NPG NP G Ne Neur urol olog ogie ie - Ps Psyc ychia hiatr trie ie - Gé Géri riat atri riee (2 (201 012) 2) 12, 273—282
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DONNÉES DONNÉ ES FONDA FONDAMENT MENTALES ALES
Médecine ayurvédique et prévention du vieillissement : de la vérité révélée aux exigences de la science moderne, une doctrine médicale pleine de vitalité Ayurvedic medicine and anti-ageing prevention: From divine truth to modern scientific standards, a medical principle full of vitality D. Lefebvre Docteur en médecine. Fondateur Docteur en Fondateur et et gérant gérant de m-eden. m-eden. Agence Agence conseil en communication santé, 3, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris, France
Disponible sur Internet le 31 juillet 2012
MOTS CLÉS Ayurvéda ; Médecine ayurvédique ; Prévention du vieillissement
Résumé La médecine ayurvédique, principale médecine traditionnelle indienne, a créé la première approche holistique préventive du vieillissement pathologique. Cette doctrine médicalee est fondée sur une philosophie —– qui voit l’homme comme un système ouvert en continuité cal avec av ec la nature —– et s’est structurée grâce à l’éclosion de la logique indienne des viie et vie siècles avan av antt no notr tree ère. Ce qui explique qu’elle privilégie la prévention au traitement. Elle offre à chaque cha que ind indivi ividu, du, caractérisé par une biotypologie morpho-psychologique, une démarche personnalisée sinon vraie, à tout le moins rationnelle vers le bien vieillir. Le médecin ayurvédique va s’attacher à harmoniser les différentes forces vitales de l’individu dont les déséquilibres sont à l’origine des maladies. Il met en œuvre une intervention multidomaine à l’aide de la diététique, de l’h l’hygi ygiène ène,, du yoga et des massages et dispose d’une pharmacopée traditionnelle particulièrement riche qui lui permet de gérer l’être dans sa totalité. Aujourd’hui, cette approche stimul sti mulee une recherche pharmacologique et clinique particulièrement vivace, au sein d’un courantt dés ran désire ireux ux d’intégrer les connaissances scientifiques modernes. L’objectif de cet article est d’expl d’e xpliqu iquer er les fondements rationnels de cette médecine préventive qui font qu’elle traverse les rév révolu olutio tions ns de la pensée, d’en décrire les principales caractéristiques et de faire le point surr le su less recherches actuelles au travers d’une revue de la littérature récente sur PubMed. © 20 2012 12 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Articl Art iclee réd rédigé igé dan danss le cad cadre re du Dip Diplôm lômee d’u d’univ nivers ersité ité de pré préven ventio tionn du vie vieill illiss isseme ement nt pat pathol hologi ogique que 201 2011—2 1—2012 012 (Bi (Bicêt cêtre— re—PPari ariss Sud Sud). ).
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1627-4 1627 -483 830/ 0/$$ — se seee fr fron ontt ma matt tter er © 20 2012 12 El Else sevi vier er Ma Mass sson on SA SAS. S. Tou ouss dr droi oits ts ré rése serv rvés és.. http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2012.06.006
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D. Lefebvre
KEYWORDS Ayurveda; Ayurvedic medicine; Anti-ageing prevention
Summary Ayurvedic medicine, the major traditional Indian medicine, has founded the first systemic preventive anti-ageing approach. This medical principle is based on a philosophy, which considers human beings as an open system in line with nature and has been structured thanks to VIth and VIIth century Indian logic. Therefore, Ayurveda gives priority to prevention. Each individual, determined by a morpho-psychological bio-typology, has a corresponding if not true, at least rational, customized anti-ageing program. An Ayurvedic practitioner is dedicated to preventing disharmony between the individual’s vital strengths that could lead to illness. The practitioner implements a multidimensional interventional program dealing with nutritional and lifestyle prescriptions, yoga, and massage, reinforced if needed by the Indian pharmacopeia. The Ayurvedic doctor treats human beings from every angle. Today, this approach has stimulated a strong pharmacological and clinical research program, initiated by a trend willing to integrate modern scientific knowledge. The objective of this review is to explain the rational foundations of this preventive medicine, which could explain its persistence over the Ages, to describe its major characteristics and to summarize recent PubMed references. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Le bien vieillir occupe une partie centrale dans la médecine ayurvédique, la plus importante médecine traditionnelle de l’Inde classique. Ses fondements remontent à la période védique, entre les xve et xie siècles avant JésusChrist, son apogée se situe lors de la dynastie des Gupta, aux environs des 320—500 après Jésus-Christ [1]. La médecine ayurvédique va structurer progressivement, pendant 2000 ans, une des toutes premières approches médicales systémiques de l’être humain, dont on ne trouvera d’équivalent qu’avec la médecine chinoise. Aujourd’hui encore, la médecine ayurvédique occupe une place importante en Inde et intéresse de plus en plus l’Occident où elle est souvent considérée à tort comme une médecine douce [1]. Ayurvéda, terme sanskrit, peut se traduire par le savoir (veda) sur l’élan vital (âyur ), mais encore par la science (veda) du temps, de la durée de vie (âyus). Ce système cohérent est le fruit d’un mélange original de textes révélés, les Védas, d’esprit critique et d’observation, ainsi que de concepts philosophiques. Un système dont l’acuité et l’intuition scientifique seront à l’origine de nombreux concepts médicaux reconnus de nos jours, comme l’homéostasie, la chronobiologie, la systémique, la médecine environnementale. . . tous liés au maintien de la vie en bonne santé. L’approche holistique de la médecine ayurvédique couvre à la fois les aspects physiques, psychologiques, cognitifs, sociaux et moraux de l’être humain, via des prescriptions d’hygiène et de mode de vie, d’alimentation et de diététique, le yoga et les massages [2]. Le médecin ayurvédique antique, l’atharvan, était un guide de l’homme total : corporel, psychique, social et spirituel [2]. Il avait aussi à sa disposition tout le savoir du Rasâyana-tantra, une des huit branches de l’Ayurveda consacrée spécifiquement à la science des toniques capables de renforcer l’organisme, de conserver la jeunesse, de préserver l’intelligence et de prolonger la vie. Sur quel édifice conceptuel et, sinon vrai, du moins rationnel s’est constituée cette véritable gérontologie préventive antique ? Quelle en était sa finalité ? Qu’en est-il aujourd’hui à l’ère de la science moderne et des exigences en termes de recherches pharmacologiques et cliniques ? «
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L’objectif de cet article est de faire le point sur toutes ces questions, en faisant appel à l’ethnomédecine, ainsi qu’à une revue de la littérature, des dernières publications de recherche pharmacologique et clinique indexées sur PubMed.
À l’origine, le respect du bon ordre du monde était le garant de la longévité Au commencement, la médecine de l’Inde est en partie surnaturelle et magique. Elle s’inspire des Védas, textes révélés aux sages (rishi) et colligés en sanskrit au cours de la seconde moitié du iie millénaire av. J.-C. Le médecin védique soigne par le son, en appliquant des formules rituelles (mantra), dont l’effet est renforcé par des filtres et des amulettes. Le védisme considère la parole, de par ses vibrations, comme un instrument de puissance. Les formules des hymnes supplicatifs médicaux se trouvent en partie dans le Rigveda (1500 av. J.-C.) et surtout l’ Atharva-veda. Ce dernier mentionne déjà des milliers de plantes médicinales [1,2]. Pour les Aryens, la nature du monde, fondée sur le dualisme fondamental dévorant-dévoré, apparaît comme un perpétuel sacrifice, dont la répétition est le fondement nécessaire au bon maintien de l’Ordre cosmique. Selon cette conception, tous les gestes des êtres humains doivent être en conformité avec le dessin harmonieux de l’Univers, sinon gare aux conséquences [3,4]. La vie des êtres à l’époque védique est donc occupée par la répétition de rites censés maintenir le bon ordre du monde, le rta, qui deviendra le dharma de la pensée hindouiste. Les maladies résultent d’un manquement au rituel, d’erreurs commises lors de leurs réalisations ou encore du non-respect des bonnes règles de vie. Elles sont les représailles des dieux qui se lavent des salissures générées sur le coupable [2]. Le médecin est alors un prêtre d’une caste brahmanique médicale, les Taittirîya, digne de sacrifier. Il côtoie le bhishaj, prescripteur ambulant de plantes et considéré comme impur. Les plantes ne deviendront efficaces qu’après leur consécration religieuse, véritable transsubstantiation pendant laquelle les pouvoirs divins viennent les habiter [2].
Médecine ayurvédique et prévention du vieillissement
De la magie à la doctrine médicale savante : le rôle de l’observation raisonnée et de la philosophie classique indienne Progressivement, l’Ayurvéda va s’organiser en une théorie médicale complexe en lien avec les principes philosophiques foisonnants de l’Inde des viie et vie siècles avant notre ère ; un système que Jean Filliozat, médecin indianiste, qualifiera de dogmatisme interprétant l’expérience . Les médecins—prêtres deviennent des médecins—philosophes soucieux d’asseoir diagnostic, pronostic et thérapeutique sur une base rationnelle solide, alliance de considérations théoriques et empiriques. Les colloques médicaux sont d’ailleurs nés à cette époque [1,2]. Les prescriptions censées assurer la longue vie sont le fruit des différentes écoles brahmaniques d’appréhender le monde (les darshanas). Elles découlent principalement de deux points de vue : le point de vue expérimental (Vaïsheshika) et sa méthode, la logique (Nyâya), le point de vue cosmologique (Sâmkhya) et sa méthode, la perception supramentale directe (le Yoga) [1,4]. «
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275 Selon Sâmkhya, le corps ne définit pas l’individu, car il est un lieu de changement permanent. Seule sa conscience, une étincelle individuelle de purusha emprisonnée dans chaque individu (le Soi), reste inchangée [6]. Sâmkhya fournira un support idéal à la greffe brahmanique ultérieure de la théorie du karman et de la transmigration des âmes (samsâra). Si la mort détruit l’homme physique et psychique, les traces du souvenir des actions passées (les vasana, littéralement parfumage ) suivent l’âme individuelle au fil des réincarnations. Elles s’organisent en complexes inconscients (samskâra) au sein du mental de l’individu (manas, Fig. 1) et infléchiront son comportement [2]. Sâmkhya fournit la base philosophique et conceptuelle du yoga. La voie de la connaissance est celle du Yoga. Aux travers de techniques d’entraînements psycho-physiologiques, le yoga ne se limite pas seulement à réaliser l’harmonie entre le corps et l’esprit. Il vise, dans sa phase ultime, à atteindre la connaissance discriminative de prakriti et purusha. On est loin de la simple pratique de postures : pour échapper à la transmigration et réaliser la délivrance (moksha), il s’agit de supprimer le dépôt karmique de son inconscient et d’arriver à ne plus confondre son ego et le Soi. «
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L’homme est un système ouvert, un continuum entre le psychique, le sensoriel et le physique selon Sâmkhya [1,2,5,6]
Avec Vaïsheshika et Nyâya, la logique permet aux médecins ayurvédiques de structurer rationnellement leurs observations [1,2]
Sâmkhya (le dénombrement) fournit une explication évolutive de la structure cosmique ( parinâma), avec ses
Vaïsheshika (particularité) étudie l’objet de la connais-
constituants et les lois constantes qui les régissent. Ce qui existe est divisé en 25 réalités élémentaires (tattva), dont deux éternelles, immuables qui se font face : la nature universelle ( prakriti) et l’âme universelle ( purusha). Le monde évolue irrémédiablement par périodes alternatives de création et de résorption. À partir de Prakriti, les différents éléments constitutifs du monde procèdent les uns des autres et deviennent accessibles aux sens. Ils se manifestent selon un ordre immuable, un continuum psychique et matériel qui va du simple au complexe, de l’indifférencié au différencié et du subtil au grossier selon la théorie de la causalité (le produit existe dans la cause, Fig. 1). Le monde nous apparaît selon trois qualités ( guna) : sattva (ce qui est lumineux), rajas (ce qui est actif), tamas (ce qui est obscur). Ces trois qualités régissent prakriti et toutes ses manifestations. Alors qu’elles sont à l’état d’équilibre dans l’état indifférencié de prakriti, c’est leur déséquilibre, en présence de purusha, la conscience témoin, qui engendre le processus de création du monde par le flux permanent de transformation des tattva. La superposition des trois qualités, en perpétuelle évolution dans des proportions variées donne naissance à la perception de toutes les nuances de la vie quotidienne. Sâmkhya se comporte comme une doctrine du salut. Le flux des transformations est aussi flux de souffrance et d’altérations. Prakriti crée un voile d’illusion qui cache l’essence pure, la conscience inaltérée de purusha qui est non-souffrance. Il est possible de lever ce voile par la connaissance, la discrimination et ainsi de se libérer de la souffrance [6]. «
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sance : l’aspect perceptible et destructible du créé. Cette doctrine établit la liste statique des constituants du monde :
Prakri
Purusha
Nature fondamentale non manifestée
Ame universelle non incarnée
Intelligence Ego Manas (mental) 5 qualités subles (sonore, tangible, visible, gustave, olfacve)) 5 sens d’apercepon (ouïe, toucher, vue, goût, odorat)
5 sens d’acon (parole, préhension, déplacement, procréaon, excréon)
5 éléments grossiers (espace, vent, feu, eau, terre)
Figure 1.
Les 25constituants du monde selon Sâmkhya.
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six réalités objectives, neuf substances physiques et psychiques, dont les cinq éléments fondamentaux du monde matériel ( panchabhûta). Les éléments fondamentaux sont constitués de combinaisons d’atomes infiniment petits ( paramânu), formées par addition ou réaction chimique. Ils possèdent diverses propriétés, au nombre de 24. Nyâya, apparenté à la logique d’Aristote, définit les moyens de la connaissance, donc les différentes étapes qui constituent un raisonnement correct et les critères de jugement pour arriver à la connaissance validée ( prâma). L’école Nyâya va permettre aux médecins d’appliquer la raison à leurs observations et ainsi de créer une nosologie, de codifier le diagnostic, le pronostic et la thérapeutique. Des concepts philosophiques Vaïsheshika, les médecins ayurvédiques déduiront les notions médicales de synergie et dyssynergie, la pratique du traitement par antagonistes ou contraires. La notion de réaction chimique leur permettra de décrire les phénomènes digestifs au cœur de la physiologie ayurvédique de transformation. Enfin, une des neuf substances élémentaires du monde selon Vaïsheshika, le temps, facteur éternel et insurpassable devient une constante incontournable de la pratique médicale. Il régit tout et influe sur tout. Les prescriptions alimentaires et comportementales doivent être impérativement synchronisées avec le temps qui passe, celui des saisons, qualifié d’objectif , mais aussi avec le temps subjectif du patient, des différentes étapes de sa vie et des phases de sa maladie. «
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Appliquant ses conceptions philo-physiologiques à leurs observations, les médecins ayurvédiques vont réaliser une description méticuleuse des divers types humains morphophysiologiques et psychologiques. Déterminé in utero et influencé par son environnement, chaque être a son tempérament humoral propre, fonction non seulement de la proportion de vâta, pitta, kapha,mais aussi de rajas, sattva, tamas. En effet, comme tous les constituants du monde, les trois dosha peuvent suivre les trois modalités des guna. Aux critères constitutifs déterminés par les trois dynamiques vitales, la répartition des guna surajoute une typologie psychologique, définie à partir de trois extrêmes : le type sattvique (bon, éclairé), le type rajasique (passionné, actif), le type tamasique (négligent, paresseux) [2,10]. Les combinaisons peuvent être complexes, multihumorales. C’est tout l’art du médecin ayurvédique d’en faire la cartographie individuelle et de définir les limites entre normalité et déséquilibre.
Fonctions, actions secondaires et correspondance cosmique des dosha. Dynamique
Pitta
Ce qui met en mouvement Ce qui transforme
Kapha
Ce qui maintient
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L’Ayurvéda réalise une biotypologie et classe les individus selon une variété de tempéraments
Les 5 actions secondaires de chaque dosha
Vâta
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En continuité avec ses fondements conceptuels, l’Ayurvéda considère que le corps humain est constitué des cinq mêmes éléments fondamentaux grossiers qui constituent l’univers créé : la terre, l’eau, le feu, le vent et l’éther (espace). Ces éléments ont des qualités (comme le sucré, l’acide. . .) et des pouvoirs (chaud, froid. . .). Leurs combinaisons forment les sept substances différenciées de l’organisme, les dhâthu : le chyle, le sang, la chair, la graisse, les os, la moelle et le sperme [7—9]. Les aliments ingérés, provenant de la nature, contiennent les mêmes éléments que l’être humain. La digestion va les libérer, ainsi que leurs propriétés. Le résidu (mala) est expulsé. Le liquide nutritif complet noble, appelé le âbharâ-rasa, se répand ensuite dans tout l’organisme : il lui apporte à la fois de nouveaux constituants, mais aussi la force vitale (ojas) [1,2].
Dosha
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La bonne santé est un équilibre dynamique selon la physiologie ayurvédique
Tableau 1
À l’image des trois forces cosmiques qui régissent la nature primordiale, les êtres humains sont parcourus par trois principes dynamiques, les dosha : vâta (ce qui met en mouvement), pitta (ce qui digère, transforme), kapha (ce qui assure la cohésion). Ils répondent aux principes du vent, du feu et de l’eau. Ces forces gouvernent l’ensemble des fonctions et manifestations vitales, assurent l’intégrité de l’organisme, son maintien en bonne santé, en équilibrant la dynamique de renouvellement des constituants et les rapports entre les tissus et le résidu de la digestion (Tableau 1). Les trois dosha réalisent non seulement l’homéostasie biologique et physique, mais aussi psychique : pitta préside au processus de perception, kapha à la résistance psychique et vâta au processus de compréhension. Ainsi est défini ce qui sera qualifié de théorie humorale de l’Ayurvéda ; une traduction couramment utilisée qui, comme celles de bile pour pitta et flegme pour kapha, se réfère maladroitement à la théorie médiévale des humeurs et à la théorie des quatre éléments d’Aristote [1,2,10]. Toute cause capable d’entraîner un déséquilibre dépassant les limites des variations physiologiques installe un substratum humoral nécessaire à l’éclosion de maladies. Un déséquilibre en entraîne un autre et finit par créer une combinaison pathogène. La Carakasamhitâ en décrit 62 [2].
Sonorisation, respiration, activation, circulation, évacuation Cuiseur, colorant, réalisateur, voyant, illuminateur Humidification, coaptation, lubrification, gustation, soutien
Élément correspondant
Principe cosmique
Souffle
Vent
Feu
Soleil
Eau
Lune
Médecine ayurvédique et prévention du vieillissement Tableau 2 Quelques éléments simples de la caractérologie du caractère dominant Vâta [2]. Dosha
Principe dynamique
Dominance de Guna
Vâta
Sujets plutôt maigres et nerveux, inconstants, à l’esprit toujours en mouvement. Peuvent être très intelligents, d’excellents musiciens, mais aussi touche à tout , infidèles. Le défaut de vâta provoque la dépression, la diminution de la clairvoyance. Son excès entraîne l’amaigrissement, l’insomnie, les palpitations, l’âpreté. Vâta s’accumule pendant la saison estivale et s’agite dès la saison des pluies. Les aliments sucrés, salés, acides, onctueux et chauds calment l’excès de Vâta. «
Rajasique et sattvique
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Pour chaque humeur, les médecins ayurvédiques établissent des descriptions des tendances physiques et psychiques dominantes et la liste des facteurs qui vont les aggraver ou les diminuer [1]. Chaque tempérament donc peut avoir les défauts de ses qualités (Tableau 2). Les tendances dominantes influent sur les désirs spontanés, les préférences individuelles pour certaines saveurs, les
277 nourritures, les traits de caractères, les attitudes comportementales et deviennent la source d’une dysharmonie qui affectera la résistance naturelle du corps et de l’esprit. Le germe d’une maladie peut donc être à la fois physique et/ou psychologique. L’intervention du médecin ayurvédique va se concentrer sur la recherche et l’optimisation à long terme d’un équilibre humoral dynamique. Vâta, pitta, kapha, à l’état normal, font que l’homme, avec ses facultés intactes, doué de vigueur, de bonne mine et de santé, arrive à une grande longévité. . . Mais rendus anormaux, ils le mènent à une grande adversité (Carakasamhitâ, Sûtrasthâna, XII, 14) [1]. Ainsi s’explique pourquoi la médecine ayurvédique privilégie la prévention par rapport au traitement, accordant une importance primordiale à l’alimentation, l’hygiène, la recherche d’une harmonie entre le corps, l’esprit et l’environnement [1,2]. «
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Les quatre domaines d’intervention personnalisée de la gérontologie préventive ayurvédique Quatre domaines d’intervention prophylactiques vont permettre au médecin ayurvédique d’agir, de structurer une intervention multidomaine personnalisée, visant à supprimer les causes de déséquilibre constitutionnel de chaque individu et en appliquant au besoin les antagonistes et les contraires (Tableau 3). Ces quatre domaines sont l’alimentation et la diététique, l’hygiène et le mode de vie, les massages, le yoga, auxquels viendront s’ajouter la prescription de cures de rajeunissement. «
Tableau 3 Exemple d’approche préventive globale de régulation de l’humeur pitta [10]. Saveurs conseillées Amère, douce et astringente Comportements déconseillés
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Jeûne, colère, sudation excessive, fatigues sexuelles, insomnie, alcoolisme
Saveurs déconseillées
Salée, acide
Aliments conseillés
Beurre allégé, thé noir, banane, carotte, radis, marmelade de roses, ananas, noix de coco, dattes, amandes, orge, lait, raisin, citron, mangue, gingembre, grenade, blé, riz, petits pois, pomme, coriandre, concombre, melon, chou-fleur Oignon, aubergine, yaourt, cannelle, millet, moutarde, cumin, ail
Comportements conseillés
Rechercher le calme
Thérapies naturelles
Laxatifs et purgatifs légers, massage des extrémités et du thorax avec des baumes frais, bains frais
Racines de réglisse, bois de santal, camphre, coriandre, myrobolan, séné, fenouil
Yoga
Shavasana (posture du cadavre), Padmasana
Aliments déconseillés
Plantes conseillées
(lotus ou semi-lotus), exercices de respiration légers
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L’alimentation et la diététique
Le yoga
Selon le principe que nous sommes constitués des mêmes éléments et propriétés que la nature, la médecine préventive ayurvédique accorde une place centrale à la diététique. Les règles diététiques sont extrêmement élaborées. La quantité, la qualité, la saveur des aliments ingérés importent. Les textes médicaux recensent toutes les variétés de produits comestibles en fonction de leurs constitutions, leurs saveurs, leur énergie ( guna), leurs différentes capacités régulatrices, activatrices ou apaisantes des dosha. Cette taxinomie ayurvédique se caractérise par sa subtilité. Les propriétés des aliments peuvent varier en fonction de la quantité ingérée, du tempérament du consommateur, de son état de santé, de son comportement avant et après les repas. Les règles s’étendent au lieu où l’aliment a été cultivé, à son mode de préparation (utilisation de feux différents, d’épices, nature des ustensiles), au moment de la journée et à la saison où il est consommé. Les aliments recommandés pour certaines constitutions en été seront fortement déconseillés en hiver. Prenons la courge, par exemple : petite, elle détruit vâta et excite l’appétit ; moyenne, elle peut apaiser les trois dosha ; cuite, elle apaise pitta, nettoie la vessie. Le concombre stimule kapha, on l’évitera donc chez les personnes à prédominance kapha pour ne pas créer un déséquilibre. Contrairement à une croyance répandue en Occident, la viande a toute sa place dans l’alimentation indienne, lorsque l’état de santé l’exige ; de même pour les boissons alcoolisées, mais toujours à petites doses. La diététique ayurvédique réserve une place de choix aux épices, particulièrement réputées pour leurs propriétés préventives. Selon les traités, le curcuma protège du cancer, la coriandre et le gingembre protègent des affections cardiaques, le cumin et la cannelle du diabète, l’ail de l’athérosclérose [11].
Enfin, le yoga est indissociable de l’Ayurvéda. Principalement connu des Occidentaux par l’école du Hatha yoga, il est un outil indispensable de prévention. Le Hatha yoga comprend de nombreuses postures, exercices respiratoires et de relaxation à visée prophylactique. Par exemple, la posture de Matsyendra est réputée pour stimuler le feu digestif. La technique respiratoire rafraîchissante shitalî apaise les effets nocifs de pitta. Les postures (âsanas) peuvent se pratiquer à tous les âges. Elles s’effectuent lentement, dans une attitude méditative. Elles ont un effet positif à la fois sur le physique (souplesse articulaire) et sur le mental, par voie directe (détente, relaxation) et indirecte (meilleure image de son corps). Il existe différentes écoles de yoga à la disposition des Indiens, comme par exemple le raja yoga (yoga royal) qui ajoute une forte composante méditative aux postures et exercices respiratoires, le mantra yoga (récitations de mantra), le karma yoga (le yoga du service et du désintéressement), le bhakti yoga (plus dévotionnel), le jnana yoga (yoga de la connaissance). Ces pratiques privilégient différentes combinaisons de stimulations physiques, psychiques, cognitives et même sociales. Elles offrent une approche personnalisée, à même de répondre aux aspirations de chaque Indien, en fonction de sa situation sociale et de sa volonté de s’engager plus ou moins loin dans la voie de la discrimination, voire de la libération.
L’hygiène et le mode de vie L’hygiène et le mode de vie font l’objet d’une multitude de conseils. Le corps et le psychisme se règlent l’un sur l’autre (Carakasamhitâ, Sârîrasthâna, IV , 36) ; de plus, le psychisme est chargé des existences antérieures [11]. Hygiène corporelle (usage des parfums), hygiène buccale (usage de la chique de bétel), hygiène sexuelle (Kâmasûtra), hygiène des sens (instillations quotidiennes auriculaires et nasales), gestion appropriée du sommeil, évitement des passions incontrôlées et des manquements à l’éthique personnelle ou collective, hygiène morale (non-violence) : ce sont les auteurs ayurvédiques qui fournissent le code le plus complet et minutieux de la bonne conduite [7—9]. L’exercice physique régulier, raisonnable, en toute saison est recommandé.
Les massages prophylactiques Les massages prophylactiques occupent une place essentielle, en transférant l’énergie du masseur, dans le maintien prophylactique d’un bon état physique. Ils participent à l’équilibration des dosha, dynamisent de nombreuses fonctions vitales et sont effectués avec des mélanges d’huiles constitués eux aussi en fonction du tempérament et de l’âge de l’individu, mais aussi de la saison [10].
Bien vieillir, un objectif particulièrement engageant car il importe non seulement de mourir au bon moment, mais aussi de mieux renaître, voire même de ne plus renaître du tout Le but de l’Ayurvéda est de préserver l’espèce humaine, de maintenir la vie humaine à son plus haut. Au niveau individuel, il s’agit de créer une santé durable à l’individu, afin qu’il puisse jouir pleinement de sa vie. Tous les individus sont concernés et le médecin ayurvédique doit s’occuper de chacun, hommes, femmes, aînés, amis, indigents, ascètes. . . [1,2,10]. Il s’agit pour l’individu de mourir en son temps, après une vie pleine et complète. La bonne mort résulte d’une bonne vie [3]. Le médecin ayurvédique aide chaque individu à réaliser les trois buts de l’existence selon la tradition indienne : artha (une activité professionnelle ou gouvernementale réussie), kâma (la satisfaction légitime des sens) et dharma (la conformité aux règles du Bon Ordre Universel). La réalisation de ces buts s’effectue en quatre étapes successives chez les hindous (enseignement, fondation d’une famille et d’une descendance, renoncement, ascèse). Cette vie réussie prépare au mieux la suivante et crée les conditions d’une réincarnation dans une meilleure situation. Les individus les plus ambitieux doivent se créer les conditions optimales de santé pour jouir du temps nécessaire et particulièrement long pour parvenir à la connaissance et réussir à couper le cycle des réincarnations [4,5,10].
Médecine ayurvédique et prévention du vieillissement
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L’aide des cures de rajeunissement Pour faciliter cette voie, l’Ayurvéda offre différentes cures de préservation de la jeunesse, voire de rajeunissement. Le Rasâyana-tantra y est consacré et de nombreuses recherches pharmacologiques actuelles se concentrent sur les différents élixirs décrits. À la limite du prophylactique et du thérapeutique, le panchakarma représente le modèle par excellence de la cure destinée à rétablir l’harmonie entre les principes vitaux. Elle consiste à appliquer cinq techniques de purification : la vomication, la purgation, les lavements, les errhines et les saignées. Elle s’effectue de fac¸on privilégiée pendant les mois de juillet et d’août et peut durer, en fonction des objectifs, entre une à deux semaines [11]. Dans la société indienne traditionnelle, plus structurée par la distinction du pur et de l’impur que par la trifonction de Dumézil (prêtres, militaires et paysans), ce type de nettoyage complet du corps trouve un écho particulier [12]. Les traités décrivent des cures redoutablement efficaces et/ou des rasâyana , le brahmâ-rasâyana par exemple, réservés uniquement à certains ascètes. La description des résultats obtenus nous laisse rêveurs et dubitatifs : Le corps brille d’un éclat divin, resplendit comme le soleil de la mi-journée et prend les apparences des êtres célestes. Les oreilles entendent le moindre bruit et la vision s’étend jusqu’à l’invisible. . . [2]. Le corps atteint l’harmonie céleste et devient pur sattva. Il rayonne. Les peintures indiennes représentent d’ailleurs de tels corps toujours auréolés, comme les saints chrétiens ou les boddhisattvas. «
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L’approche préventive de l’Ayurvéda au crible des critères de la recherche médicale actuelle
La littérature clinique est beaucoup plus riche sur le yoga. D’un point de vue prophylactique, l’effet du yoga sur les fonctions cognitives, la fatigue, l’humeur et la qualité de vie a été évalué dans une étude randomisée, contrôlée, chez 135 seniors sains, hommes et femmes, entre 65 et 85 ans [18]. Ils étaient divisés en trois groupes (G1 : Hatha yoga, G2 : exercice physique, G3 : contrôle). La durée de l’intervention était de six mois. L’évaluation se faisait par une batterie de tests cognitifs, de l’humeur, le SF-36, le PMS, le Multidimensional Fatigue Inventory (MDFI) et des mesures physiques (dont le test du maintien unipodal). Cet essai n’a pas démontré d’amélioration significative des fonctions cognitives chez les sujets des groupes Hatha yoga ou exercice physique versus le groupe témoin. En revanche, une amélioration significative de la qualité de vie et des mesures des capacités physiques a été démontrée dans le groupe Hatha yoga versus les groupes exercice physique et contrôle. D’autres effets significatifs du Hatha yoga chez des seniors ont été mis en évidence dans d’autres essais d’intervention : amélioration des capacités de marche, baisse du BMI, amélioration des capacités respiratoires et enfin diminution de la consommation médicamenteuse [19—21]. Une étude comparative, réalisée chez 30 adultes masculins, d’âge plus jeune (25—35 ans) a évalué les effets de la pratique de trois mois de Hatha yoga [22]. Une amélioration significative des performances cardiorespiratoires et de la sensation de bien-être psychologique a été retrouvée versus le groupe témoin, mais pas pour les pressions artérielles systoliques et diastoliques. Dans le groupe Hatha yoga, l’augmentation du pic nocturne de mélatonine était corrélée significativement avec le score de bien-être (r = 0,71, p < 0,05). Enfin, plusieurs études d’imagerie (IRM fonctionnelle) ont démontré que la récitation de mantra et la méditation activaient l’hippocampe et le cortex préfrontal [23].
Retour au présent : que donne aujourd’hui une recherche MedLine sur la thématique de l’Ayurvéda et de la prévention du vieillissement ?
Les recherches pharmacologiques sur les différents constituants des rasâyana sont très nombreuses
L’approche préventive multidimensionnelle ne semble pas avoir fait l’objet d’étude d’intervention
Les anciens traités ayurvédiques mentionnaient déjà plus de 2000 plantes. Aujourd’hui, plus de 7500 sont utilisées [24]. Elles font l’objet de différents programmes de screening, comme celui du Central Drug Research Institute (CDRI) à Lucknow [25] et de programmes de recherches, comme ceux du India’s Council for Scientific and Industrial Research (ICSIR) et du Central Council for Research in Ayurveda and Siddha (CCRAS). Rappelons que c’est en étudiant la pharmacopée ayurvédique que la réserpine a été isolée pour la première fois de Rauwolfia ser pentina (sarpagandha en sanskrit) et introduite pour le traitement de l’hypertension en 1953. Certaines plantes sont particulièrement suivies pour leur activité hypocholestérolémiante (comme Commiphora wightti, Asparagus racemosus, Cedrus deodara), ou encore pour leur richesse en psoralène (Psoralea corylifolia). De multiples rasâyanas sont étudiés pour leurs propriétés anti-oxydantes et font l’objet de nombreuses revues dans la littérature [26—28].
D’un point de vue diététique, des analyses rétrospectives mettent en évidence l’efficacité d’un régime ayurvédique adapté aux différentes constitutions pitta, kapha et vâta sur la perte de poids [13]. Ce sont essentiellement des recherches expérimentales réalisées chez l’animal qui sont publiées [14—16]. Unani, la fleur de pomégranate, activateur PPR alpha/gamma, réduit l’insulinorésistance liée à l’âge chez la souris. Chez le rat, des mélanges à base de racines de Glycyrrhiza glabra, Withania somnifera , Aspara gus racemosus, Chlorophytum borivilianum et de graines de Sesamum indicum améliorent le profil lipidique et les capacités anti-oxydantes du foie et du plasma (ces composés sont riches en phytostérols, polyphénols, flavonoïdes et acide ascorbique). Emblica officinalis augmente la durée de vie, la fécondité et la fertilité des drosophiles [17].
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Le champ des différents remèdes utilisés pour traiter ou prévenir les complications des maladies chroniques et dégénératives Au niveau du système nerveux central Les effets bénéfiques d’ Allium sativum Linn. (l’ail) ont été démontrés dans une étude pilote chez 32 patients dépressifs ; il existe aussi des études pilotes positives pour la formule Brahmi et la thérapie nasale Nasya dans l’anxiété, ainsi que la procédure du Panchakarma dans les troubles du sommeil. Dans la maladie d’Alzheimer, plusieurs Medhya Rasâyana , à base de plantes répertoriées dans les anciens traités pour stimuler les fonctions cognitives, ont été testés [29]. Les racines de Ashwa gandha (Withania somnifera Dunal ou ginseng indien) sont tout particulièrement étudiées pour leurs propriétés anticholinestérasiques et neurorégénératives (liées aux withanolides), ainsi que pour leur possible effet préventif de la formation des plaques amyloïdes [30—32]. Brahmi (Bacopa monnieri Linn.), un rasâyana très populaire, est actuellement examiné au vu de ses capacités à améliorer la mémoire. De nombreuses plantes comme Sida cordifolia Linn, Cynodon dactylon Linn, Evolvulus alsinoides Linn recommandées dans les traités d’Ayurvéda pour prévenir des troubles neurologiques dégénératifs liés à l’âge ont révélé des propriétés anti-oxydantes puissantes et doivent faire prochainement l’objet d’explorations plus poussées en clinique [33]. D’autres plantes comme Anacyclus pyrethrum, Chlorophytum borivilanum sont étudiées pour leurs propriétés immunomodulatrices [34].
Au niveau cardiovasculaire Les effets antihypertenseurs de Bacopa monnieri , Convolvulus pluricaulis, Withania somnifera, Nardostachys jatamansi DC. et Hyoscyamus niger Linn se portent à la fois sur la pression diastolique et systolique. Dans une étude pilote, ils ont permis aux patients de diminuer les doses de leur traitement pharmacologique habituel [35].
Diabète Dans l’Ayurvéda, le diabète est déjà décrit sous les appellations de Prameha et Madhumeha. Plus de 15 extraits de plantes sont actuellement étudiés, en raison de leurs propriétés hypoglycémiantes ou régulatrices de la glycémie [36].
Cosmétologie La cosmétologie ayurvédique est particulièrement riche en produits destinés à prévenir les effets du vieillissement cutané. Un fruit, Emblica officinalis (amla) est particulièrement reconnu pour ses propriétés anti-oxydantes et protectrices vis-à-vis des effets délétères des UVB. Plus d’une centaine de produits contenant ce fruit sont déjà commercialisés [37—39].
D. Lefebvre
Processus d’inflammation, tumorigenèse, diffusion des métastases et angiogenèse L’Ayurvéda a particulièrement décrit le processus d’inflammation, ainsi que les différents stades de la tumorigenèse ( granthi, arbuda), de la diffusion de métastases (adyarbuda, dwiarbuda) et de l’angiogenèse [40]. Au-delà des cures de purification, plus de 50 extraits végétaux étaient utilisés par les médecins ayurvédiques pour prévenir ou traiter les cancers. Les études actuelles sur ces composés n’en sont qu’aux phases précliniques [41]. D’un point de vue préventif, Triphala, une formulation à base de 3 fruits de la famille des myrobolans (Phyllanthus emblica L. ou Emblica officinalis Gaeretn. , Terminalia chebula Retz. et Terminalia belerica Retz.) a démontré in vitro et dans des études précliniques chez l’animal des propriétés cytotoxiques, chimioradioprotectrices, et anti-oxydantes, mais n’a pas fait encore l’objet d’investigations cliniques [42,43]. Emblica officinalis (amla) est un fruit particulièrement intéressant, de par sa très forte concentration en vitamine C et la présence d’acides gallique, ellagique, chebulique, chebulinique, de corilagine, pedunculagine, emblicanin A et B, et divers flavonoïdes (quercétine, kaempférol) : un véritable cocktail de composés aux propriétés anti-oxydantes et antinéoplasiques. Tout ce potentiel pharmacologique explique la virulence récente de l’Inde vis-à-vis de la biopiraterie et la défense de sa propriété intellectuelle sur les extraits de plantes indigènes, répertoriés depuis des millénaires dans les traités de médecine ayurvédique. Sa bataille récente pour la reconquête de son appellation riz basmati dans le domaine de la diététique en est un exemple frappant. Enfin, nous terminerons cette revue de la littérature par une mention du développement de l’AyuGenomics et le projet de recherche Genomic Variation Analysis and Gene Expression Profiling of Human Dosha Prakriti based on Pinciples of Ayurveda à la recherche d’un fondement génétique possible de la théorie humorale des dosha et des différents tempéraments. Des premières corrélations aux niveaux des allèles HLA, la mise en évidence de gènes conditionnant les réactions individuelles à l’environnement comme l’altitude, ou la régulation du métabolisme cellulaire (coenzyme A) témoignent du dynamisme de cette recherche [44—47]. «
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Conclusion Portée par l’intuition que le microcosme est tel que le macrocosme (Yatha pinde, tatha brahmande) [1], il semble que l’Ayurvéda s’apprête à traverser les révolutions de la pensée, qu’elle soit religieuse, philosophique ou scientifique. Compte tenu du vieillissement de la population mondiale et du développement des maladies chroniques, la primauté accordée par la médecine ayurvédique à la promotion du bien vieillir, son approche personnalisée, holistique et écologique, son savoir ancestral accumulé sur les végétaux suscitent un intérêt sans cesse renouvelé, de l’Asie à l’Occident. Elle stimule une recherche pharmacologique et clinique au sein d’un courant désireux d’intégrer les
Médecine ayurvédique et prévention du vieillissement connaissances scientifiques modernes. Elle offre à chacun la possibilité de s’engager dans une gestion préventive et multidimensionnelle de son capital santé qui rend encore beaucoup de services en Inde. Pour certains, elle pourrait être complémentaire de l’approche biomédicale de la médecine occidentale. Il y a encore bien des barrières à franchir pour qu’un tel syncrétisme médical soit effectif.
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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