l'Esprit du Christ qui doit le mettre dans nos âmes. Recueillement fait de silence et d'attente ; car on ne le veille pas comme un mort, mais comme un glorieux ressuscité ; on le veille, le cœur illuminé de désirs, sachant qu'il est vainqueur de toutes les ténèbres et que son aurore est comme un plein midi ; et qu'à son heure, quand il le voudra, soudain il se réveillera de son immobilité apparente et passagère ; et qu'alors tous les yeux le verront.
Recueillement fait de silence, d'attente et d'amour qui adore et qui remercie. Le recueillement est un hommage et une bouffée d'encens. Et pourquoi m'est-il si difficile, sinon parce que mon âme est encore pleine de soucis étrangers et criards, d'affections clandestines et exigeantes, de sentiments vulgaires et grossiers ? Tous mes amours devraient être concentrés et fondus en un seul, mais je suis dispersé dans l'anarchie intérieure, et à cause de ma confusion, de mon désordre, le sommeil reposant et calme, lui, est impossible chez moi. Et cependant, mon Dieu, je ne suis pas indifférent à votre désir, inerte et froid devant vos souhaits, et je voudrais mériter la bénédiction éternelle de ceux qui, vous voyant sans abri, vous ont ouvert leur porte et vous ont recueilli. — Car en vous recueillant, nous nous retrouvons nous-mêmes, et le repos que nous vous ménageons pénètre en nous par contagion, nous est rendu par récompense ; et quand vous pouvez dormir en paix chez nous, notre pauvre tête peut, elle aussi, se calmer et laisser fuir ses défiances. Seigneur, vous savez bien que nos bonnes dispositions initiales viennent toujours de vous, et que sans votre secours nous n’arriverons jamais à vous plaire. Recueillez mon âme, qui veut d'un même amour divin, celui que vous me portez et celui que votre grâce m'inspire. Faites qu'en dehors de vous seul, je n'ai aucun désir ; faites que je vous préfère toujours à tous vos dons ; et, s'il vous plaît de vous taire en moi, ou de rester immobile, longtemps, comme au tombeau, donnez-moi assez d'esprit de foi pour accepter votre manière d'agir, et pour l'aimer comme une faveur spéciale, et pour m'en réjouir.
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Prières à la gloire de l'Éternel
01. Chap. XXXV du livre d'Isaïe 1. Du désert les arides terres devant Dieu se réjouiront. Et les lieux les plus solitaires, comme la rose, fleuriront. Ils fleuriront en abondance. Et vêtus de magnificence, Saintement ils tressailliront ; et, de Dieu contemplant la gloire, par des prières de victoire. Son triomphe ils célébreront. 2. Renforcez les mains abattues, et les genoux tremblants de peur, dites aux âmes éperdues : « N'ayez plus aucune frayeur, l'Éternel vient, et la vengeance, oui, des méchants la récompense, devant ce juge marchera ; pour les frapper il vient lui-même, et bientôt son pouvoir suprême puissamment vous délivrera. » 3. Du Jour les brillantes merveilles l'aveugle alors contemplera : le sourd aussi de ses oreilles la voix du Seigneur entendra. Le boiteux sera agile : du muet la langue facile en chants joyeux s'énoncera : et, d'une source permanente, un torrent d'une onde vivante aux lieux arides jaillira.. 4. Au gîte infect, où les reptiles se repaissaient de leurs poisons, s'étendront des plaines fertiles, et de riants tapis de joncs. Là se verra l'étroite voie, où, ni le fou qui se dévoie, ni l'homme impur ne passera ; et ce sentier, où le fidèle suivra son Dieu, plein d'un vrai zèle, « Chemin sacré » se nommera. 5. Aucune bête dangereuse pour dévorer n'y montera. Mais, par la Foi, l'Église heureuse, en pleine paix y marchera. Oui, ceux dont Dieu brisa la chaîne, qu'il racheta de toute peine, jusqu'en Sion retourneront ; et, ceints d'une gloire éclatante, dans une allégresse constante, loin de tout mal ils régneront.
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02. 1. Accourez tous à la Bonne-Nouvelle, car aujourd'hui le salut est prêché. Jésus s'est approché : Il vous appelle ; tournez tout votre cœur vers le Sauveur. 2. Ne craignez pas que de votre misère, il se détourne avec haine ou mépris : non ; car il a promis, Il est sincère, d'accueillir tendrement tout vrai croyant. 3. C'est pour sauver qu'il est venu lui-même, du sein du Père, en ces terrestres lieux. Pour nous ouvrir les cieux, Oh ! Comme il aime ! Sur la croix il souffrit et fut maudit. 4. À tout pécheur, il dit : « Je suis la vie, qui croit en moi jamais ne périra. Son âme en moi vivra toujours bénie, et par moi, son Dieu Fort, vaincra la mort. » 5. Croyez-le donc : venez sans défiance, et recevez sa justice et sa paix. Vous avez libre accès a sa clémence : saisissez, en son Nom, Votre pardon. 6. Alors, remplis de sa parfaite joie, vous l'aimerez de votre cœur nouveau. Sous son léger fardeau, dans votre voie, son joug vous porterez, et le suivrez. 7. Heureux celui qui, sous son doux empire, par son Esprit demeure en son amour ! Au terrestre séjour, Il pourra dire qu'il possède en son cœur le vrai bonheur.
03. 1. Saints Messagers, Hérauts de la Justice, haussez la voix, publiez le salut. Dut votre espoir, votre glorieux but, soit d'empêcher que l'homme ne périsse, en l'amenant aux pieds de Jésus. 2. Au loin, déjà, la moisson est blanchie ; mais on y voit que peu de moissonneurs. Ah ! ranimons nos pieuses ardeurs, et sous nos yeux, à l'Église enrichie, se joindront ceux qui mouraient loin de Christ. 3. Oh ! Que tes pieds sont beaux sur les montagnes. Enfant de paix, fidèle homme de Dieu ! Devant tes pas le plus sauvage lieu va se changer en brillantes campagnes, et le pêcheur en disciple de Christ. 4. Brûlant d'amour, cet enfant de lumière, fort de sa foi, méprisant les douleurs, court s'opposer à d'antiques erreurs ; et, déployant la céleste bannière, brise l'idole au nom de Jésus-Christ. 5. Combat pieux ! Sainte et touchante guerre ! Que de captifs sous le joug de la Croix ! Jésus, vainqueur du monde et de ses rois, règne en tous lieux à la gloire du Père ; et tous ont vu que lui seul est le Christ.
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6. O Notre Dieu, cette Bonne-Nouvelle a retenti jusqu'au fond de nos cœurs, de ton amour les célestes douceurs nous font goûter l'allégresse éternelle qui nous attend au royaume de Christ. 7. Ton bras puissant rompit les dures chaînes qui nous liaient à de nombreux péchés. D'un monde impur tu nous as détachés, et, dans ta paix, nous oublions les peines que trop longtemps nous eûmes loin de Christ. 8. O Fils de Dieu ! Tout verra ta puissance : tout doit un jour obéir à ta loi. Nous, tes enfants, l'attendons par la Foi. Montre-toi donc ; et, pleins de confiance, changeant ta croix, nous te suivrons, ô Christ !
04. 1. Oh ! qu'ils sont beaux sur nos montagnes, les pieds du Messager de paix ! Esprit de Dieu ! Tu l'accompagnes ; tu l'enrichis de tes bienfaits. Vers son message, ô mon Sauveur ! Que ta Grâce tourne mon cœur ! 2. Dans le désert, sans aucun guide, loin de toi j'errais, ô Jésus. Par l'ennemi le plus perfide mille pièges m'étaient tendus : sans ton amour, ô bon Sauveur ! J'eusse péri dans mon erreur. 3. Mon âme alors, triste et craintive, à peine osait penser à Dieu ; et ne trouvait, toujours plaintive, aucun repos en ce bas lieu : tu me parlas, ô bon Sauveur ! Et tu m'ôtas toute douleur. 4. Depuis le jour où sa lumière a resplendi sur moi des cieux, en Dieu j'ai vu mon tendre Père, mon Roi puissant et glorieux ; et j'ai reçu de mon Sauveur en moi l'Esprit consolateur. 5. Je suis à Christ : oui, j'ai ma vie, j'ai mon salut dans le Dieu Fort. Sa Promesse me fortifie, me rend vainqueur, même en la mort. Oui, tu me tiens, ô mon Sauveur ! Sous le regard de ta faveur. 6. Ô Messager ! Ouvre la bouche : annonce au loin ce grand salut.!Que ton appel réveille et touche tous ceux pour qui Jésus mourut. Va publier que le Sauveur est le refuge du pécheur. 7. Pour moi, je veux, devant sa face, selon sa Loi dresser mes pas et dans sa paix, fort de sa grâce, en étranger vivre ici-bas. Apprends-moi donc, ô bon Sauveur ! À te servir de tout mon cœur !
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05. 1. Messagers de bonnes nouvelles, Ministres de notre Seigneur, rassemblez les brebis fidèles dans le bercail du bon Pasteur. Nourrissez-les de la Parole que votre Maître a mise en vous : que votre bouche les console par l'amour d'un Sauveur si doux. 2. Avec sagesse et vigilance, du seigneur paissez les troupeaux ; et soutenez avec constance et vos combats et vos travaux. Des ennemis remplis de rage de Jésus ont maudit les lois, résistez-leur avec courage par la parole de la Croix. 3. Ne craignez pas sainte Milice ! Sous votre Prince glorieux : c'est pour un temps que l'injustice lève son front audacieux. Dans son courroux, Jésus lui-même va renverser leurs vains projets ; et le troupeau que son cœur aime, paîtra dans une longue paix. 4. Oui, c'est à toi qu'est toute gloire, O Fils de Dieu, Roi tout-puissant ! À toi, Jésus est la victoire. Sur le moqueur et le méchant. Tu vois le jour de ta vengeance, jour où cet orgueil périra : ainsi notre âme en assurance sous ton sceptre s'affermira. 5. Tu nous l'as dit, et tes promesses sans varier durent toujours. Jamais, Seigneur ! Tu ne laisses ceux qui recherchent ton secours.! Oui, ton salut est d'âge en âge : il est en toi ; tu le maintiens.! Tu nous conserves l'héritage que ton amour acquit aux tiens.
06. Le pécheur est justifié par la foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu. 1. Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; l'Esprit-Saint le témoigne à son âme immortelle. Par la Foi, tout pécheur de la mort est sauvé dont jadis il fut perdu ; mais il est retrouvé. 2. Du dernier jugement il n'a plus rien à craindre. Ni la Loi, ni l'enfer n'ont plus droit de l'atteindre. Brebis du bon Berger, dans des bercails herbeux, il va paître en repos, près de lui, sous ses yeux. 3. Son âme d'aucun bien ne peut avoir disette : son Berger nuit et jour la tient sous sa houlette. Et par le Saint-Esprit son cœur renouvelé, à vivre pour son Dieu sent qu'il est appelé. 4. Dans cette adoption, et sous ce joug facile, sans peine à son Sauveur il se montre docile. Il n'est pas orphelin : son Père est toujours près : c'est sa voix qui le guide et l'entoure de paix.
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5. Dans ses tentations, Jésus, quoiqu’invisible, viendra le soutenir de son bras invincible ; et le mal n'aura plus de domination sur cet élu vainqueur de la corruption. 6. Non, la vie et la mort, et le ciel et la terre, ne pourront l'arracher de la main de son Père, ni le priver jamais de l'éternel bonheur que lui prépare au ciel son tout-puissant Sauveur. Souvenez-vous de vos conducteurs qui vous ont porté la parole de Dieu, et imitez leur foi, en considérant quelle a été l'issue de leur vie.
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« Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui, et je souperai avec lui, et lui avec moi. »
Méditation Vous aussi vous êtes Galiléen
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on amour est tenace, et il marque tout ce qu'il possède d'une empreinte ineffaçable, d'un sceau d'éternité. Et même quand on s'éloigne de lui, même quand on se perd en compagnie profane, quand on se fourvoie, par faiblesse ou malice, jusqu'au milieu de ses pires ennemis, on garde des attitudes, on prononce des morts, on répète des gestes qu'on n'a pu apprendre qu'à son école, et l'accent trahit l'âme que le Christ a aimée. En dehors de chez lui, on demeure partout un étranger, et dès qu'on lui a appartenu, on cesse de pouvoir, non seulement impunément, mais même totalement se reprendre. Apprendre à le connaître ainsi, c'est se rattacher à lui par un nouveau lien et devenir quelque chose de son amour gratuit ; c'est comprendre un peu mieux la force merveilleuse de sa charité ; c'est ouvrir les sources de la componction et de la confiance, en plein désert, et par la foi. Discrète, qui brutalement congédiée, ne s'éloigne pas tout à fait dans son feu divin, qui étouffé sous les cendres vulgaires de la dissipation et de l'égoïsme consenti, cache encore au creux profond des âmes une suprême étincelle et l'espoir des résurrections lumineuses. Apprendre à le connaître, quand il suit dans ses caprices errants, dans ses divagations absurdes, dans ses escapades périlleuses, l'âme
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qui s'est éloignée de son troupeau de Bon Pasteur... Comprendre que son amour est tenace et que plus jamais nous ne pourrons tout à fait penser comme des infidèles, ni l'empêcher, lui, d'être vraiment le Maître. Seigneur, quand je remettrais à plus tard de vous appartenir pleinement ; quand j'attendais pour me donner à vous, pour abdiquer mes dernières résistances et livrer mes plus chers désirs, je ne sais quelle mystérieuse échéance ; quand j'atermoyais avant d'être sincère et de vous reconnaître comme Souverain et comme Vainqueur ; quand j'escomptais des lendemains hypothétiques, dont l'aurore reculait sans cesse au gré de mon indolence égoïste... Seigneur, j'étais Vous, et quelque chose de vous vivait encore en moi... car remettre à plus tard votre triomphe définitif et complet sur mon mauvais orgueil, n'était-ce pas confesser que tôt ou tard ce triomphe vous était dû et que vous m'étiez nécessaire ? N'était-ce pas avouer qu'en dehors de cette fidélité parfaite, toute attitude est provisoire et toute sécurité mensongère... ? Et refuser de payer mes dettes séance tenante, n'est-ce pas maladroitement reconnaître que vous êtes vraiment mon créancier...? On s'éloigne de vous, après vous avoir escorté quelque temps, on s'éloigne de vous d'un air distrait et en détournant la tête, parce qu'on devine que vous allez demander un service de générosité, que vous allez solliciter divinement l'aumône, et qu'on ne désire pas — pour le moment — vous satisfaire... Et on n'ose pas vous regarder. Pourquoi donc ? Ah ! C'est qu'on sait bien qu'un regard rencontrant le vôtre, contraindrait à cesser toute résistance et à tomber à genoux à vos pieds... et dans cette affectation que l'on apporte à s'absorber en dehors de vous, est-il bien difficile de découvrir la peur secrète de votre pouvoir de maître et comme l'appréhension de vos exigences inévitables ? Donnez-moi vos sentiments et que j'apprenne à me juger comme vous me jugez ; à ne pas froisser par des brutalités inutiles le roseau qui penche et qui cède ; à ne pas écraser par des gestes d'impatience et de dépit, par des cruautés que vous n'inspirez pas, le lumignon qui fume encore. Apprenez-moi à me traiter avec respect et amour, à cause de vous et de ce qu'il vous a plu de mettre en moi. Que le mépris soit sans mesure pour tout ce qui dans mon âme ou dans ma vie tenterait de s'émanciper de votre bienveillante tutelle et de revendiquer des droits ou des valeurs imaginaires ; mais montrez-moi, mon Dieu, comment je puis et pourquoi je dois retrouver partout — les
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reliques de votre amour persévérant. Un ciboire ne peut pas servir à des usages communs sans être profané, mais un ciboire profané est encore un vase d'autel et sa place reste toujours au tabernacle. Toutes mes profanations n'ont pas empêché que vous ne restiez toujours mon maître, et vos droits souverains ne sont pas entamés par nos refus, même obstinés et par nos rébellions bruyantes. Je suis à vous...
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Prières à la gloire de l'Éternel
07. 1. Heureux celui qui, dès le premier âge, vers le Sauveur a tourné ses désirs ! Il obtiendra pour son partage un cœur content, de vrais plaisirs, et cette paix pure et profonde qui vient de Christ, et non du monde. 2. Que cherches-tu, lorsque dans ta folie, jeune mortel ! Tu fuis le Rédempteur ? Ton cœur se plaît et se confie aux charmes d'un songe flatteur : mais hélas ! Dans quelle détresse peut te jeter ta propre ivresse ! 3. Retourne-toi : viens sans frayeur te rendre au doux appel de l'amour du Sauveur. Viens l'écouter : il veut t'apprendre quel est le chemin du bonheur : il veut allumer en ton âme une céleste et sainte flamme. 4. Ne tarde pas. Pourquoi perdre ta vie loin du repos et dans la vanité ! Pourquoi serait-elle ternie par l'impure incrédulité ! Le ciel n'est-il pas plus aimable que tout ce monde périssable ?
08. 1. L'impie en blasphémant périt dans sa folie ; le profane mondain se rit du Créateur : Mais le Chrétien, ô Dieu ! Te connaît, et publie qu'il t'adore humblement, et qu'il t'aime en son cœur. 2. Hélas ! Qu'il en est peu, parmi les fils des hommes, qui de ton grand amour aient leurs esprits frappés ! Loin de vouloir qu'en Christ tes enfants tu les nommes, à repousser ce nom tu les vois occupés. 3. Que cherche donc leur cœur, au milieu du mensonge ? De ces trésors sans prix, de ces plaisirs d'un jour ? Leur âme, hélas ! Se plaît aux misères d'un songe qui la flatte un instant et la perd sans retour. 4. Est-il donc quelque paix dans ces pénibles joies, quelque pure douceur, ou quelque vrai repos ? Les ténébreux détours de leurs perfides voies ne sont-ils pas couverts et d'ennuis et de maux ? 5. Tu l'as dit, ô Jésus ! Le chemin de la vie est en toi, Vérité : ne se trouve qu'en
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toi. Ton amour me l'ouvrit, et ta voix m'y convie. Ah ! Je veux marcher et t'y suivre avec foi. 6. Dissipe donc bientôt le prestige funeste qui me séduit encore en mille vanités. Délivres-en mon cœur, et du bonheur céleste montre-lui les attraits et les saintes beautés. 7. Ne tarde pas, Jésus ! Car mon temps comme une ombre, pour ne plus revenir, s'échappe incessamment. De mes jours incertains s'est abrégé le nombre et de mon départ s'approche le moment. 8. Seigneur ! Mon cœur vers toi regarde en assurance. Je ne suis qu'un pêcheur, qu'un fragile mortel ; mais mon âme en toi seul a mis sa confiance, et je sais qu'en mourant j'entrerai dans ton ciel.
09. Justice par la foi en Jésus. 1. Mondain ! où courez-vous, et dans votre démence, où portez-vous vos pas ? Quoi : ne voyez-vous pas tout près de vous la mort, et de Dieu la vengeance ? 2. Vous voulez, dites-vous, de cette courte vie épuiser le bonheur ; et votre avide cœur veut sentir, chaque jour, son ardeur assouvie ! 3. Oh ! Coupables enfants d'un misérable père ! Ce cœur ses désirs, n'a-t-il d'autres plaisirs, d'autre soif que la mort et sa longue misère ? 4. Vous voulez du bonheur ! Mais n'est-il plus de joie sur les sentiers du ciel ? Au royaume éternel Jésus n'a-t-il tracé qu'une lugubre voie ? 5. Vous méprisez la paix et la vie espérance de l'amour du Sauveur ; et sa pure douceur d'un songe mensonger a pour vous l'apparence ! 6. Ah ! Pour un jour, un seul ! Si vous pouviez connaître ce qu'est un tel amour, dès ce précieux jour, Jésus vous deviendrait le plus aimable Maître. 7. Pourquoi pour vous, Mondains, n'est-il pas désirable ? Manque-t-il de beauté ? N'est-il pas le Puissant, le Saint et l'Admirable ? 8. Peut-être vous pensez que son cœur vous méprise ? Mais est-ce par dédain qu'il présente sa main, sa main qui du pêcheur toujours peut-être prise ! 9. Écoutez, seulement, de ce Roi débonnaire la charitable voix : il vous montre sa croix, et vous dit : « Pour sauver, je suis venu du Père. »
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10. « Pour sauver ! » Ô Mondains ! Et non pas pour détruire ! C'est vous qui méprisez, c'est vous qui détruisez votre âme et son repos, dans votre fier délire. 11. Regardez donc vers Christ, avant que sa colère ne jette, loin du ciel, dans l'abîme éternel, l'âme qui méprisa sa Grâce sur la terre.
10. 1. Tu peux chercher, Ami du monde ! Quelque vrai bien dans son néant ; et dans sa misère profonde, à tes maux du soulagement. Ah ! Dans ta folle peine, Bientôt tu connaîtras que ton attente est vaine, et tu t'en lasseras. C'est ailleurs qu'est toute richesse ; c'est ailleurs qu'est le vrai repos ; c'est en Jésus qu'est la sagesse, et tout remède à tous les maux. 2. Jadis, aussi, plein d'arrogance, je me vantais de mon savoir ; À combien de mensonges mon âme j'asservis ! J'ignorais que toute lumière, tout savoir, toute vérité, est en Celui que notre Père pour nous sauver a suscité. 3. Je méprisais, dans ma folie, un sauveur mort sur la croix ; et j'appelais mélancolie le désir de suivre ses lois. Ah ! Ma raison rebelle s'irritait contre Dieu, et mon âme infidèle en refusait l'aveu. Aujourd'hui, ma bouche confesse Jésus-Christ le crucifié, et franchement mon cœur professe d'être à ses pieds humilié. 4. Je vous hais donc, je vous méprise, nobles succès, brillants honneurs ! Ma gloire est d'être de l'Église que Christ acquit par ses douleurs. Oui, c'est à son école que je veux être instruit ; oui, c'est par sa Parole, et par le Saint-Esprit. Ô Jésus ! Prends-moi sous ta garde ! En mon cœur répands ton amour ; et qu'en ta paix, ma foi regarde au jour béni de ton retour !
11. 1. De quels transports d'amour retentissent les cieux ! Quels sublimes accords ! Quels chants mélodieux ! Quelle sainte tendresse, quelle vive allégresse, éclatent en ce jour parmi les Bienheureux ! 2. « Un pécheur est sauvé, » redisent-ils en chœur : « Il vient de s'approcher de la croix du Seigneur. Son âme est convertie ; la mort est engloutie pour cet enfant de Dieu, pour cet élu vainqueur. » 3. Mon âme ! C'est pour toi que les cieux sont émus ! Pour toi se réjouit le peuple de Jésus : pour toi ce chant de gloire, cet hymne de victoire, se répète au séjour
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des saints et des élus ! 4. O mon Dieu ! Mon sauveur ! Pour moi tu t'es donné ! En prenant tout sur toi, tu m'as tout pardonné ! O divine clémence ! Je t'adore en silence, et devant tant d'amour je reste prosterné. 5. Des rachetés de Christ j'ai donc la douce paix ! Son esprit à mon Dieu me donne un libre accès. Sa grâce est mon partage, son ciel mon héritage ; et pour moi ce bonheur ne finira jamais !
12. 1. Loin des méchants se tient la délivrance ; car ils ont, dans leur cœur, méprisé le Seigneur, son très saint Nom, et sa juste ordonnance. 2. Leurs vaines pensées, leur superbe injustice, sont autant de filets où, loin de toute paix, ils trouveront les fruits de leur malice. 3. Ils se sont ri du ferme Témoignage, et de la Loi de Dieu ; ils se sont fait un jeu d'accumuler le mensonge et l'outrage. 4. Contre Jésus et sa Grâce éternelle, leur bouche a blasphémé, et leur cœur s'est armé envers les siens d'une haine mortelle. 5. Mais Dieu les voit ; et sa toute-puissance mettra ses chers enfants à l'abri des méchants, et des projets de leur noire vengeance. 6. Oui, contre Christ et son doux Évangile, leur orgueil irrité, dans sa témérité, va se briser comme un vase d'argile.
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« Voici, tu appelleras la nation que tu ne connaissais point, et la nation qui ne te connaissait point accourra vers toi, à cause de l'Éternel ton Dieu, et du Saint d'Israël ; car il t'a glorifié. »
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'arracher à tout ce qui est médiocre, donc surtout à moi-même. Pour cela, qu'il veuille seulement me mettre tout près de lui, dans son ombre et dans sa lumière. Tout près de lui, comme l'enfant fragile, naïf et maladroit qu'il faut aider et soutenir, et dont la gaucherie native transforme en périls de mort, en redoutables ennemis, jusqu'aux objets les plus utiles, jusqu'aux réalités les plus bienfaisantes ; comme l'enfant qui se blesse en saisissant les couteaux par la lame, et qui se brûle en jouant avec le feu fascinateur. Mon Dieu..., cet enfant naïf, curieux et faible, c'est moi, malgré le nombre si élevé peut-être déjà de mes jours mortels. Oui, c'est moi et si je refuse de le reconnaître, vous ne pourrez pas achever l'éducation de mon âme et je n'entrerai pas avec les petits dans le royaume des cieux. C'est moi qui me blesse sottement en prenant les couteaux par la lame, chaque fois que je me plains, que je murmure, chaque fois que par des préoccupations égoïstes je laisse s'altérer dans mon âme la paix divine, qui vient d'en haut. Il y a une manière de prendre les couteaux et les épreuves, une manière qui les rend faciles à l'usage, et qu'il faut avoir apprise pour la connaître et pour la pratiquer. Vos épreuves, une manière qui les rend faciles à l'usage, et qu'il faut avoir apprise pour la connaître et pour la pratiquer. Vos épreuves elles aussi ont comme un manche ; elles ont un côté par où elles s'adaptent à nos âmes et qui s'appelle résignation. Mais la résignation exige le détachement et c'est ce mot que nous ne voulons pas entendre. Apprenez-moi, Seigneur, à me servir de toutes les occasions, à utiliser tous les événements, sans me blesser ni me meurtrir ; apprenez-moi à distinguer le bien et le mal, à résister aux folles séductions de tout ce qui brille et qui danse et n'est autre chose que la flamme cruelle, où on meurt. Il y a une manière d'utiliser le feu ; si nous ne l'avions plus, notre vie elle-même
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s'éteindrait avec lui. Seigneur, je suis l'enfant fragile et ignorant ; montrez-moi comment on peut se servir de tout ce qui réchauffe et même de tout ce qui pétille et flambe allègrement, en gardant les distances de la circonspection et la mesure de la sagesse. Apprenez-moi à souffrir sans me blesser, et à me réjouir sans rien compromettre. Placez-moi tout près de vous comme l'enfant espiègle, à la tête étourdie et demi-folle, qu'il faut surveiller et contenir, qu'on ne peut longtemps quitter du regard et qui a besoin de sentir autour de lui cette tutelle enveloppante, pour ne pas s'échapper en fantaisies absurdes, en sottises contradictoires, en actions et en gestes insensés. Car cet enfant, dont l'esprit n'est pas encore très ferme, cet enfant incapable de résister aux impulsions soudaines de l'instinct, cet enfant, c'est toujours moi, Seigneur, et mon seul mérite, par votre grâce, c'est peut-être de ne pas songer à le cacher. Oui, c'est moi qui subitement, au sortir de la prière, au retour de la table sainte, éclate en impatiences ridicules, en colères toutes spontanées, en brusqueries hargneuses, en propos agressifs, sans même pouvoir indiquer nettement la cause de ces extravagances ; c'est moi qui change d'humeur, parce que le ciel se couvre, ou qui abandonne toutes mes résolutions au conseil sournois de la paresse. Seigneur, surveillez-moi ; que je sois toujours très près de vous, car si je ne sais pas, si ma foi, augmentée par votre grâce, ne m'atteste pas que vous me voyez et que je reste en votre présence, mes folies me perdront et mon étourderie sera la mort de votre œuvre en moi. Placez-moi tout près de vous encore, comme l'instrument familier, sur lequel on peut compter et qui ne manquera pas à ses tâches. Je les vois autour de moi, sur ma table de travail, ces réalités humbles et solides, qui prolongent pour ainsi dire mes doigts et me permettent d'écrire, qui soutiennent mes membres, qui m'indiquent à quelle allure le temps s'enfuit, qui conserve le souvenir de ce que j'oublie. Seigneur, je voudrais pouvoir de la même manière prolonger votre action, être votre instrument docile, aussi près de vous que l'épée reste près du soldat et le livre de prières près des mains qui le tiennent. Je voudrais que vous puissiez vous fier à moi et vous servir de tout ce que je possède par votre grâce, sans avoir à me demander des permissions et sans craindre de froisser en moi des susceptibilités. Car vous avez besoin de collaborateurs et vous ne voulez pas achever tout seul votre œuvre rédemptrice. Placez-moi près de vous et, en vous servant de moi, apprenez-moi à vous servir.
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Placez-moi tout près de vous, comme l'ami intime, auquel on murmure ses confidences les plus secrètes et ses espoirs les plus chers. Je sais que je ne suis pas digne de connaître vos pensées éternelles et que mon cœur n'est pas assez pur pour que vous y versiez vos souhaits divins, vos désirs si délicats et si tendres mais, Seigneur, ne serait-ce pas la seule façon de le purifier ? Et si vous attendez pour venir jusqu'à moi, que j'aie par mes moyens guéri ma pauvreté et chassé ma misère, je serai mort, couché entre les planches de mon cercueil, avant d'avoir connu votre intimité sanctifiante. Il nous rattache à lui par un lien mystérieux ; nous devons le posséder par notre dénuement même et nous sentir jetés vers lui de toute la force de notre détresse, de tout le poids de notre infirmité. Insensés comme nous sommes, nous serions tentés de ne plus le croire indispensable, le jour où nous ne sentirons plus que tout nous manque sans lui. Alors il ne veut pas nous guérir tout d'un coup ni supprimer toutes nos tares, mais comme la lumière qui revient chaque jour, il ne cesse pas de nous venir en aide, et c'est notre pauvreté qui nous permet de le mieux connaître et de nous unir plus intimement à lui. Mon Dieu, est-ce que tout pour moi ne se résume pas dans ce simple souhait : juxta te, tout près de vous ? Est-ce que toute infidélité n'est pas un éloignement, et à l'origine de tous les vrais malheurs ne trouvet-on pas une désertion ? Quand on reste à sa place, tout, même la mort, devient méritoire et glorieux ; et ma place, à moi fragile, étourdi et fantasque, ma place à moi, qui vous désire et qui vous aime, ne peut pas être bien loin de vous. Juxta te... ce mot se prolonge en échos d'éternité, puisque mon Paradis ne sera pas autre chose, puisqu'il tient tout entier dans cette petite formule. Que votre surveillance et que votre bienveillance divines me restent fidèles. Je ne vous demande rien qu'à cause de vous, Seigneur, en mémoire de tout ce que vous avez fait pour mon âme, gardez-moi dans votre justice et ne me laissez pas vous échapper !
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Prières à la gloire de l'Éternel
13. 1. Sur la terre, ô Seigneur ! Est-il un homme juste ? Qui pourra, devant toi, porter ce titre auguste ? Tu regardes des cieux, sans trouver un mortel dont le cœur innocent soit digne de ton ciel. 2. Ils sont tous égarés ; ils sont tous inutiles : tous à ta sainte Loi se montrent indociles ; et si ta Grâce, ô Dieu ! N'arrête ton courroux, tous doivent le sentir, et périr sous ses coups. 3. Mais ton puissant Esprit, dans une âme rebelle, engendre, par la Foi, la justice éternelle. En Jésus, le Croyant, racheté de la Loi, vêtu de ta justice, est juste devant toi. 4. Ah ! Quelle est donc sa paix et sa vie espérance, puisqu'en toi de son cœur se fonde l'assurance ! Qui peut inquiéter l'homme qui sait, ô Dieu ! Qu'il est dans ton amour, déjà dès ce bas lieu ? 5. Oh ! Quel bonheur l'attend ! Bientôt dans sa patrie, au séjour bienheureux de la céleste vie, ayant fini le cours de ses pieux travaux, il verra, dans ton sein, ta gloire et ton repos.
14. 1. Comme un enfant perdu dans une sombre nuit, sur le terrain mouvant d'un vaste marécage, poursuivant la lueur d'un feu qui le séduit, dans le bourbier descend et toujours plus s'engage. 2. Ainsi l'homme pécheur qui s'éloigne de Dieu, trompé par les attraits et le brillant du monde, s'y jette, et ne rencontre en ce funeste lieu, que chute, et désespoir, et ruine profonde. 3. L'homme a-t-il ici-bas, pour affermir son pied, quelque autre fondement que le sol de la Grâce ? Ah sur tout autre appui si son espoir s'assied, dans mille rets bientôt son âme il embarrasse. 4. D'un bandeau de fierté son regard est couvert. Il marche arrogamment sur le
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limon du vice. Il s'avance, il s'enfonce, il s'abîme et se perd, dans les fétides eaux de sa propre injustice. 5. Loin de ces eaux de mort, ô Rocher de la Foi ! Que ton repos est sûr ! Qu'aimable est ton asile ! Ah ! Que l'homme est béni, qui dirigé vers toi, à l'appel du Seigneur présente un cœur docile ! 6. Oui, je le sens, mon Dieu ! Car en ce noir marais je périssais aussi, n'ayant point d'espérance. Ta main m'en a sorti ; j'en suis loin pour jamais. Et ton enfant sauvé te suit en assurance.
15. Dieu a élu son peuple. 1. Que l'éternel amour de la grâce du Père soit, bien-aimé de Dieu, le sujet de nos chants ! Cet amour souverain qui précéda les temps, pour donner en Jésus aux élus la Lumière. 2. Dieu vit des fils d'Adam la famille déchue naître dans le péché, s'y plaire et s'y tenir. Il la vit dans le mal méchamment s'endurcir, et soumettre à la mort sa masse corrompue. 3. Adam ! Te plaindras-tu, si Dieu, dans sa justice, de tes impures enfants repousse le limon ; s'il leur ôte, à jamais, la gloire de son Nom ; s'il laisse dans leurs mains les gages de leurs vices ? 4. Que doit-il au pécheur, et quel est le salaire que le forfait de l'homme a le droit d'exiger ? Ah ! Du saint Roi des rois la Loi ne peut changer : toujours sur le péché pèsera sa colère. 5. Quel fut donc cet amour, qui, d'une telle race ; voulut même un enfant jusqu'aux cieux élever ? Quel bien dans les pécheurs Dieu pouvait-il trouver, quand il les visita du regard de sa face ? 6. Ah ! De tout cet amour l'amour seul fut la cause. Au pécheur tu devais la malédiction : Ta Grâce lui donna la bénédiction ; et tu restas, ô Dieu ! Premier en toutes choses. 7. C'est donc à toi, Seigneur, que nous devons la vie. Elle n'est qu'en toi seul : toi seul pus la donner, toi seul pour un tel bien voulus nous ordonner ; et dans nous, tes enfants, toi seul l'as accomplie. 8. Oh ! Suprême bonté ! Oh trésors de clémence ! Nous, pécheurs, nous, maudits, faits enfants du Seigneur ! Nous, rachetés de Dieu ! De notre Créateur ! Adam ! Le ciel ouvert à ta vile semence !
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9. Mais quelle était, ô Dieu ! La valeur de ces âmes ? Quel fut le prix livré pour leur juste rançon ? Que demandait la Loi pour céder leur pardon ? Comment éteignis-tu de leur enfer les flammes ? 10. Ton Fils, oui, ton cher Fils, Seigneur ! Fut la victime dont le sang dut payer le rachat des élus. Oui, toi-même pour eux, te livras, ô Jésus ! Sur toi-même tu pris leur nature et leur crime. 11. À tes élus unis, par un profond mystère, et pour eux fait péché, tu supportas leur mort : de leur enfer sur toi s'épuisa tout l'effort ; et tu fus leur chemin jusqu'au vrai sanctuaire. 12. Ô Rachetés de Christ ! Adorons en silence de ses gratuités les saintes profondeurs ! L'Éternel est pour nous ! Tressaillons en nos cœurs ! Il va nous appeler lui-même en sa présence !
16. 1. Soulève, ô Saint-Esprit ! Le voile impénétrable qui des décrets de Dieu couvre la profondeur. Révèle à notre foi le mystère adorable où le Fils incarné s'est fait notre Sauveur. 2. Les temps sont accomplis, et du sein de son père, s'abaisse jusqu'à nous le Fils de l'Éternel. Il s'est fait serviteur ; il descend sur la terre ; et Dieu dans notre chair devient EMMANUEL. 3. Couvrez, anges des Cieux ! Vos faces de vos ailes. En silence adorez le Sauveur des Élus. Le Tout-Puissant s'unit à des pécheurs rebelles ! L'amour de Dieu s'émeut, et le monde a Jésus ! 4. Non, ce n'est pas à nous, objets de cette grâce, à comprendre, ô Seigneur ! Cet ineffable amour. Non, notre faible esprit ne peut franchir l'espace qui sépare tes cieux de notre bas séjour. 5. Mais tu l'as pu combler, ô Charité divine ! À toi tu nous as pris, en venant jusqu'à nous. Notre âme, à ce penser, vers la poudre s'incline ; et devant toi, Jésus, nous plions les genoux. 6. O notre Emmanuel ! Nous, race abominable, à l'Éternel, en toi, nous pouvons nous unir ! Ah ! Sois puissant en nous, car notre âme coupable sans ta grâce ne peut devant toi se tenir.
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17. Le salut éternel est en Jésus-Christ. 1. Quelle est au ciel cette brillante étoile vers l'Orient jetant un feu nouveau ? Jamais encore aucun astre aussi beau des sombres nuits n'avait percé le voile. 2. Vers Éphratah, dans la sainte Judée, elle a porté ses célestes lueurs. Elle y conduit de vrais adorateurs de qui la foi sur le Christ est fondée. 3. Ils ont trouvé le berceau du Messie. Dans une crèche un enfant ignoré dort humblement de pâtres entouré : c'est là Jésus, le Prince de la vie. 4. Rougis de lui, vain et superbe monde ! D'Emmanuel méconnais la beauté. C'est dans l'excès de cette humilité que son amour pour nous pécheurs abonde. 5. Luis dans nos cœurs, Étoile matinière ! Répands sur nous la lumière des cieux. Précède-nous au chemin glorieux que ton éclat nous montre sur la terre.
18. Jésus s'est fait serviteur. 1. Oh ! Mystère profond ! Oh charité parfaite de l'humble Fils de Dieu ! Il n'eut pas même un lieu, au séjour des humains, où reposer sa tête. 2. Dans le renoncement, lui, l'égal de son Père, chaque jour il vécut. Parmi nous il parut comme un homme affligé qu'entoure la misère. 3. Lui, le Fils du Très-Haut, et le Maître du monde, il ne posséda rien ; et jamais d'aucun bien il ne voulut aider sa pauvreté profonde. 4. Que fais-tu donc, Chrétien ! Si ton âme est séduite par les biens d'ici-bas ? Tu n'approuves donc pas de Jésus ton Seigneur, la céleste conduite ! 5. Est-ce donc en ces biens que ton âme a la vie ? Sont-ils son aliment ? À ton dernier moment t'accompagneront-ils dans la gloire infinie ? 6. De notre âme, ô Jésus ! Ôte les moindres restes du fol amour de l'or. Ah ! Que notre trésor soit avec notre cœur aux demeures célestes ! Aujourd'hui si vous avez entendu la voix de Dieu, n'endurcissez pas vos cœurs.
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« Oh ! Que sont beaux sur les montagnes les pieds de celui qui apporte de bonnes nouvelles, qui publie la paix ; de celui qui apporte la Bonne-Nouvelle, qui publie le salut, qui dit à Sion : “Ton Dieu règne !” »
T
ne suffit-il pas de le rencontrer comme par hasard, et de converser avec lui comme en passant. Ce dont une curiosité éphémère se contente, ne peut satisfaire le vrai fidèle. Après l'avoir entendu parlant aux foules, le vrai fidèle, le disciple fervent doit pouvoir le retrouver à loisir et rester près de lui ; il doit savoir où il habite et quel est parmi nous le lieu de sa retraite, là où on est sûr de le voir revenir pour peu qu'on veuille l'attendre, là où il ne peut pas échapper. E
Sa demeure permanente, nous ne la connaîtrons pas, si lui-même ne nous la montre, si lui-même ne nous y conduit. On arrive à lui que par lui ; il est tout à la fois le chemin et le terme, la porte et la bergerie, le commencement et la consommation, l'alpha et l'oméga de toute chose. Aussi, seuls les cœurs que sa lumière éclaire, seules les âmes que sa volonté dirige peuvent le découvrir et demeurer avec lui. Et au-dessus de toutes les méthodes, ou mieux au sein de toutes les méthodes et de toutes les pratiques de perfection, c'est son Esprit qui donne la vie et la vue, le mouvement et la clarté. Où il habite ? ... parmi nous ; car le monde entier est rempli de sa présence invisible et s'il paraît absent, notre foi nous assure qu'il ne peut être que caché. Il est à l'origine de toutes les pensées loyales et
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pures, et de tous les repentirs sincères et attendris, et c'est ma pauvre âme innocente ou pénitente, qui reste sa demeure et qu'il ne veut point délaisser. Maître, où habitez-vous ? Apprenez-moi les chemins qui conduisent à moi-même, découvrez-moi l'asile profond que votre amour gratuit a voulu se ménager dans l'intime de mon être, et qu'en remontant un à un tous les sentiers de ma vie consciente, je retrouve toujours à leur origine votre grâce miséricordieuse prévenant mes initiatives et me donnant mes vraies valeurs. Le mystère de ma volonté depuis que vous avez voulu nous sauver tous, le mystère de ma volonté libre ne peut plus s'expliquer sans votre présence et votre action. Et mon intelligence est, elle aussi, tout illuminée des clartés de votre révélation, et au fond de mes pensées, c'est encore vous que je retrouve. Seigneur, où habitez-vous ? Conduisez-moi à votre demeure. Et il nous conduira dans ce sanctuaire de prédilection, dans l'âme de ses saints et de ses dévots, de tous ceux qui, connus ou inconnus des hommes, se sont laissé pénétrer de son esprit et lui ont ouvert les portes de la docilité fervente. Pour le voir dans ces élus, il faut qu'il me donne ses yeux, car seul il se connaît, et quand cette vue de foi, par ma faute, s'obscurcit dans ma vie, toute mon action devient brutale et vulgaire et je profane sa demeure en bousculant le prochain qu'il habite. Seigneur, apprenez-moi cette joie douce et reposante de vous contempler silencieusement dans les cœurs dévoués, dans tous ceux qui vous aiment et que vous sanctifiez. Il me semble que vous pourriez me faire comprendre ce qu'est ce lien mystérieux des âmes, puisque ce lien c'est vous-même. Il me semble que, si ma foi grandissait, si mon regard intérieur s'illuminait, je verrais tous, vos chers élus ici-bas, comme de vrais « théophores » et « christophores » et que dans mes appréciations, dans mes jugements, dans ma conduite, il n'y aurait place pour rien de médiocre ni de vil. Seigneur, où habitez-vous ? Il habite aussi dans les petites occasions de bien faire ou de bien souffrir ; il habite dans ces demeures modestes comme dans les hosties consacrées, et sous les espèces de la contrariété fortuite, du visiteur importun, de la maladie désagréable ou du labeur ingrat, du sacrifice sollicité, de l'obéissance méritoire, sous ces espèces il est moralement présent comme il l'est corporellement sous les espèces eucharistiques. Et ma vie passe auprès de ces demeures ; et le cours sinueux de mes journées les rencontre à chaque moment ; mais je suis trop aveugle pour les
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remarquer et je néglige les occasions de bien faire ou de bien souffrir, comme on néglige sur sa route des bicoques vides et les taudis en ruines. Seigneur, ouvrez-moi les yeux et que j'apprenne à vous retrouver dans la prose sanctifiante de mon devoir quotidien. Car c'est vraiment là que vous habitez ; c'est dans ce modeste devoir, quelle qu'en soit la forme, que je suis assuré de vous rencontrer, non seulement en passant et comme à la dérobée, mais à demeure et en permanence. Là il n'y a jamais d'illusion à craindre, et ceux qui vos obéissent, ceux qui, sans murmure, acceptent d'aimer leur devoir, ceux-là n'étreignent pas un fantôme, quand ils referment leurs bras suppliants sur votre miséricordieuse bonté ; et leur voix ne se perd pas dans la solitude, quand leur détresse vous appelle à l'aide. Vous êtes avec eux et tout près d'eux, ou plutôt, faisant leur devoir et y restant fidèles, c'est chez vous qu'ils demeurent pendant toute leur vie... La vraie question à lui poser serait plutôt : Maître où donc n'habitezvous pas ? Vous êtes en moi, vous êtes dans mon prochain, vous êtes dans les événements de mon existence, dans mes besognes, dans mes corvées, dans mes souffrances, dans tous mes sacrifices... Où donc ne demeurez-vous pas et quelle peut être ici-bas la place qui serait vide de vous ? Et il me répondra, ce qu'il a dit depuis longtemps aux hommes, que là où il n'habite pas, c'est là où habite la volonté propre, la volonté d'égoïsme, le moi envahissant et rétif, provocateur et insolent, sournois et cauteleux. Il me dira que la place qui est vide de lui, c'est toute place que je ne consens pas à lui céder, et que son amour tout puissant est arrêté devant les portes que lui ferme la lâcheté consentie et les barrières qu'élèvent contre lui le désir mauvais d'indépendance mensongère et de fausse émancipation. Libre de tout esprit de propriété, de toute attache délibérée à moi-même, pour qu'aucune alvéole clandestine ne reste en moi impénétrable à son action, pour qu'il habite en souverain dans la demeure, dans ses demeures, car vraiment, ici-bas comme là-haut, dans la maison du Père. Seigneur, je ne suis qu'un disciple distrait et un écolier bien oublieux. La leçon de votre présence invisible, que j'ai comprise aujourd'hui, vous devrez me la redire chaque jour, car chaque jour je la laisserai échapper de mon esprit et je serai repris par l'illusion grossière qui s'en remet à la seule vue des sens. Augmentez mon amour et mon respect,
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et que j'apprenne enfin à vous voir où vous êtes, jusqu'au jour où ma question sans cesse renouvelée, vous m'introduirez pour jamais dans votre éternel Paradis.
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Prières à la gloire de l'Éternel
19. 1. O très saint Fils de Dieu ! Tu parus sur la terre comme un pauvre mortel ; toi, puissant Roi du ciel ! Tu vécus ici-bas dans l'ombre et la misère ! 2. Oui, tu t'anéantis jusqu'à notre nature ; tu te fis serviteur, et l'homme de douleur, pour sauver de la mort ta propre créature. 3. « Le fils du charpentier ! » — c'est ainsi que le monde te nommait, ô Jésus ! Ainsi tu le voulus ; telle fut de ton cœur l'humilité profonde. 4. Oui, tu fus, chaque jour de ton doux ministère, abreuvé de mépris : chaque jour tu souffris, toi qui, comme un agneau, te montrais débonnaire ! 5. « Sans cause ils m'ont haï : » — disais-tu dans ta peine. Je leur parle d'amour : je reçois en retour les coups multipliés d'une mortelle haine. 6. O bien-aimé Jésus ! Quel excès de tendresse ! Ah ! C'est ta charité. Oui, c'est ta pauvreté, qui de nous, tes enfants, fit toute la richesse ! Il a porté nos langueurs et il a chargé nos douleurs ; et nous avons estimé qu'étant ainsi frappé, il était battu de Dieu et affligé. Or il était navré pour nos forfaits, et froissé pour nos iniquités ; l'amende qui nous apporte la paix a été sur lui, et par ses meurtrissures nous avons été guéris.
20. Jésus Prophète et Roi. 1. Hosanna ! Béni soit ce sauveur débonnaire qui va vers nous ; plein d'amour, descend du sein du Père ! Béni soit le Seigneur qui vient des plus hauts cieux apporter aux humains un salut glorieux ! 2. Hosanna ! Béni soit ce Prince de la vie ! Que de joie, en son nom, notre âme soit ravie ! Qu'en des chants tout nouveaux elle éclate aujourd'hui ! Que tout enfant de Dieu tressaille devant lui !
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3. Hosanna ! Béni soit cet ami charitable, que le plus grand pécheur va trouver favorable ! Humble et sans apparat, sous notre humanité il a voilé l'éclat de sa divinité. 4. Hosanna ! Béni soit Jésus notre justice ! Pour nous, pour nos péchés, il s'offre en sacrifice. Ce Seigneur tout-puissant, ce Roi de tous les rois, pour nous, pauvres pécheurs, vient mourir sur la croix. 5. Hosanna ! Hosanna ! Dans son heureuse Église ! Elle est en liberté ; Jésus se l'est acquise. Ce transport est permis : c'est celui de la Foi ; et tes enfants, Seigneur ! S'y livrent devant toi. 6. Hosanna ! Rachetés ! Peuple franc et fidèle ! Répétez Hosanna ! Dans une ardeur nouvelle. C'est votre hymne d'amour ; c'est votre chant de paix. Que ce chant parmi vous retentisse à jamais 7. Le seigneur tout-puissant vient d'entrer en son Temple. Fidèles ! Notre Roi nous y donne un exemple : tout coupable intérêt, et toute iniquité, y recevront les coups de sa sévérité. 8. Apprenez, vous, Mondains ! Que dans sa chère Église, Jésus veut qu'à son joug toute âme soit soumise. De ce bercail sacré le profane est exclus : Au monde le Seigneur ne joint pas ses élus. 9. Dans ses mains est son van pour nettoyer son aire. Aux célestes greniers le froment il resserre. Mais, au jour solennel, la balle il jettera dans un feu dont l'ardeur jamais ne s'éteindra. 10. Imitons notre Chef, et, pleins du même zèle, pour notre propre cœur, suivons ce saint modèle. Nous sommes, nous, Chrétiens, les temples de l'Esprit : que du milieu de nous tout péché soit proscrit ! 11. Viens, Jésus ! Sans tarder ; viens régner sur nos âmes ! Enlève de nos cœurs tout penchant que tu blâmes ! Si tu frappes, Seigneur ! Tes tendres châtiments montreront qu'en effet nous sommes tes enfants.
21. Jésus Sacrificateur et Victime. 1. Chargé de son gibet et rejeté de Dieu, quel est ce criminel, cet insigne coupable, mené par les soldats à cet infâme lieu, où ses jours vont trouver une fin lamentable ? C'est le Juste et le Saint, c'est le Fils du Seigneur, c'est le Prince de Paix, c'est l'Ami du pécheur. 2. Hélas ! Il a plié sous le poids du fardeau ! Son corps est abattu ; sa force est
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épuisée : il chancelle en montant le sinistre coteau où sa mort ne sera qu'un sujet de risée. Cependant, c'est le Saint, c'est le Fils du Seigneur, c'est le Prince de Paix, c'est l'Ami du pécheur. 3. Mon âme, le vois-tu, frappé de mille coups, comme un agneau muet sur le gibet s'étendre ? Le vois-tu sur ce bois attaché par des clous qu'entre ses os froissés le marteau fait descendre ? Cependant, c'est le Saint, c'est le Fils du Seigneur, c'est le Prince de Paix, c'est l'Ami du pécheur. 4. Six heures de tourment, d'angoisse et de langueurs, prolongent lentement sa cruelle agonie. La colère de Dieu l'a chargé des horreurs dont l'Église en enfer devait être punie. Cependant, c'est le Saint, c'est le Fils du Seigneur, c'est le Prince de Paix, c'est l'Ami du pécheur. 5. Mais tout est accompli : le sang est répandu. La Loi de l'Éternel est enfin satisfaite. Jésus au bois maudit demeure suspendu, et courbe en expirant, son innocente tête. Cependant, c'est le Saint, c'est le Fils du Seigneur, c'est le Prince de Paix, c'est l'Ami du pécheur. 6. Seigneur ! Ce fut pour moi qu'ainsi tu fus maudit ! Pour m'ôter!à la mort tu as pris sur toi-même. Pour moi tu fus navré, tu!portas l'interdit : ah ! Je sais maintenant combien ton cœur!nous aime ! Toi le Juste et le Saint, toi le Fils du Seigneur, toi, le Prince de Paix, tu t'es fait mon Sauveur ! 7. Je suis donc ton enfant : Jésus ! Je t'appartiens. Par toi-même, !à ce prix ma rançon fut payée. Ah ! Donne-moi le cœur que tu !promets aux tiens ; et que ta grâce ainsi me soit ratifiée ; oui,! pour moi, ta brebis, charitable Sauveur ! Sois le Prince de Paix,! le doux et bon Pasteur !
22. 1. Seul et maudit, toi ! Jésus ! Roi des rois ! Meurtri de coups, tu montas le Calvaire. Là du péché tu reçus le salaire, et tu fus cloué sur un infâme bois. 2. Sur une croix, chargé de nos forfaits, de Dieu pour nous tu portas la colère, et tu soutins l'effroyable misère que nous devions endurer à jamais. 3. À ce grand prix tu nous as rachetés, ô bon Sauveur ! En offrant ta propre âme ! Oui, dans ton sang s'est éteinte la flamme des longs tourments par nous tous mérités. 4. Mais sur la mort, ô Prince tout-puissant, et sur l'enfer tu remportas victoire. Et pour les tiens, dans le ciel et sa gloire, ô Jésus-Christ ! Tu règnes maintenant !
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5. C'est donc à toi que nous sommes, Seigneur ! Aussi pour toi désirons-nous de vivre. Que ton esprit nous apprenne à te suivre. Et sous ton joug fléchisse notre cœur ! Allons donc avec assurance au trône de la Grâce, afin d'obtenir miséricorde et de trouver grâce pour être aidés en temps opportun.
23. 1. Oh ! Charité de notre Créateur ! Amour de Dieu ! Qui pourra te!comprendre ! Dans notre chair il a daigné descendre ! Sur une!croix il s'est fait Rédempteur ! 2. Prosternez-vous, anges de l'Éternel ! Ô Séraphins ! Tenez-vous!en silence. Du Saint des Saints contemplez la clémence : jus!qu'à la terre il abaisse le ciel. 3. Avant les temps, pour nous, ses ennemis, Il prépara le céleste héritage. Avant les temps, ce glorieux partage nous fut donné dans la mort de son Fils. 4. Éternel-Dieu ! Pour nous, hommes méchants, ton propre Fils dut porter ta colère ! À ce grand prix tu voulus, ô bon Père ! Que tes élus fussent fait tes enfants ! 5. Quoi ! C'est ton Ciel, c'est ton éternité, que nous trouvons dans ce grand sacrifice ! Tu nous revêts de ta propre justice ! Tu nous reçois dans ta félicité ! 6. Ô Dieu-Sauveur ! T'adorant dans la Foi, nous ne pouvons que célébrer ta Grâce ! Ah ! Puisons-nous en sentir l'efficace, et dans nos corps ne vivre que pour toi ! Jésus portant sa croix vint en la place de Golgotha.
24. Jésus a vaincu la mort. 1. Disciples du Sauveur ! Célébrez sa victoire. Avec lui triomphez et partagez sa gloire. Du monde et de Satan, de l'éternelle mort, il a dompté l'effort ! 2. Oh ! Mystère profond ! Le Bien-Aimé du Père descendu dans l'abîme aux bas lieux de la terre ! Pécheurs ! Prosternez-vous : en silence adorez, et vos fautes pleurez ! 3. Il est ressuscité. L'Église est rachetée. De devant l'Éternel sa souillure est ôtée ; et nous sommes, ainsi, nous ses heureux élus, de justice vêtus.
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4. Ô Chrétiens ! Notre Roi nous a frayé la voie ; après lui, vaillamment, marchons, remplis de joie ; et suivons, par l'Esprit, vers les célestes lieux, Jésus victorieux. 5. Mon âme, adjure enfin ta terrestre nature, tu ne vis qu'en Jésus : comme ton Dieu sois pure. S'il a goûté la mort, il est ressuscité : hais donc la vanité.
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« La Foi est par l'ouïe, et l'ouïe par la Parole de Dieu. Mais, je demande, ne l'ont-ils point entendue ? — Certainement leur voix est allée par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde..»
Méditation Tout ce que disent mes péchés
D
que vous ne refusez pas de pardonner, ils ont eux aussi un message d'amour à transmettre, et, pourvu qu'on sache les interroger comme il faut, ils nous répondent un Évangile, une bonne nouvelle de Rédemption. Ils parlent de pénitence et de regret, mais pour mon âme naturelle et terrestre, leur langage reste obscur et confus, et je n'ai jamais su très bien ce qu'ils voulaient me faire entendre. Mon Dieu, éclairez-moi, affirmez-moi par la vertu de votre Esprit. EPUIS
Il y a une manière de réfléchir sur nos péchés, de méditer sur le mal commis, de regretter les fautes passées, qui affaiblit, qui paralyse, et qui rend pusillanime. Peut-être ne me suis-je pas suffisamment protégé de ce côté. On m'a présenté parfois la componction comme une sorte de tristesse solitaire devant un vaste champ de ruines, comme la morne constatation d'une faillite irréparable, d'un échec total et définitif. Mes pauvres bons désirs n'aboutissant à rien ; chacune des étapes de ma vie spirituelle marquée par une défaite retentissante ; chacun de mes élans brisé dans son essor ; chacune de mes résolutions s'écroulant sur elle-même. Et l'on me convie à me promener longuement et tout seul au milieu de ces décombres ; on me presse de parcourir les galeries de cette nécropole, de compter soigneusement
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tout ce qui a avorté, tout ce qui n'a pu tenir parole ni réaliser ce qui avait été promis. Ce pèlerinage est toujours navrant, quand on fait ainsi ; on n'en revient pas plus fort, mais seulement plus désolé et parfois plus amer, et quand on nous assure qu'il faut recommencer chaque jour, que c'est notre meilleure occupation ici-bas, et que songer à autre chose c'est dissiper dans l'illusion et s'exposer aux déconvenues irréparables, nous recevons ces exhortations ou ces commandements comme des condamnations, et le souvenir de nos péchés nous dégoutte et nous brise. La componction — ce nom et cette chose qui doivent cependant être si pénétrants et si intimes — la componction ne nous apparaît plus que comme funèbre consigne, et ils ne sont peut-être pas très rares ceux qui s'en sont détournés parce qu'ils ne voulaient pas de ce fardeau inutile sur leurs épaules déjà trop lasses, parce qu'il leur semblait mauvais — ou tout au moins peu sage — de raviver toujours un passé défunt, de fouiller dans les marécages, de ne pas laisser derrière soi pour jamais ce que plus aucune réflexion, ce que plus aucun regret ne pourra réparer ou défaire. La componction, qui doit nourrir l'âme chrétienne, — et qui doit donc être surnaturellement savoureuse — la componction ne sera-t-elle que ce gâteau de sable, que ce bitume acre et poisseux, qui rend malade et que nul ne peut s'assimiler ni vouloir prendre ? Et pourtant quand on la réduit à une tristesse solitaire devant ses propres impuissances, tristesse qu'on associe — en dépit de la logique — à la volonté ferme de faire toute autre chose dans l'avenir ; quand la componction n'est plus que la contemplation studieuse et persévérante des écroulements périodiques d'une demeure, accompagnée de la résolution de tout rebâtir — chaque jour ! — Elle sera nécessairement dure, morose et paralysante, conseillère de découragement et de chagrin intime, ennemie de tout ce qui à des ailes. La componction est un moyen de connaître Dieu, et nos fautes passées sont des routes qui nous conduisent au Christ, puisque c'est par leurs chemins que nous est venu ou que nous viendra son pardon. Les enfants comptent les étoiles au firmament brumeux des soirs d'été, et chacune de ces étoiles est un chemin de lumière. Pécheurs, nous devrions compter nos fautes au firmament de notre existence, car chacune est un sentier mystérieux que la miséricorde divine a suivi pour nous rejoindre.
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C'est que la componction ne consiste pas à m'apitoyer sur moi-même, sur ma faiblesse et sur mes égarements. À quoi ces larmes solitaires, serviraient-elles ! — Elle consiste à pleurer ensemble sur un malheur commun et à comprendre mieux un amour méconnu. Et ces larmes sont des lumières. Il y a des choses qu'on ne voit bien qu'avec des yeux humides : l'amour rédempteur en est une. Loin de glacer stoïquement ou d'abaisser sans profit, la componction attendrit et fortifie, comme tous les sentiments chrétiens. L'amour s'accroît par la réparation ; il a besoin de regrets, d'aveux, de repentir, et ceux-là le savent bien qui, même dans les choses de la terre et pour ranimer la flamme d'un amour qui s'éteint, cherchent instinctivement un motif ou un prétexte à « réconciliation », à reproches attendrissants. L'amour pardonné est fort comme la mort, et nos péchés doivent être un lien nouveau, nous rattachant à Dieu. L'œuvre commune, gâchée par mon insouciance, par ma paresse, par mes folies absurdes, c'est sa Rédemption en moi. Aussi quand je veux me repentir, c'est lui que je dois implorer tout d'abord. Loin de penser qu'il faille me tenir timidement dans un coin solitaire, pleurant tout seul comme un enfant puni, jusqu'à ce que mes regrets m'aient rendu digne de lui, il faut comprendre que sans lui je ne puis rien réparer ni rien reconquérir, et que le premier geste qui me ramène vers lui est déjà l'effet de sa grâce qui me prévient. Alors le repentir me devient doux. Au lieu d'une promenade solitaire et navré au milieu des tombeaux, c'est un pèlerinage d'amour que je veux entreprendre avec lui. Je m'examine avec autant de soin, mais je ne redoute plus de me découvrir coupable, bien au contraire je cherche avec une sainte avidité toutes mes défaillances ; je m'accuse presque sans mesure, même là où Jésus voudrait doucement m'excuser ; j'accumule les griefs, je grossis, j'enfle mes dettes..., car chacune de mes fautes est une preuve magnifique et irrécusable de son amour, étant une relique de son pardon. Comme on comprend alors le besoin — que les faux sages ont déclaré morbide — ce besoin si chrétien de vérité même humiliante, de confession répétée, d'examens de conscience renouvelés chaque jour ; et combien ceux-là sont étrangers, sans le savoir, à l'esprit catholique, à l'esprit du Rédempteur, qui rejettent, suspectent ou diminuent ces saintes pratiques du repentir, du souvenir des fautes, de la contrition et des larmes de regret ! La componction est divine et révélatrice, car elle nous montre Dieu consolateur. Est-ce mon péché ou ma vertu qui en est cause ? Et répéter mon peccavi, redire mon vieux mea culpa m'est
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doux comme une assurance de son amour et un gage de sa miséricorde infinie.
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Prières à la gloire de l'Éternel
25. Jésus vainqueur de la mort 1. Tu perds, ô Mort ! Ta superbe puissance. Ton aiguillon pour toujours est rompu : le Saint de Dieu ressuscite et s'élance hors des liens du sépulcre vaincu. 2. Oui, de l'enfer les portes redoutables d'Emmanuel ont connu le pouvoir. Il les brisa, quand des plus vils coupables le châtiment il voulut recevoir. 3. À ce grand prix l'Eglise fut sauvée : tu fus, Seigneur ! Son immense rançon, ton âme, hélas ! De fiel fut abreuvée, et de ta mort sortit notre pardon. 4. Ah ! Repoussons les chaînes de la terre, peuple de Dieu, Rachetés du Sauveur ! Conviendrait-il aux enfants de lumière de vivre encore dans la nuit de l'erreur ? 5. En toi, Jésus ! En toi seul est la vie. Tout est mortel, tout est vain ici-bas. Tu nous acquis la céleste patrie : daigne y retourner et nos cœurs et nos pas ! C'est ce Jésus qui est venu par eau et par sang. Non seulement par l'eau, mais par l'eau et le sang ; et c'est l'esprit qui en rend témoignage : or l'Esprit est la vérité.
26. Jésus intercède au ciel pour l'Église. 1. Ô cieux ! Unissez-vous aux transports de la terre. Église du Seigneur ! Renouvelle tes chants ; et qu'en de saints accents, de tous les cœurs pieux s'élève la prière ! 2. Jésus vient de monter au séjour de la gloire. Ses travaux sont finis : son peuple est racheté ; et, ceint de majesté, il entre aux lieux très hauts avec cri de victoire. 3. À la droite de Dieu sa place est préparée. Là notre humanité s'assied avec pouvoir. Oh ! Qui peut concevoir que de cette grandeur elle soit honorée ! 4. Tu règnes, ô Jésus ! Dans la toute-puissance Sur le monde vaincu ton sceptre est souverain. L'empire est dans ta main ; et tu remplis les cieux de ta
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magnificence. 5. En toi, Fils du Très-Haut ! Réside notre vie On ne voit point encore ce qu'un jour nous serons ; mais quand nous te verrons, tu nous revêtiras d'une gloire infinie. 6. Tournons donc nos pensées vers la sainte demeure où Jésus est assis à la droite de Dieu. Traversons ce bas lieu, pleins du vivant espoir d'une cité meilleure ! Notre espérance n'est point confuse, parce que l'amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné.
27. Jésus Intercesseur 1. À la droite de Dieu, le Bien-Aimé du Père, Jésus, notre Sauveur, notre Roi toutpuissant, notre Ami, notre Frère, pour nous, ses rachetés combattant sur terre, siège en Intercesseur. 2. Ce fidèle Sauveur, tout rempli d'indulgence pour ses faibles brebis, leur ouvre chaque jour ses trésors de clémence, et répond, sans tarder, aux pleurs de repentance de ses enfants chéris. 3. Il fut, ainsi que nous, tenté dans toute chose. Mais sans aucun péché. Il souffrit tous les maux ; il en connaît la cause ; et pour l'humble pécheur qui sur lui se repose, d'amour il est touché. 4. Par lui donc, et toujours, approchons-nous sans crainte du trône du Seigneur. Humblement devant lui répandons notre plainte ; et son regard viendra, de sa demeure sainte, consoler notre cœur.
28. Jésus jugera le monde 1. Lorsque la terre consumée, de Dieu pour elle n'aura plus, des!anges la brillante armée viendra du ciel avec Jésus. Des fils d'Adam toute la race comparaîtra devant la face de l'Éternel qui les a faits : et les humains, dans le silence, écouteront de sa sentence les justes et fermes arrêts. 2. Comme on voit dans la bergerie, des brebis les boucs éloignés ; ainsi les bons, dans l'autre vie, seront des méchants discernés. Le Roi, dans ce jour de victoire,
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assis au trône de sa gloire, les bons à sa droite mettra : et sa force toutepuissante, des méchants la troupe insolente, a sa gauche repoussera. 3. Alors le Roi, Jésus lui-même, dans sa sublime majesté, revêtu du pouvoir suprême, aux uns dira, plein de bonté : « Venez, vous Bénis de mon Père ! Et possédez dans la lumière cet héritage permanent, cette bienheureuse patrie, qui pour vous déjà fut choisie dès le premier commencement. » 4. Mais quelle parole effrayante ceux de la gauche recevront ! Quelle sera leur épouvante lorsque ces mots ils entendront : « Maudits ! Entrez dans les ténèbres ; retirez-vous aux lieux funèbres à l'adversaire préparés. Allez aux feux impérissables, où dans des maux irrévocables, près des démons vous gémirez. » 5. Ô Jésus-Christ ! C'est par ta grâce, qu'en ce jour de trouble et d'effroi, sous l'éclat brûlant de ta face, nous subsisterons devant toi. Alors couverts de ta justice, et sauvés par ton sacrifice, en ton plais nous entrerons : et là, dans un nouveau cantique, de ta clémence magnifique la gloire nous célébrerons.
29. Jésus triomphera de ses ennemis. 1. Pourquoi dans les hauts cieux ces éclats de tonnerre ? Les vents sont déchaînés et font trembler les monts ; sur tous ses fondements au loin gémit la terre, et l'océan s'émeut dans ses gouffres profonds. C'est de l'Agneau le jour de gloire ! C'est son triomphe en sa victoire ! 2. Il descend. Le voici, porté sur une nue. Le sceptre est en sa main, sa force en est l'appui : le regard de ses yeux a rempli l'étendue, et des feux dévorants roulent autour de lui. Agneau de Dieu ! C'est là ta gloire ! C'est ton triomphe en sa victoire. 3. De ses anges puissants les terribles armées couvrent de légions la profondeur des cieux ; et de tous les humains les tribus sont sommées de venir adorer ce Roi majestueux. Agneau de Dieu ! C'est là ta gloire ! C'est ton triomphe en ta victoire ! 4. Ô mort ! Rends tes captifs de la coupable race ; rendez-les, vous tombeaux ! Vous abîmes des mers ! Adam ! Avec tes fils parais devant la face du Maître souverain des cieux et des enfers ! Agneau de Dieu ! C'est là ta gloire ! C'est ton triomphe en ta victoire ! 5. Jésus parle : on se tait. Le jugement commence, les livres sont ouverts. Le bien avec le mal, sans oubli, sans erreur, est mis en évidence : et la Loi du Seigneur est
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sur son tribunal. Agneau de Dieu ! C'est là ta gloire ! C'est ton triomphe en ta victoire ! 6. Oh ! Que deviendras-tu, pécheur dur et superbe, qui de Dieu dans Jésus méprises la bonté ! Toi, qui vas te flétrir comme la fleur de l'herbe, comment soutiendras-tu de Christ la majesté, quand il viendra brillant de gloire, et triomphant en sa victoire ? 7. Mais il n'est plus de mort. Fils d'Adam ! Il faut vivre, ou toujours dans le ciel, ou loin de Dieu... toujours ! Et des siècles sans fin à jamais vont poursuivre, pour ta joie ou ton deuil un immuable cours. Agneau de Dieu ! C'est là ta gloire ! C'est ton triomphe en ta victoire ! 8. Mais pourquoi frémis-tu ? Pourquoi crains-tu, mon âme ! L'effrayant appareil de ce jour du Seigneur ? Son Nom que tu connais, et que ta foi réclame, n'est-il pas, pour toujours, le nom de ton Sauveur ? Oui, Fils de Dieu ! C'est là ta gloire, de nous unir à ta victoire !
30. Le Bercail du Bon Berger. 1. C'est dans Sion que règne le Seigneur. C'est là que toute âme fidèle, avec amour son Roi appelle, et saintement à son nom rend honneur. 2. Cette Sion, c'est l'Église de Dieu : de son cher Fils c'est l'héritage. C'est un troupeau de tout langage, que son Esprit assemble de tout lieu. 3. Dans ce bercail, l'homme est né de nouveau : car c'est au cœur que Dieu regarde, toute brebis que Jésus garde, du Saint-Esprit a le céleste sceau. 4. Dieu seul connaît quelles sont ses brebis. De son amour, il les assure ; et ce troupeau de sa pâture au dernier jour à droite sera mis. 5. Ô mon Berger ! Mon âme t'appartient. Dans ta Sion mon cœur habite : à ton repos ta voix m'invite ; en mon sentier ton bâton me soutient.
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« Si notre Évangile est voilé, il est voilé pour ceux qui périssent ; pour les incrédules, dont le dieu de ce siècle a aveuglé l'entendement, afin que l'éclat de l'Évangile de la gloire de Christ, qui est l'image de Dieu, ne leur resplendît point. »
Méditation Fatigué d'avoir fait la route
P
lui ressembler, je ne dois pas changer les conditions de mon existence terrestre ; je ne dois pas cesser d'être homme, mais seulement cesser d'être mal, c'est-à-dire en dehors de lui. Il a sanctifié les réalités les plus humbles de ma vie depuis qu'il s'est uni la « fragilité de notre substance ». Et parce qu'il a connu réellement nos lassitudes, la fatigue est devenue chose divine. OUR
Cette fatigue, cette pauvre fatigue humaine que je connais si bien, et qui m'a toujours paru comme un obstacle stupide et lourd entre mon âme et mon Dieu ; cette misérable fatigue, qui entrave ma prière, qui engourdit mon énergie, qui retarde l'élan de mon zèle ; cette vieille fatigue, que j'ai toujours considérée comme une ennemie, est-ce que, peut-être, elle aussi, elle aurait un message de lumière à me transmettre, est-ce que je ne l'aurais peut-être pas, depuis si longtemps, méconnue faute de véritable esprit chrétien. Elle est un signe de contradiction. Lassitude des journées épuisantes, quand le corps fléchit au soir tombant, quand le sommeil obscurcit la pensée et qu'une grande détresse physique, semblable à une agonie, nous saisit tout entiers. Seigneur, est-ce que nous sommes autre chose que des machines
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inertes, quand le délabrement périodique de nos énergies nous réduit à cette pitoyable impuissance ? Est-ce que dans ces heures de somnolence, absorbés par nos misérables faiblesses physiques, nous sommes encore dignes de nous présenter devant vous ? Est-ce que pour être reçu à votre audience divine, il ne faut pas porter toujours un esprit alerte et vigoureux, une volonté prompte et avide, des yeux brillants et des bras tendus ? — Pour ressembler à Dieu, je ne dois pas me guinder à hauteurs difficiles, ni bander tous les ressorts de mon âme ; pour rencontrer Dieu, je ne dois pas m'évader de ma faiblesse humaine, ou faire semblant qu'elle n'existe pas ; je ne dois jouer aucun rôle de mensonge, je ne dois emprunter aucun dehors de convention ; il me suffit d'être homme pour ressembler au Fils de l'homme, et, tant que je ne descends pas au niveau du péché, je suis de plain-pied avec celui qui a vérifié en lui-même chacune de nos misères. Si le Christ n'est pas ressuscité, tout espoir de résurrection est perdu pour nous ; si le Christ n'a pas vraiment souffert, c'est en dépit de la souffrance, c'est en dehors d'elle et contre elle, qu'il faut chercher à le rejoindre et désirer le rencontrer. Mais il est vérité, et quand il s'asseyait sur la margelle du puits, c'est qu'il se sentait bien las, et qu'il avait laissé toutes ses forces à parcourir les longs chemins de nos pays. Aussi la fatigue est chose divine, et quand je n'en puis plus, je lui ressemble. Seigneur, apprenez-moi ce sacrement mystique de la fatigue chrétienne ; montrez-moi que la fatigue est sacrifiante parce que quelque chose de vous demeure encore en elle, parce que tout homme épuisé rappelle l'Homme de douleurs, et qu'au fond de nos faiblesses physiques se cache un lien secret qui les rattache à celui qui les a portées toutes. Je me suis demandé souvent ce que je pouvais vous offrir, qui ne fût point indigne de vous ; j'ai regardé autour de moi ; j'ai vu le peu que je possède et ma misère qui vous est si connue — et vraiment je n'ai pas su quel encens j'allais pouvoir placer sur les braises brûlantes de vos encensoirs invisibles. Maintenant je commence à comprendre, et ma pauvreté pourra me devenir douce. Cela seul est digne de vous que vous rendez digne de vous, non pas seulement en l'acceptant comme du dehors par décret, mais en le sanctifiant de l'intérieur par une grâce pénétrante. Cela seul peut vous être offert, qui vous appartient déjà, et cela seul peut vous plaire que vous avez rendu aimable. Seigneur, je
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vous offre donc mes infirmités, je vous offre mes fatigues, mes longues lassitudes, cet assoupissement profond qui me ressaisit périodiquement et qui ne m'abandonne tout à fait qu'à de rares intervalles. Sur vos encensoirs invisibles, comme un hommage perpétuel et silencieux, je répands toutes mes faiblesses physiques, toute cette odeur de mort — qui depuis que vous avez tué la mort —, est devenue un parfum d'éternité. Ma pauvre fatigue, cette fatigue qui m'humilie, qui fait chavirer ma pensée dans mon esprit et mes mots dans mes phrases, cette fatigue, pleine d'hébétude douloureuse, de stupeur morne, d'énervement et d'impuissance, cette fatigue d'esclave héréditaire, que votre peuple connut en Égypte, lorsque ses mains portaient les touffes de terre et de briques — il me suffit de l'accepter avec vous et pour vous, avec résignation, sans amertume et sans colère, et doucement voici qu'elle met en moi votre ressemblance. Toute fatigue humaine vous appartient, dès qu'elle n'est pas coupable — on peut donc vous l'offrir ; rien de ce qui vous appartient n'est indigne de vous. Ma pauvreté me vaut le royaume des cieux et si je suis infirme, c'est que le Tout-Puissant seul doit être mon soutien. Je les ai trouvés maintenant mes sacrifices du soir et mes oblations matinales. Je sais ce que je mettrai dans mes corbeilles aux moments où tout m'abandonne ; et quand la fatigue de vivre sera si grande pour mon corps malade et usé qu'enfin tout s'arrêtera de lutter et de battre en moi, quand la lassitude m'aura vaincu et que je serai mort, Seigneur, recevez ce dernier hommage et ce dernier parfum. A force d'être voyageur sur les routes d'ici-bas, à force d'avoir marché, quand je n'en pourrai plus et que mon heure — votre heure — sera venue ; celle que les fils des hommes ne connaissent pas, souvenez-vous que vous avez appris laborieusement à souffrir comme nous souffrons et que vous avez gardé le dépôt de toutes nos infirmités. Je l'aime, la bonne fatigue, la lourde fatigue, que vous avez sanctifiée ; et je comprends le curé du Merlerault, votre serviteur, qui mettait toute sa joie à sentir son corps s'épuiser, ses forces diminuer, sa vie glisser et fondre dans le dur travail que votre douce Providence nous impose par miséricorde. Ô joie des soirs de lassitude, des jours de jeûne, des nuits de veille, quand le corps crie à sa manière une détresse silencieuse dont l'âme peut faire l'Alléluia !
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Prières à la gloire de l'Éternel
31. 1. Tes brebis, ô Jésus ! Connaissent ton amour. Tu les connais aussi ; tu leur donnes ta joie ; et c'est ta main qui leur dresse la voie qui les conduits au céleste séjour. 2. Sur elles, jour et nuit, tu veilles avec soin. Tu vois quels sont leurs maux, leur force ou leur faiblesse ; et des faveurs de ta riche tendresse chaque moment est un nouveau témoin. 3. De combien de dangers ton bras les garantit ! Que d'ennemis défaits par ta toute-puissance ! Pour leur repos aucune prévoyance, aucun détail devant toi n'est petit. 4. C'est là ma douce part, ô mon Dieu, mon Sauveur ! Oui, je connais ta voix ; je suis sous ta houlette ; et j'ai ta paix, et ma joie est parfaite lorsqu'à ton joug je soumets tout mon cœur. 5. Aussi mon vrai désir, ce que j'attends de toi, c'est de voir ton Esprit m'ôter toute souillure et mettre en moi cette volonté pure qui se fléchit sans murmure à ta Loi. 6. Aussi mon vrai désir, ce que j'attends de toi, c'est de voir ton Esprit m'ôter toute souillure et mettre en moi cette volonté pure qui se fléchit sans murmure à ta Loi. 7. Règle donc, ô Jésus ! Mes pas encore errants. Montre-moi ton sentier : qu'il soit ma seule route et que du cœur, en te suivant j'écoute et tes avis et tes commandements !
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32. L'Église est étrangère ici-bas. 1. Sous ton joug, cher Rédempteur ! Nous avons ta paix parfaite. De ton fidèle amour savourant la douceur, et comme tes brebis paissant sous ta houlette, nous goûtons un vrai bonheur. 2. Près de toi, sous ton regard, nous marchons sur cette terre, nous hâtant, par la Foi, vers l'excellente part que nous allons saisir, en ta pure lumière, au jour de notre départ. 3. Ton Esprit nous fait sentir le pouvoir de ta parole ; et des célestes biens dont tu veux nous bénir, notre âme il enrichit, il soutient et console, au-delà de tout désir. 4. Tiens-nous donc en ton repos, bon Sauveur ! Sois notre asile ! Montre-nous qu'ici-bas tout est vain, tout est faux ; et qu'en suivant ta voix ton disciple docile est gardé de tous les maux !
33. 1. Du séjour des péchés, où règne la misère, délivrés pour toujours, nous marchons vers Sion, cherchant des fils de Dieu la!sainte nation, avec les nouveaux cieux et la nouvelle terre.!Alléluia ! Alléluia ! Soutenons notre foi : — Jésus est notre Roi ! 2. Traînant dans les ennuis une lugubre vie, nous étions asservis au plus dur des tyrans. Maintenant affranchis de ses fers accablants, nous allons habiter une noble patrie. Alléluia ! Soutenons notre foi : — Jésus est notre Roi ! 3. C'est là que le Seigneur, au sein de la lumière, se montre à ses!élus qu'il couronne d'honneur. Des délices du ciel il inonde!leur cœur ; son amour est en tous ; de tous il est le Père.!Alléluia ! Soutenons notre foi : — Jésus est notre Roi ! 4. Là, leur péché n'est plus ; leurs terrestres souillures sont mises en!oubli dans le sang de l'Agneau. Là tout dans leur esprit est céles!te et nouveau ; et comme eux nous serons de saintes créatures.!Alléluia ! Soutenons notre foi : — Jésus est notre Roi ! 5. Sur la mort, à jamais, s'affermit leur victoire : ils sont avec leur!Dieu dans l'éternité ! Jésus est le trésor de leur félicité ! Et nous!allons jouir de toute cette gloire !
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Alléluia ! Alléluia ! Soutenons notre foi : — Jésus est notre Roi !
34. 1. Célébrons en accord, nous enfants de lumière, les douceurs de l'amour de Dieu, notre bon Père. Chantons de son cher Fils l'immense charité, et le tendre support de sa fidélité. 2. Ici-bas étrangers, nous traversons la vie comme des voyageurs marchant vers leur patrie ; de la sainte Cité gaiement nous approchons : déjà son avant-mur de nos pieds nous touchons. 3. Nous allons pénétrer dans sa paisible enceinte ; vers sa porte, en chantant, nous avançons sans crainte. Comme des citoyens nous y serons reçus ; car nous portons sur nous le beau nom de Jésus. 4. Hâtons-nous ! Voyageur ! Que rien ne nous arrête ! Le Seigneur, en ses murs, notre repos apprête. Encore quelques moments supportons nos fardeaux : sur son seuil, pour toujours, cesseront nos travaux. 5. Bien-aimés ! Quel moment ! Oh quel bonheur suprême ! Notre Roi glorieux nous recevra lui-même. Il sort : il vient à nous : il est déjà tout près : à le suivre aussitôt, ah ! Qu'il nous trouve prêts !
35. 1. Oui, mon cœur est chagrin, mon âme est attristée : le nom de Jésus-Christ partout est blasphémé. Son grand amour, sa grâce est rejetée : par les méchants son peuple est opprimé. 2. Le deuil est en Sion ; elle a perdu sa joie. L'idole est dans les mains du sacrificateur ; et chacun suit la ténébreuse voie, et fait le mal qui déplaît au Seigneur. 3. Hélas ! De leurs bergers les brebis sont laissées ! Leurs chiens restent muets, ou dorment avec eux : et des bercails les cloisons renversées laissent entrer mille loups furieux. 4. Pleurez, Enfants de Dieu, versez d'amères larmes : le temple est profané par les incirconcis. Ces cœurs impurs, étrangers à ses charmes, du Saint des Saints ont souillé le parvis. 5. Seigneur ! N'as-tu pas vu leur insolente audace ? Seigneur ! N'entends-tu pas
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les cris de tes élus ? Ah ! Bon Berger ! Ne cache plus ta face : de tes troupeaux ne te souvient-il plus ? 6. Jésus est le Seigneur ; il est le Roi de gloire : ce n'est que pour un jour que fleurit le méchant. Juste ! Chantez des hymnes de victoire : votre Sauveur est le Dieu Tout-Puissant.
36. 1. Vous qui gardez les murs de la Sainte Cité, Sentinelles de Dieu, qui veillez à ses portes ! Ceignez-vous de vérité, de valeur, de fermeté : Que vos yeux soient perçants, et que vos voix soient fortes ! 2. Voyez-vous l'ennemi s'approcher sourdement, et chercher, en larron, à franchir les murailles : criez sur lui hautement, et lui livrez hardiment du Maître des combats les terribles batailles. 3. Refusez tout accès aux conseils factieux des traîtres qui du Roi n'ont pas aimé la gloire. Leurs propos insidieux de desseins ambitieux couvent habilement la trame la plus noire. 4. « De la paix ! Du support ! » vous ont-ils répété. « Attendez ; calmez-vous ; ne frappez pas en face. » Mais, pour qui cette bonté ? Pour qui cette charité ? Pour des serpents remplis de finesse et d'audace ! 5. Ah ! C'est au chef, Soldats que vous appartenez. C'est lui qui vous ceignit du redoutable glaive, de vos trompettes sonnez : à ces méchants mutinés résistez vaillamment, et refusez la trêve. 6. Ministres de Jésus ! C'est là votre devoir : vous, de sa vérité gardiens dépositaires, enseignez avec savoir ; reprenez avec pouvoir ; et défendez Sion contre les mercenaires. 7. Messagers du salut en ce terrestre lieu, publiez vaillamment le sacré Témoignage. Ne craignant que votre Dieu, de le servir faisant vœu, affrontez les erreurs, et méprisez l'outrage. 8. Le monde contre vous sa fureur répandra. Soutenez ses assauts : c'est Jésus qui l'ordonne. Le moqueur vous maudira ; le méchant vous frappera ; mais le Seigneur vous garde et tient votre couronne.
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« Toi, fils de l'homme, ne les crains point et ne soit pas effrayé de leurs paroles, quoique des gens revêches et épineux soient avec toi, et que tu sois avec des scorpions »
Méditation Recueillez jusqu'aux miettes !
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n'y a rien de petit pour un véritable amour ; et celui qui dit « ce n'est que peu de chose » en parlant de la souffrance qu'il provoque ou du bonheur qu'il supprime, celui-là n'a jamais su comment on aime et il ignore la charité. L
Aussi, les « petites choses » ont toujours été saintes aux yeux de la foi, et ne pas s'en préoccuper, affecter à leur égard le dédain plein de hauteur des sages du siècle, c'est se condamner à demeurer foncièrement vulgaire et rester étranger à toute délicatesse. Les petites choses sont un trésor caché, que la perspicacité surnaturelle nous aide à découvrir dans le champ du père de famille ; les petites choses sont toute notre vie, qui s'égrène sous nos doigts en instants minuscules ; les petites choses sont tout notre courage, que notre vouloir découpe en action fugitives ; les petites choses sont les gouttes de la grâce divine, les parcelles du saint sacrifice, la veilleuse du sanctuaire, la clochette de l'autel, et les volutes silencieuses de l'encens qui parfume. Ne laissez rien perdre de ce que le Christ a sanctifié ; la seule chose grande, c'est la moisson faite de petites gerbes, et c'est la gerbe faite de petits chaumes, et l'épi qui rassemble et qui serre les petits grains du blé donnés par Dieu.
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Mais si le soin des petites choses est nécessaire, encore faut-il comprendre de quel esprit s'anime cette sollicitude et pourquoi il est bon de glaner sur les sillons fauchés. Est-ce une corvée qu'il m'impose ? Est-ce avant tout un grand devoir pénible ? Suis-je comme un tâcheron, auquel on demandera des comptes et qui ne se préoccupe de rien, sinon de préparer sa contenance et ses réponses pour cette heure décisive ? Est-ce seulement par une sorte de fidélité méticuleuse, par une espèce de scrupule tatillon, que je dois m'astreindre à finir toutes mes tâches et à bannir toute négligence ? Pendant tout le jour je travaillerai, me surveillant sans cesse, exécutant point par point mon programme, contrôlant, confrontant, comparant, pour être sûr que rien ne m'échappe, et à force de vouloir bien faire je ne pourrai presque plus songer qu'à ma besogne, et je deviendrai régulier et passif comme un rouage mécanique, et je ne connaîtrai d'autre joie que celle de me dire chaque soir : tout est en place, tout est compté, tout est vérifié, je vais dormir sur l'oreiller de mon exactitude. Le soin des petites choses ne serait-il qu'une consigne d'exactitude ? Non, il faut aller plus loin : le soin des petites choses est un hommage de fidélité et comme la satisfaction d'un grand besoin d'amour. Nous ne sommes jamais loin de lui ! Nous n'avons pas à travailler sous ses yeux, car il n'est pas un spectateur — il est collaborateur et ami. Avant d'avoir des exigences, il a des prévenances, et l'exactitude à faire son vouloir n'est que la fidélité docile à correspondre à son inspiration. Aussi, comme elles me deviennent savoureuses ces petites choses, ô mon Dieu Rédempteur, vous qui m'aimez tel que je suis. Rien en moi ne vous est donc indifférent, et c'est pour cela que tout est important, que tout doit être sanctifié, que tout est une réponse et un hommage. Nous allons travailler ensemble à me faire tel que vous me souhaitez. Christ s'intéresse à la façon dont je marche ; et quand mon allure se précipite plus que de raison ou s'alanguit plus qu'il ne convient, il en souffre comme on souffre d'un défaut chez celui qu'on aime. Il s'intéresse à mon maintien, à mes gestes ; et quand je les exagère, quand je les multiplie, quand je les fais désordonnés ou simplement légers, il s'en attriste puisqu'il me demande de les garder toujours modestes et simples. Il s'intéresse à l'expression de ma physionomie et à l'accent de ma voix : lorsque celle-ci s'élève, lorsqu'elle se gonfle d'un
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flot de colère, quand elle grince avec irritation ou humeur, quand elle se traîne avec laisser-aller et sans vigueur, il en souffre comme on souffre d'un manque de manière, d'une rusticité plus ou moins consentie chez ceux qu'on aime et dans lesquels on désire se mirer. Il s'intéresse à tout, puisque rien n'est indifférent par rapport à son vouloir, et le papier que j'emploie pour écrire, et les mots que mon esprit dicte à ma plume, et tout jusqu'aux taches de mes habits et aux détails de ma toilette, jusqu'à la promptitude de mes regards et au pli de mes lèvres, tout est noté par lui, pour être approuvé ou regretté par son amour. Et c'est ce que je dois comprendre pour saisir ce qu'est vraiment le soin des petites choses. Tous ces détails minuscules ne sont pas une sorte de menue monnaie dont je paierais des gloires futures et des récompenses éternelles ; ils sont d'abord et avant tout des exigences de sa part — et si bienveillantes, — des réponses et des hommages, que je puis et dois lui offrir. Rien n'est petit pour un grand amour, et si je crois à l'amour de mon Dieu, si je me persuade que cet amour est total, qu'il me prend comme je suis et prétend me transformer en entier ; si j'arrive à me convaincre que les minuties n'existent pas mais seulement les preuves de fidélité délicate, je pourrai éviter tout à la fois et la pusillanimité, qui se rétrécit et qui s'absorbe sur elle-même, et la fausse largeur d'esprit, qui dédaigne de recueillir les parcelles du don divin qu'est notre vie, les miettes de la nourriture céleste qu'est la grâce du Christ. Mon Dieu, donnez-moi ce qui me manque. J'oscille perpétuellement entre l'étroitesse méticuleuse et craintive, et la négligence nonchalante et rêveuse. Vous seul pouvez m'établir dans la vérité, qui est la justice, et qui mettant chaque chose à son rang et chaque être à sa place, éclairant tout des vraies lumières, rétablit l'ordre dans les âmes et l'harmonie dans les efforts. Je connais ce remords douloureux de vous avoir manqué dans ce qu'on appelle les petites choses. Je sais par expérience qu'il y a entre nous comme des conventions saintes et muettes, dont personne n'a jamais rien deviné, et qui m'imposent suavement des délicatesses à votre égard, des prévenances de fidélité, et comme une noblesse fière et filiale dans l'accomplissement de tous mes devoirs qui sont vos désirs. Quand on m'encourage ou me console, après mes défaillances, même fugitives, en me disant que « ce n'est rien ou pas grand-chose », Seigneur, vous savez que ces mots triviaux, ces expressions banales, me font souffrir comme une marque au fer chaud. Je connais trop votre amour pour mesurer ce que je vous dois,
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pour faire ma part dans l'holocauste et ne pas désirer votre règne absolu. Guidez-moi et faites-moi comprendre que vous n'exigez rien, de loin, comme une lourde tâche, mais que vous sollicitez de près les âmes qui sont vôtres — et elles le sont toutes par vocation. — Travaillons ensemble ; ma misère m'en deviendra douce et féconde et n'ayant rien à moi, je serai tout à vous.
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Prières à la gloire de l'Éternel
37. 1. Oh ! Qu'aujourd'hui le peuple élu me voit devant Jésus éclater en transports ! Oui, que mon cœur plein d'une vive joie, aux champs des Saints unisse son accord ! 2. C'est pour ton Nom, Jésus ! Qu'un monde impie sur tes enfants déchaîne son courroux : mais sur les tiens que peut cette furie, puisque ta main en repousse les coups ! 3. Ils ont juré, dans leur mortelle haine, de renverser ceux qui suivent ta Loi : mais tous les traits de leur rage hautaine se briseront au rocher de la Foi. 4. Qu'ont-ils acquis par leurs fières menaces ? De leurs complots qu'ils montrent le succès ! Ah ! Leur dépit, la honte de leurs faces, sont le vil gain de leurs méchants projets. 5. Non, de Jésus, de son saint Évangile, jamais l'enfer ne pourra triompher : ô Vérité ! Ta voix forte et tranquille s'élève aux cieux : qui viendra l'étouffer ? 6. Sois donc confus, ô Monde téméraire ! Devant le Christ abaisse ton orgueil. Tu peux voguer sur l'eau de ta gloire ; mais de la Croix crains le terrible écueil.
38. l. Ah ! Prends pitié de nous, Seigneur ! Viens soulager notre misère. Dans son angoisse notre cœur vers toi regarde, ô notre Père ! 2. Vois, ô Grand Dieu ! Dans quels mépris tes Bien-Aimés sont en ce monde ! Ils ont à toi poussé leurs cris : que du ciel ta voix leur réponde ! 3. Contre tes Saints, tes chers enfants, de tous côtés frémit la haine. Montre, Seigneur ! À ces méchants, que contre toi leur rage est vaine. 4. De l'innocent leurs noirs desseins en secret cherchent la détresse : tu le sauveras
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de leurs mains, et tu confondras leur finesse. 5. Sur la chair et son vain pouvoir le cœur de l'orgueilleux se fonde : en toi, Seigneur ! Est notre espoir. En toi notre paix est profonde. 6. Oui, nos yeux sont tournés vers toi. Ta promesse est notre assurance : oui, de ce monde notre foi triomphera par ta puissance.
39. L'Église est consolée dans ses épreuves. 1. Israël et Judas n'ont pas perdu leur Dieu, quoiqu'ils soient méprisés en ce terrestre lieu ! Leur gloire est assurée, et leur fut préparée avant que le Seigneur eût fondé l'univers sur l'abîme des mers. 2. Ce rempart de Judas, ce rocher d'Israël, c'est Dieu Tout-Puissant, le Dieu Fort, Éternel. Il est aussi leur Père, et leur Roi débonnaire, leur fidèle Gardien, leur puissant rédempteur, et leur consolateur. 3. Contre lui, Nations ! Venez vous réunir ! Venez avec fierté la lutte soutenir : et sa fureur terrible, et sa force invincible, détruiront sans retour, par de prompts jugements, vos projets insolents. 4. Mais nous, son cher troupeau, nous paissons sous ses yeux, habitant sans frayeur ses parcs délicieux. Dans leurs gras pâturages, et sous leurs frais ombrages, nous vivons en repos, sans craindre les méchants, ni leurs vains hurlements. 5. L'Éternel est pour nous ; il est notre bon Roi. Nous ses heureux sujets, nous marchons sous sa Loi. Lui-même est notre guide : d'un ennemi perfide il saura démêler et dissiper soudain le sinistre dessein. 6. Combien de fois déjà n'avons-nous pas connu que notre droit, Seigneur ! Est par toi maintenu ; et qu'en notre détresse, s'accomplit ta promesse de montrer pour les tiens, en leur calamité, toute ta majesté ! 7. Aux jours où tu punis, si quelque oppression visite, de ta part, notre rébellion, bientôt ta délivrance se fait avec puissance ; et dès que jusqu'à toi s'élève notre cri, tu réponds : « Me voici. » 8. Quelle est donc notre paix, ô Dieu, notre Sauveur qui pourrait alarmer ou troubler notre cœur ? Puisqu'il a son refuge en toi, Monarque et Juge du ciel et de l'enfer, du monde et des humains, ouvrage de tes mains !
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40. 1. Prince de paix, Roi de justice, sous ton sceptre fléchis nos cœurs. Qu'en ta paix il les affermisse, loin des dangers et des erreurs. 2. Dans ton royaume, avec puissance, nous sommes gardés par tes lois ; et nous marchons en assurance sous la bannière de la Croix. 3. Du haut de ton trône de grâce, sur ton peuple chaque matin, tu mets le regard de ta face, et tu prépares son chemin. 4. Par ta Parole, ô Fils du Père ! Que nos ennemis soient défaits ! Ne permets pas que l'Adversaire domine encore sur tes sujets. 5. Des saints trésors de tes richesses répands sur nous de nouveaux biens ; et que tes royales largesses couvrent d'honneur chacun des tiens ! 6. Sur la mort remportant victoire, tu vas venir au dernier jour, et dans ta lumière et ta gloire en nous accomplir ton amour.
41. 1. Ô Jésus-Christ ! Ta chère Église n'est pas orpheline ici-bas ; et si le monde la méprise, ton cœur ne la délaisse pas. 2. Dans tous les lieux de cette terre, tu vois et gardes tes brebis ; et sous tes yeux, comme un bon père, avec amour tu les conduis. 3. C'est ton esprit qui leur envoie, pour les nourrir, tes Serviteurs, et qui leur aplanit la voie où tu répands mille douceurs. 4. Dans le désert tu les abreuves ; tu leur prépares du repos ; tu les soutiens dans leurs épreuves ; tu les guéris de tous leurs maux. 5. Si quelque danger se présente, ta force est leur ferme rempart ; et ta promesse consolante de leur cœur est la bonne part. 6. Oh ! Quelle paix, Berger fidèle ! Que celle dont nous jouissons ! Ainsi vers la gloire éternelle en sûreté nous avançons.
42. 1. Ah quel amour nous a montré le Père, que nous soyons appelés ses enfants ! C'est pour cela qu'on nous voit sur la terre si méconnue du monde et des méchants. Mais, cher Sauveur ! Ton disciple préfère ce déshonneur aux noms les plus brillants.
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2. C'est vainement que la folle sagesse veut obscurcir, ô Dieu ! Ta Vérité. Son grand savoir n'est qu'erreur et faiblesse, non, ni vertu, ni force, ni noblesse, hors de Jésus n'a de solidité. 3. Mais, nous Chrétiens, nous possédons la vie : la vanité sur nous ne règne plus. Avant les temps, dans sa grâce infinie, pour nous sauver Dieu nous avait élus ; et sa bonté pour nous fut accomplie, quand sur la croix il nous donna Jésus. 4. Ainsi fondé sur sa toute-puissance, nous attendons son règne glorieux ; car c'est de Lui que toute délivrance sur ces enfants se montrera des cieux ; et vaillamment, tout remplis d'espérance, nous entonnons des chants victorieux. 5. Quoi qu'il en soit, Jésus ! Ta chère Église sera toujours l'objet de ta faveur. À ton pouvoir, joyeusement soumise, elle te suit dans une sainte ardeur. Tu lui donnas en tout temps pour devise : « Nous triompherons en notre Dieu-Sauveur. » 6. Ô Fils de Dieu ! Ta terrible victoire sur les moqueurs bientôt s'accomplira. Devant leurs yeux resplendira ta gloire, et leur orgueil aussitôt tombera. En ce jour-là périra leur mémoire, et tout méchant de frayeur tremblera. 7. Dieu se rira de leur rage éphémère ; déjà leurs pieds dans leurs rets se sont pris. Devant leurs pas ils ont creusé la terre, et de leurs mains leurs liens sont ourdis. Oh ! Qui pourra soutenir ta colère, quand pour juger, ô Dieu ! Viendra ton Fils? Ne crains point, Sion ! Que tes mains ne soient point défaillantes. L'Éternel ton Dieu est au milieu de toi ; le Puissant te délivrera ; il se réjouira à cause de toi avec allégresse.
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TROISIÈME PARTIE
Méditations et prières Profession de la Foi. Les chrétiens sont en communion entre eux
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« Christ est la fin de la Loi, en justice pour tout croyant. Si tu confesses le Seigneur Jésus de ta bouche, et qu'en ton cœur tu crois que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé ; car l'Ecriture dit : Quiconque croit en lui, ne sera point confus. »
Méditation Leur imposant les mains à chacun
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les a guéris jadis par ce geste de bienveillance et de miséricorde souveraine, il les a guéris tous ceux qui l'imploraient à voix haute et ceux qui le regardaient sans mot dire, ceux qui venaient d'euxmêmes se ranger sur son passage et ceux qu'on lui amenait de loin, sur des civières et des grabats, perclus d'infirmités ou rongés d'implacables langueurs ; tous ceux qui n'avaient d'autre titre à son amour que leurs besoins et leurs misères. L
Pour chacun d'eux il a eu une attention spéciale, pour chacun d'eux il a renouvelé son geste de bénédiction. Ses gestes sont des évangiles ; ses attitudes sont des leçons éternelles ; ce qu'il a fait autrefois, il ne cesse pas de le refaire, et sa mission rédemptrice se continue invisible et mystérieuse dans le secret des âmes. Il passe encore parmi nous, il passe au milieu des hommes malades, languissants et paralytiques ; il passe leur imposant les mains ; à chacun. Jamais je ne l'ai bien compris ce geste du divin amour, et pourtant il marque le commencement de la vie intérieure consciente et ferme, il marque l'éveil de l'âme à la dévotion personnelle et intime. C'est sous les mains du Christ que tout doit renaître : comme c'est dans ses mains de Sauveur que tout doit se consigner en mourant.
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Il faut comprendre qu'il s'est arrêté devant moi, devant moi seul, qu'il s'est occupé de ma seule misère et que c'est bien sur ma tête qu'il a posé ses mains divines. Tant qu'on se considère comme perdu dans une foule de fidèles anonymes, tant qu'on s'imagine que les paroles du Christ sont des mots lancés indéfiniment à un auditoire de rencontre ; tant qu'on pense que ses promesses, destinées à tous, ne sont appliquées à personne en particulier, tant que la religion reste une tâche collective et vague, c'est que l'âme chrétienne dort encore. Par la grâce de celui « qui n'a jamais endurci le cœur de personne », un jour, la lumière se fait, soudaine et progressive ; une expérience mystérieuse et sentie nous avertit que c'est à nous personnellement que Dieu s'adresse. On perçoit comme son approche ; on sent que deux yeux tout-puissants se posent sur nos yeux ; qu'un geste qui ne concerne que nous, nous invite à l'attention ; il vient, et je suis le terme, le but de cette venue ; il marche, et c'est vers moi qu'il se dirige, il m'a distingué dans la foule, il m'a reconnu, et toute mon âme en éprouve comme un effroi suave et purifiant, fait de désir, d'élan, de crainte et de souffrance. Celui qui vient vers moi, c'est celui que personne ne peut regarder sans mourir, et c'est aussi celui qui donne la vie et qui ressuscite dans la joie jusqu'aux habitants des tombeaux. Quand l'évêque consécrateur impose les mains au nouveau prêtre, à ce simple contact celui-ci comprend bien que tout vient de changer pour lui. Une vocation spéciale l'a saisi, qui ne le laissera plus libre de disposer de lui-même à sa guise et qui marquera comme d'un sceau invisible toutes ses actions et tous ses désirs. Toit en lui doit devenir sacerdotal. Ô mon Christ, quand donc arriverai-je à comprendre que c'est bien à moi que vous en avez, quand donc saurai-je pratiquement que nous avons une grande affaire à traiter à nous deux et quand pourrai-je estimer, comme il convient, et aimer, comme il faut, le geste de vos deux mains divines sur ma tête de disciple docile et consacré ? Tout en moi doit devenir chrétien. Je ne suis pas un parmi des milliers ; il n'y a pas de « milliers » ; il n'y a que vous et moi, car c'est en vous et par vous, et non à côté de vous et en dépit de vous, que je dois voir mon prochain. Les paroles que vous prononcez, les encouragements discrets, les remerciements murmurés à voix basse, tout cela c'est pour moi, comme les reproches amicaux et les avertissements attristés. C'est mon tour... et vous êtes tout à moi, et parce que vos
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perfections sont sans déclin, ce que vous êtes pour moi vous le restez toujours, et ma vie entière doit se passer sous vos mains bénissantes... C'est toujours « mon tour », car vous n'abandonnez pas vos tâches, et votre Esprit sanctificateur ne doit pas se reprendre à plusieurs fois pour achever son œuvre. Que je les sente donc posées sur moi, vos mains divines, que je demeure devant vous à jamais et que disparaisse, par votre grâce, cette brume d'irréalité, cette vapeur de convention et de mirage, qui pendant si longtemps m'a empêché de vous voir près de moi, et m'a fait penser que vous ne vous intéressiez à moi qu'en général, avec tous les autres et comme en bloc... Consacrez-moi à votre service : votre regard abaissé sur mon front qui s'incline, votre regard ferait encore crouler mes idoles, et je ne pourrais plus garder dans mon âme tous mes désirs louches et tenaces, tout ce qui m'empêche de vous appartenir vraiment et qui gêne en moi votre action sainte. J'ai foi en votre grâce toute-puissante et que par vous je puis être rendu digne de vous. Seigneur, oui, comme à un malade, à un malade languissant et qui, dans son sommeil lourd et douloureux, ne parvient pas lui-même à savoir de quoi il souffre ni de quel danger il faut qu'on le délivre. Je suis devant vous comme un paralytique, moi toujours si lent à vous suivre et qui n'ose plus penser à tous mes lâches atermoiements ; depuis longtemps j'aurais dû me ranger — me faire porter — sur votre passage, sur les chemins pacifiques où on vous rencontre, et solliciter de vous seul la fin de tous mes maux intimes, de ces misères inconnues à tous les hommes et dont vous seul, mieux que moi-même, avez pénétré les secrets. Guérissez-moi par votre contact divin, par l'imposition de ces mains rédemptrices, de ces mains qui tiennent le ciel et la terre, qui gardent invisibles les clefs de l'enfer et du royaume, guérissez-moi de mes timidités et de mes somnolences, de mes accès de brusquerie et de mes lubies dangereuses, de mes impulsions irréfléchies et de mes recherches calculées : oui, guérissez-moi, vous qui pouvez tout et dont la bonté ne se refusa jamais à aucune indigence. C'est mon tour, je suis un des vôtres, un de ceux que vous êtes venu chercher, et j'ai besoin d'être purifié et sanctifié jusqu'au jour où vous serez ma sainteté et ma justice, jusqu'au jour où la vertu de votre geste rédempteur sera complète en moi et où l'éternité scellera mon abandon fidèle à vos vouloirs.
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En attendant cette révélation de votre gloire, laissez-moi, ô mon Dieu, vous regardez, laissez-moi voir que vous me regardez.
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Prières à la gloire de l'Éternel
43. 1. Lorsque les temps auront fini leurs cours, lorsque les choses corruptibles auront fait place aux invisibles, avec son Dieu Sion sera toujours. 2. Déjà les Saints rassemblés dans les cieux, brillants de gloire et de lumière, n'ont plus de maux, plus de misère, et tous les pleurs sont taris de leurs yeux. 3. Oh ! Quelle paix ! Oh ! Quel parfait bonheur ! Ravis d'amour et d'allégresse, du Père ils sentent ta tendresse, et, tel qu'il est, contemplent le Sauveur ! 4. C'est pour toujours que ce troupeau béni de son Rédempteur a la vue. Pour toujours la mort est vaincue, et pour toujours tout combat est fini. 5. Dans ce bonheur nous serons avec eux : il est aussi notre partage. Notre âme attend cet héritage ; car son repos n'est pas en ces bas lieux. 6. Poursuit, Chrétien ! Poursuis donc tes travaux. Bien près de toi tu vois leur terme. En Jésus ton salut est ferme : Bientôt en lui cesseront tous tes maux.
44. l. Au séjour bienheureux de la gloire invisible, nos frères, affranchis de la corruption, attendant de leurs corps la sûre adoption, jouissent près de Dieu d'une joie indicible. 2. Vivantes en Jésus, de l'éternelle vie, nos âmes de l'Esprit ont l'immuable sceau : quand notre chair descend dans le sombre tombeau, cette onction de Dieu ne nous est pas ravie. 3. Abraham est vivant, ainsi que tous les Pères. Le Dieu qu'il a servi des morts n'est pas le Dieu. Aussi, c'est dans son sein qu'en quittant ce bas lieu, Lazare consolé voit finir ses misères. 4. Parlant avec Jésus, sur la montagne sainte, Moïse avec Élie apparaît des hauts cieux : de leur félicité quel moment glorieux ! De l'amour éternel quelle vivante
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étreinte ! 5. C'est dans ce même amour, que, sous l'autel céleste, les âmes des élus attendent le Seigneur ; jusqu'au jour où son bras, tout puissant et vengeur, de son troupeau sauvé, rassemblera le reste. 6. Nous te sommes aussi, Jésus ! Dès cette terre, unis par un lien qui ne se rompra pas. Quelques moments encore, quelques jours ici-bas, et nos yeux te verront dans la pure lumière. Il est ordonné aux hommes de mourir une fois ; et après cela le Jugement.
45. 1. Dans le séjour de la lumière, ton Église, ô notre Sauveur ! Sous le regard de Dieu, ton Père, sera toujours en ton bonheur. Alors les maux, le deuil, les larmes, pour tes enfants ne seront plus ; du ciel les indicibles charmes seront la part de tes élus. 2. Dans le repos, alors leurs âmes, en ce sublime et beau séjour, brûleront des célestes flammes d'un tendre et glorieux amour. À toi, Seigneur ! Rendus semblables, sur eux ton image ils verront, et des délices ineffables en cette image ils trouveront. 3. De tous tes dons la plénitude de ton bonheur les comblera, et leur sainte béatitude jamais de fin ne trouvera. Non, jamais ne viendra le terme de leur pure félicité : toujours la base en sera ferme en ton immense charité. 4. Quelques moments sur cette terre, encore, ô Dieu ! Nous pas!serons, et dans ton riche sanctuaire nous, tes enfants, nous!entrerons, nous te verrons, ô notre Père ! Ô notre Roi ! Notre!Sauveur ! Et de ta sublime lumière tu rempliras notre heureux!cœur. 5. Oh ! Qu'il nous tarde en ta présence de paraître ainsi dans ton ciel ! Oh ! Qu'est douce en nous l'espérance de voir ta face, Emmanuel ! Bientôt nous saisirons ta vie : bientôt dans ton sein, pour toujours, de tes biens notre âme ravie verra l'intarissable cours. 6. Ah ! Que ta vivante Parole nous affermisse en cet espoir ; et que ton Esprit nous console si quelque peine se fait voir ! Oui, de ta main douce et puissante, viens, Bien-Aimé ! Nous soutenir ; et de ta lumière éclatante la joie en nous fait parvenir !
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46. Chant des Chrétiens dans le ciel. 1. Quel est ce chant nouveau qui retentit aux cieux ? — C'est le chant des élus, des enfants de lumière, qui célèbrent en chœur de l'Éternel leur Père le règne glorieux. 2. À l'honneur de l'Agneau, qui les a rachetés, ils font de leur amour éclater l'allégresse ; et du grand Roi des rois leurs cantiques, sans cesse, racontent les bontés. 3. « Saints des Saints, » disent-ils, « Éternel Créateur ! Dans tes profonds décrets, ta faveur immuable nous avait destinés à ta Grâce ineffable, en notre Rédempteur. 4. « Tu nous aimais déjà, quand ta puissante main n'avait encore formé ni les cieux, ni la terre. Déjà ton Fils, ô Dieu ! Se faisait notre frère, notre chef souverain. 5. « Ce fut pour nous, pécheurs, Fils de Dieu ! Jésus-Christ que tu pris notre chair, et qu'en notre nature, ton âme tu soumis à l'horrible torture de la mort d'un maudit. 6. « Maintenant pour toujours avec toi nous serons. Sur l'enfer et la mort nous chantons ta victoire. Avec toi, dans ta paix, et vêtus de ta gloire, toujours nous régnerons. » Chant des chrétiens sur la terre. 7. À ces accents du ciel joignant nos saints transports, par l'Esprit de Jésus célébrons ses louanges ; et dans notre humble foi, des élus et des anges essayons les accords. 8. Voici le jour brillant où le céleste Époux donnera le festin de son doux mariage. Il va nous appeler à son riche héritage : car son ciel est pour nous. 9. La nuit s'écoule : il vient. Nous entendons sa voix. Vierges sages ! Veillez : tenez vos lampes prêtes. Venez goûter des cieux les délices parfaits, et posez votre croix. 10. Dans l'amour de Jésus, toute l'éternité ! Toujours auprès de!lui, dans la céleste vie ! Dans le ravissement et la gloire infinie!... Quelle félicité ! 11. La vois-tu commencer à quelques pas de toi ? Chrétien ! Étends ta main et prends cette couronne que ton Dieu, ton Sauveur, te présente, et qu'il donne à ta constante foi !
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12. Ô monde ! Laisse-nous, car le ciel nous attend. Nous allons pénétrer dans le vrai sanctuaire et pour toujours saisir de Dieu notre bon père le salut éclatant.
47. Les Chrétiens sont en communion entre eux. 1. Ah ! Qu'il est beau de voir des frères d'un même amour unis entre eux ! Esprits de Dieu ! Tu les éclaires, tu les embrases de tes feux. Leurs chants pieux et leurs prières comme un encens montent aux cieux. 2. Ô Rédempteur ! En ta présence, dans ta sainte communion, ils savourent la jouissance d'une céleste affection. Aussi leurs cœurs en assurance t'offrent leur adoration. 3. Dans tous les lieux la même vie anime tous tes rachetés. Partout leur âme est réjouie de tes douces gratuités. Oui, ton Église est enrichie de tes magnifiques bontés. 4. Ainsi, partout, de ta famille tu nourris les nombreux enfants, sur ta moisson ton soleil brille ; tu la couperas en son temps. Déjà ta main tient la faucille, et tu t'approches de tes champs. 5. Ô Tout-Puissant ! Sous ta lumière fais-nous donc croître sans retard ! Que tes épis couvrent la terre, et soient mûris sous ton regard ; puis viens, et que ta main nous serre aux greniers qui sont notre part. 6. Apprends-nous donc, Dieu charitable ! À nous aimer sincèrement. Nous recevons tous à ta table un même et céleste aliment. Ah qu'un sentiment véritable nous unisse en toi tendrement ! Qu’ayant un même cœur, d'une même bouche, vous glorifiez Dieu, qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ !
48. Exercice de l'amour. 1. Quand aux langues des cieux ma voix joindrait encore tout le langage humain, si je n'ai pas l'amour, je suis l'airain sonore qui retentit en vain. Quand mon profond esprit sonderait tout mystère et toute vérité, si je n'ai pas l'amour, ma science est légère, et n'est que vanité.
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2. Quand ma puissante foi, se jouant des obstacles, les monts transporterait, si je manquais d'amour, l'éclat de ces miracles à rien se réduirait. Quand je joindrais ma mort, pour soulager mes frères au don de tout mon bien, si je n'ai pas l'amour, ces extrêmes misères ne serviraient de rien. 3. L'amour est patient ; il est sans insolence : il est doux et clément ; il n'est point envieux, il n'a point d'arrogance, il s'estime humblement. De son propre intérêt il fait s'aigrir : la vérité lui plaît, et jamais l'injustice ne le peut réjouir. 4. L'amour aime le bien. Il endure et pardonne le tort qu'il a reçu. Il espère et croit tout, et jamais ne soupçonne le mal qu'il n'a pas vu. L'amour ne peut périr : la bouche du prophète un jour se fermera ; les langues cesseront ; la science imparfaite en son temps cessera. 5. Car des choses de Dieu notre plus grande étude s'arrête aux rudiments. Bientôt succédera toute la plénitude à ce peu d'éléments. Quand j'étais un enfant, ma craintive prudence jugeait comme un enfant, mes ans se sont accrus ; et j'agis, et je pense en homme, maintenant. 6. Dieu ne nous donne encore qu'une lumière sombre : tout est encore confus. Bientôt sa vérité sous ce voile et cette ombre ne se cachera plus. Alors nous verrons Dieu tel qu'il est : face à face nous le contemplerons ; et, comme il nous connut, alors toute sa Grâce aussi nous connaîtrons. 7. Or, si pour nous la Foi, l'Amour et l'Espérance demeurent maintenant, de ces célestes dons, l'un a plus d'excellence : l'amour est le plus grand. Seigneur ! C'est donc l'amour que demande notre âme. Répands-le dans nos cœurs : allume, excite en nous son éternelle flamme et ses saintes ardeurs. Je te prie, interroge les bêtes, et chacune d'elles t'enseignera ; ou les oiseaux des cieux, et ils te le déclareront ; ou parle à la terre, et elle t'instruira ; même les poissons des eaux te le raconteront : qui ne sait de toutes ces choses, que c'est la main de Dieu qui les a faites ?
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« Si notre Évangile est voilé, il est voilé pour ceux qui périssent ; pour les incrédules, dont le dieu de ce siècle a aveuglé l'entendement, afin que l'éclat de l'Evangile de la gloire de Christ, qui est l'image de Dieu, ne leur resplendit point. »
Méditation Pendant qu'il n'en sait rien
S
EIGNEUR,
je me suis souvent préoccupé de ce que je valais à vos yeux ; je me suis inquiété du progrès de mes vertus ; je me suis demandé anxieusement si j'avançais et de quel pas, si je reculais et de combien, si je piétinais sur place, et depuis quand. Et j'ai encombré mon âme de beaucoup de soucis inutiles, et la paix sereine de la foi agissante a fui par mille cassures invisibles.
Je voudrais que vous m'appreniez comment on peut garder le soin perpétuel de ne rien laisser perdre de votre don, sans cependant fatiguer son âme d'un souci maladroit et humain, sans introduire dans le cénacle intime un désir maladif et bruyant, un hôte fâcheux, qui se plaint ou qui s'épouvante, qui importune et qui énerve. Entre la nonchalance qui s'accommode de tout, même du médiocre ou du mauvais, et l'anxiété trop humaine, qui veut chaque jour des constatations certaines et des résultats palpables : entre l'insouciance qui se désintéresse du progrès spirituel et la préoccupation, qui s'aborde et se ruine à en dénombrer les indices, que votre sagesse sobre et vigoureuse me guide par les chemins de la paix et de la lumière. Le royaume des cieux est semblable à une graine qui pousse dans le champ où par hasard un jour un passant la jeta. Celui qui l'a jetée semble ne plus en garder de souci. Il se lève et se couche, il va et il
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vient, il sommeille et il mange, laissant la graine et la terre à leur travail patient et mystérieux. Car le sol fructifie de lui-même, et c'est d'abord une herbe verte qui tremble au vent, une tige grêle et frissonnante : et petit à petit, la tige devient un chaume et au bout du chaume se balance un épi, et dans l'épi, on voit enfin se former et grossir les grains drus et savoureux du froment. Et le geste presque fortuit de ce passant de rencontre, qui jeta la semence sur le sol, ce geste aboutit à la moisson et appelle de loin les faucilles. Seigneur, si j'avais plus de confiance dans l'efficacité de votre action surnaturelle, il me semble que ma coopération à votre œuvre en moi serait exempte d'anxiété, et que toute impatience s'évanouirait de mon âme. Qu'il me suffise de rester toujours très près de vous, de collaborer avec votre grâce, et que tout soin superflu soit banni d'une vie, dont vous êtes la force, et dont vous devez être le terme. J'ai cru longtemps qu'il existait des industries naturelles et humaines, capables de suppléer vote grâce ou d'accélérer son action ; j'ai cru qu'en m'ingéniant, en raffinant, en m'excitant, je pourrais faire mieux que vous ne faisiez vous-même et dépasser vos volontés. J'ai cru — c'est toujours la même illusion — que l'œuvre de la sainteté était une entreprise avant d'être une acceptation ; qu'elle était une initiative personnelle avant d'être une réponse déférente ; que c'était à moi à commencer d'abord le grand travail tandis que mon premier acte doit être de vous remercier de l'avoir déjà commencé en moi par votre grâce, prévenant tous mes vouloirs. Et ce que vous avez fait en moi, vous continuez de le faire. Père de famille, c'est vous qui thésaurisez pour moi des fortunes célestes ; c'est vous qui gardez mes mérites, puisque c'est par vous et en vous que je les acquiers. Ce que je suis, je n'en sais rien ; ce que je veux, vous le voyez ; mais un désir me reste, un désir que votre grâce m'empêche d'abdiquer et qui s'augmente chaque jour de toute l'expérience de ma misère : le désir de vous aimer toujours plus comme Sauveur ; le désir de ne rien posséder en propre — surtout pas mes vertus — et de vous voir en tout ce que je suis, en tout ce que je fais, parce que vous seul pouvez me rendre supportable à moi-même et empêcher que mes vertus me dégoûtent. Je les aimerai parce que j'y retrouverai vos reliques, votre œuvre, votre amour, vos vestiges. Je les aimerai parce que vous les avez semées en moi, et parce qu'étant graines divines, elles ont rencontré dans mon âme un sol que votre grâce seule pouvait rendre fécond... J'aime toutes ces gerbes d'épis qui sont mes mérites,
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qu'on appelle mes mortifications, mes renoncements, mes vœux, mes prières, mes repentirs et mes espoirs, je les aime parce toutes ces gerbes sont votre moisson et parce qu'elles chantent votre gloire. Et dès lors qu'ai-je besoin de me rassurer en constatant que ces vertus grandissent ! Ne doit-il pas me suffire de donner tout mon effort de docilité, en vous laissant le soin des résultats, en confiant à votre amour l'achèvement de nos tâches, et en remettant à la vision éternelle l'appréciation définitive et la certitude reposante ? Prendre la vertu pour la conscience qu'on en a, ce serait se tromper lourdement, et faire chavirer en toute occasion la paix de l'âme. Il faut savoir lui faire crédit, et veiller seulement à collaborer de son mieux ; il faut songer à lui plus qu'à nous, à sa gloire plus qu'à notre valeur, à ses bienfaits plus qu'à nos mérites, ou mieux encore, puisque nos mérites sont ses bienfaits, puisque notre valeur fait sa gloire, et puisque nous c'est encore lui, il faut considérer ces réalités sous leur aspect divin, avec ses yeux, dans la lumière vraie de leur origine... N'y aurait-il pas dans cette rectitude d'intention une béatitude de dénuement ? N'y aurait-il pas une saveur céleste de pauvreté spirituelle dans cet oubli de soi et cette impuissance de penser à nous et de nous autrement qu'en Dieu et pour Dieu ? Il ne s'agit pas de rester dans l'obscurité, mais bien de se contenter de sa seule lumière, comme la Jérusalem céleste, que sa seule clarté illumine ; il ne s'agit pas d'attendre dans l'oisiveté et de garder ses puissances inertes, mais bien de modérer l'appétit d'indépendance, en soumettant toute notre activité à sa domination et en collaborant avec lui de toutes nos forces. Être disciple entièrement ; n'être plus fidèle : ces deux vieux mots devraient suffire à nous exprimer. Nous ne serons en paix, qu'à l'heure où nous serons ce que nous devons être ; et nous ne devons être que docilité agissante et abandon sans réserve. La paix, sans illusion, sans prestige, sans faux sommeil et sans rêves terrestres, la paix du paradis, que vous me préparez sans que je m'en doute et comme à mon insu — donnez-moi, Seigneur, dans la pureté, la vérité et la justice.
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Prières à la gloire de l'Éternel
49. 1. L'Esprit-Saint dit, humains ! Qu'une haine mortelle chaque jour renouvelle en vos cœurs ses venins ; et que la noire envie, la basse jalousie met le glaive en vos mains. 2. Fils d'Adam ! Comprends-tu, que cet homme est ton frère ; que de ta propre mère, le jour il a reçu ? Et que dans sa misère, il n'est que de poussière comme toi revêtu ? 3. Pourquoi donc, ô mortel ! Contre lui dans ton âme nourris-tu cette flamme et cet horrible fiel ? Pourquoi, dans ta folie, contre ta propre vie te montres-tu cruel ? 4. Ainsi du Créateur la sainte ressemblance, la gloire et la présence, ne sont plus dans ton cœur ! De ton âme déçue la couronne est perdue, et le front sans honneur ! 5. Ô Jésus ! Loin de toi telle est notre nature, telle est notre souillure et de la mort la loi. Hors de toi, VÉRITABLE ! Hors de toi, CHARITABLE ! Satan sur l'homme est roi. 6. Ô Seigneur ! Reproduis en nous la pure image du divin parentage que tu nous as acquis ! De nos cœurs, par ta Grâce, le vieil Adam efface et la haine bannit. 7. Ah ! Lorsque nous marchons dans ta sainte lumière, ton enfant, notre frère, toujours nous chérissons : oui, notre âme est ravie de voir en lui la vie qu'en toi nous possédons.
50. 1. Débonnaire Sauveur ! Aimable et cher modèle de toute charité, de ce pur sentiment, auquel ta loi m'appelle, montre-moi la beauté. 2. Ah ! Combien cet amour est méconnu du monde ! Hélas ! L'homme pécheur est sans compassion, et l'égoïsme abonde en son superbe cœur.
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3. Un frère, sous tes yeux, repousse au loin son frère avec un fier dédain : son œil est méprisant, et sa parole amère est pleine de venin. 4. O Dieu ! Du cœur des tiens arrache cette haine, et cette dureté ! Qu'en ta communion ton esprit les amène à ton humilité ! 5. Accorde-moi ce don. Je le cherche et désire : donne-moi ta douceur ; et qu'en mon cœur soumis, un jour je puisse dire « J'imite mon sauveur. »
51. Adoration de Dieu. 1. Frères ! Approchons-nous ensemble de l'Éternel, notre Sauveur. C'est son nom qui nous rassemble : égayons-nous à son honneur. 2. Loin des vains bruits de cette terre, en repos ici recueillis, dans le céleste sanctuaire par la Foi nous sommes admis. 3. Notre Père, quoique invisible, sur nous tient ses yeux abaissés, et sous sa lumière paisible, devant lui nous sommes placés. 4. Ensemble donc, cherchons sa face, et l'invoquons avec ferveur ; et de son Esprit l'efficace se répandra dans notre cœur. 5. Écoute-nous, ô notre Père ! Prête l'oreille à nos accents : et daigne exaucer la prière qu'en Jésus t'offrent tes enfants.
52. 1. Les œuvres du Très-Haut proclament sa puissance. En charmant les regards elles touchent le cœur ; rien ne peut obscurcir leur sublime grandeur : rien ne peut approcher de leur magnificence. 2. Quel éclat de beauté ! Que d'ordre et d'harmonie ! Sans trouble ni retard, tout marche sans effort. Dans cet ouvrage exquis, dans ce parfait accord, la force à la douceur se trouve réunie. 3. Dieu seul est le Puissant. Il commence ; il achève. Les dessins de son cœur sont cachés et profonds. Ses décrets éternels sont plus hauts que les monts ; et pardessus les cieux sa vérité s'élève. 4. Mais quel cœur, ici-bas, s'y montrera sensible ? Quel homme avec amour adore son Auteur ? Quelle âme y vient chercher son Père et son Sauveur. Et dans ce qui paraît voit le monde invisible ?
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5. Ce n'est que le Chrétien qui jouit de la terre. C'est pour lui seulement que tout est vraiment beau. Il y trouve partout un plaisir tout nouveau ; car partout il y voit l'ouvrage de son Père. 6. Cependant ces guérets et cette belle plaine, ces arbres verdoyants, ces monts et ces coteaux, ces bords délicieux et ces limpides eaux, ne sont que pour un temps, et leur fin est prochaine. 7. Puisque donc tout finit, puisque ce monde passe, puisque le jour présent touche à l'éternité, dégageons notre cœur de cette vanité, et saisissons les biens de la céleste Grâce. 8. Oh ! Quel transport je sens dans mon âme ravie ! Pour moi s'ouvre le ciel, et le monde n'est plus ! Non, je ne puis mourir : j'appartiens à Jésus ! Il est le Dieu des cieux et l'Éternelle vie.
53. 1. Chantons ensemble les louanges de l'Éternel, le Créateur. Que nos voix et celles des anges soient en accord à son honneur ! Que notre cœur, de cette terre, par la Foi, porte jusqu'aux cieux, jusqu'au royaume de lumière, de notre amour l'hymne joyeux ! 2. C'est toi, Seigneur ! Dont la puissance du néant tira l'univers ; ta main, avec magnificence, le remplit d'ouvrages divers. Tu l'arrangeas avec sagesse, tu lui donnas le mouvement, et de ta sublime richesse tu le paras abondamment. 3. Nous sommes aussi ton ouvrage : quand il te plut tu nous formas. De nos corps tu fis l'assemblage, et d'un esprit les animas. À toi donc appartient notre être, car par toi seul nous subsistons : de nos désirs toi seul est maître, et notre cœur nous te devons. 4. Mais c'est Jésus qui par sa Grâce, seul peut à toi nous élever. Nous périssions loin de ta face : en lui seul tu t'es fait trouver. En lui, de l'éternelle vie tu mis pour nous tous les bienfaits : en lui, ta clémence infinie de nouveau pour toi nous a faits. 5. C'est donc par lui que vers ta gloire, ô Dieu ! Nous dirigeons!nos cœurs. C'est en croyant à sa victoire, qui de la mort nous!rend vainqueurs. Ah ! Seigneur ! Avec abondance verse en nous!ton céleste Esprit, et fais-nous croître en l'existence que nous avons en Jésus-Christ !
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54. 1. Étends autour de moi ton sublime silence, ô solitaire lieu ! Viens, Esprit de mon Dieu ! Introduire mon cœur en ta sainte présence. Sanctuaire ! Ouvre-toi : et du ciel, devant moi, fais resplendir l'éclat et la magnificence ! 2. L'homme n'est donc pas seul sur cette obscure terre : l'Éternel est vivant, et son regard répand, même en la sombre nuit, des torrents de lumière. Crains et tremble, ô mortel ! Et, dans ce vaste ciel, vois cet œil qui te suit, qui te presse et t'enserre. 3. Fuis sous l'ombre des bois, dans les plaines désertes ; gravis les plus hauts monts ; descends aux noirs vallons : les oreilles de Dieu partout y sont ouvertes. Il écoute ton cœur, et de sa profondeur les ruses devant lui sont toutes découvertes. 4. Ma vie, à ce penser, du monde est séparée. Ô Jésus ! Ton regard m'enceint de toute part ; de toi, de ta grandeur, mon âme est entourée. Ô terre ! Laisse-moi ! 0 sources de la Foi ! Ouvrez, versez vos eaux sur cette âme altérée ! 5. Tout l'univers, Seigneur ! Se ment devant ta face. Tout le cercle des cieux se déploie à tes yeux, et ta divinité remplit l'immense espace. Oh que suis-je, Éternel ! Moi, fragile mortel ! Et cependant, Jésus ! En mon cœur j'ai ta grâce ! 6. Oui, quand au dernier jour les rocs de ces montagnes ensemble crouleront, quand ces cieux passeront, et quand tes feux ardents brûleront ces campagnes, alors, comme aujourd'hui, j'aurai mon sûr appui dans l'amour dont partout, ô Dieu ! Tu m'accompagnes. Le fruit de l'Esprit est la charité, la Joie, la paix, l'esprit patient, la bénignité, la bonté, la douceur, la modération
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« Que nul ne s'abuse soi-même : si quelqu'un pense être sage en ce siècle, qu'il devienne fou afin qu'il devienne sage. »
Méditation Ainsi donc, nous qui gardons mémoire...
M
âme encore terrestre ignore la sainteté du souvenir. Trop souvent je ne vois en lui qu'un moyen commode de relever la fadeur maussade du présent ou de broder des arabesques délicates sur le fond monotone de l'existence quotidienne. Quand les spectacles que j'ai sous les yeux me vexent ou me fatiguent, je me réfugie dans mes souvenirs et je déroule, comme une consolation ou comme une revanche, devant le regard intérieur, le tableau de ce qui n'est plus. Le souvenir ! Je m'en sers pour jouir ou pour jouer, pour regretter, pour appuyer mes ambitions ; je m'en sers pour étayer mes espoirs ou pour me barricader dans mes défiances pusillanimes ; je m'en sers comme d'une sorte de matière quelconque et plastique, comme d'un déchet vil ou précieux, mais, que je puis exploiter ou pétrir à ma guise, sans devoir rendre compte à personne de l'usage que j'en fais. Je te traite comme s'il ne relevait que de moi et comme s'il ne concernait que moi seul ; je le traite comme le pêcheur traite le poisson de mer, jetant ses filets à droite ou à gauche, en avant ou en arrière, plongeant au hasard dans les immenses réserves de l'océan, iniquement soucieux de s'assurer de fructueuses captures. ON
Et tout cela est bien païen, et cette mainmise hardie sur le trésor de Dieu ressemble à un sacrilège. Est-ce que mon passé comme mon avenir ne lui appartiennent pas ? Est-ce que les souvenirs, tout pénétrés du parfum de sa grâce, tout imprégnés de sa vertu rédemptrice, de cette vertu « qui émane de lui », est-ce que les souvenirs, reliques de sa lumière et de son amour, ne sont pas choses saintes ? Et quand je
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m'en sers pour mon plaisir ou ma folie, j'imite l'impiété puérile de ce roi de Babylone, qui profanait dans ses festins les objets sacrés du culte et buvait une ivresse vulgaire et lourde au fond des coupes d'or du temple de Jéhovah ! Ô mon Dieu, apprenez-moi à bien me souvenir, à exercer chrétiennement cette fonction sacrée, à traiter le passé qui vit en moi, comme un don d'amour et comme un gage attendrissant de votre prédilection. Est-ce que le Saint-Esprit ne l'a pas nommé, lui, mon Rédempteur et mon Maître unique, « celui qui était » ? Tout mon passé, il l'a vu, il l'a supporté et pardonné dans tout ce que ma perversité ou ma faiblesse y ont mêlé de coupable et de malpropre. Je ne puis donc pas isoler un seul instant de mon histoire antérieure, je ne puis détacher de l'action du Verbe éternel une seule phase, si minime soit-elle du développement de l'humanité et de l'univers. Il est à toutes les origines, il est avant toutes les origines, avant Abraham, le père des croyants, et avant le premier homme, le père des pécheurs. Quand j'essaie de me promener dans mes souvenirs, comme dans un parc immense et désert, comme dans un enclos de solitude dont seul j'aurais la clef, dont seul je connaîtrais les chemins, j'oublie qu'il est le « Témoin fidèle » qu'il a tout vu et qu'il sait tout, et qu'il a été le contemporain de mon âme à travers toutes mes défaillances et tous mes relèvements. Le souvenir est donc une voie royale, par laquelle je dois aller à Dieu et le long de laquelle lui-même descend vers moi ; le souvenir est un long colloque, l'hymne d'action de grâce, qui fait brûler tout mon passé comme un encens. Le souvenir — plein de lui — et donnant à mes pensées une gravité sereine, à mon caractère une noblesse réfléchie et consciente, à toute mon allure intime une dignité douce et contagieuse. Est-ce que toute grandeur réelle n'en est pas imprégnée ? Est-ce que les traditions, les fidélités, les dévouements, les vertus de race, de famille, de patrie, est-ce que tout ce qui nous porte et nous fait croître, ne s'enracine pas dans le souvenir d'un passé, qui monte en nous comme une sève ? Hélas ! Je suis toujours fugitif et momentané, égaré dans le présent trop court, sans perspective calme, sans horizon d'éternité. Je suis toujours pressé, haletant de désirs étrangers, dont je n'ose confier à personne l'ambitieuse folie, de désirs que le présent ne laisse pas s'épanouir et qui tombent en masse, sur le sol de mon âme, comme des soldats débandés dont la bravoure est inutile. Me souvenir de mon passé, non pas comme d'une chose abolie, comme d'une ruine irréparable, comme d'un rêve évanoui, comme d'un
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bonheur que je n'ai plus, mais bien plutôt comme d'une réalité qui demeure, comme d'un trésor que me garde l'ami fidèle, et qui n'a pas cessé de m'appartenir à chaque instant. Le souvenir terrestre et humain est toujours rongé par la teigne et la rouille ; la réalité qu'il nous présente est pleine de trous et sans éclat. Mais si je le garde en moi, lui qui garde tout par la vertu de sa parole ; si je reste avec lui, en qui demeure toute plénitude ; si je vois dans tout mon passé, lui qui est la lumière éternelle et immuable de ma vie, qu'est-ce donc que je pourrais avoir perdu en passant d'une journée à une autre, et de la naissance à la mort ? Me faire une mémoire consacrée comme une église divine et sainte, pénétrée d'un esprit de grâce et ne vivant que du bienfait reçu. Recevez ma mémoire, ô mon Dieu, non pas pour me l'enlever — on pourrait trop discuter les sens de cette prière — mais pour qu'elle soit vôtre et non pas mienne ; pour qu'elle ne me parle plus jamais que de vous et qu'elle m'éduque à ma fonction de louange, à mon métier de fidèle, à mon rôle d'éternel adorateur. Soyez le seul objet de mon souvenir, vous, vos prévenances si douces et vos pardons si généreux. Le souvenir ainsi compris me restituerait à moi-même dans le recueillement facile, et tout spontanément me ferait fermer les yeux et joindre les mains. Je comprendrais le sens profond du principe divin ; je saurais pratiquement que Dieu me déborde de tous les côtés, et que rien n'est perdu de ce qui repose sur lui. Me souvenant de tout ce que je vous ai coûté, ô mon Sauveur, je saurais quelle dépense divine je représente, et il me semble que dans une humilité sans limite, je retrouverais une fierté sans défaillances. Je serais fier de vous, et de votre œuvre, et je ferais tout « en mémoire de vous ». Donnez-moi de bien me souvenir pour que je sache aussi ce qu'il convient d'oublier : mes intérêts égoïstes, mes calculs mesquins et sournois, ma fausse sagesse et mes grandes folies ; Donnez-moi de peupler ma mémoire d'images divines, d'y garder comme des semences de gratitudes, les reliques célestes, les arrhes mystérieuses de votre Esprit de grâce, le souvenir de tout ce qui est descendu ; donnez-moi de comprendre que derrière moi c'est encore vous ; et que toutes les clefs sont dans vos mains.
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Prières à la gloire de l'Éternel
55. 1. Inaccessibles monts, qui portez dans les nues vos fronts majestueux ! Gigantesques rochers, dont les flèches aiguës s'enfoncent dans les cieux ! Plus haut que vos sommets, et par-dessus vos cimes est l'amour du Seigneur, et ses saints jugements par dessous vos abîmes cachent leur profondeur. 2. Quand Dieu vous tancera, vos bases ébranlées au loin s'entrouvriront ; et vos rocs en débris de masses écroulées vos gouffres combleront : tandis que Jésus la Grâce invariable puissamment régnera ; tandis que pour les siens sa justice immuable encore s'affermira. 3. Cependant, oh ! Combien, montagnes verdoyantes ! Vous plaisez à mes yeux ! Que j'aime à contempler de vos croupes riantes les contours sinueux ! Qu'ils sont beaux les tapis de ces frais pâturages mêlés à vos forêts ! Et des rauques torrents qui forcent vos passages, que la voix a d'attraits ! 4. Mais que sont tes beautés, ô périssable terre ! Qu'est toute ta grandeur, au prix du saint éclat du séjour de lumière où règne le Sauveur ! Torrents ! Vous tarirez : et vous, vertes pâtures ! Vous quitterez ces bois ; mais toujours jailliront des ondes toujours pures sous l'ombre de la Croix. 5. Chrétien ! Hâte-toi donc, et vaillamment t'approche du haut mont du SaintLieu. Gravis l'étroit sentier, et monte sur la roche des promesses de Dieu : et si quelque langueur survient durant ta source, en ton cœur étonné, suis le Consolateur jusqu'à la vive source des eaux de Siloé.
56. Les assemblées mutuelles. 1. Louez le nom de l'Éternel, célébrez-le dans vos cantiques. Que votre chant soit solennel, et vos paroles magnifiques. Lui seul est grand, lui seul est saint : c'est par lui seul que tout subsiste : à son pouvoir rien ne résiste ; lui seul aussi doit être craint.
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2. Devant ce Roi de l'univers s'évanouit toute puissance. Il va parler : terres et mers ! Écoutez-le dans le silence. Il enrichit, il appauvrit ; il agrandit, il humilie ; rappelle-t-il à soi la vie, l'homme aussitôt tombe et périt. 3. Que pouvez-vous contre son bras, peuples ligués, race superbe ! Tout votre orgueil, fiers potentats ! Aura dans peu le sort de l'herbe. À ce Dieu Fort soumettez-vous ; de votre fin l'heure s'approche. Tremblez qu'alors il ne décoche sur vous les traits de son courroux. 4. Ce Dieu si grand, si glorieux, de nous, Chrétiens, s'est fait le Père. Son bienaimé, des plus hauts cieux, est venu jusqu'à notre terre alors, ô Fils, ta charité nous acquit, par ton sacrifice, l'Éternel don de ta justice, la vie et l'immortalité. 5. Frères ! Chantons ce Dieu-Sauveur, et répétons dans l'assemblée, que par-dessus toute hauteur sa bonté s'est accumulée. Disons que Dieu, le Créateur, le Saint des Saints, l'Éternel même, ô Charité, Grâce suprême ! Daigne habiter en notre cœur. 6. Confions-nous en son pouvoir : ne craignons point ; il est fidèle. Son prompt secours nous fera voir que sa promesse est éternelle. Oui, notre Roi garde ses saints sous le sceptre de sa puissance : ah ! Remettons en assurance tout notre esprit entre ses mains.
57. 1. Préparons-nous, Peuple fidèle ! À célébrer notre Seigneur. Que notre bouche renouvelle tes chants pleins d'une sainte ardeur. 2. Qu'unis en lui, comme des frères, dans la plus grande intimité, nous lui présentions nos prières par son Esprit de charité. 3. Que dans sa paix et dans sa grâce plus affermie de jour en jour, sincèrement, devant sa face, nous soyons forts de son amour. 4. Bénissons-le, sans nulle crainte : soyons joyeux dans notre foi ; ah repoussons la moindre plainte, nous qui servons un si bon Roi. 5. Notre bonheur, notre héritage, c'est d'être appelés ses enfants : et ce salut est d'âge en âge ; car tous ses dons sont permanents. 6. Louons-le donc, pleins d'allégresse : tournons vers lui tous nos désirs ; et que les lois de sa sagesse soient toujours nos plus doux plaisirs.
58. 1. Dans de pieux accords et de saintes ardeurs, Frères ! Louons le nom du Seigneur des seigneurs, qu'une pure allégresse, qu'une vive tendresse répandent en nos
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cœurs de célestes douceurs. 2. L'Éternel est vivant : il règne dans les cieux. Rien ne peut ébranler son trône glorieux. Sa sagesse est profonde : il gouverne le monde, et de tous les humains il sonde les desseins. 3. Son éternel amour a voulu qu'en Jésus nous fussions, par la Foi, dans sa grâce reçus. Sa suprême justice, par un grand sacrifice, nous acquit à jamais une parfaite paix. 4. Sur ce clément Sauveur, sur ce puissant Ami, que notre faible cœur soit toujours affermi. Sa promesse est fidèle : notre Frère il s'appelle, et nous sommes nommés ses enfants bien-aimés. 5. Ah ! Par son bon Esprit, attentifs à sa voix, marchons dans les sentiers que nous montrent ses lois. Oh ! Bienheureuse vie, dans peu de jours suivie de la félicité de la sainte Cité !
59. 1. Oh ! Que ton service est aimable, Seigneur, mon Dieu, mon Rédempteur ! Oh qu'il m'est cher et désirable ! Il est ma joie et ma douceur. Mon âme, ici, dans le silence, en t'adorant trouve ta paix ; et ton Esprit de ta présence me fait sentir les saints effets. 2. Puissant Sauveur ! Tu te rappelles que tu promis d'être en tout lieu où quelquesuns de tes fidèles s'assemblent au Nom de leur Dieu. Nous sommes donc devant ta face : oui, tu nous vois, tu nous entends. Ah ! Que le regard de ta Grâce repose sur nous, tes enfants ! 3. Quoi ! Je me trouve en ta lumière ! tes yeux, ô mon Dieu, sont sur moi : ton oreille entend ma prière, et mon chant monte jusqu'à toi ! Oh ! Quels transports donne à mon âme le sentiment de ta bonté ! Ah ! Que mon cœur aussi s'enflamme des saints feux de ta charité ! 4. Oui, dans mon âme je t'adore, mon Dieu, mon Seigneur, mon Rocher ! Je t'ai cherché, je veux encore de ton regard me rapprocher. Quel autre au ciel pourrait me plaire, que toi, mon fidèle Sauveur ! Quel autre que toi sur la terre, peut être l'appui de mon cœur ! 5. Ennuis, douleurs, et toute peine, quittent mon âme en ce lieu saint. Elle y dépose aussi la chaîne dont le péché souvent l'étreint. Ici, Seigneur ! Le vain mensonge du présent siècle et de ses biens ne me parait qu'un triste songe où follement je me retiens. 6. L'éternité, ton ciel, ta vie, dans leur éclat frappent mes yeux ;! et ta Parole me
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convie au vrai festin des bienheureux ; ouvre-!moi donc ton sanctuaire : viens m'introduire au beau séjour où !toi, mon Dieu, mon tendre Père, tu m'entretiens de ton cœur ! 7. Toi-même, ô Éternel ! Toi seul tu as fait les cieux, les cieux des cieux et toute leur armée ; la terre et tout ce qui s'y trouve ; les mers et tous ce quelles contiennent. Tu vivifies toutes ces choses, et l'armée des cieux se prosterne devant toi.
60. Le jour du Seigneur. 1. Voici, le jour qu'aime mon âme, le jour de Dieu, de son repas. Laissez-moi donc, soins et travaux ! N'éteignez pas la sainte flamme dont l'Esprit de mon Rédempteur vient embraser mon heureux cœur. 2. Seigneur ! Ce jour fut par toi-même dès l'origine consacré. Tu voulus qu'ils fussent séparés par ton ordre et ta Loi suprême. De ton repos ce monument par toi fut béni richement. 3. Alors d'Adam l'âme était pure : jamais le mal il n'avait fait ; et ce saint jour fut un bienfait pour cette sainte créature. Ton sabbat fut, ô Créateur ! Pour l'homme un don de ta faveur. 4. Ce même jour, aux anciens Pères, comme sacré tu rappelas, et la loi tu renouvelas qui l'ôte aux terrestres affaires. De ton doigt l'ordre en fut tracé, et par toi dans l'Arche placé. 5. Jésus est l'Arche véritable où sont tous tes commandements ; et ton Esprit à tes enfants rend chacun d'eux toujours aimable. C'est dans ta grâce, ô notre Roi ! Que ton peuple garde ta Loi. 6. Ah ! Quel repos ce jour rappelle à ton Église, à tes élus ! Ce jour, tu finis, ô Jésus ! De leur salut l'œuvre éternelle. De l'abîme tu remonteras, et pour toujours te reposas. 7. Qu'il nous est doux, Roi débonnaire ! De rappeler cet heureux jour ! Et d'avoir de ton grand amour ce sacrement sur notre terre, si du monde il est méconnu de toi tes enfants l'ont reçu. 8. Nous avons donc en cette vie le doux essai de ton repos ; jusqu'au jour où de nos travaux la tâche enfin sera finie. Oui, près de toi, dans peu de jours, nous reposerons toujours.
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Je suis l'Éternel ; et il n'y en a point d'autre qui forme la lumière, et qui crée les ténèbres. C'est moi qui ai fait la terre, et qui ai créé l'homme sur elle. C'est moi qui ai étendu les cieux de mes mains, et qui ai donné la loi à toute leur armée.
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11 « Moi, Jésus, je suis la racine et la postérité de David ; l'étoile resplendissante et matinière. Et l'Esprit et l'Épouse disent : Viens. Et qui l'entend dise : Viens. »
Méditation Le bruit confus d'une cohue
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'AI cherché quel était mon vrai nom, celui que je mérite, celui qui me définit devant vous ; et je l'ai trouvé, Seigneur. Je l'ai trouvé dans la réponse du malheureux que vous avez guéri des démons mauvais qui le tenaient captif par le dedans. Mon nom ? Je m'appelle moi aussi légion ; parce que je ne suis pas seul, je ne suis pas un ; je suis plusieurs, je suis une multitude confuse et remuante, une cohue insensée de personnages qui se bousculent et se supplantent et qui tous prétendent s'emparer de moi. Je le sais — et c'est peut-être ce qui m'empêche de pénétrer au fond de moi-même, d'examiner sérieusement les sous-sols de mon être. Je prévois que je n'y rencontrerai rien de simple, de calme et de net et je recule devant ces enquêtes décevantes et ces examens douloureux ; je n'ose pas fouiller les coins de ma Jérusalem à la lueur des torches, car je la sais peuplée d'êtres bizarres et louches, que je n'aime pas à rencontrer. Légion ; nous sommes plusieurs. Il y a au fond de mon âme un personnage machiavélique et retors, froidement égoïste, et prompt à tout sacrifier à son bien-être personnel ; un personnage cauteleux et indélicat, ennemi de la franchise sereine et de la droiture sans calculs ; il aime à biaiser, à louvoyer, à déguiser ; je le connais, il est plein de mensonge, et je ne puis pas dire que ce personnage m'est étranger. Car il parle quelquefois par mes lèvres et chaque fois que mes discours
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ont manqué de sincérité, c'était lui qui les tenait. Sous son masque, ce sont mes traits à moi qu'il cache. La franchise ne m'est pas naturelle. Et il y a au fond de mon âme un être violent et irritable qui s'exaspère devant les obstacles, qui ne peut souffrir la moindre contrariété, qui sous les dehors que la courtoisie lui impose, bouillonne parfois de mauvaise humeur et de colère, et qui se jette sur le prochain, comme un agresseur brutal et injuste, dès que celui-ci le contrecarre ou le contredit. Seigneur, je ne puis pas dire que ce personnage me reste tout à fait étranger. Ses gestes de brusquerie ressemblent trop aux miens, et dans ses âpres cris de colère intérieure, je reconnais l'accent de ma propre voix. Ses violences sont mes faiblesses, et elles m'ont fait trop de mal pour n'être pas vraiment les miennes. Et il y a au fond de mon âme un être de paresse et de langueur amollissante, un être plein de sommeil et de fainéantise, qui trouve toujours des raisons pour remettre à plus tard les corvées astreignantes ; un être qui n'aime rien tant que de se laisser vivre et de se laisser porter et qui flâne à la surface de tous ses devoirs, remplis de scepticisme et dédaigneux de tout effort. Seigneur, je le connais, ce personnage ; il me ressemble tellement qu'il ne peut pas être autre moi-même. Je connais ses allures traînantes, sa façon de se faufiler entre les consignes trop rudes et d'éviter ce qui meurtrit. J'ai entendu si souvent ses plaintes ou ses désirs, et pour rendre gloire au Dieu qui m'a racheté, je confesse que je suis mou, indolent et sensuel. Et il y a au fond de mon âme un être de grâce et de bon désir, qui aime à joindre les mains, à se repentir, à vous appeler, mon Dieu, et à vous entendre ; il y a quelqu'un au fond de moi-même, qui de tout temps vous a cherché, qui n'a jamais pu se contenter hors de vous, et qui vous aurait volontiers sacrifié le centuple de tout ce qu'il vous a offert. Je n'ai jamais osé dire que ce personnage c'était bien moi-même et moi seul, car tant d'autres lui donnaient des démentis ; tant d'autres, vulgaires et méchants, le supplantaient, le reléguaient dans l'ombre, le repoussaient jusqu'à le rendre insaisissable et presque illusoire. Et cependant, mon Dieu, vous savez que mon désir profond a toujours été tendu vers vous, et que si mes fautes n'ont pas été assez rares, mes repentirs ont, du moins, toujours tâché d'être sincères — aussi sincères que me le permettait ma conscience obtuse et tâtonnante et le peu de lumière qui veille en moi. Je n'ai jamais totalement abdiqué l'espoir de vous appartenir et, tout au fond de mon âme, j'ai toujours
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senti et admis que vous m'étiez, plus que tout, nécessaire. Seigneur, qui suis-je donc et de quel nom faut-il me baptiser ? Vaisje demeurer toujours anarchie et chaos ? Est-ce que votre Esprit qui a ordonné les proportions et les rapports des mondes ne pourrait pas aussi faire sortir une harmonie et une grâce de ma confusion et de ma dispersion ? Est-ce que votre sagesse qui a réglé la cadence des astres ne pourrait pas diriger les mouvements de mon cœur, et établir un pacifique équilibre au sein de mes incohérences ? J'entends votre réponse. Depuis longtemps elle a été prononcée ; mais le chemin est long, qui doit conduire la vérité aux oreilles humaines et c'est aujourd'hui seulement que je commence à deviner votre message éternel. Je t'ai appelé de mon nom, tu es à moi. Ne plus m'appartenir, c'est donc le seul moyen de me posséder. Sortir entièrement de moi pour passer en vous, c'est donc la seule manière de ne jamais me séparer de moi-même, d'échapper à cette dispersion intérieure qui me tue, et d'acquérir un sens et une valeur. Je suis vôtre, et à deux nous allons me conquérir sur moi. Toute la liberté dont je puis disposer, je vous l'abandonne, afin qu'avec sa collaboration vous envahissiez progressivement toute cette zone obscure, sauvage et profonde de mon être, où je ne m'appartiens pas encore et où s'agitent tous mes tyrans. Ô mon Rédempteur, vraiment je vous devrai tout ce que je suis ; et si plus tard, dans votre Paradis, mon bonheur doit être de ne plus me posséder que par vous, de ne plus me connaître ou me vouloir qu'en vous voyant et en vous aimant, ne faut-il pas que cette gloire future se commence dès ici-bas par la grâce, et que tout mon être moral ne soit mien que par vous ? Exorcisez tous mes mauvais démons, vous qui seul pouvez leur parler souverainement et les faire fuir ou taire ; rendez-moi, donnez-moi plutôt, la sérénité calme de ceux qui, ayant mis leur unique espoir en votre bonté qui n'a jamais trompé personne, se sentent pour toujours à l'abri de toutes les déconvenues. Faites que vraiment je sois vôtre ; car, si je suis vôtre, c'est que vous serez mien, et c'est là toute la vie éternelle.
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Prières à la gloire de l'Éternel
61. 1. Ensemble, avec amour, célébrons en ce jour, de notre bon Sauveur l'éclatante victoire : il a vaincu la mort, il s'élance en la gloire du céleste séjour. 2. Comme un méchant, lié, maudit, crucifié, il s'offrit sur le bois en sanglotante victime, et jusque aux douleurs du ténébreux abîme il fut humilié. 3. Son âme, ainsi pour nous, supporta le courroux de la Loi du Seigneur, de sa sainte justice, du glaive du Très-Haut, en ce grand sacrifice, il reçut tous les coups. 4. Mais le Saint du Seigneur, mais Jésus le Sauveur, ne pouvait de sa mort longtemps porter les chaînes ; et bientôt, Fils de Dieu ! De ces terribles peines tu ressortis vainqueur. 5. Quel triomphe éclatant ! Par toi, Roi tout-puissant, de Satan abattu la tête est écrasée, ton peuple est racheté, ton Église est sauvée, ton règne est permanent ! 6. Jour saint et solennel, ô notre Emmanuel ! Où tu te reposas de toute ta souffrance ! Aussi nous y cherchons, en ta douce présence, le repos de ton ciel. 7. De ton nom appelés, de ton Esprit scellés, nous sommes voyageurs et forains sur la terre : et nous y cheminons comme enfants de lumière, pour toi renouvelés. 8. Jésus ! Sous ton regard, ce jour nous met à part, comme un peuple affranchi, retranché de ce monde, un peuple dont la paix en ton pouvoir se fonde et trouve un sûr rempart. 9. Ce jour est sans attraits, comme tous tes bienfaits, pour le pauvre pécheur dont l'âme est encore morte. Pour nous, à tes parvis, il est la Belle Porte et le brillant accès. 10. Qu'il soit notre plaisir ! Qu'en lui notre désir vers les choses!du ciel avec ardeur s'élève ! Qu'au combat de la Foi notre!cœur se relève en le voyant venir !
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62. 1. Chrétiens ! Qu'en ce beau jour nos voix en doux accords, célèbrent de Jésus l'éclatante victoire ! Ce jour, sacré pour nous, est notre jour de gloire, et le juste sujet de nos pieux transports. 2. Au matin de ce jour, le saint Fils du Seigneur, ayant goûté la mort, remonta de l'abîme. Quand il y descendit, son âme était victime ; mais du séjour des morts il sortit en vainqueur. 3. Église ! Que tes chants s'élèvent jusqu'au ciel ! Alors en ton Sauveur tu fus justifiée. Avec lui, dans sa mort, tu fus humiliée : en lui, ressuscitée, ton lustre est immortel. 4. Rachetés de Jésus ! Disons donc, en ce jour, que pour nous, ses enfants, la mort est engloutie ; et dans le vrai repos d'une pieuse vie, goûtons déjà la paix de l'éternel séjour. 5. Égayons devant Dieu nos esprits et nos voix, et faisons triompher notre vive espérance. Bientôt, il nous l'a dit, en sa sainte présence, nous verrons le repos du puissant Roi des rois
63. Prières de l'Eglise. 1. Daigne, ô Seigneur mon Dieu ! Daigne ici me bénir. Daigne ici recevoir de mon cœur la prière ! Oh ! Sur moi fais venir l'Esprit de ton saint Fils, en ta présence, ô Père ! 2. Que j'aime à me trouver ainsi sous ton regard ! Tout est repos et paix, tout est gloire et lumière en cette bonne part. C'est le bonheur exquis, c'est le ciel sur la terre. 3. Quoi ! Moi, pauvre mortel, à toi je puis parler ! Sans frayeur jusqu'à toi s'élève ma pensée ! Quoi ! Je puis t'appeler, et ma voix te parvient et n'est pas repoussée ! 4. Ô mon âme, c'est trop pour ton infirmité : l'approche de ton Dieu, sa sublime présence, et son éternité, de tes émotions surmontent la puissance. 5. Aussi, mon Créateur ! Dans ta communion, humblement prosterné, je garde le silence de l'adoration, et j'écoute, en Jésus, la voix de ta clémence !
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64. 1. C'est nous, tes rachetés, qui te prions, ô Père ! C'est au nom de Jésus, de ton bien-aimé Fils ; et tu veux accorder tout ce qu'il a promis à cet heureux troupeau qui, paissant sur la terre, par la foi de son cœur te recherche, ô Seigneur ! 2. Un père à son enfant donne avec bienveillance ce qu'il a préparé pour ses divers besoins ; mais son plus grand amour et ses plus tendres soins sont-ils à comparer aux trésors de clémence que trouve en ta faveur ton enfant, ô Seigneur ! 3. Accomplis donc pour nous ta fidèle promesse : accorde-nous, ô Dieu ! Les dons de ton Esprit. Pour nous ta charité les mit en Jésus-Christ. En lui donne-nous-en l'éternelle richesse : notre âme, en se langueur, les désire, ô Seigneur ! 4. Imprime et grave en nous ce sceau de l'héritage que ton Fils sur la croix daigna nous acquérir, qui subsiste à jamais et ne peut se flétrir, et dont, pour tes élus, cet Esprit est le gage. Que sa sainte ferveur brûle en nous, ô Seigneur ! 5. Qu'il fasse en nos sentiers resplendir la lumière ! Qu'il dévoile à nos yeux toute ta vérité ! Qu'il montre à notre foi la céleste Cité ; et qu'en pieux soupirs par lui notre prière s'élève avec ardeur vers ton trône, ô Seigneur ! 6. Que nos âmes en lui goûtent la paix profonde ! Qu'il soit en tous nos maux notre Consolateur. Et notre ferme appui, notre sûr défenseur, contre tous les assauts de Satan et du Monde ! Garde-nous de l'erreur par sa force, ô Seigneur ! 7. Ah sur nous donc du ciel répand cette sainte huile ! Qu'elle descende en nous de notre Chef Jésus. Oui, donne-nous ce bien, ce trésor des élus ; et que notre âme alors, attentive et docile, marche en toute douceur sur tes pas, ô Sauveur !
65. Oraison dominicale 1. Toi qui règnes aux cieux, écoute, ô notre Père ! Pour l'amour de Jésus, notre ardente prière. Par notre Intercesseur, jusqu'en ton sanctuaire nous entrons sans frayeur. 2. Qu'à ton Nom glorieux soit rendu tout hommage ! Il est de tes élus le recours d'âge en âge. Le nom de l'Éternel, de leur ferme héritage est le sceau solennel. 3. Qu'en nous, tes bien-aimés, ton Règne s'accomplisse ! Que ceux qui, par la
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Foi, sont vêtus de justice, suivant Jésus leur Roi, en vivant sacrifice se consacrent à toi ! 4. Qu'ici-bas, par les tiens, ta Volonté se fasse, comme par les esprits qui contemplent ta face ! Que ta Grâce, ô Seigneur ! A sa sainte efficace soumette notre cœur ! 5. Donne-nous, chaque jour, l'Aliment nécessaire à de faibles enfants voyageurs sur la terre. Fournis-nous de ta main l'eau vive et salutaire, et le céleste pain. 6. Remets-nous nos péchés, ô Père en ta clémence, comme nous remettons au prochain toute offense. Et que ton long support nous forme à l'indulgence pour ceux qui nous font tort. 7. Qu'en nos Tentations, ton pouvoir secourable nous délivre du mal et des pièges du Diable. Que le vice à nos yeux soit toujours méprisable et toujours odieux. 8. Car, d'âge en âge, ô Dieu ! T'appartiens la Puissance, le Règne souverain et la Magnificence. De l'invisible Eden, accorde à notre instance un tendre et prompt AMEN !
66. Prière du matin 1. J'élève, ô Dieu ! Vers toi mon cœur ! Un jour nouveau sur la terre m'est donné dans ta faveur : il t'appartient, ô mon Père ! O mon Roi, mon Rédempteur ! Fais-m'en connaître la valeur ! 2. Comme un courrier passe mes ans. Mes jours sont l'herbe éphémère qui fleurit et meurt aux camps ; ils sont la flèche légère : rien n'arrête leurs moments. Bénis, ô Dieu ! Ce peu d'instant ! 3. Tout ici-bas s'évanouit : ce monde n'est qu'apparence ; tout s'efface et tout périt. Détourne ma confiance d'un bien qui passe et finit ! Garde mon cœur par ton Esprit ! 4. Détache-moi de ces bas lieux ; mets, ô Jésus ton exemple constamment devant mes yeux ! Que ton âme te contemple au séjour des bienheureux ! Que mon trésor soit dans les cieux ! 5. Force mon cœur à te servir ! Donne-moi l'obéissance ; vers toi tourne mon désir : que te suivre en assurance soit, ce jour, tout mon plaisir ! Viens de ta main me soutenir ! 6. De ton ciel je vais m'approcher ; de cette brillante gloire, d'où tu vins pour me chercher : avec l'hymne de victoire, fais-moi devant toi marcher, sous ton regard, ô mon Rocher !
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Christ a tendrement aimé l'Église, et s'est livré lui-même pour elle, afin qu'il la sanctifiât ; l'ayant purifiée par le bain de l'eau, dans la Parole, afin qu'il la rendit glorieuse pour lui-même : une église n'ayant pas une tache, ou une ride, ou quelque chose de pareil ; mais afin qu'elle fût sainte et irréprochable.
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QUATRIÈME PARTIE
Méditations et prières Travaux de la Foi. Le chrétien, par le Saint-Esprit, connaît et sent sa misère.
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« Par quel moyen le jeune homme rendra-t-il pur son chemin ? En y prenant garde selon ta parole. »
Méditation Pour qu'ils racontent vos merveilles
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n dit parfois que les âmes saintes sont les miroirs qui reflètent la perfection de Jésus-Christ. Et cette comparaison n'est pas tout à fait exacte ; dès qu'on la pousse un peu, son insuffisance se manifeste. Une âme sainte est tout à la fois beaucoup moins et infiniment plus qu'un miroir ; il est nécessaire de le bien comprendre pour ne pas nous égarer sur la vraie direction de nos efforts ni sur les règles de nos appréciations morales. Une âme sainte est beaucoup moins qu'un miroir du Christ. Car il n'est donné à aucune créature de reproduire en elle les traits de l'infinie perfection. Et cependant une âme sainte est infiniment plus qu'un miroir ; car un miroir n'explique rien, ne développe rien, n'amplifie rien ; il se borne à reproduire stérilement l'image de la réalité qu'on lui présente, et qu'on ne connaît pas plus intimement parce qu'elle se trouve ainsi réfléchie. Or l'âme sainte doit amplifier, développer, expliquer la perfection du Christ. Comment peut-elle amplifier ce qui est parfait, et développer celui qui est l'achèvement de toute créature ? Comment peut-elle raconter, en les détaillant, les richesses du Verbe incarné ? Elle doit être le miroir de Jésus-Christ, comme les fleurs, ou mieux, comme les couleurs sont le miroir du soleil. Les fleurs ne reflètent pas directement le soleil ; cependant il n'est pas une seule de leurs nuances, qui ne vienne de son unique lumière, et depuis la pourpre somptueuse des grands pavots épanouis jusqu'à l'ivoire satiné des lis de juin, toutes les corolles le racontent et la plus humble des fleurs champêtres peut encore nous apprendre quelque chose de l'astre qui
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laisse tomber sur elle un de ses rayons. C'est sa lumière qui s'irise au creux des conques de nacre, et c'est elle qui brille dans l'éclat des yeux ingénus, et c'est elle encore qui revêt de bure sombre les forêts que mouille l'automne, et c'est elle qui chatoie délicatement sur les petits corselets métalliques des insectes ; aussi si nous voulions faire l'histoire du soleil, il ne nous suffirait pas de reproduire stérilement, de multiplier indéfiniment son image dans les miroirs ; il nous faudrait au contraire interroger tout ce qui brille et tout ce qui se colore ici-bas ; il nous faudrait glaner partout les nuances éparses de la palette idéale, étaler toutes les teintes que recèle, sans les manifester à nos yeux, la pureté de la lumière blanche. Jésus-Christ est roi dans le monde des âmes, comme le soleil est roi dans le monde de la lumière ; les âmes saintes sont le prisme surnaturel que sa perfection divine traverse pour s'épanouir à nos yeux en nuances infinies. Chacune de ces âmes doit manifester une couleur, doit faire éclater, en l'isolant, une tonalité particulière, et raconter, expliquer, développer la richesse intime du Fils de l'homme. Car ce qu'il n'a pu réaliser dans les limites de son corps mortel, il le réalise et il le réalisera jusqu'à la fin des temps dans l'ampleur de son corps mystique ; et ce que les lèvres de chair n'ont pas su dire, la grâce de son Esprit le fera prononcer à ses apôtres ; et le baume et le vin que ses mains n'ont pu répandre dans les blessures, ce sont les mains de ses fidèles, bons samaritains comme lui et par lui, qui les verseront en son nom pour guérir les malheureux. Venant parmi nous, voulant se revêtir de la vérité de notre substance humaine, il devait n'être qu'un individu dans la foule. Personne ne peut être immédiatement l'humanité. Il s'est fait homme, un homme. Et il a accepté toutes les limitations que cette incarnation lui imposait. Il était homme et non pas femme ; et il est mort jeune, sans jamais avoir connu la vieillesse ; et il n'a été ni soldat, ni matelot, ni officier public, ni maçon, ni laboureur, et il avait telle taille, et telle physionomie, et tel accent particulier, l'accent montagnard de Galilée ; il avait une démarche à lui, qui le faisait reconnaître de loin ; il avait des expressions, des mots, des pensées chères, qui revenaient dans ses discours... Il était un d'entre nous, et il s'appelait Jésus, comme d'autres s'appelait André ou Pilate. Il était homme et non femme. Il n'a donc jamais, dans son corps mortel, connu le dévouement passionné des mères pour leurs enfants. Et cependant quand nous admirons ce dévouement des mères chrétiennes, penchées sur les berceaux, c'est quelque chose du Christ
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que nous y retrouvons, c'est l'œuvre de son Esprit et le résultat de sa grâce. Ce qu'il n'a pu réaliser dans les limites de son corps sensible et matériel, il le réalise dans son corps mystique — et les âmes saintes expliquent, développent et manifestent la richesse inépuisable de sa perfection. Chacune a sa nuance — et toutes ces nuances viennent de lui. Il n'a jamais porté les armes, et quand on lui montrait deux glaives, il laissait entendre qu'il ne voulait pas s'en servir, et à l'heure du péril il les faisait rentrer dans le fourreau. Et pourtant, lorsque le soldat chrétien donne la mort pour une sainte cause, lorsqu'il veille, lorsqu'il lutte intrépide et s'obstine sans faiblir, dans l'âpre ouragan des batailles, c'est quelque chose du Christ que tous nous retrouvons et admirons en lui. Car ce que le Seigneur de toute chair n'a pu réaliser dans les limites de son corps sensible et matériel, il le réalise dans son corps mystique et c'est sa vertu qui arme les bras de ses croisés, c'est par eux qu'il nous montre son inépuisable richesse. Il n'a jamais été vieillard ; les siens, qui ne l'avaient pas reçu, l'ont immolé « comme un agneau », avant que le nombre de ses jours fût complet. Et cependant, quand le vieillard chrétien incline son front vers la tombe, c'est quelque chose du Christ que tous nous retrouvons et vénérons en lui. Il manifeste un aspect de sa plénitude et nous raconte une part de son mystère. Ce que le Seigneur n'a pu réaliser dans les limites de son corps sensible et matériel, il le réalise dans son corps mystique, dans la foule de ceux qui lui appartiennent et par lesquels il ne veut pas cesser d'agir et de révéler. Toutes nos tâches se résument en ce seul précepte : imiter le Christ, en qui se trouve comblée toute perfection divine. Mais qu'est-ce qu'imiter le Christ ? Est-ce refaire seulement ce qu'il a fait, reproduire matériellement ses actions et mettre nos pas dans ses empreintes ? Est-ce seulement refléter le visage du Fils de l'homme, comme le miroir réfléchit les objets ? Non, c'est bien plutôt faire ce qu'il aurait fait s'il s'était trouvé comme je suis, où je suis ; c'est me tenir si près de son action, c'est rester si docile à son Esprit, qu'il puisse par moi et en moi compléter son œuvre et rayonner sur toute ma vie.
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Prières à la gloire de l'Éternel
67. Prière du soir 1. Père Saint ! Notre prière vers monte par Jésus. La nuit règne sur la terre, nos travaux sont suspendus, et notre faible paupière bientôt ne s'ouvrira plus. 2. Tu connais notre durée ; tous nos jours sont entre tes mains. Notre course est mesurée ; nos moments sont incertains : comme au matin la rosée, ainsi passent les humains. 3. De ce jour, qui déjà monte comme un témoin devant toi, ne nous demande pas compte, juste et redoutable Roi ! Ah ! Nous rougissons de honte pour nos oublis de ta Loi ! 4. Dans la paix de ta justice, ô notre cher Rédempteur ! Que ton Esprit affermisse et console notre cœur : et qu'à sa force il unisse en notre âme sa douceur ! 5. Garde-nous, Sauveur fidèle ! À l'abri de tous les maux ; et pendant que sous ton aile nous goûtons quelque repos, que ta bonté renouvelle nos forces pour nos travaux ! 6. Ah ! Seigneur ! Fais-nous comprendre que s'approche, chaque jour, pour nous l'heure de descendre dans l'ombre et froid séjour ! Ô Jésus ! Fais-nous attendre du ciel ton puissant retour !
68. Le Baptême 1. Ô notre Dieu ! Baptise et renouvelle ce faible enfant que nous te consacrons. C'est dans la mort qu'en naissant nous entrons : mais en Jésus est la vie éternelle. 2. Nous sommes tous ce que fut notre père : nous naissons tous conçus dans le péché. De ton amour Adam s'est retranché, et ses enfants sont enfants de colère.
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3. Mais, ô bon Dieu ! Dans ta miséricorde, sur nous, pécheurs, tu répands tes bienfaits, Jésus, ton Fils, nous apporta la paix que ton Esprit richement nous accorde. 4. Lorsque Abraham, croyant contre espérance, fut, par la Foi, le père des Croyants, sur lui tu mis, et sur tous ses enfants, le sacrement de ta ferme alliance. 5. Pour nous, Seigneur ! La promesse est la même. Nos enfants tu veux l'étendre aussi. Dans ton troupeau reçois donc celui-ci : qu'il ait en Christ le céleste baptême ! 6. Vois, ô Dieu ! Sa misère profonde. Lève sur lui ton paternel regard : de ton Esprit qu'il obtienne une part, et qu'en Jésus il ne soit plus du monde ! 7. Oui, ton Esprit peut, par son efficace, à cet enfant donner un cœur nouveau. Voici, Seigneur ! Nous le baptisons d'eau ; veuille en ton Fils le sceller de ta grâce ! 8. Qu'ainsi ta main, dès à présent, lui dresse le droit chemin qu'il suivra devant toi, mets dans ton cœur le germe de la Foi : qu'il soit ainsi l'enfant de la Promesse !
69. La sainte Cène. 1. Non, ce n'est pas en notre sainteté que nous venons, Seigneur ! À cette table. Qu'apporterait un pécheur misérable, que le fardeau de son indignité ! 2. Si nous osons nous tenir devant toi, si, nous pécheurs, nous contemplons ta face, ah ! C'est ; ô Dieu ! Dans la douce efficace de cette paix que nous donne la Foi. 3. Oui, notre foi regarde ailleurs qu'à nous : sur ton cher Fils s'arrête notre vue ; sur cette mort que son âme a connue ; et notre cœur ne craint plus ton courroux. 4. Oh, profondeur de ta compassion ! Ton Bien-aimé mourant sous ta colère, et toi, Grand-Dieu ! Toi, te faisant le Père d'hommes chargés de malédiction ! 5. Sur une croix, Jésus ! Tu l'as offert cet éternel, ce sanglant sacrifice ! Tu l'as reçu ce coup de la justice que nous eussions dans l'abîme souffert ! 6. D'où vint, Seigneur ! Cet ineffable amour ? Quel intérêt envers tes créatures put t'engager à prendre nos souillures, et tout le poids de notre dernier jour ? 7. Ta charité, ta grande charité, changea sur toi nos peines éternelles. Ta charité, pour nous, pêcheurs rebelles, jusqu'à mourir, ô Jésus ! T'a porté. 8. Pour nous ton corps fut rompu sur le bois. Ton sang, ô Dieu ! Coula pour nos offenses ; et de la mort tu goûtas les souffrances ; pour nous maudits et
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perdus mille fois. 9. Ah ! Bon sauveur ! Si cette vérité sur notre cœur avait tout son!empire, tu le verrais constamment s'interdire tout ce qui blesse, ô Dieu ! Ta sainteté. 10. Oui, c'est à toi que nous appartenons, nous, ton troupeau, qui paît sur la terre. Et c'est à toi que nous devons complaire : car pour toi seul nous vivons et mourons. 11. Par ton Esprit donne-nous plus d'amour ; plus de ferveur, de force et de constance ! Qu'en nous, Seigneur ! Ta sainte ressemblance de gloire en gloire augmente chaque jour.
70. 1. Emmanuel ! Vrai pain de vie, de notre âme apaise la faim ! Ouvre-lui la source bénie du mystique et céleste vin ! Car c'est ton corps, ô Fils du Père ! Qui de l'Église est l'aliment ; et ton sang versé sur la terre, est son breuvage permanent. 2. Prépare donc la sainte table où tu veux souper avec nous. Et que ta grâce inépuisable la couvre des biens les plus doux. C'est ton Esprit qui nous convie, Jésus ! À ta communion, et qui dans notre âme ravie répand la céleste onction 3. Étreins-nous donc, en ta présence, des forts liens de charité ; et fais-nous sentir la puissance d'une pure fraternité ! Ton sacrifice et ta victoire nous ont faits citoyens des cieux : nous en célébrons la mémoire avec amour, d'un cœur joyeux.
71. Louanges. Nous t'adorons, Agneau de Dieu ! Nous célébrons ta grâce immense ; et par ton sang, en assurance, nous entrons dans le très saint lieu. Là, par la Foi, nous faisons vœu de te servir d'un cœur sincère : Ah de l'Esprit de notre Père mets en nous le céleste feu ! Amen ! Amen ! Seigneur ! Amen !
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Action de grâces 1. Ô bien-aimé Sauveur ! Notre Dieu, notre Frère ! Du pouvoir de!la mort, ta mort nous délivra. Alléluia, Alléluia ! En ton fidèle amour notre foi est entière. 2. Ton âme sur la croix offerte en sacrifice, par ses affreux tour!ments notre dette acquitta. Alléluia, Alléluia ! Nous sommes revêtus de ta sainte justice. 3. Ton sang nous a lavés de toute notre offense. La gloire de ton ciel bientôt nous recevra. Alléluia, Alléluia ! Oui, déjà notre foi triomphe en espérance.
72. Prédication et douceur de la parole de Dieu. 1. Ouvre nos cœurs à ta Parole, et fais entendre, ô Dieu ! Ce que ta bouche a dit. À cette heure ôte-nous, par ton puissant Esprit, à tout penser faux ou frivole. 2. Autrefois, par tes saints prophètes, à ton peuple choisi ta gloire tu montras : Mais de la vérité que tu lui dévoilas les clartés étaient imparfaites. 3. C'est ton Fils, ton cher Fils lui-même, qui nous a révélé ton!ineffable amour, et toute la beauté du céleste séjour qu'habite!ra l'âme qui t'aime. 4. Il nous donna son Evangile. Sa parole de paix, de grâce et de pardon. Ah : faisnous bien sentir tout le prix d'un tel don ! Que le joug nous en soit facile ! 5. Que ses éternelles promesses nourrissent en nos cœurs une vivante foi ! Du précieux trésor de la très sainte Loi, verse en nos âmes les richesses ! 6. Parle-nous donc, ô notre Père ! Fais descendre sur nous l'Esprit de vérité ; et que nous recevions, en toute humilité, le message de ta lumière ! Aie pitié de nous, Éternel ! Aie pitié de nous ; car nous avons été rassasiés de mépris. Notre âme est par trop accablée de la moquerie des superbes, et du mépris des orgueilleux.
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« Moi, Jésus, je suis la racine et la postérité de David ; l'étoile resplendissante et matinière. Et l'Esprit et l'Epouse disent : Viens. Et qui l'entend dise : Viens. »
Méditation Mes brebis me connaissent
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le connaît dans la mesure où on lui appartient ; aussi la vie éternelle, qui consiste à le connaître, consiste tout autant à être possédé par lui. Ceux qui veulent lui rester tout à fait étrangers, se condamnent eux-mêmes à divaguer quand ils parlent de lui ; et la folie qui les éloigne de la Vérité, la leur fait prendre pour Belzébuth. C'est ce qu'ils appellent un jugement raisonnable, une appréciation à la mesure de leur idée. Le connaître tel qu'il est, et donc le reconnaître partout où il se trouve, c'est la semence et l'épanouissement de la foi. Savoir de conviction, de conviction divine, qu'il est dans la sainte Église catholique, apostolique et romaine, et que c'est là seulement qu'on le trouve, c'est la connaître ici-bas autant que notre condition de pèlerin nous le permet et préparer, dans le secret de la fois, les visions de la gloire. N
Pour le connaître ainsi, il faut lui appartenir ; et personne ne lui appartient, s'il n'a pas été choisi et voulu — personne ne lui appartient, s'il n'a pas répondu à ce choix et à cet amour tout-puissant, par l'abandon filial et la soumission déférente. La foi est un don de Dieu, mais nul n'en est d'avance et absolument exclu : tous sont appelés à connaître l'amour divin par le Verbe fait chair. La foi est un don accepté, et que tous nous avons le pouvoir de briser d'un seul coup dans notre âme, comme on brise une terre cuite — ou d'anéantir lentement, comme la plante qui dépérit à l'écart, comme le seuil qui s'use sous les pas, comme la connaissance qui disparaît dans
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l'oubli. Un geste de brutalité voulue peut suffire à mettre en pièces ce don de Dieu ; une longue indolence, faite de mépris et de paresse, peut nous le faire perdre comme à notre insu et doucement. Contre les malheurs soudains et les invasions sournoises, Dieu doit se garder en nous contre nous-mêmes. C'est tout le rôle de sa grâce de réparation, empêchant et neutralisant nos folies. Ai-je jamais bien compris que cette foi divine, si facilement dédaignée par l'orgueil des faux sages, est, en tous ses éléments, un don céleste, qui descend du Père des lumières, une action immédiate de Dieu sur moi ? Je m'imagine vaguement peut-être que la foi est une sorte de conviction naturelle, plus ou moins solidement assise dans l'esprit, et sur laquelle on peut établir une vie morale honnête et dévouée. Je suis tenté de ne la considérer que distraitement et d'oublier pratiquement son rôle et sa nature, comme on néglige volontiers d'examiner les fondements de sa demeure et de fouiller dans les soubassements jusqu'aux premières pierres. Qui donc songe sérieusement parmi nous à être fier de sa foi, non pas devant les hommes et à cause des conséquences pratiques qu'elle entraîne et qu'on affiche, mais tout simplement parce que cette conviction que le Christ est Dieu, que son Église est vraie, parce que cette conviction est en nous l'œuvre du Saint-Esprit et le sceau d'un éternel amour ? Qui donc songe sérieusement à remercier Dieu, non seulement de toutes les circonstances providentielles qui l'ont conduit au baptême et à la « profession » de la foi ? Qui donc remercie Dieu d'avoir la certitude qui sauve et de savoir « qu'il en est bien ainsi que l'ont dit les apôtres » ? Et cependant cette foi tout interne, cette foi même purement théorique, même en dehors de toutes les conséquences qu'elle amène dans notre vie morale ; cette simple adhésion surnaturelle à la Vérité du Christ, n'est possible que par lui, par lui qui donne la vue aux aveugles et dont personne ne sait le secret, s'il ne le lui confie. Ce sont ses brebis qui reconnaissent au son de sa voix leur véritable pasteur ; ce sont les serviteurs vigilants, ceux qui ont gardé durant la nuit leurs portes lumineuses, ce sont les cœurs attentifs et constants, qui méritent d'entendre au loin, venant par les sentiers de solitude, le pas furtif et sûr du Maître divin qui s'avance. Si nous ne voulions pas, nous ne croirions pas ; mais nous aurions beau essayer de vouloir, nous ne pourrions jamais, sans la grâce de notre Christ, porter sur lui un jugement de vérité et de justice ; nous ne pourrions pas le connaître. Car Dieu seul se connaît dans le mystère, et les anges et les
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hommes n'en savent quelque chose que dans la mesure où ils deviennent un avec Dieu. Aucune force créée ne peut se saisir de Dieu. Pour devenir un avec Dieu, il faut que Dieu nous captive, et nous associe à lui-même ; il faut une initiative toute gratuite, une condescendance infinie venant d'en haut vers nous, et ce commencement du salut, c'est la grâce de la foi. Aussi n'ai-je plus le droit de me servir de mon intelligence comme si elle n'appartenait qu'à moi seul. Elle est consacrée par la foi, comme la lampe du sanctuaire : et « penser comme il faut » des choses de Dieu, c'est un hommage et un acte de culte. Tout envahis de conceptions naturelles et terrestres, nous nous imaginons souvent que la seule offrande valable, ce sont nos actions extérieures, ce qu'on appelle notre conduite. Nous nous imaginons que notre esprit et nos convictions n'ont rien que de naturel et il nous semblerait bizarre, non seulement que Dieu les réclamât, mais surtout qu'il les dirigeât. Et pourtant rien n'est plus vrai. Nous devons nous habituer à ne plus considérer notre intelligence comme une faculté laïque et profane, mais comme le champ des paraboles, tout ensemencé du froment divin. Il y a des attitudes d'esprit qui ne sont pas catholiques, il y a des dédains ou des faiblesses, des peurs ou des audaces qui sont pleines de péchés. Craindre la vérité, c'est douter de Dieu présent dans notre intelligence ; asservir la vérité à ses caprices ou à ses préjugés, c'est conduire le Christ enchaîné — aux dérisions des basses cohortes. Le chrétien est très fier et très humble, dans sa foi comme dans ses œuvres, parce qu'il se sait un instrument et que rien en lui ne vient de lui tout seul. Et puisque toute notre vie consiste à chercher le Christ, et puisque toute notre éternité consiste à le garder, la foi qui nous unissant à lui nous permet de le reconnaître, la foi est vraiment l'origine de tous nos biens et la première de nos vertus. Elle ne supprime rien en nous ; elle n'éteint aucune de nos lumières ; elle ne nous astreint pas à des puérilités ; elle ne nous demande pas de nous mettre les mains sur les yeux, mais aiguisant surnaturellement nos facultés, nous faisant voir avec Dieu et comme Dieu, elle nous découvre l'Invisible.
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Prières à la gloire de l'Éternel
73. 1. Viens nous ouvrir les sources de lumière, Esprit de vérité ! Par!ta pure clarté, révèle-nous du Seigneur notre Père l'éternelle bonté. 2. Fais-nous goûter de la sainte Parole la céleste douceur. Que la voix du Sauveur par ton pouvoir réjouisse, console, et charme notre cœur ! 3. De ces erreurs où l'orgueil nous entraîne montre-nous tous les maux ; et dans un doux repos, abreuve-nous à la pure fontaine de tes vivantes eaux ! 4. Du Fils de Dieu manifeste la gloire à nos cœurs affranchis, et!nos âmes fléchies à ce Seigneur dont la grande victoire nous!a tous enrichis !
74. 1. Oui, je voudrais m'asseoir avec Marie à tes pieds, mon Seigneur ! Et t'écoutant sur ma sainte patrie, repousser toute erreur. De ton amour, ô mon Dieu, mon sauveur ! Embrase donc mon cœur ! 2. Ah ! N'est-ce pas la chose nécessaire, et le seul vrai bonheur ? Puis-je trouver, ailleurs, sur cette terre, quelque pure douceur ? De ton amour... 3. Loin de ton joug tout est vain et futile, tout est faux et trompeur ; mais en ta Loi, mais en ton Évangile, tout est force et grandeur. De ton amour... 4. Oui, tout est beau, tout est vraiment aimable, Jésus ! En ta faveur. Là, tout est paix, tout est repos durable ; là, cesse la douleur ; De ton amour... 5. Quand sentirai-je, ô mon Berger fidèle ! En moi plus de ferveur ? Ah ! Je voudrais, lorsque ta voix m'appelle, t'obéir sans lenteur. De ton amour, ô mon Dieu, mon sauveur ! Embrase donc mon cœur !
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75. 1. Comme une eau qui parcourt une verte prairie, rafraîchit doucement l'herbe qu'elle nourrit, ainsi ta Loi, Seigneur ! Restaure et vivifie l'âme qui la reçoit par ton puissant Esprit. 2. En elle ton enfant puise toute sagesse, tout solide savoir, et toute vérité. En elle est son appui, sa force et sa richesse, et pour son cœur nouveau l'ordre et la sainteté. 3. C'est le port où ce cœur, au sein de la tempête, peut trouver en tout temps le calme et le repos. C'est le consolateur et la prompte retraite qu'il a dans ses douleurs, ses ennuis et ses maux. 4. Aussi combien, Seigneur ! Ta Loi m'est précieuse ! Que j'aime par sa voix à me laisser guider ! Elle rend chaque jour ma route plus heureuse : ah que tout mon désir soit de la bien garder ! 5. Écris-la donc en moi ; car c'est là ta promesse. Esprit de Jésus-Christ ! Soumetslui tout mon cœur ! Et si, par le péché, sa route je délaisse, par un prompt repentir fais cesser mon erreur !
76. 1. Mon Fils ! Dit le Seigneur, reçois instruction : recherche les discours de la pure Sagesse, à les bien écouter que ton âme s'empresse. Qu'ils aient de ton esprit toute l'attention. 2. Ni les perles, ni l'or, ni les biens précieux, ni la gloire et l'éclat ne valent la Prudence. L'homme qui dans son cœur acquiert l'Intelligence, a plus de force en lui qu'un roi victorieux. 3. Elle appelle, et sa voix s'adressant à ton cœur, la force de laisser toute méchante voie ; de repousser le mal, et d'entrer avec joie aux droits et beaux sentiers de la Loi du Seigneur. 4. En elle tout est sûr : ses discours éloquents ne sont que vérité, que lumière et justice. Elle hait le mensonge, elle abhorre le vice, et la droiture habite en tous ses jugements. 5. Dans ses enseignements est la fidélité, le savoir des parfaits, l'éternelle science, du chemin de la paix la ferme connaissance, et la fuite et l'horreur de toute iniquité. 6. Que je t'écoute donc, ô Sagesse du ciel ! Que j'incline mon cœur à ta voix salutaire ! Et que j'assure ainsi tous mes pas sur la terre, en ta force, EspritSaint ! Par ton Livre éternel !
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77. 1. Que le moqueur impur, le profane et l'impie recherchent l'aliment de leur iniquité : c'est ton Livre, ô mon Dieu ! C'est le Livre de vie qui sera par mon cœur nuit et jour médité. 2. Plus douce que le miel, plus que l'or précieux, ta Parole est pour moi de tes biens le trésor. Je l'ouvre, je la lis, et mon âme est heureuse, et je veux la sonder et m'en nourrir encore. 3. C'est là que tu m'apprends ce qu'est pour moi ta Grâce : le don de mon Sauveur, son ineffable amour. C'est là, par ton Esprit, que l'éclat de ta face, sur mon esprit nouveau, s'accroît de jour en jour. 4. Si par quelque chagrin mon âme est affligée, ou si l'impur péché s'approche de mon cœur, ah ! Bientôt, par ta voix, ma peine est soulagée, et contre le méchant s'affermit ma vigueur. 5. Par ta Parole, aussi, s'augmente l'espérance que j'ai de posséder tes biens les plus exquis. Elle montre à ma foi l'Invisible Existence, et m'élève déjà dans le sein de ton Fils. 6. Oh ! Quel est donc le prix de ton céleste Livre ! Ô Seigneur ! Quel bienfait de ton immense amour ! C'est pour étudier qu'ici-bas je veux vivre, car il unit au ciel mon terrestre séjour.
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1. Le monde peut vanter sa futile science et son brillant savoir : ce n'est que vanité, que stérile ignorance, et qu'un bruit sans pouvoir. 2. Quelle sera la fin de toute la sagesse que l'homme puise en soi ? Pourra-t-elle, au grand jour, retarder sa détresse, ou calmer son effroi ? 3. Ah je ne veux savoir que Jésus et sa Grâce : là n'est aucune erreur. De son Esprit en moi si je sens l'efficace, c'est assez pour mon cœur. 4. Oui, c'est le pur savoir de la sainte Parole que je veux acquérir. C'est là le vrai trésor qui soutient et console, et qui ne peut périr. 5. Conduis-moi donc, Seigneur ! Au chemin de la vie, qu'à ta voix tu m'ouvris ! Que t'y suivre de près soit ma plus chère envie, et j'aurai tout appris. Jésus leur dit : C'est moi qui suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en moi n'aura jamais soif.
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« Les choses que Dieu a préparées à ceux qui l'aime, Dieu nous les a révélées par son Esprit. Car l'Esprit sonde toute chose, même les choses profondes de Dieu. — Or, nous avons reçu non point l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les choses qui nous ont été données de Dieu. »
Méditation Pour nous servir
I
L me faut trouver Dieu. Y a-t-il quelque part un obstacle qui puisse m'en empêcher, une barrière, un abîme ? S'il en existait, j'aurais une excuse, et mes nonchalances seraient faites de sagesse. Mais l'obstacle, l'obstacle absolu n'est qu'une illusion dans la vie spirituelle, et la première bonne nouvelle de salut, c'est ce message céleste qui nous apprend non seulement qu'il existe une route libre de nous à Dieu, mais encore, mais d'abord, que la route libre est partout et qu'il n'y a qu'à marcher droit devant soi, dans la sincérité. Les choses seront complices de nos bons vouloirs ; elles ne sont destinées qu'à cela. Elles ne peuvent être nos ennemies. C'est ce principe que saint Ignace a placé si sagement et si simplement, comme sans rien dire, à l'origine de toute éducation surnaturelle, au seuil de toute générosité. C'est la varie leçon, la leçon totale et dilatante qu'il appelle le Fondement des Exercices Spirituels. On la comprend parfois de façon insuffisante et comme mesquine ; on mutile cette vérité, vaste comme la vie et l'univers, pour en faire une recette commode et modeste, ou un petit impératif d'économie ménagère, une consigne de restriction timide et paralysante. On pense : je ne puis m'asservir à rien. Et c'est très vrai sans doute, et toujours opportun ; mais ce n'est là qu'un aspect, l'aspect négatif et comme préparatoire de l'indifférence. Il faut
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ajouter aussitôt : je suis prêt à me servir de tout. Je n'exige rien, je n'exclus rien, ma volonté se fait aussi ample que le désir de Dieu, aussi souple que son œuvre immense, dont aucune parcelle ne peut être reniée. L'indifférence comporte toute cette vigueur sereine et cet abandon plein d'opulence. Le propter nos s'en va marquer comme d'un sceau fraternel toutes les réalités d'ici-bas, depuis mon corps et mon esprit, jusqu'aux polypiers des profondeurs sous-marines, jusqu'aux microbes des contagions invisibles, jusqu'à la mort, jusqu'à la calomnie, l'oubli et l'impuissance Puisque « tout le reste » — tout ce qui s'étend à perte de vue autour de moi, puisque tout est moyen, c'est donc que l'obstacle définitif, la réalité totalement réfractaire, la chose simplement mauvaise et à détruire, n'existe nulle part — nulle part, à moins que je ne veuille qu'elle soit en moi, à moins que mon vouloir ne la devienne et que je refuse de me servir des choses, méchamment, pour suivre mes goûts et mes folies. L'obstacle n'est jamais que partiel, provisoire, apparent, puisqu'au fond et essentiellement, malgré les rugosités meurtrissantes de la surface, il est moyen. Tout est moyen, même les résistances. Nos vertus montent sur nos défauts, comme le lierre sur les murailles. Les difficultés, les contradictions internes, les luttes de tous les jours sont des conditions de nos progrès et seules elles nous apprennent à réfléchir en nous mûrissant. Notre passé n'est pas plus un obstacle que notre misère présente, parce que l'obstacle est aboli. Joie de savoir qu'il n'y a nulle part d'arbre jeté en travers de la route ; aucun pont détruit ; aucun gué infranchissable ; aucune fondrière traîtresse ; aucun désert de mort à traverser ; mais seulement des résistances éducatrices, comme les résistances des berges pour l'eau du fleuve, et des hostilités bienfaisantes, comme la lutte des deux mains qui se lavent en se contrariant. Il ne faut plus que pèse sur la vie du chrétien, comme une malédiction ou comme une angoisse, la toutepuissance de l'obstacle. Le mauvais a été vaincu et son règne a pris fin, et le premier mot, et le dernier mot, c'est la Confidite du Verbe fait chair à tous ceux qu'il appelle à le suivre. La conclusion s'impose, conclusion que j'ai toujours négligé de tirer : il n'y a rien à détruire dans l'œuvre de Dieu, il n'y a qu'à utiliser tout ce qui est, à se servir même de ses fautes passées, comme on se sert
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des copeaux bouclés que le va-et-vient du rabot accumule sous les établis. La destruction elle aussi ne peut être qu'apparente, provisoire et factice. Le vrai et l'éternel c'est Vabundantius. La mesure définitive, c'est la mesure surabondante et bien tassée. Ce qui se prépare en nous, c'est l'épanouissement de tout ce que nous sommes, et à cet épanouissement le démon lui-même, malgré lui, doit concourir. Mon Dieu, que je suis loin de votre sagesse calme et sereine, combien je possède peu votre esprit suave en toute chose. Pourquoi les violences intimes, et qui m'inspire mes poussées de vandalisme dévot ? Pourquoi dans mon âme cette exaspération puérile et païenne contre l'obstacle ? Pourquoi cette cécité qui m'empêche de voir que le beau et le mauvais temps ont tous deux quelque chose à me révéler : Propter nos ? Comment n'ai-je pas encore compris que la santé et l'infirmité, les sots et les gens d'esprit, les importuns et les amis étaient, plus encore que des échelons, les messagers d'une richesse que mon Dieu me destine et m'envoie par eux, par leurs mains invisibles, ou familières, ou brutales. Tous doivent me faire découvrir le trésor du royaume. Et les vieilles impatiences qui grondent en moi, et tous les défauts dont j'héritais, sans le savoir, à ma naissance ; et mes longues études, si naturellement ennemies de la simplicité candide, si lourdes à porter avec leurs raffinements de scepticisme, leurs distractions absorbantes, et leur impitoyable critique ; le peu que je suis et le peu que j'ai fait ; ma besogne et mon métier, obscur et ingrat, tout est moyen, rien que moyen, tout est filon à exploiter, secret à deviner, source à faire jaillir. Mais voilà, mon Dieu, je n'y songe guère et, comme le peuple infidèle, je murmure et je me plains et c'est tout. Je passe mon temps à regretter que les choses soient comme vous les avez faites ou permises. Je ne sais pas encore qu'il faut abolir cette faculté du regret, ou plutôt, puisque précisément rien n'est détruit, qu'il faut la transformer, l'orienter vers le présent et vers l'avenir, la muer en espérance et en charité au lieu de la laisser au centre de la vie, comme une moisissure parasite, inutile et envahissante. Changer les regrets en amour clairvoyant, se servir de ses fautes comme d'une leçon, utiliser tout ce qui est, ne serait-ce pas la pratique du Funda nos in pace et ce fondement n'est-il pas le seul ? Dieu ne commence pas par
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une mise en garde ou une mise en demeure mais par une parole d'apaisement et de béatitude. Tout nous appartient : omnia vesta sunt, et nous serons ce que nous voulons être, puisque Dieu coopère avec nous. Rien ni personne ne l'empêcheront, car vraiment l'Étranger, comme l'obstacle, l'Étranger n'existe pas.
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Prières à la gloire de l'Éternel Les choses que Dieu a préparées à ceux qui l'aiment, Dieu nous les a révélés par son Esprit. Car l'Esprit sonde toutes choses, même les choses profondes de Dieu. — Or, nous avons reçu non point l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les choses qui nous ont été données de Dieu.
79. 1. Écoute, ô Dieu ! Mon ardente prière ; exauce-moi dans ta fidélité. Moi, ton enfant, par ton Fils racheté, je viens chercher, en ma peine, ô mon Père ! De ton regard la puissance clarté. 2. Écoute, ô Dieu ! Mon ardente prière ; exauce-moi dans ta fidélité. Moi, ton enfant, par ton Fils racheté, je viens chercher, en ma peine, ô mon Père ! De ton regard la puissante clarté. 3. Oh ! Que je hais cette terrestre vie, qui de ta Loi rejette le pouvoir ! Ah ! Sous ton joug, qu'il me tarde de voir en moi la force à la constance unie, un regard pur, un simple et saint vouloir ! 4. Tu le feras, et ma ferme espérance attend de toi que mes fers soient rompus. Oui, ton Esprit, aux dons que j'ai reçus, joindra le zèle et la persévérance : alors, ô Dieu ! J'imiterai Jésus.
80. 1. Oh ! Quel combat, Seigneur ! Ton enfant trouve ! Que de chagrins et que de pleurs secrets ! Ah ! Quelque temps si son cœur les éprouve, de succomber il se sent bientôt près. 2. Dans son esprit s'il a quelque sagesse, et si, d'abord, il approuve tes lois, sa chair, hélas ! N'est que ruse et faiblesse, et du péché fait le funeste choix. 3. Oui, le péché peut encore me plaire. Dans le secret il captive mon cœur ; il le séduit, il l'attire, il l'enserre, et mollement l'endort en sa douceur. 4. Ah ! Que de vœux, de promesses, de larmes, ô mon Sauveur ! Ne t'ai-je pas
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offerts! Mais aussitôt j'ai vu les mêmes charmes à mes désirs donner les mêmes fers. 5. Ah ! Mon Seigneur ! Si j'eusse pris l'armure que doit porter chacun de tes soldats, dans tes sentiers ma course eût été sûre, et ton Esprit eût guidé mes pas. 6. Revêts-moi donc de ta forte cuirasse ; mets en ma main ton glaive à deux tranchants ; couvre mon front du casque de la grâce, et, par la Foi, dompte, ô Dieu ! Mes penchants ! Voilà, tu aimes la droiture dans le cœur ; aussi me feras-tu connaître la sagesse dans le secret.
81. 1. Malheureux que je suis ! De ma vile nature, du corps de cette mort, qui me délivrera ? Loi de péché, convoitise et souillure, à vos liens quel pouvoir m'ôtera ! 2. J'avais promis à Dieu, je me croyais sincère, de suivre sans détour le sentier de ses lois : un jour a fui : oh faiblesse et misère ! De mon Sauveur j'ai méprisé la croix. 3. Un penchant m'a séduit, et mon cœur infidèle n'a plus aimé Jésus, Jésus, mon Rédempteur ! Mon âme, hélas ! D'une tache nouvelle a ressenti la honte et la douleur. 4. Est-ce donc là, oh Dieu ! La sainte obéissance qu'un de tes rachetés doit rendre à ton amour ? Est-ce donc là cette persévérance où je devrais attendre ton retour ? 5. Oh ! Loin de moi, Seigneur ! Repousse ta colère : de tes compassions fais entendre la voix ! Pardonne encore, pardonne comme un père : de ton courroux suspends encore le poids ! 6. Oui, je suis abattu ; mais ta fidèle Grâce, en mon esprit froissé met un vrai repentir. Je pleure, ô Dieu ! Mais c'est devant ta face : c'est sur ton sein que mon cœur vient gémir. Vous connaîtrez la Vérité, et la vérité vous rendra libres.
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82. Dans la dureté et l'ingratitude de son cœur. 1. Hélas ! Seigneur ! Combien je trouve en moi de résistance à me soumettre à toi par un constant service ! Oui, t'obéir me semble encore la loi d'un coûteux sacrifice. 2. Ta Grâce, ô Dieu ! Ton paternel amour, fidèlement m'accorde, chaque jour, quelque faveur nouvelle. Hélas ! Pourquoi ne t'offré-je en retour qu'un cœur dur ou rebelle ! 3. Que de désirs il me faut maîtriser, que de fardeaux il me faut déposer, pour t'aimer sans réserve ! Hélas ! Mon cœur, bien loin de les briser, ses idoles conserve. 4. Quels doux attraits et quels secrets appâts, le faux éclat et l'orgueil d'ici-bas n'ont-ils pas sur mon âme ! Combien souvent je dirige mes pas à leur impure flamme ! 5. Ah ! Fais sentir à cette dureté, à ces retards, à cette lâcheté, ton reproche sévère. Fais-moi rougir de ma méchanceté, devant toi, mon bon Père ! 6. Mais, ô mon Dieu ! Si de tant de froideurs, de fiers délais, de coupables lenteurs, ma pauvre âme est punie, ah ! Je verrai s'écouler dans les pleurs chaque jour de ma vie. 7. Viens donc, plutôt, par un tendre support me faire entrer dans le paisible port d'une humble obéissance. Là ton Esprit lavera tout mon tort dans l'eau de délivrance. 8. Ô mon Sauveur ! Lorsqu'en ce doux repos, je sentirai mon cœur libre et dispos pour te suivre et te plaire, que me feront les ennuis ou les maux de cette triste terre ! 9. Oh ! Promptement dispense le secours qui doit m'ôter, en mon!terrestre cours, le fardeau que je traîne ! De ces langueurs qui!fatiguent mes jours, romps et brise la chaîne.
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83. 1. Oui, j'aime encore la vanité : mon cœur léger et sans prudence se plaît à la futilité, au changement, à l'inconstance. Ô Dieu ! Je ne suis qu'un enfant, de ta main tiens-moi fortement. 2. À l'heure même où, dans mon cœur, j'ai médité sur ta sagesse, hélas ! Pour suivre quelque erreur, je la néglige et la délaisse. Ô Dieu ! Je ne suis qu'un enfant, de ta main tiens-moi fortement. 3. Oui, moi que tu fis l'héritier des biens de la céleste vie, je puis encore me soucier de la terre et de sa folie. Ô Dieu ! Je ne suis qu'un enfant, de ta main tiens-moi fortement. 4. Je professe d'appartenir à ton Fils, qui sauva mon âme : et cette!âme, encore, peut tenir au siècle, à sa gloire, à son blâme ! Ô Dieu ! Je ne suis qu'un enfant, de ta main tiens-moi fortement. 5. Je sais que je suis voyageur, et comme étranger en ce monde :!et cependant de mon bonheur combien d'appuis sur lui je !fonde ! Ô Dieu ! Je ne suis qu'un enfant, de ta main tiens-moi fortement. 6. En toi, Seigneur ! Mon Roi puissant, je dois m'assurer sans!réserve : mais dans mon cœur, secrètement, combien de!détours je conserve ! Ô Dieu ! Je ne suis qu'un enfant, de ta main tiens-moi fortement. 7. Mon départ de ce monde est près : il faut qu'enfin je m'en!détache ; mais j'y trouve encore des attraits, et plus d'une coupable attache. Ô Dieu ! Je ne suis qu'un enfant, de ta main tiens-moi fortement. 8. Oui, Vanité ! Tu me retiens : mais ce n'est que pour cette terre.!Le jour approche où tes liens seront dissous dans la poussière.!Alors, ô Dieu ! Ton faible enfant cessera d'être chancelant.
84. 1. Je viens, Seigneur ! Te confier ma peine. C'est dans ton sein que je verse mes pleurs : tu m'as promis, ta Parole est certaine, de te charger de toutes mes douleurs. 2. Je suis à toi. Je voudrais que ma vie ne s'écoulât que selon ton désir ; que saintement ma course fût suivie, et que t'aimer fût toujours mon plaisir ! 3. Oui, de tout mal je voudrais avec joie, sans hésiter, détourner mon regard ; et quand tu veux que j'en laisse la voie, fidèlement t'obéir sans retard. 4. Mais je le sens, je ne puis te complaire : toujours en moi je revois le péché ; ma chair encore à ta Loi le préfère, et dans mon cœur il demeure caché.
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5. Ah ! Quand viendra ma pleine délivrance ! Quand de la mort quitterai-je la loi ! Quand, cher Sauveur ! Pourrai-je avec constance en ton repos, ne vivre que pour toi ! 6. Jusqu'à ce jour, relève mon courage ! Pour le combat viens affermir mon cœur ! Tu me sauvas : achève ton ouvrage : sois mon Rocher et mon Libérateur ! Je suis charnel, vendu au péché : car ce que j'exécute, je ne l'approuve pas ; ce n'est pas en effet ce que je veux, que je fais ; mais ce qui m'est odieux, c'est ce que j'accomplis. Je prends pourtant plaisir à la Loi de Dieu, selon l'homme intérieur ; mais je vois une autre loi dans mes membres, guerroyant contre la loi de mon entendement, et me faisant prisonnier de la loi du péché, laquelle est dans mes membres.
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J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé la course, j'ai gardé la Foi : au reste la couronne de justice m'est réservée, et le Seigneur, juste juge, me la rendra en cette journée-là..
Méditation Ne faisant qu'un, tous ensemble
C
OMMUNICANTES.
Ce mot, je le retrouve dans le canon liturgique, au moment où le mystère s'approche de la consécration. Et la chose que ce mot désigne, insondable et si consolante, c'est la raison même de tous mes espoirs et le principe de ma vie éternelle. — Communicantes. — Le mot porte avec lui un sens complet. On ne lui ajoute aucun régime. Il est définitif. C'est vraiment plus qu'un mot, c'est un terme. Je ne suis pas seul. Pour toujours je suis délivré de cette malédiction des isolés. De moi à tous les saints de Dieu il y a des prolongements invisibles, et j'ai part, je communique à tous leurs biens. Je ne suis pas ignoré, un déchet perdu, sans appui et sans tuteur, mais tout mon être surnaturel me réunit à la famille divine. Aussi rien ne m'appartient exclusivement. Je ne puis rien revendiquer comme étant à moi seul. La communauté des biens, qu'on pratique dans la vie religieuse, n'est qu'un symbole très imparfait de cette unité de l'âme dans les richesses de la grâce, tous les amis de Dieu ensemble ne faisant qu'un. Communiquantes. — Ce n'est pas seulement avec les défunts que j'entre en partage, et les amis de Dieu peuplent le monde que j'habite. Les amis de Dieu et les instruments de Dieu, tous ceux dont il s'est
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servi pour m'atteindre et auxquels, sans le savoir, je suis redevable de mes bonheurs. Il y a un commandement qui m'oblige à vénérer ceux qui m'ont donné la vie — participation de la leur — et que je continue quand ils ne sont plus. Mais où sont donc les vrais pères de ma grâce et à quel pauvre inconnu, à quel mendiant malade irai-je porter ma reconnaissance ? Pourquoi ne suis-je pas un païen, et qui m'a valu de recevoir le baptême ? Je sais bien qu'un prêtre est intervenu, et que des parents pieux m'ont porté à l'église..., mais par quelles influences invisibles tous ces gestes ont-ils été conduits ? Quelle est la vieille femme ou le jeune infirme dont le chapelet persévérant, récité « aux intentions du bon Dieu » m'a obtenu d'être chrétien ? Et aux moments difficiles, dans les dangers qu'on ignore, quel est l'ange invisible dont la résignation muette, dont l'humilité, dont le courage m'a valu de ne pas périr ? À chaque instant, je contracte vis-à-vis de toute l'Eglise une dette immense, infinie ; et je ne suis quelque chose que parce que je fais un avec la chose unique : l'œuvre de Dieu. Le lichen ne sait pas ce qu'il doit à la pierre sur laquelle il s'étale, et le lierre grimpe sur les troncs d'arbre en ignorant que c'est leur force qu'il emprunte. La communion des saints me donnerait, si je voulais la comprendre, un élan de charité tellement purifiante que je ne vivrais plus pour moi mais pour servir autrui. Quand je les regarde, ô mon Dieu, tous ceux que vous avez mis autour de moi et avant moi sur la terre, je devine bien qu'ils sont tous mes créanciers. Prêtre, à qui dois-tu la grâce de ton sacerdoce, et où sont tes parrains spirituels ? Tu sais bien que cette grâce ne vient pas de toi. Mais voilà, sous le portail de l'église, dans ta ville natale, se tenait un aveugle plaintif, qui vendait des allumettes et qui priait d'un cœur simple pour tous ceux qu'il ne voyait pas, et cette prière un jour t'a saisi au passage et t'a marqué pour Dieu. Apôtre, à qui dois-tu ta faucille et tes gerbes, ta barque et tes filets gonflés...? Tu sais bien que la fécondité de ton effort ne vient pas de toi, et que même le courage de l'effort fut greffé par la grâce sur ta nature de sauvageon égoïste. Mais voilà, une petite fille un jour, à l'école des Sœurs, a joint ses deux mains devant la statue de NotreDame de Lourdes et elle a demandé à Dieu, sa sainte Mère, d'avoir pitié des malheureux pécheurs. Et ce sont ces deux mains d'enfant qui ont ému le cœur de Dieu... Les fils de nos destinées surnaturelles se croisent comme les fils d'un
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tissu, et la cohésion de nos vertus et de nos vices est faite de cette solidarité fraternelle. Dieu ne nous dit pas où sont nos bienfaiteurs pour que nous puissions regarder avec des yeux de reconnaissance tous ceux qui nous entourent. — Communicantes. Mais s'il nous est permis de deviner par quelle méthode le Père céleste conduit les hommes, ne faudra-t-il pas croire que dans l'ordre surnaturel il fait porter les savants par les ignorants, et les adultes par les enfants, et les chefs par ceux qui leur sont soumis, et les célébrités historiques par les infirmes méprisés ? Voyez. Sur quoi a-t-il fait reposer, comme une pyramide sur la pointe, l'immense édifice de son Église ? Sur une humble femme, reine de tout l'ordre surnaturel, sur la Sainte Vierge Médiatrice. Et le jour de la Purification ; dans le temple, à Jérusalem, c'était un vieillard qui portait un enfant, mais c'était un enfant qui conduisait ce vieillard. — Et les riches, nous dit saint Clément, sont soutenus spirituellement par les pauvres, comme la vigne est soutenue par l'ormeau, pour que les riches et pauvres se communiquant tout ce qu'ils ont, puissent mutuellement se dire merci et que chacun doive tout à tous. Mon Dieu, je crois bien que vous sanctifiez les parents par les enfants et les savants par les illettrés, et les travailleurs de l'esprit par les ouvriers manuels... Je suis saisi d'admiration quand je songe à tous les pouvoirs qu'exerce dans votre Église la plèbe des baptisés et je ne permettrai pas à mon âme de nourrir des sentiments de rancune ou d'hostilité contre ceux qui m'ont fait du mal, car je ne sais pas quels bienfaits anonymes ils m'ont peut-être comblé. Je veux garder dans mon âme toute la reconnaissance de ceux qui ne possédant rien, reçoivent chaque jour ce qui leur manque. On s'habitue à être servi, comme on s'accoutume au retour journalier de la lumière, et dans une sombre routine, irréfléchie et morose, on finit par croire que ce sont les autres qui sont des parasites et qu'on est détroussé par le prochain. L'âme chrétienne est large et saine et reconnaissante et loyale. Elle ne méprise personne, elle ne rejette pas même les pécheurs, elle sait que la haine engendre les ténèbres et qu'en détestant des adversaires ce sont souvent des frères qu'on méconnaît.
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Prières à la gloire de l'Éternel
85. 1. Non, je ne t'aime pas Jésus ! Comme tu m'aimes. Pour toi mon cœur ingrat est rempli de tiédeur. Ton éternel amour et tes bontés extrêmes me trouvent languissant : ah ! Change donc mon cœur ! 2. ;Ah ! Si toujours ce cœur se montrait insensible ! Si pour le monde, aussi, s'éteignait son ardeur ! Mais pour un vain amour tout lui devient possible ; pour toi seul il est mort : ah ! Change donc mon cœur ! 3. Si pour ton nom, Seigneur ! Sur sa route il rencontre quelque léger ennui, quelque faible douleur, il s'étonne, il se plaint ; hélas ! Même il se montre rebelle au châtiment : ah ! Change donc mon cœur ! 4. Ah ! Qu'il est dur encore à croire ta Parole ! Qu'il est lent à prier ! Qu'il a peu de ferveur ! Il refuse, en ses maux, que ta voix le console, et se repaît d'orgueil : ah ! Change donc mon cœur ! 5. Mais toi, puissant Ami ! Tu demeures le même. Rien n'altère envers moi ta fidèle douceur. C'est pour me rendre heureux que tu veux que je t'aime, et si je m'endurcis, rien ne change ton cœur. Je vous donnerai un cœur nouveau, et je mettrai au-dedans de vous un esprit nouveau.
86. 1. Si tu voulais, Seigneur ! Qu'on fit des offrandes, selon ton gré je pourrais te servir. Mais aux présents tu as aucun plaisir : c'est le cœur que tu veux ; mon cœur seul te demande. 2. Tu veux, ô mon Sauveur ! Que ton saint Évangile soit, chaque jour, ma lumière et ma foi, je sente, sous ta croix, que ton joug est facile. 3. C'est là ce qui t'est dû : c'est le juste service que ton amour requiert de ton
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enfant. Hélas ! Seigneur ! Je vois en rougissant que je n'ai point encore offert ce sacrifice. 4. Non, Seigneur ! À toi seul n'appartient pas ma vie. Le monde, encore, en retient une part ; et c'est ainsi qu'en un triste retard, à mille vanités mon âme est asservie. 5. Ô Jésus ! Ô mon Roi ! Toi seul as la puissance de m'affranchir de ces pesants liens. Oui, seul tu peux, vers les célestes biens, tourner tous mes efforts, toute ma vigilance. 6. Vers toi donc, ô mon Dieu ! J'élève ma prière. Sauveur clé!ment ! Réponds à mes soupirs. Prends tout mon cœur : alors!tous ses désirs, par toi purifiés, ne seront que lumière. Nous étant débarrassés de tout fardeau, et du péché dont nous sommes si aisément enveloppés, fournissons avec constance la carrière qui est ouverte devant nous, ramenant nos regards sur Jésus Prince et Consommateur de la Foi.
87. 1. Seigneur ! Écoute-moi : réponds à ma prière. C'est comme ton enfant que je reviens à toi. Ah ! N'es-tu pas toujours un bon, un tendre Père! Retourne donc, ô Dieu ! Ton doux regard sur moi. 2. Je sais qu'en ton amour, par son grand sacrifice, en son corps, sur la croix, Christ a pris mes péchés ; et qu'en mettant sur moi sa parfaite justice, il les a, pour toujours, et couverts et cachés. 3. Et cependant, ô Dieu ! Ta fidèle promesse n'exerce sur mon cœur qu'un bien faible pouvoir ; et ma légèreté, mes délais, ma faiblesse m'arrêtent constamment au chemin du devoir. 4. Je voudrais obéir ; oui, mon esprit approuve de tes commandements la sainte autorité ; mais quand il faut agir, toujours je me retrouve leur préférant encore ma propre volonté. 5. Ô Jésus ! Mon sauveur ! Use donc de puissance ! Ton sceptre est en ta main, et toi seul es mon Roi. Prends et soumets mon cœur, et que l'obéissance soit en moi l'heureux fruit d'une sincère foi.
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88. 1. Saint des Saints ! Tout mon cœur veut s'élever à toi. Tu me dis de chercher le regard de ta face. Esprit de Christ ! Dans la paix de la Grâce, devant mon Dieu viens soutenir ma foi. 2. Par toi je fus formé, tout-puissant Créateur ! De tes mains tout mon être est l'étonnant ouvrage. Et, chaque jour, j'ai reçu quelque gage des tendres soins de ta riche faveur. 3. Mais, Éternel mon Dieu ! Comment puis-je parler de l'ineffable don de la nouvelle vie ! Comment parler de la grâce infinie que ton amour m'a daigné révéler ! 4. Cependant cette grâce et cet immense amour n'ont encore sur mon cœur qu'une faible efficace. Que de mépris, que d'orgueil, que d'audace, ce cœur hautain leur oppose en retour ! 5. Devant toi j'en rougis, je demeure confus, et ne puis que pleurer sur ma grande misère. Mais, ô mon Dieu ! Chez toi je trouve un Père plein de pitié : car je suis à Jésus. 6. Oui, Seigneur ! Tu m'entends, et tu vois ma douleur. Ce n'est jamais en vain que ton enfant t'appelle ! De ton secours la promesse est fidèle, et promptement ta paix rentre en son cœur !
89. 1. Toute ma crainte et ma complainte, c'est qu'en mon cœur, ô mon Seigneur ! Laissant ta voie, je ne me voie t'abandonner, et de ta Grâce, devant ta face, me détourner. 2. Mais ta puissance et ta clémence, sont le soutien et le gardien d'une pauvre âme qui te réclame comme son Dieu, et qui t'appelle, sauveur fidèle ! De ce bas lieu. 3. Elle est sauvée et retrouvée ; et ton secours offre toujours à sa misère la main d'un Père, dont le pouvoir, en sa faiblesse et sa détresse, se fera voir. 4. Oui, tu nous donnes, quand tu pardonnes, par ton Esprit, en Jésus-Christ, un ferme gage de l'héritage qu'en ton amour tu nous réserves et nous conserves au saint séjour. 5. Aussi je place en cette grâce, dans mon ennui, tout mon appui : et si je doute, j'écoute ta voix me confirmer, qu'avec constance et patience, tu veux m'aimer.
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90. 1. Ton joug est doux, et ton fardeau léger, ô Fils de Dieu ! Maître humble et débonnaire ! À le porter, ha ! Puis-je me plaire, et, sans refus, chaque jour m'en charger ! 2. C'est ton amour qui nous donne tes lois. Leur droit sentier n'est que lumière et vie, et vers ton ciel la route en est unie, si notre cœur de t'aimer a fait choix. 3. Oui, quand je suis sous ton puissant regard, porter ton joug m'est aimable et facile : autour de moi tout alors est tranquille, et de mon cœur ton repos est la part. 4. Hélas ! Pourquoi suis-je sitôt lassé, sitôt vaincu dans ma persévérance ! Ah ! Je ressemble, en ma triste inconstance, au faible épi que le vent a froissé. 5. J'ai donc besoin que tu changes mon cœur : que ton esprit le fléchisse et l'instruise, que pas à pas ta droite me conduise, et mette en moi la force et la ferveur. Déchargez-vous sur Dieu de tout ce qui peut vous inquiéter, parce que lui-même a soin de vous.
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« Comme l'aigle encourage sa nichée, voltige au-dessus de ses petits, étend ses ailes sur lesquelles il les accueille et les porte, ainsi l'Éternel seul conduit son peuple. »
Méditation Sainte Mère de Dieu
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qui dans l'Église se sont montrés froids ou réservés envers la Sainte Vierge ont toujours été légitimement suspects de quelque erreur. Les protestants ne se réconcilient pas avec les « exagérations mariales » des catholiques, tout en reconnaissant qu'elles remontent très haut dans l'histoire, si haut qu'on les rencontre presque dès les origines. Pourquoi la piété n'a-t-elle pas à rougir de sa tendresse envers Marie ? Quel est le principe profond dont cette piété s'inspire ? Est-ce que vraiment il s'y même de la mièvrerie féminine, et comment une âme virile et forte peut-elle s'accommoder des attitudes presque enfantines que la dévotion mariale impose et perpétue ? Faute de voir clair dans ces questions, on hésite ou on s'égare, et la piété ne s'appuyant plus sur la vérité devient vite une exaltation maladive ou une démarche conventionnelle. Rien n'est caduc dans l'œuvre de Dieu ; sa grâce ne vieillit pas et les vertus qu'elle inspire ne connaissent pas de déclin. Aussi l'âme chrétienne conserve des qualités en apparence incompatibles, elle garde avec la prudente sagesse de l'expérience la candeur fraîche de la conscience qui s'éveille. L'âme chrétienne ne se flétrit pas, et les saisons de superposent et se fondent en elle sans se chasser l'une l'autre, comme dans l'univers matériel. Il y a tant de force dans le cœur d'enfant, toute la force de l'avenir ; et il y a tant de lumière dans
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une âme de sage, toute la lumière d'un long passé d'expérience. Ne pourrait-on pas garder ensemble, dans une seule vie, ces deux trésors, et notre âge mûr ne pourrait-il pas bénir Dieu qui réjouit toujours notre jeunesse ? Pourquoi serait-ce impossible ? Le royaume des cieux est pour ceux qui ressemblent aux enfants, et la bonté confiante est si voisine de l'ingénuité primitive. Protégée par la grâce de Dieu, notre âme peut mûrir sans rien perdre de sa valeur, et sur notre arbre invisible le fruit ne grandit pas au détriment de la fleur qu'il remplace. L'éternité n'est pas la fuite continuelle devant la mort, mais la tranquille possession de tous les biens et de soi-même ; notre vie de grâce est le commencement de la vie éternelle. Nous devons donc retrouver dans cette vie de justice les propriétés de la gloire, à l'état naissant. Et la caducité en est absente. Nous nous enrichissons sans devoir payer par un appauvrissement notre richesse, comme ceux qui achètent ou qui vendent et qui trafiquent, s'accrochant à tout ce qui fuit. Pour garder la fraîcheur d'enfance, ce trésor virginal au fond d'une âme vaillante, il faut que quelque chose en nous soit encore comme enfantin. Allons-nous artificiellement nous réduire et faire semblant de balbutier ? Non ; il nous suffit de nous comprendre dans la vérité pour voir que nous avons encore besoin d'une Mère. Car l'homme doit naître plusieurs fois ; il ne se forme et ne s'achève que par ces naissances successives et si l'usage ne garde le souvenir que de la nativité physique et apparente, la réflexion non montre que celle-ci n'est que la première d'une longue série. Le corps vit, mais l'activité de l'esprit n'a pas encore éclos ; l'esprit s'éveille, mais la volonté morale dort encore ; la volonté naît, mais l'habitude n'est pas encore acquise..., et nous allons ainsi de naissance en naissance jusqu'à notre naissance éternelle à la vie qui ne finit plus. Et en toute vérité, dans l'ordre de la grâce — le seul qui compte, parce que seul il donne un sens au reste — dans l'ordre de la grâce nous sommes encore en gestation, nous sommes des enfants, non des adultes. La piété chrétienne l'a bien compris, et les fidèles ont d'instinct couru à la Mère du Verbe, parce qu'ils sont sincères et qu'ils ne s'imaginent pas, comme ces écoliers prétentieux et ignares, avoir déjà franchi, dans la vie de la grâce, le stade élémentaire. Il n'est donc pas nécessaire de se mentir pour adopter vis-à-vis de la Mère des croyants l'attitude et les gestes de l'enfance ; il suffit de se connaître et de faire taire en soi le mauvais orgueil des fiertés
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creuses. Et c'est cette dévotion totale à la Mère du Christ qui entretient dans l'Église le véritable esprit de la famille. Je ne sais pas si suis un savant, je ne sais pas si je suis vertueux, je ne sais pas si je suis fort ou faible et si je vaux qu'on me regarde. Autour du foyer, les enfants ne sont qu'un même peuple, et les yeux de leur mère les ont tous nivelés dans un amour identique : ils ne sont que « les enfants ». Et je remercie Notre-Dame d'avoir fait comprendre à tous les fidèles que, devant elle, il n'y avait ni Grec ni Scythe, ni homme ni femme, ni savant ni dément, mais un même peuple, une même condition, une même famille, la famille de ceux qui doivent éclore à la lumière et dont la grâce vient préformer les traits définitifs. Jamais nous ne la remercierons assez de tout ce quelle verse dans notre Église d'esprit de calme et de pureté. Et seuls les aveugles volontaires refuseront de l'aimer pour tout ce qu'elle a conservé de fraîcheur printanière et de sentiments suaves dans les âmes des vieux guerriers chrétiens Notre-Dame des mourants et Notre-Dame des batailles, Notre-Dame de Consolation et de Bon Secours, la Vierge tutélaire que le disciple de Christ invoque depuis sa première prière jusqu'à l'heure de sa mort, comment peut-on prétendre que la dévotion qu'on lui porte, masque, comme d'un écran opaque, la personne de l'Unique Médiateur ?
Splendor Patris Factor matris Iesu, nostra gloria, Da utfiam Per Mariant Tua dignus gratia... Ainsi, ô mon Dieu, chantaient vos anciens moines, dans des formules aussi nettes que touchantes, unissant la piété et la vérité, la douceur et l'énergie, et sachant bien que toutes les grâces nous étant venues par vous et vous-même nous ayant été donné par les bras de votre Mère, elle ne pouvait être indifférente à votre œuvre et qu'elle s'intéressait à toute votre Rédemption. Et je ne vous demande, ce soir, qu'une seule faveur, celle de rester dans votre Église non comme un lettré ou comme un philosophe, non
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comme un athlète ou comme un héros, mais tout simplement comme un enfant de votre Mère Marie.
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Prières à la gloire de l'Éternel
91. Dans l'abattement au jour de l'épreuve. 1. Travaux, douleurs et train de guerre, sont du Chrétien la sûre part ; Mais Jésus a vu sa misère ; il est sa force et son rempart. 2. Je vois qu'en vain mon âme espère de se dépouiller du péché : Mais Jésus ! Tu vois ma misère, et pour moi ton cœur est touché. 3. Je crois souvent qu'à ma prière Dieu courroucé ne répond plus : Mais, Jésus ! Tu vois ma misère ; je ne crains donc aucun refus. 4. Souvent, aussi, je trouve amère la coupe que m'offre la Foi : Mais, Jésus ! Tu vois ma misère, et je ne la bois qu'après toi. 5. Souvent, encore, mon cœur diffère de s'approcher de son Sauveur : Mais, Jésus ! Tu vois ma misère, et tu supportes ma lenteur. 6. Ainsi, Seigneur ! Mon Dieu, mon Père ! Je regarde à Toi chaque jour puisque tu connais ma misère ; je reste en paix dans ton amour. Ne crains point, car moi je suis avec toi ; ne sois point éperdu, car moi je suis ton Dieu.
92. 1. Que de larmes, et d'alarmes, sur le chemin de notre foi ! De la mort s'y trouve la loi, et du péché les tristes charmes. Mais en Jésus, mon Rédempteur, je suis rendu plus que vainqueur. 2. Si je laisse, par faiblesse, le droit sentier de sainteté ; si mon méchant cœur est tenté de résister à la sagesse, mon Dieu ne m'abandonne pas, mais bientôt redresse mes pas. 3. Si je doute, en ma route, que de moi le Seigneur soit près ; de mon amour mille bienfaits montrent qu'il me voit, qu'il m'écoute, qu'il connaît mes moindres désirs, et qu'il répond à mes soupirs.
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4. Non, sa Grâce ne se lasse ni de sauver, ni de bénir. Oh ! Qu'il est doux de se sentir dans la lumière de sa face ! Là, tout est paix ; là tout est beau : tout est bonheur toujours nouveau ! 5. Ah ! Qu'il vienne et se tienne tout près de moi, sur mon sentier ! Qu'il y soit toujours le premier, et que sa droite m'y soutienne ! Pourrai-je craindre quelque ennui, s'il est mon guide et mon appui ? 6. Oui, ma vie est bénie, car sous ses yeux je suis toujours ; et de tous mes pas l'heureux cours, en lui trouve une route unie. Et c'est ainsi qu'en ces bas lieux, en paix j'avance vers les cieux.
93. 1. Comme en un jour d'hiver, le soleil sur la terre jette un pâle rayon ; de notre joie, ainsi, s'affaiblit la lumière, en notre affliction. 2. Il nous paraît alors que, bien loin de sa face, Dieu nous a repoussés, et que son bon Esprit perd sa douce efficacité, ou nous a délaissés. 3. Mais qui peut rebuter, ô Dieu ! Ta patience, et lasser ton support? Auquel de tes enfants ton trône de clémence ferme-t-il son abord ? 4. Ah ! Jamais tu n'es loin : au temps où mon cœur trouve quelque calamité, même alors, c'est ta main qui sagement m'éprouve, en ta fidélité. 5. Aussi, sur mon sentier je n'aurai nulle crainte, si le jour s'affaiblit ; et je traverserai, sans proférer de plainte, la plus profonde nuit. 6. Car ta voix, ô Jésus ! Du milieu de cette ombre, jusqu'à mon!cœur viendra ; et quand je passerai par l'ennui le plus sombre, ta main me soutiendra.
94. 1. Mon cœur est abattu, ma force est épuisée. Tristement je languis ; tout le jour je gémis, et, la nuit, de mes pleurs ma couche est arrosée. 2. Mille fois devant Dieu j'ai répandu ma plainte ; jusqu'à lui j'ai crié, et je l'ai supplié d'envoyer son secours, de sa Montagne sainte. 3. Mais, toujours, ce fardeau sur mon âme demeure. Ô mon Dieu ! Tu le vois : faut-il que sous son poids, mon cœur soit accablé, qu'il s'affaisse et qu'il meure ? 4. Cependant pour les tiens ta Promesse est fidèle : quand l'affligé vers toi se retourne avec foi, ce n'est jamais en vain qu'il te cherche et t'appelle.
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5. Suis-je donc délaissé dans ma dure misère ? Et ton coupable enfant est-il un monument de la sévérité de ta juste colère ? 6. Ô Dieu de mon salut ! Fait donc grâce et délivre ! Ô Jésus ! Sans retard, que ton puissant regard termine mon combat et me fasse revivre !
95. 1. Comme en un bois épais, et sous un noir ombrage, le soleil, tout à coup, lance un rayon brillant ; ainsi l'Esprit de Dieu perce l'obscur nuage dont un doute entourait le cœur de son enfant. 2. Hélas ! Ils sont nombreux les moments de nos peines. Souvent nos durs sentiers traversent le désert. Mais là même, ô Jésus ! Jaillissent tes fontaines : là même ton rocher nous reçoit à couvert ! 3. Ô Chrétien voyageur ! Ne crains pas la tempête ; ne crains pas du midi les pesantes ardeurs. Ne vois-tu pas Jésus qui, dès longtemps, apprête ce refuge où, vers lui, vont cesser tes langueurs ? 4. Non, dans les sombres jours de ta marche pénible, jamais, ô Racheté ! Tu n'es seul ici-bas. Ton Berger, ton Sauveur, se tient, quoique invisible, sans cesse à tes côtés, et veille sur tes pas. 5. Quoi ! Peut-il ignorer que ton âme est souffrance, Lui qui de tous tes maux supporta tout le poids ? Ou bien retiendrait-il sa force consolante, Lui qui pour tes péchés mourut sur la croix ? 6. Avance donc en paix : poursuis vers ta patrie le chemin que ton Dieu t'a luimême tracé ; et pense que Jésus, dans le ciel, pour toi prie, lorsqu'ici tu te plains, de fatigue oppressé.
96. 1. Non, ce n'est pas en vain qu'une âme te désire, ô Fils de Dieu, tendre et puissant Sauveur ! Aussi vers toi je dirige mon cœur ; cherchant à le ranger sous ton aimable empire. 2. Il est vrai que souvent mon esprit intraitable de ton amour voudrait se détourner, et que ta Loi me paraît ne donner qu'un joug humiliant, qu'un fardeau qui m'accable. 3. Mais tu le sais, mon Dieu ! Dans le fond de mon âme, sans murmurer, j'adore
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ton pouvoir. Oui, tu connais mon sincère vouloir de célébrer ton Nom que sur moi je réclame. 4. Aussi, ton faible enfant, malgré tant de misère, tant de lenteur et d'incrédulité vers le trésor de ta gratuité élève ses regards, comme un fils vers son père. 5. Réponds donc à mes vœux : mets sur moi, par ta grâce, le!sceau vivant de mon adoption. Fais-moi sentir, en ta communion, la paix et la douceur du regard de ta face ! Les yeux de l'Éternel sont en tout lieu, contemplant les bons et les méchants. Le sépulcre et l'abîme sont devant l'Éternel : combien plus les cœurs des enfants des hommes !
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« L'Éternel, pour l'amour de son grand Nom, n'abandonnera point son peuple, car il a plu à l'Éternel de faire de vous un peuple qui lui appartienne..»
Méditation À mains jointes
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i la pensée se refuse à prier, les lèvres peuvent dire des mots, et quelque chose de nous, par cela même, appartient encore à Dieu. Et quand le dégoût ou la fatigue ou l'impuissance de parler nous saisit, il nous reste toujours la ressource de prier par notre attitude et d'offrir à Dieu notre geste. Attitude bizarre, pense-t-on, que celle des mains jointes. Plusieurs en rougissent et ne veulent pas faire comme les dévots naïfs. Ils ne se sont jamais demandés ce que voulait dire le vieux geste traditionnel ; ils ne l'aiment pas, ne l'ayant jamais compris. On cherche très loin des méthodes compliquées, mais le pain dont Dieu nourrit l'âme, c'est ce pain dédaigné, le pain biblique, que les patriarches cuisaient sous la cendre noire. Pour bien prier, il nous suffirait de joindre nos deux mains en formant au geste extérieur l'attitude de notre âme. Les ascètes égyptiens ne demandaient à Thaïs la pécheresse, pour qu'elle retrouvât la candeur baptismale, que de se tourner vers l'orient au lever du soleil et de dire : Tu qui plasmasti me, miserere mei. « Vous qui m'avez créée, prenez-moi en pitié. » Les mains jointes, geste bizarre ! Vraiment, est-ce qu'elles ne disent rien, les mains jointes des petits enfants, les mains jointes des premières communiantes sous leur voile de mousseline, les mains jointes des ouvriers, et celles des époux chrétiens qui, chaque jour, côte à côte, devant l'incertitude des lendemains providentiels,
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demandent au Père les énergies sans défaillance ? Est-ce qu'elles ne disent rien les mains jointes de tous nos morts dans la paix du cimetière, les mains jointes de ces morts, dont nous avons peut-être nous-mêmes composé pieusement la suprême attitude, pour qu'au jour des rétributions redoutables, l'ange de la résurrection retrouvât en eux la dignité de leurs corps de baptisés ? Est-ce que nous ne comprenons pas que ce vieux geste est plein de leçons merveilleuses, et que nous avons la charge de la transmettre, de le propager comme une bonne nouvelle de salut, comme un moyen de pacification et de sainteté ? Oui, que voulons-nous dire quand, pour prier Dieu, nous joignons nos mains mortelles sans ajouter au geste un seul mot, comme l'infirme dont la misère est assez éloquente pour qu'aucun commentaire ne l'appuie ? Les mains jointes ce sont les mains captives, les mains qui ne veulent plus résister et qui renoncent à demeurer indépendantes ; les mains jointes ce sont les mains qui s'abandonnent, qui se livrent, qui acquiescent ; ce sont les mains de la douceur et de la docilité, ce sont donc les mains de la prière. Seigneur, quand vous les voyez se lever de partout vers vous les mains jointes de vos fidèles, vous seul pouvez savoir de quels liens invisibles elles sont vraiment entravées et quels mauvais démons les veulent garder prisonnières. Vous seul savez que nos rébellions ne nous ont jamais donné la liberté ; vous seul, qui en avez souffert avant nous, connaissez à quel point nous sommes rivés à nos vieilles servitudes. Et les voilà, mon Dieu, mes mains de captif ; je ne veux plus réclamer, ni même réfléchir, je suis fatigué et j'aspire à vous trouver dans le calme ; voilà, mes deux mains jointes résument toute ma prière, et j'attends, comme celui qui porte un drapeau pacifique et dont les lèvres restent closes. Ne pourrions-nous pas, dans le secret de notre demeure, le soir pendant quelques minutes, savoir ce que nous faisons enjoignant nos mains d'hommes, ces mains ouvrières des desseins du bon Dieu, les mains dont il se sert pour agir aujourd'hui, pour bénir, pour soulager, pour absoudre, pour relever, pour combattre ; nos mains que tant de défauts secrets, tant de méchant orgueil, tant de paresse morbide paralysent. Je ne suis pas fait pour être indépendant et, désireux de servir, il me faut une loi, une tâche, une raison plus haute que ma fantaisie. Mon Dieu, enjoignant mes deux mains, je veux vous dire que vous serez
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mon unique Maître. Captif, oui, je m'abandonne. Pourquoi continueraisje à mentir et à traiter avec vous de puissance à puissance ? Pourquoi ne remettrais-je pas dans vos mains éternelles mes deux mains jointes ? Ma vie et tout ce que j'en emporterai tient dans leur intervalle. Gardez-moi ; c'est la seule manière pour moi d'échapper à mes tyrans. Quand dans l'Église latine on confère le sacerdoce à ceux qui ne sont encore que des diacres, après leur avoir transmis les grands pouvoirs de célébrer, d'absoudre et de bénir, après les avoir fait communier au mystère du corps et du sang eucharistiques, au moment où la cérémonie touche à sa fin, l'évêque comme pris par une suprême angoisse, se retourne vers les nouveaux prêtres et les rappelle un à un près de lui. Et ils montent les degrés de l'autel, s'agenouillent devant le prélat qui les attend et qui, prenant dans ses mains épiscopales leurs mains jointes, leur demande, avec cet accent grave qui convient quand s'échangent des paroles éternelles, s'ils promettent de garder toujours à leurs supérieurs légitimes toute leur obéissance et tout leur respect. Le Christ attend chaque jour, un à un, ses fidèles. Aujourd'hui, c'est à vous de monter. L'évêque de vos âmes demande que vous placiez filialement dans ses mains rédemptrices vos deux mains jointes. Laissez-le faire, laissez-vous faire, et si, pour joindre ces mains, il faut d'abord les vider, d'un geste définitif laissez tomber tout ce que l'étreinte divine refuse d'accepter et de bénir. C'est la question toujours actuelle que le Christ pose à tous les siens : Promitis ? Promettez-vous le respect et l'obéissance sans murmure, sans plainte, sans faiblesse, sans langueur morne, l'obéissance de ceux qui se sont soumis cordialement et dont la joie est de servir ? Il est impossible que les mains jointes, vides de toute richesse éphémère, ne nous gardent pas les trésors invisibles de la vertu et de la paix sans déception. Et pour retrouver Dieu, il suffit, dans le secret, de prier manibus junctis.
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Prières à la gloire de l'Éternel
97. Pour l'affermissement de sa foi. l. Ah ! Que la foi de la Cananéenne me montre, ô Dieu ! Comment je dois prier ! Que la ferveur de son zèle m'apprenne comment aussi je dois te supplier ! 2. À toi, Seigneur, librement et sans crainte, tout son désir elle manifesta. Avec ardeur elle exprima sa plainte, et devant tous longuement persista. 3. Elle crut donc qu'en ta toute-puissance de tous les maux était la guérison, et que ta riche et facile clémence à nos besoins ne refuse aucun don. 4. Aussi sa foi la plus forte fut-elle : comme Jacob, elle lutta, Seigneur ! Tu te rendis à cette âme fidèle, et lui donnas le désir de son cœur. 5. Ô mon Sauveur ! Tes faveurs sont les mêmes de siècle en siècle, et pour tous tes enfants ; car aujourd'hui comme hier, tu aimes, et tes trésors pour eux sont permanents. 6. À mes désirs que ton Esprit les ouvre ! Oui, vers leurs biens viens mon cœur incliner : et si, d'abord, quelque retard les couvre, ah, que je sache aussi t'importuner !
98. Pour une plus intime communion avec Jésus. 1. C'est toi, Jésus ! Que recherche mon âme. À te trouver se bornent mes souhaits. C'est ton regard que sur moi je réclame : rends-moi, Seigneur ! Rends-moi ta douce paix. 2. Jadis j'errais dans les sentiers du monde, ne connaissant ni ton Nom, ni ta Loi : tu me cherchas en cette nuit profonde, et, pour toujours, m'en tiras par la Foi. 3. Ta voix d'amour à moi se fit entendre : j'appris alors que tu m'as racheté ; et ton Esprit à mon cœur fit comprendre ce qu'est, ô Dieu ! Ta grande charité.
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4. Depuis ce jour, ta longue patience a supporté mes nombreuses tiédeurs : je t'ai quitté ; mais toujours ta clémence a prévalu sur mes folles erreurs. 5. Pourquoi toujours, par ma lâche faiblesse, trouvé-je en moi des langueurs, des ennuis ! Ah ! Ton amour jamais ne me délaisse ; c'est moi, Jésus ! Oui, c'est moi qui te fuis. 6. Prends donc pitié de ma grande misère : soumets mon cœur, brise sa dureté. À Golgotha mon âme te fut chère : je compte, ô Dieu ! Sur ta fidélité. Même les cheveux de votre tête sont tous comptés.
99. 1. Combien de fois, Seigneur ! J'ai senti dans mon cœur, ta sublime présence relever ma constance, et donner du repos à mon âme en souffrance, lorsque son espérance succombait sous ses maux ! 2. Oui, déjà, que de fois, à ta puissante voix, une force soudaine a soulagé ma peine ! Combien de fois ta main, au fort de ma faiblesse, secourut ma faiblesse et dressa mon chemin ! 3. Oui, tu t'es approché dès que je t'ai cherché ; et mon âme, avec joie, a poursuivi sa voie. Tu m'as dit : me voici : je suis ton Dieu qui t'aime, et mon pouvoir suprême finira ton souci. 4. Quel repos consolant dans mon cœur se répand, par cette sollicitude ! Je puis donc, chaque jour, m'assurer que ma vie de toi sera bénie, puisque j'ai ton amour !
100. 1. Oui, c'est ta volonté que mon âme veut faire, Dieu tout-puissant, mon Rocher, mon Sauveur ! Oui, c'est à toi, mon Roi, mon Rédempteur ! Que je veux regarder, en marchant sur la terre. 2. Pourquoi, dans mes ennuis, se plaindrait ma faiblesse ? Pourquoi ton joug me serait-il pesant ? Quoi ! Mon Berger ! Moi, ton heureux enfant, je pourrais oublier ta suprême sagesse ! 3. N'as-tu pas, ô Jésus ! Mon âme en ta présence ? Ne suis-je pas sous ta puissante main ? Et, chaque jour, mon facile chemin ne m'est-il pas dressé par ta sage clémence ? 4. Oui, c'est dans ton amour, c'est toujours en ta Grâce qu'en l'éprouvant tu
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circoncis mon cœur. Oui, je le sens, ainsi, dans ta faveur, tu m'apprends à chercher le regard de ta face. 5. J'attendrai donc, Seigneur ! Sans murmure et sans plainte. Mon âme en paix portera son fardeau ; et ton Esprit, dont j'ai sur moi le sceau, élèvera ses yeux vers ta Montagne sainte.
101. 1. Je cherche ta présence, ô mon Dieu, mon Sauveur ! Tu vois qu'avec ferveur, et plein de confiance, j'élève jusqu'à toi le désir de ma foi. 2. Sur cette sombre terre, hélas ! De mon regard, je ne puis nulle part te voir ! Ô mon bon Père ! Et l'éclat de tes cieux te dérobe à mes yeux. 3. Mais il est une place où ton heureux enfant rencontre promptement la splendeur de ta face ; où son âme, ô bon Dieu ! Te trouve en ce bas lieu. 4. C'est dans le Sanctuaire, où nous sommes admis par le sang de ton Fils, en ta pure lumière : là, tu nous entretiens ; là dans nos cœurs tu viens. 5. C'est donc là que mon âme te cherche, ô mon Sauveur ! C'est là que de mon cœur le désir te réclame. Ô Seigneur Eternel ! Ouvre à ma foi ton ciel !
102. 1. Je sais, ô mon Seigneur ! Que partout où je suis, j'y suis devant ta face ; que jamais nul espace ne m'éloigne de toi : que partout tu me suis. 2. Je marche devant toi ; devant toi je m'endors. Sous ton regard je veille, sous tes yeux je m'éveille, je pense en mon esprit, je me meus en mon corps. 3. Ton Esprit de mon cœur connaît tout le vouloir. Il sonde ma pensée, et mon âme est placée, en son moindre désir, sous l'œil de ton savoir. 4. Ni l'asile ignoré, ni la profonde nuit, ne me cache à ta vue : ma trace t'est connue, et chacun de mes pas par toi-même est conduit. 5. Ô mon Père et mon Dieu ! Que, durant tous mes jours, de ta toute-présence je sente la puissance agir sur mes penchants, en régler tout le cours ! 6. Que mon cœur contenu dans la sobriété, devant toi se modère, et qu'humblement et débonnaire, je demeure en ta paix et dans ta sainteté !
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« Comme l'aigle encourage sa nichée, voltige au-dessus de ses petits, étend ses ailes sur lesquelles il les accueille et les porte, ainsi l'Éternel seul conduit son peuple. »
Méditation L’œuvre de vos mains
L
'ŒIL qui voit tout ne voit pas lui-même ; l'œil qui voit tout n'arrive pas à voir l'autre œil, son voisin, et le droit et le gauche vivent quatre-vingt-dix ans et meurent ensemble sans s'être jamais regardés. Les vérités les plus proches de nous sont celles que nous considérons le moins volontiers et le plus malaisément. Nous passons par-dessus sans les apercevoir et nous allons chercher très loin, au fond du désert, ce que Dieu avait placé à la porte de notre demeure et que, dans l'impétuosité de notre allure, nous n'avons pas remarqué sur notre seuil. Je sais que Dieu m'a créé, et je crois avoir aperçu le fond de cette vérité banale. Son évidence m'est devenue tellement familière qu'à la méditer, plus un frisson ne s'éveille en moi. Je sais que je suis créé comme je sais de quel nom on m'appelle et je passe aussitôt à des réflexions plus inédites, à des conclusions plus actuelles. Dieu m'a créé, c'est là une histoire déjà ancienne, un événement classé, daté, et dont chaque jour qui finit m'éloigne davantage. Jadis je suis passé du néant à l'être, et je suis ; voilà tout. Que peut-on tirer d'émouvant de cette philosophie rudimentaire ! Trop rudimentaire vraiment ! Ma création n'est pas un incident qui jadis a eu lieu, c'est une réalité permanente. Je suis créé, au sens actuel du mot, c'est-à-dire que mon être, comme tel, a Dieu pour
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cause. L'être ne se donne pas à un sujet qui le conserverait comme une aumône ; car le sujet n'est pas sans l'être ; et la création est la foi perpétuelle de mon existence, non seulement l'ébranlement initial de ma vie. Ce n'est pas pour commencer d'être que j'ai besoin des mains créatrices ; c'est pour être, tout simplement et le temps n'y fait rien. L'habitude d'être ne peut jamais devenir solide en moi. Après des siècles mon essence demeure aussi incapable d'exister par elle-même qu'à la veille du jour où j'ai commencé, par Dieu, de ne plus être rien. On s'imagine parfois que l'existence nous a été donnée comme un cadeau, fait une fois pour toutes, et qui n'appellerait en nous que de la reconnaissance à l'égard d'un bienfaiteur. Un jour, pense-t-on, Dieu nous a fait présent de l'existence, et, comme le mendiant comblé et devenu riche, nous sommes propriétaires des dons d'autrui. Mais la création est en réalité une éternelle dépendance, toujours actuelle. Mon être dépend de Dieu comme l'écho dépend de la voix et comme le reflet dépend de la lumière. Et la loi suprême de ma nature c'est donc l'obéissance souple et totale à l'égard de mon principe — Je suis toujours entre ses doigts. Comme entre les mains du potier, qui pétrit l'argile à sa guise, et comme entre les doigts du tisserand, qui conduit le fil suivant ses vues, et comme entre les mains du jardinier, qui taille et coupe les rameaux immobiles et met son esprit et son idée dans les arbres qui sont à lui. Il y a tout au fond de mon âme un point singulier, que je puis toujours atteindre et qui est un acquiescement à toute l'œuvre divine. Mon être est un être reçu, et il le sait, puisqu'il est conscient, capable de se connaître. Aussi la docilité est la trame même de toutes les vertus ; elle est la respiration de ma vie surnaturelle, et il n'y a pas d'autre mal que de refuser de dépendre. Refuser de dépendre, c'est pour la créature, dans la mesure de ses moyens, se jeter dans la mort, comme l'écho qui s'anéantirait à l'heure précise où, refusant de répéter ce que l'on crie, il renoncerait à être un écho et cesserait d'être luimême. Malheureusement cette simplicité qui obtempère et qui se soumet ne m'est pas habituelle. Au-dessus de ma nature créée, comme des éboulis sur un chemin de montagne, des avalanches ont passé, mauvaises et lourdes. Et j'ai mêlé des vouloirs impérieux et des caprices exigeants à la seule nécessité de servir Dieu. Les mains divines m'ont semblé dures ou trop avides, et j'ai fui devant elles comme un gibier sans raison ; je me suis laissé couler comme une eau
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vive entre les doigts. Pour reprendre ma liberté ! Comme si ma liberté n'avait pas pour condition la soumission de mon être à sa loi ; comme si je pouvais être vraiment libre en cessant d'être ce que je suis, en introduisant l'anarchie et le chaos et les dissonances dans ma nature. Au lieu de me gouverner d'après les impressions fugaces, si j'adoptais comme règle les principes premiers de la vie surnaturelle : aimer les mains divines, ces mains qui me font, qui me créent sans arrêt, et auxquelles je ne pourrai plus échapper. Et quand la Providence invisible me sollicite par tous les événements fâcheux ou rieurs, quand elle incline à droite ou à gauche, quand elle me transporte dans la nuit ou dans le péril. Pourvu que je ne quitte pas la main créatrice, pourvu que ma volonté demeure où ma nature ne peut pas ne pas être, pourvu que je sois de tout mon désir ce que je suis par toute mon essence, mes trésors, mes valeurs, mes seuls biens. Nos vraies fiertés doivent avoir Dieu comme objet ; car nous sommes l'œuvre de Dieu, et c'est son action en nous qui seule est admirable. Les mains divines sont reposantes, comme une grande sécurité tutélaire, et la mort ne peut rien contre ce qu'elles protègent en le gardant. Mon Dieu, donnez-moi tout ce qui me manque, tout ce qui m'est nécessaire, le goût de la docilité et l'appétit de la dépendance. Elle n'a rien de vulgaire et d'amoindri, cette dépendance loyale et forte ; elle est la condition de toutes les vigueurs, comme la dépendance de la racine vis-à-vis du sol, et de la feuille envers la branche. C'est au moment précis où elle se détache du rameau qui la porte et lui donne sa raison d'être, c'est au moment où elle s'en va dans un tourbillon, dansant comme une émancipée, c'est au moment où elle n'est plus qu'elle-même, qu'on l'appelle une feuille morte. Le péché qui m'éloigne de vous, et l'orgueil mauvais qui proteste en moi contre les ordres de votre Providence et les désirs de votre grâce, toutes ces raideurs insolentes et ces mécontentements et ces doléances, toutes ces folies qu'un peu de lumière céleste tuerait comme des cauchemars, je vous demande, mon Dieu, de m'en délivrer en me faisant comprendre que rien n'est plus beau et que rien n'est plus fort et que rien n'est plus saint que d'être l'œuvre de vos doigts.
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Prières à la gloire de l'Éternel
103. 1. Répands en moi ta sainte vie, ô Fils de Dieu ! Prends tout mon cœur ; car tu le vois, en ma folie, bien promptement, hélas ! J'oublie tes droits sentiers, ô mon Sauveur ! 2. Comme la sève d'une plante la fait germer, croître et fleurir, de même ta Grâce puissante soutient ma foi, la rend fervente, et pour le ciel la fait mûrir. 3. Mais aussi, comme on voit la grêle rompre et meurtrir les plus beaux fruits, ainsi mon orgueil renouvelle dans mon cœur dur, fier et rebelle, mille péchés et mille ennuis. 4. Encore, si ma triste misère me causait un profond chagrin, et si vers toi, mon tendre Père ! Vers ta pure et sainte lumière, je rebroussais bientôt chemin ! 5. Soumets-moi donc ; force mon âme à t'obéir, ô mon Sauveur !!Fais-moi rougir devant ton blâme : oui, contrains-moi ; car je!réclame ton amour, même en sa rigueur. Voici, l'œil de l'Éternel est sur ceux qui le craignent ; il est pour ceux qui s'attendent à sa gratuité.
104. Pour le don et l'efficace soutien du Saint-Esprit. 1. Verse en mon cœur ta consolation, Esprit de la Promesse ! Dissipe ma tristesse, et fait cesser ma dure affliction ! 2. Ah ! Que nos jours renferment de douleurs, quand tu voiles ta face ; ô Dieu ! Quand de ta grâce notre âme, hélas ! A perdu les douceurs ! 3. D'un long ennui mon cœur est oppressé. Jour et nuit je soupire, et ne puis que te dire : Seigneur, mon Dieu ! M'aurais-tu délaissé ? 4. Où sont les jours où tu versais sur moi ta paisible lumière ! maintenant ma
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prière paraît, hélas ! Ne plus monter à toi. 5. Mais, je le sais, de moi tu n'es pas loin. Au temps où tu m'éprouves, ô mon Dieu ! Tu te trouves près de mon âme, en son pressant besoin. 6. Devant toi donc en paix je resterai. Je sais que tu me gardes : ô Jésus ! Si tu tardes, en t'adorant, Seigneur ! Je t'attendrai.
105. Pour la délivrance et le soulagement de ses maux. 1. Oh ! Qui viendra soulager ma misère ! N'est-il pour moi point de consolateur ? Pour moi du ciel se voile la lumière, et les ennuis ont abattu mon cœur. 2. Ah ! Que de pleurs j'ai versés sans me plaindre ! Que de soupirs en moi j'ai dû cacher ! Non, plus longtemps je ne puis me contraindre, et tout mon cœur je désire épancher. 3. Mais qui voudrait même entendre ma plainte, si ce n'est toi, mon Dieu, mon Rédempteur ! Et qui saurait même calmer ma crainte, si ce n'est toi, puissant Consolateur ! 4. De quel secours pourrait m'être le monde ? Sa vanité se perd dans le tourment. Si je gémis, sa ruine profonde m'offrira-elle un vrai soulagement ? 5. Non, non, mon Dieu ! Jamais ta créature, pour ton enfant ne peut être un appui. Sur ce roseau si notre cœur s'assure, bien promptement il se brise avec lui. 6. C'est donc en toi que ton âme agitée, ô Bien-aimé ! Vient chercher du repos. Quand par ton sang elle fut rachetée, tu préparas tout remède à ses maux.
106. 1. Mon âme, hélas ! En ma souffrance ne trouvait plus aucun repos. Et chaque jour mon espérance s'affaiblissait devant mes maux. 2. Seigneur ! Disais-je, en ta colère dois-je souffrir ce triste sort ? As-tu cessé d'être mon Père ? Pour moi Jésus n'est-il plus mort ? 3. Ah ! Tes bontés sont éternelles ! Ai-je dit, en mon repentir. D'avoir pitié tu te rappelles : quand nous souffrons tu sais guérir. 4. Oui, promptement ta douce joie vint m'assurer de ton amour ; et ta lumière sur ma voie répandit un céleste jour. 5. Ainsi, Seigneur ! En ma faiblesse tu fus mon prompt et ferme appui ; et par ta
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voix, avec tendresse, tu dissipas tout mon ennui. 6. Ah ! Qu'avec moi chacun répète : « Béni soit le nom du Seigneur ! » j'ai retrouvé la paix parfaite dans un regard de sa faveur.
107. 1. N'as-tu pas entendu le cri de ma souffrance, ô mon Dieu, mon Rocher, mon toutpuissant Sauveur ! N'est-il plus en tes mains de forte délivrance, ou m'aurais-tu fermé l'accès de ta faveur ? 2. Ah ! Je ne cache pas le tourment de mon âme : je te fais tout l'aveu de mes nombreux péchés. Je reçois sur mon cœur de ta Loi tout le blâme, et sur ta Grâce, ô Dieu ! Mes yeux sont attachés. 3. Je ne puis rien de plus, et mon cœur est sincère : oui, c'est en vérité que je suis repentant. Pourquoi donc à mes pleurs, à mes cris, ô Père ! Retiens-tu ton regard loin de moi ton enfant ? 4. Qui me soulagera, si ta main me délaisse ? Est-il un autre Dieu qui puisse délivrer ? Est-il un autre asile où ton peuple en détresse puisse dans ses langueurs sa force recouvrer ? 5. J'attendrai donc, Seigneur ! Oui, sans impatience je porterai le poids de ma longue douleur. Jésus, quand il souffrit, apprit l'obéissance, et comme lui je dois te soumettre mon cœur.
108. 1. Oui, je m'assure en toi, mon Seigneur et mon Père ! Dans mes tentations, mes combats et mes maux. Je regarde à toi seul, au fort de ma misère, de toi seul, par ton Fils, j'attends tout mon repos. 2. « Ma grâce te suffit, » me dis-tu dans ma peine : « Ma force s'accomplit en ton infirmité : si ton âme s'abat, de ma main souveraine je te relèverai dans ma fidélité. » 3. Oh ! Quel solide appui, quel roc inébranlable, quel asile assuré que ton constant secours ! Mon cœur eût défailli sous le poids qui l'accable, si ta promesse, ô Dieu ! N'eût été mon recours. 4. Mais tu m'as exaucé. Ton Esprit en mon âme a versé richement ta consolation ; et je sais que le cœur qui t'invoque et réclame, trouve bientôt ta paix dans son affliction.
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5. Je veux donc, ô mon Dieu ! Célébrer ta clémence : oui, je veux! devant tous raconter tes bienfaits, et dire aux affligés : !« Cherchez la délivrance dans le regard de Dieu, car de vous il! est près. »
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CINQUIÈME PARTIE
Méditations et prières Privilège de la Foi.
Le chrétien a l'assurance et la possession de la grâce.
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« Les yeux de l'Éternel sont en tout lieu, contemplant les bons et les méchants. Le sépulcre et l'abîme sont devant l'Éternel : combien plus les cœurs des enfants des hommes ! »
Méditation Toujours et partout
T
et partout ? De qui donc s'agit-il ? De Dieu sans doute, de Dieu éternel et omniprésent ? Non, il s'agit du merci profond et calme que l'âme fidèle, en écho incessant, renvoie vers son Seigneur. OUJOURS
Nous ne savons pas tout ce que nous devons à Dieu, nous savons encore moins ce que la reconnaissance perpétuelle ajouterait de lumière à notre vie et de santé à notre action. Nous travaillons péniblement à nous rétrécir dans les griefs, nous gâtons la sainte joie des fils de famille et nous pleurons, comme des enfants stupides, ne sachant pas de quels trésors nos mains sont pleines. Et pourtant nous avons entendu bien des fois le chant des préfaces liturgiques avec ses affirmations péremptoires ; nous ne nions pas qu'il soit bon et juste et digne et salutaire de remercier sans cesse, mais nous ignorons le pouvoir précis de la louange et les motifs de la gratitude qui ne sommeille point. Le motif n'est pas loin du précepte : nos tibis, nous et vous, il suffit de comprendre ces deux termes et de leur relation jaillira la prière. Que d'âmes errent dans le monde, sans se douter que Dieu les comble, sans méditer sur ce qu'il est. Il est celui qui pardonne et qui guérit, et de tout ce qu'il m'a pardonné je n'aurais jamais pu garder la mémoire. Je sais seulement que j'ai besoin de cette miséricorde comme les algues marines ont besoin de
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l'océan, et que sans elle je me serais desséché sans remède. Et ces pardons silencieux, accordés par mon Dieu au soir de mes journées, quand la nuit verse sur toute chose son ombre pacifique, ce pardon bienfaisant et discret, c'est lui qui empêcha mon âme de sombrer dans la mort, comme les passagers que surprend, dans les ténèbres, le dur naufrage. Mon Dieu qui avez arrêté mes fougues intempestives et contenu mes folies remuantes, vous qui m'avez empêché d'être sans suite et sans portée, que de fois j'ai grondé de colère quand l'obstacle providentiel arrêtait mon effort insolent. Je vous remercie de m'avoir contenu malgré tout, comme le frein des poulains indociles, et de m'avoir fait sentir que j'avais un maître et une loi et que, laissé à moi-même, je me détruirais dans l'anarchie. Et comme l'aile de l'oiseau, qui file à l'horizon vers des deux inconnus, comme l'aile qui l'accompagne et le soutient, vous avez coopéré activement à toutes mes œuvres bonnes, et vous avez pris l'initiative de toutes mes démarches surnaturelles. Alors, quand je me regarde, c'est toujours vous que je retrouve à l'origine de mes valeurs C'est vous qui m'avez jadis, dans cette église obscure, lorsque je priais vaguement près du portail, pénétré par le silence et la fraîcheur du sanctuaire ; et cette parole m'a interdit de me considérer désormais comme quelqu'un qui ignore vos confidences. Je sais que vous avez voulu de moi un service que nul autre ne peut vous rendre, et que ma vie est une réponse unique à votre appel particulier. C'est vous qui m'avez regardé longuement dans le calme des cieux d'été, et la sérénité religieuse qui régna sur mes heures d'étude, c'est de votre main qu'elle descendait. Et c'est vous qui m'avez visité — si doucement — aux heures de deuil et de fatigue, me suggérant de vous laisser faire, comme un médecin qui va faire souffrir, pour guérir le mal tout d'un coup. Dans chacune de mes croix, j'ai trouvé votre nom et votre précepte, et votre grâce vivifiante. Et si je n'ai pas voulu prendre tout votre don, c'est ma faute : j'ai gardé l'amertume sans la force, et le poison sans le dictame, la tristesse sans la lumière. Au fond de toute affliction, j'ai bien senti qu'il y avait pour moi un moyen de grandir en bonté et de me hisser plus haut que moi-même. Me regarder toujours me déçoit et me dégoûte ; je préfère vous remercier pour tout ce que vous faites dans vos fidèles. Votre œuvre est si belle, ô mon Dieu ! Que d'autres se lamentent et gémissent ! Moi, je vous admire et puisque vous luttez, je vous encourage — je vous admire d'avoir fait sortir de tels torrents d'amours des cœurs de vos disciples ;
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oui, je vous admire, dans votre atelier qui est le monde, toujours à la besogne, tâchant de faire de nous, les animaux plus ou moins raisonnables, des âmes dignes de vous. Je vous remercie de ce que tout le monde ne soit pas perdu de paganisme et d'ignorance — car c'est à vous que nous le devons. Je vous remercie de ce que tous ceux qui m'entourent ne me méprisent pas et ne cherchent pas à me nuire — car sans votre grâce nous ne savons pas dans quels abîmes nos instincts nous pousseraient. Je vous remercie de ce que parfois des âmes ont eu pitié et se sont dévouées à soulager des misères, car vous étiez à l'origine de ces mouvements de bonté, et c'est votre amour que ce geste de compassion a exprimé. Je vous remercie de nous avoir donné vos apôtres, et de les avoir faits d'abord avant de les mettre à notre service ; je vous remercie des merveilles inconnues que chaque jour votre puissance opère et de la vertu que vous gardez au cœur de mes frères inconnus. Pourquoi songerais-je faussement que seul je compte, et pourquoi ne tenteraisje pas d'agrandir mon âme et de devenir catholique — universel ? Je vous remercie pour tout le passé chrétien, et pour tout l'avenir qui sera plus glorieux encore ; pour les jeunes et les enfants que vous préparez dans l'ombre ; pour la lumière qui par nos supérieurs vient de vous jusqu'à nos ignorances ; pour tous les secrets que votre Providence tient encore en réserve, et pour toute cette histoire compliquée et pathétique qu'est l'histoire de notre monde, préparé à votre avènement.
Semper et ubique ! — La foi, l'espérance et la charité, n'est-ce pas assez pour alimenter ma gratitude, et quel pouvoir humain pourrait m'en dépouiller ? Alors, jusqu'à mon dernier jour et quelles que soient mes infirmités morales ou ma misère physique, dans la détresse ou dans les triomphes et plus encore dans cette coutume ordinaire, sans relief, et sans ressaut, qui fait la trame de mes journées, partout, je tâcherai de chanter ma Préface, et les Semper et ubique me préserveront des trahisons. On vous trahit dès qu'on cesse de vous remercier ; on oublie qui vous êtes, et c'est déjà comme une apostasie. Remercier, c'est faire un métier d'être, et la vie présente en est l'apprentissage.
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Prières à la gloire de l'Éternel
109. 1. C'est vers toi, par la Foi, que s'élève mon âme, bon Sauveur ! En mon cœur je te cherche et réclame. Réponds-moi promptement : ah ! De ton triste enfant soulage la misère ; et de ton Sanctuaire, donne-lui ton appui et ta vive lumière. 2. Je le sais, tu connais ma peine et ma détresse ; et ton bras, ici-bas, jamais seul ne me laisse. Près de moi, tu te tiens, et toujours tu soutiens la force de ma vie ; oui, dès que je te prie, tu m'entends, et je sens mon âme raffermie. 3. Oui, du ciel, Éternel ! Tu reçois ma prière, tu me dis : en mon Fils ne suis-je pas ton Père ? Comment donc ma douleur serait-elle, ô Seigneur ! Sans recours ni remède ! ah ! Ta Grâce est mon aide, et toujours le recours qu'en toi ma foi possède. 4. C'est pourquoi, ô mon Roi ! Je viens devant ta face, rechercher!ô Rocher ! Cette immuable Grâce. Le pouvoir souverain de ta!fidèle main sera ma délivrance ; et ma reconnaissance, mille!fois de ma voix, bénira ta clémence.
110. 1. Vois, ô Jésus ! Vois ma souffrance, mes longs combats et mon ennui. Mon cœur en toi cherche un appui : ah ! montre-moi ta délivrance ! 2. Depuis longtemps mon âme espère de voir cesser ses vains désirs. Depuis longtemps, par son soupir, elle se plaint de sa misère. 3. Tu nous as dit qu'en la fournaise tes bien-aimés montrent leur foi : eh bien ! Seigneur ! Assiste-moi, éteins ces feux, ou les apaise. 4. Oui, tends ta main à ma faiblesse : vois mes dangers et mes erreurs. Ah ! souviens-toi de tous les pleurs que j'ai versés dans ma détresse. 5. Hâte-toi donc : fais-moi revivre. Montre-toi fort pour ton enfant. Que ton Esprit saint et puissant règne en mon cœur et le délivre !
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111. 1. Me faut-il donc voir tous mes jours se consumer dans la tristesse ? À mes langueurs, à ma détresse, ô Dieu ! N'est-il aucun secours ? 2. Combien de fois, au sein des nuits, je répands d'abondantes larmes ! Le jour, hélas ! À ces alarmes ajoute encore de longs ennuis ! 3. Et cependant, ô mon Seigneur ! Toujours en toi j'ai mon bon Père : tu noies mon deuil et ma misère, et tu veux guérir ma douleur. 4. Oui, c'est toujours en ta faveur, c'est pour guérir que tu châties : et par tes coups tu me convies à te soumettre tout mon cœur. 5. J'adore donc ce châtiment ; je te bénis dans mon épreuve. Elle est pour moi la tendre preuve de ton amour pour ton enfant.
112. 1. Ne vois-tu pas mon extrême détresse, ô mon Seigneur, Éternel tout-puissant ? Mon faible cœur se serre de tristesse : hélas ! Ma voix n'est qu'un gémissement. 2. Par la douleur ma chair est consumée. Le mal saisit et fatigue mes os. Et comme au vent s'agite la fumée, ainsi mon âme est loin de tout repos. 3. Je cherche en vain, sur ma pénible couche, quelque soutien à mon corps épuisé. Et jour et nuit il ne sort de ma bouche qu'un long soupir et qu'un souffle embrasé. 4. Mais, ô mon Dieu ! Mon Sauveur, mon bon Père ! N'est-ce pas toi qui m'éprouves ainsi ? Ne vois-tu pas jusqu'où va ma misère, et le tourment de mon affreux souci ? 5. Quoi ! Ma langueur serait-elle étrangère à cet amour qui me donna Jésus ? Quoi ! Le Sauveur qui m'aima sur la terre, au ciel à moi ne penserait-il plus ? 6. Ah ! de mes maux la dure et sombre angoisse, ô Bien-aimé ! Pèse aussi sur ton cœur. Oui, si ta main me châtie et me froisse, ta charité dirige sa rigueur. 7. J'attendrai donc, soumis à ta puissance, que ton repos termine mes combats. De toi, Seigneur ! Viendra ma délivrance, et ton enfant ne se hâtera pas.
113. 1. Comme un homme cruel, Seigneur ! Tu m'as frappé : c'est comme à un ennemi que tu m'as fait la plaie, et mon âme s'effraie de tous les châtiments qui
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m'ont enveloppé.
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2. Au milieu des langueurs je traverse le jour ; la nuit vient, et le jour de nouveau lui succède : hélas ! Aucun remède n'est offert à mes yeux par ce nouveau retour. 3. Pour mes iniquités, ainsi, jusque au fond, je bois, avec douleur, la coupe d'amertume, et ma chair se consume, et mon cœur se tourmente en ce chagrin profond.. 4. Mais, ô Dieu ! Si mes pleurs se mêlent à mon pain ; si même ces ennuis s'aggravent à toute heure, devant toi je demeure dans l'adoration, et je baise ta main. 5. Tu la relèveras, car je suis ton enfant. En Jésus, à grand prix, tu m'as sauvé par grâce, et ta bonté surpasse cette juste rigueur de ton saint jugement.
114. 1. Quand tu punis, ô Dieu ! Ta main toujours légère ne frappant qu'à regret, et comme frappe un père, nous montre le néant de notre vanité, et tourne nos regards vers ton éternité. 2. C'est donc en ton amour, c'est toujours en ta grâce, que tu voiles aux tiens le regard de ta face. Si par les châtiments tu reprends tes élus, tu les frappes toujours par la main de Jésus. 3. Par la mort de ton Fils, de la mort éternelle tu les as rachetés, pour la gloire immortelle. Combien plus ton amour en ce glorieux Fils maintient-il le salut que tu leur as acquis ! 4. Ce n'est pas pour un jour que ta force infinie, par la Foi, dans leur cœur fit pénétrer la vie. De ton Esprit sur eux tu n'as pas mis le sceau, pour les laisser tomber dans un gouffre nouveau. 5. Ils sont gardés par toi : si donc tu les éprouves, comme un consolateur tout près d'eux tu le trouves. Et comme l'or au feu perd toute impureté, leur cœur sous de tels coups acquiert la sainteté. 6. Puis donc, ô mon Seigneur ! Que ta ferme tendresse prépare, en m'éprouvant, les dons de ta sagesse, sincèrement soumis à tout ce que tu veux, vers toi, dans ma douleur, j'élève en paix les yeux.
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« Dieu voulant démontrer d'autant plus abondamment aux héritiers de la Promesse l'immuable nature de son décret, l'a confirmé par un serment ; afin que par deux choses immuables, et dans lesquelles il est impossible que Dieu mente (sa promesse et son serment), nous ayons une consolation puissante, nous dont le recours est de saisir fortement l'espérance qui est placée devant nous. »
Méditation C'est la voix du Maître
O
ne l'entend bien que dans le désert, non parce qu'elle est timide, mais parce qu'elle est profonde et que la solitude nous ramène vers nous. N
Dans ma prière muette j'écoute, et ce n'est pas une voix que j'entends mais une foule, car la première leçon que nous donne la solitude, c'est de nous apprendre que nous ne sommes pas seuls, mais tout au contraire, emportés dans l'immense remous de l'œuvre divine. Les voix lointaines de tous ceux qui m'ont précédé et qui me conseillent et qui me supplient, d'où viennent-elles ? — Vox Domini. — C'est le Christ qui emprunte la voix de nos saints Patrons, c'est lui qui parle par saint Pierre et par tous les missionnaires de jadis. Rien que d'écouter la rumeur du passé chrétien, une grande noblesse se met à sourdre en moi ; je suis un héritier, plus qu'un héritier, un continuateur ; et c'est d'une chose sainte que la garde m'est confiée par toutes ces voix sans visage qui murmurent dans ma solitude. Je suis le compagnon d'équipe et vraiment le camarade de tous ceux-là qui ont vécu pour la chose du Christ et qui n'ont plus que les chrétiens d'aujourd'hui pour continuer l'unique affaire. Vox Domini. — J'entends surtout la grande foule qui appelle, les petits
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qui demandent du pain, les aveugles qui implorent la lumière, les sourds qui ne perçoivent même pas la réponse à leurs cris. La masse des orphelins, la grande plèbe de Dieu, souffrante et captive, sous les durs pharaons qu'elle s'est donnés pour maîtres..., tous ceux qui attendent, qui m'attendent, et au sort desquels je ne puis, sans devenir criminel, me rendre indifférent. Ils attendent, ils me demandent tout ce qui leur est nécessaire, c'est-à-dire tout ce que je n'ai pas moi-même, la douceur et l'énergie, la piété et le dévouement, les clartés pacifiques et les amours purifiants ; ce qui nourrit et ce qui éduque... — Vox Domini. — C'est le Christ indigent qui supplie quand ils parlent, et voici que la faim et la soif d'être plus juste et plus donnant commencent à naître en moi. Il faut que je les aime d'avance, tous ceux que votre Providence mettra sur mon chemin ; il faut que je les reconnaisse avant qu'ils n'aient parlé et que mon regard leur dise que je leur appartiens. Comment pourrais-je encore vivre à mon seul bénéfice et croire que ce que je donne est perdu ? Je les rencontrerai sur toutes les routes de mon existence, les indigents pour lesquels mon Dieu, dans la nuit, a crié de détresse. Seigneur, que je ne sois pas vide devant leurs prières ni sourd à leurs plaintes. Ils sont parfois si difficiles à reconnaître, vos désertés, sous leurs costumes de vieux pécheurs. Vox Domini. — Ils me parlent de loin, dans la solitude de mon oraison, d'une voix prophétique, tous ceux qui me feront du mal et réussiront à me nuire ; ceux qui m'en veulent ou me détestent ou dont le zèle encombrant, un jour ou l'autre, va me meurtrir. Et le Seigneur en eux me demande d'avance un pardon si total que le souvenir même de leurs délits ou de leur maladresse n'excite plus en moi le ressentiment. Je vous entends, mon Dieu, et retournant les paroles de votre Pater, je vous supplie de leur pardonner à tous leurs offenses, parce que moi je leur ai déjà pardonné le mal qu'ils ne m'ont pas encore fait. La voix du Christ est un avertissement perpétuel à la miséricorde, et les cœurs endurcis de rancune resteront dans leurs tombeaux sans que son appel les ranime. Ils veulent demeurer sourds, il leur sera fait selon qu'ils le souhaitent.
Vox Domini. — Tous ceux qui m'ont aidé, nourri, formé, et dont l'action tutélaire subsiste encore en moi, comme le geste du bâtisseur inconnu dans les blocs cimentés des murailles. Il me semble parfois si naturel et si simple de me voir protégé depuis mon enfance par des dévouements sans salaire ; je ne songe pas plus à m'extasier quand je rencontre de la vertu que je ne songe à m'exclamer quand le sol de la
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route ne cède pas sous mes pieds. Et pourtant tous ceux qui se sont occupés de me faire du bien étaient les messagers et les instruments de l'Amour Rédempteur, et de tous les points de l'horizon, comme des rayons vers un centre minuscule, c'est de la charité qui a convergé vers mon insignifiance. La voix de tous mes bienfaiteurs déferle depuis ma naissance au-dessus de ma vie, comme une vaste mer ; et je me plains parfois de n'être pas aimé et de ne pas tenir dans l'existence d'autrui la place qu'avaient mesurée d'avance mes prétentions et mon orgueil. Noblesse de savoir qu'on hérite des vrais amis de Dieu le trésor des vertus théologales qu'il faut maintenir et accroître ; douceur humble de connaître qu'on est le débiteur de l'immense foule invisible et qu'on n'a pas à regarder autour de soi les gens qui consentent à vous supporter, pour découvrir partout des bienfaiteurs. Vox Dominis. — En moi surtout, au fond de mon âme sanctifiée, dans laquelle il parle comme un Maître et comme un suppliant, avec l'accent discret qui sollicite et du ton absolu qui enjoint. Je le connais depuis longtemps, et à la manière du petit Samuel dans le sanctuaire du peuple élu, j'ai appris à distinguer la voix du Seigneur. Chaque fois que l'hésitation m'a surpris ou que la séduction m'a troublé, sa voix a retenti, fidèle et calme ; et par sa loi, par mes chefs, par ma raison réfléchie, il m'a dit ce qu'il y avait à éviter ou à faire. Et sa voix, celle du Pasteur qui appelle ses brebis chaque soir, sa voix, je l'entendrai encore quand toutes les autres se seront tues et que dans le dénuement des séparations suprêmes, il viendra me relever de ma faction et me délivrer des servitudes. Si j'arrivais à aimer la voix divine, je m'habituerais à ne pas craindre ce dernier appel, et gardant cette attitude du guetteur prompt à répondre au signal, je passerais à travers la vie, sans me laisser distraire par le faux écho de ma propre voix, sans m'impatienter dans les tumultes éphémères, je serais celui qui écoute — et qui obéit.
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Prières à la gloire de l'Éternel 115. 1. Ô mon âme ! Dis-moi pourquoi en toi je trouve un tel effroi ? Quelle est en Dieu ta confiance, et que devient ton espérance ? Quoi ! Le Seigneur peut-il changer ? Jésus a-t-il cessé d'aimer ? 2. Dans ta peine, dans tes ennuis, tu fuis Jésus, et tu lui dis : Non je ne peux devant ta face trouver encore aucune grâce ! Quoi ! Le Seigneur peut-il changer ? Jésus a-t-il cessé d'aimer ? 3. Tes faiblesses, ton peu d'ardeur, sont le sujet de ta frayeur. Tu crains que Dieu, dans sa colère, n'ajoute encore à ta misère. Quoi ! Le Seigneur peut-il changer ? Jésus a-t-il cessé d'aimer ? 4. Puis-je attendre, me réponds-tu, que son amour me soit rendu ! Ah ! trop longtemps mon cœur rebelle a repoussé sa voix fidèle ! Quoi ! Le seigneur peutil changer ? Jésus a-t-il cessé d'aimer ? 5. Sa clémence, dis-tu, finit, et justement il me punit : en ce courroux rien ne m'étonne ; j'ai mérité qu'il m'abandonne. Quoi ! Le Seigneur peut-il changer ? Jésus a-t-il cessé d'aimer ? 6. Ah ! pardonne, puissant Sauveur ! Ma dureté, ma folle erreur ! Oui, j'oubliais que ta tendresse n'est point soumise à ma faiblesse. Non, ton amour ne peut changer ! Non, tu ne peux cesser d'aimer !
116. 1. Ah ! que ma seule affaire, au chemin de la terre, soit à mon Dieu de rendre tout honneur ! Que sans hypocrisie, chaque jour de ma vie, à le servir je mette mon bonheur ! Que tout désir blâmable, toute flamme coupable, sous son regard s'éteigne dans mon cœur. 2. Mon précieux partage, en mon pèlerinage, c'est, ô mon Dieu ! Ton saint commandement. Je puise en lui ma joie, et le long de ma voie, mon vrai repos
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et mon soulagement. Ah ! que je sois docile à ton doux Évangile : écris en moi son pur enseignement ! 3. Oui, je veux pour te plaire, Seigneur, mon Dieu, mon Père ! À ton cher Fils soumettre tout mon cœur : mais mon peu de sagesse, et ma grande faiblesse, hélas ! Toujours me jettent dans l'erreur. Ah ! que ta patience supporte l'inconstance de ton enfant ignorant et pécheur ! 4. Souvent, dans ma misère, à ta Loi je préfère la vanité d'un monde qui périt : je le sens, je me blâme, et cependant mon âme l'aime en secret, et ce choix lui sourit. Oh ! Coupable folie ! Dans laquelle j'oublie que sur la croix Jésus pour moi souffrit. 5. Donne-moi la prudence, et la persévérance : que ton Esprit grave en mon cœur tes lois ! Que mon âme sans crainte, et sans aucune plainte, ô Bien-aimé ! Se charge de ta croix ! Qu'ainsi brûlant de zèle, je te suive où m'appelle, Agneau de Dieu ! Ta douce et forte voix ! 6. Seigneur ! Rends-moi fidèle : nettoie et renouvelle mon méchant cœur, mon esprit, tout en moi que mon âme, plus pure, renonce à la souillure dont le péché la couvre loin de toi ! Que toujours je te craigne, et que ta Loi m'enseigne à te montrer par mon amour ma foi !
117. 1. Rachetés à grand prix, nous vils et méchants hommes, par le Fils du Seigneur, donnons-lui notre cœur. Il s'est livré pour nous : c'est à lui que nous sommes. 2. Sa main nous a formés ; mais par sa mort cruelle, il a sur nous des droits qui donnent à ses lois, dans notre nouveau cœur, une force nouvelle. 3. Les sujets sont au roi, les enfants à leur père : n'avons-nous pas en Dieu, Chrétiens ! Dès ce bas lieu, un Père plein d'amour, comme un Roi débonnaire ? 4. Qui de nous appartient au prince de ce monde ? Qui de nous un moment, voudrait ouvertement se mettre sous le joug de ce seigneur immonde ? 5. Ce séducteur doit-il à notre obéissance avoir le moindre accès ? Satan nous a-til faits, et devons-nous le ciel à sa munificence ? 6. Non, non, Fils du Très-Haut ! Ton impur adversaire, ce rebelle vaincu, sous tes pieds abattu, n'a point de droit sur nous, les élus de ton Père !
118. 1. Laissons, Enfants de Dieu ! Laissons la voie impure, où du siècle présent se
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perdent les amis. Détournons-nous ; repoussons leur souillure : que notre cœur à Jésus soit soumis ! 2. Il nous acquit le ciel au prix de sa souffrance. Nous sommes son troupeau, du monde retranché. Pourrions-nous donc lui rendre obéissance, en demeurant asservis au péché ? 3. Ah ! s'il n'eût eu pour nous qu'une froide tendresse, sur nous encore de Dieu pèserait le courroux ; mais par son sang, il scella la Promesse du grand pardon qui du ciel vient à nous. 4. Ah ! sentons-le, Chrétiens ! Et d'un Sauveur si tendre prenons le joug aisé : donnons-lui notre cœur ! Pour tant d'amour, qui pourrait ne lui rendre qu'un devoir mort, ou qu'un stérile honneur 5. Non, tu le sais, Jésus ! Ce n'est point notre envie : non, nous ne voulons pas ton Esprit contrister. Ah ! daigne donc, au chemin de la vie, de notre cœur tout vain désir ôter.
119. 1. Ah ! laissez-moi de ma faute gémir ; laissez mes pleurs couler en abondance ; ne cherchez pas à calmer ma souffrance : devant mon Dieu je ne puis trop rougir. J'étais heureux : j'avais sa douce paix ; il me donnait sa joie et sa lumière : enflé d'orgueil, oubliant ses bienfaits, je suis tombé : j'ai trouvé la misère. 2. Oui, devant tous je dois m'humilier ; rien n'affaiblit la honte qui m'accable. C'est dans le cœur que je me sens coupable, c'est là, Jésus ! Que j'ai pu t'oublier. Je chancelais ; ta charitable voix me rappela ton sanglant sacrifice : et cependant, moi, sauvé par ta croix, je te laissai pour suivre l'injustice. 3. Ainsi de Dieu j'ai contristé l'Esprit ; j'ai fait le mal que le Seigneur déteste, sous son courroux, hélas ! Il ne me reste qu'à confesser que sa Loi me maudit. Mais, près de toi n'est-il plus de pardon ? Ô Christ ! Ton sang n'a-t-il plus d'efficacité ? As-tu mis fin à ta compassion, et pour toujours cacherais-tu ta face ? 4. Ah ! ton support n'est jamais épuisé, cher Rédempteur ! Non, !jamais ta clémence n'a repoussé nos pleurs de repentance, ni les soupirs de notre cœur brisé. Entends-moi donc, Jésus ! Retourne-toi : étends ta main pour guérir ma blessure ! Que ton regard redescende sur moi : c'est en toi seul que mon âme s'assure. 5. Oh ! Tendre amour ! Paternelles faveurs ! Par ton Esprit tu soutiens ma faiblesse. Oui, ton regard dissipe ma tristesse, et tes vaisseaux ont recueilli mes pleurs !
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Ah ! désormais, par ton puissant secours, je veux enfin m'attacher à te plaire, et saintement te consacrer mes jours, ô mon seigneur, mon Sauveur et mon Père !
120. 1.Seigneur ! Entends le cri que jusqu'à toi j'élève : j'ai péché ; je suis loin de toi. Ton doux regard n'est plus sur moi : si tu me secours, ma perte, hélas ! S'achève. 2. Par des pensées d'orgueil mon âme est égarée. Ton amour ne me touche plus ; hélas ! Je crains, Jésus, que la paix, bien justement, ne me soit retirée. 3. Je ne vois plus d'attraits à ton pieux service. Ma stérile dévotion se répète sans onction : ce qui m'était plaisir me devient sacrifice. 4. Grand Dieu ! Si ton amour n'était pas une grâce. Si ton cet amour pouvait finir, aujourd'hui je devrais périr, et dans l'éternité rester loin de ta face ! 5. Mais ta Promesse, ô Dieu ! Demeure invariable. Au pécheur qui croit en ton Fils tout péché toujours est remis, dès que son repentir se trouve véritable. 6. Me voici donc, Seigneur ! Dans toute ma misère, dans ma chute et ma dureté. Justement je suis rejeté : par grâce, en ton cher Fils, reviens à moi, mon Père. 7. Loin de ton souvenir repousse mon offense ! Que tous mes coupables penchants, mes péchés, mes égarements, soient couverts et cachés par ta riche clémence ! 8. Rends-moi de ton regard la lumière et la vie ! Sois pour mon cœur comme autrefois, quand je gardais tes saintes lois, et que suivre Jésus était ma seule envie ! 9. Ô mon Dieu ! Je le sens, ton enfant te retrouve dès que son cri s'élève aux cieux : si tes coups lui sont douloureux, ce n'est que pour un temps que ta bonté l'éprouve. En ce jour-là, ce cantique sera chanté au pays de Juda : nous avons une ville forte ; la délivrance y sera mise pour muraille et pour avant-mur. Ouvrez les portes, et la nation juste y entrera : celle qui garde la vérité.
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« Fortifiez-vous dans le Seigneur, et dans la puissance de sa force — afin que vous puissiez soutenir le combat au mauvais jour, et demeurer debout, après avoir tout surmonté..»
Méditation C'est bien
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hommes le répètent depuis longtemps, ce petit mot qui nous vient des anciens patriarches, ce petit mot qu'aux temps de la promesse les Israélites ont redit avec obstination, ce petit mot par lequel le Christ ouvrait ses discours décisifs ; le mot que l'on retrouve dans les écrits de ses apôtres, le mot qui retentira encore dans le ciel, résumant l'adoration des élus. ES
Je ne l'ai pas considéré ; je n'ai pas appris à l'aimer ; je n'ai pas essayé de l'appliquer comme une leçon à mes révoltes, comme une bande de pansement à mes blessures. Je n'ai pas songé qu'il me suffirait d'y faire entrer tout mon vouloir pour m'abriter contre toute entreprise ennemie, pour échapper à la dispersion, au regret, à la mort. Quand le prêtre dit la messe, il lit dans son missel des oraisons latines que les fidèles n'entendent pas, et le petit servant au nom de tous les assistants, répond, de confiance : amen. Oui, oui, c'est bien tout ce que nous désirons, tout ce que nous demandons. Nous l'acceptons d'avance, nous ratifions tout et que Dieu exauce les vœux que ce prêtre vient de murmurer. Libre aux esprits païens de sourire ; en fait, rien n'est plus beau que cette confiance totale dans l'Église maternelle. Les disciples du Christ sont si sûrs que le prêtre ne peut demander pour eux que des choses salutaires ; ils sont si habitués à s'en remettre au Père céleste du soin des résultats ; ils ont si bien compris la signification du Sermon sur la montagne et que Dieu s'occupe de
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leurs besoins plus que de nourrir les passereaux ; ils font si pleinement crédit à leur Sauveur qu'un simple Amen suffit pour exprimer leur docilité confiante et sanctionner d'avance tout ce que la Sagesse voudra pour eux. Ma vie pourrait être un Amen obstiné et total. La perfection n'est pas d'être rare mais d'être droit, et pour être droit, il ne faut pas suivre avec raideur sa propre idée, mais s'accommoder à tous les vouloirs divins et n'agir que pour collaborer avec le Maître. Un Amen qui ne casse jamais, comme un fil persévérant, qui retourné dix mille fois sur lui-même, croisé et recroisé, toujours souple et toujours solide, devient le tissu merveilleux de la robe sans couture. Pas un nœud, pas une résistance, pas une raideur, mais aussi pas de mollesse inconsistante et pas de brusques fantaisies. On ne tisse rien avec des grains de sable ; on ne peut faire des cordes avec de l'eau. Si j'essayais d'enclore ma vie dans un Amen. Je l'ai récité si souvent, et sur ma tombe ce sera le dernier adieu de l'Église militante. Ce mot qui conclut tout le créé en le consignant aux mains divines, ne pourrait-il pas me servir de sceau définitif ? L'Amen cordial, qui dissout toutes les plaintes et toutes les exigences, et qui remplit l'âme de sérénité lumineuse. Il s'en est trouvé qui, un jour, ont pris une grande feuille à écrire, une grande page blanche et qui, tout en bas de la page, en guise de signature n'ont tracé qu'un seul mot : Amen. Et puis ils ont passé leur existence à Dieu, et sa Providence s'est mise à écrire au-dessus de cet Amen préalable la longue et douloureuse histoire d'une vie humaine ; et les deuils se sont alignés, chacun à sa date sombre, et l'Amen les avait déjà tous acceptés, leur enlevant leur poison d'amertume ; et les joies saines et fortes, Dieu les a écrites sur le vélin, chacune à son heure, comme des relais dans un voyage, et au lieu de se détourner ou d'oublier, au lieu de s'engluer et de s'endormir, l'âme docile, ayant déjà prononcé le mot libérateur, se réjouissait avec Dieu et pour lui. Amen d'avance à tout l'ordre divin. Amen aux échecs imprévus, aux longues calamités, aux mécomptes énervants de chaque jour ; Amen au train parti trop tôt ou arrivant trop tard ; Amen à la pluie et au soleil, à l'insomnie et à la fatigue, aux chaleurs torrides et aux hivers glacés ; Amen aux compagnons moroses, pleins de tics et de manies ; Amen aux parents vieillis et que l'âge rend égoïstes et acariâtres ; Amen joyeux si possible et toujours
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loyal et fort. Ce petit Amen écarterait de notre route bien des folies coupables ; il nous empêcherait de sauter dans les fossés et de nous perdre à la suite de nos rêves déments. Et quand la prière me deviendra difficile, quand je n'aurai plus de formules inédites dans mon trésor, et que tout se fera morne, sans inspiration, dénué et grisâtre, au lieu d'aller chercher bien loin, dans des mystiques laborieuses, des théories exaltantes et des recettes bizarres ; au lieu de me griser de mots capiteux et de sentiments vagues, je prendrai ma tête dans mes deux mains et je tâcherai, du fond du cœur, de dire un simple Amen. Amen est péremptoire comme une conclusion, comme un traité qu'on signe, comme un procès qu'on clôt, comme un mort qu'on enterre. Amen est bref comme la vérité, qui n'est qu'elle-même et que jamais pourtant on n'a fini de raconter. Amen est franc, lumineux et fier, et les puissances de mensonge qui sont en nous ont peur de son allure décidée et des clartés qu'il jette dans tous les coins. Ah ! Si au moins avec lui on pouvait discuter ! Habitués depuis longtemps aux chicanes et aux manœuvres, nous trouverions des compromis, et notre casuistique nous fournirait des solutions accommodantes. Nous nous entendons si bien à louvoyer et nous aimons si peu à nous soumettre. Mais avec un Amen toute résistance est fondue, et nous cessons de nous appartenir. Je le dirai, le modeste Amen, humble et éternel comme le Fils de Dieu, je le dirai avec la foule anonyme et invisible s'associant toujours à ma prière, et seul la modulation pourra changer, le sens restant toujours le même. Depuis l'Amen triomphal jusqu'à l'Amen sanglotant qui conclut le Pie Jesu, ils pourraient tous alimenter mon oraison journalière. Il ne faut rien de plus que ce petit mot pour faire germer en moi les vertus absentes. Le jour de mon baptême, après avoir dit l’In Nomine Patris, le prêtre dans sa formule n'a pas ajouté l'Amen. Ne serait-ce pas pour que j'ai moi-même l'occasion de la redire ? Pour que ma vie tout entière soit la réponse complète et simple à la grâce, qui est venue à ma rencontre avant que j'eusse conscience d'exister et qui peut tuer en moi toutes les morts ; Amen.
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Prières à la gloire de l'Éternel
121. 1. Ah ! si tu veux, Seigneur ! Juger ma vie, non, je ne puis subsister devant toi. Je suis confus, et mon âme est remplie d'ennui, de trouble et d'un secret effroi. Ne juge point, ô Dieu ! Je t'en supplie, ton faible enfant selon ta sainte Loi. 2. Depuis le jour où, par ta sainte grâce, de ton cher Fils tu daignas m'approcher, combien de fois, même devant ta face, mon méchant cœur, hélas ! Osa pécher ! N'as-tu pas vu sa fière et dure audace, Dieu juste et saint ! Contre tes lois marcher? 3. Combien de fois n'ai-je pas craint le monde, et redouté l'opprobre de ta Croix ! Ah ! dans mon cœur, ton Esprit qui le sonde, vit trop souvent le mépris de ta voix : sur mes péchés si ta grâce n'abonde, oui, justement je succombe à leur poids. 4. Mais, Dieu Sauveur ! Ta grande patience de pardonner ne se lasse jamais. Aussi, Seigneur ! Détestant mon offense, plein de douleur et de profonds regrets, c'est en ton sein, qu'en toute confiance, comme un enfant je me replace en paix.
122. 1. D'un même esprit, Chrétiens ! Célébrons le Seigneur, faisons monter à lui des chants pleins de ferveur. Notre Dieu nous bénit de sa demeure sainte : que devant lui nos cœurs n'éprouvent nulle crainte ! 2. Nos péchés de leur poids nous avaient oppressés ; du doux regard de Dieu nous étions délaissés ; entre nous et sa paix s'élevait notre offense, et nos yeux se mouillaient de pleurs de repentance. 3. Mais qui pourra sonder cet amour éternel ! Quel pécheur comprendra la clémence du Ciel ! Notre Père est pour nous, et sa grâce immuable nous rend de sa faveur la douceur ineffable. 4. Ô mon âme ! En repos regarde à ton Sauveur ! Qu'en sa communion s'apaise ta douleur ! Lui qui pour tes péchés s'offrit en sacrifice, en son précieux sang lave
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ton injustice. 5. Oui, je sens en mon cœur une plus vive foi. Ô mon puissant Sauveur ! Je suis plus près de toi. J'ai de tout mon pardon une ferme assurance, et je trouve en ta paix toute ma confiance. 6. Veillons donc et prions, et chargés de la croix, Chrétiens ! Suivons Jésus qui nous a sacrés rois. Le monde est mort pour nous ; En Christ est notre vie : encore quelques moments, et la lutte est finie ! Éternel, entends dès le matin ma voix ; dès le matin, je me tournerai vers toi, et je serai au guet.
123. 1. Miséricorde, ô Dieu ! Sur nous pécheurs ! Nous implorons ta permanente grâce : pour nous jamais ta bonté ne se lasse ; déjà souvent elle essuya nos pleurs. 2. Pour ton amour que t'avons-nous rendu, ô notre Dieu ! Rédempteur de nos âmes ! Par des penchants, des désirs que tu blâmes, par des péchés, nous t'avons répondu. 3. Oh ! Que d'orgueil tu peux nous reprocher ! Que de délais qui nous couvrent de honte ! Ah ! de nos jours si tu demandais compte, nous n'oserions de ton trône approcher. 4. Mais, ô Jésus ! De douleur nous pleurons ; nous détestons notre vaine conduite, et désireux de marcher à ta suite, un prompt secours de toi nous requérons. 5. Pardonne, ô Dieu ! Pardonne à tes enfants : tu ne veux pas qu'aucun de nous périsse. Tu mis sur nous ta parfaite justice : rends ton repos à nos cœurs repentants ! 6. Vers nous, Seigneur ! Retourne donc les yeux ! Lève sur nous la clarté de ta face ! De ton Esprit que la sainte efficacité nous affermisse au droit chemin des deux ! Je me lèverai, je m'en irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j'ai péché contre le Ciel et devant toi : je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. — Et comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion ; et, courant à lui, il se jeta à son cou, et le baisa.
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124. 1. Sur toi, Sauveur ! Qui se fonde, peut au péché résister : l'effort du monde — Pour le tenter, est comme une onde — Contre un rocher. 2. Quelle est, ô Dieu ! La puissance d'un seul désir, d'un penchant ! Sans vigilance, — Le plus vaillant tombe et t'offense — En un moment. 3. Oh ! Qui pourra d'un vrai zèle suivre, Jésus ! Tous tes pas ! L'âme fidèle — Qui n'aime pas ce qu'on appelle — Joie ici-bas. 4. Rends-moi ton joug plus facile, et dans ton sein cache-moi : dans cet asile, — Et par la Foi, mon cœur tranquille — Vivra pour toi. 5. Qu'ainsi ma paix soit parfaite ! Sois mon rocher, ô Dieu Fort ! Dans la tempête — Deviens mon port, et ma retraite — Même en la mort.
125. 1. Ah ! si j'avais veillé, de peur d'être souillé, ma coupable faiblesse n'eût pas de sagesse méprisée la valeur, et j'eusse avec constance, rendu l'obéissance à Jésus, mon Seigneur ! 2. Mais où trouver en moi, et dans mon peu de foi, le désir et la force de repousser l'amorce d'un péché plein d'attraits ! Hélas ! Mon cœur perfide, de ses douceurs avide, s'en abreuve à longs traits. 3. Ah ! si du moins, alors, reconnaissant mes torts, malgré tant de misère, je me montrais sincère et voulais être pur ! Mais à Dieu si je crie, hélas ! Ma bouche prie, et mon cœur reste dur ! 4. Oui, tu le vois, Seigneur ! Dans ma triste langueur, le rapide passage de mon pèlerinage se poursuit loin du ciel ; et de ma courte vie j'éloigne, en ma folie, ton regard paternel. 5. Et cependant bientôt, Jésus de mon dépôt je vais te rendre compte. Ah ! faut-il que la honte m'accable en ce grand jour! Quoi ! Faut-il que mon âme, de crainte de ton blâme redoute ton retour ! 6. Jésus ! Agis en roi : le plus fort montre-toi ! De ma vile nature enlève la souillure par tes vivantes eaux ! Viens, Seigneur ! Viens, en maître, régner sur tout mon être, et guérir tous mes maux !
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126. 1. Que ce jour je commence en ta sainte présence, mon Dieu, mon Créateur ! Oh que mon cœur cherche ta face, et de tes pas la trace, ô Jésus, mon Sauveur ! 2. Aujourd'hui je vais vivre, et vers le ciel poursuivre mon terrestre chemin. Oh ! Que ta main prenne la mienne, et tout ce jour me tienne sur un ferme terrain ! 3. Mon âme en toi bénie, à toi se sent unie par un tendre lien. Jésus ! Combien elle est heureuse ! Combien m'est précieuse la grâce d'être tien ! Ma course comme un rêve s'accomplit et s'achève, et hâte ses instants. Ah ! de mon temps que la durée soit toute mesurée par de pieux moments ! Bien-aimés ! Si notre cœur ne nous condamne point, nous avons toute assurance devant Dieu ; et tout ce que nous demandons, nous le recevrons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons ce qui est agréable à ses yeux.
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Toute discipline ne paraît pas d'abord appartenir à la joie, mais à la tristesse. Mais, par son issue, elle procure un fruit paisible de justice à ceux qui sont exercés par elle..
Méditation Je vais partir
A
u moment où vos disciples étaient tristes de vous perdre, vous leur avez dit qu'il était bon pour eux de ne plus vous voir, et que ce départ devait les réjouir. Pourquoi ? Le législateur ne doit-il pas demeurer près de ses commandements pour les interpréter et en assurer l'exécution : et le Maître de Vérité ne doit-il pas continuer l'éducation de ceux qui ont tout quitté pour l'entendre ? Quand on ne vous verra plus, on oubliera vos paroles et vos gestes, et vous serez comme n'ayant jamais existé. Et pourtant c'est la sagesse divine qui a raison ; et si vous êtes parti, c'était pour que l'Esprit pût nous être envoyé et pour que de partout et toujours, avec la même aisance et au même titre, on pût devenir votre disciple. Quand vous parliez en Galilée, ceux-là seuls pouvaient entendre qui n'étaient pas trop loin de vous, et les derniers rangs de la foule ne percevaient que confusément vos paroles de vie éternelle. On se bousculait à la porte de la petite demeure, où vous étiez réfugié à Capharnaüm, et, là comme partout, les plus robustes avaient éloigné les plus faibles, massés au-dehors et déçus de ne rien voir. Il fallait s'ingénier pour toucher, quand on était malade, la frange de votre manteau, et l'aveugle Bartimée devait crier très haut sur le bord de la route pour que sa détresse parvînt à votre oreille. Vous étiez en
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Galilée, on vous cherchait ailleurs ; vous traversiez le lac de Tibériade, et le peuple courait le long du rivage pour vous retrouver au moment où vous abordiez. Rome ne vous possédait pas, ni la lointaine Espagne, ni les Gaules ouvertes par les légions de César, ni au-delà des frontières de l'empire, l'immense multitude qui tâtonnait dans la nuit. Vous n'étiez que le privilège d'un petit nombre, prisonnier de l'heure et de l'endroit, vous, l'unique nécessaire et la vie de toutes les âmes. Il était bon que vous partiez et que, dérobant dans la nuée du Mont des Oliviers votre corps visible de ressuscité, vous nous laissiez votre présence invisible et votre voix retentissant in fines orbis terme. Et l'Église qui vous continue est catholique et universelle, et, quand elle parle, tout le monde peut l'entendre, et ses sacrements sont vos gestes étendus jusqu'aux coins les plus reculés de notre terre, vous rendant tout proche de chacun des vôtres. Car c'est bien vous qui remettez les péchés quand vos prêtres absolvent le pécheur que votre grâce presse au repentir, et pour être guéri de ses infirmités on n'a plus besoin de défoncer le toi de la maison où vous parlez. Les impotents sont toujours à vos pieds, et votre regard ne quitte plus jamais personne. Et chacun peut encore aujourd'hui être votre contemporain ; il n'y a pas de long trajet à parcourir par-dessus la crête des siècles pour vous retrouver comme souvenir émouvant. La piété, c'est de vous voir où vous êtes et de bénir vos mains de Rédempteur. Vous appartenez à tout le monde, vous parlez à tout le monde, vous éclairez tout le monde à cause de l'Esprit que vous avez envoyé et par lequel nous connaissons le Père et le Fils. N'est-ce pas là, mon Dieu, le commencement de la vie intérieure, de savoir que vous êtes présent et agissant, Pasteur éternel, au milieu de votre bercail ? Et n'est-ce pas le commencement de la charité chrétienne de connaître que, participant tous des mêmes dons, travaillés par la même grâce, adoptés par le même Esprit, nous ne sommes pas plusieurs, mais un, mais vous ? L'Église n'est vraiment née qu'à ce moment où vous êtes parti avec votre aspect visible, lui laissant la plénitude des pouvoirs nécessaires pour continuer votre mission. Mais non, je parle mal, et ce langage de juriste n'est peut-être pas le plus riche de vérité. Vous n'avez pas été remplacé sur la terre par des pouvoirs abstraits ; en partant, ce n'est
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pas une charte que vous nous avez laissée ; ce n'est pas même, à proprement parler, un mandat que votre Église exerce, sous le contrôle de l'Esprit-Saint ; mais c'est vous qui continuez d'agir, c'est votre pouvoir qui s'exerce et ce sont vos paroles vivantes qui résonnent encore par la voix du magistère infaillible. Il n'y a que les limites de votre corps mortel, qui ont cessé d'enclore et de restreindre votre action visible, et les plus humbles de vos disciples, les mourants et les pauvres vous possèdent chez eux, comme autrefois la bellemère de Simon, aux rives de Génésareth. Est-ce que je ne devrais pas respecter cette action ineffable de l'Esprit-Saint comme j'aurais respecté, si j'avais pu en jouir, la présence visible du Verbe incarné ? Le Christ attend, comme jadis, les réponses de ceux qui consentent à s'engager à fond ; et son regard circulaire parcourt les rangées de la foule. Tous mes frères sont proches de lui, aussi proches que les disciples pour cette action du Christ invisible sur eux tous, je devrais voir en eux des choses saintes Mon Dieu, faites que je commence à aimer votre Esprit et à deviner ses merveilles Le grand lien de l'unité catholique, le Paraclet qui console... qui console non pas précisément de votre absence mais de notre misère, et qui met sa grâce dans nos poitrines, sauvées par lui de n'être que le néant. Le Consolateur, qui nous met en présence de notre Sauveur, et qui nous raconte l'infinie richesse de son message, qui nous détaille sa plénitude. Le Consolateur, qui supprime le passé mort et comble l'intervalle des siècles, pour que nous commencions, dès maintenant dans l'Église, le face à face du paradis. Et je comprends pourquoi dans les Christ par son admirable Ascension ; de Galilée ont averti les apôtres de celui qui se trouvait répandu sur la jamais de leur propre cœur et qu'ils comme les faux messies éphémères.
Litanies des Saints on implore le je comprends pourquoi les Anges ne plus regarder dans les nuées terre, celui qui s'était emparé à s'obstinaient à chercher ici ou là
Jamais nous ne sous serions consolés à demeurer loin de lui, s'il n'avait pas, pour nous rester présent, choisi de nous quitter dans sa chair visible et de nous envoyer son Esprit.
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Prières à la gloire de l'Éternel
127 1. Mon âme ! Il faut que je meure. Au départ je dois songer, oui, ma demeure je dois changer, et j'attends l'heure de déloger. 2. Hélas ! Quelle est la durée de mon terrestre chemin ? C'est la journée d'un pèlerin ; c'est la rosée du grand matin. 3. Bientôt ma froide paupière va pesamment se fermer : oui, dans la terre je vais entrer, et ma poussière y déposer. 4. Mon âme donc, soit prudente ! En Jésus, prends ton plaisir ! Dans son attente, crains de dormir ! Soit vigilante : il va venir !
128. 1. Longtemps j'avais cherché la perle précieuse, que mon cœur désirait, qui devait m'enrichir ; mais j'étais pauvre encore, quand Dieu me fit ouïr de sa grâce en Jésus la Promesse joyeuse. 2. Oh ! Quel fut mon transport à la Bonne-Nouvelle que j'étais, pour toujours, reçu dans le pardon ; que de tout mon salut Dieu m'avait fait le don, et que j'avais ma part à la Vie éternelle ! 3. Tu le sais, ô mon Dieu ! Dans mon âme étonnée je ne pus qu'adorer ce merveilleux amour ; et ta joie en mon cœur, depuis cet heureux jour, s'est unie à la paix qu'alors tu m'as donnée. 4. Quel amour je te dois ! Oui, mon Dieu ! Pour te plaire je devrais tout quitter, et n'être plus qu'à toi. Je devrais, en mon cœur, garder toute ta Loi, et ne marcher jamais qu'à sa pure lumière. 5. Mais j'approche, ô Seigneur ! En poursuivant ma vie, du bienheureux moment où toi seul j'aimerai ; où de la mort enfin je me dégagerai ; où tu te montreras à mon âme affranchie !
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129. 1. Gloire soit au Seigneur ! Il a brisé ma chaîne. Oui, le joug est rompu : je suis en liberté. Jésus ! C'est là ta charité ; oui, c'est ta grâce souveraine, et le signe puissant de ta fidélité. 2. Quand Lazare, à ta voix, eut recouvré la vie, tu dis : « Déliez-le, puis qu'on le laisse aller. » Ainsi tu viens de révéler à mon âme heureuse et bénie, tout son droit à la gloire où tu vas l'appeler. 3. Quel incrédule orgueil, quelle coupable crainte, me retenait encore dans l'asservissement ! Ah ! mon triste gémissement, ma langueur, ma constante plainte, de ce dur esclavage étaient le monument. 4. Mais, Jésus ! Aujourd'hui, dans ta vive lumière, je possède en mon cœur ton éternel amour. Oui, ta bonté, dès ce beau jour, a fini toute ma misère, et j'attends, en paix, ton glorieux retour. 5. Je puis donc m'avancer, plein de force et de joie, vers l'éternel repos de la sainte Cité. Seigneur ! Vers l'immortalité maintenant tu dresses ma voie. Et tu vas m'introduire en ta félicité.
130. 1. Quel éclat tout nouveau vient de luire en mon âme ! Dans ma profonde nuit d'où brille cette flamme ? La lumière des cieux resplendit à mes yeux : ô mon Dieu, mon Sauveur ! Que mon cœur est heureux ! 2. J'étais donc égaré dans d'épaisses ténèbres ! Je prenais pour le jour quelques lueurs funèbres ! Voici, voici le jour : ô terre ! Ton séjour est pour moi tout changé : de mon Dieu j'ai l'amour ! 3. Hélas ! Je n'ai connu ni ma grande misère, ni tes compassions, ô mon céleste Père ! Seigneur, ton pauvre enfant cherchait, en se perdant, le sentier où ton bras le soutient maintenant. 4. Oh ! Qu'il va m'être doux de vivre pour te plaire ! Fils bien-aimé de Dieu ! Je vois en toi mon frère. Quand ton sang tu versas, quand la mort tu goûtas, tu souffris mon enfer, et ton ciel me donna. 5. Qu'il vienne maintenant le terme de ma course ! Mon âme a bu des eaux de l'éternelle source. Je suis un racheté ; oui, pour l'éternité, dans les cieux, en Jésus, j'ai mon droit de cité !
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L'Éternel est la portion de mon héritage et de ma coupe (de louange). C'est toi qui maintiens mon lot.
131. 1. Écoutez-moi, Disciples du Sauveur ! Vous qui des cieux possédez l'héritage. Ce grand salut est aussi mon partage ; vers Dieu la Grâce a retourné mon cœur. 2. Ah ! quel amour que celui de Jésus ! Quelle douceur et quelle patience ! Qu'ils sont profonds ses trésors de clémence, pour les pécheurs en sa grâce reçus ! 3. Hélas ! Combien j'ai méconnu sa voix, quand loin de lui le monde a pu me plaire ! Alors l'éclat, le néant de la terre, me ressentaient sous leurs funestes lois. 4. Mais, bon Sauveur ! Tu ne m'as pas laissé : tu m'as soumis par ta toutepuissance. Elle a vaincu ma longue résistance, et de t'aimer mon cœur s'est vu forcé. 5. Ah ! qu'il m'est doux d'être un de tes enfants ô mon Seigneur ! Bienheureuse contrainte ! Oui, sous ton joug je vais marcher sans crainte : au droit sentier de tes commandements. 6. Par ton Esprit enracine ma foi ! Viens m'enseigner à suivre ton exemple : qu'avec amour mon âme te contemple, et qu'en ta paix je me consacre à toi ! Pour vous, qui craignez mon Nom, se lèvera le soleil de la justice, et la santé sera dans ses rayons.
132. 1. Oui, je connais le don du Père ; oui, son amour m'est révélé. Je vois la fin de ma misère : de Dieu le pardon m'est scellé. La paix du ciel en moi commence ; tout à mes yeux devient plus beau : Un saint espoir, avec puissance, a réjoui mon cœur nouveau. 2. J'étais errant dans la nuit sombre de mes préjugés, de mes frayeurs, et je suivais, à travers l'ombre, du monde les vaines lueurs. Dieu m'a tiré de ces ténèbres ; il a rompu ce voile épais : de l'erreur les clartés funèbres loin de mon cœur sont à jamais. 3. Péniblement et dans la crainte je soupirais après la paix : mais chaque jour la même plainte en mon esprit je retrouvais. Mon âme était pleine d'alarmes à l'affreux penser de la mort, et souvent je versais des larmes dans l'effroi de mon triste sort.
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4. Ainsi, Jésus ! Mon ignorance m'éloignait de ta charité ; et je cherchais la délivrance ailleurs qu'en ta gratuité. Hélas ! Par quelque obéissance je cherchais à la prévenir, et je pensais que ma constance pourrait un jour me l'obtenir. 5. Mais, ô Dieu ! Ta Grâce éternelle régnait par-dessus mon erreur.!Du salut la Bonne-Nouvelle a retenti jusqu'en mon cœur. J'ai!cru, Seigneur ! Et de ta vie j'ai reçu le gage puissant : ma crain!te s'est évanouie, et je suis libre maintenant. J'ai élevé ma voix vers toi, ô Éternel ! J'ai dit : tu es mon espérance, ma portion sur la terre des vivants. C'est le Consolateur, le Saint-Esprit, que le Père enverra en son Nom, qui vous enseignera toutes choses. Je vous laisse la paix : je vous donne ma paix.
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Éternel ! Tu exauces le souhait des débonnaires ; tu affermis leur cœur. Que ton oreille les écoute attentivement !
Méditation C'est ma bouche qui parlera de vous
M
Dieu, j'ai entendu vos serviteurs et vos ennemis, et j'ai été surpris de voir que sur certains points ils se trouvaient d'accord. Les premiers concédaient aux seconds que la prière vocale était une forme inférieure d'oraison, une activité d'essence assez vulgaire, un exercice de débutant, que les parfaits — adorateurs en esprit ont le droit et le devoir de restreindre ou de négliger. Remuer les lèvres et dire des mots pour persuader Dieu leur paraît une réminiscence des temps obscurs où nos ancêtres étaient païens ; réciter cinquante fois de suite en un quart d'heure l'Ave Maria monotone, n'est-ce pas ressembler aux moines d'Asie, qui bourdonnent des prières verbales, comme des mécaniques sans réflexions ? ON
Est-ce que vraiment la prière des lèvres mérite ces condamnations orgueilleuses ? Est-ce que la seule oraison digne de l'homme sur la plate-forme de sa tour d'ivoire pour spéculer dans l'Infini ? Et quelle leçon savoureuse pourrai-je tirer de ma prière vocale, de cette prière dont l'Église fait à son prêtre un impérieux et astreignant devoir ? Elle est humble, mais elle est raie, vraie de toute la réalité de ma condition humaine, et parce qu'elle est vraie, voici qu'elle introduit dans ma vie de l'ordre et de la paix et de la justice. Je suis bien fatigué ce soir. Mon esprit succombe ou titube, et je ne pourrais pas spéculer sur vos grandeurs ni me plonger dans une théodicée abstraite ; je ne pourrais même pas contempler des scènes bibliques, ni lire de beaux passages inspirés. Mais une ressource me
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reste, à moi le pèlerin fourbu, je vais prendre mon chapelet et je dirai des mots, comme les ouvriers de la onzième heure que l'exiguïté de leur tâche ne dispensait pas de l'obligation de la fournir. Je dirai des mots, et mes lèvres remueront comme elles remuaient quand pour la première fois j'ai prié, et comme elles remueront sans doute encore quand pour la dernière fois l'agonisant essaiera de parler. Entre ces deux prières de la conscience obtuse, il y en a pour tous les degrés de conscience, pour toutes les situations physiques, pour tous les états d'âme, puisque, le précepte de prier toujours étant sans restriction, nous devons être toujours de plain-pied avec la prière. Au lieu de me guinder dans des attitudes de convention, je reconnais que je suis assoupi au soir des longues journées de fatigue, et mes lèvres veillent encore comme le factionnaire à l'entrée des cantonnements endormis. Et aux heures de distraction, de bousculade, de panique, sur le pont des navires, sur la banquette des tramways, aux guichets des bureaux de poste, spontanément, pour garder le contact avec vous, le Maître unique, je vois que ce sont des mots, des formules consacrées que je murmure, des invocations, qui jalonnent la route de mes pensées et qui m'empêchent de me perdre dans la solitude de l'illusion. Et vous me dites d'aimer la prière vocale, parce qu'elle est humble, c'est-à-dire conforme à mon être, adaptée à ma nature débile, faite pour moi qui meurs un peu chaque soir et qui ne suis que rarement tout à fait éveillé. N'est-ce pas votre poète Prudence qui nous le disait déjà en votre nom ? Prière des pauvres, prière des foules, prière catholique, dans laquelle je ne retrouve pas mes pensées et mes phrases, prière éternelle, qui revêt mon âme comme d'un uniforme, en me permettant de parler comme ont parlé tous mes pères dans la foi.
Ave Maria. — Je n'inventerai pas un seul mot ; je le redis, cet Ave, comme on le redit et comme on le chante depuis des siècles dans mon Église, dans la vôtre, mon Dieu ; comme vous avez inspiré de le réciter à mes aïeules et, plus haut encore, à toute la chrétienté du Moyen Âge ; comme on le récitait, tête nue, avant les grandes batailles et au pied des Madones, dans les cimetières et devant les berceaux, à la table de famille et dans les naufrages... Tous, tous, l'ont récité comme je le récite, et parce que je continue cette immortelle tradition, je me sens dans le rang, dans la foule, coude à coude avec tous les vivants et tous les défunts, groupés autour de la Mère du Verbe. Le soldat est beau sous l'uniforme, parce que sous cet habit qu'il n'a
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pas fait lui-même à sa guise mais qui lui est imposé par le pays, il n'est plus de telle famille ou de tel village ; il n'est plus riche ou pauvre, il n'est plus lettré ou ignorant ; il n'est même plus fort ou faible, timide ou conquérant ; mais, dans la parfaite similitude de tous les défenseurs du pays, dans la parfaite régularité des gestes et des mouvements, au sein de la troupe en marche, il n'est plus que le soldat en service commandé. C'est son peuple tout entier qu'on voit en lui. Je les ai vus passer ainsi, mon Dieu, revenant des grandes batailles, le casque serré par la jugulaire, les yeux fixés droit devant eux, comme impassibles, tous ensemble, pendant qu'un peuple entier les acclamait. Ils sont à tous, ils sont pour tous, plus grands qu'eux-mêmes parce qu'ils servent. Et quand je prie en remuant les lèvres, quand je récite le Pater immuable, les Psaumes, le Gloria in exelsis, le Magnificat... toutes vos prières, gardées par votre sainte Église militante, je ne suis plus de telle famille ni de telle cité, je ne suis plus de tel siècle ou de tel autre, mais, avec tous mes frères, avec les Asiatiques et les Africains, avec les enfants et les vieillards, avec saint Augustin et les vieux sonneurs de cloches, il me semble que, délivré de toutes mes infirmités caduques, je deviens tout simplement le chrétien, le fidèle en service commandé. Et tout mon faste s'évanouit, et mes idées et mes phrases et mon ombre ne me rappelant que moi, me paraissent alors bien étroites, et je commence à respirer parce que j'échappe à moi-même et que mon âme devient catholique. Mon Dieu, quand vous viendrez me chercher, faites que ma piété ait revêtu cet uniforme et que la prière vocale m'ait fait ressembler à tous vos serviteurs. Ceux qui la blasphèment, l'ignorent, et ceux qui en rougissent ou la dédaignent, ne savent pas de quoi il convient d'être fier.
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Prières à la gloire de l'Éternel
133. 1. Réveille-toi, ma voix ! Et chante la clémence du Seigneur des seigneurs ! Réjouis-toi, mon âme ! En sa douce présence, et vers lui fait monter, en toute confiance, de pieuses ardeurs ! 2. Je te connais, ô Dieu ! Ta vivante lumière a resplendi sur moi. Moi, méchant et pécheur, je te nomme mon Père, et j'ose, librement, dans le vrai Sanctuaire pénétrer par la Foi. 3. Par le chemin nouveau que me fraya ta Grâce dans le sang de Jésus, je me présente en paix, jusque devant ta face, et j'éprouve aussitôt la puissante efficace de l'Esprit des élus. 4. Là, sans crainte, ô Dieu, je dévoile et confesse tout mon égarement : là, je verse en ton sein ma peine et ma tristesse, et je trouve à mes maux, dans ta riche tendresse, un plein soulagement. 5. Oui, sous ton doux regard la plus vive souffrance quitte bientôt mon cœur ; je sens se ranimer ma joyeuse espérance ; et dans tout mon esprit renaître avec puissance une sainte vigueur.
134. 1. Non, mon Dieu, mon Sauveur ! Ta fidèle Promesse ne peut se démentir. Non, de mon cœur charnel la coupable faiblesse ne peut l'anéantir. 2. Tu l'as dit : « Tout pécheur qui croit en confiance au saint Nom!de Jésus, par toi justifié, doit saisir l'assurance d'être un de tes élus. » 3. Je reçois, tu le sais, ce ferme témoignage en mon cœur, par la foi : dois-je donc exiger quelque visible gage de ta grâce envers moi ? 4. Non, mon Seigneur, mon Dieu ! Ta parole est meilleure que tout mon sentiment ; ton témoignage est sûr, et toujours il demeure sans aucun changement
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5. Si donc encore en moi je vois tant de misère et de corruption, ah ! je ne puis nier ni ta grâce, ô mon Père ! Ni mon adoption. 6. Oui, sur ton sein, Jésus ! Je répandrai mes larmes en mes rudes combats ; et tu me rediras, pour chasser mes alarmes : « Ton Dieu ne change pas. »
135. 1. Je sais en qui j'ai cru. Mon âme est affermie sur le serment de Dieu, et mon cœur n'a plus lieu de douter qu'il ait part à l'éternelle vie. 2. Le Seigneur a parlé. Je crois le témoignage qu'il rend de Jésus-Christ ; et son puissant Esprit de mon adoption a mis en moi le gage. 3. Qui pourra me l'ôter ? Les cieux avec la terre ensemble vieilliront, ensemble ils passeront, mais Dieu, de son enfant sera toujours le père. 4. Oui, toujours, Fils de Dieu ! Tu seras pour mon âme un puissant Rédempteur, toujours, ô mon Sauveur ! Tu seras mort pour moi sur une croix infâme. 5. En toi donc, ô Jésus ! De Satan et du monde je suis victorieux. En toi, Roi glorieux ! Je jouis d'une paix ineffable et profonde.
136. 1. Si l'on me demandait qu'elle soit mon espérance, je répondrais que c'est d'aller aux cieux. Mon âme se complaît en la ferme assurance que Dieu l'a mise au rang des bienheureux. 2. N'ai-je pas dans mon cœur reçu le témoignage que l'Éternel de son Fils a rendu ? L'Esprit d'adoption n'est-il pas mon partage ? En moi, déjà, n'est-il pas répandu ? 3. Oui, la paix de Jésus appartient à mon âme : oui, de la mort son amour m'a sauvé, et sa voix me répond, dès que je le réclame, que pour toujours son salut j'ai trouvé. 4. Si quelquefois Satan mes péchés me reproche pour me ravir cette parfaite paix, de la croix du Seigneur aussitôt je m'approche, et du méchant j'évite ainsi les traits. 5. Voilà comme j'avance au sentier de la vie : toujours content, toujours en plein repos. Si j'ai quelques chagrins, à Dieu je les confie ; et d'un regard il guérit tous mes maux. 6. C'est là, cher Rédempteur ! L'espérance fidèle que tu nourris en moi, ton faible
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enfant : j'ai déjà l'avant-goût de la joie éternelle que tu m'obtins, et qui vers toi m'attend..
137. 1. En doux accents que ma bouche proclame la sainte paix que Dieu verse en mon âme ! Mon bon Sauveur, en ce beau jour, m'a révélé tout son amour. 2. En doux accents que ma bouche proclame la sainte paix que Dieu verse en mon âme ! Mon bon Sauveur, en ce beau jour, m'a révélé tout son amour. 3. Ah ! je vois, mon cœur dans l'ignorance avait de Dieu méconnu la clémence : oui, cher Sauveur ! De ta bonté, dans mon erreur, j'avais douté. 4. Mais à présent je crois au sacrifice où j'ai reçu ta grâce et ta justice. Je suis sauvé : je suis à toi. Seigneur Jésus ! Soutiens ma foi ! 5. Prends tout mon cœur : viens régner sur ma vie ! Te bien aimer!est mon unique envie. Par ton Esprit, ô Tout-Puissant !!Conduis les pas de ton enfant !
138. 1. Mon âme ! En doux transports fais éclater ta joie : oui, devant mon Sauveur, aux saints enfants de Dieu qu'aujourd'hui l'on me voit raconter mon bonheur ! 2. Jésus, le bon Berger, me tient sous sa houlette, et je connais sa voix. Je suis en son amour, et ma paix est parfaite au sentier de ses lois. 3. Dès que j'élève à lui ma fervente prière, du ciel il me répond ; et mon âme aussitôt, dans sa douce lumière, trouve un calme profond. 4. Si mon cœur est souffrant, bientôt il le console par son puissant Esprit. Si j'ai quelque langueur, sa vivante Parole promptement me guérit. 5. Quel est donc mon désir et ma plus chère attente, ô mon Roi, mon Seigneur ! Ah ! c'est que toujours plus, par ta grâce puissante, tu règnes sur mon cœur. Ô Éternel ! Je te célébrerai de tout mon cœur, je raconterai toutes tes merveilles. Je me réjouirai et je m'égaierai en toi. Je chanterai ton Nom, ô Très Haut !
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Confie-toi de tout ton cœur en l'Éternel, et ne t'appuie point sur la prudence. Reconnais-le en toutes tes voies, et il dirigera tes sentiers.
Méditation. Vous qui êtes ses œuvres, bénissez le Seigneur
D
des siècles les chrétiens qui prient sont harcelés de distractions, comme les Égyptiens étaient infestés par les moustiques. Ils luttent contre ces parasites de l'oraison ; ils n'ont pas tort, et leurs gestes sont méritoires, même si l'ennemi apparaît minuscule. Il est très difficile de se libérer des petites servitudes, et l'inertie de l'imagination, obéissant à toutes les secousses du dehors, est une forme de notre captivité, un indice de notre impuissance. Peut-être pourrait-on dire que plus un défaut est léger, moins il est aisément corrigible. On arrive à dompter un tigre, on apprivoise une panthère, mais on n'a jamais réussi à apprivoiser une mouche ni à dresser une libellule. Et l'insuccès décourage ou désole, et vos disciples, mon Dieu, croient que leur prière ne vaut rien parce qu'ils se surprennent, pendant ces heures saintes, à considérer autre chose que vous seul. EPUIS
Et pourtant il doit avoir un chemin qui, en ligne droite, à travers toutes les créatures s'en va rejoindre le Créateur ; il doit y avoir une manière de regarder les choses les plus disparates et les plus vulgaires en y découvrant celui qui les a faites ; il doit y avoir une manière d'interroger l'œuvre du Verbe pour entendre monter de tout ce qui est, la voix de la louange et la parole de vérité surnaturelle. Au lieu de se faufiler entre les distractions, et d'éviter à droite et à gauche tout ce qui se montre et tout ce qui parle, ne faudrait-il pas regarder tout bien à
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fond, avec ces yeux de simplicité qui traversent le ciel ? Quand le prêtre revient de l'autel, tout pénétré encore du mystère de la Communion, l'Église maternelle lui dit de murmurer le cantique du Benedict. Et voici qu'à son prie-Dieu, agenouillé dans une sacristie silencieuse, ce prêtre parle à lui-même des oiseaux et des poissons, des baleines et des requins, des glaciers et des tempêtes, de la grêle et de la gelée, de l'histoire des hommes et de l'aspect des choses, ramassant dans ces formules toute l'œuvre divine avec la puissance de cet Esprit du Verbe qui vit encore en lui. La voilà bien la prière sacerdotale, vers laquelle tous les chrétiens devraient s'acheminer, la prière accueillante, unanime, qui s'élargit comme le geste de l'apôtre qui baptise et de l'officiant qui bénit. Pas une réserve, pas une restriction ; ceux-là seuls échappent à cette bénédiction qui s'en exilent volontairement. De la voûte au pavement, du portail à l'abside, la grande bénédiction divine pénètre tout. Pourquoi distinguerions-nous entre l'œuvre de Dieu et Dieu lui-même. Mon Dieu, je l'ai pressenti parfois, que seule la convoitise est mauvaise parce qu'elle nous empêche d'aller au cœur même du réel, parce qu'elle en abuse, c'est-à-dire qu'elle détourne les choses de leurs vraies fonctions et fait sortir la nuit de la clarté. Mais, si je convoquais dans une prière de douce jubilation, ou de simple confidence, si je convoquais toutes vos créatures, si je vous racontais tout ce qu'elles me disent, comme on va lire un message à celui qui l'a inspiré et qui sourit de le reconnaître ; si je sanctifiais même mes distractions en vous les communiquant, en me promenant avec vous dans cet Éden qu'est ma vie et votre monde, il me semble que, vous retrouvant partout, je ne serais plus distrait par rien et que vous seriez devenu ma plénitude. Malheureusement les choses me séduisent, et ce qui est mauvais dans mes distractions, ce n'est pas qu'elles se terminent à votre œuvre, mais qu'elles s'arrêtent à la surface des apparences et ne poussent pas jusqu'au cœur de ce qui est. Je vois tout ce qui m'entoure, comme si j'en étais moi-même le centre ; si je voyais tout, gravitant autour du Principe vivant, autour du Verbe Rédempteur, cette vision serait une prière admirative et je ne devrais pas cesser de réfléchir aux oiseaux ou de regarder des fourmis pour essayer de songer à vous tout seul, détaché et comme isolé de votre œuvre. Estce qu'un ouvrier n'est pas à sa place dans son atelier ? Est-ce que de contempler une statue, distrait de songer au sculpteur...? Apprenezmoi le regard clair, la perspicacité lumineuse, et je ne serai plus
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contraint de rien dédaigner et de toute chose je ferai de la louange, et puisque les grenouilles sont nommées dans l'Apocalypse inspirées par votre Esprit, je ne vois pas pourquoi leur coassement dans les roseaux, près des étangs, ne pourrait pas enchanter ma prière. Mon Dieu, ne serait-ce pas déjà un peu comme un avant-goût du paradis ? Et si je vous contais mes longues histoires, si je vous disais tout ce qui m'occupe et tout ce qui m'inquiète, si mon oraison, au lieu d'être à côté de ma vie ou dans ma vie, devenait ma vie même, consciente d'être soutenue et dirigée par vous, je crois que mes vieilles erreurs et mes vieilles terreurs s'enfuiraient comme des fantômes et qu'une aurore d'éternité pacifique se lèverait dans l'âme de votre disciple vagabond. Le dernier mot de tout est un mot d'union avec l'œuvre divine. Chacun joue son rôle dans la grande partie ; chacun fait avancer l'unique affaire, l'avènement glorieux du Fils de l'homme ; et la Terre, votre sainte Terre, celle que vous avez aimée, que vous avez visitée, que vous avez formée depuis les millénaires géologiques, cette Terre qui est notre demeure parce que vous nous y avez mis et qui est encore notre éducatrice providentielle, je l'aime, ô mon Dieu, d'un amour puissant, d'un amour jaloux, d'un amour exalté, qui me sanctifie et qui m'éclaire, parce qu'il vient de vous et qu'en aimant la Terre Sainte, je vous rencontre et je vous ressemble.
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Prières à la gloire de l'Éternel
139. 1. C'est pour toujours que mon Sauveur m'a revêtu de sa justice. Jamais, jamais mon Rédempteur ne permettra que je périsse. Pour ses brebis le bon Berger dans son amour ne peut changer. 2. Avant les temps il m'a connu : il m'a vu mort dans ma misère, et pour moimême il est venu des plus hauts cieux jusqu'à la terre : alors mon Dieu s'est incarné, et pour mon rachat s'est donné. 3. Pour me sauver, il prit ma mort, mon châtiment et ma souffrance. Pour moi, Jésus, Fils du Dieu Fort, de l'enfer connut la puissance : il expira sous l'interdit d'un criminel et d'un maudit. 4. Hélas ! Ce fut pour moi, pécheur, qu'il souffrit cet affreux supplice ; que, sous le poids de la douleur, il accomplit son sacrifice. Son sang coula pour ma rançon : ce fut le prix de mon pardon. 5. C'est donc à toi que j'appartiens, ô Fils de Dieu, mon espérance ! Vers ton royaume et tous ses biens, tu me conduis en assurance : pour tes élus tu les acquis, quand de l'enfer tu ressortis. 6. Je t'attends donc, mais en repos. Si de mes ans pâlit la flamme, ah ! tu me dis que, loin des maux, ton ciel va recevoir mon âme. Viens donc, Jésus ! Viens, mon Sauveur ! Me recueillir en ton bonheur.
140. 1. Je suis donc pour toujours la brebis retrouvée ! Pour toujours, ô Jésus ! Tu voulus m'acquérir. C'est pour l'éternité que mon âme est sauvée ; ton Esprit est en moi : non, je ne peux mourir ! 2. Mes péchés méritaient l'éternelle colère ; sur mon âme ses coups devaient s'appesantir : Jésus ! Tu pris sur toi, de la main de ton Père, mon affreux châtiment : non, je ne peux mourir !
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3. Mon âme, quelquefois, semble être sans défense, quand des tentations le danger vient s'offrir. Jésus ! Tu leur ôtas leur funeste puissance : Satan est détrôné : non, je ne peux mourir ! 4. Dans la poudre, il est vrai, ma chair va redescendre : pour elle du tombeau la gueule va s'ouvrir. Mais c'est pour un sommeil : Jésus ! Tu veux lui rendre la vie à ton retour : non, je ne peux mourir ! 5. Cependant, ô Seigneur ! S'approche la journée où de mon œuvre, enfin, tu viendras t'enquérir. Cette œuvre, mille fois, doit être condamnée : mais sur moi j'ai ton sang : non, je ne peux mourir ! 6. Les livres sont ouverts, et devant toi toute âme doit vivre pour toujours, ou pour toujours périr. Mon nom est prononcé : ta Grâce me réclame, et le ciel m'appartient ! Non, je ne peux mourir !
141. 1. Ouvrez-vous devant moi, portes du Sanctuaire ! Esprit d'adoption ! Viens, par ton onction, sur le chemin nouveau me conduire à mon Père ! 2. Il m'a, par son cher Fils, à sa grâce ineffable ouvert un libre accès ; et je sais que jamais mon Dieu ne cessera de m'être favorable. 3. Je viens donc hardiment à ce trône de grâce. O Dieu, mon Rédempteur ! Je viens, de tout mon cœur, chercher jusqu'en ton ciel le regard de ta face. 4. Abaisse-le sur moi ! Que mon âme se sente et ta communion ! Que ta dilection inonde ton enfant de ta joie excellente ! 5. Amen ! Ô mon Seigneur ! Exauce ma prière ! Réponds-moi promptement : qu'en cet heureux moment je puisse, en ton amour, oublier cette terre !
142. 1. Oh ! Qu'il m'est doux, mon Dieu ! De te donner mon Père, et sans frayeur de m'approcher de toi ! Dans ton repos, mon âme, par la Foi, trouve un facile accès jusqu'en ton Sanctuaire. 2. Éternel, Saint des Saints ! Je suis en ta présence : oui, tu me vois et tu sondes mon cœur. 0 Dieu tout-bon, mon bien-aimé Sauveur ! Entoure ton enfant de ta tendre clémence ! 3. Ah ! pourrais-je autrement soutenir ta pensée, moi, dont le cœur t'offense chaque jour! Si de Jésus je n'ai sur moi l'amour, bientôt mon âme, hélas ! Se verra repoussée.
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4. Mais Jésus est pour moi. Oui, mon âme t'est chère, ô Fils de Dieu ! Je suis de tes brebis. C'est dans tes parcs qu'en paix tu me nourris : près de toi, bon Berger ! Que craindrait ma misère ! 5. Aussi, sans m'alarmer, je poursuis cette vie, et vers ton ciel je dirige mes pas. De ton Esprit lorsque tu me scellas, je connus que j'ai part à ta gloire infinie.
143. 1. De limpides ruisseaux, sous de riants ombrages murmurant doucement, fécondent les guérets et les gras pâturages, de leur riche aliment. 2. Sur leurs bords toujours frais, mille robustes plantes, mille épais arbrisseaux, sont couverts et chargés des fleurs les plus brillantes, et des fruits les plus beaux. 3. Ni l'ardeur de l'été, ni le froid de la brume, ne les ont fait périr, et le souffle brûlant qui dévore et consume, ne les a pu flétrir. 4. Ainsi l'enfant de Dieu, planté sur le rivage des éternelles eaux, étend en liberté son verdoyant feuillage, et ses féconds rameaux. 5. Son cœur bien affermi par la sève abondante de l'Esprit du Seigneur, enracine sa foi dans la terre vivante de l'amour du Sauveur. 6. Ses fleurs, dont le parfum autour de lui s'exhale le couvrent de beauté ; et, de ses fruits exquis, ni la nuit ni le hâle n'altèrent la bonté.
144. 1. Oh ! Que la part est excellente, Seigneur ! Que tu donnes aux tiens ! Par la Foi leur âme est vivante, et dans ta grâce permanente ta douce paix tu leur maintiens. 2. Combien déjà sur cette terre ils sont heureux en ton amour ! Pour eux toute peine est légère : puis dans ta gloire et ta lumière ils entrent à leur dernier jour. 3. Sur leur sentier, si quelques larmes marquent leurs pas et leurs douleurs, ton Esprit calme leurs alarmes, et même vient mêler des charmes à l'amertume de leurs pleurs. 4. Que sous tes yeux leur joie est sainte ! Que de sagesse en leurs désirs ! Dans
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leurs transports n'est point de crainte : une tendre et puissante étreinte unit au ciel tous leurs plaisirs. 5. Cher Rédempteur ! C'est le partage que de toi nous avons reçu : c'est l'avantgoût, c'est le sûr gage du ferme et joyeux héritage que recevra ton peuple élu. 6. Oh ! Que nos cœurs, pleins d'allégresse, puisent toujours en ce trésor ! Que, dirigés par ta sagesse, déjà riches de ta richesse, ils viennent s'enrichir encore. 7. Esprit de Dieu ! C'est par ta vie que nous possédons tous ces biens. Ah ! que notre âme, en toi bénie, chaque jour plus près de toi soit unie par de puissants et doux liens ! C'est ici mon alliance envers eux, dit l'Éternel : Mon Esprit qui est sur toi, et mes paroles que j'ai mises en ta bouche, ne bougeront point de ta bouche, ni de la bouche de»ta postérité, ni de la bouche de la postérité de ta postérité, a dit l'Éternel ; dès maintenant et à jamais.
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Éternel ! Tu exauces le souhait des débonnaires ; tu affermis leur cœur. Que ton oreille les écoute attentivement !
Méditation Les yeux clos
S
i nous consentons à réfléchir quelques instants à ce que nous sommes, nous ne tarderons pas à constater que les moments les plus décisifs de notre vie ne sont pas les heures où nous avons parlé, ni même les heures où nous avons agi devant les hommes. Nos heures les plus importantes sont, en réalité, nos heures les plus silencieuse. Car c'est dans le silence de l'âme que s'élaborent les résolutions en apparence les plus soudaines, c'est dans le secret que se continuent et se consomment les désagrégations et les ruines, et que se trempent aussi, lentement, les fidélités que l'épreuve démontre inaltérables. Ce qui se voit n'est rien auprès de ce qui demeure caché en nous. Nous le savons bien. Nous savons qu'il y a au fond de toute âme humaine un asile qu'aucune affection ne peut entrouvrir, qu'aucune violence ne peut forcer. Les conseils, les menaces, les ordres peuvent bien pleuvoir et crépiter contre cet abri intérieur ; jamais personne n'arrivera à se glisser sournoisement ou à pénétrer de vive force dans cette retraite où nous n'appartenons qu'à nous-mêmes. Personne ne peut vouloir pour nous, aimer à notre place, ou vivre en notre nom. Quoi que nous fassions, nos responsabilités sont à nous, et malgré les apparences nous vivons seuls, nous mourons seuls, nous péchons seuls et seuls nous prenons l'initiative du repentir. Et pourtant, non, ce n'est pas tout à fait vrai. Au moment précis où
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nous pénétrons dans le désert intérieur, nous nous apercevons que ce désert est peuplé par une présence invisible ; au moment où nous nous enfermons dans le cénacle intime, nous nous voyons soudain en face de quelqu'un qu'aucune porte fermée n'empêche de se trouver partout chez lui ; au moment où nous nous croyons seuls, nous constatons que la solitude est impossible et qu'à l'origine même de notre conscience, au point de départ de nos volontés, celui qui nous a faits et qui nous a réparés, s'intéresse, surveille, dirige et collabore, nous sommes envahis, nous sommes occupés, nous ne pouvons pas échapper à ce Dieu, dont le vrai nom est Inévitable ; et quand nous fermons les yeux pour ne plus le voir, nous ne le supprimons pas plus que le sommeil ne fait cesser la tempête. Aussi le chrétien qui prie se recueille, c'est-à-dire qu'il se retrouve et se rassemble et qu'il s'arrache à tous les maîtres futiles, à toutes les mains étrangères, à tous les désirs tenaces, qui, le mettant en pièces, l'empêchaient d'être lui. Pour se recueillir il ferme les yeux. Est-ce afin de ne rien voir, comme les timides et comme les hypocrites ? Non, mais pour tout voir sans être ébloui par rien. Nous nous imaginons aussi que le vrai ciel, c'est celui du jour lumineux. Non, le vrai ciel, c'est le ciel de la nuit, et la clarté le cache dès que le soleil brille. Fermons les yeux pour voir dans la nuit pacifique le ciel de notre âme, constellé des lumières de la grâce. Le vieux geste traditionnel des mains jointes et des yeux clos est plein de sens profonds, que les distraits ignorent. Les yeux clos. Pour prier, ne faites rien d'autre, si les paroles sont trop lourdes à vos lèvres et si vous ne trouvez rien à dire à celui qui est la Vérité. Les yeux bien clos, comme ceux-là ferment les yeux qui reçoivent l'annonce de joies inattendues submergeant, dans leur ampleur, même les plus hauts espoirs ; les yeux bien clos, comme ceux qui entendent la nouvelle de ces deuils trop profonds pour les pleurs et qui cherchent dans le dernier recoin de leur âme une certitude où s'accrocher ; les yeux bien clos, comme les bons serviteurs, vos serviteurs ô mon Dieu, qui dorment dans la paix de leur dernier sommeil, enveloppés de votre pardon rédempteur... Tous ceux-là gardent les yeux fermés, parce qu'ils n'ont que faire de la lumière crue du soleil et que l'éclat des choses ne signifie plus rien pour eux. Donnez-moi de vivre ainsi les yeux clos, dans un recueillement qui ne soit pas fait d'ignorance ou d'inertie, mais de concentration ardente et de lumière intérieure. Car c'est bien ce qui se passe dans le secret
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de mon âme qui est votre œuvre par excellence, et mes heures silencieuses sont celles où nous parlons à deux, en nous regardant face à face. Jamais je ne suis rentré en moi sans vous trouver assis devant ma porte, et votre Rédemption c'est bien en moi qu'elle doit s'opérer, si je suis destiné à ne pas vous demeurer pour toujours étranger. Tout en moi vous rappelle ; tout me parle de vous, dès que je consens à regarder ma vie comme une conquête de mon Dieu, dès que je cherche en moi les traces de votre amour, et les reliques de votre Incarnation. Voyez, je porte des noms qui n'appartiennent qu'à vous et je suis une chose sainte à cause de tout ce que vous avez béni et consacré en moi. Hélas ! Pourquoi les rêveries stupides, les préoccupations, les colères et les regrets viennent-ils si souvent me chasser hors de moi ? Pourquoi la majeure partie de mes jours se passe-t-elle dans une sorte de somnambulisme étrange, sans que mes gestes soient vraiment de moi et sans que mes discours contiennent autre chose que des mots ? Je ne vis pas en profondeur. Mon cénacle est profané. J'ai introduit les nomades dans votre demeure, et l'infidèle a campé dans Sion. Vous seul pouvez purifier le sanctuaire, et repoussant l'intrus me restituer à moi-même dans le recueillement pacifique. Ne devrais-je pas m'habituer à ce geste qui sera mon dernier, et par souci de ne pas manquer les divines rencontres, ne devrais-je pas surveiller les chemins de mon âme et me guider à la seule lumière de l'agneau. Le recueillement m'apprendrait à estimer la foi, et il me guérirait de mes frénésies impuissantes, et je fermerais les yeux comme tout ce qui s'abandonne et tout ce qui se confie, comme tout ce qui cesse de redouter et consent à mourir. Hâtez en moi le moment de la paix. Il faut qu'elle vienne à son heure, comme les épis qui mûrissent tous ensemble le même jour dans l'immense étendue de la moisson. Et je ne serai sans remous qu'à l'heure où j'aurai compris que de tout ce que je dois avoir, rien ne me manque ; à l'heure où mes désirs ne seront pas plus vastes que votre vouloir et où mes trésors combleront tous mes désirs ; le jour où sans posséder et sans rien voir d'autre que vous seul, je trouverai — oculis clausis — qu'il est très bon d'être votre enfant.
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Prières à la gloire de l'Éternel 145. 1. Oui, dans le ciel nous avons notre Père, qui sous ses yeux nous conduit chaque jour ; et tous les soins de la plus tendre mère sont moins touchants que son fidèle amour. 2. Il nous aimait avant qu'il nous fasse naître. En son cher Fils nous étions ses enfants ; et dans sa paix notre âme peut connaître combien ses dons sont nombreux et constants. 3. C'est son amour, c'est sa miséricorde, qui jour à jour, nous comble de bienfaits, il nous prévient, et toujours nous accorde bien au-delà de nos meilleurs souhaits. 4. Si notre cœur, encore dur, abandonne le beau chemin où nous devons courir, sans se lasser, sa Grâce nous pardonne, et met en nous un pieux repentir. 5. Ah ! sans tarder, remplis de confiance, sincèrement rendons-lui tout honneur : et témoignons, par notre obéissance, que nous croyons qu'il est notre Sauveur. 6. Donne-nous donc, ton Esprit, ô bon Père ! Soumets, par lui, notre cœur à ta Loi. Lève sur nous ta céleste lumière, et, dans ta paix, fais-nous croître en la Foi !
146. 1. Oh ! Que sont beaux les jours passés dans ta lumière, Seigneur, mon Dieu ! Qu'heureux est ton enfant ! Oh ! Que ta paix est un bien excellent ! C'est le parfait bonheur : c'est ton ciel sur la terre. 2. Que sont tous les travaux et les plus rudes peines que ton enfant rencontre en son chemin ! Ah ! près de toi, soutenu de ta main, il n'en sent ni l'ennui ni les pesantes chaînes. 3. Dans le secret du cœur ton Esprit le console en l'assurant de ton fidèle amour ; et de ton Fils lui montrant le retour, il l'enrichit des biens que promet ta Parole.
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4. Oh ! Qu'ainsi, chaque jour, mon âme soit bénie dans tes bercails, Fils de Dieu, mon Berger ! Par ton amour, que rien ne peut changer, garde en un doux repos tout le cours de ma vie ! 5. Oui, de ton ciel, ô Dieu ! Que ta voix me réponde ! Jusqu'en!mon cœur abaisse ton regard. Tu m'as donné la sûre et bonne!part : viens aplanir pour moi le sentier de ce monde !
147. 1. Vers le céleste Sanctuaire je puis, ô Dieu, mon Rédempteur ! Comme vers la maison d'un père, avec amour tourner mon cœur. 2. Lorsque j'errais dans les ténèbres, ton nom me remplissait d'effroi, et les terreurs les plus funèbres, hélas ! Me séparaient de toi. 3. Je connaissais le droit suprême de tes très-saints commandements, et je sentais leur anathème sur mes plus légers manquements. 4. Jamais alors ta voix de grâce ne pénétra mon cœur altier ; jamais le regard de ta face ne resplendit sur mon sentier. 5. Mais aujourd'hui, quelle lumière m'a montré le chemin nouveau qui jusqu'à toi, de cette terre, conduit ton fidèle troupeau ! 6. Par le sang de son sacrifice Ton Fils pour nous l'a consacré ; et par la foi dans ta justice, à toute heure il m'est préparé. 7. Oui, j'entrerai sans nulle crainte dans tes parvis, moi, grand pécheur ; et jusqu'à ta montagne sainte je suivrai le Consolateur. 8. Regarde donc, avec clémence, ô Dieu ! Ton enfant racheté ; et m'introduis en ta présence par ton Esprit de liberté !
148. 1. Au jour de la moisson, comme une onde soudaine vient des cieux rafraîchir un guéret languissant : ainsi mon âme, ô Dieu ! Dans sa plus dure peine, reçoit de ton regard un secours tout-puissant. 2. La fleur mourait déjà sur ta tige abattue ; elle était sans parfum, et sa feuille tombait ; mais l'Éternel la voit ; et commande à la nue de verser ses trésors, et la plante renaît.
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3. Ô mon Dieu ! Que de fois, au fort de ma détresse, n'ai-je pas reconnu ce vigilant secours ! Que de fois ton Esprit, en ma sombre tristesse, ne m'a-t-il pas rendu l'éclat des plus beaux jours ! 4. Alors un doux espoir, une secrète joie, dissipait par degrés mon doute ou ma frayeur. Alors je découvrais une brillante voie qui perçait de ma nuit la noire profondeur. 5. « Ne crains pas, » disais-tu : « je suis ta délivrance. Repose tout ton cœur sur ma fidélité : » et mon âme aussitôt, recouvrant l'assurance, reprenait sa vigueur et sa sérénité. 6. Aussi, dans mes ennuis je n'aurai plus de crainte : non, jamais, bon Sauveur ! Je ne veux me troubler ; car je sais que ta voix, à ma première plainte, à mon premier soupir, viendra me consoler. Je crée ce qui est proféré par les lèvres : Paix, paix, à celui qui est loin et à celui qui est près, a dit l'Éternel, car je le guérirai.
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SIXIÈME PARTIE
Consécration de la semaine aux forces surnaturelles.
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L
'aimantation des forces psychiques doit se faire dans le silence. Ce n'est que par la persévérance, le calme, et surtout par la recherche exclusive de la vérité pour elle-même et non pour le but matériel et vil, qu'on parvient peu à peu à l'intuition de l'astral et à la possession de la pratique. Le « sérieux » du caractère est donc indispensable dans cette période préparatoire, et les malheureux que la vanité pousse à se vanter d'être « magiste » ou de « grands initiés » sont plus à plaindre qu'à blâmer, car l'orgueil et la « pose » sont les écueils les plus perfides que le destin présente à l'imagination des débutants. Un éclaireur qui s'avance en terrain ennemi se garde bien de jouer du clairon s'il tient à ne pas être découvert et massacré. Celui qui veut se livrer à la pratique doit donc user avant tout de la plus grande discrétion et déguiser ses véritables occupations sous des prétextes divers. Un ami sûr et porté aux mêmes études peut parfois être le seul confident choisi ; mais, encore une fois, la plus importante des règles à observer pour tous, c'est le quatrième enseignement du sphinx : Se taire.
Construction de la journée La journée se divise en quatre parties correspondant aux quatre saisons de l'année et aux quatre semaines du mois lunaire : le matin ou printemps du jour, période d'éclosion intellectuelle ; le midi ou été, période de floraison ; l'après-midi ou automne, période de fructification et de réalisation ; enfin la soirée ou hiver, période de repos et de méditation. La journée doit être consacrée à la prière sous ces trois formes : la parole, le travail et la méditation. Au lever on dira, après s'être purifié physiquement le plus complètement possible par l'eau, l'oraison du jour devant la bougie allumée (nous donnons à cet effet les sept oraisons mystiques de l' « Enchiridion » qui date de 1660). Ensuite on se livrera au travail qui est la plus utile et la plus efficace des prières (Qui travaille prie). Enfin, le soir, avant le sommeil, on consacrera quelques instants à la méditation touchant les observations et les enseignements qu'on a pu recueillir pendant le jour qui vient de s'écouler.
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Dimanche Délivrez-moi, Seigneur, je vous prie, qui suis votre créature • prononcez votre nom •, de tous les maux passés, présents et à venir, tant de l'âme que du corps, et donnez-moi par votre bonté la paix et la santé, et me soyez propice, moi qui suis votre créature par l'intercession de la bienheureuse Vierge Marie et de vos apôtres, saint Pierre, Paul, André, et tous les saints. Accordez la paix à votre créature et la santé pendant ma vie, afin qu'étant assisté du secours de votre miséricorde, je ne sois jamais esclave du péché, ni dans la crainte d'aucun trouble, par le même Jésus-Christ votre fils, Notre Seigneur, qui étant Dieu, vit et règne en l'unité du Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Que la paix du Seigneur soit toujours avec moi. Ainsi soit-il. Que cette paix céleste, Seigneur, que vous avez laissé à vos disciples, demeure toujours ferme dans mon cœur, et soit toujours entre moi et mes ennemis tant visibles qu'invisibles. Ainsi soit-il. Que la paix du Seigneur, son visage, son corps, son sang m'aide, me console et me protège, moi qui suis votre créature • prononcez votre nom •, aussi bien que mon âme et mon corps. Ainsi soit-il. Agneau de Dieu, qui avez daigné naître de la Vierge Marie, qui étant sur la croix avez lavé le monde de ses péchés, ayez pitié de mon âme et de mon corps ; Christ, Agneau de Dieu, immolé pour le salut du monde, ayez pitié de mon âme et de mon corps. Agneau de Dieu, par lequel tous les fidèles sont sauvés, donnez-moi votre paix qui doit toujours durer, tant dans cette vie que l'autre, Ainsi soit-il.
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Lundi O Grand Dieu, par lequel toutes choses ont été délivrées, délivrez-moi aussi du mal ! O Grand Dieu, qui avez accordé votre consolation à tous les êtres, accordezla-moi aussi ! O Grand Dieu, qui avez secouru et assisté toutes choses, aidez-moi aussi et me secourez dans toutes mes nécessités, mes misères, mes entreprises, mes dangers ; † délivrez-moi de toutes les oppositions et embûches de mes ennemis tant visibles qu'invisibles, au nom du Père qui a créé le monde entier †, au nom du Fils qui l'a racheté †, au nom du Saint-Esprit qui a accompli la Loi dans toute sa perfection : je me jette tout entier entre vos bras, et me mets entièrement sous votre sainte protection. Ainsi soit-il †. Que la bénédiction de Dieu le Père tout-puissant, du Fils et du Saint-Esprit soit toujours avec moi. Ainsi soit-il †. Que la bénédiction de Dieu le Père, qui de sa seule parole a fait toutes choses, soit toujours avec moi †. Que la bénédiction de Notre Seigneur JésusChrist, fils du grand Dieu vivant, soit toujours avec moi †. Ainsi soit-il. Que la bénédiction du Saint-Esprit avec ses sept dons soit toujours avec moi †. Ainsi soit-il. Que la consécration du pain et du vin que Notre Seigneur Jésus-Christ a faite quand il les donna à ses disciples, leur disant : (pour le mardi).
Mardi Prenez et mangez tous de ceci : ceci est mon corps qui sera livré pour vous en mémoire de moi et pour la rémission de tous les péchés, soit toujours avec moi †. Que la bénédiction des saints anges, archanges, des vertus, des puissances, des trônes, des dominations, des chérubins, des séraphins, soit toujours avec moi †. Ainsi soit-il. Que la bénédiction des patriarches et prophètes, apôtres, martyrs, confesseurs, vierges, et de tous les saints de Dieu soit toujours avec moi †. Ainsi soit-il. Que la bénédiction de tous les cieux de Dieu soit toujours avec moi †. Ainsi soit-il. Que la majesté de Dieu tout-puissant me soutienne et me protège ;
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que sa bonté éternelle me conduise ; que sa charité sans borne m'enflamme ; que sa divinité suprême me conduise ; que la puissance du Père me conserve ; que la sagesse du Fils me vivifie ; que la vertu du Saint-Esprit soit toujours entre moi et mes ennemis tant visibles qu'invisibles. Ainsi soit-il. Puissance du Père, fortifiezmoi ; sagesse du Père, fortifiez-moi ; sagesse du Fils, éclairez-moi ; consolation du Saint-Esprit, consolez-moi. Le père est la paix, le Fils est la vie, le Saint-Esprit est le remède de la consolation du salut. Ainsi soit-il. Que la divinité de Dieu me bénisse. Ainsi soit-il ; que sa piété m'échauffe ; que son amour me conserve. O Jésus-Christ, Fils du grand Dieu vivant, ayez pitié de moi, pauvre pécheur.
Mercredi O Emmanuel ! Défendez-moi contre l'ennemi malin et contre tous mes ennemis visibles et invisibles, et me délivrez de tout mal. Jésus-Christ Roi est venu en paix : Dieu fait homme, qui a souffert patiemment pour nous. Que Jésus-Christ roi débonnaire soit toujours au milieu de moi et de mes ennemis pour me défendre. Ainsi soit-il. † Jésus-Christ triomphe †, Jésus-Christ règne †, Jésus-Christ commande †. Que Jésus-Christ me délivre de tous maux continuellement. Ainsi soit-il. Que Jésus-Christ daigne me faire la grâce de triompher de tous mes adversaires. Ainsi soit-il. Voici la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, † Fuyez donc, mes ennemis, à sa vue, le lion de la tribu de Juda a triomphé. Race de David, alléluia, alléluia, alléluia. Sauveur du monde, sauvez-moi, et me secourez, vous qui m'avez racheté par votre Croix et votre très précieux Sang ; secourez-moi, je vous en conjure, mon Dieu, Ô Agios †, Ô Theos †, Agios Ischyros †, Agios Athanatos †, Eleison Himas. Dieu saint, Dieu fort, Dieu miséricordieux et immortel, ayez pitié de moi qui suis votre créature • prononcez votre nom • ; soyez mon soutien, Seigneur, ne m'abandonnez pas ; ne rejetez pas mes prières, Dieu de mon salut, soyez toujours à mon aide, Dieu de mon salut.
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Jeudi Éclairez mes yeux d'une véritable lumière, afin qu'ils ne soient point fermés d'un sommeil éternel, de peur que mon ennemi n'ait lieu de dire que j'ai eu l'avantage sur lui. Tant que le Seigneur sera avec moi, je ne craindrai point la malignité de mes ennemis. O très doux Jésus, conservez-moi, aidez-moi, sauvezmoi ; qu'à la seule citation du nom de Jésus tout genou fléchisse, tant céleste, terrestre, qu'infernal, et que toute langue publie que Notre Seigneur Jésus-Christ jouit de la gloire de son Père, Ainsi soit-il. Je sais, à n'en point douter, qu'aussitôt que j'invoquerai le Seigneur en quelque jour et heure que ce soit, je serai sauvé. Très doux Seigneur Jésus-Christ, Fils du Grand Dieu vivant, qui avez fait de si grands miracles par la seule force de votre très précieux Nom, et avez enrichi si abondamment les indigents, puisque par sa force les démons fuient, les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux marchaient droit, les muets parlaient, les lépreux nettoyés, les infirmes guéris, les morts ressuscitent ; car aussitôt seulement que l'on prononçait ce très doux nom de Jésus, l'oreille était charmée et ravie, et la bouche remplie de ce qu'il y a de plus agréable : à cette seule prononciation dis-je, les démons prenaient la fuite, tout genou fléchissait, toutes les tentations, même les plus mauvaises, étaient déracinées ; toutes les disputes et combats qui sont et étaient entre le monde, la chair et le diable étaient dissipés, et on était rempli de tous les biens célestes ; parce que quiconque invoquait et invoquera ce saint nom de Dieu était et sera sauvé ; ce saint nom prononcé par l'Ange même avant qu'il fût conçu dans le sein de la Sainte Vierge.
Vendredi O doux Nom ! Nom fortifiant le cœur de l'homme, Nom de vie, de salut, de joie ; Nom précieux, réjouissant, glorieux et agréable ; Nom fortifiant le pécheur ;
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Nom qui sauve, conduit, gouverne et conserve tout ; qu'il vous plaise donc, très pieux Jésus, par la force de ce même Nom très précieux, éloignez de moi le démon ; éclairez-moi, Seigneur, qui suis aveugle ; dissipez ma surdité ; rendezmoi la parole, moi qui suis muet ; guérissez ma lèpre ; redonnez-moi la santé, à moi qui suis malade ; et me ressuscitez, moi qui suis mort ; redonnez-moi la vie, et m'environnez de toutes parts tant au dedans qu'au dehors, afin qu'étant muni et fortifié de ce saint Nom, je vive toujours dans vous, en vous louant, honorant, parce que tout vous est dû, parce que vous êtes le plus digne de gloire, le Seigneur est le Fils éternel de Dieu, par lequel toutes choses sont, dans la joie et sont gouvernées. Louange, honneur et gloire vous soient à jamais rendus dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Que Jésus soit toujours dans mon cœur, dans les entrailles. Ainsi soit-il. Que Notre Seigneur Jésus-Christ soit toujours au dedans de moi , qu'il me rétablisse, qu'il soit autour de moi, qu'il me conserve, qu'il soit devant moi, qu'il me conduise ; qu'il soit derrière moi, afin qu'il me garde ; qu'il soit audessus de moi, afin qu'il me bénisse ; qu'il soit dans moi, afin qu'il me vivifie ; qu'il soit auprès de moi, afin qu'il me gouverne ; qu'il soit au-dessus de moi, afin qu'il me fortifie ; qu'il soit toujours avec moi, afin qu'il me délivre de toutes les peines de la mort éternelle, lui qui vit et règne avec le Père et le Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Samedi Jésus, Fils de Marie, salut du Monde, que le Seigneur me soit favorable, doux et propice, qu'il m'accorde, un esprit saint et volontaire, pour lui rendre l'honneur et le respect qui lui sont dus, lui qui est le libérateur du monde. Personne ne peut mettre la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue, lui qui est, qui était et sera toujours, a été Dieu et Homme, commencement et fin ; que cette prière que je lui fais me garantisse éternellement contre mes ennemis. Ainsi soitil. Jésus de Nazareth, Roi des Juifs, Titre honorable, Fils de la Vierge Marie, ayez pitié de moi, pauvre pécheur. • Prononcez votre nom •, conduisez-moi selon votre douceur dans la voie du salut éternel. Ainsi soit-il. Or Jésus sachant les choses qui lui devaient arriver, s'avança, et leur dit : « Qui cherchez-vous ? — Ils lui répondirent : — Jésus de Nazareth — Jésus leur dit : — C'est moi. Or Juda qui devait le livrer était avec eux ; aussitôt qu'il leur eut dit que c'était lui, ils tombèrent à la renverse par terre : or, Jésus leur demanda derechef : Qui
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cherchez-vous ? Ils lui dirent encore : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : je vous ai déjà dit que c'est moi : si c'est moi donc que vous cherchez, laissez aller ceux-ci (parlant de ses disciples). La lance, les clous, la croix, les épines, la mort que j'ai souffert, prouvent que j'ai effacé et expié les crimes des misérables : préservezmoi, Seigneur Jésus-Christ, de toutes plaies, pauvreté, et des embûches de mes ennemis, que les cinq plaies de Notre Seigneur me servent continuellement de remède ; Jésus est la voie †, Jésus est la vérité †, Jésus a souffert †, Jésus, fils de Dieu vivant, ayez pitié de moi †. Or, Jésus passant allait au milieu d'eux, et personne ne mit sa main meurtrière sur Jésus, parce que son heure n'était point encore venue.
Le Septième Jour Le jour du Soleil doit être autant que possible, consacré uniquement à l'occupation et non à la profession. Rappelons que le seul repos véritable au point de vue intellectuel est l'exercice de cette occupation préférée : car la cessation absolue de tout travail physique ou intellectuel peut constituer l'idéal de la bru, mais non celui d'une femme ou d'un homme suffisamment développé. La prière se fera donc ce jour-là complète et aussi solennelle que possible, soit dans la chambre (ou l'endroit que vous aurez choisi et qui de ce fait devient la « Chambre Magique » soit également dans une église, qui est un merveilleux laboratoire de magie, ouvert à tous, riche ou pauvre. Dans la belle saison il est utile de remplacer la chambre magique ou l'église, œuvre des hommes, par la manifestation directe de la nature, et la prière en pleine forêt ou en pleine campagne ce qui est particulièrement recommandé. C'est par l'exercice progressif de la méditation qu'on arrive peu à peu au développement des facultés psychiques supérieures, d'où découlent trois ordres de phénomènes des plus importants, classés par les anciens magistes sous les noms de ravissement, extase et songe prophétique.
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SEPTIÈME PARTIE
Les acquis des prières.
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« Il est des heures pour agir et des heures pour écouter... Bienheureux ceux qui les reconnaissent et qui savent alors s'arracher à l'action, fût-elle la meilleure du monde... Mon enfant, fais le silence en toi... » (Marcel Légaut)
Les acquis de la prière Les requêtes exaucées
L
'ESPRIT « moderne », comme on l'appelle quelquefois, éprouve la plus vive antipathie pour la prière, n'arrivant pas à comprendre pourquoi l'énoncé d'une requête aurait pour conséquence un événement donné ; l'esprit religieux, au contraire, met la même ardeur dans son attachement à la prière, car prier est sa vie. Et cependant l'homme religieux lui-même se livre parfois, avec inquiétude, à un examen raisonné de la prière. Ai-je la prétention, se dit-il, d'en remontrer au Tout-Puissant, d'imposer la bienfaisance à la Bonté même, de modifier la volonté de Celui en qui il n'y a ni changement, ni ombre de variation ? Sa propre expérience et celle des autres lui offrent pourtant des exemples « d'exaucement », c'est-à-dire d'une requête incontestablement suivie de sa réalisation. Il s'agit souvent, non pas d'expériences subjectives, mais de faits très prosaïques, arrivés dans notre monde dit objectif. Un homme, dans ses prières, demande de l'argent, et la poste lui apporte ce dont il avait besoin. Une femme demande des aliments, et ces aliments sont déposés à sa porte. Les œuvres de charité, surtout, fournissent de nombreux exemples d'assistance demandée par la prière dans des moments d'urgence extrême et obtenue promptement et largement. D'autre part, il ne manque pas d'exemples de prières restées inexaucées. Des affamés ont succombé, des enfants, malgré les appels les plus passionnés adressés à Dieu. Toute analyse impartiale de la prière doit constater ces faits.
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Ce n'est pas tout. Nous nous trouvons souvent en présence de faits étranges et difficiles à comprendre. Une prière, insignifiante peut-être, obtient une réponse ; une autre, déterminée par des raisons importantes, reste inutile. Une difficulté passagère est aplanie ; une prière ardente qui voudrait sauver un être adoré demeure sans réponse. Il semble presque impossible, pour le chercheur ordinaire, de découvrir la loi déterminant le succès ou l'inutilité de la prière. Pour arriver à comprendre cette loi, il faut tout d'abord analyser la prière elle-même, car on donne ce nom à des activités de conscience très variables. Les différents genres de prière se sauraient former un seul et même sujet d'étude. Certaines prières ont pour objet des biens terrestres particuliers, l'obtention d'avantages physiques dont on a besoin, nourriture, vêtements, argent, places, réussite dans les affaires, guérissons... Nous pourrions en former une classe spéciale : A. — Viennent ensuite les demandes de secours dans des heures de difficultés morales et intellectuelles, les demandes de croissance spirituelle, de victoire dans les tentations, de force, de compréhension, de lumière. Nous pouvons en former une autre classe : B. — Mentionnons, enfin, les prières qui consistent à méditer sur la Perfection divine et à adorer, dans un désir passionné de s'unir à Dieu : c'est l'extase du mystique, la méditation du sage, le ravissement exalté du saint. La véritable communion entre le Divin et l'Humain consiste à se fondre en amour et en vénération pour ce Principe, dont l'attraction est l'essence, et que le cœur est forcé d'aimer. Ce dernier genre de prière formera une classe C. Il existe dans les mondes invisibles de nombreuses catégories d'intelligences en relation avec l'homme, véritable échelle de Jacob que les Anges de Dieu montent et descendent et au sommet de laquelle se tient le Seigneur lui-même. Certaines de ces intelligences sont des Puissances spirituelles immenses ; d'autres, des êtres très peu développés, doués d'une conscience inférieure à celle de l'homme. Ce côté occulte de la nature — j'y reviendrai plus en détail — est un fait reconnu par toutes les religions. Le monde entier est rempli d'êtres vivants, invisibles pour les yeux charnels. Les mondes invisibles pénètrent le monde visible, et des foules d'êtres intelligents se pressent de toutes parts autour de nous. Les uns se laissent toucher par les requêtes humaines, les autres sont susceptibles d'obéir à notre volonté. Le christianisme reconnaît l'existence des Intelligences Supérieures et leur donne le nom général d'Anges. Il enseigne que ces Anges sont des esprits employés au service de Dieu. Le caractère de leur ministère, la nature de leur tâche, leurs rapports avec l'humanité, tout cela faisait partie des enseignements donnés dans les Mystères Mineurs. Dans les Grands Mystères, l'homme acquérait la possibilité d'entrer en relation directe avec eux. De nos jours ces vérités ont été perdues de vue, à l'exception du peu enseigné dans les Églises grecque et romaine. Pour les Protestants, le ministre des anges n'est guère qu'un mot. D'autres êtres invisibles sont constamment créés par l'homme lui-même, car les vibrations de ses pensées et ses désirs déterminent des formes de
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matière subtile dont la vie est simplement la pensée ou le désir qui les anime. L'homme crée, de la sorte, une armée de serviteurs invisibles qui parcourent les mondes invisibles et cherchent à exécuter sa volonté. Dans ces mondes se rencontrent également des aides humains ; ils y travaillent pendant que leurs corps physiques sont endormis, et il peut arriver que leur oreille attentive soit frappée par un cri de détresse. Enfin, comme couronnement suprême, il y a la vie, toujours présente, toujours consciente, de Dieu Lui-même, puissante et responsive sur tout les points de Son royaume, la Vie de Celui sans la connaissance duquel il ne tombe pas un passereau à terre (Saint Matth., X, 29), aucun enfant ne rit ou ne sanglote, cette Vie et cet Amour qui pénètrent toutes choses, en qui nous avons la vie, le mouvement et l'être (Actes, XVII, 28). Aucun impact susceptible de causer du plaisir ou de la souffrance ne saurait frapper le corps humain sans que les nerfs sensitifs ne communiquent le message aux centres cérébraux ; ces centres, à leur tour, renvoient par l'intermédiaire des nerfs moteurs la réponse qui accueille ou qui repousse. De même, dans l'univers, qui est le corps de Dieu, toute vibration frappe la conscience Divine et détermine une certaine activité responsive. Les cellules nerveuses, les filaments nerveux, et les fibres musculaires sont, sans doute, les agents de la sensation et du mouvement, mais c'est l’homme qui sent et qui agit. D'innombrables Intelligences peuvent, de même, servir d'agents, mais c'est Dieu qui sait et qui répond. Rien de trop faible pour affecter cette conscience délicate et partout présente, rien d'assez grand pour pouvoir lui échapper. Nous sommes si peu développés, que l'idée même d'une conscience universelle nous stupéfie et nous confond. Et cependant un moucheron trouverait peutêtre la même difficulté à mesurer la conscience de Pythagore. Il a été jugé possible l'existence d'êtres intellectuellement de plus en plus élevés dont la conscience irait en s'élargissant jusqu'à un degré où elle dépasserait la conscience humaine, comme celleci dépasse la conscience d'un insecte. Ce n'est pas là une simple hypothèse scientifique mais l'expression d'un fait. Oui, un Être existe, dont la conscience est présente sur tous les points de Son univers et que chacun de ces points peut, par conséquent, affecter. Cette conscience est non seulement d'une immense étendue, mais encore d'une acuité inconcevable ; son extension au loin, dans toutes les directions, ne diminue en rien son extrême impressionnabilité ; elle répond aux impacts extérieurs avec plus de vivacité qu'une conscience plus limitée ; elle les comprend infiniment mieux qu'une conscience plus restreinte. La difficulté d'affecter la conscience d'un Être n'est pas en raison directe de Son exaltation. De fait, c'est précisément le contraire. Plus l'Être est exalté, plus il est facile d'impressionner sa conscience. Or, cette Vie universellement présente emprunte partout, comme canaux de Son énergie, les vies incarnées qui Lui doivent l'existence et dont chacune peut servir d'instrument à cette Volonté toute conscience. Pour que cette Volonté puisse s'exercer
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dans le monde extérieur, il Lui faut un mode d'expression, et ces différents êtres Lui offrent proportionnellement à leur réceptivité, les canaux nécessaires : ils deviennent par là des travailleurs mettant en rapport les différents points cosmiques ; ils sont en quelque sorte les nerfs moteurs de Son corps et déterminent l'action voulue. Examinons maintenant les différentes catégories de prières et les différentes méthodes qui peuvent être employées pour y répondre. Quand un homme formule une prière de la catégorie A, il peut être exaucé de différentes manières. Cet homme est encore naïf, et sa manière de concevoir Dieu est naturelle et inévitable à son degré d'évolution ; il attend de Lui les biens matériels qui lui sont nécessaires, Le suppose au courant de ses moindres besoins journaliers, Lui demande enfin le pain quotidien, aussi naturellement qu'un enfant s'adresse à son père et à sa mère. Un exemple typique de ce genre de prière nous est donné par George Müller (XIXe siècle), avant qu'il ne fût connu comme philanthrope, à l'époque où il commençait son œuvre de charité, sans amis et sans argent. Il priait pour obtenir la nourriture des enfants dont l'existence dépendait de lui, et toujours il obtenait la somme suffisante aux besoins du moment. Qu'arrivait-il donc ? La prière de Müller était une forme dont il était la vie et l'énergie directrice. Cette entité vibrante et vivante n'avait qu'une idée : « Il faut de l'aide, il faut du pain », et parcourait le monde subtil ; elle cherchait. Un homme charitable désire assister les personnes dans le besoin et cherche les occasions de donner. Un homme semblable est à la forme-désir ce que l'aimant est au fer doux ; il l'attire à lui. La forme éveille en son cerveau des vibrations identiques aux siennes : il voit une manière de mettre à exécution ses intentions charitables, signe un chèque et le met à la poste. Il va sans dire que, pour Georges Müller, Dieu a mis dans le cœur d'untel de lui donner l'assistance nécessaire. Cette explication est assurément exacte, si l'on donne aux mots leur sens profond, puisqu'il n'existe pas de vie ni d'énergie dans l'univers de Dieu qui ne procède de Lui, mais l'agent intermédiaire, en vertu des lois divines, a été la forme-désir créée par la prière. Un résultat semblable peut s'obtenir tout aussi bien par un effort méthodique de la volonté, sans prière ; il faut simplement, pour cela, connaître le mécanisme à employer et la manière de le mettre enjeu. Une personne éclairée commencerait donc par se former une idée bien nette de ce qui lui est nécessaire réunirait, pour servir d'enveloppe à son idée, le genre de matière subtile la plus appropriée, enfin, par une effort de volonté délibéré, l'enverrait à une personne déterminée pour lui faire connaître sa détresse, ou bien la laisserait errer dans le voisinage, afin qu'elle pût être attirée par une personne charitablement disposée. Il n'y a pas ici de prière, mais un emploi conscient de volonté et de savoir. La grande majorité des hommes, ne connaissant rien des forces propres aux mondes invisibles et n'ayant pas appris à exercer leur volonté, arrivent beaucoup plus facilement par la prière que par un effort mental délibéré, tendant à mettre en jeu leur
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propre force, à la concentration mentale et au désir énergique dont dépend l'efficacité de leur action. Ils auraient beau comprendre la théorie, ils douteraient d'eux-mêmes, et le doute est fatal à l'exercice de la volonté. Le fait qu'une personne qui prie ne comprenne pas le mécanisme mis en mouvement par la prière ne change rien au résultat. Un enfant qui étend la main et saisit un objet n'a besoin de connaître, pour cela, ni le travail des muscles, ni les modifications électriques et chimiques produites par le mouvement dans les muscles et les nerfs ; il n'a pas besoin, non plus, de mesurer minutieusement l'angle des axes optiques. L'enfant veut saisir l'objet dont il a besoin, et le mécanisme physique obéit, sans que l'enfant doute de son existence. Il en est de même pour l'homme qui prie sans connaître la force créatrice de sa pensée, sans se douter qu'il a envoyé au loin une entité vivante, chargée d'exécuter ses ordres ; il agit donc avec l'inconscience de l'enfant et, comme lui, saisit ce dont il a besoin. Dans l'un et l'autre cas Dieu est l'Agent Primaire, puisque toute force procède de Lui ; dans l'un et l'autre cas le travail est déterminé par le mécanisme préparé par Ses lois. Mais ce n'est pas la seule manière dont les prières de cette catégorie peuvent être exaucées. Un homme absent, pour l'instant, de son corps physique, un Ange qui passe, peut entendre le cri de détresse et inspirer à quelque personne charitable la pensée d'envoyer le secours nécessaire. « J'ai pensé à untel ce matin, dira cette personne. J'ai dans l'idée qu'un chèque lui serait utile. » Un très grand nombre de prières sont ainsi exaucées, une Intelligence invisible, universelle, formant le lien entre le besoin et l'arrivée du secours. C'est là, d'ailleurs, une partie de la tâche des Anges inférieurs qui subviennent ainsi à des besoins personnels ou prêtent leur aide à des entreprises charitables. Mais les prières de ce genre peuvent rester inutiles. Ceci s'explique par une autre cause cachée. Tout homme contracte des dettes qu'il doit payer ; ses pensées mauvaises, ses désirs mauvais, ses actions mauvaises ont dressé des obstacles sur sa route et parfois l'enferment entre les murailles d'une prison. Une dette constituée par une mauvaise action se paye en souffrances ; l'homme doit subir des conséquences du mal qu'il a commis, ce que l'occultiste appelle le choc en retour. A-t-il mérité, par suite du mal qu'il a causé jadis, de mourir de faim ? Aucune de ses prières ne modifiera son sort. La forme-désir ainsi créée cherchera, mais ne trouvera point ; elle rencontrera le flot du mal ancien qui la repoussera. Ici, comme partout, nous vivons sous l'empire de la loi et certaines forces peuvent être modifiées ou entièrement annulées par l'action d'autres forces qu'elles rencontrent. Deux balles exactement semblables peuvent être soumises à deux forces identiques. Aucune autre force n'est-elle mise en jeu ? La première balle frappera le but. Une nouvelle force vient-elle à agir sur la seconde, elle la fera dévier. Il en est de même pour deux prières semblables : l'une suivra son chemin sans rencontrer de résistance et atteindra son but ; l'autre sera rejetée sur elle-même par la force, bien plus puissante, d'une
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mauvaise action passée. La première est exaucée ; le second reste sans réponse ; mais dans les deux cas, le résultat est conforme à la loi. Considérons maintenant la catégorie B. Les prières demandant de l'aide dans les difficultés morales et intellectuelles ont un double résultat : elles agissent directement en provoquant le secours demandé ; elles réagissent sur la personne qui prie ; elles attirent l'attention des Anges et des disciples, travaillant hors du corps, qui cherchent sans cesse à prêter leur assistance à la pensée qui se débat. Les conseils, l'encouragement, la lumière sont alors communiqués à la conscience cérébrale, et la prière se trouve exaucée de la façon la plus directe. — Et s'étant mis à genoux il pria... Un ange venu du ciel lui apparut pour le fortifier (Saint Luc, 41, 43). Des idées sont inspirées, et les difficultés intellectuelles s'évanouissent, un problème obscur de la vie morale se trouve élucidé, le réconfort le plus doux est prodigué aux âmes dans la détresse le calme et les rassure. En vérité, si aucun Ange ne se trouvait à portée, le cri de l'âme angoissée irait jusqu'au « Cœur Invisible du Ciel », et un messager serait envoyé, porteur de consolations, ou bien quelque Ange toujours prêt à partir à tired'aile, en sentant agir en lui la volonté divine d'accorder l'aide demandée. Ces prières reçoivent aussi ce qu'on appelle parfois une réponse subjective : je veux parler de la réaction de la prière sur celui qui la prononce. Par le fait qu'il prie, son cœur et son mental deviennent réceptifs. Ceci apaise la nature inférieure et permet, en même temps à la force et aux lumières de la nature supérieure de descendre en elle à flots, sans rencontre d'obstacles. Les courants d'énergie venant de l'Homme Intérieur, qui, normalement vont en descendant ou vers le dehors, sont en général dirigés vers le monde extérieur et consacrés par la conscience cérébrale aux affaires ordinaires de la vie et ses activités journalières. Mais la conscience cérébrale se détourne-t-elle du monde extérieur, ferme-t-elle les portes y donnant accès, dirige-telle son regard vers l'intérieur, se ferme-t-elle, de propos délibéré, aux objets du dehors pour s'ouvrir à la vie du dedans, elle devient alors un vaisseau susceptible de recevoir et de contenir et cesse d'être un simple canal reliant les mondes intérieur et extérieur. Dans le silence qui succède aux bruits de l'activité extérieure, la « Voix faible et subtile » de l'Esprit peut se faire entendre, et l'attention concentrée du mental en éveil lui permet de surprendre le doux murmure du Moi Intérieur. La prière demande-t-elle la lumière spirituelle ou la croissance spirituelle, l'assistance extérieure et intérieure n'en est que plus marquée. Tous les aides, qu'ils soient Anges ou hommes, favorisent de toutes leurs forces le progrès spirituel et saisissent toutes les occasions qui leur sont offertes par les âmes qui aspirent à s'élever. D'autre part, ces aspirations mettent en jeu des énergies d'une nature supérieure, car le désir spirituel ardent provoque une réponse qui émane du plan de l'Esprit. La loi des vibrations sympathiques s'affirme une fois de plus. À la note déterminée par de nobles aspirations répond une note semblable, une vibration synchrone. La Vie Divine ne cesse d'exercer d'en haut une pression contre les limites
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qui l'enserrent et, quand la force venant d'en bas frappe, de son côté, ces mêmes limites, la muraille de séparation se brise, et la Vie Divine vient inonder l'âme. L'homme est-il conscient de cet influx de vie spirituelle, il s'écrie : « Ma prière a été exaucée ; Dieu a envoyé Son Esprit dans mon cœur. » Et pourtant, on oublie trop souvent que l'Esprit cherche toujours à entrer. Venant chez lui, les siens ne le reconnaissent point (Saint Jean, 1, 11.) — Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui (Apoc, III, 20). D'une manière générale, on peut dire de toutes les prières de cette catégorie que la vie plus large qui nous entoure et nous pénètre les exauce d'une manière d'autant plus effective que l'oubli de la personnalité est plus complet et l'aspiration plus ardente. Notre isolement est notre œuvre. Or, en y mettant fin et en nous unissant à ce qui est plus grand que nous-mêmes, nous constatons que la lumière, la vie et la force s'épandent en nous. La volonté séparée se détourne-t-elle de ses objets préférés et s'applique-t-elle à servir les intentions divines, la Force du Divin descend à flots en elle. Un nageur qui remonte une rivière n'avance que lentement ; mais s'il la descend, toute la force du courant le porte en avant. Dans toutes les régions de la Nature les énergies divines sont à l'œuvre et tout ce que l'homme fait, il le fait en employant les énergies qui travaillent dans le sens où tendent ses propres efforts. Les plus grands résultats sont obtenus non par les énergies personnelles, mais par l'habileté avec laquelle l'homme choisit et combine les forces auxiliaires et neutralise les forces contraires par celles qui lui sont favorables. Les forces qui nous emporteraient comme des fétus de paille deviennent nos servantes les plus soumises quand nous travaillons avec elles. Comment donc s'étonner que, dans la prière, comme partout ailleurs, les énergies divines fassent alliance avec l'homme qui cherche, en priant, à s'associer à l'œuvre de Dieu. Les prières les plus élevées de la classe B amènent, par degrés presque insensibles, à celles de la classe C. La prière perd ici son caractère de supplication ; elle consiste soit à méditer sur Dieu, soit à l'adorer. Méditer c'est fixer avec calme la pensée sur Dieu et l'y maintenir. Cet exercice réduit au silence le mental inférieur, qui ne tarde pas à être abandonné par l'Esprit. Celui-ci s'en échappant alors, s'élève jusqu'à la contemplation de la Perfection Divine et reproduit en lui-même, comme en un miroir, l'Image divine. « La Méditation consiste à prier en silence, sans prononcer de paroles » ou, suivant l'expression de Platon, à diriger avec ardeur l'Âme vers le Divin — non pas pour solliciter aucun bien particulier (comme dans la prière ordinaire), mais par amour du bien lui-même — ou Bien Universel et Suprême. » Cette prière, en libérant l'Esprit, amène l'union entre l'homme et Dieu. En vertu des lois gouvernant le mental, l'homme devient ce qui est l'objet de sa pensée. Sa méditation se fixe-t-elle sur les perfections divines, il finit par reproduire en lui-même
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l'objet qui l'attire. Un mental comme celui-là façonné à la vie supérieure, et non plus à celle d'en bas, ne saurait dès lors lier l'Esprit qui, reprenant sa liberté, s'élance vers sa source ; la prière se perd dans l'union, et l'isolement n'est plus. Le culte, l'adoration éperdue qui ne demande rien, qui cherche, à force d'amour pour la perfection vaguement pressentie, à s'épancher au dehors, est également un moyen, le plus facile, de s'unir à Dieu. Pour notre conscience, entravée par le cerveau, cette adoration consiste à contempler, dans une muette extase, l'Image formée par ellemême de l'Être, qu'elle sait pourtant inimaginable. Souvent, ravi par l'intensité de son amour au-delà des limites intellectuelles, l'homme redevenu libre Esprit, s'élève à des hauteurs où ces limites sont dépassées et là éprouve et sait beaucoup plus qu'il ne saurait, à son retour ici-bas, exprimer par la parole ou représenter par les formes. Voilà comment le Mystique contemple la Vison Béatifique, comment le Sage goûte le repos et la paix de la Sagesse inconcevable, comment le Saint atteint la pureté qui permet de voir Dieu. Cette prière-là revêt l'adorateur d'une lumière rayonnante et quand, des sommets de cette communion sublime, il redescend vers les plaines terrestres, son visage charnel lui-même resplendit d'une gloire céleste, étant devenu translucide par la flamme qui brûle en lui. Heureux ceux qui connaissent la réalité, impossible à décrire par des mots à ceux qui l'ignorent. Ceux dont les yeux ont vu le Roi dans l'éclat (Esaïe, XXXIII, 17.) se souviendront et sauront comprendre. Quand on envisage ainsi la prière, on voit qu'elle est inséparable de toute croyance à la Religion, et l'on comprend pourquoi toutes les personnes qui cherchent à connaître la vie supérieure en ont si constamment recommandé la pratique. Pour celui qui voudrait étudier les Mystères Mineurs, la prière doit être de celles réunies dans la catégorie B ; il doit en même temps s'efforcer de s'élever jusqu'à la méditation pure et à l'adoration formant la dernière catégorie et de renoncer entièrement aux genres de prières inférieurs. Les enseignements donnés à ce sujet par Jamblique lui seront utiles. « Les prières, dit cet auteur,... établissent l'indissoluble communion hiérarchique avec les dieux. » Il donne ensuite des détails intéressants sur la prière, telle qu'elle est envisagée par l'Occultisme pratique. « Car ce sujet en soi-même vaut qu'on l'étudie et rend plus parfaite notre science touchant les dieux. Je dis donc que la première espèce des prières nous rapproche des dieux et nous conduit à la connaissance du divin ; la seconde établit un lien de communion et de sentiments conformes et attire vers nous les dons envoyés d'en haut par les dieux avant que nous n'ayons parlé et accompli toutes les œuvres, avant que nous ayons pensé ; mais la plus parfaite porte le sceau de l'ineffable unité ; elle met dans les dieux toute la force des prières et elle fait que notre âme repose en eux parfaitement. Dans ces trois termes qui mesurent toutes les choses divines, la prière qui nous inspire l'amour des dieux nous donne le triple profit hiératique qui vient des dieux : l'un tend à l'illumination, l'autre à
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l'accomplissement des œuvres en commun ; le troisième, à la parfaite plénitude par le feu... Aucune opération hiératique ne peut se faire sans les supplications des prières ; leur fréquence nourrit notre esprit et fait plus large réception des dieux par l'âme ; elles ouvrent aux hommes les choses des dieux, les habituent aux splendeurs de la lumière et bientôt parfont ce qui est en nous par le contact des dieux, jusqu'à ce qu'elles nous emportent au suprême sommet, nous donnent le divin, fassent naître la persuasion, la communion et l'amitié indissoluble, augmentent l'amour divin, enflamment la partie divine de l'âme et purifient l'âme de tous les éléments contraires, détruisent par le souffle œthréen et éclatant tout ce qui porte à la genèse, parfont en elle la bonne espérance et la foi dans la lumière et, en un mot, fassent pour ainsi dire, de ceux qui ont recours à elles les familiers des dieux »' Cette étude, ces exercices, ont pour l'homme qui commence à comprendre et à voir la vie humaine s'élargir à ses yeux, un résultat immanquable : il constate en effet, qu'en s'instruisant il devient puissant, qu'il est entouré de forces susceptibles d'être comprises et dominées et que sa puissance est en raison directe de son savoir ; il apprend ensuite que la Divinité repose an fond de son âme et que rien de transitoire ne peut suffire à ce Dieu intérieur ; l'union avec l'Unique, avec le Parfait, peut seule Le satisfaire. Puis grandit, par degrés, dans cet homme, la volonté de s'identifier avec le Principe Divin ; il cesse de poursuivre le changement avec passion et de renforcer de causes nouvelles le fleuve des effets ; il voit en lui-même plutôt un agent qu'un acteur, un canal qu'une source, un serviteur qu'un maître ; il cherche à pénétrer les intentions divines et à travailler en harmonie avec elles. Quand un homme en est arrivé là, il s'est élevé au-dessus de toute prière autre que celle qui consiste à méditer et à adorer ; il n'a rien à demander, ni dans ce monde ni dans aucun autre ; il conserve une inaltérable sérénité, ne cherchant qu'à servir Dieu. C'est l'état « Filial », par lequel la volonté du Fils s'identifie avec celle du Père, dans un abandon paisible et absolu. — Voici, je viens accomplir Ta volonté, Ô Dieu. Je l'accomplirai avec joie. Oui, Ta loi est en mon cœur. Désormais aucune prière ne paraît plus nécessaire ; toute sollicitation semble une impertinence ; il devient impossible pour l'homme d'avoir d'autres desseins que ceux de la Volonté Suprême : à mesure que les agents de cette Volonté sauront mieux accomplir leur tâche, tous Ses desseins entreront dans une ère de manifestation active.
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Notes de l'auteur Ce livre se compose de trois grands thèmes et de sept parties. Premier thème (informatif) : 1re partie — l'acte orant. La première partie de ce livre est destinée à permettre au lecteur une approche de l'acte orant lui-même. Beaucoup accomplissent cet acte de prière sans en avoir bien compris la portée extraordinaire, sans savoir ce que l'acte lui-même apporte dans l'amélioration quotidienne de leur vie. Deuxième thème (pratique) : seconde, troisième, quatrième, cinquième et sixième parties — méditations et prières. Les parties 2, 3, 4, 5 et 6 sont composées en trois ensembles distincts : • Des méditations composées par l'auteur depuis une quarantaine d'années. • Les prières choisies dans des textes élaborés au XVIIIe siècle pour leur puissance évocatrice. • Les prières adaptées à chaque jour de la semaine. Troisième thème (réalisation) : septième partie — réalisation de ses désirs. Cette septième partie, démontre d'une façon inconditionnelle que la prière est la forme la plus élaborée du devenir de l'homme dans ce siècle commençant. Le troisième millénaire est annoncé par tous comme le siècle de la spiritualité.
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Table des matières
Avant-propos
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Première partie : Réflexions sur la prière « L'acte orant » Ses causes et ses effets
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Deuxième partie : Méditations et prières Avant propos des 2e, 3e, 4e, et 5e parties
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Préparation aux textes sacrés — Méditations et prières 01 — Méditation : Où Dieu puisse reposer la tête 01 - 06 - Prières à la gloire de l'Éternel 02 — Méditation : Vous aussi vous êtes Galiléen 07 - 12 - Prières à la gloire de l'Éternel 03 — Méditation : Placez-moi tous près de vous ! 13 - 18 - Prières à la gloire de l'Éternel60 04 — Méditation : Maître, où donc demeurez-vous ? 19 - 24 - Prières à la gloire de l'Éternel 05 — Méditation : Tout ce que disent mes péchés 25 - 30 - Prières à la gloire de l'Éternel 06 — Méditation : Fatigué d'avoir fait la route 31 - 36 - Prières à la gloire de l'Éternel 07 — Méditation : Recueillez jusqu'aux miettes ! 37 - 42 - Prières à la gloire de l'Éternel
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Troisième partie : Méditations et prières Profession de la Foi 08 — Méditation : Leur imposant les mains à chacun 43 - 48 - Prières à la gloire de l'Éternel 09 — Méditation : Pendant qu'il n'en sait rien 49 - 54 - Prières à la gloire de l'Éternel 10 — Méditation : Ainsi donc, nous qui...
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40 42 45 50 52 57
55 - 60 - Prières à la gloire de l'Éternel 11 — Méditation : Le bruit confus d'une cohue 61 - 66 - Prières à la gloire de l'Éternel
118 123 126
Quatrième partie : Méditations et prières Travaux de la Foi 12 — Méditation : Pour qu'ils racontent vos merveilles 67 - 72 - Prières à la gloire de l'Éternel 13 — Méditation : Mes brebis me connaissent 73 - 78- Prières à la gloire de l'Éternel 14 — Méditation : Pour nous servir 79 - 84 - Prières à la gloire de l'Éternel 15 — Méditation : Ne faisant qu'un, tous ensemble 85 - 90 - Prières à la gloire de l'Éternel 16 — Méditation : Sainte Mère de Dieu 91 - 96 - Prières à la gloire de l'Éternel 17 — Méditation : À mains jointes 97 - 102 - Prières à la gloire de l'Éternel 18 — Méditation : L'œuvre de vos mains 103 - 108 - Prières à la gloire de l'Éternel
131 132 135 139 142 145 149 154 157 161 165 169 172 175 178
Cinquième partie : Méditations et prières Privilège de la foi 19 — Méditation : Toujours et partout 109 - 114 - Prières à la gloire de l'Éternel 20 — Méditation : C'est la voix du Maître 115 - 120 - Prières à la gloire de l'Éternel 22 — Méditation : C'est bien 121 - 126 - Prières à la gloire de l'Éternel 23 — Méditation : Je vais partir 127 - 132 - Prières à la gloire de l'Éternel 24 — Méditation : C'est ma bouche qui parlera de vous 133 - 138 - Prières à la gloire de l'Éternel 25 — Méditation : Vous qui êtes ses œuvres, bénissez... 139 - 144 - Prières à la gloire de l'Éternel
183 185 187 191 194 198 201 205 208 212 215 218 221
26 — Méditation : Les yeux clos 145 - 148 - Prières à la gloire de l'Éternel
225 228
Sixième partie : Consécration de la semaine aux forces surnaturelles
232
Septième partie : Les acquis des prières Les acquis de la prière — Les requêtes exaucées
242
Notes de l'auteur
252
Achevé d'imprimer Sur les presses de l’Imprimerie Moderne de Bayeux ZI, 7, rue de la Résistance, 14401 BAYEUX Dépôt légal : n° 10914 — Janvier 2003