SEMINARIO INTERNACIONAL NUESTRA SEÑORA CORREDENTORA
Robert de Langeac
VIRGO FIDELIS Le prix de la Vie cachée Commentaire spirituel du Cantique des Cantiques
P. LETHIELLEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR 10, R UE UE C ASSETTE – P ARIS (VIe) – 1936
Préface Ces pages Ces pages nous ont été remises sans qu’on nous ait dit le nom de leur auteur ; après la lecture des premières nous n’avons pas tardé à y reconnaître la spiritualité souvent très haute d’un prêtre, visité de puis longtemps par la souffrance, et qui tient à rester inconnu. Écrites au jour le jour, pendant l’heure consacrée à la lecture de l’Écriture sainte, elles constituent comme un commentaire spirituel du Cantique des Cantiques. Elles rappellent l’interprétation allégorique qu’en ont donnée saint Ambroise, saint Grégoire de Nysse et saint Basile, qui y ont vu surtout l’union de l’âme avec le Verbe de Dieu. Leur mérite est de s’élever très spontanément et tout de suite du symbole sensible à l’amour spirituel, qui est l’unique objet dont veut parler ici l’Esprit l’Esprit Saint, auteur de ce livre inspiré. Sans difficulté aucune, l’interprète nous conduit à la réalité surnaturelle figurée, sans s’arrêter à la figure. Rarement nous avons trouvé une explication si simple, si élevée et si belle de ces textes sacrés, qui reviennent assez souvent dans la liturgie. C’est pour aider à mieux entendre ces parties de l’Office et des Messes de la Sainte Vierge que nous avons a vons demandé l’autorisation de publier ce commentaire. Ceux qui le liront, comme il a été écrit, éc rit, dans da ns la solitude, le recueillement et la prière, y trouveront sans doute l’ex l’ex pression d’une vie spirituelle profonde, qui suppose une grande puri fication par la souffrance généreusement acceptée par amour. Cette lecture convient surtout à des âmes consacrées à Dieu, particulièrement à des âmes contemplatives, dont la vie spirituelle, déjà dégagée du sensible, peut saisir, dans les symboles matériels dont s’est servi l’Esprit - Saint, ce qu’il avait véritablement en vue. L’amour humain n’intervient ici que pour prêter, non pas s es sentiments, mais ses expressions toujours très imparfaites ; et moins on s’arrête à leur signification humaine, plus on s’élève vers le véritable sens du livre. De ce point de vue, comme le dit saint Paul : « Omnia munda mundis » (Tit., I , 15). L’œuvre de Dieu dans son ensemble ap paraît ainsi plus belle bell e ; on en voit mieux l’harmonie, telle qu’elle existait sans dissonance aucune au jour de la Création, depuis les chœurs des esprits purs jusqu’aux derniers vestiges de la divine sagesse et de l’amour dans l’ordre sensible, tel qu’il a été fait par le Créateur, avant d’être troublé par le péché. * Le titre qui a été donné à ces pages, Virgo fidelis, exprime l’idée générale du livre, dont nous donnerons ici quelques extraits, pour en faire saisir l’unité.
4
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
À propos du verset v erset : « Aperi « Aperi mihi, soror mea… immaculata », ch. V , 2, l’interprète, rapprochant ce dernier mot de l’invocation des Litanies de Notre-Dame : « Virgo fidelis », écrit : « Ce mot de FIDÉLITÉ a quelque chose d’attachant et de profond. Il parle au cœur, il l’attire. C’est que la fidélité dans l’affection est tout ce qu’il y a de plus précieux pour lui et dé plus difficile. Aimer toujours, toujours être aimé, voilà sa raison d’être, sa loi, sa vie. Or, la triste expérience de sa fai blesse lui a révélé révélé qu’il était capable de ne plus aimer son Dieu ou même seulement de moins l’aimer, et, par suite, d’obliger Dieu, si bon pourtant, ou à le rejeter ou à ne plus le regarder avec la même affection. aff ection. Cette crainte déchire le cœur comme une flèche aux dards aigus ai gus et recourbés. Elle lui ASSURANCE de fait une blessure profonde que rien ne saurait guérir. Seule L’ ASSURANCE rester TOUJOURS FIDÈLE AU SAINT AMOUR pourrait la cicatriser. Mais c’est là une faveur à laquelle nul ne peut prétendre… Le seul moyen pratiqué que nous ayons, ô mon Dieu, pour vous rester fidèle, c’est, avec la prière, l’amour lui-même lui-même devenant chaque jour plus profond. Vous laissez en effet notre âme subir subir deux influences, qui qui s’exercent sur elle en deux sens diamétralement opposés : celle des biens qui passent, celle du Bien qui ne passe pas et qui est Vous-même. ELLE A LE DEVOIR DE SE LAISSER GAGNER , ENTRAÎNER PAR LE CHARME DE VOTRE ADORABLE BONTÉ . Plus elle se soumet à votre douce attraction et plus elle s’éloigne des choses d’ici-bas, d’ici -bas, moins elle AMOUR , QUI LA REND DE PLUS EN PLUS CAPTIVE, LA REND en subit subit l’influence. L’ AMOUR AUSSI DE PLUS EN PLUS LIBRE, de cette sainte et véritable « liberté des enfants de Dieu ». Elle se détache et elle s’attache. Avec une accélération mystérieuse à partir surtout d’un certain ce rtain point de sa course, elle se rapproche de vous, s’unit à vous, s’enfonce en vous, de manière à ne plus faire qu’un, en un sens, avec vous. Son amour l’a entraînée dans les profondeurs de votre Être. Elle s’y cache et s’y tient à l’abri des coups de d e ses ses ennemis ».
C’est cette ascension de la vierge fidèle que nous décrit ce livre en redisant, sans se répéter, le prix de la vie cachée. « Quand on rencontre une âme que l’on croit appelée par vous, ô mon Dieu, à la vraie vie, on se sent poussé intérieurement à faire une audacieuse prière : « Voilà une de vos enfants, ô Père ! Accordez-lui en ce moment une marque nouvelle de votre affection. Vous lui avez déjà tant donné ! S’il manque quelque chose à sa préparation, p réparation, ajoutez ce qui lui manque, afin qu’elle soit soit digne de vous ! Purifiez-la ; ornez-la ; embrasez-la de votre amour. Puis prenez-la comme dans vos bras, prenez-la prenez- la sur votre Cœur si bon… J’ose vous le dire, ô Père, respectueusement, humblement… mais je n’aurai pas de paix que vous n’ayez réalisé mon d ésir : il est juste, il est légitime, c’est pour votre gloire et pour le bonheur de cette âme que je vous l’exprime. C’est aussi pour moi, ô mon Dieu ! Dieu ! Souvenez-vous, ô Jésus, de la parole de votre saint Précurseur : « Qui habet sponsam sponsus est ; amicus autem sponsi, qui stat et audit eum, gaudio gaudet propter vocem sponsi » et faites que je puisse dire comme lui : « Hoc ergo gaudium meum impletum est » (Joan., III, 29) ».
PRÉFACE
5
Ce qui invitera à lire ces pages, c’est ce qui s’y trouve, ibid., sur l’apostolat l’apostola t de la vie intérieure et les conditions requises pour cet apostolat : « Il semble qu’elles se ramènent à deux : un désir ardent d’être soi-même soi -même une âme de vie cachée, une parfaite docilité à la grâce, afin de lui servir d’instrument auprès des autres, quand l’Esprit-Saint l’Esprit -Saint juge à propos de nous employer. Pour parler aux âmes avec fruit des choses de la vie intérieure, de ce qui la prépare, de ce qui la constitue, de ce qui la couronne et l’achève, il faut plus qu’une connaissance scientifique de ces mystérieuses mystéri euses réalités, telle que peut la donner une sérieuse étude des maîtres. En cette matière, l’expérience personnelle ajoute beaucoup. Elle met au point la doctrine, commune. Elle donne à la parole ce je ne sais quoi de persuasif, qui vient de ce que l’âme qui q ui parle est en contact immédiat avec la réalité qu’elle décrit. Non seulement elle la connaît, cette réalité, mais elle la vit ; en un sens, elle l’est et elle la fait passer sans peine dans les mots. Sous l’action de la grâce, les mots deviennent lumière pour l’auditeur. Plus que cela, ils portent avec eux la chaleur et la vie… C’est là un don de Dieu et pour l’ordinaire une récompense, toujours non méritée, de longs et patients efforts personnels. Il faut savoir attendre l’heure de Dieu, l’automne de l’âme. Agir trop tôt serait manger son blé en herbe, s’exposer à ne pas nourrir les autres et peut-être, hélas ! à mourir de faim soi- même… Mais aussi quand le moment est venu de le faire, refuser par fausse humilité ou fausse prudence de donner de son bien aux autres, serait mettre la lumière sous le boisseau, le feu sous la cendre, et laisser sans pain les enfants du Père céleste, qui ont vraiment faim de lui… Voilà pourquoi la docilité à la grâce est si nécessaire à l’apôtre de la vie cachée. Il ne doit rie n faire de luimême et par son propre mouvement. Il n’est qu’un instrument entre les mains du divin ouvrier… Ce n’est qu’à de certaines c ertaines heures et dans certaines rencontres que l’Esprit Saint le meut, sans qu’il ait pris l’initiative de son action… Dans tous tous les autres cas, son unique souci doit être de se montrer collaborateur désintéressé, intelligent et souple de la grâce. Dieu seul sait ce qu’il attend de telle ou telle âme, ce qu’il veut faire d’elle… Rien ne saurait prévaloir contre cette divine volonté… volont é… Mais aussi, ces deux conditions loyalement posées, quelle belle mission que celle d’apôtre de la vie cachée ! Tout dans l’œuvre de la miséricorde de Dieu tend à cet unique but : apprendre aux âmes ce que c’est que le ciel, le leur faire désirer, leur me ttre en mains les moyens de le conquérir ».
Nous n’avons pas résisté au désir de transcrire cette page , c’est une de celles qui donne le mieux l’idée de ce livre, et qui montre pour qui il est écrit. * Les ascensions spirituelles de la l a vierge fidèle y sont notées, depuis la mortification des mouvements désordonnés de la sensibilité jusqu’à l’union parfaite qui est le prélude de celle du ciel.
6
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
La mortification des moindres mouvements mou vements intérieurs déréglés d éréglés est notée à propos du verset 15 du ch. II : : « Prenez-nous les renards, les petits renards qui ravagent les vignes, car nos vignes sont en fleur ». Les vertus sont décrites comme symbolisées par « les fleurs qui paraissent sur la terre » (ch. II , 18), par la « broderie » qui orne le siège du roi, « œuvre d’amour d’amour des filles de Jérusalem » (ch. III , 10). L’appel à la contemplation, à la vie cachée, est souvent indiqué à des degrés divers, au ch. II , 10 : « En dilectus meus loquitur mihi : Surge, propera, amica mea… et veni » » ; et plus loin à propos de « la source fermée » de « la fontaine scellée » (ch. IV , 13). Le passage de la méditation à la contemplation apparaît définitivement lorsque la vierge fidèle s’écrie : s’écrie : « Inveni quem diligit anima mea : tenui eum, nec dimittam » (ch. IV , 12). Les joies de la contemplat ion, ion, les absences du Seigneur, l’union dans la souffrance, alternent constamment en cette ascension, comme en montagne les gorges étroites et obscures et les sommets ensoleillés. Le sommeil spirituel est fort bien décrit au ch. V , 2 : « Ego dormio et cor meum vigilat ». Les délicatesses de l’affection à propos des moindres choses y ap paraissent comme la voie sûre qui conduit à l’union parfaite, celle à laquelle le Seigneur invite, par les mots : « Aperi mihi, soror mea, amica mea.., immaculata mea », ch. V , 2 : « Pour que l’âme intérieure mérite de la part de Jésus la précieuse appellation d’immaculée, il faut que son amour pour Dieu soit tout à fait pur. L’âme ne doit aimer que Dieu. Tout ce qu’elle aime, y compris elle -même, elle doit l’aimer en Dieu et po et pour ur Dieu. C’est à ce prix seulement que son amour est pur… On devient d’une certaine manière ce que l’on aime. Celui qui aime ne doit aimer que Dieu. Tout ce qu’elle aime, y compris uniquement la Pureté parfaite, la parfaite Sainteté, s’unit à elle et lui d evient sem blable. C’est le lac aux eaux limpides, où le ciel se contemple ; c’est le miroir sans défaut où Jésus se retrouve trait pour trait ; c’est le cristal transparent que le soleil pénètre de ses rayons et de sa chaleur, c’est le fer sans alliage que le feu envahit jusqu’au plus intime et qu’il rend tout brûlant comme lui. « Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt » (S. Matth., VI, 8).
De même au ch. VII , v. 9 : « Les caresses d’une mère à son petit enfant, si délicates, si affectueuses qu’elles soient, ne sont qu’une image grossière de votre divine étreinte. C’est d’un autre ordre, où la matière n’a plus de place. Oh ! les saintes joies, pures, profondes, paisibles, naïves, sans inquiétude, sans amertume et par ailleurs sans limites, au moment où elles se font goûter. Elles ne du-
PRÉFACE
7
rent pas toujours, c’est vrai, mais lorsqu’elles cessent, l’âme n’est pas trou blée de leur départ. d épart. Elles reviendront quand le bon Dieu reviendra. En attendant, la paix reste et c’est la paix du d u divin amour ». amour ».
Notons celle description de l’union à propos du verset 13 e du cha pitre V : : « Variété harmonieuse harmonieuse des couleurs d’un parterre de fleurs, charme unique de leurs parfums fondus en un seul, voilà ce que trouve encore la sainte Épouse pour exprimer la beauté de Dieu. C’est que les perfections divines lui apparaissent sous un jour tout nouveau et dans leur admirable unité. Elle sait un peu maintenant, par une sorte d’expérience intime et pour les avoir comme goûtées, ce que sont la Bonté, la Miséricorde, la Beauté, la Sagesse et la Simplicité de son Dieu. Auparavant, elle s’en formait quelque idée, ses idées lui restent, elle n’en acquiert pas de nouvelles, réserve faite de certaines grâces particulières. M AIS ELLE A ÉTÉ UNIE AU MOINS QUELQUES INSTANTS À LA RÉALITÉ MÊME, DONT CES IDÉES LUI PARLAIENT. Voilà pourquoi elle n’ose plus s’en sentir maintenant, tant elles lui paraissent déficientes. Elle a comme savouré au plus intime d’elle-même d’elle -même ce « Bien qui contient tous les biens ». Tout s’efface devant cette connaissance d’un genre gen re très spécial. Aucun mot ne peut la dire, et pourtant elle dit tout à qui la reçoit ».
Selon l’expression de saint Jean de la Croix, « ELLE A UNE SAVEUR » qui dépasse considérablement toute considération DE VIE ÉTERNELLE » acquise, philosophique ou théologique : elle est vraiment le don de Dieu. « Si scires donum Dei ! » L’auteur n’ignore pas les grandes souffrances qui traversent, pour certaines âmes, l’union divine divine ; il dit à propos du verset 6 du chap. VII : : « Pour garder son peuple fidèle et le protéger contre ses ennemis, Dieu, a, lui aussi, ses âmes fortes, qu’il place aux endroits à surveiller et par où l’invasion serait possible. Elle doivent tout ensemble barrer la route à l’envahisseur, servir de retraite assurée aux faibles et aux petits, jeter le cri d’alarme à l’intérieur du pays, puis donner le temps aux troupes régulières de se former et de se mettre en campagne. Les saints nous disent que les démons font des efforts inouïs pour les renverser, mais ils nous disent aussi que le bon Dieu les protège prot ège d’une protection spéciale et qu’il se plaît à contempler leur force tranquille et leur ardeur généreuse ».
Les prédilections divines sont délicatement notées ch. VI , 3, 9 : « Sexaginta sunt reginae… Una est columba mea, perfecta mea, una est matris suae, electa genitricis suae ». « Assez nombreuses relativement sont les âmes individuellement appelées à l’union divine, plus nombreuses celles qui reçoivent quelques grâces mystiques, beaucoup plus nombreuses encore celles que Dieu détache du monde, celles qu’il purifie, qu’il enrichit, qu’il prépare ainsi de loin et à des degrés très divers aux ascensions mystérieuses de la charité. Mais une
8
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE seule est vraiment « sa colombe », « son immaculée ». C’est, pour tou jours, Marie, la Vierge des vierges, la Reine des âmes intérieures, et, et , à un degré bien inférieur, en chaque génération humaine, telle âme encore dans le monde, ignorée, inconnue peut-être, qui est la légitime préférée de son cœur… « Una « Una est matris suae, electa genitricis suae ». L’Église se réjouit quand elle peut offrir à son divin Époux une âme toute belle et toute pure. Sans doute, elle aime tous ses enfants ; elle veille sur tous, elle prend soin de tous. Mais cependant, comme Dieu, sans faire tort à aucun d’eux, elle a ses légitimes préférences. Souvent, du reste, pour ne pas dire toujours, ce n’est qu’après l’entrée au ciel de son enfant que l’Église proclame sa prédilection. Elle le fait de manière à ne blesser personne et à n’établir aucune comparaison pénible ou même désagréable… Ne pourrait -on pas dire avec ces réserves qu’en ces derniers temps, sainte Thérèse de l’Enfant -Jésus est l’unique de sa mère, la préférée de l’Église catholique qui lui a donné le jour ? Elle l’était déjà dès ce monde, mais nul ne le savait alors. C’était la perle précieuse précieuse cachée dans le champ de l’Église, mais qui dès lors réjouissait les regards de Dieu ».
Ainsi en est-il dans les différentes générations humaines. Après avoir médité ces pages, on comprendra mieux quel sens avait en vue le Saint-Esprit en inspirant le Cantique des Cantiques, et, lorsque reviendront les fêtes de la Sainte Vierge, au premier nocturne de l’Office et à la Messe, on saisira mieux pourquoi l’Église aime à nous rappeler, à propos de sa pureté et de son union à Dieu, ces beaux textes : « Quae est es t ista quae ascendit per desertum… Tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te… Veni de Libano, sponsa mea, veni, coronaberis ». * Sous le titre : C ONSEILS ONSEILS AUX ÂMES D’ ORAISON ORAISON , nous avons ajouté à ce C OMMENTAIRE OMMENTAIRE DU C ANTIQUE DES CANTIQUES divers fragments, écrits par le même auteur : ils ne sont pas moins beaux que le Commentaire lui-même ; ils sont d’une splendide spontanéité surnaturelle, comme par exemple ceux où il est parlé du Cœur très pur de Marie et de la bravoure de Marie-Madeleine au pied de la Croix et au Sépulcre. Ils sont surtout très pratiques pour les âmes d’oraison. Il est rare de trouver tant d’enseignements si féconds en si peu de mots. Nous, aurions pu y conserver d’autres pages semblables d’une égale beauté ; nous les publierons peut-être un jour. Nous recommandons dans ces fragments les conseils relatifs à l’apostolat, à la direction des âmes intérieures ; ce sont, on le verra, des conseils vécus, comme ceux contenus dans le Commentaire, au chapitre intitulé L’A PÔTRE DE LA VIE CACHÉE . Tout l’auteur est dans ces lignes de la fin de ces fragments :
PRÉFACE
9
« Se proposer la Croix comme moyen, la gloire de Dieu comme but premier, notre bonheur comme fin secondaire. On est ainsi dans l’ordre. On ne recule pas devant la souffrance. Quand Dieu donne une goutte de joie, on est tout surpris et reconnaissant… Comme il est bon de comprendre la vérité et cette maxime : D IEU SEUL. Dire qu’il peut être tout à nous toujours et de plus en plus ».
C’est vraiment vraiment là le fruit de la lecture profonde da Cantique chez une vierge fidèle, parvenue par la docilité au Saint-Esprit, la prière et la croix, à la contemplation et à l’amour de plus en plus pur et plus fort de l’infinie Bonté de Dieu, qui l’attire toujours plus intimement. Comme la pierre tombe d’autant plus vite qu’elle se rapproche de la terre, les âmes doivent se porter d’autant plus vite vers Dieu, qu’elles se rapprochent de Lui et sont plus attirées par Lui. Fr. Réginald G ARRIGOU-L AGRANGE, O. P. Rome, Angelico, 7 mars 1929
Prologue Que ne donnerait-on pas, ô mon Dieu, pour ouvrir sur vous les yeux, d’une seule âme et pour obtenir qu’ils ne se ferment plus jamais ? Exciter le feu du profond amour dans un seul cœur, ô mon Dieu, quel honneur et quelle joie ! Faire qu’il y ait sur la terre une lampe de plus qui brûle nuit et jour, non pas au loin, mais tout près de vous, ô Jésus, ô Trinité, et comme pour vous tout seul, quel bonheur ! C’est toute l’ambition de ces pauvres lignes écrites, vous le savez, ô mon Dieu, avec tant de peine, mais aussi avec tant de reconnaissance anticipée. Oui, ô mon Dieu, j’espère que quelque âme de bonne volonté s’éclairera à cette petite lumière, s’illuminera à ce petit rayon, s’échauffera à ce foyer ou il me semble qu’un peu d’amour profond brûle pour vous. Amen. Amen.
Chapitre I OSCULETUR ME OSCULO ORIS SUI (C ANT., I, 1). Qu’Il me baise des baisers de sa bouche. sa bouche. Bonheur de la sainte union, même transitoire.
Si l’on excepte l’on excepte l’union permanente l’union permanente et parfaite, rien n’est plus n’est plus désirable que ces moments d’intimité et d’intimité et d’union avec d’union avec le bon Dieu dont parle ici la sainte Épouse. Quoi de plus parfait, puisque c’est alors que l’âme fait retour à son principe, à Celui qui seul peut achever, en se donnant, l’œuvre de divinisation qu’il a bien voulu commencer en elle ! elle ! Quoi de plus profond, puisque cette rencontre a lieu au plus intime de l’âme, loin du bruit, loin des sens, dans cette solitude intérieure, dans ce sanctuaire secret, où Dieu se cache et où il fait entrer son enfant pour la combler ! Quoi de plus pur, puisque tout se passe d’esprit à d’esprit à esprit, presque à l’insu des sens, entre la Sainteté même et l’esprit de l’âme devenu transparent et limpide comme un pur cristal ! Enfin, quoi de plus précieux, puisque, dans ces heureux moments, l’âme l’âme communie à la lumière, à la force, à la douceur et à la paix de Dieu ! Ses yeux s’ouvrent, sa volonté s’affermit, son cœur se dilate, et le bonheur, le vrai bonheur, commence à couler dans ses veines. D’un mot, elle trouve tout dans Celui qui est Tout, et qui, au moins pour quelques instants, est tout à elle. Comme elle a bien raison, la sainte Épouse, de dire et de redire sans cesse : « Osculetur me osculo oris sui » 1 ! Elle fait alors écho au Psalmiste s’écriant : s’écriant : « Mihi autem adhaerere Deo bonum est » 2, et à saint Paul nous donnant la raison et de cette demande et de cette affirmation quand il nous assure que celui qui s’attache au Seigneur ne fait plus qu’un esprit avec lui : lui : « Qui autem adhaeret Domino, unus spiritus est » » 3. Amen. Effets de cette union et aspiration de l’âme à son divin Époux.
Quels sont ces mystérieux baisers que l’Épouse désire si ardemment recevoir de son divin Époux ? Quand vous aimez une âme, ô mon 1 Cant. I, 9. 2 Pour moi, être uni à Dieu, c’est mon c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28). 3 Celui qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui (I Cor., VI,
17).
14
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Dieu, vous ne vous contentez pas de la recueillir au dedans d’elled’elle même, afin qu’elle puisse s’occuper doucement de vous dans un doux dou x silence ; il ne vous suffit pas de la tenir tout près de vous dans une paix reposante et délicieuse ; votre amour n’est même pas satisfait des clartés qu’il fait briller sur elle, ni des gouttes de bonheur qu’il lui verse paisiblement pendant son apparent sommeil. Non, tout cela ne vous suffit pas ; on dirait que par moments, tout épris d’amour pour votre bien-aimée, bien-aimée, vous l’arrachez à tout et à elleelle -même, pour l’unir à vous sans intermédiaire. Son désir ardent se réalise et elle se sent alors comme tendrement tendrement embrassée au fond d’elle-même d’elle-même et par vous ! Ô moments bénis et trop rares, et toujours trop courts, comme je vous désire et comme je vous aime ! J’ai tant besoin de vous ! vous ! Vous sa vez bien, ô mon Jésus, que je souffre et toujours et de tout. Je n’ai que qu e vous et je ne n e vous ai qu’à ces doux moments. mo ments. Attirez-moi Attirez -moi plus souvent à vous, ô mon Bien-Aimé ; pressez-moi plus longtemps chaque fois sur votre divin Cœur. Si je pouvais m’attacher à vous, ô mon Dieu, pour toujours ! Si mon âme pouvait vous étreindre tout entier, à jamais et chaque jour plus fortement, de telle sorte que vous ne vous éloigniez plus jamais et que je ne puisse plus vous quitter jamais… Quelle joie, quel bonheur, quelle richesse ! Donnez-moi donc, ô mon Bien-Aimé, ces ineffables baisers de votre bouche. Chaque contact intime avec vous me purifie, me fortifie, me pacifie, m’éclaire, me réjouit, me béatifie, me divinise, vous le savez bien ! Laissez-moi donc vous redire encore et toujours : « Osculetur me osculo oris sui ». ». Amen. MELIORA SUNT UBERA TUA VINO (C ANT., I, 2). Car ton amour est meilleur que le vin. L’amour divin réjouit, fortifie, enivre.
On dit que le vin réjouit, fortifie et enivre, soit ! Qu’importe, au reste ! Ce qui est vrai, mille fois vrai, c’est que votre amour, et lui seul, ô mon Dieu, réjouit, fortifie et enivre l’âme. Comment cela se fait-il fait -il ? Qu’importe ici encore, pourvu que cela soit ! Ô Amour, fais ton œuvre, envahis tout, pénètre tout, transforme tout, divinise tout en mon âme, et elle sera heureuse parce qu’elle sera dans l’ordre, dans la paix, dans la vie, et qu’elle le saura. La joie n’est-elle n’est -elle pas cette conscience intime de la vie divine pénétrant dans l’âme et la rendant tout autre qu’elle n’était ? n’était ? Elle était humaine, elle devient divine ; elle était obscure, elle devient claire ; elle était froide, elle sent que la chaleur l’envahit et l’agrandit ; l’agrandit ; elle ne voyait presque rien, maintenant elle contemple Ce-
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
15
lui qui est tout ; elle n’avait rien, elle se sait riche de son Bien-Aimé Bien -Aimé ; elle ne pouvait rien, il lui semble sembl e que tout lui obéit, parce qu’elle obéît à Celui qui gouverne tout. Voilà pourquoi elle est dans la joie. Et c’est toi, ô Amour, et toi seul qui as fait cela. Tu es venu de Celui qui est amour, tu t’es emparé de cette âme, tu l’as emportée dans tes bras jusqu’à jusqu’à Celui d’où tu venais ; tu l’as déposée dans son cœur. Elle s’y repose dans la paix, elle y vit dans l’abondance, elle s’y réjouit dans le bonheur. « Ô Amour, je voudrais sans cesse redire ton nom ! 1 » Oui, tu es meilleur que le vin, et combien de fois es-tu meilleur ! On dit que le vin fortifie, soit ! Au spirituel, cela est sûrement vrai de votre amour, ô mon Dieu. Expliquez-moi, Esprit divin, vous qui scrutez les profondeurs de Dieu 2, comment la sainte charité est la force de mon âme. Je me sens fort, ô Jésus, quand j’éprouve l’impression de posséder une puissance d’action capable de dominer toutes les poussées de la nature et de développer, en mon âme, toutes les énergies du bien, toutes les vertus. La source de cette force mystérieuse, c’est vot re amour, ô mon Jésus. Comment cela ? Quand je vous aime, il me semble que mon âme se dilate par le dedans. J’ai l’impression que, sous l’influence de cette dilatation intérieure, elle s’éloigne des choses de la terre, s’élève au-dessus au-dessus de tout, se rapproche rapproc he de vous et s’attache à vous. Les réalités de ce monde lui paraissent des ombres sans consistance, elles ne l’attirent plus, elles ne lui parlent plus, elles se dégagent de leur étreinte comme sans effort. On dirait un charme qui cesse, des liens qui se brisent, des chaînes qui se détachent et qui tombent. L’âme respire, elle se dilate, elle est libre. Seulement, cette liberté, elle ne la reçoit que pour la donner. Un joug suave, léger, s’impose aussitôt sur elle : joug béni, aimé, auquel elle se soumet avec une joie indicible. C’est le joug du divin Amour. Il est bien juste qu’elle se soumette à l’Amour, puisque c’est lui qui l’a délivrée. Elle est sa conquête, elle comprend qu’elle doit devenir sa proie. Tu as bien raison, ô Amour. Achève ce que tu as commencé. Ne te contente pas de délivrer, mais attache et enchaîne. Tes liens sont si forts et tes chaînes si douces ! Tu es plus fort que la mort, et tu attaches à l’immuable Force. Tu fais communier à Celui qui ne change pas. Tu fais trouver à l’âme que tu pénètres la terre ferme de son repos et de sa paix. Oui, tu rends fort et toi seul : Quis nos separabit a caritate Christi 3 ? Ô Amour, soleil de lame, fais tout grandir en elle ! Rends-la forte. À certaines heures, ô mon Jésus, votre amour enivre. On se sent comme entouré d’une atmosphère ouatée, qui amortit les bruits du 1 Sainte Thérèse. 2 I Cor., II, 10. 3 Qui nous séparera
de l’amour du Christ ? Christ ? (Rom., VIII, 35).
16
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
dehors, enveloppe de silence, de paix, engourdit l’activité sensible, de sorte qu’il devient difficile, pénible même, d’écouter, de parler, de raisonner. On n’en a du reste pas le goût. Quelque chose d’ineffable occupe délicieusement le cœur. Le bonheur s’infiltre dans les plus petites veines de l’âme. Elle en jouit sans réflexion. Par moments, elle voudrait balbutier quelques mots d’amour à Celui qui l’enivre et la rend si heureuse ; mais, mais, pour l’ordinaire, elle n’y peut parvenir. Alors elle se remet à savourer son ivresse et à aimer. Boire, et boire encore jusqu’à en mourir, est tout son désir, toute son occupation. Ô sainte ivresse, gagne-moi gagne-moi tout entier. Ne permets pas que je m’éveille, m’éveille , ni que je me libère de ton doux enveloppement. Tu n’es pas la mort, mais la vie. Qui t’a une fois goûté, ne rêve plus que de toi. Saisis -moi pour toujours. FRAGANTIA UNGUENTIS OPTIMI (C ANT., I, 3). Tes parfums ont une odeur suave. Parfums de l’Époux : : douceur, paix, bonne édification.
Doux Jésus, c’est toujours de vous qu’il est question ici. Il nous y est dit que « vos parfums ont une odeur suave ». suave ». Ne le gavons-nous pas d’expérience ? N’est-il N’est-il pas vrai que vous vous plaisez parfois à nous faire respirer au plus intime de nous-mêmes la délicieuse odeur de vos vertus ? À l’heure où l’on y pense le moins, voilà que l’âme aimante éprouve un charme profond à se sentir devenue tout à coup douce et humble. Plus de mouvements tumultueux et inquiets, plus d’irritations sourdes ou d’emportements intérieurs violents et insensés, non, plus cela, mais la paix, le calme, la possession de soi, une harmonie qui s’établit dans l’âme tout entière. Et c’est une harmonie qui chante. Et son chant est doux, paisible, mélodieux, simple, discret, pénétrant. On dirait qu’une huile fine et subtile, suave et parfumée, s’est glissée partout pour faire que tous les rouages de l’âme fonctionnent sans peine et s’unissent sans effort. Si l’on doit l’on doit alors parler, la parole traduit la douceur que l’âme goûte l’âme goûte en secret. On dirait qu’elle en qu’elle en est imprégnée et qu’à son qu’à son tour, elle va faire pénétrer comme en se jouant la douceur dans l’âme des l’âme des autres. De fait, elle les calme, elle les apaise, elle les charme vraiment. Et à leur tour, ces âmes respirent l’odeur l’odeur suave du parfum de notre âme, comme nous avons, nous, respiré celle du parfum de Jésus. Car c’est lui c’est lui qui nous a communiqué quelque chose de son ineffable douceur et qui nous permet à notre tour d’embaumer nos d’embaumer nos frères par ce mystérieux arôme. Alors se réalise la parole de saint Paul : « Christi bonus odor sumus Deo » Deo » 1. 1 Nous
sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ (II Cor., II, 15.)
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
17
Comme ou voudrait par là prendre les âmes et les donner à Dieu en Jésus ! OLEUM EFFUSUM NOMEN TUUM (C ANT., I, 3). Ton nom est une huile épandue. Élévation au Saint Nom de Jésus.
Comme il est doux à prononcer, votre Nom béni, ô Jésus ! Est-ce que la bouche ne parle pas de l’abondance du cœur ? Et le cœur, lui, n’est-il n’est-il pas rempli de votre amour, ô Jésus ? Est-il étonnant que les lèvres s’ouvrent d’elles-mêmes d’elles-mêmes pour dire « Jésus », puisque le cœur à chaque battement dit à sa manière ce nom qui le charme et qui le fait vivre ? On voudrait trouver des mots, blancs comme la neige et brûlants comme le feu, pour te chanter, ô Nom adoré. Tu dis tant de choses à celui qui te prononce, et tu les dis si bien ! Tu es le nom de l’Ami fidèle qui ne délaisse jamais, jamais ! C’est vrai qu’il se cache parfois, ce divin Ami, derrière son voile de ténèbres ou de douleur… Mais c’est pour se faire désirer plus ardemment, chercher plus constamment et trouver trouver plus délicieusement. Comme il part du cœur, ce nom béni de Jésus, quand le Bien-Aimé se montre de nouveau, plus aimable, plus beau, plus affectueux que jamais ! « Marie « Marie ! » ! » — « Maître ! Jésus ! » ! » Plus encore que les parfums de mon Maître, ô Nom béni, tu mérites d’être comparé à l’huile qui s’épand doucement sur toute l’âme, la pénètre peu à peu jusqu’au fond et lui apporte avec la douceur, la joie, la lumière, la force et la vie. Oui, mille fois oui, ô Nom tant aimé, tu chasses les ténèbres, tu triomphes du froid, tu changes la faiblesse en force, la pauvreté en richesse, la tristesse en joie. Tu es la lumière de mes yeux, la vie de mon âme, la jubilation de mes lèvres et de mon cœur. Écoute, ô Nom ineffable, je t’aime, je t’aime. Je veux vivre pour te redire et mourir pour te redire encore et toujours. Sois mon cantique, mon cri de joie et d’amour, ma vraie gloire, mon vrai bonheur. Jésus ! Jésus ! Jésus ! IDEO ADOLESCENTULAE DILEXERUNT TE (C ANT., I, 3). C’est pourquoi les jeunes filles T’aiment. L’âme pure, L’âme pure, miroir vivant de Jésus.
Comme c’est vrai, ô mon Jésus, que les âmes pures et par suite tou jours jeunes vous aiment ! On ne soupçonnerait pas à quel point vous
18
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
êtes aimé par les cœurs purs, si on ne l’avait vu maintes fois de ses yeux. Et c’est justice. N’êtes-vous N’êtes-vous pas la Beauté, la Bonté, la Pureté, la Grâce ? Quand une âme est simple, limpide, claire, est-ce est- ce qu’elle ne devient pas votre miroir vivant ? Quoi de plus beau alors qu’une telle âme ? N’a-t-on N’a-t-on pas dit avec raison que « plus « plus une parole ressemble à une pensée, une pensée à une âme, et une âme à Dieu, plus tout cela est beau » beau » 1 ? Quand on se ressemble de cette ressemblance d’âme, on ne peut pas ne pas s’aimer vraiment. Et quand on s’aime de charité, on ne peut pas ne pas se ressembler à s’y méprendre. m éprendre. Voilà pourquoi, ô mon Jésus, vous aimez tant les cœurs purs, et pourquoi les cœurs purs vous aiment tant. Entre eux et vous, l’amour établit une intimité dont on ne saurait ni mesurer la profondeur, ni décrire le charme. Vous vivez en eux, ils vivent en vous. En un sens très vrai, vous êtes eux et ils sont vous. Et puisque « l’amour de soi est la racine et la forme de toute amitié », on comprend que votre seul Nom les fasse tressaillir jusqu’au plus profond de leur âme, comme le nom de Celui qui est la vie de leur vie, le cœur de leur cœur, l’amour de leur amour, plus eux-mêmes eux-mêmes qu’euxqu’eux-mêmes. Ce qu’ils éprouvent à votre nom, vous l’éprouvez l’éprouvez au leur. Lorsqu’on vous les nomme, ô Jésus, ces jeunes filles, ces cœurs purs, ces âmes intérieures, car c’est tout un, c’est vous prendre, si ou ose dire, par votre faible, c’est vous blesser au cœur, mais d’une blessure qui ne fait qu’ouvrir sur ceux qui vous la font les trésors de votre tendresse. Ô Jésus, bénissez les âmes intérieures, consumez de votre amour les cœurs purs. TRAHE ME POST TE ; CURREMUS IN ODOREM UNGUENTORUM TUORUM (C ANT., I, 4). Entraîne-moi après toi ; courons. Jésus entraîne l’âme vers le Père, lui Père, lui seul le peut.
L’âme intérieure éprouve votre charme votre charme inexprimable, ô Jésus. Elle sent votre amour amour qui la pénètre, la consume, la soulève et l’attire vers votre Père. Mais elle comprend aussi que sans vous, ô Jésus, elle ne peut rien. Elle vous demande secours, elle vous appelle à son aide : Vous êtes la Voie, Voie, ô Jésus, vous êtes la Vie, Vie, vous êtes la Force, vous êtes l’Amour. Prenez-moi Prenez-moi comme par la main. Entraînez-moi là où vous allez, à votre Père, puisque c’est pour cela que vous êtes venu 1 Joubert.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
19
dans le monde et dans mon cœur. N’avez-vous N’avez -vous pas dit : « Ego « Ego veni ut vitam habeant et abundantius et abundantius habeant » 1 ? La vie, la vraie vie, n’estn’est elle pas ce mouvement d’amour qui vient du Père et qui, par vous, nous entraîne vers le Père ? N’avez-vous N’avez-vous pas dit encore : « Nemo « Nemo venit ad Patrem, nisi per me » me » 2 ? Jésus, je voudrais aller au Père : je voudrais le trouver, le v oir, oir, le contempler, le posséder. Et je sais qu’il est tout près : In ipso vivimus 3… Détachez-moi Détachez-moi donc de tout. Allégez le poids que je suis pour moi-même. Soulevez-moi, aimant divin ! Entrainez-moi, force divine, afin que je vous suive là où vous allez, et que je parvienne là où vous êtes toujours : « in sinu Patris » Patris » 4. Mais Jésus, comme le chemin paraît long ! comme j’y marche lentement au gré de votre amour et du mien ! On dit que l’amour véritable donne des ailes, qu’il vole, qu’à tout le moins il fait fait courir. Jésus, plus que moi, mille fois plus que moi, vous désirez m’unir au Père, me rendre heureux. Ô Jésus, mon bon Samaritain, portez-moi ; mon bon Pasteur, prenezmoi sur vos divines épaules, emportez-moi vite, bien vite vers Celui que vous aimez tant. tant. C’est si facile pour vous ! Puis n’est-il n’est-il pas là, caché au plus intime de moi-même ? Ô Jésus, excusez ma hardiesse, mais je vous en prie : voulez-vous ? Courons… INTRODUXIT ME R EX EX IN CELLARIA SUA (C ANT., I, 4). Le Roi m’a fait entrer dans ses appartements appartemen ts secrets. Jésus Roi — entrée dans ses appartements secrets.
J’aime à vous appeler mon Roi, ô Jésus ! Vous l’êtes de droit, je voudrais que vous le fussiez de fait. Quand donc régnerez-vous régnerez -vous vraiment sur mon âme ? Je le sais, ce sera quand vous, gouvernerez tout en moi, à votre gré, à votre guise : quand tout en moi vous obéira sans résistance, sans effort, spontanément, joyeusement ; quand qu and enfin corps et âme je serai entre vos mains et que vous pourrez me considérer comme « une humanité de surcroît » pour vous, ô doux Jésus, ô mon Roi. Mais aussi, quelle récompense ! C’est alors que vous me ferez entrer dans vos appartements secrets, secrets, dans ces demeures intérieures que vous vous êtes réservées en mon âme, où vous vivez avec votre Père et votre Saint-Esprit Saint- Esprit d’ Amour, Amour, où vous habitez tous Trois, mes chers Trois, où vous m’appelez, où vous m’attirez, où vous voulez que 1 Je suis venu pour
qu’ils aient la vie, vie, et qu’ils l’aient surabondante (Joan., surabondante (Joan., X, 10). ne vient au Père que par moi (Joan., XIV , 6). 3 C’est en lui que nous avons la vie (Act. XVII, 28). 4 Au sein du Père (Joan., I, 8). 2 Nul
20
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
j’établisse ma demeure, pour m’y faire vivre de votre vie et me rendre heureux de votre propre bonheur. Ô Roi bien-aimé, vous ne régnez sur nous que pour vous permettre de nous faire goûter vos joies ! Ô ineffable Bonté, qui pourra jamais assez vous bénir, vous louer et vous glorifier ? Envahissement progressif des facultés jusqu’à l’union parfaite.
C’est peu à peu, pour l’ordinaire, que vous révélez à révélez à votre Épouse, en l’y faisant entrer, ces délicieuses demeures qu’elle porte en elleelle même et où vous habitez. Vous aimez tout d’abord à la retirer du dehors et à la rappeler au dedans. Doucement, suavement, vous fixez sur un objet intérieur, qui l’attire l’attire mystérieusement, toutes ses facultés. Elle oublie tout ce qui l’occupait auparavant. Un charme presque insaisissable l’enveloppe et la pénètre. Elle goûte une joie très douce à se sentir près de quelque chose qu’elle devine être très bon. Elle se trouve toute proche d’un foyer lumineux et chaud, mais caché. Quelques rayons tamisés filtrent au travers du voile, une chaleur discrète, printanière, la réjouit, la dilate doucement, sans qu’elle puisse trop savoir d’où elle vient. C’est le début de l’envahissement l’envahisseme nt divin. Bientôt la volonté sera prise, captive. Puis les autres facultés, d’abord étonnées, s’accoutumeront, s’approcheront pour voir et goûter. Elles seront prises à leur tour. Puis viendra l’union totale, rare et courte d’abord, puis plus profonde et plus fréquente. Les grandes purifications sui vront. Enfin l’union parfaite, permanente, indissoluble, du fond de l’âme avec son Dieu. C’est le plus secret des appartements, le sanctuaire où Dieu et l’âme vivent ensemble dans la paix. Obstacles à cette révélation. Prière.
Pourquoi, mon doux Jésus, tant d’âmes, qui vous possèdent cependant, ignorent-elles ou presque que vous habitez toujours en elles en tant que Verbe, avec votre Père et votre divin Esprit, et que votre sainte Humanité leur communique toute grâce ? Combien qui ne connaissent pas l’existence en elles de vos appartements secrets ! secrets ! Com bien peu nombreuses sont celles que l’enseignement de la foi a éclairées sur cette vérité si importante : « Tu es intus » intus » 1 ! Et, parmi elles, en compte-t-on beaucoup qui soient entrées par votre grâce dans les premiers de ces sanctuaires intérieurs ? Pardonnez mon indiscrétion, ô Jésus, mais n’y a-t-il a-t-il pas là de quoi étonner ? Ne pourriez-vous pas nous faire redire en vérité : « Medius « Medius autem vestrum stetit quem vos 1 Saint
Augustin.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
21
nescitis » nescitis » 1 ? Vous êtes le Dieu caché, c’est vrai ; vrai ; mais pourquoi, mon Sauveur, êtes-vous le Dieu oublié, abandonné ou ignoré ? Ce n’est pas à vous, mais à nous qu’il faut s’en prendre. Nous sommes superficiels, étourdis, inconsidérés. Vous nous parlez, et nous n’écoutons pas. Vous nous appelez, et nous ne répondons pas. Vous nous attirez dans la solitude, et la solitude, celle du dedans plus encore que celle du dehors, nous fait peur. Nous cherchons à lui échapper pour nous rejeter bien vite dans l’agitation l’agitati on et le bruit. Si, parfois, charmés par votre grâce, nous prenons envie de vous suivre et nous vous demandons : « Magis« Magister, ubi habitas ? » » 2, effrayés de notre audace, nous n’attendons pas votre réponse : « Venite et videte » videte » 3, et nous fuyons loin de vous. « Pauvre de vous, ô Jésus ! » Il n’y avait pas de place pour vous dans l’hôtellerie au jour de votre naissance. Pendant votre vie apostolique, vous n’aviez pas où reposer votre tête. Et voilà que maintenant encore vous frappez à la porte des âmes, j’entends j’entends des bonnes âmes, et elles ne vous ouvrent pas ! « Pauvres de nous, ô Jésus ». Faites cesser, ô Sauveur, un état de choses si douloureux pour votre Cœur, si dommageable pour les âmes. Ouvrez nos yeux, dilatez nos cœurs, fortifiez nos volontés. Soyez vraiment la Voie qui conduit au Père, la Vérité Vérité qui nous le montre, là où il est, au plus intime de nous-mêmes. Éclairez et le terme et la route. Soyez la Vie qui Vie qui fait vraiment marcher sur le chemin et avancer vers le but. Oui, ô mon Jésus, j’ose vous le demander, de mander, augmentez le nombre des adorateurs du Père « en esprit et en vérité », vérité », et faites que leur amour s’enflamme de plus en plus. Tout ce que j’ai, tout ce que je suis, tout ce que je puis faire ou souffrir, oui, tout, ô mon Jésus, je vous le donne, par les mains de votre très sainte Mère et du bien-aimé bien-aimé saint Joseph, afin qu’il y ait dans le monde quelques âmes intérieures de plus, et que chacune d’elles vous d’elles vous aime davantage. Les « Secrets ». — Néant des créatures. — Le don de Science y fait voir le reflet du Créateur.
Vos appartements intêrieurs sont encore « secrets », ô mon Jésus, en ce sens que c’est là que vous révélez à l’âme vos divins mystères. Au fur et à mesure que vous la rapprochez de vous, vous lui ouvrez les yeux et vous éclairez toutes choses pour elle de votre douce lumière. Tout d’abord, vous lui montrez le vide profond de ce qui n’est pas vous. Les créatures lui apparaissent ce qu’elles sont en elles-mêmes elles -mêmes : rien. Elle rien. Elle le voit, elle le comprend, elle le saisit avec une netteté qui la surprend elle-même. Elle se demande alors par quel enchantement 1 Il
y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaisses point (Joan., point (Joan., I, 26). où demeurez-vous ? (Joan., I, 38). 3 Venez et vous verrez (Joan., I, 39). 2 Maître,
22
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
magique, ces ombres, ces fantômes, ces riens, ont pu lui faire illusion si longtemps ! Ô mon Jésus, éclairez bien nos âmes sur cette vérité capitale. Puisque les choses de ce monde ainsi envisagées sont incapables de nous donner la plus petite goutte de vrai bonheur, détacheznous donc d’elles à jamais ! Faites qu’elles n’exercent plus sur nous le moindre empire ! Inspirez-nous-en Inspirez-nous-en le dégoût, qu’il soit profond, insurmontable, définitif ! Que votre divin Esprit, ô Jésus, par le moyen du don de Science, nous apprenne cette précieuse leçon. Qu’il daigne la graver dans nos esprits et dans nos cœurs de telle sorte que nous ne puissions plus jamais l’oublier ! Qu’il daigne encore, dans chaque rencontre particulière, prévenir le jugement de notre esprit et le mouvement de notre volonté si facilement influencés par l’apparence, mille fois trompés, mille fois déçus, et cependant toujours favorables à ce qui nous a éloignés de vous pour notre malheur ! Que la Vérité nous délivre enfin ! qu’elle nous donne la vraie liberté, celle de vous aimer et de ne plus aimer que vous. « Et « Et veritas liberabit vos » vos » 1. Les créatures ont un autre aspect, qui se révèle à l’âme intérieure et leur parle éloquemment de vous, ô mon Dieu. D ieu. Elles sont vos œuvres, en effet. On dirait que vous avez laissé en elles quelque chose de vousmême. Leur beauté n’est-elle n’est-elle pas le très lointain mais réel reflet de votre ineffable Beauté ? Ne doit-on pas en dire autant de leurs autres qualités ? Les cieux comme les fleurs des champs ne racontent-ils pas votre gloire, gl oire, ô mon Dieu ? Heureux les yeux qui s’ouvrent et ne voient plus dans toute créature qu’un « transparent « transparent du bon Dieu » ! Comme il est facile, sous l’influence de cette douce lumière, de voir son Dieu partout et de le trouver partout ! L’oreille de l’âme entend alors l’harmonieux cantique des choses. Elle les écoute lui dire avec joie, selon leur degré de participation à la perfection de leur auteur : « In « In Ipso vivimus et movemur et sumus » sumus » 2. Et c’est dans les appartements secrets du Roi que les yeux et les oreilles s’ouvrent. Attirez-nous Attirez -nous donc, ô Jésus, dans votre mystérieuse retraite ! Le don d’intelligence pénètre les Saintes Écritures.
Plus encore que le monde sensible, votre parole, contenue dans les Saintes Écritures, est pleine de divins secrets. C’est vous, ô divin Maître, qui nous les révélez. Et c’est dans l’école intérieure que vous instruisez l’âme attentive. Heureux disciples, recueillez-vous, recueillez -vous, écoutez la douce voix de Jésus ! Il va vous dire ses « secrets ». Les autres entendent et ne comprennent pas. Il veut, par pure bonté, que vous soyez de ceux qui reçoivent ses explications et lisent dans sa pensée. Esprit 1 La
2 En
vérité vous rendra libres (Joan., VIII, 32). lui nous avons la v ie, ie, le mouvement et l’être l’ê tre (Act., XVII, 28).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
23
de Jésus, accordez-nous accordez-nous le don d’intelligence ! d’intelligence ! Vous qui scrutez les profondeurs mêmes de Dieu, Dieu, faites-nous pénétrer au fond de sa parole, afin que notre esprit participe à son tour aux secrets divins, pour notre joie et pour notre bonheur. N’est-il N’est -il pas vrai que sous votre lumière les paroles de Jésus prennent un sens tout nou veau nou veau qu’on ne leur connaissait pas ?… Il semble que le monde invisible s’ouvre tout à coup aux regards. L’âme va comme d’un trait du mot à l’idée, de l’idée à la réalité. Il lui semble même qu’elle vous saisit, ô mon Dieu, au terme de son mouvement. Le voile reste, mais elle vous devine derrière le voile. La formule est devenue comme animée. Elle s’est ouverte d’elled’elle-même et elle a permis à l’âme émue d’aller jusqu’au Dieu vivant qu’elle révèle et qu’elle cache tout ensemble. Éclair dans la nuit, mais combien lumineux ! Moment Mom ent trop court, mais combien délicieux, combien précieux ! Faut-il noter quelques-unes de ces paroles illuminées par l’Esprit de Jésus ? Jésus ? « Bienheureux les cœurs purs, ils verront Dieu 1. — Cherchez avant tout le Royaume de Dieu 2. — Il est audedans de vous 3. — Et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure 4. — Si quelqu’un m’ouvre 5… — Mon Bien-Aimé est à moi … 6 » L’amour suit, divine rencontre, ineffable et sainte union. — Don de Sagesse.
L’âme monte ainsi peu à peu dans la lumière. De son côté, l’a mour suit les progrès de la connaissance. Plus on vous connaît, ô mon Dieu, plus on se sent incliné à vous aimer. Et plus on vous aime, plus aussi on veut vous connaître. Il est si bon de vous connaître, il est si bon de vous aimer. Comme on voudrait vous lire, ô mon Dieu, non plus dans vos créatures, même les plus belles, bell es, non plus dans vos paroles à forme humaine, si profondes pourtant, mais, en vous-même. Oui, notre audace va jusque-là : vous scruter vous-même à fond, si cela se pouvait, d’un regard plein d’admiration, de respect et d’affection. C’est que vous nous avez faits, non seulement pour vous connaître, mais pour vous contempler face à face. La foi nous le dit. Ce que l’âme sait de vous par les créatures et par la révélation avive son désir. Elle veut vous voir, et ne veut plus que qu e cela. N’est-ce N’est-ce pas du reste votre propre désir ? Pourquoi l’avez-vous l’avez-vous détachée, recueillie, éclairée, embrasée ? Pourquoi l’avez-vous l’avez-vous introduite 1 Matth., VI,
8. 33. 3 Luc, XVII, 21. 4 Joan., XIV , 23. 5 Apoc., III, 19. 6 Cant. II, 16. 2 Matth., VI,
24
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
dans vos appartements secrets et rapprochée de vous peu à peu, sinon pour qu’elle fixe désormais son regard sur vous seul, pour qu’elle vous contemple de très près, pour qu’elle s’enflamme tout entière d’amour et que, soulevée par lui, elle se jette dans vos bras et se perde en vous ? C’est cette divine rencontre qu’elle désirait de tout son cœur. C’est ce divin baiser qu’elle vous demandait avec impatience. Et c’est dans vos appartements secrets, dans un des plus intérieurs même, qu’a lieu enfin cette douce rencontre, que s’échange ce mutuel baiser, que se fait cette ineffable et sainte union. Heureuse, mille fois heureuse, l’âme privilégiée que le Roi fait entrer dans cet appartement secret ! Qu’elle y reste à jamais ! EXULTABIMUS ET LAETABIMUR IN TE (C ANT., I, 4). Nous tressaillirons et nous nous réjouirons en Toi. L’âme conquise, conq uise, possédée par Dieu, souhaite so uhaite ardemment la même faveur à beaucoup d’autres âmes.
Quand l’âme intérieure est introduite par le Roi dans l’appartement l’ap partement secret où se contracte l’union, elle est surprise. Elle éprouve comme un tressaillement mystérieux et profond. Malgré tout ce que son divin Époux avait fait pour elle, malgré tout ce qu’il lui avait appris et fait goûter dans les demeures précédentes, elle reste tout étonnée, toute saisie par ce qui se passe alors au plus intime de son être. Elle tremble, mais sans frayeur troublante. Elle tressaille d’étonnement d’abord, puis de joie. C’est qu’un bonheur insoupçonné vient de l’envahir tout entière. Elle se sent enveloppée, pénétrée, soulevée, engloutie par quelque chose d’ineffablement d’ineffablement bon, par quelque chose de divin. Elle comprend qu’elle possède « « un Bien qui contient tous les biens », et elle se sait toute possédée par lui. Après la crainte, après l’étonnement, après la surprise, c’est la joie qui, maintenant, domine tout. L’âme s’affaisse sous le poids d’un tel bonheur, puis elle se relève, pour exulter et chanter sa joie. De nouveau, le Bien divin l’écrase délicieusement, puis, de nouveau fortifiée, soulevée par lui, elle se répand en douces paroles, en aimables « mercis », en désirs ardents de louer, de bénir, de glorifier un Dieu si bon. Comme elle voudrait faire goûter son bonheur à d’autres âmes ! âmes ! Nullement jalouse, elle supplie son Bien-Aimé de se conquérir d’autres épouses. Elle va même jusqu’à souhaiter que ces privilégiées soient plus aimantes qu’elle. Tout, pourvu qu’il soit aimé aimé ! Alors, en union parfaite avec ces âmes, elle pourra redire de tout son cœur la parole du Cantique : « Exultabimus « Exultabimus et laetabimur in te ».
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
25
MEMORES UBERUM TUORUM SUPER VINUM (C ANT., I, 4). Nous célébrerons ton amour plus que te vin. Chœur d’âmes intérieures célébrant à l’envi le saint amour de Dieu.
Rien au monde, ô Jésus, ne mérite d’être célébré comme l’amour que vous avez pour les âmes intérieures et l’amour que les âmes intérieures ont pour vous ! Il y a dans le monde des âmes toutes consumées de votre amour. Elles vous aiment de tout elles-mêmes. elles-mêmes. Leur cœur est tout de feu, tout de flammes pour vous. Si on prononce devant elles votre nom, elles tressaillent. Si on insiste, elles ont peine à cacher leur émotion. On sent que les larmes, de vraies larmes, sont prêtes à se montrer. Oui, mon Jésus, vous êtes aimé. Et ce qui paraît n’est rien à côté de ce qui est au fond. Et ceux qui vous aiment ainsi sont ce que l’humanité a de plus pur, de plus délicat, de plus beau : sa fleur. Quel spectacle, ô mon Dieu, que celui de tous ces encensoirs d’or, d’où monte sans cesse vers vous un gracieux petit nuage, à la fois tiède et parfumé, de toutes ces fleurs aux couleurs si riches, aux nuances infinies, à l’odeur du Christ Jésus, qui s’épanouissent pour vous plaire, sous votre doux regard ; de tous ces diamants aux eaux si pures, aux feux si vifs et si chauds, qui ne brillent qu’à votre lumière et ne scintillent que pour vous ! On voudrait peindre un si merveilleux tableau, chanter une si douce mélodie, fixer dans des vers harmonieux et pleins le charme si profond d’une telle poésie. Et quand tous les génies s’épuiseraient à l’entreprise, ils ne traduiraient presque rien de la su blime réalité. Les deux chantent votre gloire, ô Dieu béni, mais le monde surnaturel des âmes la chante aussi, et sur un mode combien plus élevé et plus riche ! C’est que l’univers spirituel est votre œuvre de prédilection, votre chef-d’œuvre chef-d’œuvre : : Jésus, votre Fils bien-aimé, en est comme le soleil. Les Saints, à commencer par la douce Mère de votre divin Fils, en sont comme les étoiles. La beauté des âmes est un reflet immédiat de votre beauté, leur amour une participation de votre amour ; vous les avez faites tout ce qu’elles sont. Les voir, c’est c’ est vous voir ; les contempler, vous contempler ; les aimer, vous aimer ; les célébrer, vous célébrer. Par sa couleur, sa douceur, sa chaleur, sa richesse, le vin, diton, charme les hommes. Ils le chantent ; ils le célèbrent. Pour nous, ô Jésus, nous célébrons votre amour, mille et mille fois plus que le vin : Memores : Memores uberum tuorum super vinum. vinum .
26
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE R ECTI ECTI DILIGUNT TE (C ANT., I, 4). Qu’on a raison de T’aimer. Louanges de l’âme à l’âme à la divine Bonté.
Comme on a raison de vous aimer, ô Jésus, de n’aimer que vous et de vous aimer de tout son cœur ! cœur ! On aime ce qui est aimable. Ce qui est doux, affable, bienveillant, bienfaisant, bon, puissant, grand, beau et fort ; tout cela est aimable. Vous êtes tout cela, ô mon Dieu ! Oui, vous êtes aimable ! Oui, on a raison de d e vous aimer ! Ce qui permet à l’âme intérieure de parler ici avec tant d’assurance, ce n’est pas seulement sa foi profonde, c’est la douce expérience qu’elle a faite de votre divine amabilité. Le mot de l’Écriture s’est réalisé pour elle : « Gustate et videte quoniam suavis est Dominus » 1. Elle sait maintenant à quoi s’en tenir sur votre ineffable douceur. Voilà pourquoi elle affirme si nettement qu’ « on a raison de vous aimer ». aimer ». On lui avait parlé de votre incomparable beauté, de votre bonté sans limites, du charme inexprimable de votre intimité, de la joie sans mélange de l’union parfaite avec vous. Elle croyait à toutes ces choses, elle en comprenait le prix, elle les aimait. Mais c’était là pour elle comme un fruit décrit, désiré, non pas vu et goûté. Maintenant que le divin Époux l’a introduite dans ses appartements secrets et lui a ouvert son cœur, elle parle à son tour d’expérience avec un accent profond, persuasif, entraînant et tout nouveau. Elle proclame à qui veut l’entendre, qu’on a bien raison de vous vo us aimer. Elle voudrait ajouter qu’on a bien raison de n’aimer que vous. C’est qu’il n’y a rien d’aimable en dehors de vous. Ce qui est aimable ne l’est que par vous. Choses et âmes ne sont belles que de votre beauté et bonnes que de votre bonté. Vous, vous êtes la source, le l e foyer de tout. Sa richesse.
Ce qui est bon pour moi, c’est ce c’est ce qui m’enrichit, ce m’enrichit, ce qui me perfectionne, ce qui m’achève. Mais m’achève. Mais les hommes et les choses ne peuvent accomplir cette œuvre en œuvre en moi que dans la mesure où ils sont riches, parfaits, achevés, ce qui revient à dire dans la mesure où ils « sont » vraiment. Or, c’est vous, c’est vous, ô mon Dieu, et vous seul qui les faites ce qu’ils sont. qu’ils sont. C’est vous C’est vous et vous seul qui leur imprimez cette inclination à se donner 1 Goûtez
et voyez combien le Seigneur est bon (Ps. XXXIII, 9).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
27
qui les rend bienfaisants. Comme pour la vérité, ce qui est en eux à l’état divisé l’état divisé et participé se trouve en vous par essence et dans la plus parfaite unité. Vous êtes bon, la Bonté même, meilleur, si l’on ose l’on ose dire, que la bonté, parce que vous êtes riche de tout, sans mesure, par vousmême, et que tout le poids de vos trésors, sans gêner votre liberté, vous incline à donner, à donner encore, à vous donner vous-même enfin ! Puisque aimer c’est s’élancer vers tout ce qui est bien, comment veux-tu, ô Bonté infinie, ô Richesse sans limites, li mites, ô Source Sou rce de tout bien, comment veux-tu veux-tu que je ne me jette pas dans tes bras, que je ne t’aime pas, et toi seule ? Comme je voudrais te chanter, ô bonté de mon Dieu, ô Dieu de bonté ! Jour et nuit, aux heures de ténèbres comme aux heures de lumière, quand tu te caches comme quand tu te donnes, là, au fond du cœur, et que tu béatifies ta pauvre créature, oui, je voudrais toujours redire à tous : « Confitemini Domino quoniam bonus, quoniam in saeculum misericordia ejus ! 1 » Sa joie.
Tu es si bonne, ô divine Bonté, que tu ne peux pas attendre le ciel pour rendre heureuse ta pauvre enfant ! Tu l’isoles, tu l’attires à toi, tu la presses tendrement comme ne peut pas faire la meilleure des mères ; tu la caresses, tu la gâtes, tu la combles. On dirait que tu n’as qu’elle au monde et que tout ton bonheur, à toi, c’est de la rendre heureuse. Oh ! que tu es bonne, divine Bonté ! Pénètre mon âme tout entière, jusqu’au fond. La joie que tu fais goûter est si pure, si paisible, si douce, si bienfaisante ! Sa pureté.
Et ce qui ravit au-delà de tout, c’est qu’elle est qu’elle est chaste. Oui, mille fois oui, jamais la belle vertu n’avait paru si belle, si aimable, si attachante. Tu la fais aimer comme jamais. Mieux encore, tu la verses en même temps que ta joie. On dirait qu’elle envahit tout l’être pour le faire semblable à elle. On comprend alors par expérience tout son prix, toute sa richesse. Ô Pureté sainte, compagne de la joie divine, tu fais naître Dieu dans les âmes et les âmes en Dieu. C’est toi qui as donné Jésus à Marie ! C’est toi qui toi qui donnes Jésus aux âmes et les âmes à Jésus ! Sans toi, il n’y a pas d’intimité possible avec Dieu. Dès que tu es là, toi et l’humilité, l’Amour peut faire ce qu’il veut. Il a les mains libres. Il peut suivre sa pente ; il peut envahir, consumer, rendre heureux, et il le fait. Comme on a raison de vous aimer, ô aimable Bonté divine, et de n’aimer que Vous ! Vous ! 1
Louez le Seigneur parce qu’il est bon, parce par ce que sa miséricorde est éternelle (Ps. CXVII, 1).
28
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE Sa force.
Vous n’êtes pas n’êtes pas seulement la richesse, la joie, la pureté de mon âme. Vous êtes aussi sa force, et vous seul, ô mon Dieu. Rien n’est faible faibl e comme ma volonté laissée à elle-même. elle- même. Cela ne se démontre pas, c’est l’évidence. Mais rien n’est fort que par vous. Rien n’est fort comme vous. Vous seul êtes fort : « Deus Fortis » Fortis » 1. J’ai besoin de votre force pour agir, comme de votre lumière pour voir, de votre chaleur pour vivre, de votre joie pour être heureux. Communier à votre immuable fermeté, voilà le besoin et le désir de mon âme. Il faut en effet que je sois fort pour résister à l’attraction des l’attraction des choses qui m’enveloppent m’enveloppent et que le démon s’efforce s’efforce de rendre irrésistible. Mon devoir est de monter toujours. Je ne puis le remplir sans me déli vrer de l’emprise de l’emprise de tout ce qui ne tend qu’à m’arracher à m’arracher à votre bienfaisante influence, et à me faire descendre. La perfection serait de ne plus entretenir en moi aucune connivence avec l’ennemi, de l’ennemi, de faire disparaître tout point d’attache à d’attache à ses chaînes pour me livrer tout entier à votre action et à votre charme, ô mon Jésus. Cela seul me rendra ren dra fort ; mais cela ne peut se faire que si je communie à votre force infinie, que si je m’unis à m’unis à vous de la plus étroite, de la plus intime, de la plus parfaite union. Vous union. Vous êtes l’immuable, ô mon Dieu ! Qui s’unit à vous de vient un avec vous. Qui adheret Domino, unus spiritus est 2, et par suite immuable et fort comme vous. Mais qui réalisera cette union si précieuse ? L’amour. Ô Dieu bon, Dieu puissant et fort, prenez pitié de ma faiblesse, donnez-moi votre saint amour ! Qu’il brise tous mes liens, qu’il me délivre, qu’il me pénètre, qu’il me soulève ; qu’il m’atm’attache, qu’il m’unisse à vous seul, seul Immuable, et qu’il devienne, à chaque battement de mon cœur, plus profond, plus doux et plus fort. Alors, mais alors seulement, je serai fort, vraiment maître de tout, parce que je ne serai plus qu’un avec vous et que vous serez vraiment serez vraiment maître de moi. Et je pourrai redire encore mon cantique : « On a bien raison de n’aimer que vous », vous », puisque vous êtes le seul appui de ma faiblesse, et que c’est l’amour qui fait communier à votre immuable et tranquille fermeté. Sa beauté.
On aime ce qui est beau. Vous êtes la parfaite Beauté, ô mon Dieu, et même l’unique Beauté. « On a donc bien raison de vous aimer » aimer » et de n’aimer que vous ! vous ! 1 Isaïe, 2 Celui
IX, 5.
qui s’unit au Seigneur est un seul esprit avec lui (I lui (I Cor., VI, 17).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
29
Ce qui nous fait dire qu’une chose est belle, c’est ce qui fait qu’elle est agréable à connaître. Tout ce qui plaît légitimement à nos yeux, à nos oreilles, à notre esprit, et dans la mesure même où il leur plaît, tout cela est beau. Dans ces choses qui nous plaisent ainsi : paysage, mélodie, génie, sainteté, on remarque toujours de l’ordre, de l’harmol’har monie, de l’unité, de la variété, de la puissance et de l’éclat. Le beau nous plaît parce qu’il achève nos facultés de connaître, en les développant, en les enrichissant. Il augmente leur portée, accroît leur activité, leur permet d’atteindre plus de choses avec moins d’efforts, dans un acte plus simple. Plus grande est la multiplicité et plus parfaite est l’unité, plus profonde l’analyse du regard et plus puissante la synthèse du coup d’œil, plus la connaissance est parfaite, plus l’âme est heureuse. Vous êtes la Beauté parfaite, parfa ite, ô Jésus, divin Époux de d e mon âme ! Je Je ne vois pas les traits harmonieux de votre visage. Je ne puis contempler la simplicité et la beauté de votre regard. Le son de votre voix si douce n’a jamais frappé mes oreilles. Mais tout cela n’est p as nécessaire pour que je vous appelle « le plus beau des enfants des hommes » mes » 1. Votre sainte Mère ne pouvait se lasser de vous admirer, vous, son Fils, virginalement conçu, et son Dieu. Ô heureux saint Joseph, comme je me réjouis à la pensée de la joie si profonde que vous goûtiez à contempler Jésus et Marie. Personne n’a été privilégié comme vous, et tant mieux ! Vous y répondiez si bien, vous si pur, si discret, si dé voué, si s i aimant ! Mais, ô Jésus, je sais qu’au Thabor, vous avez permis à Pierre, à Jacques et à Jean de lever les yeux un instant sur votre humanité glorifiée. Ils ont été éblouis par sa beauté. Ne me permettrez vous donc jamais de vous entrevoir un peu ? Je dirais plus fort que jamais : « Comme on a raison de vous aimer et de n’aimer les créatures qu’en vous et pour vous ». vous ». Aimer de tout son cœur.
On a bien raison enfin, ô mon Dieu, de vous aimer aim er de tout son cœur ! cœur ! On le fait déjà quand on n’aime plus rien qu’en vous et pour vous. Mais il y a quelque chose de plus ici : aimer de tout son cœur, c œur, cela veut dire, semble-t-il, semble-t-il, aimer d’un élan spontané et avec une plénitude qui épuise tout notre pouvoir d’aimer. L’amour a tout pénétré, tout envahi, et il emporte tout. Ce n’est pas seulement le cœur spirituel qui est pris, c’est le cœur sensible lui-même lui-même qui est alors purifié, transformé, comme spiritualisé et vivifié par l’Amour divin. À parler rigoureusement, il ne peut pas l’éprouver en lui-même, lui -même, cet amour tout spirituel, mais il peut, à raison de son harmonie devenue parfaite avec la volon1 Ps.
XLIV , 2.
30
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
té, où vit et règne la sainte charité, exprimer, traduire en une langue sensible cet amour qui le dépasse, et trouver sa joie à lui comme sa fin dans cette manifestation concrète, on dirait humaine, de l’amitié di vine. On vous aime alors, ô mon Dieu, de tout son son cœur, et puisque notre cœur est fait pour vous, on a bien raison de vous aimer ainsi. NIGRA SUM, SED FORMOSA , FILIAE JERUSALEM , SICUT TABERNACULA CEDAR , SICUT PELLES S ALOMONIS (C ANT., I, 5). Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem, comme les tentes de Cédar, comme les pavillons de Salomon. Maturité de l’âme par l’âme par l’épreuve.
L’âme qui a souffert pour Jésus sait deux choses choses : que le feu de l’épreuve l’a comme noircie et que pourtant ses traits sont devenus plus beaux. Elle n’a plus cette beauté beaut é tendre, délicate, mais fragile des premiers jours de la vie intérieure, où tout dans la piété lui souriait et où elle souriait à tout. La tentation a fait son œuvre. Il a fallu lui tenir tête, et au dehors et au dedans. Dans cette lutte, parfois longue et tou jours sans merci, l’âme a grandi, elle s’est fortifiée, elle s’est comme mûrie. Sa beauté a pris quelque chose de vigoureux et de ferme. Elle est devenue plus parfaite, plus achevée parce qu’elle est la beauté de la vertu qui, dans son sens plein, dit : ordre, harmonie, puissance, éclat discret, mais pénétrant. Ce n’est plus la fleur du printemps, c’est le fruit mûr de l’automne. NOLITE ME CONSIDERARE QUOD FUSCA SIM, QUIA DECOLORAVIT ME SOL. FILII MATRIS ME PUGNAVERUNT CONTRA ME ; POSUERUNT ME CUSTODEM IN VINEIS, VINEAM MEAM NON CUSTODIVI (C ANT., I, 6). Ne prenez pas garde à mon teint noir, c’est le soleil qui m’a brûlée. Les fils de ma mère se sont irrités contre moi. Ils m’ont mise à garder des vignes, ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée. L’âme reconquiert sa liberté d’être toute à Dieu.
L’esprit « de l’âme », ce qu’il y a de plus élevé en elle, se plaint de l’étât de servitude où l’ont réduit les autres facultés, ses « frères « frères de mère ». Au lieu de s’occuper de soi, de la conquête et de la garde de son bien propre, à savoir le bon Dieu, il lui a fallu se dépenser au ser vice des autres, à leur détriment du reste et au sien. Quelle tyrannie ! quel esclavage, quelle déchéance, quel renversement de l’ordre! Tout
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
31
dans l’homme devrait travailler au profit de l’âme ; tout dans l’âme de vrait s’employer au service de ce qui en elle ressemble le plus à Dieu, doit vivre de Dieu et participer de plus en plus à Dieu. C’est la raison d’être comme c’est le bien de tout dans l’homme. Pourquoi faut -il que l’âme soit obligée d’avouer : d’avouer : Ma vigne à moi, je ne l’ai pas gardée, gardée , mon bien à moi, je ne l’ai pas cherché ? cherché ? Il faut renverser les rôles, rentrer dans l’ordre, reconquérir sa liberté, garder sa vigne et ne plus faire désormais que cela. Les « autres » de l’âme n’y trouveront trouveront pas leur compte, à leur avis. Tant pis pour eux ! Du reste, ils se trompent. Eux-mêmes recevront au centuple, mais tout autrement. En attendant, qu’ils se plaignent, qu’ils gémissent, qu’ils murmurent, qu’ils essaient de tyranniser, ils n’en auront auron t ni plus, ni moins. Il leur faudra bien se taire, puis se cacher. Sans doute, ils seront là, toujours, mais ils y seront toujours surveillés et toujours domptés. À l’âme de dominer et de régner à son tour. À l’amour enfin de tout gouverner dans l’âme. C’est l’ordre, c’est la paix, c’est la vie, c’est la richesse, c’est la joie vraie, c’est le vrai bonheur. INDICA MIHI, QUEM DILIGIT ANIMA MEA , UBI PASCAS, UBI CUBES IN MERIDIE (C ANT., I, 7). Dis-moi, Dis-moi, ô toi que mon cœur aime, où tu mènes paître tes brebis, où tu les fais reposer à midi. Brebis privilégiées.
L’âme qui vous aime, ô Jésus, devient audacieuse ; audacieuse ; elle vous parle familièrement, elle vous interroge même ; elle le fait parce qu’elle vous qu’elle vous a donné son cœur. C’est son amour qui la presse ; c’est lui qui la décide à vous demander ce qu’elle désire savoir ; c’est lui qu’elle évoque ; c’est par lui qu’elle espère vous émouvoir et vous porter à lui répondre. Faut-il la blâmer ? Ne vaut-il vaut-il pas mieux l’imiter ? l’imiter ? Qui vous aime, vous cherche. Comment se passer de vous, ô Jésus ! On ne vous cherche en effet que pour vous trouver. On ne peut enfin vous trouver que si on connaît le lieu de votre demeure et le chemin qui y conduit. Vous seul découvrez ce grand secret à qui il vous plaît. À la question : « Magister, ubi habitas ? habitas ? », vous seul pouvez répondre : « Veni et vide » 1. Voilà pourquoi l’âme tourmentée de votre amour ose vous poser une telle question. Vous êtes, ô mon Jésus, là où sont vos brebis. Vous ne les quittez pas et elles ne vous quittent pas. Vous les conduisez et elles vous sui1 Maître,
ou habitez-vous ? Venez et voyez (Joan., I, 38).
32
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
vent. Vous les appelez par leur nom et elles répondent à votre appel. Le son de votre voix leur est bien connu. Elles n’en écoutent pas d’autres. Oui, ô bon Pasteur, vous avez vos brebis à vous qui vous appartiennent à un titre spécial, sp écial, dont vous vous occupez si l’on peut dire personnellement. Pendant votre vie mortelle, les Douze ne formaientils pas un troupeau choisi ? Parmi eux, Pierre, Jacques et Jean ne vous suivaient-ils pas de plus près ? Et enfin Jean n’étaitn’était -il pas l’agneau l’agneau préféré, celui « que Jésus aimait » » 1, dira-t-il lui-même de lui-même ? Il en est encore ainsi. Vous avez des amis privilégiés, des brebis de choix, ce sont les âmes vraiment intérieures, celles qui, ayant entendu vôtre appel spécial, sp écial, ont tout quitté, père et filets, se sont quittées elleselles mêmes à jamais pour vous suivre partout, toujours, au Thabor, au Cal vaire, au ciel. Oui, il y a dans le monde des âmes qui vous appartiennent en propre, et parmi elles il y en a qui sont réellement vos brebis préférées, préférées, vos épouses. N’en est-il est -il pas une même, à la fois plus belle, plus parfaite, plus fidèle que les autres, et partant plus aimée que les plus aimées ? Je le croirais, ô Jésus ! Votre Cœur ne change pas. Il est aujourd’hui ce qu’il était hier, ce qu’il sera demain et toujours. J’adJ’ad mire donc cette âme inconnue, je me réjouis de sa perfection, je la félicite de son privilège, je suis heureux, oui, très heureux de son bonheur. Je prie pour elle de tout mon cœur. Qu’elle grandisse encore dans votre amour ! Qu’elle Qu’elle soit de plus en plus la consolation de votre divin Cœur ! Cœur ! Comme on comprend que cette âme, si vous vous êtes caché d’elle pour un temps, comme il vous arrive de le faire, se mette à votre recherche et vous demande, à « vous que son cœur aime », aime », où vous menez paître vos brebis et où vous les faites reposer à midi . Exaucez cette légitime prière. Répondez à cette demande. Faites luire à cette âme si aimante, comme autrefois aux mages, l’étoile mystérieuse qui la conduira sûrement jusqu’à vous ! vous ! Indiquez-lui la route ! Donnez-lui un guide pour les passages difficiles ! Que votre amour grandisse en elle ! Qu’il soit sa force, qu’il la soutienne jusqu’à ce qu’enfin elle vous trouve, là où vous nourrissez vos brebis de vous-même, et où vous leur permettez de prendre, dans vos bras, ce doux repos, leur seule occupation possible, à l’heure où votre amour les accable délicieusement de sa consumante chaleur. Jésus lui-même, lui-même, nourriture et lieu de repos de l’âme.
Le lieu de pâturage de vos brebis, ô Jésus, c’est vous -même. Vous êtes aussi leur nourriture et le lieu de leur repos. Connaître, aimer, 1 Joan.,
XIII, 23.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
33
c’est vivre. Vous connaître, vous aimer, c’est vivre de vous, c’est se nourrir de vous. Votre doctrine, votre vie, vos dispositions intimes, vos deux natures, votre adorable personne inséparable du Père et de l’Esprit, votre œuvre, la sainte Église, celle qui triomphe, celle qui souffre, celle qui lutte, votre travail dans les âmes : voilà ce que vous faites connaître sous un jour comme tout nouveau à l’âme qui vous aime. C’est vraiment C’est vraiment sa nourriture : elle vit de la vérité. Tous les jours, des perspectives inattendues s’ouvrent à son regard. Le monde spirituel a ses secrets comme le monde matériel, et combien plus profonds et plus nombreux ! C’est votre joie que de les révéler à votre Épouse. Son étonnement vous ravit. Comme vous êtes bon ! L’amour suit la connaissance. Plus on vous connaît, vous et vos œuvres, ô mon Dieu, plus on vous aime. Si vous révélez vos secrets à votre Épouse, c’est sans doute pour lui témoigner votre confiance co nfiance et votre affection, mais c’est aussi pour qu’elle vous admire et pour quelle qu elle vous aime de plus en plus. Toujours et partout, vous êtes « Verbum spirans amorem ». L’amour grandit donc avec la connaissance. La lumière devient chaleur et feu. L’âme s’embrase. s’ embrase. Elle brûle ; elle se consume ; elle vit de son amour ; elle en meurt à chaque instant, mais c’est pour en vivre de nouveau avec plus d’ardeur que jamais. Quand la chaleur devient trop forte, et comme accablante, l’âme éprouve le besoin de se reposer reposer et de dormir. C’est midi. Toute activité cesse. Tout s’arrête, tout dort. Le cœur seul continue à battre. Il vit alors pleinement sa vie : il aime et il le sait. Pour mieux reposer et pour mieux aimer encore, il ose s’appuyer sur le Bien- Aimé. Bien- Aimé. C’est sa vraie place. Il n’est n’ est bien, il n’est heureux que là. Il voudrait y vivre toujours. Il voudrait y mourir dans une extase d’amour. La mort, pour celui qui aime Jésus, n’est-elle n’est -elle pas une « douce extase » ? C’est la prière que vous fait votre Épousé, ô Jésus : Jésus : brûler jour et nuit d’amour pour vous, ne plus faire que cela, reposer humblement sur votre bon Cœur, établir en lui sa demeure et attendre là le moment béni de la mort. Cette prière vous plaît, ô divin Ami. Écoutez-la et, dès ce moment, exaucez-la. NE VAGARI INCIPIAM (C ANT., I, 7). Pour que je n’erre pas comme une égarée. Attitude et prière de l’âme dans l’obscurité et l’épreuve.
L’Époux se cache parfois. La lumière s’éteint. Le cœur devient froid. C’est à peine s’il bat. C’est la nuit avec ses ténèbres, ses fantômes, ses peurs. C’est l’hiver avec son engourdissement, sa mort ap-
34
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
parente. L’âme ne voit plus son chemin ; chemin ; elle ne sait où mettre ses pas ; rien n’est sûr. Il lui faut marcher pourtant, car l’amour sans se montrer la presse toujours. Plus elle sent sa faiblesse, plus elle crie après Celui qui seul est sa force : « Seigneur « Seigneur,, je suis aveugle, faites que je voie ! 1 » Seigneur, je suis sourde, faites que j’entende j’entende ! Seigneur, je suis paralytique, faites que je marche ! Seigneur, je ne sais que devenir, que voulez-vous de moi ? Jésus, à quel autre irai-je ? vous seul avez les paroles de vie et d’éternité 2. Vous êtes la Vérité 3, éclairezmoi ; vous êtes la Voie 4, conduisez-moi afin que je n’erre pas comme une égarée en égarée en quête de son chemin et de son Dieu. POST GREGES SODALIUM TUORUM (C ANT., I, 7). Autour des troupeaux de tes compagnons. Pratique du saint détachement.
Ce ne sont pas les « compagnons » compagnons » les amis de Jésus que la sainte Épouse désire rencontrer, c’est Jésus lui-même. lui -même. Comme elle a raison ! Les Les amis de l’Époux ne sont pas l’Époux. Ils l’accompagnent et ils lui font cortège. Ils peuvent indiquer où est l’Époux et comment on le trouve. Mais s’attacher à eux pour eux-mêmes, eux -mêmes, si peu que ce soit, serait s’égarer. D’instinct, l’âme qui aime Jésus le comprend. c omprend. Elle veut bien être aidée dans sa recherche de l’Époux. Elle sait reconnaître les bons offices des amis de Jésus. Elle y voit du reste, ce qui est très vrai, vr ai, un moyen dont le divin Maître se sert pour se faire trouver par elle. Mais elle aime, et de tout son cœur. Or, l’amour va droit son chemin : plus il est fort, plus il va droit. C’est que l’amour rend simple ; simple ; il ramène tout à l’unité ; l’unité ; il dirige tout vers un même but : il ne sait plus, il ne veut plus qu’une chose : chose : le Bien-Aimé. SI IGNORAS TE, O PULCHERRIMA INTER MULIERES (C ANT., I, 8). Si tu ne le sais pas, ô la plus belle des femmes. Ce qu’est la vraie beauté spirituelle de l’âme.
Quand on rencontre une âme qui aime vraiment Jésus et qui le cherche de tout son cœur, il est difficile de ne pa s laisser échapper un 1 Luc,
XVIII, 41.
2 Joan., VI,
68. XIV , 6. 4 Joan., XIV , 6.
3 Joan.,
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
35
cri d’admiration, tant on est saisi par sa beauté. Rien n’est beau comme une belle âme. Rien ne rend une âme belle comme l’amour vrai du bon Dieu. Là où il est, il éclaire tout, il élève tout, il sublime tout, il transforme tout. Il n’est n ’est pas jusqu’aux traits extérieurs de la physionomie qui n’en soient illuminés et harmonisés. La bouche ne parle-t-elle parle-t-elle pas de l’abondance du cœur cœur ? Les yeux ne sont-ils pas le miroir de l’âme ? L’âme n’est-elle n’est-elle pas chargée de pétrir à son image l’argile de l’argile de son corps ? Au ciel, après la résurrection, l’éclat du corps ne sera-t-il sera-t-il pas le reflet de la gloire de l’âme béatifiée par la contemplation et l’amour ? Oui, à bien juger des choses, rien dans l’ordre sensible n’est beau comme une figure de saint, on ne se lasserait pas de l’admirer, il suffit de la regarder pour se sentir devenir meilleur. C’est un transparent de Jésus. Rappelons-nous la transfiguration des traits de sainte Catherine de Sienne en ceux du divin Maître, sous les yeux étonnés du bienheureux Raymond de Capoue. Quel respect Jeanne d’Arc n’inspirait-elle n’inspirait-elle pas aux soldats ! Saint François de Sales, rien qu’à le voir, ne donnait-il donnait -il pas envie de lui parler et de lui ouvrir son âme ? L’amour ne transformaittransformait -il pas à l’heure de la prière du soir les l es traits amaigris du saint curé d’Ars ? d’Ars ? Quoi de plus beau à contempler que l’aimable sainte Thérèse de l’Enfantl’Enfant -Jésus, telle qu’on la représente dormant son dernier sommeil ? On dirait un chef-d’œuvre chef- d’œuvre de paix, de grâce et de pureté. Ç’est le triomphe du pur p ur amour de Dieu. L’argile rayonne, elle parle, elle chante. Qui la contemple se sent porté lui aussi à rayonner, à parler, à chanter. Oui, vous êtes belles, ô âmes toutes consumées d’amour de Dieu ! La beauté, c’est l’ordre, l’harmol’harmo nie, la puissance, l’éclat. l’éclat. Tout cela est à vous et vous êtes tout cela, parce que vous êtes tout amour, La beauté morale, la plus belle de toutes les beautés, n’est-elle n’est -elle pas la vertu parfaite ? Mais qui dit vertu au sens plein, ne dit-il pas ordre, puissance, éclat ? La vertu, vertu, c’est l’ordre de l’amour, d’après saint Augustin. Quand donc l’amour est ordonné, il ordonne tout dans l’âme, il y met tout à son rang et à sa place : Dieu d’abord et au-dessus au-dessus de tout, le reste selon son rapport avec Dieu. Mais cela, dans le plan surnaturel, surnatu rel, c’est la charité. Amour parfait du bon Dieu D ieu égale ordre parfait, égale vertu parfaite qui le constitue, le maintient, l’achève, égale beauté parfaite par conséquent. La vraie beauté d’une âme lui vient en dernière analyse de sa charité. Plus elle aime son Dieu, plus elle est belle et aux yeux de Dieu et aux yeux des anges, et même aux yeux des hommes, quand leurs yeux sont ouverts aux choses de la grâce. * Une chose m’étonne dans le texte sacré, c’est la hardiesse du compliment. Il semble qu’on ne devrait devrait pas révéler à une âme sa beauté,
36
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
même très réelle, de peur de lui inspirer de la vanité. L’orgueil de la vertu n’est-il n’est-il pas le pire de tous ? Pour l’ordinaire, la règle est sage. Il faut savoir dominer ses impressions et contenir ses sentiments d’admiration. Outre l’erreur d’un premier jugement toujours possible, il y a temps pour tout et le temps de parler peut n’être pas encore venu. Mais ce temps peut venir. Laisser alors la lumière sous le boisseau de l’humilité serait mal entendre les intérêts de la gloire de Dieu. Marie était humble, certes, et pourtant elle n’hésite pas à proclamer elle-même que le Tout-Puissant « a fait en elle de grandes choses » 1. Quoi de plus grand pour une pure créature que d’être mère de Dieu et de le savoir ? Marie est mère de Dieu et elle le sait. Elle connaît sa grandeur, son incomparable beauté : « Tota pulchra es, amica mea, tota pulchra es » es » 2. « Ave gratia plena » plena » 3. « Benedicta tu in mulieribus » ribus » 4. Elle admire en elle-même elle-même l’œuvre de la grâce. Loin d’en tirer la moindre moindre vanité, elle ne songe qu’à rendre grâces à Dieu et à lui ren voyer toute gloire : « Mon « Mon âme glorifie le Seigneur » Seigneur » 5. Qui mieux que vous, ô Marie, ô mère de Jésus, a mérité et mérite d’être appelée « la plus belle de toutes les femmes » femmes » ? À qui mieux qu’à qu’à vous est-il est-il permis d’adresser tout haut un tel éloge ? C’est que là où est la vraie charité, là se trouve aussi la véritable humilité. EGREDERE ET ABI POST VESTIGIA GREGUM (C ANT., I, 8). Sors sur les traces de ton troupeau. L’âme sortie d’elle-même d’elle-même aspire aux divins pâturages.
Jésus s’est s’est caché, l’âme l’âme le cherche. Mais comment orienter sa recherche ? Pas de route, pas de guide, pas de lumière, pas d’étoile. Tout d’étoile. Tout lui manque à la fois et précisément à l’heure l’heure où elle aurait besoin de tout. Cependant le Bien- Aimé, Bien- Aimé, sans qu’elle s’en rende compte, veille sûr elle. Il ne l’abandonne pas. Il lui fait dire par une voix du dehors ou une voix du dedans : « Sors « Sors sur les traces de d e ton troupeau ». Que ». Que voulez-vous dire, ô Jésus, par cette parole mystérieuse ? — « Sors ». Ne reste pas en toi-même, tout occupée de ta douleur et comme reployée 1 Luc,
I, 49. IV , 7. 3 Luc, I, 28. 4 Luc, I, 42. 5 Luc, I, 46. 2 Cant.,
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
37
sur elle pour la mieux savourer. Ne pense plus à toi. Ne demeure plus chez toi. Pourquoi occuper ton esprit d’un être si petit et si pauvre que toi ? Pourquoi vouloir vivre là où tu es mal à l’aise au milieu de souvenirs et d’inquiétudes qui te tourmentent et te fatiguent ? fatiguent ? Laisse-toi là avec toutes tes peines et sors de toi pour entrer en moi, ton Dieu. C’est un bien grand secret que vous me révélez, ô mon Dieu… Oui, pour aller à vous, pour vous trouver, pour vous posséder, il faut que je sorte de moi, que je ne me recherche plus en rien, que je me perde tout à fait et pour toujours : « Que celui qui veut sauver son âme la perde — Qui amat animam suam perdet eam » eam » 1. C’est la loi que vous avez posée, vous n’en dispensez personne. Mais, Seigneur, vous connaissez ma faiblesse, mon ignorance, mon peu de générosité. Donnez-moi la force de briser tous mes liens. Je tiens encore à tant de choses ! Apprenez-moi à me détacher, à me quitter, à m’élancer vers vous ! Je ne sais comment m’y prendre. Je vous désire de tout mon cœur ; cœur ; je voudrais vous aimer jour et nuit, je souhaite à chaque instant l’heureuse possession de vous-même, vous -même, ô mon trésor, ô ma joie, ô ma vie, ô mon tout, et je ne parviens pas à sortir tout à fait de moi pour me perdre en vous. Vous savoir si près de soi, si au-dedans de soi, savoir ce que vous êtes, ô mon Dieu, et ne pas pouvoir vous atteindre, pour vous aimer cœur à cœur, esprit à esprit, loin du bruit, loin du monde, loin de soi — parce qu’on ne sait pas sortir pleinement de soi —, —, quel tourment, quel supplice ! Ô Dieu de mon cœur, ô mon amour, exaucez ma prière, n’attendez pas la fin de ma vie pour vous donner à moi ! Je vous désire, je vous aime, je vous veux tout à moi dès maintenant, toujours. Je ne sais comment vous exprimer ma faim et ma soif ; je voudrais trou ver des mots plus éloquents que l’éloquence pour plaider ma cause et la gagner. Mais j’entends au fond de mon cœur votre réponse qui est en même temps un doux reproche… r eproche… Oui, mon Dieu, ce que vous me dites est vrai, je ne vous aime pas assez. Mon amour pour vous est encore trop celui d’un enfant d’un jour. Malgré ses efforts, il ne parvient pas à m’emporter jusqu’à vous. Il essaie souvent de le faire : faire : par moments, ments, c’est à croire qu’il va y réussir. On dirait que l’âme se soulève, qu’elle bat des ailes comme pour prendre son vol vers vous. Mais ses ailes sont trop tendres, la poussée du dedans trop faible et l’union tant désirée ne se fait pas. L’âme retombe, non pas p as brisée, non pas découragée, mais humblement résignée à attendre des ailes plus fortes et la victorieuse impulsion de l’amour. Quand sera-ce, sera-ce, ô mon Jésus ? Quand viendra-t-il cet heureux moment du triomphe de votre amour ? Quand me ferez- vous entendre l’appel l’appel mystérieux : « Ecce « Ecce Sponsus 1 Joan.,
XII, 25.
38
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
venit, exi… obviam ei » » 1 ? Quand prononcerez-vous cette parole libératrice : « Veni » » 2 ? Vous être le Maître. Vous ne me devez rien. C’est mille et mille fois vrai. Mais vous êtes bon. J’espère. En attendant votre appel définitif, vous voulez que l’âme qui vous aime sorte d’elle-même d’elle-même et se mette à votre recherche, marchant à la suite de son « troupeau » troupeau » et « suivant ses ses traces ». traces ». Voilà des paroles bien mystérieuses, Maître, expliquez-les-moi expliquez-les -moi ! L’âme humaine est simple, elle elle est riche pourtant d’une réelle variété de facultés distinctes d’elle-même d’elle-même et distinctes entre elles. Pénétrée par la grâce, elle ne perd rien de sa simplicité, mais devient beaucoup plus riche encore et d’une richesse qui ne se mesure pas à la première mise divine, qui ne se compare même pas avec elle parce qu’elle est d’un autre ordre. C’est qu’avec la grâce qui la rend participante de la vie même de Dieu, elle a reçu et les vertus surnaturelles et les dons du Saint-Esprit. « Une seule âme est un diocèse assez grand pour un évêque », disait le bon saint François de Sales. Il avait bien raison. Une âme, surtout une âme juste, est un petit « univers ». Cet univers a sa fin, sa loi, sa force vive. Sa fin, c’est Dieu luilui -même dans l’unité de sa nature et la Trinité de ses Personnes. Sa loi, c’est la volonté sainte de ce Dieu béni, quelque forme qu’elle prenne. Sa force vive, c’est la grâce qui éclaire et qui meut tout ensemble. Dieu ne cesse d’attirer à lui cet univers qui vient de lui et qui ne peut trouver son repos qu’en lui. Même quand elle ne s’en rend pas compte, l’âme subit cet attrait mystérieux. Tout en elle lui est soumis et tend à l’être de plus en plus. Si le bon Dieu l’éclairait sur elle-même, elle-même, elle verrait toutes ses facultés, toutes ses vertus tournées vers Dieu, orientées vers lui et allant comme à sa rencontre. L’instinct naturel conduit le troupeau vers son pâturage ; l’instinct surnaturel mène vers Dieu avec une sûreté merveilleuse, le petit « troupeau » des facultés, des vertus et des dons. Pour aller à Dieu, l’âme n’a qu’à marcher « sur les traces de son troupeau ». troupeau ». DIRECTION SPIRITUELLE À toute heure donc, ô Esprit divin, vous exercez par votre grâce une suave et forte attraction sur les facilités de mon âme. Vous avez même versé en moi vos dons mystérieux. Ils sont là comme com me des d es voiles qui attendent le vent favorable, comme des cordes de lyre au repos, attendant elles aussi que vous leur fassiez rendre des sons divins. Mais vous n’agissez que si nous vous confions sans conditions le gouverna il de 1 Matth., 2 Cant.,
XXV , 6. II, 10.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
39
notre petite barque. À vouloir alors nous mêler de la conduite, nous ne ferions que vous gêner et y perdre. Vous ne nous demandez que la parfaite, vivante et joyeuse docilité. Vous nous rendez, c’est vrai, sourds, aveugles, paralytiques, mais c’est pour pour nous apprendre que nous ne pouvons rien de nous-mêmes, et surtout pour nous faire entendre, voir, marcher, agir en véritables enfants de Dieu : « Qui Spiritu Dei aguntur, hi sunt filii Dei » » 1. Comme il est sage, ô divin Esprit, de se laisser conduire par vous ! Vous connaissez le but de ma vie. Vous en avez dressé le plan. Vous travaillez sans relâche à son exécution. Si l’œuvre n’est pas plus avancée, la faute n’en est pas à vous, certes, mais à moi. Tant de fois, enfant capricieux, inconsidéré, et, disons d isons le mot, coupable, j’ai détruit d’un seul acte ce que vous aviez mis tant de patiente activité à édifier ! Si encore, comprenant ma folie, je vous laissais maintenant construire en toute liberté, vous aidant même au moins par ma parfaite docilité ! Hélas ! comme je dois vous demander pardon, comme je dois vous bénir de ne pas vous être découragé. Comme je dois vous remercier de tout ce que vous voulez bien encore faire pour moi ! Ô divin Esprit, tout de sagesse, de miséricorde et d’amour, donnez-moi donnez -moi de découvrir vos miséricordieux desseins sur moi et d’être désormais entre vos mains bénies l’instrument intelligent, souple et docile que vous voulez que je sois. C’est à ce prix seulement que je procurerai votre gloire et que je goûterai le vrai bonheur. Comment y parvenir ? En renonçant à me conduire moi-même ; en suivant d’acte en acte, de minute en minute, les « directives « directives » que vous me donnez, soit du dehors, soit du dedans, en pratiquant ce qui s’appelle dans le langage chrétien l’obéissance à la grâce. C’est elle qui me dit aux heures d’obscurité et de froid quand Jésus-se Jésus -se cache : « Mène paître tes chevreaux près chevreaux près des huttes des bergers — Et pasce haedos tuos juxta tabernacula pastorum » pastorum » 2. Les facultés ne peuvent rester sans nourriture. Puisque Jésus paraît ne plus les nourrir luimême, il faut leur donner l’aliment dont elles ont besoin, et comme le dit sainte Thérèse, « quand une eau vient à manquer, la remplacer par une autre ». — L’âme doit alors diriger son troupeau « près « près des huttes des bergers ». bergers ». Quels sont ces mystérieux bergers ? Entendons qu’il s’agit des vrais directeurs d’âmes, et avec eux ou à leur défaut des ouvrages des saints. Il y a des familles d’âmes. Chacune d’elles a son père, son chef, son berger. Sauf exception, il n’est pas bon à une âme tendant à la vie parfaite de rester seule ; il est mieux qu’elle se rattache à une famille spiri1 Car
tous ceux qui sont conduits conduits par l’Esprit de Dieu sont fils fil s de Dieu (Rom., VIII, 14). I, 8.
2 Cant.,
40
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
tuelle, au moins d’une façon large, en communiant à son esprit, à sa manière d’envisager la perfection et d’y travailler. L’important pour une âme n’est pas d’être unie à tel groupe plutôt qu’à tel autre, mais bien à celui qui, pour elle, constitue un moyen moy en providentiel de sainteté. sainteté . Et cette famille une fois trouvée, elle doit y chercher une direction positive, précise, personnelle et pratique. Le vrai Directeur.
Comme on est heureux, ô mon Dieu, quand on découvre ce Directeur, ce vrai Père dont on sentait si vivement le besoin ! Il faut le choisir entre mille, c’est vrai. c’est vrai. Mais quel bienfait de le rencontrer enfin ! Le souvenir de sainte Chantal et de saint François de Sales vient de luimême à l’esprit. Comprend-on l’esprit. Comprend-on bien la nature du lien tout spirituel qui unissait suaviter et fortiter 1 ces deux grandes âmes ? D’une façon D’une façon générale, il faut répondre « non ». Il en va ainsi du reste de tout ce qui dépasse la mesure commune… Mais commune… Mais laissons… Quelle laissons… Quelle joie pour sainte Chantal que de sentir son âme entre les mains d’un d’un tel directeur ! Tout son devoir se ramène à obéir. Elle peut le faire en toute sécurité. Elle le sait. De son côté, saint François de Sales comprend toute la valeur d’une d’une telle âme. Il peut lui appliquera la lettre ce qu’il qu’il aime à dire : « Qu’une Qu’une seule âme est un diocèse assez grand pour un évêque ». Elle devient de sa part l’objet d’une sollicitude d’une sollicitude intelligente et affectueuse, patiente et persévérante, douce et ferme. Il veut le bien de cette âme, il le veut profondément et il ne veut que cela. Comme il y travaille ! Il prie, il écrit, il parle, et toujours son seul but est d’unir cette âme au bon Dieu. Voilà pourquoi tout ce qu’il fait qu’il fait pour elle tend à l’embraser de l’embraser de plus en plus d’amour de d’amour de Dieu ; il lui fait renverser tous les obstacles un à un, en souriant, mais sans pitié : restes de manières mondaines, goût pour les exercices réglés « ne varietur », varietur », affections mêmes les plus légitimes, etc., etc. ; tout est sacrifié au pur et saint amour de Dieu. Pour que celui-ci règne en maître, il n’hésitera n’hésitera pas à écrire qu’il qu’il faut « nous mortifier jusqu’au jusqu’au fin fond ». Comme de tels conseils honorent celui qui les donne et celle qui est digne de les rece voir ! Doit-on dire que saint François de Sales aime sainte Chantal ? Oui, mais au sens le plus élevé, le plus profond, le plus chrétien de ce mot. Aimer, c’est c’est vouloir du bien. Le Bien unique d’une d’une âme, c’est Dieu. Aimer une âme, c’est c’est donc vouloir que le bon Dieu soit tout à cette âme et cette âme toute à Dieu. Saint François de Sales ne veut que cela. Rien n’est pour n’est pour lui dans cette affection pourtant si profonde. Il est désintéressé au sens le plus absolu et le plus universel de ce mot. Pas une fibre de son cœur qui ne soit toute détrempée d’amour de 1 Avec
douceur et avec force (Sag., VIII, 1).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
41
Dieu, et, par suite, ignorante de tout ce qui ne serait pas cet amour. Il est heureux, certes, mais son bonheur lui vient uniquement de ce qu’il aime son Dieu et de ce qu’il peut le faire aimer par sa sainte dirigée. Oui, heureuse sainte Chantal d’avoir enfin trouvé son pasteur et son guide, heureux saint François de Sales d’avoir trouvé une véritable amie de Dieu ! À l’école des Saints.
Pour compléter les conseils de son directeur, ou pour y suppléer quand elle manque manque de guide, l’âme éprise de perfection doit se mettre à l’école des Saints. Ici encore, un choix s’impose, bien que sans esprit d’exclusion systématique. Le directeur, ou, à son défaut, l’attrait intérieur, indiquera vers « quelles huiles de bergers » l’âme l’âme doit se diriger. Si, du reste, elle s’est unie déjà de cœur et d’esprit à une famille spirituelle, le choix des maîtres se fera comme de lui-même. Il sera bon de s’y tenir pour l’ordinaire, afin d’éviter la dispersion et de mieux se pénétrer de leur esprit et de leur doctrine. Quelle lumière ne trouve-t-on pas, par exemple, dans la méditation des pages de saint Thomas d’Aquin, d’Aquin, sur Dieu, sur la Trinité, sur la Grâce, sur les Vertus et les Dons du Saint-Esprit, sur la vie active et la vie contemplative, sur le Verbe Incarné et sa très sainte Mère, sur l’Eucharistie, l’Eucharistie, sur le Ciel ! — Quels doux moments ne passe-t-on pas dans la compagnie d’une d’une sainte Thérèse, d’un d’un saint Jean de la Croix, d’un saint d’un saint François de Sales ! Quel entrain et quelle vie chez la réformatrice du Carmel ! Quelle précision et quelle profondeur chez son humble enfant, le Docteur mystique ! Quelle douceur et quel charme chez l’aima ble l’aima ble fondateur de la Visitation ! Pour ne parler que de ceuxlà, sans détriment pour tant d’autres. On d’autres. On ne se lasse pas de les lire, de les relire, de les méditer. Il est si agréable de les comprendre, si bon de les goûter, si précieux de les suivie et surtout selon la grâce de les imiter. Ce sont de si bons maîtres, des amis si sincères, des bienfaiteurs si accueillants, si riches, si généreux ! Au fond, ne peuvent-ils pas devenir si nous le voulons, et si nous le leur demandons humblement, les compagnons affectueux aff ectueux et discrets de notre vie vi e intime ? Pourquoi ne commencerions-nous pas à les aimer et à les fréquenter eux-mêmes dès ce monde, comme nous espérons pouvoir le faire un jour dans le ciel ? Pourquoi s’étonner du reste que leurs écrits comme leurs exemples éclairent, fortifient et réchauffent ? Sur terre ils vivaient tout près du bon Dieu, dans sa douce familiarité. familiarité. Mieux que d’autres, ils ont été unis à Jésus et lui ont servi d’« humanité de surcroît ». Le front de Moïse, revenant de s’entretenir avec Dieu, rayonnait de lumière et de
42
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
feu. Il en est ainsi de tous les saints. Leur regard a plongé plus avant dans le mystère divin. Leur cœur s’est approché plus près du buisson ardent de l’Amour. « Celui qui Est » » 1 se les est unis plus profondément et leur a communiqué quelque chose de sa force immuable. Pourquoi donc s’étonner que, redescendus des hauteurs de la contemc ontemplation, leur parole soit lumineuse, leur accent tout de feu, leur action irrésistible et conquérante ? À l’exemple de saint Thomas, ils voudraient redire à tous la beauté du Dieu qu’ils ont contemplé : contemplé : « Contemplari et contemplata aliis tradere » 2 ; ou, comme une sainte Thérèse, ils rêvent « de prendre les âmes aux charmes du Bien si divin » qu’ils ont goûté. N’hésitons pas, suivons ces bergers. EQUITATUI MEO IN CURRIBUS PHARAONIS ASSIMILAVI TE, AMICA MEA (C ANT., I, 9). À ma cavale quand elle est attelée aux chars de Pharaon, je te compare, ô mon amie. Plaire à Dieu, seul bonheur à ambitionner.
Pendant que l’âme fidèle, dans son angoisse d’amour, cherche Jésus, le demande à tous ceux qu’elle suppose capables de lui indiquer où il se trouve, Jésus la contemple, il la trouve belle. Il est ravi par sa beauté. Il ne peut plus ne pas le lui dire et il le lui dit. Quel moment béni que celui où l’âme comprend qu’elle plaît, à son Dieu. « Plaire à Dieu ! », que de choses dans ces trois mots ! Que leur manque-t-il ? Ne contiennent-ils contiennent-ils pas tout pour le présent et pour l’éternité ? Savoir que Dieu est content, qu’il lui est doux de penser à nous, de nous regarder, que ce regard qu’il daigne abaisser sur nous fait retour vers lui, tout chargé de sourires et de joies, joie s, que dans ce retour, il va jusqu’au plus intime de son cœur et qu’il nous y fait pénétrer avec lui afin que nous puissions sourire au Bien- Aimé Bien- Aimé et l’aimer comme de plus près ! près ! Vous plaire, ô mon Dieu, que faut-il de plus â mon bonheur ? Rien. Pourquoi chercher autre chose ? Non, vraiment, rien ne peut exprimer la joie de l’âme quand elle entend son Dieu l’appeler « mon amie ». L’éloge qu’il fait d’elle passe comme un éclair lumineux dans son ciel intérieur, mais le doux nom d’amie pénètre comme une flèche jusqu’au flèche jusqu’au fond fo nd de son cœur. Il lui fait une délicieuse blessure qui la remplit d’aise et l’enivre de bonheur. Il y a de quoi, les angoisses du passé, les nuits obscures, les déserts sans 1 Exode,
III, 14.
2 IIa IIae, q. 188, a. 6.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
43
eau, les gouffres sans fond, les appels sans réponse, tout est loin, bien loin. Tout est oublié. Le divin Époux a parlé. Il a prononcé le mot qui dit tant de choses et avec un accent qui dit plus encore. Il semble que son cœur si bon, si aimant, passe tout entier dans sa voix. Et c’est vrai. L’âme le comprend. Elle est ravie à mourir. Elle n’aurait jamais pu croire à un bonheur si doux, si profond, si divin ! Ô Jésus que vous êtes bon ! PULCHRAE SUNT GENAE TUAE SICUT TURTURIS (C ANT., I, 10). Tes joues sont belles au milieu des colliers. Les vertus gagnent en vigueur et en beauté beauté en proportion de l’amour de Dieu.
Jésus ne cesse de complimenter son Épouse. Ce qui fait la beauté de l’âme, c’est la charité : charité : amour du bon Dieu, amour des âmes pour le bon Dieu pour lui-même. lui-même. On dit que les affections vives du cœur se traduisent, suivant les natures, par la pâleur ou la rougeur subite du visage. Il semble que l’âme doive à sa manière, toute spirituelle, livrer comme au dehors le secret de sa vie la plus intime. Mais cette vie précisément n’estn’est-elle pas toute d’amour ? N’estN’est-ce pas l’Esprit l’Esprit du Père et du Fils, l’Esprit d’Amour qui la donne, l’augmente et la porte à sa perfection ? Est-ce que la charité, qui est une, puisque dans son fond elle est une intime amitié entre Dieu et l’âme, ne s’étend pas, sans cesser d’être une, jusqu’au prochain, jusqu’aux ennemis mêmes parce qu’ils sont de Dieu ? Elle n’a toujours qu’un seul cœur, c’est vrai, mais elle a deux yeux, elle a deux joues, l’une qu’elle tend aux baisers du Père, l’autre aux baisers de ses frères. C’est ce qui ravit Jésus, lui le Dieu le Dieu fait homme pour réconcilier l’homme et Dieu dans l’amour. Mais la charité ne va pas sans son cortège de vertus. Ces vertus sont les colliers de l’Épouse. Elles protègent et elles embellissent. Ce sont des forces et ce sont des joyaux. Elles ne sauraient porter ombrage à la charité puisqu’au fond c’est d’elle qu’elles tirent toute leur valeur. Plus l’amour de Dieu grandît dans une âme et plus les vertus gagnent en vigueur et en beauté. Et si l’on veut connaître la richesse de ce royal cortège, qu’on relise l’incomparable énumération qu’en fait saint Paul aux Corinthiens et qui commence par ces mots : « Caritas patiens est , benigna est » » 1, etc. La vraie charité ne se conçoit pas sans cette magnifique efflorescence de vertus, et ces vertus puisent toute leur sève à la source inépuisable et unique du divin amour. « Caritas est vinculum 1 La
charité est patiente, elle est bonne (I Cor., XIII, 4).
44
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
perfectionis » perfectionis » 1. « Plenitudo legis est dilectio » dilectio » 2. « Dilige et quod vis fac » fac » 3. Et le poète, parlant de la charité fraternelle, s’écrie : s’écrie : Miséricordes infinies Pour être au-dessus des génies Il suffit de savoir aimer 4.
Comme le poète a raison ! COLLUM TUUM SICUT MONILIA (C ANT., I, 10). Ton cou est beau au milieu des rangées de perles. L’âme aimante est belle parce qu’elle est forte.
Jésus ne se lasse pas de contempler contempler l’âme l’âme fidèle, sa bien-aimée, d’admirer sa beauté et de lui exprimer son admiration. Sa force en particulier le ravit. Il est le Dieu fort, « Deus « Deus fortis » fortis » 5. Il aime ce qui lui ressemble. « Vertu Vertu » veut dire force, énergie accumulée, courage intrépide et persévérant. Ici cette force est symbolisée par le cou. L’âme qui aime vraiment Jésus est une âme vertueuse, c’est une âme forte. Quoi de plus fort que l’amour de Dieu ? Dieu ? « Fortis est ut mors dilectio » lectio » 6. Elle est forte comme une armée rangée en bataille. C’est C’e st d’une main ferme qu’elle se gouverne elle-même. elle-même. C’est d’une main rigoureuse goureuse qu’elle repousse les attaques de ses ennemis : ennemis : le monde et le démon. C’est d’une main puissante qu’elle les réduit au silence et qu’elle les tient sous sa domination. Une âme aimante ai mante est belle parce qu’elle est forte et que sa force excite l’admiration de Jésus. Il est venu au monde pour établir le royaume de son Père sur les ruines du royaume de Satan. C’est Lui, Jésus, qui triomphe dans l’âme victorieuse. Alors il est heureux, il est fier. MURENULAS AUREAS FACIEMUS TIBI , VERMICULATAS ARGENTO (I, 11). Nous te ferons des colliers d’or, pointillés d’argent Œuvre ineffable de ineffable de la Trinité Sainte dans l’âme fidèle.
L’Époux veut concourir à la parure de son Épouse, afin qu’elle soit plus belle encore et plus digne de lui. Il semble même que Jésus ne 1 La
charité est le lien de la perfection (Col., III, 14). est la plénitude plénitude de la loi (Rom., XIII, 10). 3 Aime et fais ce que tu veux (Saint Augustin). 4 Clovis Hugues. 5 Isaïe, IX, 5. 6 Cant., VIII, 6. 2 L’amour
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
45
soit pas seul à parler ici. Le Père et l’Esprit d’amour sont d’accord avec lui. Ils se proposent tous trois d’enrichir la sainte Épouse « de colliers d’or aux points d’argent ». d’argent ». Toutes les œu vres œu vres divines dites « ad extra » tra » sont communes aux trois adorables Personnes de la très Sainte Trinité. La perfection d’une âme est une de ces œuvres et des plus belles. Mais l’usage attribue telle partie de cette œuvre au Père, telle autre au Fils et telle autre au Saint-Esprit à raison des harmonies qui existent entre ces effets et les caractères distinctifs de chacune des trois Personnes de la très sainte Trinité. Voilà pourquoi on peut voir ici tout ensemble une œuvre commune, mais frappée au coin personnel de chacune des trois adorables Personnes. Le collier donné par le Père, c’est sa propre nature, sa vie. C’est en cela qu’il est Père de l’âme et que l’âme est son enfant. Plus une filiation, dit en substance saint Thomas, se rapproche de la filiation du Verbe et y participe, plus elle el le est parfaite. Pour l’âme l ’âme humaine, cette filiation ne sera parfaite que dans le ciel. Mais entre le premier pas dans la grâce et le premier pas dans la gloire, il y a de nombreux degrés d’ascension. Quand Dieu parle à une âme â me comme il le fait à la sainte Épouse du Cantique, c’est qu’elle est devenue son enfant à un degré qui tient plus du terme que de la voie. Non seulement elle est l’enfant aimée, chérie du bon Dieu, mais elle le sait en quelque façon. Elle a comme une sorte de conscience sourde, mais très réelle, de vivre dans le sein du Père, d’être portée par lui, nourrie par lui, de grandir mystérieusement en lui jusqu’à la plénitude de l’âge du Christ. Dieu lui dit dans un sens plénier la parole de saint Paul : « Filiola « Filiola quam iterum parturio donec formetur Christus in te » te » 1. À de certaines heures, elle se rend mieux compte du progrès de la vie divine en elle-même. On dirait qu’il y a des crises de croissance dans la vie intérieure comme dans la vie physique. C’est ce que, qu e, semble-t-il, saint Thomas appelle « mission divine invisible » dans l’âme. L’identification, autant qu’on en peut parler ici, entre le Père et l’enfant devient plus parfaite, l’intimité plus profonde, la communauté de vie et d’être plus étroite et plus constante. Le Père semble ne plus vouloir garder pour lui que le doux privilège de donner et de tout donner, et l’enfant celui bien doux aussi de recevoir et de tout recevoir. Oui, saint Thomas a bien dit que plus une filiation ressemble à celle du Verbe, plus elle est parfaite. Il a bien parlé aussi, ô mon Dieu, celui qui a dit que nul n’était Père comme vous. « Nemo « Nemo tam Pater » Pater » 2. Voilà le collier d’or aux points d’argent, donné par le Père à sa chère enfant. 1 Cf.
Galat., IV , 19 : Mes petits enfants pour qui j’éprouve j’éprouve les douleurs de l’enfantement l’enfantement jusqu’à jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. 2 Tertullien.
46
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Au Verbe divin d’orner à son tour sa sainte Épouse. Épouse. Il est la Parole qui dit tout puisqu’il dit le Père et tout ce qui procède du Père. Il est la Sagesse selon qui tout a été fait avec nombre, poids, mesure. Il est l’Époux, l’Ami intime de l’âme. Entre époux et épouse, entre amis, les secrets n’existent pas. Autant qu’il est en lui, le Verbe voudrait révéler à sa sainte confidente tous les secrets divins : la vie intime de Dieu, l’ordre et la raison des choses tant naturelles que surnaturelles, la fin dernière de tout, cette douce gloire de Dieu et cette ineffable béatitude des anges et des saints. Il veut de tout son cœur faire communier son Épouse à la vraie Sagesse, à lui-même. Il lui ouvre peu à peu les yeux pour lui faire contempler les divines réalités, pour lui faire juger de toutes choses à la lumière de cette révélation qui lui apprend que tout n’est rien et que Dieu seul est tout, pour lui faire ordonner toutes choses en elle et autour d’elle en vue de l’éternelle contemplation, de l’éternelle Beauté. Ce qui met le comble à la joie de cette con naissance, c’est qu’elle n’est pas seulement une traduction tout à fait neuve de la réalité divine, mais surtout parce qu’elle met l’âme, au moins par moments, comme en contact direct, immédiat avec celui qu’elle traduit, et qu’elle le fait comme goûter d’une d’une façon mystérieuse, profonde, pleine de sécurité et de charme. Ce n’est plus l’idée de la réalité, c’est la réalité même qui se donne à constater, à expérimenter, à goûter. L’âme a rencontré son Dieu. Dieu s’est dit et s’est donné à l’âme. Elle a désormais pour juger de tout une mesure nouvelle. Si l’on ose dire, elle sait un peu le goût qu’a le bon Dieu. Elle peut décider d’instinct de ce qui participe à ce goût divin et de ce qui ne l’a pas. C’est la vraie Sagesse. C’est le collier d’or aux points d’argent d’ar gent que son Époux le Verbe lui a fait et lui a donné comme gage de son amour. À l’Esprit d’amour d’achever ce que le Père et le Verbe ont si bien commencé. Dans l’âme comme en Dieu, tout se repose dans l’amour. La manifestation faite à l’âme de la douce beauté b eauté de Dieu lui en a révélé tout le charme. Le goût de Dieu suppose l’amour et il y conduit. Plus l’âme connaît Dieu de cette connaissance quasi-expérimentale, quasi -expérimentale, plus elle l’aime. Sa charité grandit à chaque instant comme sans mesure. L’âme communie de plus en plus à l’Esprit-Saint l’Esprit -Saint puisque la charité créée est une participation à la charité personnelle en Dieu, à celui qui procède du Père et du Fils et qui les unit si étroitement l’un à l’autre. L’Esprit d’amour enflamme le cœur de celle qui est l’enfant bénie bé nie du Père, l’Épouse chérie du Fils, sa demeure, son temple, son œuvre, son autre lui-même, sa bien-aimée à lui aussi. Il la rend de plus en plus semblable à cette adorable Trinité qu’il lui apprend à aimer. Il la meut sans cesse vers elle. Il la pousse jusque dans ses bras, jusque dans son cœur. Il n’est heureux que lorsqu’il la voit toute consumée d’amour, prête à en mourir. Oh ! le beau collier d’or aux points d’argent que celui de l’amour, donné à l’Épouse par l’Amour.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
47
DUM ESSET REX IN ACCUBITO SUO , NARDUS MEA DEDIT ODOREM SUUM (C ANT., I, 12). Tandis que le Roi est à son divan, mon nard exhale son parfum. La vie de l’âme fidèle est pour Dieu comme un précieux parfum.
L’âme fidèle est toujours en adoration devant son Dieu. C’est une lampe qui se consume, une mélodie qui se déroule gracieusement, une fleur qui s’épanouit et répand son doux parfum. À certaines heures, elle se rend compte qu’elle brûle, qu’elle brûle, qu’elle chante, qu’elle chante, qu’elle embaume. qu’elle embaume. Dieu permet qu’elle sache qu’elle sache que son ardeur lui plaît, que sa voix lui est agréa ble, que son so n parfum le réjouit. Il n’est plus aussi caché qu’autrefois : qu’autrefois : il donne à entendre qu’il est là, tout près, à son divan, au fond du cœur et que, s’il paraît reposer, il est cependant éveillé et attentif. Il fait sa voir, par un procédé qui n’est qu’à lui, que les mille marques d’affecd’affec tion que l’âme ne se lasse pas de lui donner, sont chères à son cœur. C’est pour lui un encens d’agréable odeur. C’est le parfum caractéristique de sa Bien- Aimée. Bien- Aimée. Il le charme en lui parlant d’elle et de son amour. amour. Et la sainte Épouse le sait. Ô mon Dieu, quelle joie pour l’âme que cette douce constatation ! Vous sentir là au-dedans de soi, vous, le Dieu si bon, si puissant ! Comprendre que vous y êtes comme dans le lieu agréable de votre repos ! Savoir d’une manière manière saisissante que vous voulez bien vous plaire dans ce pauvre cœur dont le seul mérite est d’être tout à vous ! Vous faire plaisir comme fait plaisir la vue d’une belle fleur ! Vous charmer comme charme un parfum pénétrant et sain ! Vous savoir heureux, surprendre la joie sur vos traits et jusque dans vos yeux : comme tout cela est précieux pour l’âme l’âme ! Que sont tous les sacrifices au prix de celle joie ? Que sont tous les bonheurs auprès de ce bonheur ? Rien ! mon Dieu ! rien. C’est même leur faire la part trop belle encore que de penser à eux. Ô mon Dieu, accordez-moi cette grâce d’être pour vous un agréable et doux parfum. F ASCICULUS MYRRHAE DILECTUS MEUS MIHI ; INTER UBERA MEA COMMORABITUR (C ANT., I, 13). Mon Bien-Aimé est pour moi un sachet de myrrhe. La souffrance est le parfum de Jésus pour l’âme intérieure.
L’Épouse, comme une autre Madeleine, a parfumé l’Époux du nard précieux de ses vertus et de son amour. Jésus ne veut pas se laisser
48
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
vaincre dans cette aimable lutte. À son tour d’embaumer l’âme aimée l’âme aimée de son parfum à lui, voilà pourquoi il s’offre à elle comme un sachet de myrrhe à placer tout près de son cœur, afin qu’elle puisse en respirer l’arôme à chaque instant. Mais c’est Jésus flagellé, couronné d’épines, crucifié, qui veut ainsi reposer sur le cœur de sa fidèle Épouse. Elle comprend la nature du présent qui lui est fait ! Loin d’en être effrayée, elle s’en réjouit. Oui, ô mon Dieu, quand on vous aime, on veut partager vos souffrances, boire à votre calice, porter votre croix, y être cloué avec vous. Oh ! ces clous de la souffrance, qui attachent pour toujours à la croix, de Jésus, qu’ils sont aimés de mon cœur ! cœur ! Y a-t-il une joie au monde comparable à celle de se sentir cloué à la croix avec Jésus ? Aucune extase n’est douce comme celle-là celle -là,, parce qu’il n’y en a pas où l’amour se sente plus vivant, plus profond et plus vrai… Merci mille et mille fois, ô Bien- Aimé Bien- Aimé de mon cœur, du sachet de myrrhe que vous m’avez donné à respirer. Vous ne pouviez pas me prouver plus clairement votre affection. Que la souffrance pénètre tous les moments de ma vie, tous et chacun de mes actes, comme un parfum sans prix ! Doux Jésus crucifié, restez là sous mes yeux, sur mon cœur, et donnezdonnez moi la grâce de sourire à toute souffrance comme à un rayon de soleil tout embaumé de la plus suave odeur. BOTRUS CYPRI DILECTUS MEUS MIHI IN VINEIS ENGADDI (C ANT., I, 14). Mon Bien- Aimé Bien- Aimé est pour moi une grappe de cypre des vignes d’En gaddi. Le bonheur d’aimer Dieu est Dieu est une participation au bonheur même de Dieu.
Les fleurs de cy pre pre sont un peu couleur d’or ; d’or ; elles répandent une odeur semblable à celle du réséda ; elles aiment beaucoup la chaleur. On les dit très recherchées des Orientaux. Pour traduire le charme spirituel de son divin Époux, l’âme intérieure se sert de cette image beaucoup plus riche dans la langue bi blique que dans la nôtre. Qui nous empêche d’y voir un symbole de l’ardente charité de Jésus pour l’âme aimante, et de l’âme aimante pour Jésus ? C’est que la souffrance, représentée par la myrrhe, n’est pas une fin cherchée pour elle-même, elle- même, elle n’est qu’un moyen. Elle sert à manifester l’amour. Elle est l’occasion et comme la matière préférée de la divine charité ; elle n’est la source même, ni du mérite, ni de la beauté de l’âme. Il faut toujours en revenir au divin Amour. Jésus n’est n’ est pas seulement la grappe de raisin des vignots d’Engaddi, il est aussi la grappe de cypre aux fleurs jaune d’or. Tout cela parle de charité. L’Épouse, qui ne sait plus qu’une chose, aimer, cherche à traduire de
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
49
mille manières sa profonde affection. Tout ce qui peut servir à son pieux dessein, elle l’utilise. Voilà pourquoi elle emploie cette comparaison qui dit beaucoup à son cœur et à celui de son Dieu. C’est que l’amour divin ne laisse aucun repos à l’âme, dont il s’est emparé, il la meut sans cesse. Il est sa vie. Et cette vie devient à chaque instant plus profonde, plus intense, plus active. Le pouvoir d’aimer grandit tou jours. D’autre part, Dieu, vers qui il porte l’âme tout entière, semble sem ble se rapprocher de l’âme elle-même elle-même comme pour répondre répondre à l’appel mystérieux de cet amour que lui seul a fait naître et que lui seul peut satisfaire. Or, ce bonheur de l’âme, qui sent se dilater en elle sa capacité d’aimer Dieu à la manière d’un appétit, et qui se rend compte que Dieu se donne à elle à la manière d’une nourriture, ce bonheur-là est une réelle participation au bonheur de Dieu. L’âme voudrait toujours le goûter. C’est ce qui lui arrive quand elle pense à son Bien -Aimé, quand elle parle de lui, quand un rien, une fleur, un rayon de soleil, une douce mélodie l’oblige à prendre de nouveau plus vivement conscience d’elle-même d’elle-même et de son bonheur. Pour ceux qui ne savent pas le secret de sa vie, son cri d’amour paraît monotone. Mais pour elle il est tou jours délicieux et toujours nouveau. « Ô Amour », disait sainte Thérèse, « je voudrais sans cesse redire ton nom ! » ECCE TU PULCHRA ES, AMICA MEA , ECCE TU PULCHRA ES (C ANT. I, 15). Oui, tu es belle, mon amie, oui, tu es belle. Expérience que fait l’âme de l’amour de bienveillance de son Dieu.
À son tour, l’Époux proclame la beauté de l’Épouse : l’Épouse : « Oui, tu es belle ». Il semble qu’il réponde à une muette interrogation de l’âme. Celle-ci Celle-ci fait tout ce qu’elle peut pour se rendre agréable aux regards de son Jésus. Elle évite jusqu’aux moindres imperfections. imperfectio ns. La plus petite tache morale lui fait horreur. Si ce malheur lui arrive, elle s’efforce aussitôt de le réparer par les plus affectueux regrets. Elle n’a de paix que lorsqu’elle entend son divin Ami la rassurer et lui dire : dire : « Oui, ne vous inquiétez plus, tout est es t oublié, tout est effacé, tout tou t est de nouveau nouve au dans l’ordre et l’harmonie. Vous êtes belle à mes yeux et vous savez bien que je suis bon juge ». Quel baume sur le cœur que cette délicieuse parole, venant d’une bouche si divine et si aimée ! C’est presque à dire « felix « felix culpa », culpa », tant on est heureux. Ô mon Jésus, faites que je l’entende, et par deux fois, cette parole qui pacifie et qui béatifie. Il est une autre circonstance où l’âme intérieure est heureuse de recevoir les compliments de Jésus. C’est C’es t quand elle a surmonté un gros obstacle ou pratiqué un devoir difficile en vue de plaire uniquement à
50
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
son Bien-Aimé. Jésus aime les âmes généreuses ; quand il en rencontre une, il se plaît à lui faire trouver mille occasions et parfois bien déconcertantes de pratiquer l’amour généreux. Souvent même, il ajoute à la difficulté en se cachant de l’âme et en la laissant seule en apparence aux prises avec de grands travaux, de grandes peines, de grandes souffrances. Mais aussi quand l’âme fidèle a bien prouvé par pa r sa constance et sa fermeté la force et le désintéressement de son affection, il se montre de nouveau. Il témoigne de sa joie de posséder une Épouse si généreuse et si aimante. Il lui redit le mot qui la récompense au centuple : « Ecce « Ecce tu pulchra es, amica mea, ecce tu pulchra es ». À mesure que l’âme progresse dans le divin amour, le titre d’« amie mie » que Jésus lui donne prend un sens plus profond et plus vrai. C’est que la charité est essentiellement une amitié entre Dieu et l’âme. Elle est un amour de bienveillance bienveillance de Dieu pour l’âme et de l’âme pour Dieu. Cet amour est connu de l’âme et de plus en plus. Voilà ce qui lui donne tant de charmes. L’âme se sait vraiment aimée de Dieu et personnellement. Elle se sent comme enveloppée par une Providence particulière, ticulière, et c’est pour ainsi dire à chaque pas qu’elle se voit l’objet des plus délicates prévenances. Rien n’est doux pour son cœur comme de s’apercevoir après coup qu’elle a été éclairée, dirigée, fortifiée, protégée par quelqu’un qui est tout près d’elle, d’elle , au dedans même, et qui lui témoigne incessamment et de mille manières sa profonde affection. OCULI TUI COLUMBARUM (C ANT., I, 15). Tes yeux sont comme des yeux de colombe. Le regard regar d de l’âme intérieure est pur, il ne voit que q ue Dieu, Dieu, il le voit en tout et voit tout en lui.
Le privilège du regard, c’est de manifester les sentiments de l’âme. On dit volontiers que les yeux sont comme un miroir où l’âme se reflète et se peint. « Si « Si oculus tuus fuerit simplex, totum corpus tuum lucidum erit » » 1. L’Époux déclare que les yeux de l’Épouse ressemblent à des yeux de colombe, ou colombe, ou même à des colombes. Il est entendu que la colombe est le symbole de l’affection pure, fidèle, profonde, comme de la méditation silencieuse et paisible. Jésus est heureux quand il trouve une âme âm e qui l’aime pour luiluimême, qui ne pense qu’à lui, ne vit et ne souffre que pour lui, qui ne se recherche elle-même en rien, ne fait aucun retour intéressé sur elle1
Si ton œil est sain, tout ton corps sera dans la lumière (Matth., lumière (Matth., VI, 22).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
51
même et met toute sa joie à contempler, à louer, à glorifier, à aimer son Dieu et son Tout. Son regard est pur. Aucun objet que le Bien Aimé ne s’y s’ y reflète, ou, du moins, il ne s’arrête s’ arrête volontairement sur aucun objet. Il ne voit que le Bien-Aimé, il le voit en tout et voit tout en lui. La douce physionomie de Jésus se peignait dans les yeux de sa sainte Mère pendant que le regard intérieur de Marie contemplait affectueusement la l a Divinité de son cher Fils ! Ainsi faisait MarieMadeleine à Béthanie, toute proportion gardée. Ainsi faisait, mais alors par miracle, sainte Thérèse jouissant à la fois de la vision imaginative de Jésus et de la vision intellectuelle du Verbe. Les yeux de son imagination et ceux de son esprit ne voyaient plus que le Bien-Aimé. Et la faveur passée, ils restaient longtemps comme incapables de voir autre chose. Le ciel surnaturel se peint dans une âme pure comme le ciel naturel dans une eau limpide. Dieu aime ces âmes aux yeux clairs et couleur de ciel. C’est que les œuvres de Dieu lui plaisent dans la mesure où elles sont bonnes. Elles sont bonnes dans la mesure où elles le participent et, partant, lui ressemblent. Pour des facultés de connaître, sens et surtout intelligence, le moyen de ressembler, c’est de se laisser informer pleinement par l’objet à connaître. Plus elles sont identifiées en quelque sorte avec leur objet, mieux mi eux elles se l’assimilent, mieux aussi elles le connaissent et plus aussi elles lui ressemblent. Comprendre une chose, c’est se saisir intellectuellement de cette chose, la faire soi, la devenir sans devenir cependant sa nature à elle, puis se la dire à soi-même. soi-même. C’est ce que fera notre âme quand elle contemplera face à face dans le ciel son Dieu bien-aimé. bien-aimé. C’est ce qu’elle s’efforce de réaliser sur la terre dans la lumière et dans les ombres de la foi. Plus son regard spirituel est pur, plus elle communie par la foi simple à la connaissance que Dieu a de lui-même, mieux elle le « comprend », mieux elle prend avec soi, le fait sien et est faite lui dans la mesure où la terre supporte cette sublime transformation. Elle mérite alors que Dieu loue la limpidité et la pureté de ce regard où il se contemple luimême. Ce que du reste l’âme intérieure contemple ainsi, et d’une façon si constante, ce n’est pas quelque chose de vague, de lointain, non. L’objet de sa douce contemplation, son Dieu, l’aimable Trinité, est là tout près, même tout au dedans. Elle le sait pour ce qui est de la présence naturelle ; elle le croit et elle l’espère pour ce qui est de la présence surnaturelle. La paix de son cœur, le dégoût qu’elle éprouve pour tout ce qui ne lui parle pas de Dieu , la joie qu’elle ressent à se trouver seule à seul avec lui, des preuves plus intimes encore qui lui persuadent et de plus en plus que la Très Sainte Trinité veut bien mener sa vie en elle et l’y faire participer, tout cela lui donne la douce confiance que son Dieu bien-aimé bien-aimé est bien là, au dedans, et qu’il y est pour qu’elle l’adore, qu’elle l’aime, qu’elle lui parle, qu’elle le prie, qu’elle le contemple enfin, sans le voir, c’est vrai, mais comme si elle le
52
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
voyait. Son Dieu, son trésor, est désormais comme co mme sous ses yeux. Il lui suffit de les ouvrir pour le contempler. ECCE TU PULCHER ES , DILECTE MI, ET DECORUS (C ANT., I, 16). Oui tu es beau, mon Bien-Aimé, oui tu es charmant. Cris d’admiration des d’admiration des Saints.
L’âme répond à Dieu, elle proclame son admiration pour admiration pour la divine Beauté, objet constant de son affectueuse contemplation. Tout sentiment profond veut s’exprimer. Il cherche à prendre corps. De là, le cri d’admiration de l’Épouse, le « Dominus « Dominus meus et Deus meus » 1 de l’apôtre saint Thomas, le mot sublime de sublime de saint Augustin : « Ô Beauté toujours ancienne et toujours nouvelle…, etc. nouvelle…, etc. », le « Deus « Deus et omnia » 2 de saint François d’Assise ; l’exclamation de sainte Thérèse : Thérèse : « Ô Amour, je voudrais sans cesse redire ton nom », nom », et ses Exclamations. ses Exclamations. Du reste, on fait fait plaisir à Dieu en lui parlant ainsi parce qu’on proclame la vérité. On excite son amour pour lui en l’exprimant dans une formule brève, véritable flèche d’or à la pointe de feu qui part du cœur et va droit au cœur du bon Dieu. On augmente en le reconnaissant reconnais sant le charme infini et divin que la vue du Bien- Aimé Bien- Aimé exerce sur l’âme et qui qu i lui fait oublier toutes choses, tant son bonheur de contempler et aimer un Dieu si bon et d’être aimée de lui, l’élève auau -dessus d’elle-même d’elle-même dans une sorte d’extase. LECTULUS NOSTER FLORIDUS (C ANT., I, 16). Notre lit est un lit de verdure. Le divin Époux instruit l’âme sur sa vie intime en la Trinité Sainte.
L’âme intérieure se tient auprès de Jésus comme autrefois Marie à Béthanie. Ils parlent intimement, familièrement. Le beau ciel bleu couvre leur tête ; l’horizon infini est ouvert devant leurs yeux ; yeux ; la terre s’est parée d’une agréable et douce verdure sur laquelle ils peuvent s’entretenir paisiblement. Mais toutes ces images doivent se transposer en langue spirituelle pour traduire traduire la vraie pensée de l’Épouse. C’est elle au fond qui est ce lit de verdure où elle demeure avec son Dieu. Plus de pierres, plus de 1 Mon
2 Mon
Seigneur et mon Dieu (Joan., XX, 28). Dieu et mon tout.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
53
ronces, plus d’épines, plus de reptiles venimeux : en elle l’amour a chassé, détruit, arraché ou brûlé tout cela. Et l’âme, l’ âme, comme retournée, labourée par les épreuves et la souffrance, est devenue une terre meuble, homogène, fertile. Le divin Jardinier a jeté à pleines mains les petites semences, et la douce verdure a fait son apparition printanière. Jésus peut venir. L’humilité, la douceur, la grâce l’attendent pour le recevoir et lui permettre de se reposer comme autrefois au soir de ses journées de marche apostolique, où il se sentait « las de fatigue « fatigatus ex itinere » itinere » 1. « Veni, « Veni, Domine Jesu, veni » » 2. Mon doux Jésus, venez dans mon âme, prenez-y votre repos et permettez-moi de me tenir près de vous. Je désire beaucoup vous parler. Je voudrais vous dire beaucoup de choses. Je voudrais surtout vous redire mon amour, le besoin que j’ai de vous aimer de tout mon cœur, combien cœur, combien je souffre de vous aimer si peu ! Vous êtes si bon pourtant, si aimable, si affectueux ! Mon doux Sauveur, restez là, près de moi, ne me quittez pas, écoutez-moi ! Vous êtes toute ma force, toute ma vie, toute ma joie. Si j’ai un conseil à demande r, vous seul pouvez me le donner. Si j’ai une obscurité dans l’esprit, vous seul pouvez la chasser. Si j’ai une tristesse dans le cœur, vous seul pouvez la dissiper. Si ma volonté souffre de son inconstance et de sa faiblesse, vous seul pouvez la fortifier et la fixer. Restez donc, ô mon Jésus, restez tou jours, « Mane mecum, Domine » Domine » 3, et accordez-moi la grâce des grâces, celle de rester toujours tout près de vous et de ne vous quitter jamais, ne fût-ce fût-ce qu’un instant. Pourquoi, vous êtes-vous incarné, ô Verbe divin, ô mon Dieu, si ce n’est pour que nous puissions vous traiter à la façon de l’homme ? Vous restez Dieu, vous ne perdez rien ni de votre dignité, ni de votre perfection, ni de votre beauté, et pourtant vous êtes en toutes choses, sauf le péché, comme comme l’un de nous. On est ému par tant de bonté. On est saisi par tant d’amour. Oui, on voudrait rester toujours là près de vous pour vous témoigner un peu d’affection et un peu de gratitude. Mais vous connaissez la mobilité inquiète de notre esprit, l’inconsl’inco nstance inexplicable de notre cœur. Pardonnez-nous, Pardonnez -nous, ô Jésus, nos oublis involontaires au fond et nos froideurs plus apparentes que réelles. Vous qui savez tout, vous savez bien que nous vous aimons. aim ons. Nous souffrons au-delà au-delà de ce que l’on peut dire de cette mobilité cette mobilité et de cette inconstance. Si nous leur connaissions un remède, nous irions le chercher aux extrémités de la terre. Il existe pourtant ; ce remède c’est votre amour. Donnez-nous, Donnez-nous , ô Jésus, de vous aimer pour tout de bon, de tout de notre cœur et pour pou r toujours. 1 Fatigué
de la route (Joan., IV , 6). Seigneur Jésus, venez (Apoc., XXII, 20). 3 Demeurez avec moi, Seigneur (Luc, XXIV , 29). 2 Venez,
54
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Parlez-moi du Père, ô Jésus ! Vous l’aimez tant, vous le connaissez si bien ! C’est votre mission de le révéler aux âmes. Mon Jésus, parlezparlez moi de lui. Je voudrais tant le connaître comme vous, l’aimer comme vous, je veux dire de la même manière. Ouvrez mes yeux, rendez mes oreilles attentives, dilatez mon cœur ! N’estN’est-ce pas, ô mon Jésus, qu’il est beau votre Père très aimé, et qu’il est bon comme on ne peut pas dire ! Que vous êtes heureux de le voir, de le contempler, de l’aimer, ô mon Jésus ! Votre Âme sainte goûte cette joie sans mesure. Son bonheur me réjouit. C’est un peu le mien déjà, puisque vous voulez bien vous faire mon Ami et me permettre de me tenir près de vous. Jésus, je ne veux pas vous distraire de votre extase d’amour, je me tais ta is de bonheur et de joie. Coulez silencieusement, larmes de gratitude et d’indicible paix paix ; dites ce que je ne peux pas dire, murmurez doucement ce que je ne puis pas exprimer. Jésus, mon Jésus est heureux ! Parlez-moi de vous, ô Verbe divin, dites-moi ce que vous êtes pour le Père et ce que le Père est pour vous. Vous êtes l’expression parfaite, complète, vivante et consciente de ce Père bien-aimé. Quiconque pense, conçoit au-dedans de lui quelque chose qui est la similitude de la chose qu’il pense ; pense ; vous êtes, ô Verbe adoré, la similitude ineffable du Père. Vous en êtes la copie, mais tellement ressemblante que cette ressemblance va jusqu’à l’identité, il n’y a plus pour vous distinguer l’un de l’autre que cela et uniquement, à savoir que vous êtes l’image et qu’il est, lui, celui dont vous êtes l’image. Tout le reste vous est commun de la plus absolue communauté, dans la plus parfaite indivision, dans la plus profonde identité. Ô Verbe, comme vous êtes heureux en vous-même de connaître à fond votre Père, d’être d’être sa sa connaissance à lui, d’être de d’être de lui, mais encore une fois de le connaître en vous, lui et vous et l’Esprit d’amour qui procède de vous deux, et tout ce qui procède et peut procéder au dehors de vous trois ! Quel spectacle pour vos yeux divins, quelle joie pour votre cœur divin suivant notre pauvre manière man ière de parler de vous ! vous ! Je viens encore près de vous, à votre école, ô Verbe Incarné, ô Jésus, pour apprendre de vous ma leçon. Dites-moi Dites- moi ce qu’est l’Esprit d’amour. Je voudrais tant le connaître, je voudrais tant l’aimer, je voudrais tant le posséder et être possédé par lui ! C’est celui de vous trois qui procède par voie de volonté. Il procède du Père et de vous, ô Verbe, mais il en procède comme d’un d’u n seul et e t unique principe, par une seule et unique spiration. Il est le terme substantiel, vivant, conscient, personnel, suivant notre manière de parler, de ce mouvement, de cette impulsion, qui existe en vous, ô mon Dieu, par cela seul que vous êtes infiniment aimable, étant infiniment bon et infiniment parfait, et que vous avez une u ne connaissance infinie, elle aussi, de votre infinie amabilité. L’amour parfait suit à la connaissance parfaite du bien parfait. En
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
55
tant que vous, ô Père, et vous, ô Fils bien-aimé, bien- aimé, ne constituez qu’un seul principe, et n’avez qu’une seule impulsion, l’Esprit d’amour est le troisième de votre adorable Trinité. En tant que vous êtes deux Personnes distinctes, il est le lien ineffable qui vous unit de la plus parfaite union d’amour — ô — ô Esprit-Saint ! Et je reviens vers votre Âme sainte, ô mon Bien-Aimé Jésus ! Elle est une âme humaine comme la mienne, mais elle goûte et elle a tou jours goûté à un degré ineffable ineff able la joie de contempler co ntempler sans voile, face à face, immédiatement, la vie divine dans sa parfaite et constante activité. Elle a communié et elle communie de tout son être à cette vie bienheureuse ; autant qu’il est possible à la nature créée, elle participe à la puissance génératrice du Père et au mouvement d’amour du Père et du Verbe d’où procède le divin Esprit. Elle connaît son Dieu Dieu comme il se connaît, elle l’aime comme il s’aime. Elle est « divinisée « divinisée » dans tout le sens légitime et réel de ce mot. Elle trouve dans cette participation consciente, immuable et parfaite de la vie divine un bonheur qui mérite aussi et de la même manière le nom de « divin ». Ô heureuse Âme de mon Jésus, comme votre joie nous réjouit, comme votre bonheur nous rend heureux ! Ajoutez à notre joie en nous faisant vivre de votre vie, dès maintenant et toujours. Amen. Amen ! TIGNA DOMORUM NOSTRARUM CEDRINA , LAQUEARIA NOSTRA CYPRESSINA (C ANT., I, 17). Les poutres de nos maisons sont des cèdres, nos lambris sont des cyprès. L’âme fermée à tous les bruits du monde vit avec Dieu dans une intimité ineffable, prélude de la vie du Ciel.
Pour que l’intimité de Jésus et de sa sainte Épouse soit à l’abri de toute inquiétude comme de toute indiscrétion, la divine Providence étend sur eux comme une épaisse et forte ramure de branches de cèdres, et les entoure de rangées de cyprès. Ni les puissances de l’air, ni les forcés du monde ne peuvent troubler la paix dont jouissent ensemble Dieu et l’âme. On dirait déjà l’inaltérable sécurité du ciel : ciel : D’un cœur qui t’aime, Mon Dieu, qui peut troubler la paix ? Il cherche en tout ta Volonté suprême Et ne se cherche jamais. Sur la terre, dans le Ciel même Est-il Est-il d’autre bonheur que la tranquille paix D’un cœur qui t’aime ? t’aime ? 1 1 Athalie
, III, 8.
56
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Non, rien ne peut troubler la paix que vous faites goûter à l’âme qui vous aime, ô mon Dieu. Non Dieu. Non timebo mala, quoniam tu mecum es 1. Non seulement l’Époux défend à l’ennemi de tout bien de venir troubler le repos de L’Épouse, mais de plus, il enseigne à sa BienBien Aimée l’art de se mettre à l’abri des influences du démon. Elle sait se retirer du monde sensible où elle n’a que trop vécu autrefois. Elle a découvert en elle-même une zone silencieuse, paisible, ignorée de tous, longtemps ignorée d’elled’elle-même, où nul n’a le droit d’entrer, si ce n’est Jésus. Cette région bénie est un vrai sanctuaire. La très aimable Trinité y demeure. C’est là qu’elle attire l’âme fidèle pour lui parler cœur à cœur et sans bruit, pour se donner à elle, lui faire partager sa vie et son bonheur. C’est le cellier mystérieux du Cantique, où les bruits du monde ne pénètrent pas et où le démon ne saurait plus atteindre l’âme que Dieu veut bien y admettre. a dmettre. Il est possible qu’elle entende encore un peu le tumulte du dehors, mais ce n’est plus qu’un son lointain et sourd. Loin de la troubler, il l’endormirait plutôt. La voûte de cèdre et les lambris de cyprès protègent l’âme contre l’âme contre les attaques du démon et du monde, et en même temps ferment son horizon comme une sorte de clôture, afin qu’elle n qu’elle n’ait ’ait pas pas envie, même par premier mouvement, de s’occuper d’autre chose d’autre chose que de son Bien-Aimé. Quand Dieu veut parler à une âme, il l’entraîne toujours dans la solitude. Il l’enveloppe de silence. Il ferme ses yeux et ses oreilles, il l’endort à tout, sauf à lui. Et c’est alors qu’il se manifeste, qu’il découvre ses secrets, témoigne son amour, vit avec l’âme dans une intimité délicieuse et vraiment ineffable : « Ducam « Ducam eam in i n solitudinem so litudinem et loquar ad cor ejus » 2. « Manifestabo ei meipsum » meipsum » 3. C’est la vie du ciel qui commence pour l’âme. C’est plus que la paix, c’est la joie, c’est le bonheur. Le Bien-Aimé ne se montre pas et pourtant il se donne dé jà : « O beata solitudo ! O sola beatitudo ! 4 » Vous nous avez faits, ô mon Dieu, pour le bonheur du ciel ; il vous tarde de nous le donner. Notre vie s’écoule trop lentement à votre gré. Vous n’y tenez plus. Sans lever tous les voiles, vous laissez filtrer au travers comme des rayons lumineux et chauds. Plus que cela, on dirait que vous les traversez vous-même mystérieusement, sans les déchirer, afin de vous unir directement à l’âme et de vous donner tout entier. Oui, mon Dieu, je crois à cet excès d’amour de votre part. Tout est possible à celui qui aime, quand celui qui aime est Dieu. Je dois laisser à de plus instruits le soin de décider s’il y a là miracle ou seulement 1 Je
ne craindrai aucun mal car tu es avec moi (Ps. XXII, 4). la conduirai dans la solitude et je lui parlerai au cœur (Osée, cœur (Osée, II, 14). 3 Je me manifesterai à lui (Joan., XIV , 21). 4 Ô bienheureuse solitude, ô seule béatitude. 2 Je
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
57
plein et parfait épanouissement de la vie surnaturelle normale. Mais le fait reste. Il est certain. Il I l est ineffable. Vous et l’âme, ô mon Dieu, sans mélange et sans confusion, ne faites plus qu’un. L’âme le sait ; elle le comprend. Elle pourrait presque dire qu’elle le voit. En tout cas, elle en vit. Elle veut en vivre de plus en plus. Elle voudrait en mourir. Par moments, ce désir est si vif « qu’elle se meurt de ne pas mourir », mourir », sui vant la parole si profonde de sainte Thérèse. Comment ne pas vous remercier, ô mon Dieu, d’une telle condescendance ? L’éternité n’y suffira pas. Et le cri de sainte Thérèse monte de lui-même lui-même du cœur aux lèvres : lèvres : « Misericordias Domini in aeternum cantabo » cantabo » 1. « Ô Amour, je voudrais sans cesse redire ton nom ». Peut-être que le mieux est de se taire et de vous adorer en silence, ô douce Trinité, en union avec Jésus. On souhaite souhait e alors d’être une fleur parfumée, un encensoir brûlant, une lampe d’or à la blanche lumière, un cantique ravissant, que sais-je encore ? Merci, ô mon Dieu ; que les anges et les saints, la douce Mère de Jésus, le dévoué saint Joseph, toutes les âmes aimantes du Purgatoire et de la terre vous disent « merci » à jamais ! * Ainsi donc, ô mon Dieu, afin que vous puissiez vous entretenir li brement avec l’âme que vous aimez, vous la séparez de tout, vous l’isolez auau-dedans d’elle-même, d’elle-même, vous ne permettez plus aux bruits du dehors, ceux que fait le monde et ceux que fait le démon, d’arriver jusqu’à ses oreilles, vous arrêtez son activité naturelle qui la porterait vers les créatures et l’éloignerait l ’éloignerait de vous ; vous ; en un mot, vous la cachez à tout et vous lui cachez tout. tout . Il faut bien alors, puisqu’elle ne peut rester sans agir, qu’elle s’occupe de vous et de vous seul. C’est précisément ce que vous voulez. Pour la faire vivre de votre vie et lui faire goûter dès ce monde votre bonheur, il est nécessaire qu’elle supprime tout ce qui ferait écran entre elle et vous, afin de se trouver face à face avec vous, toujours dans l’obscurité de la foi, mais comme si cette obscurité n’existait pas. Organisée par la grâce pour vous connaître et vous aimer comme vous vous connaissez et vous vous aimez, elle peut alors commencer à vivre sa vraie vie et à goûter son vrai bonheur. Que ne donnerait-on pas, ô Jésus, pour obtenir la grâce de révéler aux âmes de bonne volonté ce doux mystère de la vie cachée ! Comment s’y prendre pour leur dire d’une manière efficace ce mot que vous avez dit vous-même à la Samaritaine : Si : Si scires donum Dei ! « Si vous saviez le don de Dieu ! 2 » Quel moyen faut-il préférer, quelle tac1 Je
chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur (Ps. IV , 10.
2 Joan.,
LXXXVIII, 1).
58
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
tique faut-il employer, de quelles paroles faut-il se servir pour éclairer les âmes, leur ouvrir les yeux, exciter leur désir, aviver leur espérance, soutenir leur courage, enflammer leur amour, les prendre enfin tout entières « aux charmes d’un bien si divin » divin » ? Quel bienfait pour elles ! Quelle joie pour celui qui le leur aura procuré ! Quelle gloire pour vous, ô mon Dieu ! Qui nous dira le prix d’une âme vraiment intérieure ? Que ne devrait-on pas tenter, pour que la terre en comptât seulement une de plus ! Permettez-moi, ô mon Jésus, de me consacrer corps et âme dans le silence et e t l’obscurité à cette œuvre qui vous est si chère… APÔTRE DE LA VIE CACHÉE CACHÉE L’ APÔTRE
Quand on rencontre une âme que l’on croit appelée par vous, ô mon Dieu, à la vraie vie, on se sent poussé intérieurement à faire une audacieuse prière : « Voilà une de vos enfants, ô Père ! Accordez-lui en ce moment une marque nouvelle de votre affection. Vous lui avez déjà tant donné ! S’il manque quelque chose à sa préparation, ajoutez ce qui lui manque, afin qu’elle soit digne de vous ! vous ! Purifiez-la ; ornez-la ; embrasez-la de votre amour. Puis prenez-la comme dans vos bras, pressez-la pressez-la sur votre Cœur si bon. J’ose vous le dire, ô Père, respectueusement, humblement, mais aussi ardemment, embrassez-la. Je n’aurai pas de paix que vous n’ayez réalisé mon désir : désir : il est juste, il est légitime, c’est pour votre gloire, c’est pour le bonheur de cette âme que je vous l’exprime. C’est aussi pour moi, ô Jésus ! Jésus ! Souvenez-vous de la parole de votre saint Précurseur : « Qui habet sponsam, sponsus est ; amicus autem sponsi , qui stat et audit eum, gaudio gaudet propter vocem sponsi », et faites que je puisse dire comme lui : « Hoc « Hoc ergo gaudium meum impletum est » » 1. Mais à quelles conditions pouvez-vous faire un apôtre de la vie intérieure ? Il semble qu’elles se ramènent à deux : deux : un désir ardent d’être soi-même une âme de vie cachée, une parfaite docilité à la grâce, afin de lui servir d’instrument auprès des autres, quand l’Esprit-Saint l’Esprit -Saint juge à propos de nous employer. Pour parler aux âmes avec fruit des choses de la vie intérieure, de ce qui la prépare, de ce qui la constitue, de ce qui la couronne et l’achève, il faut plus qu’une connaissance scientifique de ces mystérieuses réalités, telle que peut la donner une sérieuse étude des maîtres. En cette matière, l’expérience personnelle ajoute beaucoup. Elle met au point la doctrine commune. Elle donne à la parole ce je ne sais quoi de persuasif qui vient de ce que l’âme qui parle est en contact immédiat avec la réalité qu’elle décrit. Non seule1 Celui
qui a l’l ’épouse est l’l’époux, mais l’l’ami de l’époux, l’époux, qui se tient se tient là et qui l’ l ’écoute, est ravi de joie à la voix de l’l ’époux. Or cette joie qui est la mienne est pleinement réalisée (Joan., III, 29).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE I
59
ment elle la connaît cette réalité, mais elle la vit ; en un sens, elle l’est et elle la fait passer sans peine dans les mots. Sous l’action de la grâce, les mots deviennent lumière pour l’audi teur. Plus que cela, ils portent avec eux la chaleur et la vie. Il y a vraiment du feu dans les expressions parce qu’il y en a dans l’âme, qui se traduit et s’exprime telle qu’elle est dans son fond intime. C’est là un don de Dieu et pour l’ordinaire une récompense, toujours non méritée, de longs et patients efforts personnels. On peut alors donner sans danger pour soi « des fruits de son jardin », selon l’expression de sainte Thérèse. Mais il faut savoir attendre l’heure de Dieu, l’automne de l’âme. Agir trop tôt, serait manger son blé en herbe, s’exposer à ne pas nourrir les autres et peut-être, peut-être, hélas ! à mourir de faim soi-même. Mais aussi quand le moment est venu de le faire, refuser par fausse humilité ou fausse prudence de donner de son bien aux autres, serait mettre la lumière sous le boisseau, le feu sous la cendre, et laisser sans pain les enfants du Père céleste qui ont vraiment faim de lui. Voilà pourquoi la docilité à la grâce est si nécessaire à l’apôtre de la vie cachée. Il ne doit rien faire de lui-même lui- même et par propre propr e mouvement. Il n’est qu’un instrument entre les mains du divin Ouvrier. Sans doute, il reste pour pour l’ordinaire libre et comme autonome. Ce n’est qu’à de certaines heures et dans certaines rencontres que l’Esprit-Saint l’Esprit -Saint le meut sans qu’il ait pris l’initiative de son action. Alors il n’a d’autre devoir que de donner son plein et parfait acquiescement à tout ce que le Maître veut qu’il dise ou qu’il fasse. Dans tous les autres cas, son unique souci doit être de se montrer collaborateur désintéressé, intelligent et souple de la grâce. Dieu seul sait ce qu’il attend de telle ou telle âme, ce qu’il veut faire d’elle, le plan de vie qu’il lui a tracé, la place qu’il lui destine dans l’édifice spirituel, le rôle qu’elle doit jouer sur la scène du monde et de l’éternité. Rien ne saurait prévaloir contre cette divine volonté. Mais aussi, ces deux conditions loyalement posées, quelle belle mission que celle d’Apôtre de la vie cachée ! Tout dans l’œuvre de la miséricorde de Dieu tend à cet unique but : apprendre aux âmes ce que c’est que le ciel, le leur faire désirer, leur mettre en mains les moyens de le conquérir. Or, le ciel est-il est- il autre chose qu’une participation parfaite à la vie intime de Dieu ? Et à son tour, la vie intérieure est-elle autre chose que le commencement imparfait sans doute, mais très réel de cette participation, « inchoatio vitae aeternae 1 et praelibatio beatitudinis » beatitudinis » 2 ? Rien donc sur terre ne ressemble plus et ne 1 S.
Thomas, IIa IIae, q. 24. a. 3, ad 2m.
2 De humanitate Christi.
60
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
prépare mieux à la vie éternelle que la vie d’intimité avec l’adorable Trinité habitant à demeure dans l’âme. Encore une fois, quelle belle tâche que celle d’enseigner aux âmes l’art l’ar t de commencer leur ciel dès ce monde ! Quoi de plus glorieux pour Dieu, de plus heureux pour elles, de plus doux pour soi ? Ô mon Jésus, puisque vous aimez tant les âmes intérieures, ces véritables « adoratrices du Père en esprit et en vérité », faites que leur nombre soit plus grand ; que chacune d’elles soit aussi plus recueillie, plus appliquée, plus généreuse génér euse et pour tout dire plus plu s aimante ! Et puisque vous avez voulu confier le soin de découvrir, de cultiver et d’embellir ces âmes si chères à d’autres d’autres « vous-même », donnez à ceux-ci, ô divin Maître, une abondante participation à votre grâce sacerdotale, afin qu’ils se consument tout entiers à cette divine tâche. Montrez-leur Montrez-leur la beauté de ces âmes. Faites en sorte qu’ils en comprennent tout le prix. Éclairez-les de votre lumière. Embrasez-les de votre amour. Soyez leur conseiller, leur guide dans une entreprise si importante et si difficile ! Rendez-les prudents, patients, dévoués, oublieux d’eux-mêmes, d’eux-mêmes, uniquement occupés de vous faire connaître et de vous faire aimer. Amen.
Chapitre II EGO FLOS CAMPI ET LILIUM CONVALLIUM (C ANT., II, 1). Je suis le narcisse de Saron, le lis des vallées. vall ées. Toute la divine richesse du Cœur de Jésus appartient au cœur pur, aimant et humble.
La Sainte Épouse ne craint pas de f aire f aire son propre éloge. Elle n’y met aucune vanité. Elle sait trop bien d’où lui vient tout ce qu’elle a. Mais elle veut plaire à Jésus. Elle cherche à le prendre par son faible. Elle a bien compris ses goûts divins. Les cœurs purs, aimants et humbles, voilà voilà ce qu’il aime, ce qui l’attire, ce qui le charme, le captive et le retient. Elle veut le conquérir, son cher Jésus, et le posséder bien à elle. Aussi fait-elle fait-elle valoir ingénument sa beauté. Elle a un cœur d’or, couleur narcisse jaune, elle a un cœur pur, sans tache, tout blanc, tout blanc, comme le plus plu s blanc des lis ; elle a un cœur humble comme une plaine discrètement cachée dans une petite vallée sans nom, loin du bruit, loin des regards, et où il vit uniquement occupé à plaire à son Dieu et à chanter doucement d oucement le cantique du saint Amour. Ce cœur est tout à vous, ô Jésus ! Comme Jésus est heureux quand il trouve un cœur vraiment humble, aimant et pur ! Il ne résiste pas au charme de ce bon cœur. À son tour, il donne le sien. Oui, en toute réalité, le Cœu r adorable de Jésus devient comme le bien propre de l’âme aimante. Et quel trésor ! Car ce n’est pas seulement son cœur sensible, symbole de son amour, que Jésus donne en toute propriété, c’est surtout son cœur spirituel, son âme même, l’âme humaine du Ver be, Ver be, où vit la très Sainte Trinité, où se trouve la plénitude de la grâce créée, toutes les vertus surnaturelles compatibles avec la vision et la possession immédiate de Dieu, tous les dons du divin Esprit, tous les mérites de la vie et de la mort de Jésus, toute la science et toute la sainteté du Sauveur. Où trouver un pareil trésor ? Qui en dira le prix ? Qui donc en comprendra toute la valeur ? Qui en pourra dignement exprimer toute la beauté ? Toute cette richesse appartient au cœur pur, aimant et humble . À mesure qu’il grandit dans l’amour, il puise plus abondamment dans ce trésor. Jésus, pour donner Dieu même à son Épouse — et c’est là tout son désir —, n’a qu’à donner son Cœur. C’est ce qu’il fait par degrés. L’âme aimante en a l’intuition. Il lui semble qu’elle est comme la petite fleur cachée au fond d’une vallée et que le Cœur de Jésus, soleil divin,
62
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
daigne éclairer et réchauffer de ses rayons. Il sèche ses larmes, les larmes de la nuit. Il tourne les regards de l’âme vers lui. Sous sa douce influence, elle sent monter en elle la sève divine. Elle éprouve une impression de vie et de force. Elle a conscience de grandir, de s’élever, à certains moments même, d’atteindre Celui qu’elle aime tant, d’entrer en lui et de comprendre qu’il entre en elle pour mieux m ieux se donner et pour mieux la posséder. Petite fleur aimante et pure, que tu es heureuse ! Reste bien cachée au fond de la vallée de l’humilité. Jésus saura t’y découvrir. Il se penchera vers toi et, sans te cueillir encore peut-être, il saura bien te porter à ses lèvres, te presser sur son Cœur, t’y faire pénétrer et te le donner comme si déjà tu n’étais plus de ce monde. Il t’aime, il est bon, il est tout-puissant. Sois plus aimante, plus humble et plus pure que jamais : il ne veut pas autre chose de toi. SICUT LILIUM INTER SPINAS, SIC AMICA MEA INTER FILIAS (C ANT., II, 2). Comme un lis au milieu des épines, telle est ma Bien-Aimée parmi les jeunes filles. Plaire à Jésus, c’est beau et c’est charitable pour charitable pour lui.
L’âme pure, aimante et humble est vraiment pour vraiment pour Jésus, au milieu des autres âmes, comme un lis au milieu des épines. Pour le regard, pour les mains, pour le cœur, la différence est la même. Les yeux, les mains et le cœur de Jésus sont comme blessés par les âmes troubles, froides et dures, sans amour et sans humilité, alors que son regard est charmé par la blancheur, ses mains par la douceur, son cœur par l’amour d’une âme. De même qu’il est agréable de découvrir une belle fleur au milieu des buissons d’épines, ainsi est-il est -il doux pour Jésus de trouver trouver une âme qui lui ressemble parmi tant d’autres âmes, hélas ! qui ne lui ont jamais ressemblé ou qui ne lui ressemblent plus. Si les âmes comprenaient, comme elles travailleraient à devenir ce beau lis qui fait la joie de Jésus et auquel il attache tant de prix ! Plaire ainsi à Jésus, que c’est beau et que c’est charitable ! charitable ! Comment se fait-il, ô Jésus, que nous soyons si avides de plaire aux hommes et si peu soucieux de vous plaire à vous ? Nous savons pourtant ce que vaut le jugement des hommes et ce que vaut votre jugement à vous ! Le moyen de vous plaire nous est bien connu aussi, pourquoi ne le prenons-nous pr enons-nous pas ? Pardonnez-nous, Pardonnez -nous, ô bon Jésus, notre insouciance et nôtre aveuglement ! Ouvrez nos yeux, réchauffez notre cœur. Faites de notre âme, par votre grâce, g râce, ce beau lis qui seul peut vous plaire et vous faire sourire de bonheur. Écoutez notre prière,
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
63
ô Jésus, multipliez sur cette terre de ronces et d’épines ces fleurs si blanches, joie de votre cœur, véritables fleurs du ciel. Que chacune d’elles soit chaque chaque jour plus belle et partant plus aimée ! Que rien ne puisse les arrêter dans leur montée vers vous, ô divin Soleil, vous qui êtes leur vie et toute leur espérance. Dites-leur, dites-leur cette parole si douce et si encourageante : Comme un lis au milieu, des épines, Telle est ma Bien-Aimée parmi les jeunes filles.
SICUT MALUS INTER LIGNA SILVARUM, SIC DILECTUS MEUS INTER FILIOS (C ANT., II, 3). Comme un pommier au milieu, des arbres de la forêt, tel est mon Bien-Aimé parmi les jeunes hommes. Jésus, arbre de vie, dont les fruits sont seuls capables de plaire à l’âme aimante et de la nourrir.
C’est vous, ô Jésus, qui êtes cet arbre aux fruits fruits délicieux, dont parle ici la sainte Épouse. Les autres arbres ont une ramure imposante peut-être, des feuilles on grand grand nombre, soit, mais ils n’ont pas de fruits. Vous seul, oui, vous seul, ô Jésus, portez ces beaux et bons fruits, seuls capables de plaire aux yeux de l’âme qui vous aime, seuls capables aussi de nourrir son esprit et son cœur. Elle en a fait la douce expérience. Elle sait que les fruits que vous portez sont toujours sains et toujours bons. Et vous lui permettez de les cueillir quand il lui plaît. C’est vous du reste qui lui en donnez le goût en même temps que vous les lui présentez : fruits d’humilité et e t de douceur, de patience et de bonté, de force et de grâce, de paix et de joie, de bonheur et d’amour. Vous portez tous les fruits, ô Jésus Bien-Aimé, Bien-Aimé , et vous les offrez tous à votre bien-aimée. bien-aimée. C’est bien de vous, ô Jésus ! Jésus ! SUB UMBRA ILLIUS QUEM DESIDERAVERAM SEDI, ET FRUCTUS EJUS DULCIS GUTTURI MEO (C ANT., II, 3). J’ai désiré m’asseoir à son ombre, et son fruit est doux à mon palais. La parole divine nourrit notre esprit de vérité ; l’amour de Dieu, vie Dieu, vie de la volonté et du cœur.
Il est impossible de vous voir sans vous aimer, ô Jésus, arbre divin, planté sur notre pauvre terre pour nous donner et son ombre, et ses
64
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
fruits. Votre ombré protège, elle recueille, elle cache. L’âme qui vous aime sent le besoin de cette protection, elle aspire à ce doux recueillement, elle voudrait vivre cachée aux yeux de tous et connue de vous seul. Voilà pourquoi elle désire tant s’asseoir à votre ombre, ô Jésus ! Jésus ! Du reste, dès que vous lui révélez l’existence de cette ombre bienfaisante, l’âme s’y sent attirée comme vers quelque que lque chose de mystérieux, de profond et de doux. Elle devine que c’est à la faveur de cette ombre sainte que s’opéreront en elle de grandes choses : choses : « Et « Et virtus Altissimi obumbrabit tibi » » 1. C’est toujours vrai. Pour naître et grandir dans une âme, il vous vous faut l’ombre silencieuse et sacrée d’un sanctuaire. Quand vous voulez parler à une âme de cette parole qui réalise ce qu’elle signifie, vous faites la nuit en elle, vous l’enveloppez d’ombres et de ténèbres. Elle est cachée au monde et le monde lui est caché. Il l’ignore comme telle et elle l’ignore comme tel. Heureuse ignorance, saint aveuglement, qui permet à l’âme de se familiariser peu à peu avec la lumière d’en haut et d’ouvrir les yeux sur l’éternelle Beauté ! Comme la colonne de nuée, cette ombre a un côté obscur et un côté lumineux. Il est des rayons de lumière qui échappent à l’œil de l’homme. Il en va de même ici. Combien ont des yeux et qui ne voient pas ! Comme vous êtes bon, ô Jésus, d’avoir révélé l’existence de cette « lumière noire », noire pour les regards fixés sur la terre, blanche et rayonnante pour les yeux autrefois aveugles, mais que vous avez guéris ! « Seigneur « Seigneur,, faites que je voie ! 2 » La sainte Épouse s’exprime bien quand elle manifeste le désir de « s’asseoir s’asseoir » à votre ombre, ô Jésus ! C’est là qu’elle veut, non point pénétrer pour un moment, mais s’établir à demeure et vivre. Elle veut y prendre son repos, vous y contempler à loisir, y goûter la paix que procurent votre présence, votre protection et votre amour. Partout ailleurs, elle souffre, elle est inquiète, elle tremble. Là seulement, elle est heureuse, paisible et tranquille. C’est là qu’elle se nourrit de vous spirituellement. Vous êtes venu à elle. Vous l’avez attirée à vous pour qu’elle ait la vie et qu’elle l’ait en plénitude : « Ego « Ego veni ut vitam habeant et abundantius habeant » » 3. « Ego sum Vita » Vita » 4. Votre parole nourrît son esprit de vérité, sa vraie nourriture : « Ego « Ego sum Veritas » Veritas » 5. Elle la fait communier dans les ombres de la foi, foi, mais réellement à la connaissance que le Père a de lui-même et qui est vous-même. vous- même. Si l’on osait dire, elle la rend pensée de Dieu, et lui donne quelque chose de sa profondeur, de son étendue, de sa fermeté, de son exactitude. Vraiment votre parole nourrit l’âme. 1 Et
la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Luc, I, 35). XVIII, 41. 3 Je suis venu venu pour que mes brebis aient la vie et qu’elles soient dans l’abondance (Joan., X, 10). 4 Je suis la vie (Joan., XIV , 6). 5 Je suis la vérité (Joan., XIV , 6). 2 Luc,
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
65
Elle la fait grandir et se développer. Elle lui procure « la joie de la vérité » qui est tout le fond de la béatitude, d’après votre serviteur saint Augustin : « Votre fruit est doux à son palais ». Votre amour est la vie de sa volonté et de son cœur. C’est là que vous le lui donnez. Ce que vous voulez, elle le veut. Ce que vous désirez, elle le désire. Ce que vous aimez, elle l’aime. Ce que vous faites pour la gloire du Père et le bien de vos frères, elle le fait aussi, à sa manière, avec vous et par vous. Communier ainsi à vos vouloirs et à votre amour, c’est son occupation constante, c’est sa nourriture, c’est sa vie. Vous lui avez donné vos goûts. Elle ne trouve de bonheur que là : « Votre fruit est doux à son palais ». palais ». INTRODUXIT ME IN CELLAM VINARIAM ; ORDINAVIT IN ME CARITATEM (C ANT., II, 4). Il m’a fait entrer dans d ans son cellier, et la bannière ba nnière qu’il lève sur moi, c’est l’amour. Dieu « vraie place » de l’âme tout ordonnée à l’aimer et à le faire aimer.
Il y a au fond de toute âme en état de grâce comme un appariement réservé, comparable à la chambre aux vins des maisons antiques. C’est le C’est le cellier mystérieux dont parle ici la sainte Épouse. N’y entre entre pas qui veut. Beaucoup, hélas ! n’en soupçonnent pas même l’existence. Parmi ceux qui la connaissent, il y en a peu, trop peu, qui désirent vraiment y habiter. Mais ceux qui le souhaitent sincèrement savent que cet appartement secret est dans l’âme comme la demeure personnelle et privée de Dieu. La très sainte Trinité y habite réellement. Ceux-là seuls peu vent l’y trouver qu’elle daigne daigne y introduire elle-même. elle-même. C’est Jésus, le divin Médiateur, qui pour l’ordinaire vient chercher l’âme fidèle pour la faire pénétrer dans le cellier mystique. Quelle grâce ! Y a-t-il sur terre quelque chose qui tienne plus de l’entrée au Ciel que cette entrée dans la propre demeure terrestre de Dieu ? L’âme intérieure dit que l’Époux l’a fait entrer dans le cellier. Elle ne dit pas encore qu’elle a bu des vins qui s’y trouvent. Il semble que pour le moment le bon Dieu se contente de lui révéler expérimentalement ment l’existence de cet appartement secret, de l’y introduire, de lui permettre d’y rester et de se rendre compte des richesses qu’il renferme, sans lui accorder encore la grâce d’y participer. D’ailleurs, quand le bon Dieu en vient là, cette grâce ne saurai t tarder. L’âme le comprend, elle se tient en paix. Elle admire, elle loue, elle remercie et elle attend. Le spectacle qui lui est offert la ravit. Toutes les perfections de son Bien-Aimé, de son Dieu, lui apparaissent sous un jour tout
66
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
nouveau. Elles sont très distinctes à ses yeux et comme en plein relief, et pourtant, elle se rend compte qu’elles se ramènent à une gracieuse et ineffable simplicité. Elle goûte le charme de leur variété et le sentiment de repos et de plénitude que fait éprouver leur parfaite unité. Elle a conscience de la faveur qui lui est faite. Elle comprend que c’est pour c’est pour la rendre heureuse du bonheur même de Dieu qu’elle a qu’elle a été ainsi attirée dans ce cellier mystérieux. Elle s’y trouve trouve à son aise. Il lui semble qu’elle est qu’elle est un peu chez elle. Tout ce qui lui est montré est déjà sien en quelque sorte, et pour toujours, lui semble-t-il. Heureux moments, tout remplis d’immenses et d’immenses et légitimes espérances ! Elle s’écrie : s’écrie : « Seigneur, il est bon d’être ici d’être ici » » : « Domine « Domine,, bonum est nos hic esse » esse » 1. Permettez-moi d’y établir établir ma demeure et d’y vivre vivre à jamais. Pourquoi retournerais-je d’où je d’où je viens ? J’y ai ai tant souffert ; je m’y suis suis trouvée si malheureuse ! C’est la C’est la région des ténèbres, de la tristesse et de la mort. Il y fait noir, il y fait froid. On y gémit et on y pleure. pleure . Que mon âme, placée par vous aux confins de deux mondes si opposés, oublie à jamais celui dont vous l’avez arrachée, l’avez arrachée, pour vivre désormais et de plus en plus dans celui où vous avez daigné la faire entrer. N’est-ce N’est-ce pas le pays de la lumière et de la chaleur, de l’abondance l’abondance et de la paix ? C’est C’est vousmême, ô mon Dieu, qui êtes pour l’âme la terre promise où coulent à flots le lait et le miel. Seigneur, pardonnez-moi, mais comme on est bien chez vous ! comme on repose doucement dans vos bras, comme on s’endort paisiblement sur votre Cœur ! Cœur ! Oui, mille fois oui, vous êtes la « vraie place » de l’âme. Nous venons de vous, et une secrète force nous ramène vers vous. Il n’y a de repos et de paix pour nous qu’en vous… « Fecisti nos ad te et irrequietum est cor nostrum donec requiescat in te » te » 2. Faites donc entrer, ô mon Dieu, les âmes qui vous cherchent sincèrement dans cet appartement secret, dans ce cellier intérieur où elles trouveront enfin ce qu’elles désirent avec tant d’ardeur, puisqu’elles puisqu’elles vous trouveront vousvous -même, vous le Dieu de leur cœur. Prenant alors possession de vous, elles pourront vous dire en vérité : « Deus cordis mei et pars mea, Deus in aeternum . Amen » Amen » 3. * Que veut dire cette mystérieuse parole de l’Épouse : l’Épouse : « Et la bannière qu’il élève sur moi , c’est l’amour » l’amour » ? Veut-elle dire que tout pour elle désormais se ramènera à l’amour ? l’amour ? Est-elle à la fois la conquête, le héraut et l’apôtre de la sainte dilection dilection ? Cette bannière est-elle le symbole des victoires passées et le signe avant-coureur des victoires futures ? Ne faut-il pas encore la considérer comme une marque de 1 Matth.,
XVII, 4.
2 Tu nous a faits pour toi et notre cœur est inquiet tant qu’il ne se repose pas en toi (S. 3 Ô Dieu qui êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. l’éternité (Ps. LXXII, 26).
Augustin).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
67
votre puissance protectrice, ô mon Dieu D ieu ? Rien n’est fort comme votre amour. Ce que votre amour garde est bien gardé. Ô Jésus, mon âme est vraiment l’œuvre de votre amour. Tout ce qu’elle a, tout ce qu’elle est lui vient de cette unique source. Il faut bien qu’elle le reconnaisse, il ne lui en coûte pas de le faire. Ajoutez encore à vos bienfaits. Qu’elle soit toute consumée d’amour pour vous. Accordez-lui Accordez -lui en outre la grâce de répandre votre amour autour d’elle. Il est si juste de vous faire aimer. Ne lui refusez pas cette nouvelle joie, la plus douce après celle de vous aimer vous-même. On traduisait ainsi autrefois la même parole : « Il « Il a ordonné en moi l’amour l’amour ». Cela est vrai. Quand Dieu fait entrer une âme dans le centre d’elle-même, d’elle-même, là où il habite, lui, à demeure, il établit l’ordre parfait l’ordre parfait dans cette âme, et pour cela règle selon les lois de sa divine Sagesse le pou voir d’aimer qu’elle porte qu’elle porte en elle. Une âme est dans l’ordre quand l’ordre quand son pouvoir d’aimer est d’aimer est dans l’ordre ; l’ordre ; elle est orientée vers sa fin. Elle s’y porte de tout son poids : « Amor « Amor meus, pondus meum » meum » 1, et c’est cela c’est cela l’ordre essentiel. l’ordre essentiel. C’est aussi C’est aussi toute la vertu : « Virtus est ordo amoris » amoris » 2. Dès que la charité, amour de Dieu pour lui-même et par-dessus toutes choses, amour ordonné par conséquent, s’établit dans s’établit dans une âme, l’ordre s’y établit avec elle et dans la même mesure. Que dire de l’ordre l’ordre qui règne dans un cœur où cœur où règne la charité ? Que dire enfin de l’ordre coml’ordre com bien plus parfait encore, dans lequel se trouve comme fixée une âme en qui Dieu lui-même, par une action tout intime, veut bien imprégner à fond de Sagesse divine et l’amour, et l’amour, et le pouvoir même d’aimer ? d’aimer ? FULCITE ME FLORIBUS, STIPATE ME MALIS, QUIA AMORE LANGUEO (II, 5). Soutenez-moi avec un peu de raisin, fortifiez-moi avec des pommes, car je languis d’amour. L’Eucharistie et la Croix, soutiens de l’âme consumée d’amour.
L’amour que le BienBien- Aimé lui témoigne, l’amour qu’elle éprouve dans son cœur pour son Bien-Aimé ont tous deux une telle force que l’âme qui les ressent en quelque sorte tous deux à la fois, et à un très haut degré, en est comme écrasée. Elle défaille. Ses forces la quittent. C’est trop de bonheur pour un pauvre cœur humain. L’âme est tout absorbée par cet amour. Elle ne peut plus s’occuper d’autre chose. Mouvoir son corps et même simplement le faire vivre lui est à charge. Elle éprouve comme l’impression d’une libération qui se fait, de liens 1 Mon 2 La
amour est mon poids. vertu est l’l’ordre de l’l’amour (S. Augustin).
68
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
qui se détendent, mais qui ne se brisent pas encore. Ce doit être cela, mourir. Et cet état nouveau, étrange, déconcertant, et toutefois si réel, inspire une terreur naturelle. L’âme se sent faite pour vivifier le corps, et cependant elle comprend que ce bonheur qu’elle éprouve en aimant si fort, tend à la séparer de lui. Douloureuse et délicieuse langueur ! Et cette langueur croît avec l’amour. On dirait que l’âme émigre du corps et va finir par le laisser. C’est qu’elle « est « est plus là où elle aime que là où elle anime ». Là où elle anime, elle remplît une fonction d’ordre inférieur ; là où elle aime, elle vit de sa propre vie d’esprit, en soi, tout à fait distinct de la matière. Le papillon sent qu’il a des ailes : il voudrait se libérer de sa chrysalide. Il est retenu comme de force. L’âme se se trouve tirée en deux sens. Elle est comme le champ de bataille de deux énergies qui se la disputent elle-même. Elle a conscience de cette lutte. « Reste, pars ; reste encore, pars, te dis-je » ; ô Amour quand triompherez-vous ? « Fiat « Fiat voluntas tua » tua » 1. « Cupio dissolvi et esse cum Christo » Christo » 2. « Je me meurs de ne pas mourir ». mourir ». Comme tout cela est profond, comme tout cela est vrai ! Heureux le cœur blessé de cette blessure mortelle du saint amour ! Il ne peut plus vivre ici-bas que d’une vie languissante. Il n’est déjà plus de ce monde. L’âme épuisée de forces par son vif amour appelle à son aide. Elle demande à ceux qui l’entourent de lui prêter secours. Elle indique par quels moyens on peut la ranimer : « un peu de raisin… raisin … des pommes ». pommes ». Quels sont sont dans l’ordre surnaturel ces fruits agréables et fortifiants qui rendent à l’âme un peu d’énergie et lui permettent de supporter l’exil de la terre et la prison du corps ? L’Eucharistie, la Croix, voilà, semblesemble t-il, les fruits du saint amour symbolisés par « les raisins et les pommes ». Quelle force et quelle joie vivifiante l’âme « qui « qui meurt de ne pas mourir » ne trouve-telle pas dans la présence de Jésus au saint Tabernacle ? Elle vit sur une terre d’exil, c’est vrai, mais elle n’y est pas seule. Son Bien- Aimé s’est fait le compagnon de sa route : route : « Non relinquam vos orphanos » orphanos » 3. « Ego vobiscum sum » sum » 4. « Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet et ego in eo » 5. Jésus va jusque-là. Il veut habiter substantiellement au moins quelques instants chaque jour au plus intime de sa sainte Épouse, Aussi comme elle l’attend ce moment béni de la communion, pendant lequel Jésus, Corps et Âme, Homme et Dieu, est tout à elle, bien à elle avec toutes ses vertus, tous ses mérites, toutes ses grâces, toute sa science, toute sa sainteté, tout son bonheur. Car c’est un Jésus heureux, inaltérablement heureux qu’elle possède. Il est au terme, lui, d’une manière 1 Matth.,
XXVI, 42.
2 J’ J’ai le désir de partir et d’ d ’être
avec le Christ (Philipp., I, 23). ne vous laisserai pas orphelins (Joan., XIV , 18). 4 Je suis avec vous (Matth., XXVIII, 20). 5 Qui mange ma chair et boit mon sang demeure on moi et moi en lui (Joan., VI, 57). 3 Je
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
69
encore plus achevée, sous certains rapports, qu’il ne l’était même durant sa vie mortelle. Son âme sainte plonge tout droit son regard au sein même de Dieu et son cœur brûle d’un amour dont rien ne peut donner l’idée. Nulle souffrance ne peut plus l’atteindre. Nulle joie ne peut plus lui être refusée. Et ce Jésus heureux est là, en soi, à soi, pour consoler, encourager, fortifier, sécher les larmes et faire sourire de joie à la seule vue de son bonheur à lui. Un des meilleurs moyens après l’Eucharistie de réconforter l’âme consumée d’amour, c’est la Croix. Méditer les souffrances de Jésus, y communier communier de tout son cœur, souffrir à son tour quelque chose pour lui et avec lui, voilà qui tempère les amertumes de l’exil et donne à l’âme comme une sorte de raison de vivre. La perspective de supporter quelques peines, quelques fatigues, quelques douleurs pour accomplir « ce qui manque » manque » en un sens « à la Passion du Christ » » 1 afin qu’il soit plus connu, plus aimé, mieux servi, cette perspective qui s’ouvre toute grande devant elle, distrait un peu l’Épouse de sa peine. Elle lui permet d’exercer son amour, de le témoigner, et de l’affirmer en l’exerçant, de l’augmenter aussi en le manifestant. Le sacrifice devient une joie à cause de son lien avec la charité. C’est une joie d’amour. C’est une joie possible pour elle. L’âme s’y porte de toute sa force. Souff rir rir ainsi c’est aimer et c’est vivre. Alors, elle souffrira : « Ou mourir, ou souffrir ! » ! » L AEVA EJUS SUB CAPITE MEO, ET DEXTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME (C ANT., II, 6). Que sa main gauche soutienne ma tête, et que sa droite me tienne embrassée. Dieu seul, f orce orce de l’âme qui se remet entre ses mains.
Jésus est la force de l’âme. Elle le sait. Voilà pourquoi elle pourquoi elle demande le pain eucharistique, où se trouve Jésus. Voilà aussi pourquoi elle souhaite d’être clouée à la Croix avec le Sauveur : Sauveur : « Christo confixus sum Cruci » » 2. Jésus se donne en effet aux âmes crucifiées avec lui. Mais l’Eucharistie et la Croix ont fait grandir l’amour. Plus que jamais l’âme se sent écrasée sous son poids. Elle a comme l’impression d’un affaissement et d’une sorte d’évanouissement spirituel. s pirituel. Seul, Jésus en personne peut lui venir en aide. Elle demande qu’il daigne le faire et qu’il la prenne dans ses bras divins. Pour ne pas défaillir, il faut à l’Épouse le secours spécial de la force même de Dieu. Elle dit alors 1 Col., 2 Je
I, 24.
suis fixé à la Croix avec le Christ (Gal., II, 19).
70
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
dans un sens très profond et très vrai la parole même de Jésus mourant : « Pater « Pater,, in manus tuas commendo spiritum meum » meum » 1. C’est aux mains de Dieu seul que l’Épouse se remet pour mourir à la mort et vivre en paix à la vie de l’amour. l’amour . Vous êtes la force de l’âme, ô mon Dieu, et sa seule force. Elle ne peut compter que sur vous, mais elle peut y compter. Qu’il s’agisse de livrer combat au monde, au démon, à soi-même, soi- même, vous êtes là. Qu’il s’agisse encore de supporter les dures épreuves, qui purifient, qui fortifient et qui éclairent, éclair ent, c’est vous toujours et tout seul qui soutenez l’âme du dedans, à son insu, et qui lui permettez de traverser courageusement ces « nuits » si douloureuses et si nécessaires. Qu’il s’agisse enfin et surtout de porter le « poids « poids du jour et de la chaleur » chaleur » 2 du saint amour, poids si doux et si lourd tout ensemble, qu’il réduirait à néant l’âme la mieux trempée, vous êtes là, ô mon Dieu, plus délicat, plus prévenant, plus réconfortant que jamais, afin d’aider votre sainte Épouse à soutenir les ardeurs de votre ineffable tendresse. Comme vous êtes doux, comme vous êtes fort, ô mon Dieu ! Oui, c’est à ce moment si précieux de la vie spirituelle, où l’âme découvre en elle même des cieux nouveaux et une terre nouvelle 3, que vous vous montrez particulièrement secourable pour elle. Et vous exaucez sa demande de secours avant même qu’elle ait eu le temps de la faire. « Confitemini Domino, quoniam bonus » bonus » 4. A DJURO DJURO VOS, FILIAE JERUSALEM , PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM, NE SUSCITETIS , NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM, QUOADUSQUE IPSA VELIT (C ANT., II, 7). Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, ne réveillez pas, ne réveillez pas la Bien Aimée avant qu’elle le veuille. Rien ne compte plus pour l’âme qui repose dans le sein d e Dieu. Respect dû à son sommeil.
Dans les bras de son Dieu, l’âme défaillante d’amour s’est comme endormie d’un mystérieux sommeil. Elle y doit rester jusqu’au moment marqué par l’amour pour le réveil. C’est que pendant qu’elle dort au monde et presque aussi à elle-même, selon sa manière ordinaire de se connaître, l’âme aimante est très éveillée à son Dieu. Elle vit une vie toute nouvelle et toute d’amour. Il lui semble qu’elle ne fait rien. Mais 1 Luc, XXIII, 46. 2 Matth., XX, 12. 3 II Petr., III, 13. 4 Louez le Seigneur
parce qu’il est qu’il est bon (Ps. CVI, 1).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
71
en réalité elle agit beaucoup, seulement son activité est très simple et très profonde. Elle n’exige qu’un imperceptible concours, et encore, des facultés inférieures. De là cette impression de non activité pour une âme qui, restant la même âme, vit d’une vie si différente de sa vie d’autrefois. Et il ne faut pas que q ue les filles de Jérusalem, Jérusalem, imagination, mémoire, raisonnement même, viennent, sous prétexte d’action, trou bler son doux sommeil. « Non, ne réveillez pas la bien-aimée bien- aimée ! ». ! ». Rien ne doit troubler le sommeil de l’âme en Dieu. Pourquoi lui enlever son bonheur ? Pourquoi interrompre le travail qui se fait en elle à la faveur de ce mystérieux repos ? Oui, Dieu est à l’œuvre dans cette âme. Il y accomplit de grandes choses. Il arrache et surtout il plante. Il détruit et surtout il construit. Il est comparable à l ’orfèvre qui cisèle une pièce d’or massif. L’âme ne sent pas la main du divin Ouvrier. Elle est distraite d’elle-même d’elle-même par un bonheur profond et doux qui la pénètre tout entière. Elle n’a pas du reste à se mêler du travail qui se fait en elle. Elle sait à qui qui elle s’est confiée. Elle a donné son plein consentement à tout ce que voudra réaliser en elle son Dieu et son Seigneur. Elle reste donc paisible, heureuse et confiante sur la douce et bienfaisante action de son adorable Tout. Jésus désire qu’il en soit ainsi, afin que rien ne paralyse son bras. Il y veille. Il donne des ordres en conséquence, et ces ordres sont obéis. Envoyez-moi, ô mon Dieu, ce doux et bienfaisant sommeil ! J’en ai tant besoin ! C’est lui qui me rendra heureux. C’est lui qui renouvellera renouveller a mes forces et me permettra de travailler à votre gloire avec une âme plus lumineuse et plus chaude. Je suis si fatigué de vivre ! Je voudrais tant m’échapper de tout pour aller à vous et vous aimer dans le silence et dans la paix ! Quand sera-ce, ô mon Dieu, que rien ne comptera plus pour moi et que je ne compterai plus pour rien ? Ô liberté vraie de l’âme, quand me seras-tu seras-tu donnée ? Je te désire, je t’appelle. Écoute ma voix. Réponds â mon désir et, au moins pour quelques instants, délie mes chaînes ; porte-moi porte-moi dans le sein de mon Dieu afin que je m’y repose dans le bonheur et dans la paix. Je sais que le retour à la vie de l’exil sera dur, mais les fruits de ces moments de doux repos restent, et leur souvenir demeure aussi comme la plus précieuse des consolations et la plus ferme des espérances. V OX OX DILECTI MEI ; ECCE ISTE VENIT (C ANT., II, 8). C’est la voix de mon Bien-Aimé, Bien-Aimé, Le voici qui vient. Conditions pour entendre la voix de Jésus.
Tout est silencieux dans l’âme. Jésus l’a conduite dans cette solitude intérieure où les bruits les bruits de la terre ne pénètrent pas. L’âme se tait,
72
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
elle attend que son Dieu « lui parle au cœur » ainsi qu’il l’a promis : promis : « Ducam eam in solitudinem et loquar ad cor ejus » ejus » 1. C’est vrai d’Israël, c’est vrai de la sainte Église, c’est vrai, très vrai aussi de l’âme fidèle. Dieu parle au plus intime du cœur. Il se plaît à entretenir une douce conversation avec ceux qui l’aiment. La seule pensée de cet entretien rend heureux. Le souvenir des causeries du passé remplit de joie. Mais quel tressaillement d’allégresse quand l’âme toute recueillie en elle-même croit entendre, dans un lointain mystérieux, le bruit des pas du Bien-Aimé, et le son de sa voix bénie ! Dites-nous votre bonheur, ô Marie-Madeleine, quand vous deviniez de très loin, et bien avant Marthe, l’approche du Maître ? Maître ? Comme Marie-Madeleine, Marie-Madeleine, l’âme est aux écoutes au fond d’elled’elle même, là où elle finit en quelque sorte et où Dieu commence. Au moindre murmure divin, elle devient tout attention. Il est si doux pour elle d’entendre la voix de son Dieu. Est-ce Est- ce que la voix n’exprime pas mieux que le regard les plus légères vibrations du cœur ? cœur ? La voix dit tout, même ce que l’on veut taire et cacher. Elle est révélatrice au plus haut point. La parole est faite aussi pour révéler, mais elle peut tromper volontairement ou involontairement. Les nuances infinies de la voix laissent passer pass er l’âme comme malgré elle. Même Mê me quand elle se tait, la voix traduit encore le fond du cœur. S’il en est ainsi du souffle des pauvres lèvres humaines, qu’en est-il est-il de ce souffle divin si riche de tons et de nuances ? S’il gronde, tout tremble à mourir ; s’il caresse, tout est à la paix, à la joie, au bonheur. « O voix de mon Bien-Aimé, fais-toi donc entendre ! » Accordez-moi cette grâce, ô mon Dieu, de me tenir toujours recueilli au fond de moi-même, moi-même, l’oreille attentive au moindre souille de votre voix. C’est là une très grande grâce. grâce . Elle en prépare pré pare d’autres plus grandes, encore. Nul ne saurait la mériter. Mais vous êtes bon, ô mon Dieu : votre miséricorde est sans limites. J’espère. Je voudrais tant commencer dès maintenant ma vie éternelle. Il me semble que c’est ainsi que je dois essayer de m’y prendre. « L’arbre « L’arbre tombe, tombe, dit-on, du côté où il penche ». Si je veux être prêt, lorsque la voix mystérieuse viendra dire : « Ecce Sponsus venit, exite obviam ei » » 2, il faut que mon âme soit de plus en plus attentive aux échos du ciel. Il faut qu’elle s’exerce à écouter et à discerner les voix d’en haut et surtout la voix du Bien-Aimé, la vôtre, ô mon Jésus ! Chants célestes des Anges et des Saints, bruits silencieux du cortège de l’Agneau, je ne veux plus entendre que vous et voilà pourquoi je ne veux plus écouter que vous, en attendant que la voix de mon Dieu, que vous annoncez, daigne réjouir mes oreilles et mon cœur. 1 Osée, 2 Voici
II, 14.
l’Époux qui qu i vient, allez au-devant de lui (Matth., xxv, 6).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
73
Mais pour pouvoir vous écouter, ô Jésus, il faut faire taire toutes les autres voix, celles du dehors comme celles du dedans. Enveloppez-moi de silence, mieux encore, pénétrez-moi de silence. Il y a toujours trop de bruit dans mon âme. À quoi bon ? Ce sont surtout les bruits du dedans qui me gênent. Les autres ne sont rien tant qu’ils n’ont pas pénétré, pris corps et place à l’intérieur. Calmez l’imagination, endormez la mémoire, apaisez tous ces mouvements tumultueux qui s’élèvent et s’abaissent, vont et viennent, et viennent, se croisent et se compliquent entre eux à l’infini et ne laissent ni paix ni repos à la pauvre âme qu’ils emportent loin de vous, bien malgré elle. Ô Jésus, un mot de vos lèvres divines suffit pour que tout rentre dans l’ordre et s’y tienne. Dite s-le, ce mot pacificateur et libérateur, afin que je puisse entendre votre parole intérieure et n’entendre qu’elle. Vous avez tant de choses à me dire ! J’en ai tant à apprendre de vous ! « In « In silentio et quiete proficit anima devota » vota » 1. Entendre au fond de son âme toute pacifiée, recueillie, attentive, le mystérieux murmure de votre voix, suffit déjà, ô mon Dieu, pour faire tressaillir de bonheur. Mais votre voix vous annonce. Elle est votre précurseur. Elle prépare l’âme à votre prochaine arrivée. Le bruit bru it discret de vos pas se mêle à la douce mélodie qui sort de vos lèvres. Vous entendre, c’est très bon, mais vous posséder presque, n’est-ce n’est -ce pas meilleur encore ! L’âme rêve de cette possession. Il lui semble que dès ce moment, son Dieu est tout à elle, comme elle est toute à son Dieu. Elle ne vous cherche, ô Jésus, que pour vous trouver ; elle ne veut vous trouver que pour vous posséder. Possession de Dieu, même seulement espérée, qui dira ce que tu es déjà pour le cœur aimant ? aimant ? Que seras-tu donc dans ton ineffable réalité ? Avoir Dieu en soi et tout à soi ! « Veni Domine Jesu Domine Jesu » » 2. S ALIENS IN MONTIBUS MONTIBUS, TRANSILIENS COLLES (C ANT., II, 8). Bondissant sur les montagnes, franchissant les collines. Hâte empressée de Dieu vers l’âme recueillie et recueillie et pénétrée de silence.
Pour venir à nous dans l’Incarnation, ô Verbe divin, il vous a fallu faire comme un long et pénible voyage. Il en va de même quand il s’agit pour vous de venir jusqu’à notre âme. Mais rien n’est capable d’arrêter votre amour. C’est lui qui vous presse, c’est lui qui vous fait triompher de tous les obstacles. Ils sont nombreux pourtant. Pour tout 1 Imit., I, Imit., I, 2 Venez,
ch. xx, 6. Seigneur Jésus (Apoc., XXII, 20).
74
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
autre que pour vous, ils seraient insurmontables. Vous en triomphez et vous venez… Ô Jésus, depuis le moment où la première de vos grâces luit dans une âme, que n’avezn’avez- vous pas fait pour l’arracher peut-être peut -être au péché, en tout cas, pour la conduire d’étape en étape jusqu’au sommet où elle se trouve maintenant ? Venir vers l’âme pour vous, c’est la rapprocher ainsi de vous malgré toutes les difficultés, celles du dehors et celles du dedans. SIMILIS EST DILECTUS MEUS CAPREAE , HINNULOQ H INNULOQUE UE CERVORUM (II, 9). Mon Bien-Aimé est semblable à la gazelle ou au faon des biches. Entre le moment où la voix de l’Époux se fait entendre, celui où l’âme se rend compte qu’il franchit les derniers obstacles, et celui qu’elle pressent comme tout proche où le Divin Maître l’aura rejointe, il semble à l’Épouse qu’il n’y a pour ainsi dire pas d’intervalle. Jésus vient à elle avec la rapidité rapidit é de l’éclair. l’écl air. L’entendre venir et le l e sentir près de soi, c’est presque tout un. Son amour est si puissant qu’il supprime les distances. L’Épouse admire la grâce et la rapidité de sa marche. De là ces expressions imagées et vives pour traduire ce qu’elle contemple. Mais ce qu’elle admire plus que tout, sans le dire tout haut, c’est l’amour de son Dieu, véritable raison de cette hâte si empressée. Voir Dieu venir à soi avec tant de rapidité et tant d’amour, quelle douce joie pour une âme qui sait déjà un peu combien il est doux de vivre dans la société d’un ami si fidèle et si bon ! C’est la porte du bonheur qui s’ouvre pour elle tout à coup et toute grande. EN IPSE STAT POST PARIETEM NOSTRUM (C ANT., II, 9). Le voici, il est derrière notre mur. Bonheur de l’âme regardée par Dieu.
Il vient enfin dans la vie intérieure, ce moment béni où Dieu fait comprendre à l’âme qu’il est tout proche d’elle, qu’il est là derrière une sorte de paroi très peu épaisse et que, si elle veut vivre dans sa douce compagnie, elle n’a qu’à se tenir tout auprès de ce mur qui seul les sés épare encore. C’est là sa place. C’est là que Jésus veut qu’elle vive désormais. Que désire-t-elle désire-t-elle depuis si longtemps, si ce n’est l’union parfaite avec son Dieu, ou, à défaut de cette union, la présence en quelque sorte consciente de son Bien-Aimé auprès d’elle ? d’elle ? Voilà précisément la grâce qui vient de lui être accordée. Elle ne peut plus en douter. Oui,
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
75
son Dieu, son unique Bien-Aimé daigne se manifester à elle, au fond d’elle-même, d’elle-même, comme caché derrière une petite cloison, mais si mince, si complaisante à laisser filtrer le bruit bien léger pourtant que fait la respiration du divin Époux, qu’il lui semble que tout se passe presque entre eux deux comme si cette séparation n’existait pas. On dirait que l’âme saisît, comme tamisé, le rythme même du Cœur de Dieu. D ieu. Quel bonheur que cette proximité si certaine de celui qui est le Bonheur ! Pourquoi vouloir dire ce qui ne peut pas se dire ? Ne vaut-il pas mieux adorer, remercier, aimer et se taire ? D’autre part comment ne pas vibrer jusqu’au fond en prenant conscience d’une pareille fa veur ? Seigneur, mettez le comble à vos bienfaits. Vous savez que tout conspire pour m’arracher à votre intimité et me rejeter dans le bruit, l’agitation vaine, la multiplicité dissipante. Faites, ô Dieu si bon, que ma vie extérieure, extérieure, loin de contrarier ma vie intime, s’harmonise avec elle et la favorise. Vous savez bien que je ne suis pas capable d’action. Dispensez-en-moi, je vous en prie, mais pourtant, ô mon Dieu, vous êtes le Maître et je vous dis du fond du cœur : « Non mea voluntas, sed tua fiat » » 1. Oui, mon Dieu, « fiat « fiat voluntas tua » tua » 2. Amen. R ESPICIENS ESPICIENS PER FENESTRAS , PROSPICIENS PER CANCELOS (C ANT., II, 9). Il regarde par la fenêtre, il regarde par le treillis. Quand Jésus se tient tout proche de l’âme, « derrière le mur », mur », il exerce par moments son « droit de regard ». C’est un éclair, mais il suffît pour tout illuminer. Et la lumière envahit l’âme tout entière. Les moindres taches se montrent, mais aussi les progrès réalisés. Pour l’ordinaire, en effet, le regard de Jésus est plein de joie et d’affection. Il est content de l’âme, de sa fidélité, de sa générosité, et il lui témoigne toute sa satisfaction. Ô Jésus, rien de ce qui se passe dans mon âme ne vous échappe. En réalité, vous la regardez toujours. Seulement vous ne lui permettez qu’à certains moments de saisir ce doux et bienfaisant regard que vous portez sur elle et qui la pénètre jusqu’au fond. Ô divin Ami, faites que mon âme soit pour vous, à cause de sa ressemblance avec vous, le plus agréable des spectacles ! Permettez-moi souvent de lever les yeux vers vous et de lire dans les vôtres la joie que vous cause mon pauvre mais bien fidèle amour. 1 Luc,
XXII, 42. XXVI, 42.
2 Matth.,
76
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE EN DILECTUS MEUS LOQUITUR MIHI : SURGE, PROPERA , AMICA MEA , CO LUMBA MEA , FORMOSA MEA , ET VENI (C ANT., II, 10). Mon Bien-Aimé prend la parole, Il me dit : « Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens ». Appels directs du Bien- Aimé Bien- Aimé à l’intimité de l’union.
Rien ne peut exprimer la joie la joie d’une d ’une âme qui, assidûment occupée à louer et à aimer son Dieu caché en elle, et se sachant à peine séparée de lui par quelque chose d’insaisissable, entend son Bien-Aimé Bien -Aimé lui dire tout à coup ces mots pleins d’autorité et de grâce : « Lève-toi, mon amie, amie, ma belle, et viens ». Elle était assise aux pieds de son Dieu. Elle levait ses regards vers lui. Elle le contemplait à travers un voile ; elle sentait à chaque instant son amour grandir ; elle en était consumée et par moments comme soulevée. Pourtant elle restait là dans son humble attitude, n’ignorant pas qu’à vouloir prévenir le moment fixé par l’Époux, elle n’aboutirait qu’à le retarder. Mais quel tourment douloureux et délicieux que cette attente ! Il n’y a pas d’angoisse qui approche de cellecelle -là. C’est une vraie mort, mais c’est une mort qui plaît parce qu’elle annonce et prépare la vie. * Les paroles paroles de Jésus opèrent ce qu’elles signifient. Quand il dit à une âme troublée : « Pax « Pax tibi », tibi », aussitôt le vent tombe, les flots s’abaiss’abais sent, le calme se fait, tout rentre dans l’ordre, et la tranquillité pénètre l’âme entière, surface et fond, de sa bienfaisante bienfa isante douceur. Malgré ses désirs, malgré ses efforts, l’âme aimante restait toujours immobile aux pieds et tout près de son Dieu comme un paralytique. Jésus parle. Il dit un mot : « Lève-toi « Lève-toi » » 1. Aussitôt l’âme sent les liens qui la retenaient se briser. Elle est libre. Elle est forte. Une puissance mystérieuse la saisit tout entière « suaviter et fortiter ». fortiter ». En un instant, elle est debout, prête à marcher, impatiente de le faire pour rejoindre et suivre partout son Bien- Aimé. Bien- Aimé. Il lui semble qu’elle est toute toute changée. Il lui faut faire effort pour se reconnaître. Le douloureux passé est si loin. Le présent est si doux ; l’avenir si brillant et si beau ! beau ! « Dites seulement une parole, ô Jésus, et mon âme sera transformée ». « Seigneur, « Seigneur, faites que je me lève et que je marche ! 2 » 1 Matth.,
2 Matth.,
IX, 6. IX, 6.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
77
L’élan qui la soulève dès que Jésus a parlé est chose si étonnante, si nouvelle, que l’âme privilégiée ose à peine y croire. Elle craint de se tromper, elle redoute l’illusion. Il lui faut un secours qui la raffermisse et la rassure. Elle a besoin d’être encouragée à marcher dans la voie inconnue qui s’ouvre devant elle. Jésus voit sa crainte, son hésitation, son embarras. Il lui vient en aide. Un mot suffit, Jésus le prononce : il ajoute « mon amie amie ». Oui, vous êtes mon amie, pourquoi donc vous troubler ? Ne suis-je pas le maître du monde des âmes comme de celui des corps ? S’il me plaît de vous faire entrer dans ma joie, en vous faisant participer à ma société et à ma vie, pourquoi vous étonner ? Je vous ai choisie librement ; j’ai voulu voulu que vous soyez mon amie. Vous l’êtes, soyezsoyez-en persuadée. C’est pour cela que je vous veux près de moi, avec moi. Parce que je vous ai aimée, vous êtes devenue mon amie. Parce que vous êtes mon amie, je veux vous témoigner mon amour. Ne craignez pas : je vous aime. Ô Jésus, comme je voudrais vous entendre me dire en toute vérité : « Mon ami, oui, vous êtes mon ami ». Vous êtes si peu aimé, ô Jésus, ô mon Dieu ! Vous avez si peu de véritables amis que l’on n’ose pas se croire du nombre. Ô Jésus, dites-moi dites-moi ce qu’il faut que je fasse, non pas pour mériter, mais pour obtenir de votre bonté cette grâce. Je le sais, je dois n’avoir d’autres pensées, d’autres désirs, d’autres affections, d’autres vouloirs que les vôtres : vôtres : eadem velle, eadem nolle 1. C’est la loi loi de toute amitié. Une seule âme dans deux corps. Mais il me semble que votre amitié à vous exige quelque chose de plus profond, de plus absolu, de plus total, un je ne sais quoi qu’il m’est impossible de saisir, de définir, d’expliquer, à quoi cependant v ous ous avez droit, ô mon Dieu, et que je voudrais tant vous donner. Daignez le prendre vous-même, ô Jésus, puisque je ne sais pas vous l’offrir. * Il semble que ce mot, pourtant si doux, d’ « d’ « amie » amie » ne suffise pas pour triompher des craintes et des timidités de l’Épouse. Tout est si nouveau, tout est si profond, tout est si étonnant dans cette affection de Jésus pour l’âme intérieure, que l’on comprend sa délicate inquiétude. Jésus s’en rend compte. Il l’approuve au fond. Mais il veut en triompher et il ajoute ce mot irrésistible : « ma belle ». belle ». Il y a en vous quelque chose qui m’attire et me plaît. C’est moi qui l’ai mis en vous, c’est vrai, mais c’est à vous, bien à vous. Ne craignez donc pas. Vous avez maintenant comme des droits à mon amour : vous êtes belle, il n’y a plus de tache en vous ; vous ; vous êtes mienne, tout à fait mienne. Je 1 Eadem
velle, eadem nolle, ea demum firma amicitia est. Vouloir est. Vouloir de même, ne pas vouloir de même, voilà, certes, la solide amitié (S. Jérôme).
78
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
vous veux à moi tout entière, pour toujours. C’est mon droit. C’est ma volonté. C’est ma joie. Oui, vous ne pouvez pas me refuser le bonheur de vous admirer, de vous aimer et de vous tenir près de moi comme une âme bien à moi. Allons. Venez, ô âme tant aimée ! Oui, « venez ». ». Le voilà enfin, cet appel divin, direct, immédiat, sans lequel nul n’a le droit et nul ne peut du reste suivre réellement Jésus pour partager sa vie et goûter vraiment son intimité. Aucune hésitation n’est plus permise, aucune résistance même n’est possible en un sens. La grâce d’union attire « suaviter et fortiter fortiter ». Elle obtient sans peine le consentement plénier et joyeux de l’âme. Ici, plus qu’ailleurs enco re, la parole de Jésus est réalisatrice ! Elle opère ce qu’elle signifie. On lui obéit comme à un ordre, on la ressent comme un charme, on la goûte comme un bonheur. Elle est tout cela, plus que cela. Quand me la ferez-vous entendre cette parole, ô mon Jésus ? Votre serviteur écoute, ô mon Dieu. Il attend dans le silence, dans la paix, dans l’espérance, cet heureux moment où vous lui direz au fond du cœur : cœur : « Viens, suismoi » » 1. Ô Dieu de mon cœur, quand donc me sera-t-il sera -t-il donné de vous suivre jusque chez vous ? J AM ENIM HIEMS TRANSIIT, IMBER ABIIT ET RECESSIT (C ANT., II, 11). Car voici que l’hiver est fini, la pluie a cessé, elle a disparu. Phases douloureuses qui préparent l’âme intérieure à de à de nouvelles grâces.
C’est donc bien vrai, ô Jésus, l’hiver, le sombre, s ombre, le glacial hiver est fini ? Vous lui avez donné l’ordre de partir. Il est parti. Et, je l’espère de votre amour, il est parti pour toujours. C’est que vous êtes là désormais, ô lumière de mes yeux, ô chaleur de mon cœur, ô joie de mon âme. Vous m’av ez ez dit : « Viens, suis-moi ». ». Et je sais que celui qui vous suit ne marche point dans les ténèbres : « Qui sequitur me, non ambulat in tenebris », tenebris », parce que vous êtes la Lumière du monde : « Ego sum lux mundi » » 2, la Lumière la Lumière vraie qui éclaire tout homme venant ve nant en ce monde : monde : « Erat lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum » mundum » 3. Il vous a plu, ô Dieu de mon cœur, de faire luire votre douce lumière jusqu’au fond de mon âme. Vous l’avez éclairée du dedans, elle vous a vu là réellement vivant en elle, elle oserait presque dire pour elle. Quelle révélation, ô mon Dieu, et comment vous en remercier ? 1 Matth.,
IX, 9.
2 Joan., VIII, 12.
3 Joan.,
I, 9.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
79
* L’hiver, c’est aussi le froid. L’âme doit subir cette rude épreuve, en sentir toute la rigueur. Elle dure plus ou moins selon les cas. Dieu se cache. Non seulement il n’éclaire plus, mais il ne réchauffe plus, ou, ce qui est plus exact, il paraît ne plus le faire. Il faut alors marcher dans les ténèbres, comme à tâtons, à la recherche du Bien-Aimé. On avance pas à pas, péniblement, il semble qu’on ne l’atteindra jamais. Ce qui ajoute à la peine, c’est l’engourdissement intérieur. L’âme a froid. Elle se sent comme sans ressort, paralysée en face de tout bien. Rien ne lui plaît, rien ne lui parle, rien ne l’attire. Il faut pourtant qu’elle marche ou du moins qu’elle essaie de marcher quand même. Et cela paraît de voir durer toujours. Quel tourment, quel supplice ! Et encore pourvu que les vents glacés ne se mettent pas à la frapper au visage, la neige et le brouillard à l’envelopper de leur linceul… Maintenant, l’hiver est fini pour l’âme. Il pourra bien par moments et même par journées, faire mine de vouloir revenir, mais ce sera comme une vague passagère de froid. Le soleil divin restera là, derrière les nuages, faisant toujours sentir sa chaude et douce influence. Oui, l’hiver est passé. Ce n’est pas encore sans doute le plein été, mais c’est le printemps, un printemps ferme et plein de promesses. Ces premiers rayons de lumière, ces premiers effluves de chaleur, apportent à l’âme une joie profonde et toute nouvelle. Il lui semble qu’elle comprend par expérience le mot du psalmiste : « Gustate et videte quoniam suavis est Dominus » Dominus » 1. La suavité de Dieu, voilà ce qu’elle éprouve, ce qu’elle goûte, ce dont elle se sent comme pénétrée. Tout cela se passe au plus intime d’elled’elle-même. Parfois cependant, le cœur sensible lui aussi est gagné. Elle en remercie son Bien-Aimé, mais elle sait qu’il ne faut pas attacher grand prix à cette manifestation, bonne en soi, toujours à contrôler. Le meilleur est tout au fond. fo nd. C’est là qu’elle se tient pour savourer sa joie. Vers la fin de l’hiver, la pluie tombe souvent avec abondance. Tantôt froide, tantôt un peu attiédie, elle est toujours monotone et grise. Ce n’est plus l’hiver, ce n’est pas tout à fait le printemps. De s journées entières ignorent le soleil. Parfois, au contraire, il se fait une agréable éclaircie et le bleu du ciel reparaît. L’âme, dans sa vie intérieure, connaît aussi la période des pluies. Il ne fait pas froid chez elle, mais il n’y fait pas vraiment chaud non plus. L’atmosphère où elle vit est grise. Par moments, elle devient plus sombre, par moments aussi, elle s’éclaire un peu. Mais rien n’est stable, ni la lumière, ni la chaleur. Ce n’est pas la mort, ce n’est pas la vie, la vraie vie. Quand viendra-t-elle viendr a-t-elle ? 1 Goûtez
et voyez combien le Seigneur est bon (Ps. XXXIII, 9).
80
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Pluies monotones ne cesserez-vous pas bientôt ? N’avez-vous N’avez-vous pas suffisamment humilié, détrempé, pénétré, amolli, purifié la terre de mon âme ? L’heure du soleil n’arrivera-t-elle n’arrivera-t-elle donc jamais ? Quand donc entendrai- je l’Époux me dire : dire : « Lève-toi … viens, la pluie a cessé, elle a disparu… » C’est alors seulement que je pourrai sortir de moi-même, moi -même, où je m’ennuie comme la colombe dans l’arche, pour m’élancer vers le ciel et vers mon Dieu. La période des pluies symbolise la période des larmes. Quelle est l’âme intérieure l’âme intérieure qui n’a pas n’a pas pleuré sur ses fautes, si légères soient-elles, sur son impuissance à aimer et à faire aimer Jésus, sur l’exil qu’est cette vie, sur l’absence du Bien-Aimé Bien -Aimé ? Avant d’en venir à l’intimité di vine, que de larmes, de vraies larmes larmes du cœur, il faut verser ! verser ! Il est si dur quand on aime Jésus de l’avoir fait souffrir par sa faute ! faute ! Et pourtant, c’est de la réalité vécue. Jésus a connu non seulement la pauvreté et l’humiliation, mais aussi la souffrance à cause de moi. PardonnezPardonnez moi, ô Jésus, je ne savais pas ce que je faisais. Mais comme il y a de quoi pleurer ! Et si encore quand j’ai entrevu la beauté de votre visage, la bonté de votre Cœur, j’avais su vous aimer pour tout de bon, il y a longtemps que je vous aimerais ! « O pulchritudo tam antiqua et tam nova, nova, sero te amavi, sero te amavi » » 1. C’est fini, n’est-ce n’est-ce pas, ô mon Dieu, je n’aime plus que vous et je vous aime de tout mon cœur. Une source de larmes pour l’âme qui entrevoit par moments com bien vous êtes aimable et combien vous êtes digne d’être aimé, ô Jésus, c’est précisément de se sentir si réellement impuissant à vous aimer et à vous faire aimer. Son cœur est froid, ses lèvres sont muettes ; si elles s’ouvrent pour parler de vous, ce qu’elle dit est douloureux au possible, possible, tant il y a disproportion entre ce qu’elle dit et ce quelle de vrait et voudrait dire. Parce que son cœur ne bat qu’à grand’peine, il lui semble que celui des autres est comme le sien sans chaleur, et sans vie. Y a-t-il, ô Jésus, Jésus , une douleur comparable comparabl e à cette douleur ? Comme il est juste alors de pleurer ! Mais « la pluie a cessé », le cœur se reprend à battre et à vivre. Les lèvres s’ouvrent comme d’elles-mêmes. d’elles -mêmes. Elles prononcent des mots de feu qui blessent d’amour. Vous avez dit une seule parole, vous, ô Jésus ; vous avez lancé une étincelle, et tout est en flammes. On vous aime et on se sent capable de vous faire aimer. Après la tristesse, c’est la joie, et quelle joie ! joie ! Au souvenir de la patrie, l’exilé sent les larmes lui venir aux yeux. L’âme intérieure a connu l’amertume de l’exil, elle a pleuré bien des fois sur sa patrie absente. Elle a souvent éprouvé tout ce que la vie d’ici-bas d’ici-bas a de dur, de triste et de désolant. Ô beau ciel, je ne te verrai 1 Ô
Beauté toujours ancienne ancienn e et toujours nouvelle, trop tard je t’ai aimée aimée,, trop tard je t’ai aimée (S. Augustin).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
81
donc jamais ? Elle a savouré dans toute son âpreté le dégoût spécial de vivre : « Ita ut taederet nos etiam vivere » vivere » 1, réservé aux âmes qui ne veulent plus rien demander à la terre menteuse et qui pourtant ne reçoivent pas encore les douces consolations du ciel. Cet état si douloureux est peint au vif par sainte Thérèse lorsqu’elle explique, dans sa Vie, le sens du verset du Psaume toi : « Vigilavi, et factus sum sicut passer solitarius in tecto » tecto » 2. C’est la crucifixion entre ciel et terre : terre : l’âme pleure, non de regret pour ce qu’elle quitte, mais de tristesse trist esse parce qu’elle ne possède pas encore ce qu’elle aime uniquement. Et il lui semble qu’elle devra passer toute sa vie dans cet exil si douloureux. Mais non, le temps des pluies cessera, l’exil prendra fin même avant la mort ! Dès ce monde, le meilleur d’elle-même d’elle-même entrera dans la Patrie. Dieu, son Père, lui ouvrira son Cœur. Il essuiera toutes les larmes, à jamais… Et jamais… Et veni… L’exil serait supportable, si le Bien-Aimé Bien -Aimé faisait sentir sa présence. Ce ne serait plus le dur exil. Mais alors, Jésus se cache. Il l aisse à l’âme l’impression qu’il est loin, bien loin, et que peut-être peut-être il ne reviendra plus jamais. Les larmes coulent discrètes, résignées, mais bien amères. La tête est vide. Le cœur fait mal, très mal mal : on dirait que quelque chose qui le remplissait et le faisait battre lui a été brusquement arraché. Il souffre. Il saigne. Il ne sait où trouver ce qui lui manque tant, et dont il vivait. La parole de saint Augustin prend alors pour l’âme un sens profond et vécu qu’elle ne lui connaissait pas : « Irrequietum est cor nostrum, donec requiescat in te » te » 3. Cette inquiétude mortelle du cœur privé de son Dieu, qui en dira l’acuité et la profondeur ? Mais, tout à coup, la pluie cesse, les larmes s’arrêtent, les yeux s’éclairent, le cœur sent le bonheur l’envahir jusqu’au plus intime : intime : Jésus est revenu. Il a parlé, tout est oublié. C’est l’intimité qui se renoue plus douce, plus simple, plus affectueuse et plus profonde que jamais. « Mane, « Mane, Domine, in aeternum » aeternum » 4. FLORES APPARUERUNT IN TERRA NOSTRA (C ANT., II, 12). Les fleurs paraissent sur la terre. Épanouissement des vertus l’âme intérieure.
Avant l’hiver, le divin dans agriculteur avait ensemencé l’âme intérieure de ses meilleures semences. Puis l’hiver est venu. Tout parais1 À
tel point que nous désespérions même de la vie (II Cor., I, 8). passe les nuits sans sommeil comme le passereau solitaire sur les toits (Ps. 3 Notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en toi (S. Augustin). 4 Restez, Seigneur, dans l’éternité. 2 Je
CI, 8).
82
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
sait mort. Tout semblait à jamais perdu. Qu’attendre d’une terre si froide et si dure ? Les pluies sont venues aussi. On aurait dit que leur tâche était d’achever de détruire, d’entraîner avec elles ce que l’hiver avait épargné. Mais non, ce n’étaient là n’étaient là que des apparences. La terre gardait son trésor. La vie était cachée comme le feu sous la cendre, attendant l’heul’heure de Dieu. Cette heure est arrivée. L’hiver n’est plus n’est plus qu’un souvenir. qu’un souvenir. Il ne reste de la pluie que ce qui est nécessaire pour le développement des petites semences. La douce chaleur de l’amour l’amour fait son œuvre : œuvre : elle chasse l’excès d’humidité ; d’humidité ; elle pénètre, à travers la terre détrempée et meuble, jusqu’à meuble, jusqu’à l’humble graine l’humble graine ; elle la tire de son lourd sommeil, elle l’éveille, elle l’éveille, elle la ranime : allons, sors du tombeau, montre-toi aux yeux, révèle la beauté cachée en toi par Celui qui t’a t’a semée. Plonge tes racines, pousse ta tige, viens t’épanouir au t’épanouir au soleil du divin amour. Pendant l’hiver, l’hiver, les arbres, eux aussi, paraissent morts. Au printemps, la sève monte. Bientôt les fleurs et les fruits réjouissent les yeux. Ainsi en est-il de l’âme. Jusqu’alors, Jusqu’alors, ses vertus semblaient stériles. Maintenant elles se mettent à pousser leurs actes comme l’arbre l’arbre ses feuilles. Tout est fleuri dans l’âme. C’est le C’est le printemps avec ses fleurs aux formes inimitables, aux teintes variées, aux parfums tout célestes. C’est l’humilité qui se cache, la modestie qui se fait toute gracieuse et toute pure, la douceur qui repose, la force qui rassure, la bonté qui se donne, la charité qui aime et qui s’oublie, la patience qui sourit s ourit aux croix, l’amabilité qui sourit aux âmes, la compassion qui pleure avec ceux qui pleurent, la joie qui s’épanouit au bonheur des autres, la paix qui calme toute fièvre, que sais-je encore ! Belles fleurs du ciel, que vous êtes belles, vous que l’amour de Jésus fait pousser dans l’âme et qui la rendez si agréable aux regards des hommes et au regard de Dieu. TEMPUS PUTATIONIS ADVENIT A DVENIT (C ANT., II, 12). Le temps des chants est arrivé. La Sainte Saint e Église a pourvu l’âme intérieure de chants d’amour : d’amour : Psaumes, Hymnes.
Tout est à la joie, tout chante au printemps. Tout aussi dans l’âme est à la joie et chante. Quand l’amour de Dieu dilate le cœur, les lèvres s’ouvrent d’elles-mêmes. d’elles-mêmes. Comme il est doux, ô mon Dieu, de chanter votre amour ! On sait bien qu’aucune mélodie n’est capable de l’exprimer. Mais il est impossible de se taire, et parler ne suffît pas. Il n’y a plus d’autre ressource que de chanter, et l’on chante. On le fait d’abord dans son cœur, puis tout haut : haut :
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
83
Jesu dulcis memoria Dans vera cordis gaudia Sed super mel et omnia Ejus dulcis praesentia 1.
Oui, mille fois oui, ô Jésus, votre doux souvenir suffisait à lui seul pour faire goûter à l’âme les joies les plus profondes et les plus vraies. Il lui semblait que sa capacité de bonheur était toute remplie. Mais non, vous vous rapprochez d’elle, vous lui faites sentir sen tir le charme divin de votre présence. Alors, elle ne sait plus quelle comparaison trouver pour traduire ce nouveau bonheur, plus doux que le miel, plus doux que tout, et elle chante : Sed super mel et omnia Ejus dulcis praesentia.
Oh ! que ce chant est beau ! Puisque vous dites vous-même, ô mon Jésus, que le temps des chants est arrivé, laissez-moi laissez- moi vous chanter le cantique de mon cœur : cœur : Nil canitur suavius Nil auditur jucundius Nil cogitatur dulcius Quam Jesus Dei Filius.
Que voulez-vous que je chante de plus suave, que j’écoute j’écoute et que j’entende de j’entende de plus agréable, que je pense de plus doux que vous-même, ô Jésus Bien-Aimé, vrai Fils de Dieu et vrai fils de Marie ? Comme on a raison, ô Jésus, de vous chanter, vous qui êtes toute notre espérance à nous pauvres pécheurs, vous qui êtes si bienveillant pour tous ceux qui vous prient, vous qui attirez attire z à votre recherche par le l e charme tout-puistout- puissant de votre bonté, vous enfin qui comblez d’ineffables délices d’ineffables délices ceux qui ont l’inexprimable bonheur de vous trouver et de vous posséder ! posséder ! Jesu, spes poenitentibus, Quam pius es petentibas ! Quam bonus Te quaerentibus ! Sed quid invenientibus 2 ? Nec lingua valet dicere Nec littera exprimere, 1 Doux
est le souvenir de Jésus, Il donne les vraies joies du cœur, Mais plus que le miel ou toutes choses Douce est sa présence. 2 Jésus, espoir des pénitents, Que vous êtes tendre à ceux qui vous implorent, Bon pour ceux qui vous cherchent, Mais que n’ n’êtes-vous pas pour ceux qui vous trouvent ?
84
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE Expertus potest credere Quid sit Jesum diligere 1.
Et l’âme continue à chanter son bonheur… Tous ceux qui ont goûté la joie de vous posséder et de vous aimer, ô Jésus, un saint Paul, un saint Augustin, un saint François d’Assise, une sainte Thérèse, un saint Jean de la Croix et t ant d’autres, avant comme après saint Bernard, se sont déclarés impuissants à traduire leur bonheur. Non, ni la langue ne saurait dire, ni la parole écrite ou parlée ne saurait exprimer, et même celui-là celui-là seul qui l’expérimente peut croire, ce que c’est que de vous aimer, ô Jésus… Le cœur était tranquille, calme, paisible, il s’entretenait affectueusement avec lui-même de son Bien- Aimé, Bien- Aimé, et voilà qu’une douce chaleur l’a pénétré lentement, jusqu’au fond. Il s’est senti comme envahi par quelqu’un de puissant, de doux et de fort, qui s’établissait à demeure en lui-même. Il est surpris, mais non troublé. Il se rend compte que ce n’est pas lui qui agit, mais quelqu’un à qui rien ne peut résister. Il n’a du reste aucune envie de le faire. Il ne songe qu’à son bonhe ur, ou plutôt à celui qui le réchauffe ainsi de sa chaleur, le fortifie de sa force, le rend heureux de sa béatitude. Oh ! si cette inexprimable pénétration du cœur de l’âme par mon Dieu Bien-Aimé Bien -Aimé pouvait durer tou jours ! Mais n’est-ce n’est-ce pas déjà une grâce incomparable que cette union, même d’un instant ?… Quant à faire passer dans les mots quelques rayons de cette joie, encore une fois, c’est auau -dessus des forces humaines. Seule l’âme qui goûte ainsi le Seigneur peut s’en dire à elle-même elle-même quelque chose. Expertus potest credere Quid sit Jesum diligere…
Mais elle souhaite ardemment que d’autres reçoivent cette même faveur, et elle leur dit : « Gustate et videte quoniam suavis est Dominus » nus » 2. Que votre vie s’écoule tout entière à chercher, puis à trouver, puis enfin à posséder Celui qui seul est tout pour vous ! Alors vous chanterez le cantique du divin amour ! Oui, soyez notre joie, ô Jésus, vous qui devez être notre récompense et qu’à jamais nous prenions notre gloire en vous : vous : Sis Jesum nostrum gaudium Qui es futurum praemium ; Sit nostra in te gloria Per cuncta semper saecula. Amen. 1 Ni
la langue ne peut dire, Ni l’écriture exprimer, Ce qu’est aimer Jésus. Celui-là peut le croire qui l’a éprouvé. 2 Goutez et voyez que le Seigneur est bon (Ps. XXXIII, 9).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
85
L’âme voudrait toujours chanter. Elle sait que sa mère, la sainte Église, a composé pour elle des chants nombreux, variés, beaux comme la beauté, tout ensemble doux et forts, simples et riches, gracieux et fermes, tristes parfois, mais pleins d’espérance, gais, joyeux même, mais toujours mesurés et modestes. Elle n’a plus qu’à choisir. En ce moment, elle est heureuse, son Dieu veut qu’elle vive dans son intimité. Voilà pourquoi elle préfère le cantique où le nom de son Bien-Aimé revient à chaque strophe. On dirait qu’elle ne peut pas assez se rassasier de ce nom béni de Jésus : Nil canitur suavius, Nil auditur jucundius, Nil cogitatur dulcius Quam Jesus Dei Filius.
Qui oserait l’en blâmer l’en blâmer ? V OX OX TURTURIS AUDITA EST IN TERRA NOSTRA (C ANT., II, 12). La voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes. Chant d’amour plus intime de l’âme.
La tourterelle est un oiseau migrateur. Son retour annonce la belle saison : sa douce et monotone mélodie signale son retour. Quand il fait beau et chaud dans l’âme, on y entend une mélodie semblable à celle de la tourterelle. C’est l’âme même qui la compose et qui l’exécute. Elle est très simple. Elle se contente de quelques notes à intervalles très rapprochés et même diminués encore par des demi-tons. demi-tons. C’est l’exl’expression pression aussi exacte que possible d’une joie profonde, d’un bonheur intense, mais calme, paisible, à peine connu de la sensibilité, et lui demandant dès lors très peu pour se traduire. traduir e. En prêtant bien l’oreille, on parviendrait à saisir un mot murmuré plutôt que chanté, mot qui revient sans cesse, toujours le même et toujours suivi d’une courte pause comme pour permettre à l’âme de le goûter encore en écho : « Ô mon amour, ô amour ; ô mon amour, ô amour ! » Comme ce chant est doux au cœur de Dieu ! Dieu ! FICUS PROTULIT GROSSOS SUOS (C ANT., II, 13). Le figuier développe ses fruits naissants. Fruits du travail profond de la grâce dans l’âme fidèle.
Jésus maudit le figuier stérile. Ses feuilles vaniteuses se dessèchent. Il meurt. Jésus est patient pour le figuier trop lent à porter ses
86
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
fruits. Il consent à lui laisser occuper la terre, il attend. Jésus enfin est heureux quand il trouve un figuier couvert de fruits. Il le contemple les développant développant et les poussant jusqu’à parfaite maturité. Doux Jésus, vous avez daigné ne pas maudire mon âme si longtemps stérile ; vous en aviez pourtant bien le droit. Miséricordieux jusqu’à la limite, vous m’avez permis d’occuper la terre sans qu’il vous en revînt aucun profit. Divin agriculteur, il vous a plu de vous intéresser vous-même à ce pauvre arbre sans valeur. Vous avez retourné le sol où il était planté. L’humiliation et la souffrance ont pénétré cette terre ingrate. Et voilà que vos labeurs patients reçoivent un commencement de récompense. Quelques fruits se montrent. Il me semble par moments que je vous aime un peu. C’est le seul fruit que vous attendez de moi. Oh ! Oh ! faites qu’il mûrisse ! mûrisse ! Comme autrefois en Palestine, vous avez faim et soif, ô Jésus. Vous cherchez, sur les arbres que vous avez plantés, des fruits qui vous nourrissent et qui vous rafraîchissent. Quelle joie pour une âme que de vous voir vous rapprocher d’elle pour y découvrir ces beaux et bons actes d’humilité, de douceur, de générosité et d’amour qu’elle a produits par vous et pour vous ! Vous recevoir à sa table en quelque sorte, vous y nourrir comme du meilleur d’elle-même, d’elle-même, quelle félicité ! Elle a tant reçu de vous que c’est justice qu’elle vous rende quelque chose à son tour ! Vous l’av ez ez nourrie de votre chair et de votre sang, de votre grâce et de votre amour. À vous maintenant de vous reposer en goûtant les fruits de vos travaux et de vos peines. Faites, ô divin Maître, que ces fruits qui sont bien à vous parviennent à la parfaite maturité pour votre gloire et pour le vrai bonheur de votre sainte Épouse ! Mais Jésus aime à faire admirer et goûter à sa sainte Épouse les fruits que portent les autres âmes. On voit clair dans le monde spirituel selon le degré d’intimité où l’on se trouve avec le bon Dieu. Plus on lui est uni, et mieux on voit ce qu’il voit et comme il le voit. Ici, Jésus veut faire contempler le spectacle des âmes qui lui appartiennent â un titre tout spécial, et qui fructifient par lui et pour lui. Dans l’union spirituelle spirituelle entre l’Époux et l’Épouse, tous les biens sont communs. Les fruits que produisent les autres arbres, plantés et cultivés par Jésus, sont aussi à l’âme bien-aimée bien -aimée qui désormais le suit partout où il va, goûte toutes ses joies, partage toutes ses espérances. espérance s. Et c’est un délicieux spectacle que celui de tant d’âmes ignorées, qui, dans le secret de leur vie intime, produisent de si beaux actes d’humilité, de renoncement, de bonté et d’amour ! d’amour ! Le monde spirituel se découvre de plus en plus aux regards de l’âme. l’âme. Et les beautés de la nature ne sont rien en comparaison de sa beauté à lui !… Comme Jésus est bon d’apprendre ainsi à lire les âmes ! âmes ! On le fait d’un regard discret, respectueux, religieux. Une âme, c’est un sanc-
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
87
tuaire. Il y faut entrer, même seulement du regard, avec une sainte retenue et un profond recueillement. Mais aussi quand les yeux se sont accoutumés à la demi-obscurité de ce sanctuaire, que de belles choses on y découvre ! On voit la zone d’ombre peu à peu envahie par la lumière de Dieu ; celle qui était froide se réchauffer au soleil du divin amour, celle qui était encore un peu bourbeuse se dessécher et s’assai nir. C’est une âme au printemps d’abord. Ce sera bientôt une âme à l’été et à l’automne. Ce ne sera plus jamais une âme en hiver. Merci, Merci , mille fois, ô Jésus, pour tous ceux à qui vous faites l’honneur et à qui vous procurez la joie de saisir comme avec leurs yeux le travail profond, lent pour l’ordinaire, mais sûr de votre grâce dans une âme que vous aimez ! V INEAE INEAE FLORENTES DEDERUNT ODOREM SUUM (C ANT., II, 13). La vigne en fleur exhale son parfum. Le parfum préféré de Jésus est celui du sacrifice et de l’amour.
Le fruit plaît au regàrd et au goût. Il nourrit. Il le fera du moins dès qu’il sera mûr. La vigne en fleur n’offre rien de particulièrement partic ulièrement agréable aux yeux, mais elle annonce ses fruits, et en attendant, à titre d’arrhes, elle embaume de son parfum. Entre la bonté du fruit à venir et le charme du parfum de la fleur qui le promet, il y a un lien étroit, une véritable harmonie. Ainsi en doit-il être de mon âme, ô Jésus ! C’est votre vigne. Vous l’avez plantée, entourée de murs. Vous l’avez cultivée. Vous y avez construit un pressoir pour l’heure de la vendange, et une tour pour la garder des voleurs. Vous attendez qu’elle porte ses fruits, et en attendant vous lui demandez de vous réjouir par son parfum. Ô Jésus, comme je voudrais être pour vous une vigne toute en fleur, faisant monter vers vous la suavité de son amour ! Oui, mon Jésus, que chacun des rameaux de ma vigne pousse de nombreuses branches chargées déjà à ployer de fleurs embaumées et de grappes naissantes. On est si heureux de vous causer un peu de joie et de vous faire plaisir ! Daignez, ô mon Bien- Aimé, Bien- Aimé, agréer a gréer l’hommage que je vous fais du parfum de ma pauvre vigne. Je le voudrais doux et pénétrant, fin et délicat, tout céleste, semblable à celui de l’encens qui adore et qui loue, qui prie et qui chante. Je voudrais surtout qu’il ait l’arôme incomparable et tout divin de la sainte charité. Vous aimez le parfum de l’humilité l’humilité et de la douceur, celui de la mansuétude et de la bonté, mais vous leur préférez encore celui du sacrifice et celui de
88
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
l’amour. C’est celui delà « vigne » vigne » 1 dont les fruits ont été broyés un jour afin de nous donner votre sang à boire. Et cela parce que vous nous avez aimés « jusqu’à « jusqu’à la fin » fin » 2. Voilà, à mon tour, le parfum que je voudrais vous offrir, parce que je vous aime. SURGE AMICA MEA , SPECIOSA MEA , ET VENI (C ANT., II, 13). Lève-toi mon amie, ma belle, et viens. Abîme de la Sagesse et de la Science de Dieu ; plus on vous aime a ime et plus on vous goûte, plus on vous goûte et plus on vous connaît.
Après avoir énuméré à l’âme intérieure toutes les raisons qu’elle a de le suivre désormais de très près et sans crainte, puisque l’hiver a fait place au printemps, Jésus lui renouvelle sa douce invitation : « Lève-toi ». ». Il lui donne de nouveau le titre « d’amie ». d’amie ». Il proclame une fois de plus sa beauté. Il la presse enfin de venir et de le suivre : « Veni, sequere me ». me ». Tout cela est redit par Jésus avec un accent plus persuasif et plus doux que jamais. La vie d’intimité avec le bon Dieu est ainsi faite qu’elle semble toujours la même et qu’elle est pourtant toujours nouvelle : « O Pulchritudo tam antiqua et tam nova ». Ce que saint Augustin disait de l’éternelle l’éternell e Beauté toujours jeune est vrai de la solitude intérieure et de la vie cachée en Dieu. Les yeux de l’âme voient toujours les mêmes choses, mais ils les voient mieux et comme tout de nouveau. Le cœur aime toujours le même Dieu, et pourtant, à chaque battement battement nouveau, il lui semble qu’il commence à goûter un amour qu’il ne connaissait pas : pas : « O altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei » » 3 ! Oui, vous êtes inépuisable, insondable, ô abîme de la sagesse et de la science de Dieu ! Plus on vous aime et plus on vous goûte, plus on vous goûte et plus on vous connaît. Et il en va toujours ainsi à chaque pas en avant. Vous posséder, vous savourer, ô mon Dieu, si l’on ose dire, vous connaître d’une connaissance toute spéciale, un peu à la manière, semble-t-il, d’un arbre qui goûterait luilui même le fruit qu’il aurait porté. Ô âme, vivifiée jusqu’au fond par la grâce, n’es-tu n’es-tu pas cet arbre mystérieux dont le fruit est Dieu même, venant en quelque sorte se faire porter puis goûter par toi. Maintenant, tu n’es plus un Dieu un Dieu en fleur, fleur, tu es un Dieu en fruit, au fruit, au sens où cela est possible, et tu vis dans une conscience de plus en plus nette de ton bonheur… Lèvebonheur… Lève-toi… toi… 1 Joan., 2 Joan.,
3 Ô
XV , 1. XIII, 1.
profondeur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu (Rom.,
XI, 33).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
89
COLUMBA MEA , IN FORAMINIBUS PETRAE, IN CAVERNA MACERIAE (C ANT., II, 14). Ma colombe qui te tiens dans les fentes des rochers, qui te caches dans les parois escarpées. Hauteur et solitude, demeure inaccessible de l’âme intérieure.
Dites-moi, ô Jésus, quelles sont ces « fentes « fentes des rochers » rochers » dans lesquelles se tient l’âme intérieure, et ces « parois « parois escarpées » escarpées » dans lesquelles elle se cache ! Oiseau timide et faible, la colombe semble avoir besoin de s’appuyer sur la fermeté du roc, de se tenir loin de la portée des hommes et tout près des retraites inaccessibles et sûres. Ainsi en est-il est-il de l’âme qui vous aime, ô mon Dieu. Elle s’éloigne du bruit, elle fuit le monde, elle s’élève sur les hauteurs d’elle-même, d’elle-même, elle y fait sa demeure habituelle, elle s’y cache en quelque sorte. Il lui semble avec raison que là seulement elle trouvera, avec le silence, la sécurité et la paix. Elle sait que sur ces hauteurs, l’air est plus pur, « aër purior », purior », le ciel plus clair, plus transparent, plus lumineux, plus éclairant et comme ouvert, « coelum apertius », apertius », et vous surtout, ô mon Dieu, plus proche, plus confiant, plus affectueux, plus intime et plus familier, « familiarior Deus ». Deus ». OSTENDE MIHI FACIEM TUAM, SONET VOX TUA IN AURIBUS MEIS (II, 14). Montre-moi ton visage, fais-moi entendre ta voix. Paisible et irrésistible mouvement entraînant l’âme vers son Dieu qui l’appelle.
L’âme intérieure se cache le plus qu’elle peut aux créatures. Elle vit seule et-sur les hauteurs. Elle y attend son Dieu. Il lui parle en ce moment. Il la félicite de son amour de la retraite. Mais il lui rappelle que si elle doit se cacher à tous les regards, elle doit se montrer à son Seigneur, à son Époux et à son Dieu. Il a le droit de la voir et de la contempler. Pour lui, point de retraite obscure, de cachette mystérieuse, de voile impénétrable. Pour lui, point de silence à observer. Montremoi ton visage. Fais-moi entendre ta voix … voix … Oh Oh ! Seigneur Jésus, je voudrais tant vous obéir et, à votre ordre, sortir de ma réserve, me montrer à vous à visage découvert, faire entendre ma voix à vos oreilles d’ami et de frère. Mais j’ai peur. Il me semble que mes traits trait s sont irréguliers, disgracieux, et que ma voix manque de force, de sou-
90
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
plesse et de grâce, aidez-moi. Par suite de ses habitudes de vie cachée, et un peu craintive, l’âme intérieure hésite à répondre à l’appel de Dieu. Elle redoute l’illusion. Est-ce Est -ce bien Dieu qui lui parle et lui dit de « montrer son visage et de faire entendre sa voix » ?… L’ange de ténèbres ne peut-il pas se transformer en ange de lumière pour la faire tomber dans un piège ? Comme Samuel, elle ne connaît pas encore le Seigneur. Mais non, ô âme aimée, ne crains pas. La voix de Celui qui t’appelle est bien la voix de ton Dieu. Elle te surprend, tu ne l’avais pas encore entendue de cette manière. Voilà pourquoi tu es surprise et tu t’étonnes. Mais ne remarques-tu remarques -tu pas que cette voix qui te saisit ne te trouble pas, qu’elle pénètre jusqu’au fond de toitoi -même, qu’elle y fait naître un mouvement doux et fort, irrésistible et pourtant paisible, qui soulève vers ton Dieu Bien- Aimé Bien- Aimé tout ce qu’il y a en toi de meilleur et de saint ? Non, « ne crains pas, pas, c’est Moi 1, Jésus ». Jésus ». V OX OX ENIM TUA DULCIS ET FACIES TUA DECORA (C ANT., II, 14). Car ta voix est douce, et ton visage charmant. L’âme pure et aimante attire sur elle le regard de Dieu.
Une fois de plus, Jésus prononce la parole qui triomphe de toutes les timidités et de toutes les hésitations. Il a donné un ordre. Il daigne en fournir les raisons. L’âme peut parler et chanter, sa voix est douce aux oreilles du Bien-Aimé ; elle peut montrer son visage à découvert, car il est plein de charme pour le regard de Dieu. Quand sera-ce, ô Jésus, que vous me ferez un tel compliment ? Quand donc la voix de mon âme sera-t-elle douce à vos oreilles ? Je le voudrais tant ! Oui, je voudrais toujours chanter intérieurement votre grandeur, votre miséricorde et votre amour. Les admirer silencieusement ne suffit pas. Un sentiment profond cherche toujours à se traduire aussi parfaitement qu’il le peut. Et c’est la voix, c’est le chant surtout qu’il emploie pour cela. Mais il faut que la voix plaise à Celui vers qui elle monte . L’amour seul peut lui donner du prix. Ô amour, quand donc, feras-tu vibrer les cordes de ma pauvre lyre ? Oui, quand sera-ce, ô mon Dieu, que vous vous plairez à écouter mon cantique intérieur. Comme je serais heureux, ô Jésus, si je savais que mon âme vous plaît, et qu’il vous est agréable d’arrêter sur elle votre divin regard. Ceux dont le cœur était droit et qui vous regardaient étaient saisis par le charme unique de votre douce physionomie, reflet sensible de l’incomparable beauté de votre âme. Ceux dont le cœur était pur al1 Luc,
XXIV , 36.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
91
laient jusqu’à cette âme si belle, l’âme humaine d’un Dieu et ils restaient comme ravis en extase. Vous-même, ô Jésus, vous ne résistiez pas au charme de votre propre beauté que vous contempliez comme en un miroir dans les traits de votre Mère bien-aimée et surtout dans son âme toute pure, toute lumineuse, tout aimante. C’est surtout à votre sainte Mère que vous pouviez dire : « Votre voix est douce, ô Marie, et votre visage charmant ». ». Mère, faites que je vous ressemble ! C APITE NOBIS VULPES PARVULAS QUAE DEMOLIUNTUR DEMOLIUNTUR VINEAS ; NAM VINEA NOSTRA FLORUIT (C ANT., II, 15). Prenez-nous les renards, les petits renards qui ravagent les vignes, car nos vignes sont en fleur. Graves dommages que les passions immortifiées peuvent causer à l’âme peu recueillie.
Qui parle ici, ô Jésus ? Est-ce vous vous ? Est-ce votre Épouse ? Et si c’est vous, à qui parlez-vous, ô divin Maître ? Quels sont ces renards encore renards encore jeunes et qui pourtant sont assez forts pour ravager tes vignes en fleur ? Il semble que nous puissions voir en ces renards dévastateurs ou les manifestations subtiles de l’orgueil, ou les sourdes poussées de l’humeur irascible, ou les insinuantes recherches de la nature en qui le péché a introduit l’insubordination et le désordre, ou enfin toutes ces c es causes réunies, sources d’agitations, d’inquiétudes et de troubles. Quand l’âme commence l’âme commence à fleurir comme la vigne, les passions, l’orl’orgueil et l’égoïsme non encore détruits parfaitement peuvent lui causer de grands dommages. Ils peuvent par leur turbulente intervention empêcher les fleurs de se transformer en fruits, en actes pleins, parfaits, nombreux. Qui dira ce que c’est que la perte ou même l’imperfection d’un seul acte d’amour de Dieu ? Dieu ? Pour que l’âme l’âme intérieure puisse porter ses fruits d’amour, d’amour, il faut qu’elle soit qu’elle soit délivrée des pensées vaines, des soucis fatigants, des inquiétudes vagues, des sourdes agitations, de tout ce qui peut la troubler dans sa divine occupation. Elle ne doit perdre ni temps, ni forces. La pleine et parfaite possession de tous ses moyens lui est nécessaire pour ce grand œuvre. Et œuvre. Et pourtant, il faut qu’elle vive qu’elle vive sur cette terre du mou vement et du bruit, qu’elle traite qu’elle traite avec les hommes, qu’elle compte qu’elle compte avec les choses elles-mêmes. Il est si difficile de s’isoler ! s’isoler ! Comme le dit Bossuet, « nous avons beau fermer cent portes sur nous et mettre sur nous cent serrures, cent murailles closes, cent grilles, le monde nous suit » 1. 1 Médit. sur la Cène, 54 e jour.
92
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Heureuses les âmes de silence, celles où il n’y a pas de bruit et que rien ne distrait de leur affectueuse contemplation ! Leur vigne n’est plus ravagée et les raisins peuvent mûrir. DILECTUS MEUS MIHI, ET EGO ILLI (C ANT., II, 16). Mon Bien-Aimé est à moi, et je suis à lui. Totale donation de l’âme.
N’estN’est-ce pas surtout à l’heure de la communion, que l’âme aimante aiman te peut dire en vérité : « Mon « Mon Bien-Aimé est à moi et je suis à lui » » ? Oui, ô Jésus, vous vous donnez alors tout entier et de tout votre Cœur. Il peut se faire que l’âme n’ait pas conscience de cette complète et totale donation, mais cela ne nuit en rien à sa réalité. C’est le propre des communications surnaturelles de ne pas être nécessairement manifestées aux facultés ordinaires de connaître. Elles peuvent l’être, il est vrai. Alors il semble que ce soit mieux, parce que l’âme tout entière et le corps lui-même lui-même parfois sont comme saisis par l’action divine. Mais, encore une fois, l’essentiel c’est ce qui est profond, tout spirituel et, en soi, toujours plus ou moins caché. Vous posséder, ô mon Dieu, et se savoir réellement possédé par vous, quel bonheur, quelle joie, quelle qu elle richesse r ichesse ! Comme l’âme se rend compte qu’elle a bien fait de renoncer à tout autre bonheur, à toute autre joie, à toute autre richesse. Il faut quitter tout, pour trouver tout. La seule souffrance qui puisse encore atteindre l’âme, c’est de c’est de ne pas pouvoir se donner à vous plus à fond. Il y a toujours quelque chose qu’elle retient comme malgré elle. Sans doute, ni sa nature, ni sa personne, ne peuvent et ne doivent disparaître. Mais ce n’est pas cela qui la fait souffrir ; non, c’est ce je ne je ne sais quoi, qui devrait changer et qui n’est pas encore changé, qui devrait mourir et qui n’est pas mort. Quand donc mon âme pourra-t-elle pourra-t- elle dire qu’elle est tout à vous, tout en vous et, réserves à faire étant faites, toute vous : « et ego illi ». ». Je ne sais si je me trompe, ô mon Dieu, mais il me semble que je suis plus heureux d’être possédé par vous que de vous posséder. Pourquoi cela ? Quand je me reploie sur vous vivant en moi pour goûter mon trésor, je crains d’être égoïste, de trop m’occuper de moi, moi , de vous rapporter trop à moi. Tandis que j’éprouve une joie sans mélange lorsque je me jette en vous, ou plutôt lorsque vous daignez me faire pénétrer en vous. Alors mon âme s’épanouit, elle se dilate, elle se perd pour se retrouver d’une manière qui la ravit. Elle a comme l’impression de vous donner quelque chose à vous qui lui donnez tout. Il lui semble que ce qu’elle vous donne vous rend (s’il était permis de parler ainsi)
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
93
plus riche et plus heureux. Du moins elle éprouve au vif l’impression de vous donner comme du bonheur. Alors elle devient ivre de joie : « Beatius est magis dare quam accipere » accipere » 1. Pourquoi, ô mon Dieu, ne permettez-vous pas à l’âme l’âme que vous enivrez de bonheur de traduire sa joie et d’exprimer d’exprimer aux autres ce qu’elle éprouve qu’elle éprouve ? C’est peut-être C’est peut-être là un secret qui doit rester entre vous et elle ? Tout au plus le guide spirituel a-t-il le droit d’être mis d’être mis dans la confidence. Il semble en effet qu’à dire qu’à dire ces choses, on les profane. Puis il en coûte tant à l’âme vraiment l’âme vraiment favorisée de vos grâces de se mettre en avant, si peu que ce soit. Vivre cachée avec son Dieu, voilà son désir, son attrait, sa loi. Et pourtant, il lui serait si doux de dire à d’autres âmes combien votre intimité est délicieuse. Elle voudrait les prendre toutes « aux charmes d’un d’un bien si divin ». Comment ne pas éprouver le besoin d’éclairer, d’éclairer, quand on est soi-même envahi par la lumière, et d’em braser d’em braser du feu de l’amour divin, l’amour divin, quand on est dévoré par sa flamme ? Comment ne pas crier aux âmes : « Il n’y a a que Dieu », quand on le sait ? Il y a peut-être, peut-être, ô mon Dieu, une autre raison qui fait que l’âme intérieure n’ose pas parler de ce qui se passe en elle, malgré le vif désir qu’elle en a : c’est l’intuition qu’il existe une disproportion presque absolue entre ce qu’elle voudrait dire di re et les moyens dont elle dispose pour le dire. Ce n’est pas seulement chose intellectuelle, qu’il s’agit d’exprimer par des mots empruntés, comme tous nos mots, au monde sensible, mais c’est chose spirituelle, surnaturelle, intime, profonde, simple, qui tient plus du ciel que de la terre. C’est d’un autre monde et non pas seulement d’une autre langue. Traduire cela avec des mots humains, c’est tenter l’impossible, c’est « trahir « trahir » ce que l’on veut « traduire », c’est presque profaner. On s’expose à fixer l’esprit sur le premier terme de la comparaison et à faire oublier, du moins à voiler, le second, le seul qui compte. Dure alternative, ou se taire sur ce qui mérite tant d’être dit, ou déformer, en le balbutiant, ce qui est si beau, si bon, et si parfait ! QUI PASCITUR INTER LILIA (C ANT., II, 16). Il fait paître son troupeau parmi les lis. Communication des richesses spirituelles.
Ô Jésus, quel soin ne prenez-vous pas des âmes que vous aimez ! Elles ont besoin de nourriture, vous êtes leur Pasteur et vous pour1 Il
est meilleur de donner que de recevoir (Actes, xx, 35).
94
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
voyez à leur subsistance. Vous les faites paître « parmi « parmi les lis ». Non seulement vous leur découvrez le sens profond de vos divines paroles, afin que leur esprit puisse l’assimiler et s’en nourrir, mais vous leur découvrez des âmes semblables à des lis par leur blancheur, leur parfum et leur grâce, pour qu’elles s’en nourrissent. Dans l’ordre spirituel, les âmes se communiquent mutuellement leurs richesses, elles s’alimentent les unes les autres. Pour l’ordinaire, cette communication de biens n’est pas consciente, pas consciente, surtout du côté de l’âme qui donne, mais elle peut le devenir. C’est alors une joie très profonde et toute divine que de pouvoir ainsi éclairer, réchauffer, dilater, fortifier, nourrir en un mot une âme que Jésus veut rendre semblable à lui : « Filioli, « Filioli, quos itemm parturio, donec formetur Christus in vobis » bis » 1. Oh ! les saintes joies que celles de la paternité spirituelle ! DONEC ASPIRET DIES , ET INCLINENTUR UMBRAE… R EVERTERE EVERTERE, SIMILIS ESTO, DILECTE MI, CAPREAE, HINNULOQUE CERVORUM SUPER MONTES BETHER (C ANT., II, 17). Avant que vienne la fraîcheur du jour et que les ombres fuient… Reviens, sois semblable, mon Bien-Aimé, à la gazelle ou au faon des biches sur les montagnes ravinées. Ardents désirs du retour de l’Époux.
Jésus et l’âme intérieure restent restent toujours intimement unis. Mais Jésus doit s’occuper de son petit troupeau. Il semble alors s’éloigner et se distraire de son Épouse préférée. Elle souffre de cette sorte d’absence si légitime pourtant. Ce n’est pas à dire toutefois qu’elle soit jalouse jalouse du bien que Jésus fait à d’autres âmes. Non, mille fois non, jamais il ne sera trop connu et trop aimé. Cependant on dirait qu’elle appelle de ses vœux le moment qui marque la fin du pâturage et le retour du divin Pasteur à la maison, c’est-à-dire c’est -à-dire le moment où la fraîcheur du soir se fait sentir et où les ombres s’allongent sur la terre comme pour s’y reposer. La préoccupation de son cœur se traduit par un seul mot, qui est un affectueux appel : « Reviens « Reviens ». ». Comment votre Épouse pourrait-elle vivre sans vous, ô Jésus ! Ô mon Jésus, l’âme qui vous a une fois goûté au plus intime d’elled’elle même, ne peut plus souffrir votre absence. Son humble et profond désir est de vous posséder toujours. Elle rêve d’une intimité chaque jour et même à chaque instant plus parfaite. Elle a raison. Vous êtes tout 1 Mes
petits enfants pour qui j’ j ’éprouve de nouveau les douleurs de l’l ’enfantement jusqu’à jusqu’à ce ce que le Christ soit formé en vous (Galat., IV , 19).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE II
95
pour elle. Elle a faim, elle a soif de vous, ô mon Dieu. Elle voudrait aussi se dilater en vous sans mesure. Ô mystérieuse union de deux esprits, le vôtre, ô mon Dieu et celui de l’âme, que vous appelez par pure bonté à cette inestimable vie, comme on serait ser ait heureux heureu x de te goûter et de te chanter ! Que c’est beau ce que vous faites là, ô mon Dieu ! Que c’est bien de vous, cela. Plus c’est profond, plus c’est incompréhensible : plus c’est vrai, plus c’est divin. Oui, cher Bien-Aimé, « reviens ». reviens ». Le désir du retour de l’Époux est si vif, si profond, si ardent, que l’âme trouve pour l’exprimer une comparaison pleine de charme, de grâce et de vie. Elle conjure son Dieu Bien-Aimé de revenir à elle, non point du pas tranquille et lent du pasteur qui ramène le soir son troupeau bien nourri au bercail protecteur, mais avec l’ardeur, l’élan, les bonds audacieux « de la gazelle ou du faon des biches biches », sautant comme par jeu d’une crête de ravin à l’autre. La présence de Dieu est si douce, son absence, même courte, même légitime, selon notre manière de parler, est si pénible au cœur aimant, que les plus fortes paroles, les plus étonnantes images ne lui semblent pas déplacées pour traduire le désir qui le brûle déposséder son Dieu de nouveau. Et c’est lui qui a raison.
Chapitre III IN LECTULO MEO, PER NOCTES, QUAESIVI QUEM DILIGIT ANIMA MEA : : QUAESIVI ILLUM ET NON INVENI (C ANT., III, 1). Sur ma couche, durant la nuit, j’ai cherché Celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché et je ne l’ai point l’ai point trouvé. Vouloir profond, unique, impérieux, douloureux de l’âme à la recherche vraie de son Dieu.
Au fond de l’âme intérieure, il y a comme un lit de repos, une couche mystérieuse, où se fait la douce union avec le bon Dieu. C’est là que l’Épouse a trouvé t rouvé son Bien- Aimé, qu’elle s’est entreentretenue familièrement avec lui, qu’elle lui a dit, à lui seul, tout l’amour qu’il lui inspire, qu’elle a été vraiment comblée de caresses par son Époux et qu’enfin s’est réalisée cette union tant désirée où l’âme, endormie endormie à toutes choses, mais saintement éveillée à l’amour, a goûté, comme à plein cœur, sans pouvoir comprendre cependant, toute l’étendue de son bonheur bonheur : « ce Bien qui contient tous les biens » 1, et avec lequel elle a eu l’impression très vive, quoique quoiqu e sourde, de ne faire plus qu’un au moins pendant quelques instants. Elle a compris que c’est là, sur cette couche intérieure, que désormais elle trouverait son Dieu. Au moment où l’âme semble y penser le moins, elle se sent tout à coup enveloppée de solitude et de silence. Dans cette nuit, un vif, un irrésistible désir de Dieu s’éveille au plus intime d’elle-même. d’elle-même. « Son Dieu », « son Dieu », elle le veut d’un vouloir profond, unique, uniq ue, impérieux, douloureux même. Oh ! le désir vrai de Dieu, quel tourment pour pou r l’âme, et comme il est délicieux pourtant. Il est si fort par moments que l’âme en quitterait le corps, si Dieu ne l’y retenait. Il est si légitime, ce désir, que l’âme se demande pourquoi il n’est pas satisfait sur-le-champ. sur -le-champ. Mais non, l’Époux a disparu, disparu, il se fait désirer, il se fait attendre, il veut se faire chercher. Mais, en attendant, pour l’âme tourmentée du saint amour, c’est la nuit noire dont tous les instants se ressemblent et qui paraît ne jamais devoir finir. Elle se tourne et se retourne sur sa couche mystérieuse, où elle a tant de fois trouvé son Dieu, et son Dieu paraît l’avoir quittée. Oh ! douleur. 1 Ste.
Thérèse.
98
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE SURGAM ET CIRCUIBO CIVITATEM ; PER VICOS ET PLATEAS QUAERAM QUEM DILIGIT ANIMA MEA (C ANT., III, 2). Levons-nous, me suis-je dit, faisons le tour de la ville, parcourons les rues et les places, cherchons Celui que mon cœur aime. Ne pouvoir souffrir l’absence l’ab sence de Dieu et tout entreprendre pour le retrouver.
Quand une âme se trouve sous l’influence du désir brûlant de Dieu, véritable flèche de feu qui la tourmente nuit et jour, elle ne peut plus tenir en place. Il faut qu’elle se lève et qu’elle cherche Celui qui est la vie de sa vie, l’âme de d e son âme, le cœur de son cœur, son unique Tout. Chercher Dieu, le trouver, le posséder, puis, quand on semble sembl e l’avoir perdu, se mettre de nouveau à sa poursuite pour le rencontrer et le posséder tout de nouveau, voilà bien le rythme profond de la vie intérieure. Vous aimerait-on, ô mon Dieu, si, après vous avoir goûté, ne fût-ce fût-ce qu’un instant, on pouvait supporter support er votre absence et organiser sans vous sa pauvre existence terrestre ? Non, mon Dieu. « Fecisti « Fecisti nos ad te et irrequietum est cor nostrum donec requiescat in te » 1. L’âme aimante part donc à la recherche de son Dieu. Elle fait le tour de la ville, c’est-àc’est -à-dire dire d’elled’elle-même. Puisque mon Dieu n’est pas au centre de moi-même, peut-être se tient-il à la périphérie, dans cette zone frontière entre le monde extérieur et moi. C’est par la contemplation des choses sensibles, reflet des perfections de son Bien-Aimé, qu’elle a commencé sa vie intérieure. En y revenant, elle espère retrouver celui qu’elle cherche. Si elle échoue, elle rentrera à l’intérieur de la ville et se mettra à la parcourir, rue par rue, place par place, carrefour par carrefour. Le procédé lui a réussi autrefois. En mettant en activité sa mémoire, son imagination, son intelligence, sa volonté, elle s’était rapprochée d’étape en étape de ce Dieu, qui se révélait à elle peu à peu, et qui parfois, au terme d’une longue oraison péniblement poursuivie, la conduisait dans une sorte de vaste place, où elle se sentait plus à l’aise, environnée d’air et de lumière de toutes parts. Si elle pou vait, en reprenant le moyen, se rapprocher un peu de Celui qui est toute sa lumière et toute sa vie ! Ce qui la soutient dans cette recherche si pénible, c’est son amour. Loin de diminuer, il augmente. La conscience de l’absence du Bien Aimé, loin de l’éteindre, l’a, au contraire, excité et enflammé. Chaque pas l’exerce et l’active. C’est vraiment aimer Dieu que de ne po uvoir 1 S.
Augustin.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE III
99
souffrir son absence et que de tout entreprendre pour le retrouver. Sans doute, la recherche peut être longue, mais plus elle dure et plus l’amour s’enracine dans l’âme et la pénètre tout entière de sa bienfaisante flamme. Le tout est de chercher toujours, dût-on mourir en chemin. QUAESIVI ILLUM ET NON INVENI (C ANT., III, 3). Je l’ai cherché, et je ne l’ai point trouvé. Dieu se donne quand il lui plaît ; et il ne doit rien même à l’âme la plus fidèle.
Malgré ses efforts, l’emploi des moyens qui lui ont on t autrefois réussi pour trouver son divin Époux, l’âme intérieure est obligée d’avouer son douloureux insuccès. Elle le fait avec tristesse, mais sans dépit et sans découragement. Dieu se donne, elle le sait, quand il lui plaît. C’est son droit. Il ne doit rien à l’âme, même la plus fidèle. Nous sommes toujours des serviteurs « inutiles » et, au fond, par nous-mêmes impuissants. Il est bon pour l’âme que Dieu proclame ainsi son absolue liberté. Le don qu’il a fait et qu’il fera sans doute de lui-même lui -même à son heure paraît ainsi bien plus grand, puisqu’il ne dépend pas à proprement parler des dispositions de l’âme, si parfaites qu’on les suppose, et que Dieu est seul, lui, à pouvoir le faire. Ainsi donc, le Bien-Aimé peut se cacher, l’âme intérieure, elle, ne doit doit pas cesser pour cela de le chercher. Son Dieu n’a pas besoin d’elle pour être heureux. Sans lui, au contraire, nul bonheur n’est possible pour elle. Si l’on songeait bien à la gratuité absolue de l’amitié divine et par suite, de sa manifestation à l’âme privilégiée, jamais on n’oserait se plaindre des divins délaissements. Il est vrai que l’amour rend exigeant et audacieux, et c’est lui qui mène tout ici. Il ne peut pas ne pas souffrir, et il ne peut pas ne pas dire sa peine. Il est fait pour unir ; la séparation, c’est la mort pour lui. Sans doute, il espère qu’elle n’est que momentanée. Mais c’est encore trop. Ô amour, tu as raison. Cherche, demande, appelle, crie au besoin. Qui cherche trouve ; qui demande reçoit ; à qui appelle, on répond 1. Que chercher en dehors de vous, ô mon Dieu ? Que demander si ce n’est vous encore, ô mon Dieu ? À qui faire appel dans cette détresse, la seule vraie détresse, si ce n’est à vous toujours, ô mon Dieu ? Oui, mille fois oui, à vous qui êtes tout pour moi. Plutôt mourir que de cesser de vous chercher. 1 Luc,
XI, 9.
100
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
INVENERUNT ME VIGILES QUI CUSTODIUNT CIVITATEM . NUM QUEM DILIGIT ANIMA MEA VIDISTIS ? (C ANT., III, 3). Les gardes qui font la ronde dans la ville m’ont rencontrée. Avez Avez vous vu Celui que mon cœur aime ? aime ? Nul ne peut donner donner Dieu à l’âme que Dieu même.
Pendant qu’elle parcourt les rues et les places pour retrouver son Bien- Aimé, l’âme rencontre ceux qui sont chargés de garder la ville et de veiller à ce que tout soit en sécurité. Ces gardes ne seraient-ils pas ici les confesseurs confesseurs et les directeurs de l’âme, l’ange qui la garde, les saints qui la protègent ? C’est vers eux en effet que l’âme angoissée d’amour divin se retourne, et c’est à eux qu’elle demande : demande : « Avez-vous « Avez-vous vu Celui que mon cœur aime ? aime ? » » Prêtre pieux et zélé, qui prenez soin de moi, ne savez-vous pas où se trouve mon Dieu ? Ne l’avez-vous l’avez-vous pas rencontré et ne pouvez-vous pas me dire quel chemin je dois suivre pour le rejoindre ? Vous devez l’avoir vu, vous qui avez le droit de l’approcher, vous qui le tenez dans v os os mains, vous qui êtes chargé de le donner aux âmes. Ô Père, dites-moi où est Jésus ? L’âme en quête de son Dieu le demande à son bon Ange : Ange : « Esprit bienheureux, vous qui contemplez mon Sauveur face à face, ouvrez mes yeux afin que je le voie comme vous, pour l’aimer comme vous ». vous ». Elle continue : « Mes saints amis du ciel, je suis ravie de votre bonheur, mais je voudrais le goûter aussi autant du moins que la terre peut le permettre. Obtenez-moi Obtenez-moi la grâce d’y participer en retrouvant mon Dieu et mon Tout, qui est aussi votre Dieu et votre Tout ». Ainsi parle et prie la pauvre délaissée. Puis elle relit les pages de ses chers maîtres en vie spirituelle pour essayer de retrouver la lumière et l’amour. Mais rien ne lui dit rien. Nul ne peut lui donner son Dieu . Il faut qu’elle cherche encore, qu’elle dépasse et ses vigilants amis et leurs œuvres les meilleures. Le Bien-Aimé Bien-Aimé est au-delà. « Va, va, continue ta douloureuse enquête jusqu’à enquête jusqu’à ce ce que tu aies retrouvé ton Dieu ! » P AULULUM CUM PEUTRANSISSEM PEUTRANSISSEM EOS, INVENI QUEM DILIGIT ANIMA MEA (C ANT., III, 4). À peine les avais- je avais- je dépassés, que j’ai trouvé Celui que mon cœur aime. Dépasser les créatures pour trouver Dieu.
Si parfaites que soient les créatures, si belles que soient leurs paroles et leurs œuvres, il faut nécessairement nécessairement les « dépasser dépasser » pour
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE III
101
trouver le bon Dieu. Il est au-delà. au- delà. Leur rôle à elles, c’est d’attirer et de mener à lui. Elles ne peuvent pas faîte plus. Vouloir leur demander da vantage, c’est leur demander l’impossible. Un temps vient pour l’âme où pour pour trouver tout, elle doit tout quitter. C’est Dieu lui -même qui fixe le moment de cette séparation mystique ; il y aurait dommage pour l’âme intérieure à le devancer. Elle ne parviendrait, du reste, qu’à se mettre dans le vide et n’y pourrait pas vivre. A ussi A ussi longtemps que les créatures vues dans la lumière de Dieu, bien entendu, excitent son amour et soutiennent ses pas, elle doit leur demander son Dieu. Mais c’est un moment bienheureux pour l’âme que celui où, après tant d’angoisses, elle trouve enfin son so n Bien-Aimé. Plus elle a souffert, plus elle est heureuse. Pendant sa pénible et longue recherche, l’amour véritable de Dieu a grandi. g randi. Il a pris possession de tout en e n elle. el le. Il règne en maître absolu. Tout s’inspire de lui. Tout lui obéit. Tout est jugé et mesuré par lui. Il est assez fort maintenant pour se passer de l’aide des créatures et agir par lui-même. Sous son action, devenue irrésistible, l’âme les dépasse, elle se dépasse en quelque sorte elle-même. elle -même. Elle quitte cette région où l’on pense, où l’on parle, où l’on agit à la façon humaine, pour entrer dans cette zone silencieuse, paisible, immense, déconcertante au premier abord, où l’on pense, où l’on aime, où l’on vit à la façon divine. Là, dans la solitude et la paix, elle rencontre son Dieu, elle communie communie à lui. Elle peut dire en toute vérité qu’elle a trou vé « Celui que son cœur aime ». aime ». TENUI EUM, NEC DIMITTAM, DONEC INTRODUCAM ILLUM IN DOMUM MA TRIS MEAE, ET IN CUBICULUM GENITRICIS MEAE (C ANT., III, 4). Je l’ai saisi et je ne le laisserai pas aller al ler jusqu’à ce que je l’aie amea mené dans la maison de ma mère, dans la chambre de celle qui m’a donné le jour. L’âme s’empare du Bien-Aimé Bien-Aimé de toutes les forces de son amour.
Audacieuse liberté de l’âme aimante ! Après avoir cherché son Dieu, elle le trouve, et, et, sans hésiter, elle s’en empare comme d’un bien à elle, elle le saisit, elle le prend, elle le fait prisonnier. Oh ! cette rencontre de l’âme avec Dieu, cette saisie de Dieu par l’âme et aussi de l’âme par Dieu, qui peut la décrire ? décrire ? Toutes les comparaisons sont impuissantes ici. Dieu n’est pas du même ordre que les autres biens. Le « comment » comment » de cette saisie de Dieu ne s’explique pas, et, les joies qu’elle procure se goûtent dans le silence de l’adoration et de l’amour : l’amour : elles ne se traduisent pas. Les larmes l armes coulent, mais la source d’où elles
102
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
viennent reste cachée. Elles sont imprégnées de bonheur, mais nul ne le sait que celui qui les sent couler de ses yeux. Heureuse mille fois, l’âme qui vous saisit enfin, ô mon Dieu ! Dieu ! Maintenant qu’elle vous possède bien possède bien à elle, sa résolution réso lution est prise, « elle ne vous laissera plus aller ». aller ». Sans doute, elle sait bien que vous êtes toujours libre de vous éloigner, mais, autant qu’il dépend d’elle, vous resterez. Elle vous gardera. Elle s’attachera à vous de toute l’énergie l’énergie de son amour, et vous ne pourrez plus la quitter. Mieux que jamais, en effet, elle comprend quel trésor vous êtes pour elle. Vous êtes toute sa joie, tout son bonheur, toute sa vie. Mieux qu’elle ne l’avait jamais fait dans les précédentes visites, el le se rend compte que vous êtes un océan de bonheur qui la déborde de toutes parts. Ce qu’elle saisit de vous et qui pourtant la rend ivre de joie n’est rien, lui semble-t-il, en comparaison de ce qui lui reste encore à goûter en vous. Cette espérance ajoute ajoute quelque chose d’infini à la conscience de son bonheur. Voilà pourquoi elle ne veut plus vous laisser aller, et s’empare de vous de toutes les forces de son amour. Oh ! non, mon Dieu, ne vous éloignez plus jamais, jamais ! Restez, restez. Il fait si bon vivre avec vous ! Laissez-moi, ô mon Dieu, en toute liberté m’attacher à vous, m’unir à vous. Il me semble que chaque fois que ma pauvre âme s’unit à vous, elle éprouve un bonheur nouveau, une joie nouvelle. Elle est plus claire, plus pure, elle est plus chaude, plus douce, elle se sent plus forte, elle aime plus à fond. Ô félicité di vine de la sainte union, tu enivres par ta douceur et tu écrases par ton poids délicieux. L’âme croit parfois qu’elle va mourir de joie. Elle éprouve les douleurs de la séparation séparat ion d’avec le corps. On dirait que le corps, sentant chacune de ses cellules abandonnée par l’âme, s’attache comme de force à celle qui lui donne la vie, et lui fait éprouver à elle son déchirement à lui. D’où ce mélange étrange dans l’âme d’une joie ineff able able et d’une réelle souffrance naturelle. Mais pour rien au monde, l’âme ne voudrait « laisser aller son Bien-Aimé ». Bien-Aimé ». L’âme était hors d’elle-même d’elle-même et comme « dehors » quand elle a trouvé Jésus. Dès qu’elle le rencontre, elle le saisit. Elle goûte la joie de son union avec lui. Mais il lui semble que pour mieux s’assurer qu’il ne lui échappera plus, comme aussi pour lui témoigner plus librement son amour, elle doit le conduire dans la maison, et jusque dans les appartements privés de sa mère. Là, et là seulement, elle pourra goûter en sécurité, tout à son aise, la douce joie d’aimer son Dieu et de le posséder. Enfant de la grâce, c’est elle-même elle -même la maison de sa mère ; la chambre de sa mère, c’est son fond le plus intime. Car c’est la grâce qui lui donne la vie, et qui pour cela pénètre totalement sa substance même. Et la charité qui s’épanouit dans la volonté, fait de cette faculté comme le lit de repos de l’âme et de Dieu.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE III
103
A DIURO DIURO VOS, FILIAE JERUSALEM , PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM, NE SUSCITETIS , NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM DONEC IPSA VELIT (C ANT., III, 5). Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, ne réveillez pas, ne réveillez pas la Bien Aimée, avant qu’elle le veuille. Ne pas troubler l’amour solitaire sol itaire de l’âme intérieure ; intérieure ; en elle et par elle, le monde est comme rapproché de Dieu.
Après tant de souffrances, tant d’inquiétudes, tant de recherches, l’âme qui possède enfin son Dieu, l’entraine l’en traine en quelque sorte au plus intime d’elle-même, d’elle-même, afin de goûter en paix son bonheur. Il est si profond, si divin, si nouveau pour elle, ce bonheur, qu’elle en est comme ivre, et qu’un mystérieux sommeil la saisit tout entière. Elle dort à tout, au monde, aux sens intérieurs, à l’activité intellectuelle ordinaire et jusqu’à elle-même. elle-même. Son amour seul est actif. Elle dort d’amour sur le cœur de son Dieu. Le Bien-Aimé Bien-Aimé est heureux de son bonheur. Il ne veut pas qu’on la trouble dans son doux repos. Il conjure toutes les créatures, toutes les facultés de l’âme, de faire silence, de d e se tenir en repos, afin de ne pas éveiller sa Bien- Aimée. Bien- Aimée. C’est, le grand silence, où l’on n’entend plus que le battement discret du cœur aimant de l’Épouse. Pax l’Épouse. Pax . Silentium. Reste, reste là sur le cœur de ton Dieu, ô âme privilégiée. Dors en paix ton sommeil affectueux. Pendant que tu reposes ainsi, il se fait en toi de grandes choses. Tu ne les vois pas, ton bonheur t’occupe trop pour que tu puisses t’apercevoir du travail de l’Amour, et pourtant c’est un incomparable artiste que l’Amour divin. Il est éclairé éc lairé par l’infinie Sagesse. Sa Toute-Puissance Toute-Puissance est dans ses mains. Il veut te rendre toute semblable au Bien parfait, à la Bonté sans mesure. Son rêve serait, si c’était possible, de te rendre une si vivante image de ton Dieu, que les Anges eux-mêmes y soient pris. Dors ton mystérieux sommeil. Tout grandit en toi. À ton réveil, tu t’en rendras compte. Tu ne verras plus les choses des mêmes yeux, et surtout tu ne les aimeras plus du même cœur. Le Dieu d’amour t’aura comme donné et ses yeux et son Cœur. Dors, Dors , dors encore !… Quand l’Épouse dort de ce sommeil d’amour, nul ne doit la réveiller. Ce serait interrompre le travail divin, nuire grandement à cette âme et à l’Église. Cet « amour solitaire » est alors tout ce qu’il y a de plus précieux pour le monde. Tout ce que le bon Dieu a attaché à cette âme, et c’est en un sens le monde entier, tout cela est rapproché de Dieu en elle et par elle : « Une âme qui s’élève, élève le monde ». monde ».
104
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
À ce moment, momen t, la l a sainte Épouse est aussi près de Dieu que possible. Or, l’union à l’union à Dieu est la source de tous les biens, et pour elle, et pour nous. Il faut donc la laisser boire à la source, s’enivrer même s’enivrer même et dormir en paix son fructueux sommeil. Quand elle ouvrira les yeux, quand elle commencera à prendre contact avec la terre, alors on pourra s’approcher s’approcher d’elle, lui d’elle, lui parler, l’interroger, afin l’interroger, afin d’apprendre ce d’apprendre ce qui peut s’apprendre s’apprendre du mystérieux repos de l’âme en l’âme en Dieu. Mais le faire plus tôt, ce serait nuisible à tous : « Ne « Ne réveillez pas la Bien-Aimée avant qu’elle le veuille ». QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT PER DESERTUM SICUT VIRGULA FUMI EX AROMATIBUS MYRRHAE, ET THURIS, ET UNIVERSI PULVERIS FIGMEN TARII ? (C ANT., III, 6). Quelle est celle-ci qui monte du désert, comme une colonne de fumée, exhalant la myrrhe et l’encens, tous les aro mates du par fumeur ? Séparation du monde, de soi-même, de son âme.
Ce n’est pas n’est pas une fois seulement que l’âme intérieure l’âme intérieure s’est endormie s’est endormie du sommeil de l’amour sur l’amour sur le Cœur même Cœur même de Dieu. Cette grâce, d’abord rare et fugitive, s’est faite s’est faite plus fréquente et a prolongé de plus en plus pl us son action. L’âme est L’âme est devenue toute belle. L’heure des L’heure des grandes faveurs arrive pour elle. Elle est en quelque sorte digne de son Époux divin. L’amour l’attire de l’attire de plus en plus vers lui. Il est comme sa force ascensionnelle. Elle monte. Les Anges qui la contemplent admirent sa beauté. Ils se réjouissent de son élévation. Ils expriment leur joie en se demandant les uns aux autres : « Quelle est celle privilégiée de l’amour ? l’amour ? D’où vient-elle D’où vient-elle ? Quel est son nom ? » Le désert d’où monte d’où monte l’âme l’âme intérieure, c’est le c’est le monde qu’elle qu’elle quitte sans retour. Il n’est à n’est à ses yeux qu’un désert qu’un désert sans eau et sans chemin. Pour elle, en effet, le monde n’existe plus n’existe plus qu’à la qu’à la manière d’une chose d’une chose informe, sans couleur, sans figure. Elle l’habite encore, l’habite encore, puisqu’il le puisqu’il le faut ; elle n’y vit pas. pas. Elle l’ignore ; l’ignore ; son grand désir serait de le quitter pour jamais, réellement, par la mort. Son corps irait à la terre ; son âme du moins pourrait aller là où est son cœur : à Dieu. Elle s’élève déjà vers lui de toute l’ardeur de son amour. Qui la contemplerait, la verrait vraiment comme montant d’une région ténébreuse vers la lumière qui ne s’éteint pas. Ce désert est aussi, en un sens très réel et plus profond, l’âme elle même par opposition à ce que les saints, par exemple sainte Thérèse, appellent l’esprit de l’âme. Pour s’unir à Dieu, l’âme intérieure doit, non seulement quitter moralement le monde, mais encore se quitter elle-même : « Abneget « Abneget semetipsum » semetipsum » 1. Ce qu’il y a dans l’âme de plus 1 Qu’il
se se renonce lui-même (Matth., XXVI, 24).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE III
105
haut, de plus profond, de plus divin si l’on peut dire, l’esprit de l’âme, doit se séparer de tout le reste pour mener sa vie à lui. L’âme doit renoncer à penser, à imaginer, à sentir à sa manière ordinaire, même les choses spirituelles. Il lui faut arracher à ses facultés les objets (à l’exception l’exception de la Très Sainte Humanité du Sauveur) qui les occupent et les informent. Parvenue à ce stade de la vie intérieure, l’âme se sent attirée comme dans une zone de silence dont la solitude absolue l’étonne, l’effraye même un peu d’abord, mais ne la trouble tro uble pas. Elle s’habitue vite à cette solitude. Elle comprend que c’est là désormais qu’elle doit se tenir, autant du moins qu’il dépend d’elle, parce que c’est de là qu’elle doit partir pour s’élever à Dieu. L’âme intérieure embaume et la terre et le ciel .
L’amour fait son œuvre. Il pénètre l’âme jusqu’au fond. Il la consume. Il la transforme. Aux yeux des Anges, l’âme paraît lancer sans cesse vers le ciel comme une colonne de blanche fumée. fumée. Cette fumée embaume. Elle exhale l’odeur de la myrrhe, de l’encens, l’encens, de tous les parfums fondus ensemble. Et c’est l’œuvre de l’amour : l’amour : mortifications, humiliations, souffrances, prières, tout lui est matière à brûler, à consumer, à transformer et à offrir. Le feu divin, et lui seul au fond, donne du prix à tout. Sans lui lu i les meilleures œuvres n’ont pas leur valeur aux yeux de Dieu. Avec lui les moindres sacrifices ont, outre leur parfum propre, la « bonne odeur du Christ » » 1, seul parfum qui plaise par luimême à la Très Sainte Trinité. Or ici, l’âme intérieure l’âme intérieure est tout amour. Elle brûle vraiment. Elle em baume et la terre et le ciel. Rien n’égale, le charme de son divin parfum. EN LECTULUM S ALOMONIS : SEXAGINTA FORTES AMBIUNT EX FORTISSIMIS ISRAËL, OMNES TENENTES GLADIOS ET AD BELLA DOCTISSIMI ; UNIUSCUJUSQUE ENSIS SUPER FEMUR SUUM , PROPTER TIMORES NOCTURNOS (C ANT., III, 7-8). Voici le palanquin de Salomon, soixante braves l’entourent d’entre les vaillants d’Israël ; d’Israël ; tous sont armés de l’épée, exercés au combat, chacun porte l’épée sur sa hanche, pour écarter les alarmes de la nuit. Avances divines à l’âme intérieure que q ue rien n’arrêtera ni ne troublera désormais.
Jésus ne veut pas que l’âme intérieure se fatigue désormais pour venir à lui. Il donne des ordres pour qu’elle soit portée comme en 1 II
Cor., II, 15.
106
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
triomphe et en toute sécurité. Il lui envoie son propre palanquin et sa garde. La montée de l’âme vers lui se fera donc sans peine. Rien ne l’arrêtera, ni la troublera ; l’ennemi, s’il se présente, à la faveur de la nuit, sera repoussé victorieusement. Tout est prévu par Celui qui voit tout et qui peut tout. Et l’âme se sent à l’intérieur vraiment portée vers Dieu. Elle éprouve l’impression d’une parfaite sécurité. Le démon pourra bien chercher à inquiéter sa marche, elle n’aura pour ainsi dire pas à s’en occuper. Les Anges qui la gardent gard ent sauront écarter tout danger. Quel délicieux voyage ! Quelle ascension glorieuse ! Quelle douce espérance ! FERCULUM FECIT SIBI REX S ALOMON DE LIGNIS LIGNIS LIBANI. COLUMNAS EJUS FECIT ARGENTEAS, RECLINATORIUM AUREUM, ASCENSUM PURPU REUM ; MEDIA CARITATE CONSTRAVIT, PROPTER FILIAS JERUSALEM (C ANT., III, 9-1O). Le roi Salomon s’est fait une u ne litière de bois du d u Liban. Il en a fait les colonnes d’argent, le dossier d’or, le siège de pourpre ; au milieu est mie broderie, œuvre d’amour des filles de Jérusalem. La foi , fondement et racine de la vie intérieure, est aussi fruit de l’Esprit Saint.
Le lit de Jésus, c’est l’âme intérieure. Il lui laisse sa nature, cèdre ou sapin, avec ses notes individualités propres, sensibles, intellectuelles, volontaires, plus ou moins harmonieusement tempérées. Mais quelle que soit cette nature, il la purifie, il l’affermit, il la travaille, afin que cette âme puisse devenir son véritable lit de repos. Or, ici-bas, tout l’édifice spirituel repose sur la foi. Cette vertu ne détruit pas la raison. Elle la suppose au contraire. Mais elle est d’un d’un autre ordre, tout surnaturel. Elle rend l’intellil’intelligence capable d’adhérer à d’adhérer à ce que Dieu révèle de sa vie intime. Elle fait communier, dans l’obscurité, c’est vrai, c’est vrai, mais réellement, à la connaissance que Dieu a de lui-même. Elle supplée à la vision et elle la prépare. Les colonnes d’argent du lit de Salomon la Salomon la symbolisent, semble-t-il. Cette foi de l’Épouse, œuvre de œuvre de Jésus, n’est pas n’est pas la simple adhésion aux vérités révélées, c’est la c’est la foi parfaite d’un esprit d’un esprit délivré de toute erreur et de toute imagination inexacte au sujet des choses divines. C’est la foi ayant à son service, d’abord le d’abord le don de science, qui l’éclaire sur l’éclaire sur le néant des choses et en même temps sur leur aspect divin, puis le don d’intelligence, d’intelligence, qui, écartant toute objection, lui découvre, autant qu’il est possible, le sens profond des paroles divines, apaise l’inquiétude normale de l’intelligence adhérant l’intelligence adhérant sans voir, alors qu’elle est qu’elle est faite pour
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE III
107
voir, et met l’âme face l’âme face à face avec la réalité divine exprimée et cachée tout ensemble par les mots. C’est la C’est la foi ferme, inébranlable, fondement et racine de tout dans l’âme intérieure, l’âme intérieure, et aussi véritable fruit de l’Esl’Esprit-Saint, prit-Saint, d’un goût céleste et d’une puissance nutritive incomparable. Triomphe de la charité. L’immolation charité. L’immolation le prépare, l’accompagne et le suit. s uit.
Le dossier d’or figure d’or figure assez bien la charité de l’Épouse, alors dans toute sa force. Jésus peut compter sur la pureté et sur la fermeté de cette affection. Il n’y a plus rien dans le cœur de l’Épouse l’É pouse à côté de Dieu. Elle l’aime son Dieu béni uniquement, exclusivement, totalement. C’est qu’elle lui est devenue semblable. Sa volonté, son pouvoir spirituel d’aimer, ne fait plus qu’un en quelque sorte avec la volonté de Dieu. Or cette adorable volonté se porte tout entière, selon notre manière de parler, vers son objet qui n’est autre que Dieu lui-même. lui -même. Elle ne veut que lui, elle le veut tel qu’il est, infini, au sens absolu du mot. En notre Dieu Bien- Aimé, Bien- Aimé, le pouvoir d’aimer, l’objet à aimer et l’amour de cet objet divin ne font qu’un absolument. Il n’y a place que pour la distinction réelle des Personnes entre elles. Le Père et le Fils d’un côté, de l’autre le terme subsistant et personnel de leur mutuelle affection : l’Esprit-Saint. l’Esprit-Saint. Or, l’âme intérieure intérieure participe vraiment à la vie de Dieu. Elle dit le Verbe à sa manière, elle spire sp ire l’Esprit. l ’Esprit. Puis, P uis, toujours mue par la charité, elle fait retour avec le divin Esprit au Père et au Fils et recommence ainsi sans relâche sa vie intime, toute de contemplatio n et d’amour. C’est déjà la vie du ciel dans les ombres lumineuses de la foi parfaite et sous la motion de la parfaite charité. Comme Jésus est heureux de trouver une âme qui l’aime de la sorte, lui, le Verbe Incarné, et qui communie à ce degré à l’amour, dont son âme humaine est remplie pour l’adorable et si aimable Trinité ! Trinité ! Il peut venir et se reposer en elle sans inquiétude et dans la plus parfaite sécurité. Encore une fois, l’amour a fait son œuvre toute de douceur et de force, de richesse et de grâce, de joie et de paix. Mais sur cette terre, l’amour ne va jamais sans le sacrifice. L’immolation, celle du cœur comme celle du corps, prépare, accompagne et suit le triomphe de la charité. L’amour de Dieu détruit l’amour égoïste de soi, et cela ne se fait pas p as sans de grandes souffrances. Puis quand il règne en maître dans une âme, l’amour divin la presse de se donner en s’immolant tout entière et toujours. Le sacrifice, c’est le pain de l’âme qui aime, plus encore que celui de celle qui apprend à aimer. Voyez les saints tant de fois appelés en témoignage sur ce point : saint Paul, saint François d’Assise, sainte Catherine de Sienne, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, sainte Madeleine de
108
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Pazzi, sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, etc. Tous, tous, au lieu de fuir la souffrance, ils la cherchent ; au lieu de la craindre, ils l’espèrent. C’est une amie pour eux, c’est leur compagne de tous les jours, de tous les instants. Pour eux, vivre, aimer, souffrir, c’est tout un. Le siège de l’Époux et de l’Épouse doit être ê tre de pourpre. Toutes les vertus se prodiguent au service de l’amour.
Toutes les facultés de l’âme, toutes les vertus qui les ornent, contri buent à former cette « broderie, œuvre d’amour des filles de Jérusalem ». Rien n’est trop beau pour Dieu. Sans relâche, relâche, toutes les activités de l’ame, naturelles et surnaturelles, sous l’influence et la direction de la charité, se déploient dans l’unité et la variété. Elles brodent l’âme même de leurs mille desseins et de leurs mille couleurs. Jamais pleinement satisfaites satisfaites de leur travail, elles le reprennent et l’embellissent sans cesse. Peut-être aussi est-il permis de voir dans ces ouvrières d’amour, les âmes pieuses qui prient et souffrent pour que Jésus soit plus aimé, qui rêvent de lui trouver, et si elles le peuvent de lui former, des épouses parfaites, vraiment dignes de lui, capables par leur surnaturelle beauté de charmer et de ravir son divin Cœur. Une belle âme de plus dans le monde, c’est si beau ! beau ! EGREDIMINI ET VIDETE, FILIAE SION, REGEM S ALOMONEM IN DIADEMA TE QUO CORONAVIT ILLUM MATER SUA IN DIE DESPONSATIONIS ILLIUS ET IN DIE LAETITIAE CORDIS EJUS (C ANT., III, 11). Sortez, filles de Sion, et voyez le Roi Salomon avec la couronne dont sa mère l’a couronné, le jour de ses épousailles, le jour de la joie de son cœur. L’union de l’âme avec Dieu fait Dieu fait la joie de Marie qui qui l’a préparée.
Protégée, soutenue, soulevée par l’amour, l’âme intérieure monte vers son Dieu. De son côté, Dieu vient à elle. Sans doute, Dieu ne change pas, mais il semble qu’il le fasse, et tout se passe comme si Jésus s’avançait vers sa Bien-Aimée. Bien -Aimée. Il vient à elle avec toute sa majesté, mais aussi toute sa tendresse. C’est son triomphe et c’est sa joie. Il règne vraiment sur cette âme toute sienne. La Très Sainte Vierge Marie, sa douce Mère, a bien raison de lui mettre au front la couronne royale. Elle triomphe, elle aussi. Elle est heureuse et du bonheur de son cher Fils et du bonheur de celle qu’elle peut appeler à un titre nou veau « mon enfant, ma fille ». Que n’a-t-elle n’a-t-elle pas fait, cette Mère si bonne, pour préparer et conclure concl ure l’union de l’Épouse avec a vec l’Époux ? l’Époux ?
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE III
109
Bonheur de l’apôtre « Précurseur « Précurseur » de l’union.
Tous ceux qui de près ou de loin ont pu contribuer à cette heureuse union se réjouissent, eux aussi du fond du cœur. Ils aiment à redi re les paroles du saint Précurseur : « Je « Je ne suis point le Christ , mais j’ai été envoyé devant lui . Celui qui a l’Épouse est l’Époux , mais l’Ami de l’Époux , qui se tient là et qui l’écoute, l’écoute , est ravi de joie à la voix de l’Époux. Or cette joie, joie , qui est la mienne, mienne, est pleinement réalisée. Il faut qu’il croisse et que je diminue » diminue » 1. La joie de saint Jean-Baptiste est la joie propre de l’apôtre. Dieu l’envoie. Dieu l’emploie. Il lui donne mission de gagner des âmes à son amour. Il lui en fournit les moyens. Et l’apôtre va. Il prie, il souffre, il parle ; Dieu bénit ses efforts. L’âme passe de la mort à la vie ; de la vie tiède à la vie fervente ; de la vie fer vente à la vie parfaite. Elle arrive enfin, enfin , toujours conduite par l’apôtre, l’a pôtre, jusqu’à l’union définitive avec le bon Dieu. Quelle gloire pour Jésus, quel bonheur pour l’âme, quelle joie pour le précurseur ! précurseur ! Mais oui ! Quoi de plus doux d oux que de faire des d es heureux heure ux ! Est-il d’autre bonheur que celui de Dieu même ? Et c’est ce bonheur que l’âme, unie à Dieu, goûte en plénitude. Elle est vraiment heureuse. Dieu aussi est heureux et de sa propre félicité et en quelque sorte de la félicité de l’âme, qui lui est unie et qu’il béatifie. Mais qui donc a été le médiateur de cette sainte union et par suite l’instrument prov identiel prov identiel du bonheur de l’époux et de l’Épouse, sinon le précurseur, l’apôtre ? Comme il est heureux à son tour ! Comme il est « ravi de joie à la voix de l’Époux » » ! Et puisqu’il s’agit ici de la plus haute union qui puisse exister en ce monde entre une âme et Dieu, comme il a raison de dire que sa joie à lui est pleinement réalisée ! Il ne lui reste plus qu’à s’effacer, pour laisser « Dieu seul et l’âme jouir l’un de l’autre dans un très profond silence ». Et il s’efface, goûtant pour récompense sa sainte joie. sainte joie.
1 Joan.,
III, 29.
Chapitre IV QUAM PULCHRA ES, AMICA MEA , QUAM PULCHRA ES (C ANT., IV , 1). Oui, tu es belle, mon amie, oui, tu es belle. Une belle âme charme et attire Jésus. Ardents désirs. Prière.
Quelle n’est pas l’admiration de Jésus pour la beauté de l’âme intérieure au moment où, la jugeant digne de lui, Il s’avance vers elle ell e pour l’épouser. Oui, elle est plus belle que jamais jamais ! Ses vertus ont atteint leur parfait développement. Aucune d’elles ne manque à sa parure. La charité, portée à son plus haut degré, les unit fortement et harmonieusement entre elles. Quoi de plus doux, de plus humble, de plus simple, de plus pur, de plus aimant, qu’une telle âme ! âme ! Dès lors, quoi de plus beau et de plus digne d’admiration ! d’admiration ! Imaginons, si nous le pouvons, ce que devait être la beauté de Marie au jour de sa très sainte Assomption, ou même simplement celle d’une Catherine de Sienne, d’une Thérèse de Jésus, au jour terrestre de leur union définitive avec le Sauveur. Il faut tou jours redire : Oui, rien n’est beau en ce monde comme comm e une belle âme ! Il y a certainement dans le monde, ô mon Dieu, des âmes que vous avez rendues dignes d’entendre tomber de vos lèvres ces paroles si élogieuses et pourtant si justes. Vous savez mes désirs, ô Jésus, vous avez souvent entendu ma prière : « Que le nombre de ces âmes augmente chaque jour s’il se peut, et que chacune d’elles soit chaque jour aussi plus parfaite et plus belle ». On ne comprendra jamais assez combien de telles âmes vous sont chères, combien grande est la joie qu’elles font goûter à goûter à votre bon Cœur, et de quelle gloire elles vous illuminent par la pureté et la fidélité de leur amour ! Faut-il maintenant songer à une telle grâce pour soi-même ? Malgré mes désirs si ardents, j’allais dire si douloureux, je n’ose pas… Et pourtant, j’en ai j’en ai un tel besoin ! Sans cet espoir, je ne puis goûter ni un jour de paix, ni un moment de vrai bonheur. Que faire, ô mon Dieu, pour vous plaire, vous charmer, vous posséder et vous garder ? Oui, mon Jésus, c’est une grande souffrance, pour le cœur, que de ne pas savoir avec certitude si on a le bonheur de vous plaire. On goûterait tant de joie à lire dans vos yeux que vous êtes content ! On serait si heureux de vous entendre nous dire : « Cela est bien ; vous m’avez
112
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
compris ; vous êtes mon vrai disciple, mon fidèle ami. Continuez ainsi, je ne vous quitte qu itte pas des yeux. Mon cœur est toujours tou jours avec vous. Mais soyez encore plus humble au dehors comme au dedans ; plus recueilli afin de mieux entendre ma voix ; plus docile afin de mieux me suivre ; plus oublieux de vous-même afin de mieux penser à moi ; plus détaché de tout, afin que je puisse, à mon gré, vous élever jusqu’à moi et vous unir à moi. Courage donc, mon ami, tout ce que vous faites me plaît, parce que je vois que vous agissez toujours par amour. « Dilige « Dilige et quod vis, fac » fac » 1. Quand me parlerez-vous ainsi, ô Jésus ? Mais, ô mon doux Sauveur, est-ce est- ce que j’ai raison de me plaindre ? plaindre ? Ne me parlez-vous pas très souvent de la sorte ? C’est vrai, je n’entends pas de son articulé, mais en avez-vous avez -vous besoin pour me faire comprendre votre pensée ? Non, certes ! Vous avez tant de moyens de nous parler et de nous éclairer… Encore faut-il faut-il que nous sachions entendre et que nous sachions voir. Seigneur, faites que j’entende, mes oreilles sont dures ; faites que je voie, mes yeux sont clos ; faites ensuite que je marche à votre voix et à votre lumière, car je suis un pauvre paralytique. Jésus, Fils de David, Jésus, Fils de Marie, ayez pitié de moi ! Vous suivre, comme votre ombre, ô Jésus, partout, à la Crèche, en Égypte, à Nazareth, au Thabor, à la Croix, au ciel enfin. Voilà mon unique désir, mon unique ambition, mon unique raison de vivre et de souffrir. « Veni, sequere me ». OCULI TUI COLUMBARUM, ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LATET (IV , 1). Tes yeux sont des yeux de colombes derrière ton voile. Voiles qu’il peut y avoir entre l’âme et Dieu.
Entre l’âme et Dieu il peut y avoir trois sortes de voiles : celui des créatures, celui des représentations intérieures des choses de la terre comme du ciel, enfin le voile de la foi toute pure qui renonce de se faire une idée de l’infinie perfection de Dieu tant elle est persuadée de l’inutilité de cet effort. Mais qui dit croire dit croire dit ne pas voir. L’âme qui renonce aux créatures, aux pauvres conceptions de son intelligence, pour vivre face à face avec son Dieu, garde toujours sur ses yeux, sauf miracle très rare, un voile, celui de la foi. Seulement Dieu la regarde à travers son voile, ou, pour mieux dire, le voile n’existe pas pour lui. Il saisit donc en perfection tout ce qu’il y a de s implicité, de pureté, de 1 Aime
et fais ce que tu veux (S. Augustin).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
113
profonde affection dans le regard de cette âme qui l’aime et qui n’aime que lui. Ce regard lui plaît. Il le charme. Il le captive ; ô doux regard, que tu es puissant sur le Cœur de Dieu ! Dieu ! Prière pour obtenir une foi vive et lumineuse.
Ô mon Dieu, accordez-moi donc ce regard purifié et simplifié de la foi vive. Détournez mes yeux de toute créature, faites-moi comprendre l’impuissance de mes pauvres idées à vous saisir vraiment vous-même, vous -même, permettez-moi de vous regarder sans vous voir, mais comme si je vous voyais. Vous êtes toujours le même. La connaissance que l’on a de vous peut changer ; vous, vous ne changez pas. Vous êtes toujours toujour s plus que bon, plus qu’aimable, « mon « mon Dieu et mon Tout ». Charmez donc tellement les yeux de mon âme qu’elle qu’elle ne puisse plus les détacher de vous, ô mon Dieu. Vous regarder toujours, afin de vous aimer tou jours. Vous regarder vous seul, afin de vous aimer vous seul. Sentir à chaque regard r egard son admiration pour vous grandir sans mesure mesu re ; l’admiration devenir amour nouveau, et cet amour porter l’âme à vous fixer avec une force toute nouvelle aussi, et cela sans fin, quelle joie, quelle ivresse, ô mon Dieu ! C APILLI TUI SICUT GREGES CAPRARUM QUAE ASCENDERUNT ASCENDERUNT DE MONTE GALAAD (C ANT., IV , 1). Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres suspendues aux flancs de la montagne de Galaad. Galaa d. L’âme aimante s’efforce de multiplier les actes méritoires et de leur donner une exécution achevée.
Tout plaît à Jésus dans l’âme intérieure, non seulement ce qui constitue essentiellement sa beauté spirituelle, mais encore chacun des traits de sa physionomie morale, chacun des ornements qui la font ressortir. Tout à l’heure, il louait le regard clair, limpide, affectueux de sa sainte Épouse ; maintenant, c’est la multitude ordonnée de ses s es bonnes actions, figurée par la forme gracieuse et la teinte ferme de la chevelure. L’âme qui aime Dieu multiplie tant qu’elle peut les actes méritoires. Si humble qu’en soit la matière, elle s’efforce de leur donner toute la perfection dont elle est capable. Elle les dirige tous vers Dieu seul par l’intention, et fait tout ce qui dépend d’elle pour qu’ils soient d’une exécution achevée. La charité les pénètre de sa teinte et les dispose de manière à composer de leur multitude un tout ordonné et gracieux. C’est un beau spectacle pour le regard de Dieu.
114
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
DENTES TUI SICUT GREGES TONSARUM QUAE ASCENDERUNT DE LA VACRO ; OMNES GEMELLIS FOETIBUS ET STERILIS NON EST INTER EAS (C ANT., IV , 2). Tes dents sont comme un troupeau de brebis tondues qui remontent du lavoir. lavoir. Chacune porte deux jumeaux. Aucune d’elles n’est stérile. Les vertus, ornement de nos facultés, agissent ag issent par paires et transforment tout en aliment de l’âme.
Ornement, par leur régularité et leur émail, les dents ont un rôle important à jouer dans la vie physique de l’homme. Que peuvent-elles peuvent-elles représenter par analogie dans la vie intérieure ? Les facultés, les vertus, ornements des facultés, et qui au dire des théologiens sont au nombre d’une trentaine ? trentaine ? Peut-être. Supposons-le. Elles sont au complet. Elles ont atteint leur parfait développement. Elles sont en pleine activité. Elles vont par paires qui doivent agir ensemble pour que leur acte soit achevé : douceur et force, humilité et magnanimité, justice et miséricorde, bonté et fermeté, etc. Tout événement est saisi par elles et transformé en aliment de l’âme. Tout acte de vertu dans le cas est méritoire et le mérite augmente la grâce et la gloire, c’est-à-dire c’est -à-dire la vie. SICUT VITTA COCCINEA LABIA TUA ET ELOQUIUM TUUM DULCE (IV , 3). Tes lèvres sont comme un fil de pourpre, et ta bouche est charmante. Un seul discours : « Je vous aime ».
Au spirituel, les lèvres et la bouche figurent la volonté. La teinte rouge pourpre indique qu’elles sont pleines de vie et toutes disposées à se sacrifier pour Dieu. La bouche est au repos ordinairement, mais dans un repos vivant. Elle attend pour s’ouvrir l’ordre de son Dieu. Elle ne parle, elle n’agit que pour lui plaire. Au reste, tout son discours se ramène à un seul mot : « Je « Je vous vou s aime », aime », comme son acti vité à une seule opération : Aimer. Voilà pourquoi elle a tant de charmes pour le Bien-Aimé. Aussi quand le divin Époux voudra rendre heureuse sa sainte amie, il lui permettra d’approcher ses lèvres si pures de son Cœur à lui. Il lui dira d’ouvrir sa bouche et il la nourrira nourr ira d’amour comme ne pourrait le faire de son lait pour son enfant la mère la plus tendre et la plus dévouée. C’est par la volonté que Dieu se communique à l’âme pour la nourrir et la réjouir.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
115
SICUT FRAGMEN MALI PUNICI, ITA GENAS TUAS, ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LATET (C ANT., IV , 3). Ta joue, est comme une moitié de grenade derrière ton voile. Amour généreux, humble et pur.
Mélange harmonieux de rouge et de blanc, la moitié de la grenade figure l’aspect de l’âme aux yeux de Dieu. Elle aime, et son amour s’entretient par le sacrifice. De là cette multitude de points rouges représentés par les grains du fruit. Mais cet amour généreux jusqu’à l’immolation constante et totale de soi, s’enveloppe d’humilité et de pureté. Il se cache sous un voile, et ce voile est e st blanc comme l’écorce de la grenade. Plus l’âme intérieure se sacrifie, et plus elle se cache. Plus elle se cache, et plus son amour est pur, désintéressé, délicat. Mais aussi plus elle plaît à son Dieu, plus elle est aimée dé lui. Qui dira tout ce que peut peut obtenir de Jésus l’âme qui se consume ainsi dans le plus profond secret et par pur amour ! SICUT TURRIS D AVID COLLUM TUUM QUAE AEDIFICATA EST CUM PROPUGNACULIS ; MILLE CLYPEI PENDENT EX EA , OMNIS ARMATURA FOR TIUM (C ANT., IV , 4). Ton cou est comme la tour de David, bâtie pour servir d’arsenal. Mille boucliers y sont suspendus, tous les boucliers des braves. Puissance de l’âme intérieure ; intérieure ; elle communique à son tour force et con fiance.
La sainte Église de Jésus peut se comparer à la tour de David. Elle est bâtie sur le roc. Elle est ferme, immuable. Les saints de tous les siècles lui ont demandé des armes pour combattre le bon combat. Ils lui ont fait hommage de ces armes après la victoire. Elle les met au jourd’hui comme autrefois à la disposition de ses ses enfants. À nous de puiser dans cet arsenal, à nous de combattre, à nous de vaincre avec le secours de Dieu. L’âme intérieure, elle aussi, peut être comparée à cette tour de Sion. Elle s’appuie sur le fondement de la foi vive en son divin Époux. Elle est forte de son amour. Comme elle a lutté pour lui rester fidèle, elle sait comment il faut s’y prendre pour triompher. À son tour, elle donne confiance à ceux qui l’approchent, leur fournit des armes, les soutient dans la mêlée et se réjouit avec eux de leur pleine victoire.
116
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI CAPREAE GEMELLI QUI PASCUNTUR IN LILIIS (C ANT., IV , 5). Tes deux seins sont comme deux jumeaux de gazelle, qui paissent au milieu des lis. Maternité spirituelle.
Comme l’Église, l’âme vraiment intérieure est est mère. Dieu lui confie des âmes, qui sont ses enfants dans l’ordre spirituel. Elle doit les nourrir jusqu’à ce que le Christ Jésus soit parfaitement formé en elles, « donec formetur Christus in vobis » vobis » 1. C’est Dieu encore qui donne à cette âme, épouse et mère, le lait spirituel qui fera grandir ses enfants. Et, d’autre part, c’est lui qui leur inspire d’aller demander à cette âme la nourriture divine dont ils ont besoin. Un instinct secret les pousse vers elle. Sans trop s’en rendre compte, ils comprennent comprennent que là, et là seulement, ils trouveront ce qu’ils cherchent. Si on les pressait de donner la raison de leur démarche spontanée, ils réfléchiraient et finiraient par dire : « Je vais à cette âme avec confiance, parce que je sais qu’elle pratique de tout son cœur, et dans leur parfaite pureté les deux préceptes jumeaux de la loi : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, etc., et ton prochain comme toi -même -même 2. Elle aime son prochain, elle ne me repoussera pas. Elle aime son Dieu, elle me le donnera. ra. D’un mot, elle me nourrira de ses deux affections, et c’est ce que je désire tant. Voilà pourquoi je vais à elle ». DONEC ASPIRET DIES , ET INCLINENTUR UMBRAE, VADAM AD MONTEM MYRRHAE ET AD COLLEM THURIS (C ANT., IV , 6). Avant que vienne la fraîcheur du jour et que les ombres fuient, j’irai à la montagne de la myrrhe et à la colline de l’encens. L’âme intérieure, séparée d’elle-même, d’elle-même, se retire dans le secret pour mieux aimer.
Des commentateurs nous disent que c’est probablement la sainte Épouse qui parle ici. Elle exprimerait le désir de se retirer avec son Dieu dans un lieu solitaire, tout embaumé des plus doux parfums, afin d’y goûter dans la paix, la joie d’aimer et d’être aimée. Il est bien vrai que ce désir de vivre seule à seul avec Jésus traverse souv ent ent le cœur 1 Galal.,
IV , 19. XXII, 37-39.
2 Matth.,
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
117
de l’âme intérieure à la manière d’une flèche aiguë, qui vient elle ne sait d’où, et qui la pénètre brusquement, jusqu’au fond, au point qu’elle croit en mourir. C’est une vraie séparation qui se fait en elle. En tant que séparation, elle est douloureuse comme la mort. Et pourtant l’âme éprouve une joie indicible. Il lui semble qu’elle est libre d’aimer à plein cœur, et que rien ne l’arrête plus dans son élan vers Dieu. C’est alors qu’elle exprime le désir de se cacher en lui pour mieux le goûter goûte r et mieux le posséder. Comme vous êtes bon, ô mon Dieu, d’opérer dans l’âme cette séparation d’elle-même d’elle-même avec elle-même, elle-même, sans laquelle l’union parfaite avec vous ne serait pas possible, et en même temps d’exciter son amour, afin qu’il la soulève jusqu’à v ous ous par le désir. Oui, mon Dieu, personne ne pourra jamais comprendre à quel point vous êtes bon pour votre pauvre créature. Elle en est émue jusqu’aux larmes. Ce qui la ravit et la désole tout ensemble, c’est qu’elle ne puisse pas exprimer ce qu’il y a d’infiniment d’infiniment doux et bon dans votre amour. Quand une âme ne veut plus, au monde, qu’une seule chose, votre bon plaisir ; quand elle n’a plus dans l’esprit qu’une seule pensée, la vôtre, ô mon Dieu ; c’est alors que vous lui faites éprouver les élans d’amour qui la purifient, la détachent tout à fait, la soulèvent jusqu’à vous, la font entrer en vous, l’unissent à vous, pour la faire vivre de vous comme vous. Il lui semble que votre infinie Beauté se révèle un peu à ses yeux, dans une lumière pleine de douceur et de charme. C’est un horizon sans limites qu’il lui est donné de contempler. En même temps, son cœur goûté une joie toute nouvelle, la vôtre, ô mon Dieu. Elle comprend que c’est comme une goutte du vrai et de l’éternel bonheur. Elle est heureuse jusqu’à une sorte d’ivresse. Et ce qui ajoute encore à sa joie, c’est qu’elle sait que tout cela vient de vous par pure bonté. Tenir son bonheur de vous et de vous seul, voilà peut-être ce qui la ravit le plus et la fait sortir irrésistiblement d’elle-même. d’elle-même. « Confitemini Domino quoniam bonus ; quoniam in saeculum misericordia ejus » ejus » 1. Oui, que toutes les âmes favorisées de cette même grâce se joignent à elle pour chanter les miséricordes infinies de ce Dieu si bon. Continuez, ô mon Dieu, à béatifier ainsi des âmes. âmes. C’est une œuvre si digne de vous ! vous ! * On pourrait peut-être peut-être interpréter librement ces paroles de l’Épouse et se demander quelle est « cette montagne de la myrrhe et cette colline de l’encens », l’encens », où elle désire tant se retirer « avant que vienne la fraîcheur du jour, et avant que les ombres fuient », fuient », c’est-à-dire c’est-à-dire avant la fin de sa vie terrestre. 1 Louez
le Seigneur parce qu’il qu’il est bon, parce que sa miséricorde miséricorde est éternelle (Ps. CXVII, 1).
118
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
On pourrait voir alors dans la montagne, le Calvaire, et dans la colline, l’autel et le Tabernacle. C’est bien là en effet que l’âme aimante se plaît à chercher son so n Dieu, et c’est bien là qu’elle le trouve. Quoi de plus efficace pour exciter l’amour de Dieu, et par suite rapprocher de lui, que la silencieuse méditation des mystères de la Croix et de l’Eucharistie ? l’Eucharistie ? Jésus, qui s’immole par amour, Jésus qui se donne tout t out entier par amour ! Tout un monde d’idées et de sentiments gravite autour de ces deux preuves d’affection d’affec tion du divin Époux. Ne faudrait-il pas vraiment des pages et des pages pour décrire même brièvement quelques-unes de ces idées ou quelques-uns de ces sentiments ? Qu’il suffise d’assurer que la Croix et l’Eucharistie sont des sources inépuisables de charité. Communier en esprit et en vérité à ces deux mystères, c’est prendre la voie la plus sûre et on peut dire la plus rapide pour trouver Dieu et s’unir à lui. La Croix purifie, détache, et même fait mourir de cette mort à tout égoïsme, condition nécessaire du règne de l’amour. L’Eucharistie nourrit l’âme. Elle lui communique des forces nouvelles. Elle développe tout l’organisme surnaturel. Elle donne Jésus Jésu s et elle nous donne à Jésus. C’est lui qui nous assimile à lui et nous fait vivre d’une vie toute d’amour. L’Épouse a donc bien raison de se retirer, pour mieux aimer, dans le secret de ces deux mystères. TOTA PULCHRA ES, AMICA MEA , ET MACULA NON EST IN TE (C ANT., IV , 7). Tu es toute belle, mon amie, et il n-y a pas de tache en toi. Jésus adresse cet éloge à Marie.
L’amour a inspiré à l’Épouse le désir de la plus intime union avec son Dieu. Elle l’a cherché partout, à la Croix, au Tabernacle, en elle même, où elle sait que son Bien-Aimé habite et se cache. Cette recherche lui a fait pratiquer à un très haut degré les vertus chères au Cœur de Jésus, l’humilité, la patience, la générosité, la confiance et l’abandon. Elle a surtout montré la fidélité, la simplicité et la profondeur de son amour. Spirituellement elle est plus belle que jamais. Jésus le constate avec bonheur et il le lui dit sans détour. Il ajoute même qu’au feu de son désir, l’Épouse s’est pleinement purifiée. Plus rien en elle qui puisse déplaire si peu que ce soit aux regards du Bien-Aimé. Plus aucune tache dans celle âme, si petite qu’on la suppose. Toutefois, c’est à vous seule, ô Marie, modèle parfait dès le principe des âmes intérieures, que cet éloge convient sans réserves. Nous sommes rav is is d’entendre Jésus vous l’adresser avec tant d’amour.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
119
V ENI ENI DE LIBANO, SPONSA MEA , VENI DE LIBANO ; VENI, CORONABERIS ; DE CAPITE A MANA MANA , DE VERTICE S ANIR ET HERMON, DE CUBILIBUS LEONUM, DE MONTIBUS PARDORUM (C ANT., IV , 8). Viens avec moi du Liban, ma fiancée, viens avec moi du Liban ! Regarde du sommet de l’Amana, du sommet du Sanir et de l’Hermon, des tanières des lions des montagnes qu’habitent les léopards. Jésus appelle l’âme à l’union définitive.
Quand une âme plaît à Jésus, par sa beauté toute spirituelle et sa parfaite pureté, il l’appelle à l’union définitive l’union définitive avec lui. Elle habite sur les hauteurs d’elle-même, d’elle-même, loin du bruit, loin du monde, loin de tout, près du ciel. C’est de C’est de ce sommet que Dieu lui ordonne affectueusement de s’élancer, pour s’élancer, pour venir jusqu’à jusqu’à lui. lui. Appel mystérieux, délicieux, irrésistible, que celui de Jésus à sa sainte fiancée. Il est parfois si puissant, que l’âme paraît l’âme paraît sur le point de se séparer du corps, pour mieux y répondre. Il exerce sur elle à d’autres moments d’autres moments une telle attraction que le corps lui-même en est soulevé. La terre n’est plus n’est plus assez forte pour le retenir. Il s’arrache pour s’arrache pour quelques instants à son emprise et suit l’âme dans l’âme dans son élan vers Dieu. Ô Amour, que tu es puissant ! Par une lente et pénible ascension, l’âme s’est élevée s’est élevée au-dessus de tout. Elle a triomphé de tous les obstacles. Elle a vaincu tous ses ennemis, en nemis, eue a dompte ses passions, elle les a soumises au joug de la vérité et de la vertu ; elle les domine, elle les contraint à lui servir comme d’échelon et d’échelon et de marchepied. Elle vit sur les sommets d’elle-même d’elle-même dans la paix de la victoire. Là, elle attend la visite de son Dieu. Il vient quand il lui plaît. Il reste le temps qu’il veut. Il s’éloigne, ou plutôt parait s’éloigner, s’él oigner, quand il le juge à propos. Mais quand il veut revenir, il prévient délicatement son Épouse ; une douce lumière éclaire son esprit, une force mystérieuse pénètre sa volonté, une bienfaisante chaleur dilate son cœur. Elle entend une voix qui lui dit : « Regarde « Regarde ». C’est la voix du BienBien - Aimé qui l’appelle. l’appelle. V ULNERASTI ULNERASTI COR MEUM, SOROR MEA SPONSA , VULNERASTI COR MEUM, IN UNO OCULORUM TUORUM ET IN UNO CRINE COLLI TUI (C ANT., IV , 9). Tu m’as ravi m’as ravi le cœur, ma cœur, ma sœur fiancée, sœur fiancée, tu m’as ravi m’as ravi le cœur, par cœur, par un de tes regards, par une des boucles (qui pendent) sur ton cou. Pour conquérir le Cœur de Dieu, il suffit de l’aimer tout à fait.
Jésus a éveillé l’attention de l’âme, il lui a dit : dit : « Regarde », Regarde », ce qui signifie aussi : « Écoute ». Il a quelque chose de grave à lui dire. Ce
120
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
quelque chose, c’est son amour : amour : « T u m’as ravi le cœur, ma sœur fiancée ». L’âme intérieure, devenue semblable à celle de Jésus par un long travail de transformation, peut être appelée à juste titre sa sœur spirisœur spirituellement : elles ont toutes deux la Trinité sainte pour Père et, à des titres tout à fait différents, mais réels, Marie pour Mère. La sainte Âme de Jésus et l’âme vraiment pénétrée par l’amour divin sont deux âmes sœurs et dans l’ordre de la nature et dans l’ordre de la grâce habituelle proprement dite. C’est même cette similitude presque achevée du côté de l’âme intérieure, qui lui vaut le doux titre de « sœur fiancée sœur fiancée ». C’est elle qui va rendre possible et prochaine l’union parfaite avec le Verbe Incarné. Plus une âme ressemble à l’Âme sainte du Sauveur, plus elle attire à elle le Verbe le Verbe divin. On dirait qu’il brûle du désir de s’incarner de nouveau, d’une façon accidentelle il est vrai, mais pourtant très réelle. Lui offrir une « humanité de surcroît » pas trop indigne de sa sainteté, c’est le prendre en quelque sorte par son faible et l’obliger à revivre sa vie terrestre ! Est-ce Est-ce que cela ne s’est pas pleinement réalisé pour Marie, lors de l’Incarnation ? Outre son privilège tout spécial de Mère de Dieu, n’a-tn’a -telle pas été pour le Verbe, tout en gardant sa personnalité pleinement distincte, la plus parfaite et la plus chère de ses « humanités de surcroît » ? Pourquoi donc, sinon parce que son âme et même son corps étaient aussi semblables que possible à l’âme et au corps de Jésus ? L’amour de Dieu pour Marie et l’amour de Marie pour pour Dieu avaient produit cette parfaite harmonie et cette parfaite ressemblance. Pour conquérir le cœur de Dieu, il suffit d’aimer tout à fait. Ravir le cœur de Dieu, le savoir et le savoir par lui, quelle joie ! joie ! C’est la joie de l’âme préparée à l’union divine par l’amour divin. Oui, si étonnant que cela puisse paraître, l’âme qui a donné son cœur à Dieu jusqu’au fond et à jamais, reçoit en retour, comme un trésor bien à elle, le cœur même de Dieu. Elle le possède en toute propriété, elle en dispose à son gré. Sans le perdre, elle le donne à qui il lui plaît. Comme elle a fait la volonté de Dieu, en pratiquant dans toute sa perfection le premier précepte de la Loi, Dieu, à son tour, fait toutes ses volontés ; ou, pour mieux dire, les deux volontés, les deux cœurs cœ urs sont tellement semblables, qu’ils ne se distinguent plus dans l’ordre pratique. Sous ce rapport, le cœur de Dieu est devenu le cœur de l’Épouse, et le cœur de l’Épouse, le cœur de Dieu. Ils ont fait comme un échange de droit de propriété. Et c’est l’amour l’am our qui, en créant la similitude profonde, a rendu possible et a réalisé cet échange bienheureux. L’ambition de L’ambition de l’âme intérieure l’âme intérieure est donc réalisée : elle a ravi le cœur de son Dieu ; elle le sait à n’en pouvoir n’en pouvoir plus douter. C’est son C’est son Bien-Aimé lui-même qui le lui a dit. Comment ? Par une parole extérieure, peut-
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
121
être ; par une parole intérieure, souvent ; au moins par une action intime, profonde, qu’il opère qu’il opère dans l’âme sans l’âme sans que celle-ci y résiste jamais, et qui, à sa manière, est une parole, une manifestation très claire des dispositions de Dieu à son égard. La parole extérieure comme la parole intérieure, quand elles se font entendre, traduisent en langue humaine cette action mystérieuse de Dieu, par laquelle il fait connaître, expérimenter à l’Épouse le transport de joie de son cœur à lui, quand il se voit vraiment aimé. Comme l’âme est alors bien récompensée de tout ce qu’elle a souffert pour conquérir ce cœur si bon ! bon ! Cette parole ferait mourir de bonheur, si Dieu la laissait agir dans toute sa force. Elle est un baume, un parfum, une mélodie, une liqueur, une lumière, une force, quoi donc encore ? Elle est tout cela ensemble et plus que cela. C’est le ciel déjà. Et que faut-il faut -il pour que Dieu la prononce ? Un seul regard, un seul sourire, un seul mot, un seul soupir, un seul battement du cœur de l’âme qui l’aime vraiment. Quand donc, ô mon Dieu, comprendrons-nous la puissance du saint Amour ? Quand nous déciderons-nous déciderons-nous à vous aimer, et à n’aimer que vous et de toute notre âme ? Répandez cet amour dans nos cœurs, cœu rs, ô Esprit di vin ! Vous seul pouvez nous le donner. Hâtez-vous. Alors nous lancerons sans cesse vers notre Dieu bien-aimé, vers vous, ô Trinité adorable, ces regards, ces cris, ces flèches d’amour, qui vous blessent si profondément, ouvrent tout grand votre vo tre cœur et en font jaillir des flots de bonheur et d’amour. QUAM PULCHRAE SUNT MAMMAE TUAE, SOROR MEA SPONSA ! ! PULCHRIORA SUNT UBERA TUA VINO, ET ODOR UNGUENTORUM TUORUM SUPER OMNIA AROMATA (C ANT., IV , 10). Que ton amour a de charmes, ma sœur fiancée, qu e ton amour est délectable. Il vaut mieux que le vin ; l’odeur de tes parfums vaut mieux que fous les aromates. Puissance du véritable amour sur le Cœur de Dieu.
Vos paroles, ô mon Dieu, sont pleines de vérité. Elles nous étonnent sans doute. Mais il suffît suffî t qu’elles soient « vos « vos paroles » pour que nous y adhérions sans réserve. Ainsi donc, ô mon Dieu, nous croyons de toute notre âme que l’amour sincère et pur d’un cœur vraiment épris de vous fait votre joie, qu’il est plein de charme pour votre cœur, qu’il vous enchante et vous ravit, qu’il est pour vous comme une délicieuse nourriture et comme le plus délicat des parfums. Le vin le plus riche, les aromates les plus exquis ne sont rien, quand vous les comparez à l’amour si délicat et si profond de votre « sœur sœur fiancée ». Et c’est
122
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
vous, ô mon Dieu, qui n’avez besoin de rien ni de personne pour être pleinement, parfaitement, immuablement heureux, c’est vous qui parlez ainsi à une pauvre âme humaine, qui vous doit tout, jusqu’à l’amour qu’elle vous porte et qui vous charme. Ô Amour, que tu es puissant ! Ô mon Dieu, que vous êtes bon ! Vous charmer, ô mon Dieu, quelle grâce, quel bonheur ! Quand on est sous le charme, on ne se possède plus, on est pris tout entier. Vous seul avez le droit de nous charmer ainsi. Mais aussi, l’amour d’un cœur pur exerce sur vous la même domination. Vous nous le dites, vous le voulez ainsi. Il vous plaît de vous faire le libre captif de l’amour. C’est certain. Pourquoi cela, ô mon Dieu ? Vous n’avez pas n’avez pas de secrets pour qui vous aime. Faites comme si je vous aimais. Dites-moi : Pourquoi le véritable amour a tant d’empire sur d’empire sur vous ? Quand on aime d’un légid’un légitime et profond amour, on se sent porté à inspirer à d’autres l’affection dont on est tout rempli. Comme on voudrait, ô mon Dieu, vous faire aimer de tous les hommes ! À votre manière toute divine, vous éprou vez vous-même en quelque sorte ce que nous ressentons, nous, dans notre pauvre cœur. Vous cœur. Vous ne pouvez aimer que vous. Vous vous aimez autant que vous êtes aimable, sans mesure, infiniment. Votre amour fait votre bonheur, et votre bonheur est parfait, infini, comme votre beauté et comme votre amour. Mais dans votre ineffable bonté, sans aucune nécessité de votre part, vous avez voulu créer des êtres capables de communier à votre bonheur en communiant à votre amour. Vous avez fait les Anges dans le ciel et les l es hommes sur la terre. Vous leur avez dit : « Contemplez-moi. Aimez-moi. Aimez-moi. J’ai le droit d’être aimé ; aimé ; je yeux être aimé. Mais je veux être aimé librement. Aimez-moi donc. Partagez mon amour pour moi-même. Vous me ferez plaisir, je vous rendrai heureux. Vivez de ma vie, imparfaitement d’abord, ensuite, et comme récompense, je vous en ferai vivre pleinement et pour l’éternité ». l’éternité ». F AVUS DISTILLANS LABIA TUA , SPONSA ; ; MEL ET LAC SUB LINGUA TUA , ET ODOR VESTIMENTORUM TUORUM SICUT ODOR THURIS (C ANT., IV , 11). Tes lèvres distillent le miel, ma fiancée ; le miel et le lait se cachent sous ta langue, et l’odeur de tes vêtements est comme l’odeur du Liban. Tout dans l’âme intérieure ravit le Cœur de l’Époux divin.
Pour le divin Époux, la parole de sa sainte fiancée a quelque chose de plus doux que le miel, de plus agréable et de plus rafraîchissant que le lait. Les lèvres parlent de l’abondance du cœur. Le cœur est tout amour : rien n’est doux comme le saint amour. Pour qui brûle d’amour
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
123
comme Dieu, rien n’est rafraîchissant comme une parole d’amour. Et l’heureuse fiancée ne sait plus dire que des paroles de vraie tendresse, d’affection, de dévouement, d’admiration, d’amour en un mot. Puis il se dégage de tout elle-même un parfum délicat, pénétrant, qui charme, lui aussi, à sa manière, le cœur de Dieu. L’air qu’elle respire en est tout embaumé. Ce qui paraît d’elle au dehors et forme comme son vêtement en est tout imprégné. Les âmes intérieures le sentent. sentent. Combien plus Dieu à qui rien n’échappe. HORTUS CONCLUSUS, SOROR MEA SPONSA , HORTUS CONCLUSUS , FONS SIGNATUS (C ANT., IV , 12). C’est un jardin fermé que ma sœur fiancée, une source fermée, une fontaine scellée. Richesse et charme de ce jardin fermé.
Jésus Jésus continue à faire l’éloge de l’âme intérieure, sa sœur fiancée, bientôt son so n Épouse. Il la compare à un jardin, mais ma is à un jardin un jardin fermé. Qu’est-ce Qu’est-ce à dire ? Un jardin est une terre de choix dont on fait disparaître, avec le plus grand soin, et les pierres et les ronces et les épines et les herbes folles. On lui donne ensuite une forme gracieuse, dessinée avec art. Enfin, on lui confie des plantes délicates, des fleurs de prix, des arbres aux essences variées. Pour le protéger, le maître l’entoure d’une haie vive. Personne n’y peut entrer sans sa permission, le regard même n’y peut pénétrer. La haie seule et les parfums qui la franchissent font soupçonner la richesse et le charme de ce jardin fermé. N’estN’est-ce point l’image fidèle de la fiancée du Sauveur ? Elle a été choisie entre mille. Jésus s’est occupé d’elle avec un soin assidu. Il a fait d’elle un véritable jardin fermé, riche de fleurs et de fruits, et où il a seul le droit d’entrer. Il use de ce droit, il vient souvent. Il sait bien que là, tout est de lui, tout est pour lui, tout est à lui. Par une délicatesse d’Époux, il permet à l’âme d’admirer les fleurs et de goûter les fruits qu’elle porte elleelle -même. On dirait alors qu’unis par la plus parfaite harmonie de vues, de volontés et de sentiments, Jésus et sa douce fiancée se promènent paisiblement ensemble, au travers de ce beau verger. Ils s’entretiennent s’entret iennent de l’unique l ’unique chose qui les intéresse : intéresse : leur mutuel amour. Par moments, ils se taisent pour mieux savourer leur bonheur, ils s’arrêtent, ils se reposent comme à l’ombre de quelque bosquet. Puis ils reprennent doucement leur promenade et leur divine conversation. Quels moments pour l’âme que ceux où Jésus daigne ainsi l’honorer de son aimable présence et s’entretenir cœur à cœur avec elle ! Ô Jésus, il n’y a que vous qui sachiez aimer !
124
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Quand sera-ce, ô Jésus, que vous pourrez comparer mon âme à un jardin, et à un jardin fermé ? C’est votre désir pourtant. C’est mon bonheur aussi. Mais, hélas ! je n’ai pas su répondre à votre désir, ni travailler à mon bonheur bonheur comme vous l’auriez voulu. Pardonnez-moi, Pardonnez -moi, ô Jésus ! Puisque vous voulez bien m’ouvrir les yeux et me montrer la tâche qui me reste à accomplir, donnez-moi, je vous en prie, par votre très sainte Mère, le courage de l’entreprendre et de ne plus jamais l’abandonner. l’abandonner. Mon premier effort doit porter sur la clôture de mon jardin. Elle doit être parfaite : point de passages dans la haie, une seule porte d’entrée, dont vous posséderez seul la clef. Il faut que mon âme soit inexorablement fermée à tout ce qui n’est pas vous, et qu’elle ne s’ouvre qu’à vous et à ceux que vous voulez faire entrer avec vous. Elle ne m’appartient pas. Elle est à vous, je n’ai donc pas le droit d’y admettre et d’y garder qui que ce soit, et quoi que ce soit de moi -même. À quelque moment que vous daigniez la visiter, il faut que vous la trouviez vide de toute créature, seule, tout occupée du désir de votre aimable visite et du soin de s’y préparer. Si je pouvais enlever les petites pierres (j’espère qu’il n’y en a pas de trop grosses !) qui blessent vos pas, les ronces qui déchirent vos mains, les herbes inutiles qui déplaisent à vos regards, comme je serais heureux ! Puisque mon jardin est pauvre, qu’il soit au moins bien tenu ! tenu ! Ce doit être là mon grand souci pendant votre absence. C’es t le seul moyen que j’aie de vous attirer de nouveau. Je souffre quand vous me quittez, mais je n’ai pas le droit de me plaindre. Il y a tant de jardins plus riches et plus beaux que le mien ! N’est-il N’est-il pas juste que vous leur donniez la préférence ? * Vous comparez encore, ô Jésus, votre sainte fiancée à une source fermée, à fermée, à une fontaine une fontaine scellée. L’eau a partout son prix. Mais dans les pays de soleil, elle est à la fois plus rare et plus utile. D’autre part, il y a des eaux plus fraîches, plus pures et plus limpides que d’autres. Heureux celui qui possède en propre une de ces sources, une de ces fontaines. Il peut y puiser à son gré, et nul n’a le droit de s’y désaltérer sans sa permission. Votre amour pour les âmes intérieures vous consume, ô Jésus. C’est un feu brûlant, qui vous altère. Vous avez soif d’amour. L’amour seul peut rafraîchir votre Cœur. Mais il vous faut un amour pur, limpide, désintéressé. Vous ne le trouvez qu’au plus intime des âmes de vie profonde, qui sont vraiment à cet égard des « sources », sources », mais fermais fermées, des mées, des « fontaines « fontaines », », mais scellées pour scellées pour tout autre que pour vous.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
125
Pourquoi donc, ô Jésus, le nombre de ces « jardins « jardins fermés », de ces « fontaines scellées » scellées » est-il est-il si petit, du moins â ce qu’il nous semble ? semble ? On souffre, ô mon Dieu, c’est vrai, c’est vrai, à la pensée de tant de pécheurs qui vous offensent, mais on souffre sou ffre bien aussi auss i à la pensée de tant de cœurs qui ne vous aiment pas assez. Diminuez le nombre et des uns et des autres. Augmentez celui de ceux qui vous aiment tout à fait. Vous avez le droit d’être aimé sans mesure. Faites donc que ce droit soit pleinement reconnu. Illuminez les âmes. Montrez-leur quelque rayon de votre ineffable Beauté. Prenez possession des volontés. Gagnez les cœurs à votre amour. Alors, vous trouverez sur cette pauvre terre de vrais jardins de délices, où vous pourrez vous plaire à venir et à reposer ; de pures sources d’eau fraîche, où vous pourrez calmer un peu la soif d’amour qui tourmente, si l’on ose dire, votre adorable Cœur. Accende lumen sensibus, Infunde amorem cordibus, Infirma nostri corporis Virtute firmans perpeti.
EMISSIONES TUAE PARADISUS MALORUM PUNICORUM CUM POMORUM FRUCTIBUS, CYPRI CUM NARDO, NARDUS ET CROCUS, FISTULA ET CINNAMOMUM, CUM UNIVERSIS LIGNIS LIBANI, MYRRHA ET ALOË CUM OMNIBUS PRIMIS UNGUENTIS (C ANT., IV , 13-14). Un bosquet ou croissent les grenadiers avec les fruits les plus exquis, le cypre avec le nard, le nard et le safran, la cannelle et le cinnamome avec tous les arbres qui donnent l’encens, la myrrhe et l’aloès, et toutes les plantes embaumées. e mbaumées. Les fruits du Saint-Esprit.
À cause de la fraîcheur fr aîcheur de son feuillage, feuil lage, de l’éclat de ses fleurs, de la grâce et du goût agréable de ses fruits, le grenadier est un des arbres préférés des Orientaux. On comprend que l’Époux divin, voulant faire l’éloge de sa sainte fiancée, l’ait comparée à un bosquet composé de grenadiers et d’autres arbres « aux fruits fruits les plus exquis ». Pour l’âme intérieure, en effet, le temps des fruits est venu. Le fruit est comme le terme du travail de certains arbres ; pour l’ordinaire, il est agréable à la vue et au goût ; pour l’ordinaire aussi, il est nourrissant. Dans l’ordre spirituel, l’ordre spirituel, les fruits sont des actes surnaturels, résultant de l’activité de l’activité de l’âme mue l’âme mue par l’Esprit d’amour et d’amour et leur procurant à tous deux une véritable joie. On les appelle les fruits du Saint-Esprit. D’après saint D’après saint Paul, selon la Vulgate, il y en aurait douze : « Charité, joie, paix, patience, bénignité, bonté, longanimité, mansuétude, fidélité,
126
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
modestie, continence et chasteté » 1. Toutefois, dans le texte grec, on ne trouve que neuf fruits énumérés : « la charité, la joie, la paix, la patience, la mansuétude, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance ». Il importe peu, au reste. Saint Paul ne se proposait pas de dresser une liste complète. Ce qu’il faut retenir, surtout, c’est le soin que doit avoir l’âme intérieure de porter de tels fruits. Jésus en fait comme sa nourriture. Plus les fruits sont nombreux, plus ils sont beaux et plus il est content. Une des marques de sa joie, c’est l’invitation qu’il adresse à l’âme elle-même elle-même de goûter des fruits de son propre jardin. Charité.
Il n’y a pas de vertu qui produise plus volontiers son acte et dont l’acte donne plus de bonheur que la charité véritable. Multipliez les actes d’amour de Dieu et du prochain. Que chacun d’eux soit plus parfait que celui qui le précède et en prépare un autre encore plus achevé que lui, et vous aurez au dedans de vous une source de bonheur chaque jour plus abondante et plus délicieuse. Aimer ainsi, a insi, c’est vivre, et pleinement. Mais vivre, c’est se développer, s’épanouir, se fortifier, s’enrichir de la vraie richesse ; toutes choses qui sont agréables au goût de l’âme et peuvent être appelés des « fruits spirituels ». spirituels ». Joie.
De l’amour procède la joie. C’est le sentiment habituel de l’âme intérieure. On a dit de la joie qu’elle était « « le reflet psychologique du bien en nous ». C’est un je ne sais quoi d’agréable et de doux qui saisit lame tout entière, l’enveloppe et la pénètre, dès qu’elle prend conscience d’un bien qui lui arrive et qu’elle possède en plénitude. Or la joie de l’âme qui qu i aime Dieu et se sait aimée de lui coule en elle comme de deux sources qui uniraient leurs eaux. Elle se réjouit du bien de Dieu en lui-même, puis du bien de Dieu en tant que participé par ellemême et devenant ainsi son propre bien à elle. Le bien de l’âme, c’est Dieu. Plus elle le possède, par l’amour, plus elle a conscience de cette possession, et plus aussi elle est heureuse, plus sa joie est grande. Si Dieu ne la tempérait parfois, la mort ne tarderait pas à se produire. Mais cette joie personnelle est limitée, le cœur est si petit, Dieu est si grand ! grand ! Elle est aussi, souvent du moins, mélangée d’un peu de crainte, ne seraitserait -ce que celle de la voir finir… La terre n’est pas le Ciel. Au-dessus Au -dessus de cette joie, il en est une autre, 1 Galat., V ,
22.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
127
plus profonde, plus parfaite, presque immuable, celle qui vient à l’âme du bonheur même de Dieu. Ce Dieu qu’elle possède, qui est tout à elle et comme tout en elle, ce Dieu béni, adoré, aimé, est heureux, lui, d’un bonheur sans mélange, m élange, sans limite, l imite, sans fin, et qui ne saurait s aurait ni croître ni diminuer, parce qu’il est infini. Ce bonheur, Dieu, son Bien-Aimé, Bien -Aimé, le goûte en paix et toujours. Nul ne peut le lui ravir. Prendre un peu conscience de cette béatitude propre à Dieu, et qui est au fond Dieu lui-même, lui-même, c’est, pour l’âme aimante, la joie des joies. La sienne propre ne compte plus auprès de celle-là. Et pourtant, cellelà est bien aussi la sienne. Qui dira ces choses ? Quelle joie encore pour l’âme intérieure que de se dir e au moment de la communion et pendant son action de grâces, qu’elle possède en elle, bien à elle, l’Âme sainte du Verbe Incarné, de Jésus. Cette Âme aimée, qui nous unit à elle, nous transforme en elle, est heureuse comme il n’est pas possible de l’être. Elle l’être. Elle voit la Trinité Sainte face à face, elle la possède, elle l’aime à un degré et avec une perfection inaccessible à toute autre âme si généreuse soit-elle, et à tout ange. Elle est donc heureuse d’un bonheur qui ne se mesure pas. La joie divine s’épanche dans cette Âme d’une manière ineffable. Elle reste une Âme humaine, c’est vrai, mais tellement divinisée par son union personnelle avec le Verbe et par sa possession si parfaite de l’essence divine, qu’on ne sait plus quel terme employer pour exprimer et sa et sa perfection et sa richesse et sa joie. Et dire cependant que cette Âme aimée est à nous, alors, et qu’elle vit sa vie en nous ! Comment ne pas se réjouir de sa joie et être heureux de son bonheur ! Paix.
Un autre fruit du saint amour que Jésus et l’âme goûtent ensemble, c’est la paix. À de certaines heures, la joie est si vive qu’elle fait oublier la paix. Mais celle-ci compense par sa douce constance ce qui paraît lui manquer par ailleurs. Quand la joie tombe, ce qui arrive au moins par moments, la paix demeure. Elle a un charme qui lui est propre. C’est le charme de l’ordre, de la tranquillité, de la sécurité, de l’activité silencieuse, calme et bien réglée. Comme ce fruit est doux ! Comme on le goûte avec bonheur ! Comme on s’étonne de le trouver toujours toujo urs agréable et toujours nouveau ! On ne se lasse pas de lui, pas plus qu’on ne se lasse du saint amour, dont il est bien réellement le fruit. En effet, quand l’Espritl’Esprit-Saint règne dans une âme, il y met de l’ordre. Il la met aussi dans l’ordre et par rapport rappo rt à Dieu et par rapport au prochain et par rapport aux événements et aux choses. Or, nous le savons, la paix,
128
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
c’est la tranquillité de l’ordre 1. Voilà pourquoi l’âme-intérieure l’âme-intérieure est si paisible. Une âme paisible est une âme pacifiante. Elle est établie dans l’ordre ; elle y établit les autres. L’ordre consiste dans la parfaite adaptation des moyens à la fin, Mais la fin de l’homme, c’est Dieu connu, aimé, possédé en lui-même et par suite glorifié. Celui qui connaît le mieux cette fin dès ce monde est aussi celui qui peut le mieux juger de tout, et tout ordonner au mieux en vue de cette fin à atteindre ; cela, pour lui d’abord, puis pour les autres, si le bon Dieu lui en donne la charge et lui en fait la grâce. C’est le sage au sens plénier et surnaturel du mot. C’est celui qui met la paix partout, d’abord en lui, puis hors de lui. C’est le « « pacifique » que Jésus proclame bienheureux. Bienheureux, il l’est à un double titre. Il « mérite « mérite » excellemment le bonheur du séjour de la paix. Il le « goûte » déjà par une sorte d’anticipation réelle. Comme dit saint Thomas, l’homme, par le don de Sagesse, « participe la similitude du Fils unique et par nature…, lequel est précisément la Sagesse engendrée…, et parvient ainsi à la filiation divine : divine : Beati pacifici quoniam filii Dei vocabuntur » vocabuntur » 2. Patience.
Dans les conditions actuelles de la vie, la charité, la joie et la paix ne suppriment point la souffrance. Jésus, le modèle et l’Époux de l’âme intérieure, était tout à la fois l’Homme de la vision bienheureuse et l’Homme l’Homme de douleurs : « Tota vita Christi fuit crux et martyrium 3. Plus une âme suit Jésus de près, plus elle s’abreuve au torrent des délices, et aussi plus elle trempe ses lèvres au calice d’amertume. C’est mystérieux, mais c’est très réel. Voyez Marie, Reine Rei ne des Martyrs, voyez saint Paul, voyez saint Ignace d’Antioche, etc., etc. La patience, cet art de souffrir avec Jésus, comme Jésus, pour Jésus, doit se trouver dans toute âme vraiment conduite par l’Esprit de Jésus. Suivant le mot de sainte Thérèse, souffrir est son « métier ». Et il s’agit évidemment de souffrir par amour, c’est-à-dire c’est -à-dire de pratiquer en perfection la vertu de patience, de lui faire porter de beaux et de bons fruits pour l’éternité. « Que la patience soit accompagnée d’œuvres parfaites » parfaites » 4, nous dit saint Jacques. Malgré toutes les épreuves qui peuvent fondre sur elle, épreuves du dehors, épreuves du dedans, l’âme intérieure ne doit pas se laisser abattre un seul moment par la tristesse. Elle sent la douleur, elle souffre réellement, mais au milieu 1 S.
Augustin.
2 Bienheureux
les pacifiques parce qu’ils seront appelés appelés enfants de Dieu (Matt., V , 9). la vie du Christ fut croix et martyre ( Imit., ( Imit., II, II, XII, 7). 4 Jacob, I, 4.
3 Toute
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
129
de cette amertume, elle reste calme. Non seulement elle dit : « Fiat « Fiat voluntas tua », du fond du cœur, mais encore elle ajoute, sous l’influence du don de Conseil, qui lui montre le prix du sacrifice : « Deo « Deo gratias ! Merci, ô mon Dieu ! » Elle peut même s’élever plus haut et s’écrier comme saint Paul : « Superabundo « Superabundo gaudio in omni tribulatione nostra » tra » 1. Les Apôtres, et après eux tous les Saints, n’étaient -ils pas heureux de souffrir pour Jésus ? « Ibant « Ibant gaudentes a conspectu concilii, quoniam digni habiti sunt pro nomine Jesu contumeliam pati » pati » 2. Rien ne pouvait arrêter leur amour. Il portait ses fruits dans la patience. Les Saints savent souffrir, parce qu’ils savent aimer. Et leur patience est persévérante. Ils ne se laissent abattre ni par la longueur du chemin, ni par la monotonie de la marche, ni par les obstacles qu’ils rencontrent sur leur route. Ils vont comme Jésus, portant leur croix jusqu’au sommet du Calvaire. Et tout le long du trajet, ils s’oublient pour penser aux autres. Ils consolent, console nt, ils encouragent comme si eux-mêmes eux-mêmes n’étaient pas accablés de souffrances. Quel fruit qu’une telle patience ! patience ! Quel amour ne faut-il faut-il pas porter au cœur pour qu’un tel fruit puisse se développer et mûrir ! L’art de souffrir ainsi entendu n’est-il n’est -il pas la moitié au moins de la perfection ? Quelle joie pour Jésus que de trou ver une âme qui a si bien profité de ses leçons, leçon s, de ses exemples e xemples et de sa grâce ! Comme il est heureux de voir son Épouse lui ressembler à ce point et porter si visiblement ses divins stigmates : « Stigmata « Stigmata Domini Jesu in corpore meo porto » porto » 3. Mansuétude et douceur.
L’Esprit d’amour est un esprit de mansuétude et de douceur. Comment l’Hôte de l’âme, qu’il lui est si doux de posséder, « dulcis Hospes animae anima e », ne la porterait-il pas à pratiquer cette vertu si chère au Cœur de Jésus ! Jésus ! « Discite a me quia mitis sum » sum » 4. L’âme vraiment possédée par l’Esprit de Jésus ne se contente pas de modérer les mou vements d’une colère légitime en elleelle-même, afin qu’ils n’excèdent en rien, ni quant à leur naissance, ni quant à leur force, ni quant à leur durée, ni quant à leur manière, les justes limites de la raison, mais elle s’efforce de les supprimer autant qu’il lui est possible. La parole de Jésus toujours présenté à son esprit lui sert de règle : « Et moi, je vous dis de ne pas tenir tête au méchant, mais si quelquel 1 Je
surabonde de joie au milieu de mes tribulations (Col., I, 24). Les apôtres sortirent du sanhédrin joyeux d’avoir été jugés dignes de souffrir des de s opprobres pour le nom de Jésus (Act., V , 41). 3 Je porte sur mon corps les stigmates du Seigneur Jésus (Galat., VI, 17). 4 Apprenez de Moi que je suis doux (Matth., XI, 29). 2
130
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
qu’un te frappe sur la joue droite, présente -lui encore l’autre. Et à celui qui veut l’appeler en justice pour avoir ta tunique, abandonne encore ton manteau » 1. Mais la douceur n’exclut pas la force. Elle la suppose et lui fait appel. Elle suppose aussi l’humilité comme sa source. L’âme intérieure porte des fruits exquis et en même temps, comme un beau jardin, elle répand un parfum qui renferme dans sa simplicité le charme de tous les autres parfums, ceux du nard et du cypre, du sa fran, de d e la cannelle et du d u cinnamome, de la myrrhe et e t de l’aloès. l ’aloès. Une Une odeur d’encens monte d’elle sans cesse vers son Dieu. Elle est vraiment agréable pour lui. Il aime à le lui dire, afin de l’encourager à toujours mieux fleurir pour sa gloire. Elle ne désire du reste pas autre chose. Toute son ambition est de plaire à son Bien-Aimé ; si elle savait quelque plante rare qui pût causer quelque nouvelle joie à son divin Époux, elle irait la chercher jusqu’au sommet des plus hautes montagnes, jusqu’aux extrémités de la terre. Elle l’achèterait au prix de tous ses biens et s’efforcerait de l’acclimater dans son petit jardin. Elle voudrait posséder « toutes les plantes embaumées » embaumées » afin de charmer le Cœur si bon de son Dieu. FONS HORTORUM, PUTEUS AQUARUM VIVENTIUM, QUAE FLUUNT IMPETU DE LIBANO (C ANT., IV , 15). Une fontaine dans un jardin, une source d’eaux vives. Un ruisseau qui coule du Liban. L’âme contemplative vivant dans les hauteurs de la vie même de Dieu y attire les âmes.
Pour peindre les charmes de l’âme fidèle, l’Époux réunit en une seule les deux comparaisons du « jardin » et de la « source ». Sa sainte fiancée lui apparaît comme une fontaine aux eaux fraîches dans un beau jardin bien clos. Il semble que l’union de ces deux traits ajoute quelque chose à l’idée que nous nous formions de cette âme privilégiée. Les fleurs réjouissent le regard, les fruits apaisent la faim, l’eau calme la soif ; on est heureux de trouver toutes ces choses réunies et comme à portée de la main. C’est ce que veut nous dire Jésus. Une âme vraiment intérieure est cela pour lui ; elle l’est aussi pour tous ceux à qui le bon Maître veut bien permettre d’entrer dans ce jardin fermé. Avec lui, ils admirent les fleurs, ils goûtent les fruits, ils se désaltèrent à la fontaine d’eau fraîche. Puis, ils vont à leur tâche quoti1 Matt., V ,
39-40.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE IV
131
dienne avec plus de lumière dans les yeux, plus de force dans la volonté, plus de joie dans le cœur. L’eau vive a quelque chose de gracieux, d’agile, d’entraînant. Elle est aussi pour pour l’ordinaire limpide et claire. Le soleil la colore de mille teintes ; on se plaît à la contempler ; on passerait des heures à la voir sourdre, sans se lasser, du sein de la terre. L’âme intérieure est active à sa manière. Elle est vivante, elle s’élance vers son Dieu d’un mouvement que rien ne ralentit ; elle ravit qui la regarde monter ; elle soulève vers Dieu, il faut la suivre. Avec elle, on fait du chemin en hauteur presque sans s’en apercevoir. Elle murmure doucement à l’oreille. Elle parle de Dieu, elle dit toujours la même chose, et pourtant elle ne se répète pas. On ne se lasse pas de l’entendre, on souffre quand il faut s’éloigner, on se propose de revenir dès que le bon Dieu voudra bien le permettre et, en attendant, on vit du souvenir des doux moments passés près d’elle ; d’elle ; on se sentait vraiment élevé et rapproché de Dieu. Après l’image de la source, celle du ruisseau qui descend, rapide, des hauteurs du Liban. Tout à l’heure, c’était la contemplation de l’âme intérieure s’élevant sans cesse vers Dieu par la force de son amour et soulevant vers lui ceux qui la regardaient vivre ; maintenant c’est toujours la même âme, mais s’épanchant au dehors et portant partout où son Dieu veut qu’elle aille, la limpidité, la fraîcheur et la fécondité de ses eaux. Si on lui demandait : « D’où venez-vous venez-vous ? Où prenez-vous votre source, gracieux et vivant petit ruisseau ? », on l’entendrait répondre : répondre : « Je viens des hauteurs de Dieu ; je puise mes eaux vivifiantes au sein même de Celui qui est la Vie. Remontez mon cours et vous verrez que c’est de là que je descends vers vous. Buvez de mes eaux afin qu’elles fassent naître en vous l’ardent désir de vous de vous désaltérer désaltér er à la source sourc e unique uniqu e de la vie et de l’amour ». l’amour ». SURGE A QUILO QUILO, ET VENI, A USTER USTER ; ; PERFLA HORTUM MEUM, ET FLUANT AROMATA ILLIUS (C ANT., IV , 16). Levez-vous aquilons, venez autans, soufflez sur mon jardin et que ses parfums s’exhalent. Humble prière de l’âme pressée de tout rapporter à Dieu de ses libéralités en elle.
C’est pour plaire à Jésus que l’âme intérieure intérieur e prend tant de soin d’elle-même. d’elle-même. Elle se réjouit à la vue des fleurs qui s’épanouissent en elle : roses de la charité, lys de la pureté, violettes de l’humilité. Elle
132
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
pense à son divin Époux, elle voudrait lui faire respirer le parfum de ses fleurs, qui sont ses fleurs à lui. Mais il se cache, il paraît loin. Comment lui faire parvenir les senteurs si douces de son bien-aimé jardin ? Levez-vous donc, vents violents du Nord, puissants aquilons ; venez vous aussi, souffles du Midi, impétueux autans ; passez sur mon jardin, emportez sur vos ailes, de tous côtés, les l es parfums de mes fleurs. Vous saurez bien trouver mon Dieu béni, où qu’il se cache. Vous lui l ui ferez respirer l’odeur des vertus de sa chère Épouse. Il sera heureux, il se réjouira, il comprendra le sens mystérieux du message que je vous confie, et il viendra : « Veni Domine Jesu » Jesu » 1. V ENIAT ENIAT DILECTUS MEUS IN HORTUM SUUM , ET COMEDAT FRUCTUM POMORUM SUORUM (C ANT., IV , 16). Que mon Bien- Aimé Bien- Aimé entre dans son jardin, et qu’il mange de ses beaux fruits.. C’est pour vous seul, ô mon Dieu, que l’âme intérieure s’est cultivée elle-même. elle-même. Vous l’avez aidée puissamment du reste. Avec votre grâce, elle a arraché, et vous, vous avez planté ; elle a détruit, et vous, vous avez construit. Votre jardin, car il est bien vôtre, est maintenant dans toute sa beauté. Venez donc l’admirer, venez le visiter, venez vous y reposer comme dans un petit paradis. Votre Épouse sera tout heureuse de vous y recevoir, elle rêve toujours et uniquement de vous faire plaisir. Elle sait que sa vue vous réjouira ; elle goûte par avance votre bonheur. Venez donc, encore une fois, ô Jésus ! Entrez dans votre jardin. Cueillez ses fleurs, mangez ses fruits, vos beaux fruits. Permettez à votre sainte Épouse de vous les offrir. Vous nourrir spirituellement spirituell ement comme du meilleur d’elle-même, d’elle-même, quelle joie, quelle récompense pour elle ! Faites-lui goûter g oûter cette joie, joie , donnez-lui donnez-l ui cette récompense, r écompense, elle n’en veut pas d’autre.
1 Venez
Seigneur Jésus (Apoc., XXII, 20).
Chapitre V V ENI ENI IN HORTUM MEUM, SOROR MEA SPONSA (C ANT., V , 1). Je suis entré dans mon j ardin, ardin, ma sœur fiancée. Prière exaucée.
La prière d’une âme vraiment intérieure perce les nuages, elle monte jusqu’au ciel. Elle va droit au cœur du bon Dieu. Elle le blesse d’une sainte blessure d’où s’échappe presque aussitôt la grâce demandée. La sainte Épouse sollicitait une visite de son Bien-Aimé Bien -Aimé ; elle l’obtient. Elle le suppliait d’entrer de plus en plus en sa vie, dans le secret de son cœur comme dans un jardin bien à lui ; lui ; il y entre et il le lui dit : « Je « Je suis entré dans mon jardin, ma sœur fian cée ». Qui pourrait exprimer la joie d’une âme qui sait, à n’en pouvoir douter, puisqu’elle le tient de la bouche même de celui qui est la Vérité, que son Dieu est entré tout heureux en sa vie profonde comme dans un jardin de délices ? Recevoir ainsi le bon Dieu, lui faire plaisir à ce point, le posséder en soi, chez soi, comme un Hôte, comme un Ami, comme un Frère, comme un Fiancé, qui rend visite à sa sainte fiancée pour la récompenser de sa fidélité et la préparer à l’union parfaite et permanente, quel ravissement, quelle ivresse ! Comment se fait-il, ô mon Dieu, que tout notre bonheur consiste dans cette douce visite, et que nous la désirions si peu ? Nous nous plaignons sans cesse de n’être pas heureux et nous oublions Celui qui seul peut satisfaire notre soif de bonheur ! Il est bien vrai, ô mon Dieu, que vous êtes libre de vous communiquer à qui il vous plaît ; nul n’a de droits sur vous. Mais n’est-il n’est -il pas vrai aussi que vous vous donnez de préférence à qui vous cherche ? N’estN’est-il pas permis d’entendre en d’entendre en ce sens vos encourageantes paroles : « Cherchez et vous trouverez ; demandez et vous recevrez ; frappez et il vous il vous sera ouvert » » 1 ? À supposer même que, dans votre sagesse, vous ne jugiez pas à propos de réaliser notre désir, sommes-nous dispensés pour cela de vous l’exprimer l’exprimer ? Le plus impérieux et le plus doux de nos devoirs, n’est-il n’est-il pas de proclamer, en vous cherchant sans relâche, que vous êtes le Bien Souverain et l’unique trésor de nos cœurs ? cœurs ? Oui, pourquoi l’amour n’est-il n’est-il pas aimé ? 1 Luc,
XI, 19.
134
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
MESSUI MYRRHAM MEAM CUM AROMATIBUS AROMAT IBUS MEIS (C ANT., V , 1). J’ai cueilli ma myrrhe et mon baume. Dieu daigne venir prendre ses délices son dans jardin fermé.
Jésus est entré dans son jardin. Il y est entré en maître, en possesseur légitime à qui tout appartient, qui peut user et disposer de tout à son gré. C’est son droit absolu. L’âme intérieure est ravie de voir qu’il en agit ainsi librement avec elle. « Oui, ô Jésus, tout est bien à vous dans ce jardin. Cueillez-en les fleurs tout à votre aise ; formez-en un bouquet agréable à vos yeux et à votre cœur. Votre main bénie ne détruit pas ce qu’elle touche. D’autres fleurs, roses, lys ou violettes pousseront comme à l’envi pour remplacer celles que vous daignez cueillir. Elles seront plus belles encore s’il se peut, plus riches, plus parfumées, plus variées ». L’âme aimante voudrait aussi que d’elled’elle -même, sous l’incision du saint Amour, s’écoulât comme une myrrhe et un baume de suave odeur, formés du plus pur de sa substance, et qui seraient la preuve évidente du désir qui la consume de donner sa vie pour vous. COMEDI FAVUM CUM MELLE MEO (C ANT., V , 1). J’ai mangé le rayon avec le miel. Pour se soutenir, la vie a besoin de nourriture et de breuvage. Il appartient à la sainte Épouse de nourrir d’abord, puis de désaltérer son div in in Époux. Elle s’offre donc à lui comme un rayon plein de miel, et Jésus prend son repas mystérieux composé de l’un et de l’autre. L’abeille a construit méthodiquement les petits alvéoles. Puis elle est allée ici et là butiner sur les fleurs, pour en tirer son doux miel. Serait-il Serait-il permis de voir dans le rayon l’âme elle-même elle -même avec ses facultés naturelles ramenées à l’ordre parfait, puis, dans le miel, le fruit du travail de cette même âme enrichie et transformée par la grâce, les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit, et produisant des actes humains devenus méritoires ? L’acte humain serait comme l’alvéole, le miel serait comme le mérite, mais l’intime union des deux éléments dans l’âme serait beaucoup plus profonde et plus indissoluble, ce qui expliquerait expliquerait pourquoi Jésus se nourrit de l’un et de l’autre.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
135
BIBI VINUM MEUM CUM LACTE MEO (C ANT., V , 1), J’ai bu mon vin et mon lait. Après la nourriture nourritur e qui soutient, sou tient, le breuvage qui désaltère. L’Époux L’É poux parle de « vin » vin » et de « lait ». lait ». Il trouve l’un et l’autre dans son jardin fermé. C’est la sainte Épouse qui les lui offre. Quel est ce vin, quel est ce lait mystérieux ? Ces deux breuvages n’ont point le même aspect, ni la même nature. Ils ne produisent point les mêmes effets. L’un réjouit, exalte, enivre même. L’autre L’autre rafraîchit et apaise. L’un est plus fort, l’autre est plus doux. L’amour de l’âme intérieure participe de l’un et de l’autre. Il réjouit et enivre le cœur de l’Époux par sa force, il le rafraîchit et il le charme par sa douceur. C’est que l’Épouse a ime son Dieu « suaviter et fortiter » tout à la fois, au point qu’on ne saurait dire ce qui l’emporte dans son amour, de la douceur ou de la force, de la suavité ou de la fermeté, de la délicatesse ou de la générosité, tant tout en elle est si bien ordonné ! COMEDITE, AMICI, ET BIBITE, ET INEBRIAMINI, CARISSIMI (C ANT., V , 1). Mangez, mes amis ; buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés. Jésus invite ses amis.
Jésus ne veut pas être seul à goûter son bonheur. Il appelle tous ses « amis amis », ses « bien-aimés bien-aimés » à le partager. Dieu a ses amis dans le monde, il les connaît et ils le connaissent. Dieu permet parfois aussi qu’ils se connaissent entre eux. À mesure que les âmes montent vers Dieu, elles se rapprochent les unes des autres spirituellement. Quand les circonstances circonstances extérieures s’y prêtent, soit d’elles-mêmes, d’elles -mêmes, soit par suite d’une volonté spéciale de la divine Providence, elles découvrent parfois le lien qui les unit. C’est à Dieu seul qu’il appartient d’établir ce lien et de ménager ces rencontres, il poursuit un dessein de miséricorde. Il veut que ces âmes s’entr’aident à l’aimer, et s’encouragent à le servir. Il attend souvent de leur collaboration une œuvre, qui réclame pour s’établir leurs efforts réunis. N’en a-t-il a -t-il pas été ainsi de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix, de saint François de Sales et de sainte Chantal, de saint Vincent de Paul et de sainte Louise de Marillac, de la Vénérable Mère Agnès et de M. Olier, de sainte MargueriteMarie et du Bienheureux Père de la Colombière ? Le bon Dieu établit entre ces âmes choisies et préparées par lui une sainte union toute spirituelle, qui rappelle de loin celle de Marie et de
136
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Joseph. Faut-il voir un signe de cette union dans les deux globes de feu, l’un venant du ciel [saint François de Sales], l’autre mo ntant de la terre [sainte Chantal], s’unissant en un seul et allant se perdre en Dieu, ainsi qu’il fut montré à saint Vincent de Paul, à la mort de sainte Chantal ? Ou encore dans ce que raconte d’elle-même d’elle -même sainte Marguerite-Marie, à qui Jésus montra son divin d ivin Cœur, dans lequel étaient unis celui de la sainte et celui du Bienheureux Père de la Colombière ? « Une fois qu’il [le R. P.] vint dire la sainte Messe à notre église, NotreNotre Seigneur lui fit de très grandes grâces et à moi aussi. Car lorsque je m’approchai m’approchai pour le recevoir par la Sainte Communion, il me montra son Sacré-Cœur Sacré-Cœur comme une ardente fournaise, et deux autres cœurs, qui s’y allaient unir et abîmer, me disant : disant : C’est ainsi que mon pur amour unit ces trois cœurs pour toujours ». Union toute pour la gloire du Sacré-Cœur, Sacré-Cœur, lui fut-il fut-il révélé. Avec quel religieux respect, ô mon Dieu, nous devons parler de ce que vous faites dans le cœur des saints ! saints ! Cette union, tout à fait intime, n’est réservée qu’à quelques âmes relativement rares. Elle dépend de Dieu seul. Elle exige la parfaite pureté du cœur. Mais à côté de ces amis privilégiés de Jésus, il en est beaucoup d’autres à qui le bon Maître donne cependant ce doux nom d’ « ami » ami » Ce sont ceux qu’il invite, chacun selon son rang, à partager sa joie : « mangez », », « buvez », », « enivrez-vous », enivrez-vous », leur dit-il. « Venez auprès de cette âme qui m’est si chère. Je l’ai comblée de faveurs : faveurs : elle est un vrai trésor. trésor . Ce trésor trés or est à vous ; venez et puisez p uisez à pleines mains. Vous avez besoin de lumières sur moi, sur vous, sur le monde : elle vous les donnera. La force vous manque pour gravir les pentes du Calvaire : elle possède des réservés inépuisables de vigueur et d’énerd’éner gie. Elle vous nourrira du meilleur d’elle-même. d’elle -même. Vous reprendrez votre tâche avec un élan et un espoir esp oir nouveau. Votre cœur rêve de bonheur vrai, solide, immuable ; l’amour divin a fait d’elle une source de joie. Buvez, enivrez-vous. Loin de troubler votre raison et d’inquiéter d’inquié ter votre âme, cette sainte ivresse ouvrira vos yeux sur le ciel et vous en fera comme par avance goûter la paix ». EGO DORMIO ET COR MEUM VIGILAT (C ANT., V , 2). Je dors, mais mon cœur veille. Désir d’aimer Dieu sans interruption et sans mesure.
De quel sommeil et de quelle veille, l’âme intérieure veut-elle veut -elle parler ? C’est le désir de tout cœur qui aime Dieu de ne jamais cesser de
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
137
l’aimer. Ce qui interrompt ou paraît interrompre son amour lui est à charge. Dormir, en particulier, lui coûte beaucoup. Il faut donner tant d’heures au sommeil ! Et pendant ce temps si long, il semble qu’on ne vive pas, puisque l’on n’aime pas ! pas ! Sans doute, avant de prendre son repos, l’âme aimante dit bien à son Dieu le regret qu’elle éprouve de ne pouvoir pas s’occuper de lui durant son sommeil ; sommeil ; sans doute encore, elle lui offre bien tous les battements af faiblis faiblis de son cœur comme autant de témoignages de son affection toujours vivante. Mais, malgré tout, elle souffre. Aimer actuellement, pleinement, c’est toute sa raison d’être. Et voilà que la nature lui impose le dur sacrifice d’endormir son cœur. Une seule consolation lui reste, c’est de se dire qu’elle fait en cela la volonté de son Bien-Aimé ; puis, que le sommeil ne durera pas toujours. Mais Jésus ne pourrait-il pas exaucer le désir si légitime de sa sainte Épouse et lui permettre tout ensemble de prendre le repos physique, dont elle a besoin, et de rester pourtant par le cœur très éveillée et très aimante ? Oui, certes, il le peut. Il l’a fait plusieurs fois déjà, souvent même peut-être dans le cours des siècles. Il y a des saints qui nous assurent que que le sommeil naturel n’entravait pas l’exercice de leur amour. Heureux privilégiés ! Nous n’avons pas le droit, ô Jésus, de vous demander de telles faveurs. Et cependant nous les désirons d’une certaine manière, avec soumission parfaite et plénière à votre très sainte volonté. Il nous semble que si nous ne vous exprimions pas un tel désir, nous ne vous aimerions pas assez. Non, mon Jésus, ce n’est -pas pour goûter la joie, si sainte pourtant, de votre amour, que nous vous adressons une telle prière, mais bien pour proclamer votre droit à être aimé jour et nuit, sans fin comme sans mesure. Mystérieux et profond sommeil de l’amour.
Quand il lui plaît, enfin, le bon Dieu fait entrer l’âme intérieure, souvent même au moment où elle y pense le moins, dans un mystérieux et profond sommeil. Elle constate que son activité ordinaire s’arrête comme par ordre. Elle se sent sous l’influence d’un charme bienfaisant et doucement irrésistible, qui l’endort. Elle est isolée de tout et elle le comprend. Cependant, elle n’est pas p as seule. Elle semble ne plus agir, et pourtant elle vit d’une manière intense, mais toute simple. Elle aime. Elle aime. Elle aime. Et rien dans cette solitude ne trouble son amour. Elle ne voit pas son Dieu, mais elle est avertie intérieurement qu’il est là. Elle se rend compte qu’il est tout près, tout autour, tout au dedans. Par moments même, l’amour la saisit à ce point qu’elle ne songe plus à rien, afin de pouvoir aimer plus encore. Elle
138
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
dort, oui, mais son cœur veille. Il mène sa vraie vie. Il aime et il est uni par son amour à Celui qu’il aime. C’est presque le Ciel. V OX : A PERI OX DILECTI MEI PULSANTIS : A PERI MIHI, SOROR MEA , AMICA MEA , CO LUMBA MEA , IMMACULATA MEA (C ANT., V , 2). C’est la voix de mon Bien-Aimé, Bien -Aimé, il frappe : Ouvre-moi, Ouvre- moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, mon immaculée. Délicates industries de l’amour de Jésus pour se faire aimer.
Dieu n’endort une âme aux bruits de la terre que pour la rendre plus attentive aux voix du Ciel. C’est dans le silence intérieur que Dieu parle. En même temps, il frappe à la porte. L’âme le reconnaît à sa manière. Elle devine que c’est lui qui émeut doucement sa volonté par ces coups mystérieux : « Ecce « Ecce sto ad ostium et pulso pul so : Voilà : Voilà que je me tiens à la porte et que je frappe » 1. Encore une fois, l’âme recueillie ne s’y trompe pas. Elle tressaille de joie. Il lui est si doux d’entendre la voix de son Dieu Bien-Aimé Bien -Aimé ! Il est si bon pour elle de d e le savoir là, tout près, et venu évidemment par amour pour sa sainte Épouse ! Les pré venances divines sont étonnantes ! Qu’un Maître tel que Dieu daigne demander à être reçu dans une âme qui lui appartient à tant de titres, que cela est digne d’admiration et de gratitude ! gratitude ! Seigneur Jésus, pourquoi demandez-vous à votre sainte Épouse comme une grâce de vous ouvrir la porte de son cœur ? cœur ? Ne savez-vous pas, vous qui lisez si clairement au fond des âmes, que son cœur vous appartient sans réserves ? Ne vous a-t-elle pas dit mille et mille fois qu’elle voulait ce que vous vouliez, qu’elle ne voulait pas ce que vous ne vouliez pas ? Son plus grand, son unique désir, ô Jésus, n’est-il n’est-il pas de vous recevoir « à cœur ouvert », puis de refermer ref ermer sur su r vous les portes de ce cœur afin de pouvoir vous aimer tout à son aise, vous, le Dieu d’amour, vous son Bien-Aimé, Bien -Aimé, vous son unique, vous « son Dieu et son tout » ? Pourquoi donc encore une fois implorez-vous si hum blement, oserait-on oserait-on dire, la faveur d’être reçu dans un cœur qui vous aime tant et qui vous désire tant ? Ah ! nous ne connaissons pas les délicatesses et les miséricordieuses industries de votre amour ! La voix de Jésus, la grâce, sollicite l’âme « suaviter et fortiter ». fortiter ». Elle met en mouvement la liberté, elle l’accompagne tout le long de sa route ; mais elle lui laisse le mérite de l’acte qu’elle lui fait faire sans la contraindre. Dieu veut être aimé librement : ce choix, que l’on fait de 1 Apoc.,
III, 20.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
139
lui, auquel il a du reste un droit absolu, l’honore et le glorifie. Il le ré jouit aussi. Dieu est comme ravi de voir que l’âme goûte le charme de son infinie bonté et qu’elle se laisse entraîner de tout cœur là où o ù il la mène, c’est-à-dire c’est-à-dire vers lui. Plus il a été bon pour elle, plus il attend d’elle cet élan spontané, cordial, joyeux, au premier son de sa voix, à la première inspiration de sa grâce. Il sait bien d’ailleurs qu’il sera exaucé et qu’il pourra récompenser, récompenser, par de nouvelles faveurs, la réponse empressée de sa sainte Épouse. Qui n’admirerait encore une fois les délicatesses de l’amour divin ! divin ! Ce qui attire Jésus dans une âme c’est la simplicité, la fidélité, la fidélité, la profondeur, la délicatesse, la pureté de son amour pour lui.
Jésus donne à l’âme intérieure les noms les plus capables d’exciter sa confiance et d’augmenter son amour. Il lui indique aussi par là comment elle est parvenue à lui plaire. Elle n’aura, pour lui plaire encore davantage, qu’à faire croître croîtr e encore plus en elle les vertus qui ont charmé son divin Époux : « Ouvre-moi, Ouvre-moi, ma sœur ». Plus une âme communie à l’amour filial, confiant, tendre et fort de la sainte âme de Jésus pour le Père qui est dans les cieux, pour la douce et adorable Trinité, plus elle est vraiment sa « sœur ». sœur ». Il y a entre elles deux, similitude, ressemblance, harmonie, communauté de sang et de vie. L’attrait de Jésus pour cette âme, l’attrait de celle âme pour Jésus, augmentent chaque jour. Les deux sœurs ne peuvent vivre séparé es. Il leur faut même toit, même table, même conversation, parce qu’elles ont un même Père et pour lui un même amour. C’est la vraie fraternité, celle que la mort ne fera que rendre plus parfaite. C’est la charité qui unit l’Époux à l’Épouse, Dieu à l’âme. l’âme. Mais la charité est un amour de bienveillance mutuelle, connu comme tel des deux côtés, et dont la base d’entente constituée par un bien à participer en commun n’est autre que Dieu luilui-même. C’est dire que la charité est une amitié, la plus haute, la plus parfaite, sans comparaison la plus inespérée de toutes. Oui, la miséricorde divine en vient jusque-là, que de contracter une véritable amitié avec toute âme de bonne volonté. Sans doute, entre l’âme et Dieu il y a une inégalité qui ne se mesure pas. Cependant, Cependant, d’une certaine manière, Dieu, dans sa bonté, la supprime. La grâce sanctifiante met les deux termes comme de niveau, bien que l’un reste infini en soi, et que l’autre demeure toujours strictement fini. L’âme, par la grâce, participe vraiment, réellement réellem ent à la vie divine. Elle communie, dans les ombres de la foi, à la connaissance et à l’amour que Dieu a de lui-même lui-même et pour lui-même, lui-même, c’est-à-dire c’est-à-dire à sa vie intime : « Amicitia « Amicitia pares invenit aut facit ».
140
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
L’âme intérieure mérite donc bien d’être appelée par Jésus par Jésus « mon amie ». Tout est commun entre eux. Jésus donne, l’âme reçoit, puis elle fait tout remonter, par l’amour, à Celui qui lui donne tout. Peu à peu, en effet, l’Époux communique ses biens à sa sainte Épouse : sa science des choses divines et humaines, sa grâce, ses vertus et ses dons, parfois même, sans que pourtant cela soit nécessaire, jusqu’à ses charismes prophétiques. Mais surtout, il lui donne comme sans mesure l’amour de son divin Cœur pour son Père qui est dans les cieux, pour ses frères qui luttent et souffrent sur la terre. « C’est un ami si bon et si fidèle que Jésus » 1, disait sainte Thérèse. Au ciel seulement, nous comprendrons tout ce que signifie ce mot « d’amie », que Jésus daigne adresser à l’âme aimante, sincère, humble, paisible, tout entière recueillie par le saint amour. Ce qui attire Jésus dans une âme, c’est la simplicité, la fidélité, la profondeur, la délicatesse et la pureté de son affection pour lui. Rien n’est caché aux regards de Jésus. Il lit sans peine au fond des cœurs . Les plus vives protestations d’amour ne lui en imposent pas ; elles valent ce que vaut le cœur qui les inspire. Il entend le silence respectueux d’une âme aimante, ce sont les qualités réelles de son affection qui le charment. Or, quand le cœur ne s’anal yse yse pas, ne se reploie pas sur lui-même, lui-même, mais s’ouvre tout entier, s’épanouit au seul nom de Jésus comme la fleur au soleil, va tout droit, tout entier, tout de suite, comme d’un bond, vers le BienBien - Aimé pour s’unir autant qu’il le peut au Cœur de son Dieu et s’y perdre, il est simple. Ô ravissante simplicité du cœur, comme tu es désirable, comme tu es chère au Cœur si parfaitement simple de Jésus ! Jésus ! V IRGO IRGO FIDELIS Mais hélas ! l’inconstance est le mal de notre cœur. Ô mon Dieu ! on se donne à vous parfois avec un tel enthousiasme, que la seule pensée d’une reprise possible, si légère soit-elle, soit -elle, fait horreur et paraît in vraisemblable. Et pourtant, qu’ils sont rares les cœurs vraiment fidèles ! Quoi de plus légitime cependant que cette fidélité dans votre amour ! Quelle que soit l’atmosphère de l’âme, limpide ou nuageuse, lumineuse ou sombre, paisible ou orageuse, vous, son véritable soleil, son Bien unique, vous ne changez pas. Les raisons de vous aimer ne changent donc pas non plus. Vous pourriez nous délaisser, ô mon Dieu ; vous en auriez cent fois le droit. Nous, nous ne le pouvons pas. Qu’il vous plaise de ne plus nous consoler, mais au contraire de nous 1 Vie
par elle-même, ch. elle-même, ch. XX.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
141
affliger, vous restez toujours notre Dieu et notre Tout. Notre amour pour vous doit donc, non seulement demeurer intact, mais encore se développer et grandir. Être vraiment fidèle, c’est cela pour lui. Virgo fidelis, ora pro nobis. Ce mot de fidélité a quelque chose d’attachant et de profond. Il parle au cœur, il l’attire. C’est que la fidélité dans l’affection l’affectio n est tout ce qu’il y a de plus précieux pour lui et de plus difficile. Aimer toujours, toujours être aimé, voilà sa raison d’être, sa loi, sa vie. Or, la triste expérience de sa faiblesse lui a révélé qu’il était capable de ne plus aimer son Dieu ou même seulement de moins l’aimer, et, par suite, d’obliger Dieu, si bon pourtant, ou à le rejeter ou à ne plus le regarder avec la même affection. Cette crainte déchire le cœur comme une flèche aux dards aigus et recourbés. Elle lui fait une blessure profonde que rien ne saurait guérir. Seule l’assurance de rester toujours fidèle au saint amour pourrait la cicatriser. Mais c’est là une faveur à laquelle nul ne peut prétendre. Ah ! Seigneur, faites-moi mourir plutôt que de permettre que je vous sois délibérément infidèle, fût-ce même en ce que nous appelons matière légère. Le seul moyen pratique que nous ayons, ô mon Dieu, pour vous rester fidèle, c’est, avec la prière, l’amour lui-même lui -même devenant chaque jour plus profond. Vous laissez en effet notre âme subir deux i nfluences, qui s’exercent sur elle en deux sens diamétralement opposés : celle des biens qui passent, celle du Bien qui ne passe pas et qui est vous-même. Elle a le devoir de se laisser gagner, entraîner par le charme de votre adorable bonté. Plus elle se soumet à votre douce attraction et plus elle s’éloigne des choses d’ici-bas, d’ici -bas, moins elle en subit l’influence. L’amour, qui la rend de plus en plus captive, la rend aussi de plus en plus libre, de cette sainte et véritable « liberté des enfants de Dieu » Dieu » 1. Elle se détache et elle s’attache. Avec une accélération mystérieuse, à partir surtout d’un certain point de sa course, elle se rapproche de vous, s’unit à vous, s’enfonce en vous, de manière à ne plus faire qu’un, en un sens, avec vous. Son amour l’a entraînée ent raînée dans les profondeurs de votre Être, elle s’y cache et s’y tient à l’abri des coups de ses ennemis. L’amour L’amour que nous vous devons, ô Jésus, doit être non seulement simple, fidèle, profond, mais encore très délicat. La délicatesse dans l’af fection fection lui ajoute beaucoup de charme. Elle en est comme la fleur et le parfum. C’est C’est un besoin de l’amour qu’on vous qu’on vous porte, ô mon Dieu, que de se manifester de mille manières. Les grandes occasions de s’af firmer ne lui suffisent pas, elles sont rares, du reste. Il lui faut donc se 1 Rom., VIII,
21.
142
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
tourner du côté des petites. Comme il est aveugle, il presse l’intelligence de se mettre à son service et de rechercher avec soin tout ce qui peut déplaire si peu que ce soit à son Bien- Aimé, Bien- Aimé, afin de l’éviter ; l’éviter ; tout ce qui peut au contraire lui être agréable, afin de le réaliser aussitôt. Tout lui est bon dès lors qu’il peut en faire un moyen de se dire à son Dieu. Le petit enfant qui offre à sa mère une humble pâquerette, mais avec tout son cœur, voilà ce qu’il rêve d’imiter à chaque instant insta nt du jour. Ô Jésus, faites qu’il y ait dans le monde beaucoup de cœurs délicats pour vous. Enfin, pour que l’âme intérieure mérite, de la part de Jésus, la précieuse appellation d’immaculée, d’immaculée, il il faut que son amour pour Dieu soit tout à fait pur. L’âme ne doit aimer que Dieu. Tout ce qu’elle aime, y compris elle-même, elle-même, elle doit l’aimer en Dieu et pour Dieu. C’est à ce prix seulement que son amour est pur et qu’elle-même qu’elle -même est vraiment « immaculée ». immaculée ». On devient d’une certaine manière ce que l’on aime ; aime ; Celui qui aime uniquement la Pureté parfaite, la parfaite Sainteté, s’unit à elle et lui devient semblable. C’est le lac aux eaux limpides où le ciel se contemple ; c’est le miroir sans défauts où Jésus se retrouve trait pour trait ; c’est le cristal transparent que q ue le soleil pénètre de ses rayons et de sa chaleur ; c’est le fer sans alliage que le feu envahit jusqu’au plus intime et qu’il rend tout brûlant comme lui : lui : « Beati mundo corde, corde, quoniam ipsi Deum videbunt et possidebunt » » 1. QUIA CAPUT MEUM PLENUM EST RORE, ET CINCINNI MEI GUTTIS NOC TIUM (C ANT., V , 3). Car ma tête est couverte de rosée, les boucles de mes cheveux sont trempées des gouttes de la nuit. Jésus sollicite nos retours d’amour.
Comme il vous en a coûté cher, ô mon Sauveur, pour venir jusqu’à nous ! Il vous a fallu passer par la nuit de Gethsémani et du Calvaire. Vos cheveux sont trempés de d e sueur et de sang. sang . Le froid de la mort vous a glacé. Et vous avez souffert cela et tant d’autres choses encore afin de pouvoir entrer dans nos âmes et leur porter le salut. Pourquoi donc aurions-nous peur de vous recevoir avec vôtre front couronné d’épines et d’épines et votre visage couvert de sang ? Ne nous avez-vous pas donné ainsi la preuve évidente de votre amour ? Il est vrai que vous 1
Bienheureux les cœurs purs, ils verront ils verront Dieu et le posséderont (Matth,, V , 8).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
143
nous demandez en retour de porter votre Croix et de partager vos souffrances… mais n’est-ce n’est-ce pas pour notre plus grand bien et notre plus grand honneur ? Quoi de plus précieux, quoi de plus beau que de vous aider par nos sacrifices à sauver les âmes ? « Veni Domine Jesu » Jesu » 1. EXPOLIAVI ME TUNICA MEA , QUOMODO INDUAR ILLA ? ? L AVI PEDES MEOS, QUOMODO INQUINABO INQUINABO ILLOS ? (C ANT., V , 3). J’ai ôté ma tunique, comment veux -tu -tu que je la remette ? J’ai lavé mes pieds, comment les salirais-je ? Après les dépouillemen dépouillements ts successifs, successifs, préparatoires à l’union, l’âme craint l’âme craint de retourner au monde sensible, mais c’est à à Jésus de tout régler en elle.
L’Épouse dort, mais son cœur veille. Elle reconnaît la voix de son Bien-Aimé ; elle l’entend, qui frappe à la porte et lui dit : dit : « Ouvre-moi, ma sœur, mon amie ». Elle voudrait bien ouvrir, mais comment le faire ? Pour prendre spirituellement son repos, elle a quitté son vêtement qui lui permet d’aller et de venir dans sa maison et hors de sa maison. En effet, pour agir dans le train ordinaire de la vie, l’âme est obligée obligée d’employer ses sens intérieurs et extérieurs, de revêtir sa pensée et sa volonté de couleurs, de formes, d’images sensibles, toutes choses qui lui sont indispensables alors, mais qu’elle a quittées, un peu à la manière dont on quitte un vêtement inutile, gênant même, pour mener cette vie toute de silence et de repos en Dieu qu’elle veut vivre désormais. Et voilà, semble-t-il, que Jésus lui demande de revêtir de nouveau cette sensibilité qui faisait obstacle à son amour, et de revenir aux moyens ordinaires ordinaires d’aller à lui, dont elle usait autrefois, aux premiers temps de sa vie spirituelle. Mais parvenue à ce doux repos en Dieu qu’elle a tant désiré, tant cherché, pour lequel elle a tout quitté, afin de le goûter loin du bruit, dans le silence de ses facultés sensibles péniblement dégagées de leurs objets naturels et presque réduites à l’inaction, il semble à l’âme que remettre en mouvement tout ce monde de la sensibilité, c’est revenir en arrière. On travaille pour se reposer, on se détache pour s’unir, on se purifie pour être admis au divin banquet, on s’isole pour mieux trouver Dieu, et voilà que l’Époux réveille de ce doux sommeil. Il demande, croit-on, croit-on, que l’on reprenne tout ce que l’on a quitté, qu’on se mette en marche vers lui, au risque de contracter quelques souillures par suite de la faiblesse de l’âme et du mauvais état des routes humai nes, ou tout au moins du sol qu’il faut de nouveau fouler de ses pas. 1 Apoc.,
XXII, 20.
144
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Ainsi donc, d onc, ce qui arrête a rrête l’âme intérieure et l’empêche l ’empêche de répondre aussitôt à l’appel de Jésus, c’est non seulement le doux sommeil qui l’engourdit, la joie qu’elle y goûte et qu’elle redoute de perdre, mais encore la crainte de revenir dans le monde sensible et d’y trouver avec des obstacles à sa vie d’amour, des occasions d’offenser, ne fût -ce que légèrement, Celui qu’elle aime. C’est là un mauvais calcul. Il pourrait donner à entendre que l’âme se recherche encore un peu elle-même et manque à quelque degré de la véritable confiance en Dieu. Pour l’âme intérieure, dans ce point de vue, deux écueil s sont à éviter : donner trop tôt ou donner trop tard des fruits de son jardin. En cela, comme en toutes choses, c’est à Jésus qu’il appartient de tout régler en elle : l’heure du repos et l’heure du travail. Quand Jésus parle, il faut toujours lui répondre : « Domine, « Domine, quid me vis facere ? 1 » Tous les saints s’accordent à s’accordent à nous dire qu’il faut qu’il faut savoir quitter le repos de la contemplation pour le travail de l’action, quand l’action, quand Jésus le demande. Loin d’y perdre, perdre, l’âme y l’âme y gagne. Elle offre tout d’abord à d’abord à son DieuÉpoux un vrai sacrifice, le plus dur de tous, en un sens. Elle pratique la charité envers Dieu, qu’elle fait qu’elle fait connaître, aimer et servir, et envers le prochain, dont elle ouvre les yeux et dilate le cœur. Pourvu cœur. Pourvu qu’elle soit qu’elle soit prudente, toujours défiante d’elle-même d’elle-même et très confiante en Dieu, non seulement elle ne subira aucun dommage de d e cette expansion au dehors, mais y gagnera, outre le mérite de son sacrifice et de sa charité, une faim dévorante et une soif brulante de celle vie d’intimité d’intimité avec son Dieu qu’elle qu’elle a paru interrompre, et que pourtant elle n’a cessé n’a cessé de mener au fond de son cœur, même cœur, même au plus fort de son action. Son regard intérieur sera plus clair, son âme plus haute, son amour plus vif et plus profond. C’est l’expérience de l’expérience de tous les Saints : il nous faut les croire et les imiter. DILECTUS MEUS MISIT MANUM SUAM PER FORAMEN, ET VENTER MEUS INTREMUIT AD TACTUM EJUS (C ANT., V , 4). Mon ; Bien-Aimé a passé la main par le trou de la serrure et mes entrailles se sont émues sur lui. L’âme comprend son devoi r ; elle doit se lever et ouvrir.
Jésus trouve que son Épouse tarde á s’éveiller et à lui ouvrir. Les raisons qu’elle donne de son hésitation ne valent pas ; pas ; ce sont des prétextes, des illusions au fond. Le cœur reste bien tout à Jésus, mais il ne sait à quoi se résoudre. Alors le divin Maître fait mine de vouloir ou vrir lui-même lui-même la porte. Il est assez puissant pour cela. L’âme se sent 1 Seigneur,
que voulez-vous que je fasse ? (Act. Ap., IX, 6).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
145
tout à coup comme touchée par la grâce au plus intime d’elle -même. C’est un mystérieux contact avec Dieu qui ne dure peut-ê peut -être tre qu’un éclair, mais qui l’émeut vraiment jusqu’au fond. Elle s’éveille tout à fait, elle comprend son devoir, son cœur la presse. Non, il n’est pas possible de faire attendre plus longtemps Celui qui est tout à la fois si puissant et si bon. Quoi qu’il en coûte, quoi qu’il demande, peu importe, il faut écouter son appel, se lever et lui ouvrir. SURREXI UT APERIREM DILECTO MEO ; MANUS MEA STILLAVERUNT MYR RHAM, ET DIGITI MEI PLENI MYRRHA PROBATISSIMA (C ANT., V , 5). Je me sais levée pour ouvrir à mon Bien-Aimé Bien -Aimé ; et de mes mains a dégoutté la myrrhe, de mes doigts la myrrhe, répandue sur la poignée du verrou. L’onction de Dieu est douce, suave, forte, délicieuse.
Sous l’action l’action de la grâce devenue comme irrésistible, l’âme l’âme déjà pleinement éveillée se lève. Rien ne peut plus l’empêcher de l’empêcher de répondre à Jésus et de lui ouvrir. Elle se rapproche de la porte, elle vient en quelque sorte à l’endroit d’elle-même d’elle-même où elle a senti l’action de l’action de Dieu. Il lui est aisé de constater que c’est bien c’est bien l’Époux tant aimé qui s’est approché a pproché d’elle, lui a parlé, lui a demandé d’ouvrir pendant qu’elle dormait du mystérieux sommeil de l’amour. Pour ouvrir lui-même la porte sans clef, l’Époux a trempé ses doigts dans la myrrhe à la manière du pays. L’âme à son tour, voulant ouvrir à son B ien-Aimé, ne peut le faire sans que la myrrhe restée au verrou s’attache àà -ses mains. L’action de Dieu dans l’âme est douce, suave, forte, délicieuse, paisible. L’âme pleinement éveillée la reconnaît sans peine et la goûte avec bonheur. Il ne lui reste plus plus qu’à s’ouvrir tout entière à un Dieu si bon. PESSULUM OSTII MEI APERUI DILECTO MEO ; AT ILLE DECLINAVERAT, ATQUE TRANSIERAT (C ANT., V , 6). J’ouvre à mon, Bien-Aimé Bien -Aimé ; mais mon Bien-Aimé avait disparu, il avait fui. Dans la vie intérieure appel et fuite du Bien-Aimé sont choses fréquentes.
L’âme intérieure croit enfin venu le moment de la possession parfaite de son Bien- Aimé. Bien- Aimé. Il est là, derrière la porte, elle n’en peut douter. Il lui suffira d’ouvrir, pense-t-elle, d’ouvrir, pense-t-elle, pour que, le dernier obstacle disparaissant, la rencontre définitive et tant désirée se fasse. Hélas ! elle ouvre, le Bien-Aimé n’est plus n’est plus là, il a disparu ; il a fui ! Quelle douleur,
146
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
quelle déception ! Le retard à lui ouvrir est-il la raison de cette disparition soudaine ? Jésus veut-il exciter l’amour de l’amour de sa sainte Épouse, comme par une industrie de son cœur ? cœur ? Les deux, peut-être ! Mais dans la vie intérieure, cet appel et cette fuite du Bien-Aimé sont choses fréquences. Il semble à l’âme que l’âme que Dieu est là, tout proche, qu’un rien qu’un rien la sépare de lui, et que ce rien va disparaître, pour qu’elle puisse qu’elle puisse entrer enfin en possession de son Tout. Mais non. L’heure de L’heure de l’union parfaite l’union parfaite n’a pas n’a pas sonné. L’exil se L’exil se prolonge, plus douloureux et plus délicieux que jamais. A NIMA NIMA MEA LIQUEFACTA EST, UT LOCUTUS EST (C ANT., V , 6). J’étais hors de moi quand il me parlait. Quand Jésus veut parler à une âme, il lui envoie un sommeil mystérieux, qui la recueille comme malgré elle, la fait entrer comme audedans d’une profonde d’une profonde solitude : « Ducam « Ducam eam in solitudinem » solitudinem » 1. Il est alors impossible à l’âme pratiquement l’âme pratiquement de ne pas entendre ce que lui dit le bon Maître au plus intime du cœur : cœur : « Et « Et loquar ad cor ejus » ejus » 2. Il est le Verbe, la Parole substantielle. Il agit comme tel, et sa parole réalise ce qu’elle signifie. qu’elle signifie. L’âme comprend L’âme comprend qu’elle devient qu’elle devient à un tout nou veau titre « sa sœur », sœur », « son amie, sa colombe », colombe », « son immaculée ». immaculée ». Elle tremble d’une douce d’une douce frayeur, elle est ravie en extase. Dès les premiers mots de son divin Époux, l’extase s’est produite, s’est produite, et c’est alors c’est alors que, tout à fait étrangère à ses sens, elle entend la parole divine et qu’elle goûte l’ineffable bonheur de sa réalisation. Elle veut parler à son tour, mais elle est trop hors d’elled’elle-même pour savoir ce qu’elle dit. QUAESIVI ET NON INVENI ILLUM , VOCAVI ET NON RESPONDIT MIHI ( V , 6). Je sors pour le chercher et ne le trouve pas ; je l’appelle, il ne me répond pas. La souffrance règne.
Vivre sans Dieu présent, n’est pas n’est pas possible pour une âme aimante. Le chercher, le trouver, le posséder enfin, voilà sa raison d’être, d’être, son ambition, sa loi. Elle se croyait sur le point de l’atteindre, ce l’atteindre, ce Dieu béni ; il lui échappe. Elle sort pour le chercher ; elle va à droite, à gauche ; elle regarde de tous côtés, elle ne le trouve pas. Peut-être que sa voix, portant plus loin que ses regards, parviendra jusqu’au parviendra jusqu’au Bien-Aimé Bien-Aimé et lui fera donner au moins signe de vie. Elle l’appelle donc, mais il ne lui répond 1 Je
2 Et
la conduirai dans la solitude (Osée, II, 14). je lui parlerai parlerai au cœur cœur (Osée, II, 14).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
147
pas. Douloureux moment ! C’est la solitude impressionnante, loin de tout le créé, surtout loin de Dieu. C’est une véritable crucifixion entre crucifixion entre ciel et terre. L’âme fuit le monde pour mieux trouver son Dieu, et Dieu paraît fuir l’âme, qui a tout quitté pour le chercher et le posséder : « Deus meus, Deus meus, m eus, ut quid dereliquisti me ? 1 » L’espoir reste au fond du cœur, mais caché. La souff rance rance règne, on dirait le Purgatoire. INVENERUNT ME CUSTODES QUI CIRCUMEUNT CIVITATEM ; PERCUSSERUNT ME, ET VULNAVERUNT ME . TULERUNT PALLIUM MEUM MIHI CUSTODES MURORUM (C ANT., V , 7). Les gardes qui font la ronde dans la ville me rencontrent. Ils me frappent, ils me meurtrissent. Les gardiens de la muraille m’enlèvent mort manteau. L’âme est incomprise dans la recherche de son Dieu.
L’Époux ne répond pas, il est donc bien loin. L’Épouse se décide à le chercher partout dans la ville. Il est nuit ; elle est seule ; qu’importe ! qu’importe ! Rien ne lui fait peur, rien ne l’arrête. Mieux vaut mourir que de vivre sans Dieu. Elle se dirige d’abord vers le centre de la ville. Les gardes la prennent pour une insensée, ils la frappent, ils la meurtrissent même, afin de l’obliger l’obliger à regagner sa demeure. Elle souffre tout sans se plaindre, son amour la rend comme insensible. L’âme éprise de Dieu, ne le trouvant pas dans son cœur, le cherche partout. À ceux qui ne sa vent pas le secret de sa douleur, elle paraît une illuminée, une égarée égaré e qu’il faut ramener à la raison et au bon sens par de bonnes vérités dites bien en face, accompagnées au besoin de railleries et même de moqueries, autant de coups qui la frappent, la meurtrissent, mais ne l’irritent pas et ne la découragent pas. A DJURO DJURO VOS, FILIAE JERUSALEM , SI INVENERITIS DILECTUM MEUM , UT NUNTIETIS EI QUIA AMORE LANGUEO (C ANT., V , 8). Je vous en conjure, filles, de Jérusalem, si vous trouvez mon BienBien Aimé, que lui direz-vous ? Que je suis malade d’amour. Prière instante pour obtenir la grâce de répandre l’amour divin dans les cœurs.
Loin de l’arrêter dans sa recherche de Dieu, la difficulté excite l’âme aimante. Elle veut son Dieu à tout prix. Puisque ses efforts ont 1 Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m’a vez-vous m’a vez-vous abandonné aban donné ? (Ps. XXI, 1).
148
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
été vains, elle conjurera les autres âmes pieuses de lui prêter leur concours. Plus tôt qu’elle, peut-être, peut -être, elles auront la joie de trouver le Bien Aimé. Dans ce cas, elle les charge d’une commission co mmission pour po ur lui, et quelle quell e commission ! Celle Cell e de lui dire d ire que sa sainte Épouse est malade d’amour. Parvenu à un certain degré, l’amour l’amour divin rend mystérieusement malade l’âme qu’il consume. Plus il est ardent, plus la maladie est grave. Si Dieu n’intervenait, la mort naturelle ne tarderait pas à se produire. Les saints ont souffert de ce mal. Rappelons-nous le cri de sainte Thérèse : « Je me meurs de ne pas mourir », et le diagnostic du médecin de sainte Chantal : « Madame est malade d’amour de Dieu ». Dieu ». On peut même dire que les saints meurent d’amour. C’est un élan d’amour qui brise leurs derniers liens. Sont-elles nombreuses en ce moment, dans le monde, les âmes vraiment malades de votre amour, ô mon Dieu ? Vous seul pourriez répondre à cette question. Pour nous, à en juger du dehors, nous serions portés à dire : il y en a peu. Faites, ô Jésus, que ce nombre augmente. Faites aussi que chacune d’elle sente sa maladie s’aggraver de jour en jour. Dans ce genre d’affection, plus on est malade, mieux on se porte, et les plus atteints sont les plus valides. Accordez-moi Accordez- moi la grâce d’être de ceux que ce mal divin a touchés. Puis, si vous le trouvez bon pour votre gloire, ouvrez mes yeux afin que je reconnaisse d’un diagnostic sûr les âmes tourmentées par votre amour. Allez plus loin encore, et donnez-moi, malgré ma pauvreté, d’exciter le feu qui les brûle, afin de l’allumer, ce feu mystérieux, dans toutes les âmes que je rencontrerai sur ma route. Oui, ô Jésus, vous qui êtes venu sur cette terre pour répandre l’amour divin dans les cœurs, servez-vous servez-vous de moi, je vous en prie, pour réaliser votre dessein de miséricorde. Il me semble que si je vous faisais un peu aimer, je n’aurais plus rien à craindre de votre justice, et j’aurais tout à espérer de votre bonté. QUALIS EST DILECTUS TUUS EX DILECTO , O PULCHERRIMA MULIERUM ? QUALIS EST DILECTUS TUUS EX DILECTO , QUIA SIC ADJURASTI NOS ? (C ANT., V , 9). Qu’a donc ton Bien-Aimé Bien -Aimé de plus que les autres, ô la plus belle des femmes ? Qu’a donc ton Bien-Aimé Bien -Aimé de plus que les autres, pour que tu nous conjures de la sorte ? Incomprise de certaines âmes, la sainte Épouse excite la sainte curiosité des autres.
Les âmes âmes qui ne souffrent pas d’amour ne comprennent pas celles que ce mal mystérieux tourmente. Nous aimons, nous aussi, semblent-
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
149
elles dire, comme vous le bon Dieu, et cependant, nous ne nous laissons pas emporter à de tels excès d’enthousiasme. Calmez -vous ; tenez-vous en repos ; ne nous troublez pas de vos cris. Dieu serait-il pour vous plus aimable que pour nous ? Il est d’autres âmes plus intelligentes des secrets de la vie intérieure qui soupçonnent une cause profonde aux élans d’amour de l’Épouse. Elles sont sont frappées par sa beauté spirituelle, elles se disent qu’une telle âme a dû voir le ciel de plus près, qu’elle a dû plonger plus avant son regard dans le Cœur du bon Dieu. Elles voudraient participer à sa lumière, afin de communier à son amour. Voilà pourquoi elles pressent la privilégiée du bon Dieu de leur dire quelque chose de ce qu’elle a découvert en lui. DILECTUS MEUS CANDIDUS ET RUBICUNDUS , ELECTUS EX MILLIBUS (C ANT., V , 10). Mon Bien-Aimé est blanc et vermeil, il se distingue entre dix mille. Beauté de Jésus ! Nul ne la connaît comme la sainte Vierge ; nous adresser à elle pour apprendre à le garder, l’aimer, le chanter, le donner.
Ce qu’il a de plus que les autres, Jésus, le Bien-Aimé Bien-Aimé des âmes intérieures ? Mais tout ! Pourquoi est-il plus aimé, ce c e n’est pas assez dire, pourquoi est-il seul aimé ? Parce que seul il est vraiment aimable en lui-même et pour lui-même. Pressée de donner les raisons de son amour, la sainte Épouse commence un cantique, qu’elle voudrait qu’elle voudrait ne jamais cesser de chanter. Heureux les yeux qui voient ainsi la beauté de Jésus, heureuse, mille fois heureuse l’âme qui l’âme qui le possède, ce divin trésor ! Heureux à jamais le cœur qui l’aime de l’aime de toutes ses forces, ce doux Sauveur ; heureuses, oui bienheureuses les lèvres qui le chantent et les mains qui le servent, cet adorable Dieu fait homme par amour ! Ô Vierge Marie, mère de Dieu et notre mère, qui donc a mieux connu, possédé, aimé, loué, servi que vous le Verbe Incarné, votre Fils béni, et qui donc peut mieux que vous, nous apprendre à l’admirer, l’admirer, à le garder, à l’aimer, à l’aimer, à le chanter, à le donner ? Comme il était beau à voir, ô Marie, votre cher petit Jésus dans vos bras après sa naissance, le teint tout blanc de pureté, gracieusement coloré de vermeil par le saint amour ! Vous passiez des heures à le contempler. Vous ne pouviez assez admirer l’infinie bonté du Père qui vous donnait, et nous donnait par vous, un tel trésor. Quel amour dans votre cœur pour ce Dieu, votre enfant ! Tout ce que l’amour des vierges, l’amour des mères et l’amour l’amou r des de s saints a de plus délicat et de plus profond, se trouvait porté dans votre cœur de Vierge, de Mère et
150
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
de Sainte, à un degré que nul ne peut mesurer. Aussi, quel dévouement dès lors surtout pour ce frêle enfant, qui s’en remettait de tout à votre tendresse tendress e et à celle cell e du d u bienheureux bie nheureux Joseph, votre Époux et aussi son père par la mission, l’affection et la continuelle sollicitude ! sollicitude ! Quels doux moments, ô Marie, vous avez passés à Nazareth, dans la contemplation de votre Jésus grandissant en âge, en sagesse, en beauté devant Dieu son Père et devant les hommes ses frères ! Que ne donnerait-on pas pour voir, ne fût-ce fût- ce qu’un instant, Jésus adolescent, et pour s’entretenir paisiblement avec lui de tout ce qui fait battre son Cœur. Ce n’est plus l’enfant silencieux, ce n’est pas encore l’homme fait qui remue les foules, excite l’enthousiasme et la haine. Non, c’est le plus beau jeune homme qui fût jamais, à la voix douce, au regard profond, limpide, affectueux, au cœur tout débordant de divine charité. Comme on voudrait vivre près de lui, partager ses travaux, ses repas, ses délassements, ses continuelles aspirations d’amour ! d’amour ! Il n’y a que vous, ô Marie, et votre très cher compagnon saint Joseph, qui ayez goûté ce bonheur. Dieu vous a réservé cette grâce comme une récompense de votre dévouement pour son Fils bien-aimé. Il était beau, plus beau que jamais, votre divin Fils, ô Reine des martyrs, au jour de sa sainte Passion ! On l’avait meurtri de coups, percé d’épines, couvert de crachats et de honte, et malgré tout, sous ce voile hideux, les traits de son visage gardaient un je ne sais quoi de pur, de majestueux et de divin. Il était plus blanc et plus vermeil que jamais, blanc comme une hostie, vermeil couleur de sang, de son propre sang. Et vous avez tenu à ce spectacle d’horreur et de beauté, tant votre regard était ferme, tant votre amour était fort ! Merci, ô Mère, d’être restée là, presque seule, pour admirer, pour communier et pour aimer ! Merci d’avoir couvert de vos saints baisers ce corps sans vie, descendu de la Croix et confié à vos bras accablés de leur douloureux fardeau ! C’était toujours votre Bien-Aimé, Bien -Aimé, votre trésor, votre tout. Heureux saint Jean, heureux Joseph d’Arimathie, heureuse Marie-Madeleine, heureuse Marie de Cléophas, vous qui avez contemplé le Fils dans les bras de la Mère, vous qui avez dû garder jusqu’au dernier de vos jours cette vision unique et dans vos yeux et dans votre cœur ! cœur ! Oui, heureux êtes-vous ! Nous pouvons bien croire, ô Marié, que c’est vous c’est vous qui avez reçu la première visite de Jésus ressuscité ! Il semble qu’il la qu’il la devait à votre affection. Son cœur l’y portait portait du reste de tout son poids. Quelle joie pour vous de revoir, triomphant de la mort et tout radieux de ce triomphe, ce Fils tant humilié par ses ennemis et toujours tant aimé par sa Mère ! C’est vrai C’est vrai que ses pieds, ses mains, son côté, sa tête portent les traces de son supplice, mais elles n’ont rien n’ont rien que de glorieux pour lui et de délicieux pour vous. Votre Jésus, ô Mère, est plus beau que jamais ! Ce n’est
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
151
pas encore le ciel, mais c’en est c’en est le gage et l’aurore. l’aurore. Vos yeux ravis ne peuvent s’habituer à s’habituer à ce doux spectacle. Quand Jésus vous quitte pour aller se montrer à Madeleine, à Pierre, aux Apôtres, vous restez comme en extase au seul souvenir de ce que vos regards viennent de contempler. Votre cœur bat plus doucement et plus fort que jamais. C APUT EJUS AURUM OPTIMUM. COMAE EJUS SICUT ELATAE PALMARUM ; NIGRAE QUASI CORVUS (C ANT., V , 11). Sa tête est de l’or pur, ses boucles boucl es de cheveux sont flexibles comme des palmes et noires comme le corbeau. Infinie beauté et inépuisable richesse du divin époux.
Finesse des traits, pureté des lignes, éclat du visage, souplesse et teinte magnifique des cheveux, voilà ce qui frappe les regards de la sainte Épouse, quand elle contemple son Dieu bien-aimé. Tout est fin, délicat, pur, gracieux et riche chez vous, ô mon Dieu ! Vous êtes la vraie Beauté, l’unique Beauté, toujours ancienne et toujours nouvelle, dont la contemplation ne lasse pas, dont l’admiration ne fatigue pas, dont la possession ne déçoit déço it pas. C’est un charme bien mystérieux, que vous exercez sur l’âme éprise de vous. Elle ne peut pas vous comprendre, elle ne le pourra même jamais, vous êtes l’infinie Beauté ; Beauté ; elle ne vous voit pas, la terre est le pays de l’ombre ; et pourtant vous l’attirez, l’at tirez, vous ne lui permettez même pas à certaines heures de se distraire de vous. Vous voulez qu’elle vous regarde comme si elle vous voyait, qu’elle vous aime et qu’elle soit heureuse, he ureuse, comme si elle ell e vous possédait. C’est que, C’est que, de fait, vous lui appartenez en vertu de celle donation mutuelle, consciente, libre, cordiale, par laquelle vous vous êtes donnés l’un à l’autre, l’autre, sans réserves et pour toujours. Vous êtes son trésor, voilà pourquoi lorsqu’elle vous lorsqu’elle vous regarde, elle pense à l’éclat, à l’éclat, à la pureté, à la finesse de l’or le l’or le plus dégagé de tout alliage. Et ce trésor est un trésor de charité. Il y a en vous pour elle un amour sans mélange. Vous lui voulez un bien infini, sans limite aucune. Tout votre désir est de vous donner à elle, vous, son Dieu. Plus elle vous possédera ici-bas par l’amour, au l’amour, au Ciel par la vision, plus votre désir sera satisfait. Et ce n’est pas n’est pas pour vous que vous l’aimez ainsi. l’aimez ainsi. Sans doute, votre gloire en sera augmentée, mais elle n’ajoutera rien, n’ajoutera rien, au fond, ni à votre richesse, ni à votre bonheur. C’est elle, votre Épouse, qui reçoit tout de vous, jusqu’à vous, jusqu’à cet cet amour qu’elle vous qu’elle vous porte et qui vous permet de l’aimer comme l’aimer comme un autre vous-même. Et cet amour elle le sent grandir dans son cœur, rien qu’à vous regarder. Vous êtes riche, ô mon Dieu, et-votre richesse se répand avec une abondance et une souplesse d’adaptation d’adaptation admirables. Qu’importe que Qu’importe que
152
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
vous créiez l’ange le l’ange le plus beau qui soit dans le ciel, ou le plus humble des insectes sur la terre : dans un cas comme dans l’autre, vous l’autre, vous agissez toujours avec une suavité et une maîtrise incomparables : « Nec « Nec major in illis, nec minor in istis » istis » 1, a dit de vous à ce sujet avec raison saint Augustin. Or, il en est de votre action dans l’ordre de l’ordre de la grâce comme dans l’ordre de l’ordre de la nature. Vos bienfaits se répandent sur les âmes les plus humbles comme sur les plus belles, avec une richesse, une délicatesse, une convenance dont nous ne pouvons pas nous faire une idée. C’est la C’est la tendresse d’une mère, d’une mère, unie à la force d’un père, d’un père, qui nous vient à l’esprit lorsque l’esprit lorsque nous voulons essayer d’exprimer en d’exprimer en langue humaine le caractère ineffable de votre surnaturelle Providence. Soyez toujours li béral, ô Père, et faites que nous soyons, nous, toujours affectueux et reconnaissants. Les richesses du Bien-Aimé sont inépuisables. Le mystère de leur libérale distribution est insondable, il donne à qui il lui plaît, quand il lui plaît et dans la mesure où il lui plaît. Ce que nous savons, c’est que tout ce qu’il fait, il le fait par amour et par miséricorde. Voilà peut -être ce que symbolise cette couleur noire dont il est parlé ici. Mais, quoi qu’il en soft, la chose reste vraie. Comme elles doivent vous bénir, ô Jésus, les âmes que vous avez appelées à contempler dès ce monde quelque chose de votre inexprimable beauté ! Heureuses sont-elles, lorsque vous daignez vous révéler à elles par cette manifestation intime, voilée sans doute, et qui pourtant donne la certitude que c’est bien vous qui êtes là au centre de l’âme, comme la vie de sa vie, la source abondante et paisible de sa force, de sa paix et de sa joie. « Et « Et manifestabo ei meipsum » meipsum » 2. Tous les voiles ne tombent pas, l’obscurité reste toujours. C’est la loi de la terre. Au Ciel seulement, la manifestation de votre beauté sera parfaite : « Videbimus eum sicuti est » » 3. OCULI EJUS SICUT COLUMBAE SUPER RIVULOS AQUARUM , QUAE LACTE SUNT LOTAE, ET RESIDENT RESIDENT JUXTA FLUENTA PLENISSIMA (C ANT., V , 12). Ses yeux sont comme des colombes au bord des ruisseaux, se baignant dans du lait, posées sur des rives pleines. Ravissement de l’âme s’apercevant que Dieu s’occupe de sa petitesse.
Vos yeux seraient, nous dit-on, ô mon Dieu, comparables à de petites piscines aux eaux pures ou remplies de lait et où viendraient se Il n’est pas plus grand dans ceux-ci, ceux -ci, ni plus petit dans ceux-là. je me manifesterai à lui (Joan., XIV , 2). 3 Nous le verrons tel qu’il est (I Joan., III, 2).
1
2 Et
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
153
baigner de gracieuses petites colombes… Pour colombes… Pour l’âme que l’âme que vous aimez et qui vous aime, votre regard est très doux. Elle se plaît à vous regarder, et vous vous plaisez à la regarder. Vous êtes si bon ! Vos yeux expriment si bien l’amour dont l’amour dont votre cœur est cœur est rempli pour votre sainte Épouse ! Il est si précieux pour elle d’imprimer son d’imprimer son image dans vos yeux, et de sentir votre regard l’envelopper de l’envelopper de tendresse et de force. Quelle joie pour une âme que de s’apercevoir s’apercevoir que vous vous occupez ainsi de sa petitesse ! Comme elle est heureuse heur euse de pouvoir lever les yeux vers vous sans trop de crainte. Rien ne semble plus vous séparer l’un de l’autre. Par ce regard mutuel, vous vous donnez déjà l’un à l’autre autant qu’il est possible. possible. Elle ne voit que vous, et vous paraissez ne plus voir qu’elle. GENAE ILLIUS SICUT AREOLAE AROMATUM CONSITAE A PIGMENTARIIS (C ANT., V , 13). Ses joues sont comme un parterre de baume, un carré de plantes odorantes. Contemplation des perfections divines dans leur admirable unité.
Variété harmonieuse des couleurs d’un parterre de fleurs, charme unique de leurs parfums fondus en un seul, voilà ce que trouve encore la sainte Épouse pour exprimer la beauté de son Dieu. C’est que les perfections divines lui apparaissent sous un jour tout nouveau et dans leur admirable unité. Elle sait un peu maintenant, par une sorte d’expérience intime et et pour les avoir comme goûtées, ce que sont la bonté, la miséricorde, m iséricorde, la beauté, la sagesse et la simplicité de son Dieu. Di eu. Auparavant, elle s’en formait quelque idée, ses idées lui restent, elle n’en acquiert pas de nouvelles, réserve faite de certaines grâces grâ ces particulières. Mais elle a été unie au moins quelques instants à la Réalité même dont ces idées lui parlaient. Voilà pourquoi elle n’ose plus s’en servir maintenant, tant elles lui paraissent déficientes. Elle a comme savouré au plus intime d’elle-même d’elle-même ce « Bien qui contient tous les biens » : tout s’efface devant cette connaissance d’un genre très spécial. Aucun mot ne peut la dire, et pourtant elle dit tout à qui la reçoit. L ABIA EJUS LILIA DISTILANTIA DISTILANTIA MYRRHAM PRIMAM (C ANT., V , 13). Ses lèvres sont des de s lis, d’où découle la myrrhe la plus pure. Vérité et beauté de sa doctrine.
Comme il devait être bon de vous écouter parler, ô Jésus ! Vos lèvres ne laissaient entendre que des paroles de pure vérité. Vérité
154
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
austère parfois de l’austérité de la Croix, mais mais toujours enveloppée de tant de charité pour ceux qui vous prêtaient l’oreille de leur cœur et ne trouvaient pas vos enseignements trop durs ! Ils comprenaient, ceuxlà, que vous disiez des paroles de vie éternelle. Ils ne voulaient pas écouter d’autres maîtres maîtres que vous. Ils acceptaient votre joug si doux et votre fardeau si léger. Votre silence même parlait à leur âme. Ils éprouvaient alors, comme votre sainte Mère, le besoin de méditer dans leur cœur ce qu’on leur avait dit de vous, et surtout ce que vou s-même leur en aviez dit. Bonnes terres qui portaient trente, soixante et jusqu’à cent pour un !… Aujourd’hui comme autrefois, autr efois, ô Jésus, J ésus, vos lèvres l èvres ont forme et coucou leur de lis, lis blancs, lis rouges, symboles de la vérité et de la beauté de votre doctrine d’amour. Vos paroles sont « esprit et vie » vie » 1. Quand serons-nous vos vrais disciples, avides de vous écouter, soucieux de méditer, de savourer votre enseignement, résolus à le pratiquer afin de le mieux comprendre et de le mieux vivre, encore et toujours ? Attireznous à vous, ô Maître des maîtres, ô Verbe Incarné ! Gardez-nous près de vous ! Faites taire toute autre parole que la vôtre. Rendez notre âme semblable à ce champ fertile, qui porte de beaux et de nombreux épis. Apprenez-nous à imprégner, à informer notre pensée, notre affection, notre action, de vérité. C’est alors que nous vous rendrons témoignage partout et toujours comme votre saint Précurseur, comme vos chers Apôtres, puisqu’il est reconnu « que l’on rend témoignage à la vérité dans la mesure où on la participe ». M ANUS ILLIUS ILLIUS TORNATILES, AUREAE PLENAE HYACINTHIS (C ANT., V , 14). Ses mains sont comme des cylindres d’or, émaillés de pierres de Tharsis. Hommage d’admiration et d’amour aux mains divines et sacerdotales de Jésus.
Que ne donnerai-t-on pas, ô Jésus, pour contempler, ne fût-ce qu’un instant, vos mains bénies, violettes de froid à Bethléem, de souffrance au Calvaire, rayonnantes de lumière au Thabor et maintenant au Ciel ! Jusqu’au séjour de votre gloire, vous voulez qu’elles gardent les le s cicatrices des plaies profondes que les clous leur ont faites, vraies topazes aux teintes merveilleuses et aux reflets éblouissants. Mains divines, qui avez fait tant de miracles, pardonné tant de fautes, béni tant de petits enfants. Mains sacerdotales qui avez célébré la première messe, 1 Joan., VI, 63.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
155
conféré la première ordination, donné la première mission apostolique ; mains toujours pleines de grâces que vous répandez sans compter sur toutes les âmes ; mains toujours occupées à faire du bien sur la terre, étendez-vous sur moi, pour me bénir, me sanctifier, me garder. Prenez-moi et placez-moi tout près du cœur de cœur de mon Jésus. Amen. V ENTER ENTER EJUS EBURNEUS , DISTINCTUS SAPPHIRIS (C ANT., V , 14). Son sein est un chef-d’œuvre chef- d’œuvre d’ivoire couvert de saphirs. Divin tourment des âmes qui désirent pénétrer dans le Sacré-Cœur. Sacré-Cœur.
Toutes les âmes, tourmentées par votre amour, désirent humblement, mais ardemment, reposer sur votre poitrine, ô Jésus. L’apôtre saint Jean, celui que vous aimiez d’un amour d’un amour spécial, leur en a donné l’exemple. Il l’exemple. Il est leur modèle. Elles s’efforcent de l’imiter dans l’imiter dans la pureté et la ferveur de son affection pour vous, afin que vous puissiez, si tel est votre bon plaisir, les presser spirituellement comme lui sur votre divin Cœur. Il Cœur. Il leur semble avec, raison que là elles seront plus près de la source de toute vérité, de toute charité, de tout bonheur, qu’elles pourront qu’elles pourront alors y boire tout à leur le ur aise, s’enivrer même s’enivrer même au point de tout oublier, afin de goûter en pleine conscience la joie toute pure de vous aimer. Oui, ô Jésus, reposer doucement sur votre adorable sein, endormi aux choses qui passent, très éveillé à votre amour qui ne passe pas, quelle grâce ! Mais, ô Jésus, ceux qui vous aiment veulent vous connaître à fond et vous posséder en plénitude. C’est vous-même C’est vous-même qui leur donnez ce désir. Du reste, leur amour serait-il sincère, s’ils ne l’éprouvaient l’éprouvaient pas ? Si grande que soit la faveur de reposer sur votre divin Cœur, elle Cœur, elle ne leur suffît plus. Votre charité les presse de demander à entrer dans ce Cœur lui-même, pour y établir leur demeure à jamais. C’est là C’est là seulement qu’ils se sentiront délivrés des sollicitudes de la terre, et vraiment à l’abri des l’abri des coups de leurs ennemis. C’est là C’est là seulement qu’ils trouveront qu’ils trouveront leur véritable repos. Comme il vous sera facile alors de leur révéler la profondeur de votre amour pour votre Père céleste et pour vos frères. Il leur semble qu’ils verront qu’ils verront sans peine comme du dedans les admirables sentiments de votre âme, la richesse de votre grâce, la beauté et l’harmonie de vos vertus ; en un mot, tout ce que renferme de trésors votre sainte Humanité. Humanité. Montrer vos richesses, ô mon Dieu, les faire admirer d’une admiration déjà toute céleste, n’est pas encore assez pour votre amour. Il vous presse d’aller plus loin et de vous de vous donner vous-même en donnant réellement votre cœur. Et c’est jusqu’à cet excès que votre générosité vous a porté parfois. Quelques âmes privilégiées, au cours des siècles, se sont senties tout à coup privées de leur propre cœur et ont compris
156
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
que vous mettiez le vôtre à la place, pour un temps du moins. Ne l’auriezl’auriez- vous fait qu’une fois que cela nous jetterait dans la stupeur. Pouvez-vous donner actuellement à une pauvre créature une plus grande marque d’amour ? d’amour ? Il ne semble pas ! Que doit être, à partir de cet inoubliable instant et aussi longtemps que dure un tel miracle, la vie de l’âme ainsi ains i favorisée ! favorisée ! Elle-même ne saurait le dire. La seule parole qui puisse exprimer ce qu’elle éprouve paraît bien être celle de saint Paul entendue dans son sens le plus profond : « Je « Je vis, vis, non ce n’est plus moi qui vis, vis , c’est Jésus qui vit en moi » » 1. CRURA ILLIUS RURA ILLIUS COLUMNAE MARMOREAE QUAE FUNDATAE SUNT SUPER BASES AUREAS (C ANT., V , 15). Ses jambes sont de blanches colonnes de marbre posées sur des bases d’or pur. Divines Perfections du Verbe Incarné, appui immuable de l’âme intérieure.
Pour exprimer tout ce qu’il y a a de solidité, de fermeté, de grâce, de richesse et de beauté en vous, ô mon Dieu, la sainte Épouse parle de « blanches colonnes de marbre », fortement assises « sur des bases d’or pur ». Oui, ô Jésus, ceux qui vous aiment peuvent s’appuyer sur vous en e n toute confiance. Vous Vou s êtes l’immuable, l ’immuable, votre force ne diminue pas, votre amour ne change pas, votre beauté ne passe pas. Elle est la Beauté « toujours ancienne, et toujours nouvelle » qu’on qu’on regrette d’avoir connue si tard et tard et d’aimer encore si peu. Trouver un point d’appui immuable, c’est le désir ardent de toute âme humaine, combien plus de toute âme chrétienne et plus encore de toute âme intérieure. Vous êtes seul, ô mon Dieu, ce solide point d’appui, cette terre ferme vers laquelle soupire le passager que les vagues de la vie soulèvent nuit n uit et jour sans trêve ni repos. Qui nous donnera, ô mon Dieu, de nous tenir si étroitement unis à vous que notre âme participe déjà à votre immuable sérénité sérén ité ? Rien ne rassure notre âme au milieu de ses peines comme la certitude de vous rester fidèle, ô mon Dieu. Voilà pourquoi la plus dure de toutes les épreuves, la seule qui compte en réalité, c’est de ne pas sa voir si l’on l’ on vous aime vraiment par dessus tout, c’est de se croire, de se sentir, d’une façon mystérieuse et crucifiante, comme rejeté par vous. Si votre grâce ne soutenait l’âme en secret, la vie ne lui serait plus possible. Mais, ô mon Dieu, dans votre miséricorde, vous limitez cette 1 Gal.,
II, 20.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE V
157
douloureuse agonie. Quand elle a fait son œuvre purificatrice, la confiance en votre indéfectible amour revient au cœur et, avec elle, la paix, la force et la joie. Oh ! alors, tenir en ses mains les preuves presque évidentes que l’on est aimé de vous, quelle consolation consola tion ! Si l’on avait l’assurance de vous rester à jamais fidèle et, par suite, de devenir chaque jour plus agréable à vos yeux, plus cher à votre cœur, ce serait vraiment le Ciel commencé. Rien désormais ne pourrait troubler une âme sûre de votre amour. « Quis nos separabit a caritate Christi ? » » 1. SPECIES EJUS UT LIBANI, ELECTUS UT CEDRI (C ANT., V , 15). Son aspect est celui du Liban, élégant comme le cèdre. Puissance tranquille, grâce infinie de l’Époux divin. divin.
Après la vue admirative des détails, celle de l’ensemble l’ensemble ; après l’analyse délicate des traits de l’Époux divin, la synthèse qui les résume, en les unissant : voilà ce que s’efforce de réaliser la sainte Épouse. Vu d’un seul regard, son Bien-Aimé Bien -Aimé lui apparaît majestueux, imposant et ferme comme le mont Liban. À la force, il joint la grâce, et ç’est alors l’élégance du cèdre qui sert à peindre ces deux qualités harmonieusement fondues. Puissance tranquille, grâce infinie ; voilà encore une fois les deux traits, saillants de la beauté de l’Époux considéré déré d’un seul regard. Ce sont bien là, ô mon Dieu, les, deux signes auxquels on reconnaît votre action, et, par suite, votre Être même. Vous accomplissez accomplissez toutes choses, vous menez les âmes et le monde « suaviter et fortiter » fortiter ».. C’est ce qui frappe les yeux d’une d’une âme à qui vous daignez découvrir quelque chose de la « manière » manière » de votre paternelle Providence. Et l’ouvrier se révèle dans son œuvre. Il œuvre. Il est doux de vous contempler ainsi, ô mon Dieu. GUTTUR ILLIUS SUAVISSIMUM ET TOTUS DESIDERABILIS. T ALIS EST DILECTUS MEUS, ET IPSE EST AMICUS MEUS , FILIAE JERUSALEM ( V , 16). Son palais n’est que douceur, et toute sa personne est pleine de charme. Tel est mon Bien-Aimé, tel est mon Ami, filles de Jérusalem. L’Épouse achève l’éloge de son saint Époux.
Quand il parle, dit-elle, il ne prononce que des paroles pleines de douceur. On ne se lasse pas de l’écouter ; on voudrait toujours l’enl’en 1
Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Christ ? (Rom. VIII, 35).
158
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
tendre. Il a tant d’amour dans le Cœur que sa voix en est comme tout imprégnée. Et quoi de plus doux que l’amour divin ! divin ! Enfin, pour résumer résumer d’un mot l’incomparable portrait de son Dieu, qu’elle vient de tracer, elle déclare que « toute sa Personne est pleine de charme ». charme ». Ceux qui vous Contemplent, ô Jésus, même à travers les ombres de la foi, pensent et parlent comme votre sainte Épouse. Votre Beauté les saisit, les charme et les ravit. Ils oublient tout ; ils ne voient que vous, ils ne désirent que vous, ils ne veulent que vous. Ils souhaitent que tous les regards se tournent vers vous, que tous les cœurs se donnent à vous.
Chapitre VI QUO ABIIT DILECTUS TUUS , O PULCHERRIMA MULIERUM ? QUO DECLINAVIT DILECTUS TUUS ? ET QUAEREMUS EUM TECUM (C ANT., VI, 1). De quel côté est allé ton Bien-Aimé, Bie n-Aimé, ô la plus belle des d es femmes ? De quel côté ton Bien- Aimé Bien- Aimé s’est -il -il tourné, pour que nous le cherchions avec toi ? Saint tourment de l’âme déjà transformée par le divin Amour.
On ne peut pas rencontrer une âme tourmentée par l’amour de Dieu sans être ému. Tout d’abord, on ne comprend pas la nature du mal mystérieux qui la fait souffrir. L’illusion, l’exagération l’exag ération du moins est facile, semble-t-il, en pareille matière. Mais qu’elle vienne à décrire les charmes de son Bien- Aimé ainsi que l’a fait la sainte Épouse, alors les dispositions changent. Il n’est plus possible de douter de la réalité et de la légitimi té de cette affection jugée au premier moment insolite. On se rend compte qu’entre savoir par la raison, croire par la foi, que Dieu est souverainement aimable, et l’expérimenter comme l’âme blessée d’amour l’exl’ex périmente au plus profond d’elled’elle-même, il n’ y y a pour ainsi a insi dire d ire pas de comparaison possible. Il ne reste plus qu’à louer Dieu et féliciter l’âme privilégiée, à se ranger à son avis et à l’aider, s’il se peut, dans sa recherche de Jésus. Mais ce n’est pas seulement parce qu’elle souffre d’un tel mal, que mal, que la sainte Épouse excite les âmes de bonne volonté à lui venir en aide, c’est encore parce que son amour l’a rendue vraiment belle de la l a beauté de celui qu’elle aime. aime. Elle est devenue comme un miroir vivant de Dieu ; à la voir, à l’écouter, on croirait voir et entendre Jésus luimême. Elle traçait un peu son propre portrait en dessinant celui de son Bien- Aimé. L’amour unît ; unît ; mais pour unir, il rend semblable. Cette similitude éclate aux yeux de ceux que l’âme intérieure a pris pour confidents de ses peines mystérieuses et auprès de qui elle cherche secours. Pour la gloire de Dieu d’abord, pour sa gloire et son bonheur à elle, on voudrait pouvoir l’aider dans sa recherche de Jésus. Mais où est -il ? Comment orienter ses efforts, quels moyens prendre pour avancer, ne fût-ce fût-ce que d’un instant, leur divine rencontre ? rencontre ?
160
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
DILECTUS MEUS DESCENDIT IN HORTUM SUUM AD AREOLAM AROMA TUM, UT PASCATUR IN HORTIS, ET LILIA COLLIGAT (C ANT., VI, 2). Mon Bien-Aimé est descendu dans son jardin, au parterre de baume, pour faire paître son troupeau dans les jardins et pour cueillir les lis. L’Église, les Institutions, les âmes, jardin de l’Époux où toute fleur de vertu s’épanouit exclusivement pour lui.
L’Épouse répond elleelle-même aux âmes qui veulent l’aider à trouver son Dieu. Elle sait maintenant où il est. Il est descendu dans son jardin, l’Église, parterre de baume ; l’âme aussi, riche des fleurs les plus variées et les plus parfumées. C’est là qu’il se trouve. Il y est descendu attiré par l’amour, semble-t-il, semble -t-il, mais en réalité comme cause de cette amour. Il y demeure. L’Épouse le comprend, elle goûte la joie de sa présence, elle le possède chez elle, bien à elle. Elle est son jardin, il est son Bien-Aimé plus que jamais, et il est là plus intime à elle qu’elle -même, comme la lumière lumière et l’amour incréés, principe de toute toute lumière et de tout amour vrai. Il vit en elle en toute liberté. Tout y est à lui, tout y est pour lui, la moindre fleur de vertu lui dit : « C’est pour vous que j’ai été cultivée, je m’épanouis pour vous plaire, je plaire, je répands mon parfum pour vous charmer ; vous pouvez me cueillir tout à votre gré. Je serais trop heureuse, si vous vouliez bien me tenir dans vos mains, me porter à vos lèvres et me placer sur votre cœur ». cœur ». Quels sont maintenant ces « amis » amis » où Jésus fait paître son trou peau et où il cueille des lis ? On On aime à penser que ce sont les maisons bénies où se groupent et se cachent tout ensemble des âmes éprises d’amour de Dieu, afin de s’entraider à mieux aimer Celui qui mérite seul d’être aimé. Le nom, l’habit l’habit et les lois diffèrent ; le but reste le même : aimer Jésus, et d’une manière ou d’une autre le faire aimer. C’est là que le bon Pasteur fait paître son troupeau. Il connaît par son nom éternel chacune de ses brebis. Il sait la nourriture qui lui con vient, la vérité dont elle a besoin pour vivre, la force qui lui est nécessaire pour grandir, l’épreuve qui lui convient pour monter, l’amour dont elle a soif pour se désaltérer. Puis quand la brebis est riche d’une belle toison de mérites, il l’emporte sur ses ses épaules jusque dans son Paradis. Quand le lis est pleinement épanoui, il le cueille pour le Ciel.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VI
161
EGO DILECTO MEO, ET DILECTUS MEUS MIHI (C ANT., VI, 3). Je suis à mon Bien-Aimé et mon Bien-Aimé est à moi. Sainte union.
Le Bien- Aimé ne s’est pas contenté c ontenté de de descendre dans son jardin, il en a pris possession. L’âme intérieure sait alors que ses plus ardents désirs sont réalisés. Elle est à son Dieu de droit et de fait. Elle comprend que ce Dieu si bon l’a prise tout entière, jusqu’au fond, pour toujours. Elle E lle goûte une joie indicible, paisible, constante, à se sentir spirituellement et surnaturellement pénétrée et possédée par son Bien-Aimé. Il l’envahit comme l’eau envahit l’éponge ; l’éponge ; il est non seulement autour d’elle, mais en elle et en tout ce qu’elle qu’elle est. La comparaison qui vient à l’esprit de l’Épouse, pour essayer de se dire à elle-même elle-même cette ineffable opération de Dieu, est celle d’un feu très doux, très bienfaisant, très pénétrant qui s’insinue en tout elleelle même, la transforme et fait qu’elle oublie ce qu’il y avait de froid, de dur et d’obscur en elle et ne lui laisse que l’impression vive qu’elle est devenue souple, lumineuse et brûlante. Elle est toute à son Dieu. Son Dieu, lui aussi, est tout à elle. Il lui appartient, elle le possède, elle le goûte, elle se nourrit de lui mystérieusement. Elle vit de lui. Comment cela se peut-il ? Comment, sans perdre sa nature, l’âme humaine parvient-elle parvient-elle à ne plus faire qu’un avec Dieu Dieu et à vivre de sa vie à lui ? L’explication nous sera donnée dans le ciel. Ici-bas, Ic i-bas, nous ne pou vons qu’admirer, louer, bénir et remercier. Mais Mais on comprend un peu le cri de joie du Psalmiste : « Deus « Deus cordis mei et pars mea, Deus, in aeternum » aeternum » 1, et celle affirmation si vraie : « Mihi « Mihi autem adhaerere Deo bonum est » » 2. L’union véritable, véritable, profonde, permanente avec son Dieu, voilà le terme de tous ses désirs, de tous ses efforts, de tous ses sacrifices. Puisque malgré tous leurs soins, les âmes élevées jusqu’à cette union se déclarent impuissantes à en donner une idée, respectons leur sainte réserve et chantons avec elles les miséricordes infinies de noire Dieu : « Misericordias Domini in aeternum cantabo » cantabo » 3. Dieu qui êtes le Dieu de mon cœur cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. LXXII, 26). moi, être uni à Dieu, c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28). 3 Je chanterai éternellement les miséricordes du Seigneur (Ps. LXXXVIII, 1).
1
2 Pour
162
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
QUI PASCITUR INTER LILIA (C ANT., VI, 3). Il fait paître son troupeau parmi les lis. Jésus, bon Pasteur.
Jésus connaît ses brebis, il les aime, il leur veut du bien, il leur en fait toujours autant qu’il le peut, il veille sur elles d’une vigilance constante et comme jalouse. Il les protège, il les garde, surtout il les nourrit. Chacune d’elles peut dire en vérité : vérité : « Jésus est mon mo n Pasteur, Pa steur, je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages, il me mène près des eaux rafraîchissantes, il restaure mon âme… Je ne crains aucun mal car tu es avec moi : ta houlette et ton bâton me rassurent. Ma coupe déborde. Oui, le bon heur et la grâce m’accompam’accompa gneront tous les jours de ma vie » vie » 1. Lis de la vérité, lis de la charité, lis de la pureté, voilà les fleurs auprès desquelles le bon Pasteur veut que les âmes intérieures passent leur vie, trouvent leur nourriture, leur repos et leur joie. Vous êtes vraiment le bon Pasteur, ô Jésus Jésu s : « Ego « Ego sum Pastor bonus » bonus » 2. PULCHRA ES, AMICA MEA , SUAVIS ET DECORA SICUT JERUSALEM , TERRIBILIS UT CASTRORUM ACIES ORDINATA (C ANT., VI, 4). Tu es belle, mon amie, comme Thirsa, charmante comme Jérusalem, mais terrible comme une armée rangée en bataille. Une âme vraiment intérieure est une puissance.
Aux yeux de Jésus, l’âme intérieure apparaît tout ensemble belle, gracieuse et forte, belle comme Thirsa, gracieuse et charmante comme Jérusalem, terrible comme une armée en pleine bataillé. Sa beauté est un reflet fidèle et vivant de la beauté de Dieu. Sa grâce lui vient de l’harmonie parfaite, ravissante à contempler, des perfections divines participées à un rare degré et comme fondues en une délicieuse simplicité. Sa force, conséquence de son amour et de son intime union avec le Dieu fort, la rend redoutable et comme invincible : « Quis ut Deus ? » » Les démons le savent. Les ennemis de Dieu le devinent. Une âme vraiment intérieure est une puissance. Amis, ennemis, tous comptent avec elle. Heureux ceux qui peuvent compter sur elle ! 1 Ps. 2 Je
XXII.
suis le bon Pasteur (Joan., X, 11).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VI
163
A VERTE OCULOS TUOS A ME, QUIA IPSI ME AVOLARE FECERUNT (C ANT., VI, 5). Détourne de moi tes yeux, car ils me troublent. Puissance d’une âme aimante sur le Cœur de Dieu.
Quelle n’est pas la puissance d’une âme aimante sur le Cœur de Dieu ! Nous n’oserions y croire, s’il ne nous le disait lui-même. lui -même. Cette âme a un regard si profond, si pur, si affectueux qu’il ne peut en quelque sorte le soutenir. Il lui demande comme une grâce de le détourner de lui au moins un instant. On dirait qu’il craint d’être obligé, par un tel amour, d’appeler à lui cette Épouse si belle, avant l’heure marquée par sa divine Sagesse. Bienheureux les cœurs purs ! purs ! Ils voient Dieu et Dieu les voit, Dieu les admire, Dieu les aime, Dieu est attiré par eux. Il voudrait les prendre avec lui, se les unir pour jamais. Attendre lui coûte. Il a besoin de toute sa Sagesse pour s’y résigner. Oh ! si nous savions ce que c’est que d’aimer Dieu ! Dieu ! C APILLI TUI SICUT GREX CAPRARUM QUAE APPARUERUNT APPARUERUNT DE G ALAAD (C ANT., VI, 5). Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres suspendues aux flancs de la montagne de Galaad. Galaa d. Vifs désirs et bonnes œuvres, témoignages certains de la vérité de son amour.
Au dire des pèlerins pèler ins de terre Sainte, c’est un gracieux spectacle que celui d’un troupeau de chèvres suspendues aux flancs d’une blanche montagne de Palestine. Tout de suite, la comparaison de l’auteur sacré vient à l’esprit. On la trouve d’une parfaite exactitude. Nous pouvons y voir aussi l’image l ’image des désirs nombreux et vifs de l’âme intérieure, puis de ses bonnes œuvres, témoignage certain de la vérité et de la ferveur de son amour. Ses mérites la parent. Ils la rendent digne, en quelque sorte, d’attirer et de ravir les regards de Dieu. Ils sont nombreux, variés, ordonnés. L’amour les unit harmonieusement ; c’est lui qui leur a donné naissance, c’est lui qui les a rendus si riches. C’est lui encore qui les offre comme un hommage au Maître de toutes choses, à celui de qui toutes choses procèdent et à qui toutes doivent faire retour.
164
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
DENTES TUI SICUT GREX OVIUM QUAE ASCENDERUNT DE LAVACRO ; OMNES GEMELLIS FAETIBUS ET STERILIS NON EST IN EIS (C ANT., VI, 6). Tes dents sont comme un troupeau de brebis qui remontent du lavoir. Chacune porte deux j umeaux. umeaux. Aucune d’elles n’est stérile. Fécondité des vertus morales guidées par la raison et par la grâce. gr âce.
Pour lutter contre ses ennemis et en triompher, l’âme intérieure dispose de vertus morales nombreuses et fortes. Elles sont parvenues à leur perfection. perfection. Chacune d’elles est en pleine activité. Pour l’ordil’ordi naire, il leur faut éviter deux excès et dès lors, remporter comme une double victoire. Elles ont à tenir, quant au lieu, au temps, à la manière, un juste milieu marqué par la droite raison d’abord, pu is par la foi et souvent aussi par l’Esprit-Saint l’Esprit -Saint lui-même. Cette ligne médiane est une ligne montante. C’est en se laissant conduire par la raison et par la grâce que les vertus rendent leur maximum et se dépassent pour ainsi dire à chaque pas elles-mêmes. La charité peut alors compter sur elles pour assurer son triomphe et l’exécution parfaite de ses ordres. Et c’est un beau spectacle à contempler que celui d’une âme riche de tant et de si belles vertus. SICUT CORTEX MALI PUNICI, SIC GENAE TUAE , ABSQUE OCCULTIS TUIS (C ANT., VI, 7). Ta joue est comme une moitié de grenade derrière ton voile. Le charme inexprimable de la vie intérieure est un perpétuel renouveau d’amour divin.
Quand le bon Dieu aime une âme d’un amour de prédilection, il ne se lasse pas de le lui dire souvent. Il emploie les mêmes formules, il lui donne les mêmes marques d’affection, les mêmes grâces d’intimité, et pourtant, à chaque fois, il y a quelque chose de nouveau. La voix est plus pénétrante, la tendresse plus vive, l’union plus paisi ble paisi ble et plus profonde. C’est le charme inexprimable de la vie intérieure que ce perpétuel renouveau. On dirait qu’à chaque battement du cœur, l’âme goûte avec toutes les joies anciennes qui revivent, une joie toute nou velle qui ajoute encore à son bonheur. Il n’y a que vous, ô mon Dieu, qui puissiez réaliser de si grandes choses ! Vous êtes l’Océan infini de la béatitude. Heureuse l’âme que vous plongez de plus en plus dans votre joie sans limite. Elle passera passe ra son éternité à vous dire : merci !
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VI
165
SEXAGINTA SUNT REGINAE ET OCTOGINTA CONCUBINAE, ET ADOLESCENTULARUM NON EST NUMERUS. UNA EST COLUMBA MEA , PERFECTA MEA ; ; UNA EST MATRIS SUAE, ELECTA GENITRICIS SUAE. V IDERUNT IDERUNT EAM FILIAE ET BEATISSIMAM PRAEDICAVERUNT ; REGINAE ET CONCUBINAE ET LAUDAVERUNT EAM (C ANT., VI, 8-9). Il y a soixante soix ante reines, quatre-vingts femmes de second rang et des jeunes filles sans nombre. Une seule est ma colombe, mon immaculée, l’unique de sa Mère, la préférée de celle qui lui donna le four. Les jeunes filles l’ont vue et l’ont proclamé e bienheureuse. Les reines et les autres femmes l’ont louée. Légitime préférence de Dieu, de la sainte Église pour une âme ; elle n’excite pas n’excite pas la jalousie.
Assez nombreuses nomb reuses relativement r elativement sont les âmes individuellement indi viduellement appelées à l’union divine, plus nombreuses nombreuses celles qui reçoivent quelques grâces mystiques, beaucoup plus nombreuses encore celles que Dieu détache du monde, celles qu’il purifie, qu’il enrichit, qu’il prépare ainsi de loin et à des degrés très divers aux ascensions mystérieuses de la charité. Mais une seule est vraiment « sa colombe », colombe », « son immaculée ». C’est, pour toujours, Marie, la Vierge des vierges, la Reine des âmes intérieures, et à un degré bien inférieur, en chaque génération humaine, telle âme encore dans le monde, ignorée, inconnue peutêtre, qui est la légitime préférée de son cœur. Parmi tant d’âmes que Jésus attire, qu’il rapproche sans cesse de lui, à qui il donna des marques de plus en plus évidentes de son affection, il en est une, en effet, qui lui est unie avec une perfection plus complète et pour qui la terre n’est plus la terre. Dieu terre. Dieu en soit béni, à jamais ! L’Église se réjouit quand elle peut offrir à son divin Époux une âme toute belle et toute pure. Sans doute, elle aime tous ses enfants ; elle veille sur tous, elle prend soin de tous. Mais cependant, comme Dieu, sans faire tort à aucun d’eux, elle a ses légitimes préférences. Souvent du reste, pour ne pas dire toujours, ce n’est qu’après l’entrée au Ciel de son enfant que l’Église proclame sa prédilection. Elle le fait de manière à ne blesser personne et à n’établir aucune comparaison pénible ou même désagréable. Ne pourrait-on pourrait-on pas dire, avec ces réserves, qu’en ces derniers temps sainte Thérèse de l’Enfantl’Enfant -Jésus est l’unique de sa Mère, la préférée de l’Église catholique qui q ui lui a donné le jour ? Elle l’était déjà dès ce monde, mais nul ne le savait alors. C’était la perle précieuse cachée dans le champ de l’Église, mais qui dès lors réjouissait les regards de Dieu.
166
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Ainsi en est-il est-il encore. Heureuse l’âme qui mérite une telle tell e préférence ! Son bonheur n’excite point de jalousie. Ceux qui contemplent sa beauté, à quelque quel que degré de perfection qu’ils se trouvent trou vent eux-mêmes, eux -mêmes, se réjouissent. On peut même dire que plus ils sont près de Dieu, plus ils sont contents. Ils voient mieux, ils comprennent mieux, ils goûtent da vantage les effets de la grâce dans l’âme devenue l’Épouse bien-aimée bien-aimée de Jésus. À ce beau spectacle, leur cœur se dilate. Ils éprouvent le besoin de chanter la gloire de cette heureuse privilégiée. Y a-t-il au monde, en effet, un bonheur comparable à celui d’une âme élevée à l’union parfaite, permanente, indissoluble avec Dieu lui-même lui -même ? Comment, pour peu qu’on aime le bon Dieu, ne pas se réjouir de le sa voir aimé à ce point ? Comment, pour peu qu’on aime son prochain, ne pas être ravi de le voir entrer dès ce monde dans le bonheur même de Dieu ? « Amicus « Amicus autem Sponsi, qui stat et audit eum, gaudis gaudet propter vocem Sponsi » » 1. QUAE EST ISTA QUAE PROGREDITUR QUASI AURORA CONSURGENS, PULCHRA UT LUNA , ELECTA UT SOL, TERRIBILIS UT CASTRORUM ACIES OR DINATA (C ANT., VI, 10). Quelle est celle-ci celle-ci qui apparaît comme l’aurore, belle comme la lune, pure comme le soleil, terrible comme une armée rangée en bataille ? Incomparable beauté de l’âme unie à Dieu.
On ne se lasse pas d’admirer la beauté d’une âme unie à Dieu, pas plus qu’on ne se lasse d’admirer la beauté de Dieu lui-même, lui -même, Elle y participe en effet à un tel point qu’elle en paraît tout imprégnée et comme envahie. Ce que la nature offre de plus beau peut à peine donner une idée de cette beauté toute spirituelle. L’aurore avec ses rayons pleins d’espoirs, la lune avec sa douce et blanche lumière, le soleil avec sa flamme ardente et pure, l’homme uni à d’autres hommes et déployant sa force dans une terrible bataille : voilà quelques-uns des traits qui servent à peindre l’incomparable beauté de l’âme unie à Dieu. C’est une gracieuse espérance qui se lève sur le monde ; c’est une lumière qui luit paisiblement aux jeux ; c’est un foyer tout brûlant d’amour, qui réchauffe et vivifie les âmes, c’est une force invincible à qui tout est possible, même le miracle. Comment ne pas admirer ? L’ami de l’Époux, l’Époux, qui se tient là et qui écoute, est ravi de joie à la voix de l’Époux (Joan., III, 29). 1
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VI
167
DESCENDI IN HORTUM NUCUM UT VIDEREM POMA CONVALLIUM , ET INSPICEREM SI FLORUISSET VINEA , ET GERMINASSENT MALA PUNICA (C ANT., VI, 11). J’étais descendue descendue au jardin des noyers pour voir les herbes de la vallée, pour voir si la vigne pousse, si les grenadiers sont en fleur. Souci de l’âme intérieure de veiller toujours au bon état de son mystérieux jardin.
L’âme n’oublie pas, au milieu de ses délices, le soin qu’elle doit prendre d’elled’elle-même. Les vertus morales qui disposent à l’union di vine doivent recevoir de celle-ci cell e-ci un surcroît surcr oît de vigueur et de fécondité. S’il n’en était pas ainsi, l’âme devrait douter de la réalité de cette grâce, ou du moins se demander sérieusement si elle en a bien profité : « Aux « Aux fruits, on connaît l’arbre » l’arbre » 1. Puis la contemplation ne dure pas tou jours. Dès que l’activité redevient normale, elle doit se dépenser tout entière dans la paix, soit à la culture du jardin intérieur, soit à celle des âmes de bonne volonté dont le bon Dieu veut que l’on s’occupe. De là, le souci de l’âme intérieure de veiller toujours au bon état de ce mystérieux jardin et d’en suivre le progrès avec la plus grande sollicitude. NESCIVI ; ANIMA MEA CONTURBAVIT ME PROPTER QUADRIGAS A MINA MINA DAB (C ANT., VI, 12). Je ne sais, mais mon amour m’a fait monter sur les chars de mon noble peuple. La loi lo i de l’amour est de revenir à sa source, d’y ramener r amener l’âme et parfois même le corps.
Passage obscur que celui-là, nous disent, les interprètes. Sans rien préjuger, entendons-le entendons-le de l’Épouse tout occupée du soin de son jardin et brusquement saisie par un élan d’amour. D’où vient-il vient -il ? Comment opère-t-il ? Elle ne sait. Mais elle se sent tout à coup arrachée, sans qu’elle puisse résister, résister, à sa douce occupation. Elle quitte tout, elle ou blie tout, elle est emportée comme sur un char jusque sur les hauteurs d’elled’elle-même, puis jusqu’en Dieu. C’est l’Amour qui a fait cela. Il paraissait endormi. Il se donnait le change à lui-même lui- même en s’occupant s’occupant 1 Matth., VII, 16.
168
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
pour le Bien- Aimé. Bien- Aimé. Mais sa loi est de revenir à sa source, d’y ramener l’âme et parfois même le corps avec lui. Et voilà que, surgissant du plus intime du cœur comme une lame de fond, il a tout emporté avec lui pour le plus grand bonheur de l’Épouse. l’Épous e.
Chapitre VII R EVERTERE EVERTERE, REVERTERE, SULAMITIS, REVERTERE, REVERTERE, UT INTUEAMUR TE (C ANT., VII, 1). Reviens, reviens, Sulamite. Reviens, reviens, afin que nous te regardions. Douleur paisible, mais profonde que cause la mort des Saints.
L’extase se manifeste manifeste parfois au dehors. Les témoins sont surpris. Ils ont l’impression que l’âme pourrait bien abandonner tout à fait son corps, quitter définitivement la terre et rester pour jamais entre les bras de Dieu. Ils craignent ce départ. Ils le considèrent comme un malheur pour eux. C’est que, s’il est vrai que personne ne sait aimer comme une âme sainte, personne aussi n’inspire une affection aussi profonde et aussi légitime qu’elle. Relisons le récit des derniers moments d’une sainte Thérèse, par exemple, et e t nous comprendrons quelle douleur paisible sans doute, mais profonde aussi, une telle mort fait éprouver. Ne plus la voir, ne plus l’entendre, ne plus lui parler, ne plus la contempler vivant en Jésus et Jésus en elle, quelle privation, quel sacrifice ! Et Et si la mort est une douce extase, l’extase paraît comme une douce mort, mais une mort tout de même. QUID VIDETIS IN SULAMITE NISI CHOROS CASTRORUM ? (C ANT., VII, 1). Que voulez-vous voir dans la Sulamite ? Comme une danse de Machanaïm. Beauté vivante de l ’âme ’âme évoluant autour de la volonté de Dieu.
Jacob, revenant en Chanaan, rencontra une troupe d’anges qu’il appela « le Camp de Dieu ». Dieu ». C’est aux gracieux mouvements de cette troupe d’esprits célestes qu’il est fait ici allusion. Les mouvements intérieurs d’une d’une âme unie à Dieu sont ravissants de perfection, de simplicité et de grâce. C’est la beauté surnaturelle vivante et en acte. Il n’y a pas au monde de spectacle plus beau à voir que celui d’une âme qui évolue ainsi avec une aisance parfaite autour de la sainte volonté de Dieu, décrivant autour de cet axe comme des spirales qui vont montant toujours et se resserrant toujours de plus en plus. Tout au sommet de cette courbe ascendante, Dieu se trouve. C’est de là qu’il ap-
170
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
pelle et qu’il attire l’âme aimée. C’est là qu’il attend pour lui imprimer ce mouvement circulaire parfait autour de lui-même et en lui-même qui se nomme la vie éternelle. QUAM PULCHRI SUNT GRESSUS TUI IN CALCEAMENTIS , FILIA PRINCIPIS ! JUNCTURAE FEMORUM TUORUM SICUT MONILIA , QUAE FABRICATA SUNT MANU ARTIFICIS (C ANT., VII, 2). Que tes pieds sont beaux dans tes sandales, fille de prince ! La courbure de tes reins est comme un collier, œuvre de mains habiles. La Sagesse qui règne au sommet de l’âme intérieure rend admirables les qualités inférieures à travers l’enveloppe du corps.
Dans une âme intérieure, l’ordre est partout. Les moindres facultés gardent leur place et jouent leur rôle. Elles sont comme imprégnées de raison et plus encore de foi. La sagesse, qui règne au sommet, gouverne tout. C’est C’est à elle qu’il appartient d’ordonner et d’ordonner et l’ensemble et l’ensemble et les détails. Elle juge de tout, elle compare les moyens, petits ou grands, avec la fin. Elle les met à leur rang. Elle les emploie selon leur valeur. La règle de son jugement, c’est la vue de plus en plus nette de cette fin, c’est le goût mystérieux de Dieu qui lui permet d’apprécier, comme d’instinct, ce qui est de Dieu et mène à Dieu, ce qui n’est pas de Dieu et détourne de lui. Et cette appréciation « informe » les facultés inférieures de l’âme. C’est C’est ce qui fait leur beauté et les rend admirables à travers l’enveloppe du corps. La force, la souplesse, la grâce, voilà quelques-unes des qualités, des vertus de la sainte Épouse qui nous sont rappelées ici. C’est l’Esprit-Saint l’Esprit-Saint qui est le divin Ouvrier de ce chef-d’œuvre. chef- d’œuvre. Tout ce qui sort de ses mains porte sa marque. Elle est inimitable, elle s’exprime en deux mots : « suaviter et fortiter ». fortiter ». La douceur sans la force serait fadeur, mièvrerie, faiblesse. La force sans la douceur tournerait à l’intransigeance l’intransigeance hautaine et à la dureté. Il faut les deux, et il les faut harmonieusement unies et comme fondues au point de ne pouvoir dire s’il en est une qui domine dans le mélange. Or, c’est là une œuvre qui dépasse, et sans mesure, le pouvoir de l’homme. La grâce, grâc e, et elle seule, peut réaliser une telle harmonie, résoudre un tel problème, triompher d’une telle difficulté. « Aux « Aux fruits, on connaît l’arbre » l’arbre » 1, à l’œuvre on connaît l’ouvrier. Dieu est là. 1 Matth., VII, 16.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VII
171
UMBILICUS TUUS CRATER TORNATILIS NUNQUAM INDIGENS POCULIS (C ANT., VII, 3). Ton sein est une coupe arrondie remplie d’un vin aromatisé. La coupe est le cœur, son vin l’amour. Tant vaut le cœur, tant vaut l’amour.
Sur les lèvres des âmes intérieures, le « vin aromatisé » aromatisé » signifie l’amour de Dieu imprégné du parfum et de et de la saveur de toutes les vertus. Le vin se présente dans une coupe. Plus le vin a de prix, plus la coupe est riche. C’est parfois une véritable œuvre d’art. Au spirituel, la coupe s’appelle le cœur. C’est le pouvoir d’aimer d ’aimer de venu parfait, l’amour l’ amour est son s on vin mystérieux. m ystérieux. Plus le cœur est fort, plus il est pur, plus il est comme ciselé par le divin Artiste, plus l’amour qui sort de lui et qui le remplit tout ensemble a de prix aux yeux de Dieu. Ces choses-là choses-là vont de pair au point que, dans l’ordre spirituel, spiritu el, la coupe et le vin qu’elle contient ne sauraient être séparés. Tant vaut le cœur, tant vaut l’amour ; l’amour ; on pourrait ajouter : tant vaut l’âme tout entière. La bonté de l’Aimé fait la bonté et de l’acte, et de la faculté, et de l’âme, et de l’homme enfin. Qu’elle est belle, l’âme toute remplie d’amour de Dieu ! Dieu ! V ENTER ENTER TUUS SICUT ACERVUS TRITICI VALLATUS LILIIS (C ANT., VII, 3). Ton corps est un monceau de froment entouré de lis. L’âme intérieure est une ressource inépuisable.
Un « monceau de froment » » est beau à voir. Il plaît aux regards, il fait éprouver de plus une impression de richesse et de sécurité. C’est la vie assurée pour de longs jours : l’hiver peut venir, on ne le redoute plus ; le pauvre peut se présenter, il y aura toujours du pain pour lui. On comprend la joie du laboureur et du moissonneur à la vue de ce trésor véritable. L’âme intérieure est, elle aussi, un trésor véritable, mais d’un ordre combien supérieur ! On aime à la contempler, elle plaît aux regards, elle donne à un haut degré l’impression l’impr ession de richesse et de sécurité, elle est une ressource inépuisable, elle réjouit et elle nourrit. Savoir qu’elle est là tout près, et qu’on peut aller à toute heure, comme un pauvre, lui demander le pain spirituel dont on a tant besoin pour vivre, cela tranquillise. On ne peut assez remercier le bon Dieu d’une telle faveur.
172
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Mais il faut se souvenir que le « monceau de froment » » est « entouré de lis », lis », il est comme serti de pureté. Sans cette vertu, il ne serait pas. L’âme intérieure ne se conçoit pas san s elle. Même si, ce qui arrive parfois, cette âme est engagée dans les liens du mariage, pour se communiquer à elle Dieu lui demande quelque chose de spécial sur ce point, sans déroger toutefois aux devoirs de son état. C’est du reste ainsi qu’elle le comprend, elle sait être délicate, et son cœur, au fond, n’est pas divisé. Si l’âme intérieure s’entoure de pureté, ceux-là ceux -là seuls qui aiment cette belle vertu sont les vrais bénéficiaires de ses trésors. « Bienheureux les cœurs purs, parce qu’ils verront Dieu » Dieu » 1. Ils le voient un peu déjà dès ce monde, vivant et régnant en ses amis. Il y a dans l’ordre surnaturel quelque chose comme des rayons X. Heureux ceux à qui il est donné de s’en servir ! Et ce sont les cœurs purs. DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI GEMELLI CAPREAE (C ANT., VII, 4). Tes deux seins sont comme deux faons jumeaux d’une gazelle. Plus une âme est pure, plus elle est digne de devenir Épouse de l’Esprit Saint et mère spirituelle.
L’âme intérieure est vraiment mère dans l’ordre spirituel, Dieu lui donne des âmes qui sont comme ses enfants. Elle doit les nourrir, et du lait le plus pur. Il y a là un mystère dont la beauté ne sera pleinement révélée que dans le Ciel. Ce qui frappe, même dès ce monde, c’est la condition posée par Dieu à cette maternité spirituelle. Il en est en effet de l’âme intérieure comme de là Très Sainte Vierge, tout privilège gardé. Loin d’être un obstacle à sa maternité divine, la sainte virginité de Marie en est, au contraire, la condition essentielle. De même, plus, une âme est pure, et plus elle est digne de devenir Épouse du SaintEsprit et mère spirituelle. L’amour de Dieu et l’amour des âmes s’unis sent comme en une seule affection. Au fond, la charité est une : Dieu aimé pour lui-même, lui-même, tout le reste aimé pour Dieu. C’est de cette divine charité que l’âme intérieure nourrit ceux qui lui sont confiés. COLLUM TUUM SICUT TURRIS EBURNEA (C ANT., VII, 5). Ton cou est comme une tour d’ivoire. La sainte Épouse ne désire la vraie beauté que pour plaire à Jésus.
L’admiration de l’Époux pour sa sainte Épouse est inlassable. Plus il l’aime, plus il l’admire ; plus il l’admire, et plus il l’aime. Il se plaît à 1 Matth., V ,
8.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VII
173
le lui dire et à le lui redire. C’est un besoin de son cœur. Il veut qu’elle sache combien elle lui est agréable, la joie qu’elle lui lu i cause et la raison de cette joie. L’Épouse à son tour trouve dans cette louange comme un bonheur nouveau. Pour elle, la félicité suprême c’est de rendre heureux, s’il se peut, son Dieu mille et mille fois aimé. Elle ne désire la vraie beauté, elle ne travaille à acquérir la force, la pureté, la grâce symbolisées par le « cou semblable à une tour d’ivoire », d’ivoire », que pour lui plaire et pour le réjouir. Aussi les compliments affectueux de son Bien Aimé sont-ils pour elle tout à la l a fois et une récompense des efforts effo rts passés et un encouragement pour les efforts à venir. OCULI TUI SICUT PISCINAE IN HESEBON, QUAE SUNT IN PORTA FILIAE MULTITUDINIS (C ANT., VII, 5). Tes yeux sont comme les piscines d’Hésébon, près de la porte de cette ville populeuse. Joie de Jésus quand il rencontre une âme vraiment intérieure.
Comme il devait être agréable au voyageur venant du désert et arri vant à la porte d’Hésébon, de contempler les piscines profondes, taillées dans le roc, près de la porte de la ville. L’eau en était si claire, le ciel s’y reflétait si bien ! bien ! C’est là une image de la joie de Jésus rencontrant enfin, après de pénibles et stériles courses, les regards affectueux et limpides d’une âme qui n’aime que lui. Elle passe tout entière dans ce regard. Elle y met tout son cœur et e t tout son amour. Jésus, « fatigatus « fatigatus ex itinere » itinere » 1, s’arrête comme autrefois au puits de Jacob. Il a trouvé l’eau qui le rafraîchit. Il est ravi par le charme de ces yeux à la fois si purs, si profonds et si beaux. Il sait bien du reste qu’ils ne veulent voir au monde que lui, lui seul, lui toujours, lui toujours mieux, lui toujours plus à fond, pour l’aimer toujours plus. Autant qu’il peut dépendre de nous, ô Jésus, nous vous demandons de multiplier dans le monde le nombre de ces âmes au regard limpide et profond. Il est si juste que vous soyez aimé ! Il est si douloureux de penser que vous l’êtes si peu ! peu ! Sans doute, vous pourriez nous adresser à nous, qui nous plaignons du petit nombre des âmes intérieures, de durs et de légitimes reproches. Qu’avons-nous Qu’avons -nous fait pour que vous soyez plus aimé ? Quel soin avons-nous avons-n ous pris de vous aimer pour notre compte autant que nous le pouvions et que vous le désiriez ? Nous trouvons tout naturel que d’autres âmes se dévouent tout entières à 1 Fatigué
de la route (Joan., IV , 10).
174
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
votre amour. Nous les admirons, nous les louons, nous prions même pour elles, afin qu’elles vous aiment encore davantage, mais nous nous en tenons là et nous ne nous décidons pas à les imiter vraiment. Pauvres de nous, ô Jésus ; ayez pitié de nous, ô Jésus ! N ASUS TUUS SICUT TURRIS LIBANI, QUAE RESPICIT CONTRA D AMASCUM (C ANT., VII, 5). Ton nez est comme la tour du Liban, qui surveille le côté de Damas. Force de certaines âmes choisies par Dieu pour garder son peuple p euple fidèle.
L’auteur sacré doit faire ici allusion à une tour particulièremen t connue des Hébreux à cause de sa situation et de sa force. Imposante tout à la fois et gracieuse, cette tour lui sert à peindre un des traits de la physionomie de la sainte Épouse. Pour garder son peuple fidèle et le protéger contre ses ennemis, Dieu a, lui aussi, ses âmes fortes, qu’il place aux endroits à surveiller et par où l’invasion serait possible. Elles doivent tout ensemble barrer la route à l’envahisseur, servir de retraite assurée aux faibles et aux petits, jeter le cri d’alarme à l’intérieur d u pays, puis donner le temps aux troupes régulières de se former et de se mettre en campagne. Les Saints nous disent que le démon fait des efforts inouïs pour les renverser, mais ils nous disent aussi que le bon Dieu les protège d’une protection spéciale, et qu’il se plaît à contempler leur force tranquille et leur ardeur généreuse. C APUT TUUM UT C ARMELUS (C ANT., VII, 6). Ta tête s’élève comme le Carmel. L’âme intérieure est an sommet d’où elle domine tout.
Au-dessus de la plaine, au-dessus au -dessus de la mer, le Carmel aux coteaux fleuris, plantés de beaux jardins, s’élève comme s’élève comme une tête majestueuse et gracieuse tout ensemble. Ainsi en va-t-il va-t-il de l’âme intérieure. Elle ha bile les sommets, elle est elle-même elle-mêm e un sommet. Elle domine, mais sa majesté douce et ferme attire atti re au lieu d’éloigner. On la contemple, on l’admire ; il semble, et c’est bien vrai, que si on pouvait s’élever jusqu’à elle, on verrait les choses de plus haut et on verrait beaucoup plus loin. En un autre sens, la tête de l’Épouse représente les hautes c imes de l’âme elle-même, elle-même, ce qui en elle est plus loin de la terre, plus près du ciel, ce qui domine, gouverne et vivifie, ce que Dieu regarde avec le
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VII
175
plus de complaisance, qui est comme son jardin à lui, où il est heureux de venir prendre ses délices ainsi qu’en « un « un petit paradis ». ET COMAE CAPITIS TUI SICUT PURPURA REGIS , VINGTA CANALIBUS (C ANT., VII, 6). Les cheveux de ta tête sont comme la pourpre, un u n Roi est enchaîné à leurs boucles. Jésus se fait le captif de l’âme aimante.
Parmi les nuances de la pourpre chez les Anciens, celle dont il est ici question serait le violet sombre, se rapprochant du noir. Le Roi, en pleine puissance, s’est laissé charmer et comme lier par les boucles gracieuses des cheveux de sa Reine. Rien n’est plus doux que de tels liens, liens, rien n’est plus fort que de telles chaînes. Ce sont les liens de la divine charité, ce sont les chaînes du saint amour : « Fortis « Fortis est ut mors dilectio ». C’est en toute connaissance de cause et en parfaite liberté que le Roi Jésus s’est rendu captif de sa de sa sainte Épouse ! Elle l’aime tant son Dieu ! Elle le lui dit de tant de manières ! Elle lui lance tant de mots affectueux, elle lui offre tant d’actes de générosité tout le long de ses jours, que le divin Époux se laisse gagner. Il se fait le prisonnier de cette âme qui l’aime si profondément. Mais, tout captif qu’il est, il reste roi, le Roi. Il règne en elle plus que jamais. Elle est son véritable royaume. Mystérieuse captivité, mystérieuse royauté ! Quel bonheur pour une âme aimante, ô Jésus, que de vous faire prisonnier ! Vous captiver, ô Jésus, vous posséder tout entier comme un bien tout à soi, quelle joie et quelle richesse ! Il n’y a pas d’âme d’âme plus heureuse au monde, sans aucune comparaison possible, que celle qui vous a ainsi enchaîné par son affection. Il n’y en a pas de plus riche. Bien que vous soyez son prisonnier, vous ne perdez rien, en effet, pour cela, ni de votre liberté, ni de votre puissance, pas plus que vous n’avez rien perdu de votre nature divine en vous incarnant. Seulement tout ce que vous avez, vous le mettez à la disposition de votre sainte Épouse. Vous connaissez son cœur, vous cœur, vous savez qu’elle n’usera n’usera de ce droit que pour votre gloire. Mais, encore une fois, fois , ce qui fait surtout son bonheur, c’est de c’est de vous tenir vous-même en douce captivité. Elle est comme assurée que vous ne la pourrez plus quitter, et que vous voulez qu’elle vive pour toujours dans votre ineffable intimité. C’est le bonheur sans fin. Une fois de plus, ô mon Dieu, on constate l’impuissance du langage humain à traduire les réalités divines. Les mots sont trop petits pour
176
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
de si grandes choses ; ils ne peuvent les contenir. Si on veut les forcer, ils éclatent. Ils sont trop faibles aussi, et le poids de bonheur qu’on essaie de leur faire porter les écrase. Mais leur impuissance est plus éloquente qu’ils ne le seraient eux-mêmes. eux -mêmes. Elle dit que le Dieu infiniment bon est là. On n’impose pas de mesure à l’infini. Les paroles manquent, mais le silence reste. Volontairement silencieuse, l’âme privilégiée qui a su faire de Jésus son doux prisonnier, adore, admire, loue, bénit, prie, aime par le seul mouvement de son cœur. Puis, par moments, sans bruit, elle chante tout bas le cantique de la reconnaissance et du bonheur : « Mon « Mon Bien-Aimé est à moi », mon Jésus est à moi, mon Dieu est tout à moi ! À jamais ! L’âme intérieure est avide d’être elle aussi l’esclave du l’esclave du divin amour.
D’autre part, l’âme intérieure parvenue à cette heureuse possession, à cette union intime avec vous, ô mon Dieu, se sent autorisée à redire sans cesse : « Je « Je suis su is à mon Bien-Aimé ». Oui, ô mon Dieu, ditelle, je suis à vous, non pas seulement de droit, non pas seulement de désir, mais de fait et en toute vérité. Vous êtes mon Bien-Aimé, mon seul aimé, mon tout aimé, mon toujours aimé ; et moi je suis à vous, tout à vous et rien qu’à vous. Je le comprends, je le sais. Ma mémoire ne m’appartient plus, elle est devenue comme votre mémoire. Elle ou blie ce que vous voulez qu’elle oublie, elle fait revivre ce que vous lui ordonnez de faire revivre, elle est toute remplie du souvenir de vos miséricordes. Vos paroles la nourrissent ; votre histoire, ô Jésus, repasse sans cesse sous ses yeux avec un charme toujours nouveau. Mais ce qui l’occupe le plus, ô mon Dieu, c’est vous-même, vous -même, vivant là, présent au fond du cœur. Elle Elle voudrait ne jamais vous oublier, ne fût-ce fût-ce qu’un instant. Accordez-lui cette grâce. Elle sera vraiment alors tout à vous ! Vous enchaînez doucement aussi, mais fortement, mon intelligence, ô Jésus ! Non seulement elle adhère de tout elle-même à la moindre de vos paroles pour la faire sienne et la déclarer vraie à la face du monde, mais elle voudrait s’épuiser à en découvrir le sens profond pour s’en mieux pénétrer et en vivre uniquement. Ce que surtout elle cherche à connaître, c’est vous, ô Jésus, votre votre Père bien-aimé et l’Esprit d’amour qui procède de vous deux et vous tient unis dans un ineffable embrassement. Vous l’avez créée, cette intelligence, ô mon Dieu, pour vous-contempler sans voile dans un éternel et délicieux face à face. Elle l’espère de vôtre infinie miséricorde. Elle l’attend, non parfois sans une sainte et douloureuse impatience. Mais en attendant l’heure de la bienheureuse vision, elle s’efforce de vous deviner à tra vers les ombres nécessaires de la foi. Elle tâche de vous contempler comme si elle vous voyait, et comme si la lumière de gloire la tenait déjà définitivement captive de votre incomparable Beauté.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VII
177
Ô douce captivité ! Enchaînez aussi et surtout ma volonté, ô Jésus ! Qu’elle soit toute à vous, à jamais. Elle est faite pour le bien, et vous êtes, vous, ô mon Dieu, le Bien parfait. Elle aspire sans cesse au vrai bonheur, et le Bonheur, l’unique bonheur, c’est vous encore et vous seul. Même s’il ne devait rien lui revenir de sa donation, elle serait encore tenue de vous la faire. Le Bien absolu n’a-t-il n’a -t-il pas le droit de voir toutes les volontés qui n’ont d’autre cause et d’autre raison d’agir que lui, s’orienter, se soulever vers lui de toutes leurs forces et de toutes leurs énergies ? Puisqu’elles sont faites par lui et pour lui, elles ell es ne peuvent trouver leur vraie fin et leur vrai repos qu’en lui. Si elles sont libres, c’est uniquement pour pouvoir choisir, sans y être déterminées en vertu même de leur constitution intime, les moyens qui les conduiront le mieux à cette douce et parfaite captivité, source de tout bonheur, et lieu de leur complet repos. Que ma volonté soit captive de la vôtre, ô Jésus, qu’elle ne qu’elle ne puisse plus rien désirer, rien vouloir, rien réaliser, qu’en union qu’en union parfaite avec vous. La charité est une amitié. Elle suppose suppos e donc l’harmonie complète des volontés, les mêmes vouloirs et les mêmes non- vouloirs. non- vouloirs. Qu’il en soit ainsi désormais, ô mon Dieu ! Que ma volonté devienne en un sens très réel votre volonté, et qu’il vous soit possible de la mouvoir à votre gré. Cette absolue docilité, cette fusion, fera sa grandeur, sa no blesse, sa puissance, sa sécurité, son bonheur. « Servir Dieu, c’est régner gner ». Quelle liberté que cet esclavage, quelle domination que cette servitude, quel enrichissement que ce dépouillement ! Qui pourra dire ces choses comme elles méritent d’être dites, qui pourra les apprécier à leur vraie valeur ? Dissipez nos ténèbres, ô Esprit de Vérité, éclairez nos regards, afin que nous comprenions un peu ce que c’est pour notre volonté que d’être l’esclave du div in in Amour. QUAM PULCHRA ES ET QUAM DECORA , CARISSIMA , IN DELICIIS ( VII, 7). Que tu es belle, que tu es charmante, mon amour, au milieu des délices. Beauté de l’âme transformée en Jésus dont elle est le miroir vivant.
Cette donation totale et pratique de l’Épouse l’Épouse à l’Époux, en l’Époux, en retour de la captivité volontaire où celui-ci a bien voulu se réduire, rend la sainte Épouse plus belle et plus charmante que jamais. On dirait que Jésus, après avoir décrit une à une les perfections de l’âme fidèle, l’âme fidèle, s’arrête pour s’arrête pour la contempler comme d’un seul d’un seul regard. Et il est ravi ; elle lui apparaît plus belle que jamais, ce qui est vrai ; elle lui ressemble trait pour trait.
178
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
La voir, c’est c’est presque le voir lui-même : ils ont mêmes idées, mêmes sentiments, mêmes goûts, mêmes vouloirs, même but et mêmes mo yens. C’est l’harmonie vraie, l’harmonie vraie, profonde, parfaite, constante, à peu près immuable entre eux. Mais Jésus, c’est la c’est la Beauté incarnée, son Épouse le reflète comme un miroir sans tache et vivant, et cela parce qu’elle lui est intimement unie, unie, ne faisant plus en quelque sorte qu’un avec lui. Dieu aime vraiment une âme ainsi unie à Jésus et transformée en lui. Rien ne saurait donner une idée de la profondeur et de la délicatesse de cette affection. Tous les biens de Dieu sont à l’âme, elle s’en rend compte de plus en plus. Elle les goûte en parfaite sécurité, elle en disposé aussi en pleine liberté, mais toujours pour la plus grande gloire de son Dieu et la plus grande perfection des âmes qu’elle peut enrichir. Au milieu de sa joie d’aimer et de donner, de donner, elle ne songe presque pas à elle. Elle s’oublie. Dieu, lui, ne l’oublie pas. Il lui redit d’une manière toujours nouvelle la joie qu’il éprouve à la voir si bonne et si belle. On dirait que son Cœur adorable en est tout épris, et, au fond, c’est vrai. Quelle grâce que d’être aimé de la sorte par le bon Dieu ! Dieu ! Si on savait… comme on quitterait tout pour obtenir un tel bonheur ! STATURA TUA ASSIMILATA EST PALMAE, ET UBERA TUA BOTRIS ( VII, 8). Ta taille ressemble au palmier, et tes seins à ses grappes. L’âme intérieure, ferme sur sa base, droite dans son attitude, riche dans ses fruits, est un beau spectacle pour le regard de Dieu.
Après un moment d’admiration, l’Époux l’Époux reprend tout haut l’éloge de sa sainte Épouse. Il veut achever le portrait portra it qu’il a qu’il a commencé. L’âme intérieure, dès ses premiers élans dans la vie spirituelle, a subi l’irrésisl’irrésistible et doux attrait des hauteurs. De victoire en victoire, elle a poussé sa tige tout droit, comme le palmier, aussi près du Ciel et de Dieu qu’il lui a été possible. Un secret instinct lui disait que, là-haut, là- haut, l’air serait plus pur, l’horizon plus étendu, les choses spirituelles plus à portée, que son Dieu surtout serait mieux vu d’elle, plus aisément contemplé, plus constamment et plus silencieusement aimé. Puis, tout en se soulevant vers lui, elle mettait ses feuilles larges, souples, gracieuses, voile discret des fruits qu’elle commençait à porter et qu’elle voulait offrir à son Dieu Bien-Aimé, comme les prémices de sa tendresse. À chaque nouveau printemps spirituel, spirituel, l’âme s’est élevée plus haut, a poussé des feuilles plus abondantes et plus larges, et a porté de plus beaux fruits. Son ascension s’est faite, malgré les apparences, suivant une droite dont le point d’arrêt final est l’union parfaite avec Dieu. À mesure qu’elle montait vers le ciel, elle enfonçait plus avant ses racines
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VII
179
dans le sol de l’humilité, de l’obéissance, du renoncement. Ferme sur sa base, droite dans son attitude, riche dans ses fruits, elle est un beau spectacle pour les regards de Dieu. Ceux qui la connaissent, l’admirent. Ils sont frappés surtout par cette droiture, cette simplicité inimitable que donne à une âme humaine éprise de Dieu l’habitude de ne voir que lui, de ne vouloir que lui et de n’aimer que lui. Et maintenant, elle ne désire désir e plus qu’une chose, c’est que le BienBien Aimé daigne cueillir des fruits qui n’ont été portés que qu e pour lui. DIXI : A : A SCENDAM SCENDAM IN PALMAM, ET APPREHENDAM FRUCTUS EJUS ( VII, 9). J’ai dit : dit : Je monterai au palmier, j’en saisirai les rameaux. Joies saintes de l’âme fidèle sous l’étreinte du divin amour.
Réalisez votre parole, ô mon Dieu ! Puisque ce palmier ne vit que pour vous, daignez venir jusqu’à lui pour en saisir les rameaux et en cueillir les fruits. Tout est à vous. Quelle joie pour une âme que de sentir que vous que vous vous rapprochez rap prochez d’elle et que votre main paternelle, douce et forte tout ensemble, la saisit d’une manière mystérieuse, toute spirituelle, vraiment délicieuse ! Les caresses d’une mère d’une mère à son petit enfant, si délicates et si affectueuses qu’elles soient, qu’elles soient, ne sont qu’une imagé qu’une imagé grossière de votre divine étreinte. C’est d’un autre d’un autre ordre, où la matière n’a plus n’a plus de place. Oh ! les saintes joies, pures, profondes, paisibles, naïves, sans inquiétude, sans amertume et par ailleurs sans limites, au moment où elles se font goûter ! Elles ne durent pas toujours, c’est vrai, c’est vrai, mais lorsqu’elles lorsqu’elles cessent l’âme n’est pas n’est pas troublée de leur départ. Elles reviendront quand le bon Dieu reviendra. En attendant, la paix reste, et c’est c’est la paix du divin amour. ET ERUNT UBERA TUA SICUT BOTRI VINEÆ, ET ODOR ORIS TUI SICUT MA LORUM ; GUTTUR TUUM SICUT VINUM OPTIMUM (C ANT., VII, 9). Que tes seins soient comme les grappes de la vigne, le parfum de ton souffle comme celui des pommes, et ta bouche comme un vin exquis. La grâce et les richesses de l’âme intérieure vont croissant croissant chaque jour.
L’âme intérieure n’est jamais trop belle au gré de Jésus. Il lui veut toujours plus de grâce, il lui souhaite toujours plus de bien. Richesse
180
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
des grappes de la vigne aux grains dorés prêts à éclater, parfum délicat des pommes mûries au soleil d’automne, charme du vin le plus exquis : voilà ce que l’Époux divin désire, au spirituel, spiritu el, pour cette âme privilégiée. C’est que l’heure des fruits est venue. Ils sont nombreux, ils sont beaux. Ils sont mûrs. Rien ne peut donner une idée de cette multitude pressée et ordonnée d’actes d’amour, que l’âme intérieure produit alors avec une aisance, une facilité, une grâce et une perfection étonnantes. Tous les regards de ses yeux limpides, toutes les paroles de ses lèvres si pures, toutes les respirations de sa poitrine si délicate, tous les battements de son cœur brillant, tout cela est amour. Mais les véritables dispositions de l’âme, si cachées qu’on veuille les tenir, se manifestent toujours, tôt ou tard, au dehors. Elles répandent comme une sorte de senteur subtile qui les révèle, même aux plus inattentifs. L’âme intérieure n’échappe pas à cette loi. De tout elle-même, elle-même, mais surtout de sa bouche, c’est-à-dire c’est -à-dire de sa volonté, émane un doux parfum qui est comme « la bonne odeur du Christ » » 1 dont dont parle l’Apôtre. Dès qu’elle entr’ouvre les lèvres, dès qu’elle parle, ce parfum se répand comme ferait celui qui aurait été enfermé dans un vase clos, qu’on viendrait tout à coup à ouvrir. Il est délicat, pénétrant, bienfaisant ; il charme, il dilate, il réconforte, il élève. À le l e respirer on se sent devenir meilleur. L’intelligence s’éveille, la volonté se décide : aimer pour tout de bon le bon Dieu, aller vers lui coûte que coûte : voilà la résolution ferme qui se prend sous sa douce influence. Il n’a rien brisé, il a tout conquis. De plus, d’après la manière de parler des auteurs spirituels, la bouche de l’âme, c’est sa volonté. C’est par l’intermédiaire de cette faculté où se trouve la charité que l’union avec Dieu se réalise. L’amour est un vin exquis qui s’échappe alors de ses lèvres comme d’un pressoir mystérieux. Voilà pourquoi l’Époux compare la volonté elle-même elle -même a la délicieuse liqueur dont elle est la source. Il ne veut de son Épouse que cette seule chose, l’amour. C’est l’amour seul qui l’honore, le glorifie, le réjouit. Les qualités du vin le plus chaud, le plus coloré et le plus fin, ne sont qu’une grossière image de tout ce que renferme de perfections l’amour si profond, si pur et si tendre de l’âme intérieure pour son Dieu. Il le sait bien. Il savoure en quelque sorte cette joie d’être aimé, non qu’il en ait besoin certes pour être heureux, mais pour réjouir à 1 II
Cor., II, 15.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VII
181
son tour par son air de bonheur le cœur aimant de sa très fidèle Épouse. DIGNUM DILECTO MEO AD POTANDUM, LABIISQUE ET DENTIBUS ILLIUS AD RUMINANDUM (C ANT., VII, 10). Qui coule aisément pour mon Bien-Aimé, qui glisse sur les lèvres de ceux qui s’endorment. Ce vin exquis sera réservé pour Jésus seul.
Vous souhaitiez de nouvelles perfections à votre sainte Épouse, ô mon Dieu, et voilà que, tout heureuse, elle vous fait don de ce que vous lui aviez souhaité. Elle est ravie de savoir que sa bouche va distiller un vin exquis. Elle vous demande qu’il coule pour vous, son Bien-Aimé, Bien-Aimé, qu’il coule coule aisément et comme tout seul. Vous avez soif de notre amour, am our, ô mon Dieu ! Puisque c’est vous qui nous le donnez, il est bien juste qu’il vous soit réservé. Étanchez votre soif, ô Dieu de miséricorde et de bonté ! Buvez cet amour si pur, si riche, si fort, si délicat qui sort du cœur spirituel s pirituel de votre bien-aimée. Elle est ravie de vous désaltérer, elle voudrait toujours le faire. Son ambition serait même que, sous la douce influence de ce vin mystérieux, vous daigniez vous endormir paisiblement au dedans de dans d’elled’ellemême, sur son cœur. C’est C’est la faveur que vous accordez aux âmes vraiment affranchies des servitudes de la matière, et qui vous aiment à mourir. EGO DILECTO MEO, ET AD ME CONVERSIO EJUS (C ANT., VII, 11). Je suis à mon Bien- Aimé, Bien- Aimé, et c’est vers moi qu’il porte ses désirs. L’âme fidèle est la désirée du Cœur divin.
Être à Dieu ! Être l’objet des l’objet des désirs de Dieu, quelle grâce et quelle joie ! C’est la C’est la grâce et c’est la c’est la joie que Dieu réserve à l’âme fidèle. l’âme fidèle. Elle est bien toute à son Bien-Aimé, puisqu’elle se puisqu’elle se change tout entière en amour pour étancher la soif qui le consume. Elle sait cela ; elle se rend compte de l’honneur qui lui est fait par son Dieu lorsque celui-ci veut bien accepter de boire le vin exquis qu’elle lui a préparé. Plus elle se donne à lui, plus il se penche vers elle. Elle Elle a gagné le cœur de Dieu, elle comprend qu’elle exerce sur lui
182
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
comme une sorte de charme irrésistible. Elle est la préférée du Cœ ur divin ; elle est sa désirée. Qu’elle est douce pour votre Épouse, ô Jésus, cette constatation évidente : qu’elle est vraiment vraim ent et définitivement tout à vous et que, d’autre part, elle est arrivée, par la pureté et la simplicité de son amour, à se faire désirer de vous comme si elle était votre unique bien et votre seule joie. V ENI ENI, DILECTE MI, EGREDIAMUR IN AGRUM, COMMOREMUR IN VILLIS (C ANT., VII, 12). Viens, mon Bien-Aimé, sortons dans les champs, passons la nuit dans les villages. Impérieux besoin de solitude ; lumière sur les perfections divines.
Puisque vos délices vous attirent vers moi, semble dire ici l’âme intérieure, suivez-les, ô mon Dieu ; venez. Et pour que notre intimité ne soit pas troublée par le bruit ou par des visites importunes, sortons, allons dans les champs. Là, nous serons plus seuls, plus, tranquilles, plus l’un à l’autre. Oh ! ce besoin de solitude profonde, profo nde, de silence absolu, d’isolement complet, comme il est mystérieux alors ! L’âme éprise d’amour voudrait tout quitter, même son corps, pour mieux goûter son Dieu bienaimé. Tout ce qui l’arrête dans son élan, tout ce qui gêne si peu que ce soit son cœur à cœur avec Dieu, Dieu, lui est à charge. Se libérer, s’affrans’affranchir, puis sortir avec lui et s’enfoncer toujours avec lui dans cette zone de silence que rien ne limite, condition du bonheur sans mesure qu’elle goûte déjà et qu’elle veut goûter sans fin, voilà le le désir qui la presse et la fait parler ainsi. Quand l’âme intérieure se sépare de tout pour s’unir à Dieu, elle entre dans une sorte de nuit spirituelle. Ses facultés naturelles de connaître ne fonctionnent plus selon leur mode ordinaire. À cet égard, elles elles s’éteignent. Mais c’est pour permettre à une lumière toute différente d’éclairer l’âme afin de lui faire connaître Dieu et les choses to ut autrement et beaucoup mieux. Dans cette nuit, qu’il conviendrait d’appeler un jour tout nouveau, certaines vérités, certains attributs de Dieu prennent un air et un relief vraiment insoupçonnés jusqu’alors. L’âme s’arrête pour les contempler à l’aise. Elle s’y repose comme dans un « village ». village ». Puis, toujours sous le charme de cette lumière cendrée, mille fois plus belle que le jour, constamment unie à son Dieu, elle reprend sa douce marche
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VII
183
jusqu’à ce qu’elle rencontre d’autres vérités à contempler et d’autres aspects des choses divines à admirer. M ANE SURGAMUS AD VINEAS ; VIDEAMUS SI FLORUIT VINEA , SI FLORES FRUCTUS PARTURIUNT, SI FLORUERUNT MALA PUNICA ; ; IBI DABO TIBI UBERA MEA (C ANT., VII, 13). Dès le matin, nous irons aux vignes. Nous verrons si la vigne bourgeonne, si ses bourgeons se sont ouverts, si les grenadiers sont en fleurs. Là, je te donnerai mon amour. Preuves Preuves de l’action divine ; aux fruits on connaît l’arbre. L’amour enfin atteint son terme et unit à jamais l’Époux à l’Épouse.
La nuit mystérieuse où l’âme vit en silence dans la contemplation paisible de son Dieu ne dure pas toujours. Il faut revenir au mode ordinaire de vivre. Mais outre que l’âme, en revenant dans ce monde intérieur, qu’elle avait quitté pour suivre Dieu jusqu’en Dieu même, n’y revient pas telle qu’elle était à son départ, la vie d’amour l’ayant transformée profondément, il se trouve que cette même intimité divine a exercé la plus heureuse des influences sur les facultés et sur les vertus de l’âme. Là aussi, il y a du nouveau, c’est le printemps, la vigne bourgeonne, les bourgeons s’ouvrent ou vont s’ouvrir, les grenadiers poussent leurs feuilles feuilles et leurs fleurs. À l’heure où elle parle, la sainte Épouse ne contemple pas encore ce beau spectacle, mais elle se propose de le faire dès les premières lueurs de l’aube. Bien qu’aux moments qu’aux moments bénis de l’union, en l’union, en effet, l’âme intérieure l’âme intérieure ne puisse pas douter que ce qui se passe au plus intime d’elle-même d’elle-même ne soit l’œuvre de l’œuvre de Dieu, il lui arrive cependant après, quand elle est revenue à la vie courante, de se demander avec un peu d’inquiétude, mais toutefois sans trouble, si, dans son cas, l’illusion n’a point p oint quelque part. Elle voudrait une sorte de preuve, facile à saisir et tout à fait indiscutable. Elle sait qu’il n’y a pas à attendre une révélation miraculeuse. Alors, elle se souvient de la parole de Jésus : « Aux « Aux fruits on connaît l’arl’ar bre » bre » 1, et elle elle se l’applique à elle-même. elle-même. Avec le plus grand soin, elle examine si les vertus ont grandi en elle, si elles portent des fruits d’hu milité, de douceur, de patience, de bonté, de charité, de renoncement, de sacrifice, etc., ou si, du moins, elles promettent promette nt d’en porter, et bientôt. Alors, mais alors seulement, elle se rassure tout à fait. Et c’est alors aussi qu’elle donne définitivement son amour. La di vine charité est une réalité mystérieuse, surnaturelle, qui modifie, 1 Matth., VII, 16.
184
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
transforme la volonté sans en changer la nature, la rend comme participante de la volonté de Dieu, et fait d’elle une sorte d’appétit spirituel du divin. Cette modification profonde de la volonté devient le principe d’un mouvement dont Dieu pleinement possédé est le terme. Ce je ne sais quoi de divin qui a été infusé par la volonté est un commencement, il appelle un achèvement. Il le fait avec d’autant plus de force qu’il est lui-même lui-même plus développé. Parvenu au point de perfection où il se trouve dans la sainte Épouse, sûr de sa divine origine par les fruits qu’il porte ou qu’il annonce, il peut maintenant, en parfaite sécurité, se précipiter vers son divin objet et s’unir à lui tout à fait. C’est vraiment l’heure de la donation définitive. L’amour atteint enfin son terme. Il unit pour jamais ces deux cœurs. « Mihi « Mihi autem adhaerere Deo, bonum est » » 1. M ANDRAGORAE DEDERUNT ODOREM. IN PORTIS NOSTRIS OMNIA POMA : : NOVA ET VETERA , DILECTE MI, SERVAVI TIBI (C ANT., VII, 14). Les mandragores font sentir leur parfum. Et nous avons à nos portes tous les meilleurs fruits. Nouveaux et vieux, mon Bien Aimé, je les ai gardés pour toi. L’âme multiplie pour son Bien-Aimé Bien-Aimé ses amoureuses délicatesses.
Quand le Bien- Aimé Bien- Aimé s’absente, s’a bsente, l’âme intérieure ne l’oublie l’oubl ie pas. Elle ne cesse au contraire de penser à lui. Elle vit de souvenirs et d’espérance : d’espérance : souvenir de la douceur de sa présence, du charme de son intimité, du bonheur de sa possession ; espérance de son prochain retour, des cadeaux qu’il ne manquera pas de rapporter à sa fidèle Épouse, car il ne revient jamais les mains vides, et aussi de la joie qu’elle goûtera à lui offrir les fruits « nouveaux et vieux » » du jardin de son cœur. Elle les tient en réserve, exprès pour cet heureux moment. Quel bonheur de pouvoir lui dire alors : « J’ai pensé à vous jour et nuit, ô mon Jésus, ô mon Dieu, j’ai travaillé pour vous. Voici les fruits de mon amour ! Respirez leur parfum plus doux que celui des mandragores. Je les mets dans vos mains, ils sont à vous, mangez-les tous, ô mon Bien-Aimé ».
1 Pour
moi, être uni à Dieu, c’est mon bonheur (Ps. LXXII, 28).
Chapitre VIII QUIS MIHI DET TE FRATREM MEUM, SUGENTEM UBERA MATRIS MEAE, UT INVENIAM TE FORIS ET DEOSCULER TE, ET JAM ME NEMO DESPICIAT ? (C ANT., VIII, 1). Oh ! que n’esn’es-tu mon frère, que n’as-tu n’as -tu sucé le sein de ma mère ! Te rencontrant dehors, je t’embrasserais sans m’attirer le mépris. Plaintes de l’âme aimante qui ne ne peut donner à son Dieu des marques extérieures de son amour.
Une des souffrances, et non des moindres, de la sainte Épouse, c’est de ne pas ne pas pouvoir donner à son Dieu, du moins autant qu’elle le voudrait, des marques extérieures exté rieures de son amour. amour . Il faut qu’elle arrête les élans de son cœur et qu’elle étouffe le cri toujours prêt à jaillir de ses lèvres. On ne la comprendrait pas, ou, ce qui est pire, on la comprendrait mal. On ne verrait que les ressem blances superficielles su perficielles de son s on amour avec l’amour humain. On ne saisirait pas les différences profondes, irréductibles, de ces deux sortes d’affection. Elle passerait pour une égarée, une folle même, ou du moins une malade. Elle éveillerait la pitié au sourire dédaigneux. Il lui semble semble qu’elle serait comme enveloppée de mépris. Elle craint surtout que Celui qu’elle aime tant en reçoive quelque atteinte, et elle presse alors son cœur pour qu’il n’éclate pas. Elle ferme ses lèvres, elle se tait. Il lui reste cependant une ressource, celle de se plaindre doucement a son Dieu. Elle en use. Elle exprime ses regrets et témoigne ainsi de nouveau son amour : « Si au vu et au su de tous, ô Jésus, j’étais votre sœur, j’aurais toute liberté pour vous manifester mon affection au dehors. Nul ne s’en étonnerait, nul n’en serait surpris, nul n’en serait scandalisé. Et je serais bien heureuse. Ce n’est pas que j’attache de l’importance aux signes sensibles. Ils ne valent point par eux-mêmes, eux -mêmes, ils ne sont pas de même ordre que mon amour. Mais, à certaines heures, quand le cœur est brûlant, il se sent pressé de jeter des flammes, il fait jaillir des larmes sous les paupières, il ouvre les lèvres comme malgré elles ». ». À tout prix, il faut qu’il se dise, où que l’on soit et sous quelque forme que ce soit. Quel supplice de ne pouvoir alors le faire pleinement à son gré ! Ô Jésus, que n’êtes-vous n’êtes-vous tout à fait notre frère !
186
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
A PPREHENDAM PPREHENDAM TE ET DUCAM IN DOMUM MATRIS MEAE, IBI ME DOCEBIS (C ANT., VIII, 2). Je voudrais t’amener, t’ introduire introduire dans la maison de ma mère, pour y recevoir tes leçons. L’âme intérieure, enfant de la sainte Vierge et sa propriété, aspire à recevoir sous ses yeux les enseignements divins.
Toute âme intérieure est enfant de lu très sainte Vierge ; elle a Marie pour mère. Elle s’est donnée à cette cett e mère si bonne en toute propriété. Elle est devenue comme la demeure de Marie ; elle est ainsi, sous cet aspect, la maison de sa mère. Et c’est là, dans cette maison bénie, qu’elle voudrait amener et introduire son bien-aimé Jésus. Là, en effet, loin de la foule des curieux inintelligents ou indiscrets, dans la compagnie et sous le regard de sa sainte Mère, la douce Vierge Marie, elle se fera l’élève attentive et docile du Sauveur. Elle a tant et de si belles choses à apprendre de lui ! Il les a dites au monde, c’est vrai, aux jours de sa vie mortelle, mais ne faut -il pas qu’il les redise à chaque âme en particulier, dans de délicieux entretiens pendant lesquels l’esprit s’illumine et le cœur s’échauffe !… Mais, oui ! oui ! et voilà pourquoi l’Épouse désire tant que Jésus vienne dans la maison de sa mère, c’est-àc’est-à-dire dire dans son cœur à elle. La lumière n’est pas tout, mais elle est le commencement de tout. Pour aimer, il faut connaître ; pour agir, il faut voir. Normalement, plus on connaît et mieux on voit, plus on aime et mieux on agit. Vous êtes, êtes , ô Jésus, le Verbe éternel de Dieu fait f ait homme, hom me, la l a lumière lu mière du monde. Qui ne vous suit pas, marche dans les ténèbres ; mais qui vous suit, monte peu à peu vers les régions de l’éternelle clarté. Comme il est bon de se faire votre disciple et de vous écouter ! Parlez, ô Sauveur, parlez à mon âme, elle est tout attentive à vos di vines leçons. Montrez-lui, Montrez-lui , dans une lumière toujours grandissante, l’inépuisable, l’incomparable l’incomparable richesse du « don de Dieu ». Dieu ». Si elle pouvait, grâce à vous, mieux comprendre le mystère de votre sainte présence en elle, comme Verbe, toujours uni au Père et à l’Esprit d’amour, et menant là, tous trois, dans le plus profond silence, votre vie bienheureuse, comme elle serait heureuse à son tour et comme elle vous bénirait ! Parlez.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VIII
187
ET DABO TIBI POCULUM EX VINO CONDITO ET MUSTUM MALORUM GRA NATORUM MEORUM (C ANT., VIII, 2). Et je te ferai boire le vin aromatisé, le jus de mes grenades. Recevoir, puis donner, voilà les deux mouvements qui constituent comme le fond ou la matière du rythme de l’âme aimante. Quel est le plus doux ? Donner, semble-t-il, semble-t-il, d’après la parole même de Jésus rapportée par saint Paul : « Beatus « Beatus est magis dare quam accipere » accipere » 1. La sainte Épouse a reçu les leçons de son Bien-Aimé. Elle s’en s’en est nourrie. Sous l’influence de cette parole qui opère ce qu’elle signifie, l’amour divin s’est enflammé dans son cœur. Il a excité puissamment toutes les vertus à porter leurs fruits. De ces fruits, l’âme intérieure a extrait comme une liqueur, où a passé pa ssé le meilleur d’eux-mêmes, d’eux-mêmes, leur saveur, leur parfum, leur essence. Et c’est ce « vin aromatisé », aromatisé », « ce jus de grenades » qu’elle offre maintenant à son Dieu comme un hommage de reconnaissance, un réconfort, une sorte de récompense de la peine qu’il a bien bie n voulu se donner pour l’instruire des mystères de la divine charité. L AEVA EJUS SUB CAPITE MEO, ET DEXTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME (C ANT., VIII, 3). Sa main gauche soutient ma tête, et sa droite me tient embrassée. Mystérieux échange de témoignages d’affection. d’affection.
Jésus éclaire et embrase l’âme intérieure. l’âme intérieure. Celle-ci lui prépare et lui donne à boire le délicieux breuvage de son amour. Il daigne l’accepter. En retour, il envoie un sommeil profond à sa bien-aimée. Elle s’endort. Mais en s’endormant de s’endormant de ce sommeil de l’amour divin, l’amour divin, elle se rend compte de ce qui se passe en elle. Elle se sent entre les mains de son Dieu. Sa tête repose doucement sur la main gauche du Bien-Aimé, et celui-ci, de sa main droite, la tient fortement embrassée. Elle n’a rien n’a rien à craindre, elle peut se laisser gagner de plus en plus par le doux sommeil qui l’envahit. Dieu l’envahit. Dieu lui-même la garde, Dieu la protège, Dieu la soutient. Elle peut dormir à tout pour mieux vivre à Dieu. 1
Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir (Act., XX, 35).
188
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Sur ses lèvres, avant de s’endormir, remonte la prière de la confiance et et de l’amour. Elle la redit en lui découvrant un sens profond qu’elle ne connaissait pas. « In « In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum » meum » 1. A DJURO DJURO VOS, FILIAE JERUSALEM , NE SUSCITETIS , NEQUE EVIGILARE FA CIATIS DILECTAM, DONEC IPSA VELIT (C ANT., VIII, 4). Je vous en conjure, filles de Jérusalem, ne réveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée bien-aimée avant qu’elle le veuille. La prise de possession d’une âme humaine par l’amour divin est une une vraie mission divine.
Quand l’âme intérieure dort en Dieu, il faut à tout prix respecter son mystérieux sommeil. Elle paraît inactive et comme morte : elle agit au contraire plus que jamais, elle vit de la vraie vie, de la vie même de Dieu. Quel honneur pour la terre que cette prise de possession d’une âme humaine par l’amour l’amour divin ! C’est une vraie visite de Dieu au monde. C’est une vraie « mission divine » avec tout ce qu’elle apporte de lumière, de force, de paix, de bonheur à cette âme privilégiée et, par elle, à toutes les âmes de bonne volonté, et même aux malheureux prodigues qui soutirent de la faim, loin du toit paternel. « Ô Esprit d’Amour, envoyez à beaucoup d’âmes ce bienfaisant sommeil. Vous y trouverez votre gloire. Nous y trouverons le gage d’une espérance qui ne trompe pas ». pas ». À nous de respecter ce repos sacré de l’Épouse. l’Épouse. Il y a temps pour tout dans la vie spirituelle. Il est des heures que le bon Dieu veut voir employées employé es à l’apostolat. C’est le moment pour l’âme l ’âme intérieure d’essayer de traduire l’intraduisible et de dire aux autres quelque chose de ce qu’elle qu’elle a entrevu de la beauté de Dieu, de ce qu’elle a goûté de son ineffable douceur. Mais il est d’autres heures, plus nombreuses peut-être, peut-être, qui sont réservées à Dieu tout seul. L’âme laisse là toutes choses pour s’occuper exclusivement du Bien-Aimé. Elle adore, elle aime « en esprit et en vérité ». Parfois, c’est elle qui commence cette silencieuse adoration ; adoration ; parfois c’est Dieu luilui -même qui l’appelle comme il sait le faire et à l’heure choisie par lui. Il endort cette âme aimante, afin qu’elle puisse aimer tout à son aise. 1 Seigneur,
je remets mon esprit entre vos mains (Ps. XXX, 6).
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VIII
189
Nul n’a le droit de venir interrompre ce mystérieux sommeil ; sommeil ; nul ne le pourrait, au reste, que sur permission de Dieu. QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT DE DESERTO , DELICIIS AFFLUENS , INNIXA SUPER DILECTUM SUUM ? (C ANT., VIII, 5). Quelle est celle-ci qui monte du désert, appuyée sur son Bien Aimé ? Les âmes parvenues à l’union divine font l’admiration des anges et des saints.
Une des joies réservées aux anges et aux saints doit être de connaître et d’admirer les âmes parvenues à l’union divine dès ce dès ce monde. Ne sont-ce pas déjà des âmes célestes ? Ne vivent-elles pas sur la terre de la vie du ciel ? Ne doivent-elles pas faire partie du peuple élu et y occuper un rang d’honneur d’honneur ? Si donc il est donné aux heureux habitants du Paradis de contempler ces épouses privilégiées du Christ Jésus, ils doivent grandement se réjouir et se communiquer leur joie à la vue d’un si beau spectacle : spectacle : Jésus permettant à une pauvre petite créature, comblée de ses faveurs, humble et fière tout ensemble, aimante et pure, riche et simple, belle et modeste, gracieuse et forte, douce et vaillante, de s’appuyer sur lui avec confiance, avec affection et de s’avancer ainsi vers le Ciel ! Ciel ! SUB ARBORE MALO SUSCITAVI TE ; IBI CORRUPTA EST MATER TUA , IBI VIOLATA EST GENITRIX GENITRIX TUA (C ANT., VIII, 5). Je t’ai réveillée, sous le pommier. Voilà l’endroit où ta mère t’a en fantée, c’est là qu’elle t’a enfantée, qu’elle t’a donné le jour. Au pied de la Croix, Marie a enveloppé d’une affection spéciale ceux qui devaient suivre Jésus de plus près.
C’est au pied de la Croix que l’âme intérieure a senti s’éveiller en son cœur, pour la première fois, l’amour profond de Dieu. Il était le fruit des souffrances de Jésus, il était comme une étincelle tombée de son divin Cœur dans le cœur de celle dont il v oulait oulait faire son Épouse. Elle méditait peut-être, peut-être, tout près de l’autel et du tabernacle, le grand mystère d’amour de la Passion rédemptrice, lorsqu’elle a éprouvé les premières atteintes de ce feu intérieur qui devait tout d’abord la tourmenter pour la purifier, puis la fondre et la liquéfier tout entière pour la mieux transformer. Oui, la Croix de Jésus est bien ce pommier mys-
190
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
tique, sous lequel les âmes prennent naissance, soit à la vie surnaturelle ordinaire, soit à la vie intérieure proprement dite. C’est l’arbre de Vie, et c’est vous, ô Jésus, qui q ui en êtes le fruit mille fois fo is béni. C’est au C’est au pied de la Croix que la Très Sainte Vierge Marie nous a tous adoptés comme ses enfants dans la personne de l’Apôtre bien -aimé. Cependant, parmi ses fils d’adoption, il il en est que Marie enveloppe d’une affection toute spéciale, ce sont ceux qui suivent de plus près son divin Jésus, ceux qui lui sont unis par une amitié plus profonde, ceux en qui elle le retrouve presque trait pour trait. Pour eux, elle est mère comme en plénitude. Ils sont ses « fils « fils » » préférés. Et comme sa maternité date de la Croix, il est bien juste que Jésus rappelle à ses privilégiés que c’est là, dans la souffrance du plus dur des martyres, que leur mère très douloureuse leur a vraiment donné le jour éternel. « Sancta « Sancta Mater istud agas, crucifixi fige plaças cordi meo valide » 1. PONE ME UT SIGNACULUM SUPER COR TUUM , UT SIGNACULUM SUPER BRACHIUM TUUM (C ANT., VIII, 6). Mets-moi Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. À la prière de l’ âme âme fidèle, le Tout-Puissant semble se mettre à la disposition de la toute faiblesse.
Comment ne pas aimer d’un amour d’un amour immuable Celui qui nous aime tant ? Au souvenir de tout ce que Jésus a souffert pour elle, de la Mère incomparable qu’il lui qu’il lui a donnée à la Croix, l’âme intérieure l’âme intérieure bouillonne d’amour. Elle d’amour. Elle est soulevée tout entière vers son Bien-Aimé. Dans son élan, elle va droit au cœur. C’est là qu’elle qu’elle veut s’imprimer s’imprimer à jamais comme un sceau, afin que son Dieu ne puisse plus ne pas la voir, et par suite ne puisse plus ne pas l’aimer. L’indissolubilité, l’éternité de l’union d’amour, voilà d’amour, voilà ce que la sainte Épouse désire, demande, espère, attend de la bonté du Dieu de son cœur. Être comme un sceau vivant et indélébile sur le cœur même du Dieu vivant : vivant : quel honneur, quelle joie, et on peut bien le dire, quelle sainte ivresse ! Mettre son cachet sur une chose, n’est-ce n’est-ce pas en prendre possession ? Le « chiffre » n’est-il n’est-il pas une marque et une preuve de propriété ? Si donc, ô mon Dieu, vous permettez à votre sainte Épouse de vous marquer à son chiffre, c’est que vous consentez à lui appartenir à un titre tout spécial et d’une mad’une manière plus profonde que jamais. C’est vous C’est vous au fond qui vous imprimez librement sur le cœur le cœur le sceau de votre bien-aimée. Pour bien montrer 1 Liturgie, Stabat. Liturgie, Stabat.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VIII
191
qu’elle vous qu’elle vous apparietenait pour toujours, une sainte Chantal n’hésitait pas à tracer au fer rouge sur son cœur votre cœur votre nom béni, ô Jésus ! Elle de vait en le faisant vous supplier de mettre me ttre son âme comme un sceau sur votre Cœur. Et vous avez certainement certainem ent exaucé exau cé sa prière qui est celle de tous les saints. Elle vous appartenait, ô mon Dieu, mais vous lui apparteniez aussi et à jamais. Dès qu’on a qu’on a gagné le cœur de cœur de Dieu, on dispose de sa toute-puissance. S’il veut bien placer l’âme fidèle comme un sceau sur son cœur, il la pose aussi au même titre sur son bras. C’est un fait constant dans la vie des saints que cette mise à leur service de la force toute-puissante toute -puissante de Dieu. Si l’on osait, on ferait dire par Dieu lui-même, lui-même, parlant de sa sainte Épouse, la parole de Jésus parlant de son Père : « Quae placita sunt ei facio semper » semper » 1. Elle serait, ainsi entendue, tout à fait vraie. Le bras de Dieu soutient l’âme vraiment intérieure, il la protège, par moments il la porte ; souvent il la sert comme ferait un instrument aux aptitudes universelles tout à la fois puissant, intelligent et docile. Le Maître semble se faire esclave, et la Toute-Puissance se mettre à la disposition de la toute faiblesse. C’est que l’Amour, de deux volontés, n’en a plus fait en quelque façon qu’une qu’un e seule. Seigneur, quand me mettrez-vous comme un sceau sur votre bras ? QUIA FORTIS EST UT MORS DILECTIO ; DURA SICUT INFERNUS AEMULA TIO (C ANT., VIII, 6). Car l’amour est fort comme la mort, sa jalousie est inflexible comme le séjour des morts. La sainte Épouse semble répondre ici à une question qui pourrait lui être adressée en ces termes : « Pourquoi désirez-vous désirez -vous tant que votre divin Époux vous mette comme un sceau sur son bras ? — Pour me témoigner son amour. — Mais l’amour est-il est-il donc quelque chose de puissant, capable de vous défendre et de vous protéger ? — L’amour, mais il est fort comme la mort, on ne lui arrache pas plus ceux qu’il garde que l’on n’arrache les morts à leur séjour. Ne doutez donc pas de la puissance du divin amour. Ce qu’il garde est bien gardé, ce qu’il protège est bien protégé, ce qu’il tient en ses mains ne saurait lui être enlevé. La mort est forte, mais pour détruire. L’amour est fort, mais pour édifier, vivifier, béatifier. Heureux mille fois celui que l’amour consume, il vit de la vie même de Dieu, il est en Dieu ». « Deus « Deus caritas est, et qui manet in caritate in Deo manet et Deus in eo… » 2. 1 Je
fais toujours ce qui plaît à mon Père (Joan., VIII, 29). qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui (I Joan.,
2 Celui
IV , 16).
192
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
L AMPADES EJUS, LAMPADES IGNIS ATQUE FLAMMARUM (C ANT., VIII, 6). Ses ardeurs sont des ardeurs de jeu, une flamme de d e Jéhovah. L’amour divin, feu dévorant, ne détruit pas ; il transforme.
L’amour divin est un feu dévorant. Il pénètre l’âme jusque dans son fond. Il la brûle, il la consume, il ne la détruit pas. Il la transforme en lui-même. lui-même. Le feu matériel qui pénètre le bois jusqu’à ses dernières der nières fibres et le fer jusqu’à la plus cachée de ses molécules, voilà son image, i mage, mais combien imparfaite ! Par moments, sous l’influence d’une grâce plus forte, l’âme embrasée d’amour divin lance des flammes. Elles montent droit vers Dieu. Il est leur principe principe comme il est leur fin, c’est pour lui en effet que l’âme se consume, consume, c’est lui qui la consume. La charité qui soulève l’âme est une participation créée, finie, analogique, c’est vrai, de la charité incréée, mais c’est une participation réelle, positive, formelle de cette flamme substantielle de Jéhovah. A QUAE QUAE MULTAE NON POTUERUNT EXTINGUERE CARITATEM, NEC FLUMINA OBRUENT ILLAM (C ANT., VIII, 7). Les grandes eaux ne sauraient éteindre l’amour, ni les fleuves le submerger. Les épreuves excitent et dével oppent oppent l’amour.
Les épreuves, loin de paralyser ou de diminuer, s’il était possible, l’amour qui consume l’âme intérieure, l’excitent au contraire et l’oblil’obli gent à se développer. On dirait qu’il en est de l’âme aimante comme d’un feu de forge sur lequel on jette on jette de l’eau. Pendant un instant, la flamme s’éteint, le feu disparaît, mais c’est pour reparaître de nouveau plus ardent que jamais. Que s’est-il s’est-il donc passé ? Le feu a triomphé de l’eau et même il s’en est comme nourri, il a pénétré jusqu’au sein de son adversaire, l’a divisé, a saisi l’oxygène et s’en est servi pour renouveler ses forces. Ce qui devait l’éteindre le rallume, ce qui devait lui donner la mort lui apporte comme une vie nouvelle. Ainsi en va-t-il va-t-il de l’âme embrasée du feu de l’amour divin. Dans l’épreuve, elle va chercher la volonté de son Dieu qui s’y cache : cache : elle la saisit de toutes toutes ses forces, s’en nourrit véritablement. La souffrance est le pain quotidien du saint amour.
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VIII
193
SI DEDERIT HOMO OMNEM SUBSTANTIAM DOMUS SUAE PRO DILECTIONE, QUASI NIHIL DESPICIET EAM (C ANT., VIII, 7). Qu’un homme veuille acheter l’amour au prix de toutes les richesses de sa maison, il ne recueillera que la confusion. Pour que le cœur se remplisse de la divine charité, il faut qu’il se vide de tout ce qui n’est pas Dieu. pas Dieu.
Fort, brûlant, inextinguible, l’amour divin ne saurait enfin être acquis à prix d’or. Les richesses de la terre ne sont rien auprès de lui. Il en est de même des richesses de l’esprit. Croire qu’on peut l’obtenir par le moyen de ces biens naturels, c’est c’est ne pas comprendre ce qu’il est. À vouloir faire un pareil-marché, on ne recueille que la confusion. Dieu donne son cœur et son amour aux simples, aux petits, aux humbles, aux pauvres en esprit. C’est en se faisant pauvre que l’on acquiert ce trésor si si précieux, c’est en devenant ignorant que l’on obtient la science du divin amour. Pour que le cœur se remplisse de la sainte charité, il faut qu’il soit vide de tout ce qui n’est pas Dieu : Dieu : « Je « Je vous bénis, Père, Seigneur Seig neur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents et les avez révélées aux petits. Oui Père [je vous bénis] de ce qu’il vous a plu ainsi » » 1. SOROR NOSTRA PARVA ET UBERA NON HABET ; QUID FACIEMUS SORORI NOSTRAE IN DIE QUANDO ALLOQUENDA ALLOQUENDA EST ? (C ANT., VIII, 8). Nous avons une petite sœur, qui n’a pas encore de mamelles. Que ferons-nous ferons-nous à notre sœur le jour où on la recherchera ? Sollicitude des anges et des saints du Ciel pour notre perfection.
Pour les anges et les saints du Ciel, les âmes intérieures, même les plus parfaites, sont encore des enfants à certains égards. Eux, les aînés, en pleine possession de leur gloire, éclairés par la lumière de Dieu, voient clairement ce qui peut manquer encore à leur « petite sœur », sœur », pour qu’elle soit digne de contracter l’alliance éternelle avec le Bien Aimé. Ils espèrent que cette enfant grandira vite et que le jour où son Dieu « la recherchera » viendra bientôt. Ils s’en préoccupent, ils se demandent dans leur sollicitude fraternelle ce qu’ils pourraient bien faire pour elle. Quel beau et consolant mystère que celui de la communion 1 Matth.,
XI, 26.
194
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
des saints ! Comme il est bon de penser que nos aînés ne nous oublient pas, et qu’ils mettent leur bonheur à nous enrichir pour le ciel ! ciel ! SI MURUS EST, AEDIFICEMUS SUPER EUM PROPUGNACULA ARGENTEA ; ; SI OSTIUM EST, COMPINGAMUS ILLUD TABULIS CEDRINIS (C ANT., VIII, 9). Si elle est un mur, mu r, nous lui ferons des créneaux d’argent ; d’argent ; si elle est une porte, nous la fermerons avec des ais de cèdres. Tout ce qui embellit une âme tourne au profit des autres âmes.
On peut comparer l’âme intérieure à un mur établi autour d’une ville pour la protéger et l’orner. Les âmes vraiment unies à Dieu sont la force et la parure de l’Église. Mais si elles sont enrichies des dons particuliers de l’Esprit-Saint, l’Esprit-Saint, elles deviennent plus belles et plus utiles encore. Des créneaux ornent les murailles et permettent aux défenseurs de la cité de mieux voir l’ennemi, d’être plus à couvert de ses coups et de l’atteindre, lui, plus facilement. Ainsi en va-tva -t-il il dans l’ordre spirituel : tout ce qui fortifie et embellit une âme intérieure tourne au profit des autres âmes. Elle les protège mieux, elle les défend mieux, elle leur permet de vivre dans une plus grande sécurité et comme dans la paix. Mais l’âme intérieure est aussi une porte por te par laquelle on entre dans le royaume de Dieu. En vertu d’une grâce spéciale, elle attire à elle. Les âmes de bonne volonté ont comme l’intuition que, par son intermédiaire, elles se réconcilieront avec Dieu, si elles l’ont offensé ; elles feront des progrès progrès rapides dans l’amitié divine si elles la possèdent déjà. Plus cette âme intérieure est belle, plus elle rayonne autour d’elle la charité. Cependant, il faut aussi qu’elle soit forte, car l’ennemi de tout bien, directement ou indirectement, l’attaque. Il sait tout le mal qu’elle empêche, tout le bien qu’elle fait, tout celui qu’elle fait faire. Il est jaloux, il est parfois furieux, il met tout en œuvre pour la renverser. Mais les anges et les saints de Dieu sont là. Ils veillent. À l’heure marquée, ils la ferment avec des ais de cèdre, et le démon fuit, tout honteux. EGO MURUS, ET UBERA MEA SICUT TURRIS, EX QUO FACTA SUM CORAM EO QUASI PACEM REPERIENS (C ANT., VIII, 10). Je suis un mur et mes seins sont comme des tours, tou rs, aussi ai-je été à ses yeux comme celle qui trouve la paix. L’amour triomphe, il règne.
Les prières des saints ont été exaucées. L’âme fidèle a grandi, elle est devenue spirituellement forte et belle. Les regards du bon Dieu se
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VIII
195
sont arrêtés sur elle avec une affectueuse complaisance. Il a jugé que l’heure de l’heure de l’union parfaite l’union parfaite était venue. Il l’a prise l’a prise pour Épouse, à jamais. Elle le sait, elle le comprend, elle peut dire d’elled’elle -même qu’aux yeux de Dieu comme à ses propres yeux, elle est celle qui a trouvé la paix, « pax « pax Dei quae exsuperat omnem sensum » sensum » 1. Les ennemis sont en déroute, les amis, ceux du ciel et ceux de la terre, louent et admirent. L’amour triomphe, il règne, tout est dans l’ordre, tout est dans la paix. Tout est au bonheur vrai, profond, immuable, inépuisable. Et ce n’est qu’un qu’un commencement, parfait déjà, qui se continuera toujours : « Interminabilis vitae vita e totae simul et perfecta possessio ». Oui, elle est bien « celle qui a trouvé la paix ». paix ». V INEA INEA FUIT PACIFICO IN EA QUAE HABET POPULOS ; TRADIDIT EAM CUSTODIBUS ; VIR AFFERT PRO FRUCTU EJUS MILLE ARGENTEOS (C ANT., VIII, 11). Salomon avait une vigne à Baal Hamon. Il remit la vigne à des gardiens, et pour son fruit chacun doit lui payer mille sicles d’argent. Riche redevance que le Maître attend du gardien spirituel de la vigne mystique.
La vigne dont il est ici question peut représenter l’Église confiée aux Apôtres et à leurs légitimes successeurs. On peut aussi la considérer comme l’image de l’âme intérieure devenue l’Épouse mystique de Jésus. Elle est confiée pendant la durée de son pèlerinage ici-bas à des gardiens choisis par le divin Maître, lesquels sont tenus de lui payer, en échange des fruits qu’il leur laisse, une forte somme d’argent. C’est qu’en effet l’âme intimement unie à Dieu, fait goûter à ceux qui veillent sur elle au nom et par ordre du Seigneur, de vraies joies, de saintes et spirituelles consolations. Il est si doux et si bienfaisant de voir une âme Épouse brûler, se consumer d’amour de Dieu ! Elle éclaire, elle réchauffe, elle encourage, elle réjouit, et cela d’autant plus qu’on la voit de plus près, ce que fait légitimement et discrètement son providentiel gardien. Mais le gardien spirituel de la vigne mystique doit employer tous ses soins à lui faire porter de beaux, nombreux et bons fruits. Sans doute, c’est Dieu seul qui plante et qui donne l’accroissement, toutefois il reste au gardien à veiller pour écarter les voleurs et prévenir de leur approche ; à maintenir la haie du silence, du recueillement et du 1 La
paix de Dieu qui surpasse toute intelligence (Phil., IV , 7).
196
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
renoncement bien close ; à arracher les herbes inutiles ; à bêcher la terre, à sarcler, etc., à obtenir surtout par ses prières que la pluie vienne à son heure et aussi le soleil. De plus, son admiration, par laquelle il prend comme sa part des fruits, ne doit pas être stérile pour lui. Tout en tenant compte des desseins de Dieu et de la diversité des grâces, ses efforts doivent tendre à imiter ce qui est vraiment imitable, et qui est, du reste, le meilleur du beau spectacle qu’il lui est donné de contempler. C’est là cette riche redevance que le Maître de la vigne attend de lui. V INEA INEA MEA CORAM ME EST. MILLE TUI PACIFICI ET DUCENTI IIS QUI CU STODIUNT FRUCTUS EJUS (C ANT., VIII, 12). La vigne qui est à moi, j’en dispose. d ispose. À toi Salomon les mille sicles, et deux cents aux gardiens de ses fruits. La sainte Épouse rend toute la gloire de sa vigne à son Maître, et sollicite pour ses gardiens la plus riche récompense.
Qui parle ici ? L’Époux ou L’Époux ou l’Épouse ? l’Épouse ? Supposons que c’est l’Épouse. La vigne dont elle dispose, c’est elle-même, c’est elle-même, l’union à l’union à Dieu n’enlève pas n’enlève pas la liberté. Elle la porte au contraire à son plus haut point. La volonté participe plus que jamais à la liberté même de Dieu. De cette liberté, la sainte Épouse fait le plus noble usage. À Jésus, toute la gloire représentée par les mille sicles d’argent ; d’argent ; aux gardiens fidèles, le mérite, fruit de leur vigilance et de leur dévouement. Il est figuré par les deux cents sicles d’argent. L’Épouse, si c’est elle qui parle, s’oublie elle-même, elle -même, ou si elle pense à elle, c’est pour se donner. Mais Jésus ne l’oubliera pas. Et si nous le faisons parler lui-même, il semble qu’il dise qu’il dise alors : « À moi, ma fidèle et sainte Épouse, mais à vous, ô mon Père, tous ses fruits ; à ceux qui ont veillé sur elle, riche récompense, je vous en prie ». QUI HABITAS IN HORTIS, AMICI AUSCULTANT ; FAC ME AUDIRE VOCEM TUAM (C ANT., VIII, 13). Toi qui habites les jardins, les compagnons prêtent l’oreille à ta voix, daigne me la faire entendre. Dernier et doux appel de Jésus à l’âme intérieure qui a passé sa vie à cultiver le jardin de son âme.
C’est ici le dernier et doux appel de Jésus à l’âme intérieure. Il lui parle directement, il la nomme « celle qui habite les jardins jardins ». La
C ANTIQUE DES C ANTIQUES – CHAPITRE VIII
197
sainte Épouse a passé toute sa vie, soit à cultiver le jardin de son âme, soit à aider les autres à cultiver le leur. Elle habite vraiment au milieu des fleurs et des fruits. Mais l’œuvre divine est achevée, l’heure de la récompense éternelle est venue : Jésus annonce la bonne nouvelle à l’heureuse Épouse, d’une manière indirecte, mais très claire. Il est au Ciel, les Anges et les Saints lui font cortège, ils sont ses chers compagnons de gloire, ils souhaitent de tout leur cœur l’arrivée de l’Épouse parmi eux. Ils tendent l’oreille comme pour entendre le bruit de ses pas et le son de sa voix. Avec un désir beaucoup plus vif et beaucoup plus profond, Jésus veut lui aussi, lui surtout, entendre, et de très près, le son de cette voix bien-aimée. Il manifeste son saint désir avec toute la délicatesse de son Cœur : Cœur : « Sonet vox tua in auribus meis ». « Vox enim tua dulcis ». FUGE, DILECTE MI, ET ASSIMILARE CAPREAE HINNULOQUE CERVORUM SUPER MONTES AROMATUM (C ANT., VIII, 14). Cours, mon Bien-Aimé, et sois semblable à la gazelle ou au faon des biches, sur les montagnes des aromates. La sainte Épouse réalise réa lise enfin le désir de l’Époux : : mourir, mourir, c’est vous voir, ô mon Dieu.
La sainte Épouse réalise enfin le désir de l’Époux l’É poux divin. Elle fait entendre sa voix : « Ô Dieu de mon cœur, vous ne voulez plus que je vive sur cette terre, vous m’appelez à la béatitude sans fin dans l’union intime avec vous. Rien ne me retient ici-bas. Mon unique désir est de vivre avec vous dans le ciel. Vous le savez bien. Venez donc me chercher, emportez-moi emportez-moi avec vous d’une course rapide, semblable à celle de la « gazelle ou du faon des biches », jusque sur les hauteurs du Paradis où l’on respire le parfum des vertus de vos Saints. Je n’ai vécu jusqu’ici que pour cet heureux moment, il achève tout et il commence tout pour moi. Sans doute, pour vous suivre, ô Jésus, il me faudra mourir. Mais quoi de plus doux pour mon cœur, puisqu’enfin mourir, c’est vous c’est vous voir, ô mon Dieu. Amen. Amen. Amen.
Psaume XXII Jéhovah est mon Pasteur, je ne manquerai de rien (1). Connaissance toute nouvelle des divines Perfections en l’âme entièrement livrée à Dieu. Rien ne lui manque. Le royaume de Dieu est tout à elle.
Quand une âme a reçu de vous, ô mon Dieu, l’insigne l’insigne faveur de l’union permanente, l’union permanente, elle se rend compte d’une manière d’une manière très nette que vous la conduisez, que vous la gouvernez, que vous la possédez comme du dedans. Elle éprouve le sentiment tout spirituel d’une sécurité d’une sécurité parfaite. Naguère, elle vivait encore dans l’inquiétude. l’inquiétude. La faiblesse consciente de ses lumières comme de ses moyens était la source toujours coulante de son malaise intérieur. Cette source est tarie. Le fond mou vant de son cœur est cœur est devenu ferme et stable. Mais surtout elle comprend que vous vivez en elle et que vous y agissez sans cesse pour son bien. C’est vous C’est vous qui êtes sa lumière et sa force, vous lui montrez vous-même le chemin et vous lui donnez l’énergie l’énergie nécessaire pour y marcher. Elle saisit très bien, votre douce et continuelle influence. Voilà pourquoi elle s’écrie tout s’écrie tout heureuse : « Dominus « Dominus regit regit me, et nihil nihil mihi deerit deerit ». ». Oui, c’est bien c’est bien vous, ô Seigneur, Maître tout-puissant dit ciel et de la terre, vous qui tenez toutes choses dans vos mains, oui, c’est vous c’est vous qui daignez non seulement vous occuper avec soin de cette âme, mais qui voulez encore qu’elle prenne qu’elle prenne comme une sorte de conscience de votre continuelle intervention dans sa vie. Vous lui faites expérimenter quelque chose de votre sagesse, de votre puissance et de votre bonté. Elle se rend compte qu’elle vit qu’elle vit sous leur influence constante et, si on ose dire, combinée. Il y a là, pour elle, une raison permanente de se rassurer et de se réjouir. Mais ce qui surtout la ravit de bonheur, c’est c’est moins l’assurance qu’elle goûte qu’elle goûte pour le présent et pour l’avenir que l’avenir que la connaissance toute nouvelle qu’elle reçoit qu’elle reçoit alors de vos admirables perfections. Jamais vous ne lui aviez paru si beau et si aimable en vous-même. Pour elle désormais, ce mot, le Seigneur S eigneur,, a un sens nouveau, précis, profond, concret, délicieux. Elle sait un peu par expérience ce qu’il signifie. Parmi les impressions de l’âme que le bon Dieu gouverne d’une façon toute spéciale, il en est une qui se fait sentir fréquemment et parfois pendant des jours entiers, celle d’être tenue. tenue. Il lui semble tout d’abord que sa liberté est diminuée, le champ de son activité lui paraît moins grand. Elle ne peut plus tourner ni à droite, ni à gauche ; elle ne peut surtout pas regarder la terre. Il lui faut fixer sans cesse les hauteurs, le Ciel. Elle se rend compte qu’une force mystérieuse l’enveloppe
200
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
de tous côtés et la soulève vers Dieu. Elle s’abandonne alors de tout son cœur à cette motion bénie. Ce qu’elle a paru perdre de sa liberté se retrouve ici et comme décuplé. Est-ce que la liberté ne consiste pas dans le pouvoir de s’attacher au bien de toutes ses forces, en pleine conscience, sachant ce que l’on fait et renonçant de toute son âme au pouvoir que l’on a toujours de ne de ne pas le faire ? Comme il est doux pour l’âme, ô mon Dieu, d’user ainsi de sa liberté et de vous dire de toutes ses forces : « Trahe me, Domine » Domine » 1. À une âme ainsi tenue par Dieu, rien ne manque pour le présent, rien ne saurait manquer pour l’avenir. « Qui a Dieu, Dieu, a tout ». Or, elle a Dieu. Il s’est donné à elle comme elle s’est donnée à lui. Dieu la possède, mais elle aussi le possède. Il est son Bien et il est tout : lumière, chaleur, force, joie et paix, nourriture et repos. Les biens de la terre et les biens du ciel sont à lui. Il les met à la disposition de son enfant dans toute la mesure des besoins du moment. Ce qu’il fait pour elle au jourd’hui, elle sait qu’il le fera demain et avec plus de libéralité encore. encore . Comme elle a donc bien raison, cette âme, â me, de s’abandonner sans la moindre inquiétude aux soins d’un si bon Père Père ! Il la tient dans ses mains. Il l’entoure en quelque sorte de ses bras, il daigne la presser sur son Cœur ; qu’a-t-elle qu’a-t-elle à craindre ? et que peut-il lui manquer ? Ne saitelle pas que celui qui a trouvé le royaume de Dieu et sa justice reçoit tout le reste en surcroît ? Et le royaume de Dieu est « tout à elle ». Il me fait reposer dans de verts pâturages (2). Entrée de l’âme intérieure dans la Terre promise de l’union divine d ivine..
Pour se convertir, qu’il s’agisse de la conversion proprement dite par laquelle on passe des ténèbres à la lumière, du mal au bien, de la mort à la vie, ou de la conversion improprement dite, passage du bien au mieux, puis du mieux au parfait, un effort s’impose et e t parfois très douloureux. Mais la récompense vient aussitôt : l’âme est introduite dans une région toute nouvelle où elle se repose à loisir. Elle a souffert de la faim : « fame « fame pereo » pereo » 2, et voilà que son Dieu met à sa portée une abondante et délicieuse nourriture. Elle a souffert de la soif : « sitivit in te anima mea » mea » 3, et voilà que son Dieu la conduit près des eaux rafraîchissantes de sa vérité et de son amour. Son étonnement est grand, sa joie est plus grande encore, et sa reconnaissance d’autant pl us vive qu’elle a plus souffert. Mais cela est vrai surtout de l’âme que Dieu fait 1 Cant., 2 Je
I, 4.
meurs de faim (Luc., XV , 17). âme a soif de toi (Ps. LXII, 2).
3 Mou
PSAUME XXII
201
reposer en lui par la grâce de l’union qui est la conversion parfaite. Mieux que toute autre, elle peut dire : « Dieu « Dieu la fait entrer dans de verts pâturages ». pâturages ». Ainsi donc, après les dures épreuves des purifications de l’esprit et du cœur, après les angoisses de l’amour à la recherche de son Dieu, l’âme intérieure entre enfin et pour toujours, semble-t-il, semble -t-il, dans cette terre promise de l’union. Dieu se manifeste mystérieusement à elle. Il lui découvre quelque chose de la richesse infinie et de la simplicité délicieuse de sa nature. Il lui fait comprendre que tout cela est à elle, qu’elle peut en jouir à son gré dans la plus parfaite sécurité. L’âme éprouve alors une impression de quiétude profonde, de joie paisible, inaltérable et inépuisable. Dieu ne change pas, Dieu ne lasse pas. Plus on le connaît, plus on l’aime. Aucune connaissance créée ne peut épuiser les richesses de sa nature, et en ce monde, un cœur qui l’aime peut toujours toujours l’aimer davantage. Oui, ô mon Dieu, vous êtes bien ces pâturages toujours verts où se repose désormais l’âme dont vous avez bien voulu faire votre Épouse. Soyez-en Soye z-en à jamais béni bé ni ! Ô Seigneur, mon Dieu et mon Tout, si je ne suis pas dans cette région bénie de l’union, daignez l’union, daignez m’y faire faire entrer. Et si j’y si j’y suis, suis, par votre infinie miséricorde, ne permettez pas que j’en que j’en sorte sorte jamais. Il n’y aurait aurait pas pour moi d’exil comparable d’exil comparable à celui-là. Oui, ô mon Dieu, je préfère mille et mille fois mourir, je ne dis pas que de vous offenser même véniellement d’une façon volontaire, mais que de sortir par ma faute de ce délicieux pâturage. Souvenez-vous que vous vous êtes fait mon Pasteur, que vous êtes le Bon Pasteur, veillez sur moi, gardez-moi, protégez-moi, tenez-moi pressé pressé sur votre bon Cœur afin que je ne puisse plus vous quitter ! Puisque vous êtes aussi mon pâturage toujours vert, faîtes que je vous contemple toujours ; que je vous admire toujours, que je vous aime toujours et que je ne cherche jamais, ni pour mon esprit, ni pour mon cœur, la moindre nourriture hors de vous. Il me mène près des eaux rafraîchissantes. Soif ardente de l’eau vive « qui « qui a le goût du bonheur éternel ».
Le tourment de la soif représente bien celui de l’âme éprise de Dieu, le cherchant partout, toujours et ne le trouvant jamais. Son amour est comme un feu qui la dessèche. Plus il est vif, plus elle souffre. Elle redit sans cesse la parole du psaume : « Sitivit « Sitivit in te anima mea » mea » 1. « Sitivit « Sitivit anima mea ad Deum fortem vivum : Mon âme a soif 1 Ps.
LXII, 2.
202
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
de Dieu, du Dieu vivant » 1. Un moment vient où Dieu s’émeut d’une telle souffrance. Il prend cette âme en pitié. Et tout d’un coup, sans sa voir comment, celle-ci se trouve « près des eaux rafraîchissantes ». rafraîchissantes ». Une source mystérieuse s’est ouverte en elle et pour po ur elle. À longs traits, tout à loisir, elle boit de cette eau tant désirée. Elle en est tout à la fois rafraîchie, réjouie et fortifiée : « Fluminis « Fluminis impetus laetificat civitatem Dei » » 2. Elle se sent tout entière vivifiée par cette eau si bonne que Dieu f ait ait couler si abondamment dans son cœur. Il semble, ô Jésus, que toute âme intérieure devrait vous dire comme autrefois la Samaritaine : « Seigneur, « Seigneur, donnez-moi de cette eau afin que je n’aie plus soif : : Domine, Domine, da mihi hanc aquam ut non sitiam » tiam » 3. « Faites Faites couler sans cesse dans mon cœur, ô mon Dieu, cette eau vive qui a le goût du bonheur éternel ». Mais aussi, en retour, je vous promets de ne plus boire même une seule goutte des joies de la terre. J’y renonce à jamais. C’est la condition rigoureuse et nécessaire né cessaire que vous m’imposez, je le sais. Je l’accepte, ô mon Dieu, de tout mon cœur, cet « abneget semetipsum » semetipsum » 4. On ne peut pas servir deux maîtres. Je ne veux servir et je ne veux aimer que vous. Rendez donc, ô mon Dieu, chaque jour plus abondante cette source aux eaux rafraîchissantes que chissantes que vous avez daigné ouvrir en mon âme. Et comme je serais heureux si vous me permettiez de donner de cette eau à d’autres âmes altérées de votre amour. Il restaure mon âme, il me conduit cond uit dans les droits sentiers à cause de son nom (3). Jésus est vraiment bon Pasteur, seul il a le droit de porter ce nom .
Dans sa recherche douloureuse de Dieu, l’âme intérieure s’épuise. Les forces lui manquent. Il lui semble qu’elle est sur le point de défaillir. Mais le bon Pasteur est là qui q ui veille. À l’heure où tout paraît perdu, il intervient, il ranime l’âme épuisée. Il refait ses forces. Il la nourrit d’une nourriture mystérieuse qui n’est autre que lui-même. lui -même. Il lui rend la vie. Comment se fait cette restauration de l’âme ? Celle-ci ne le sait pas bien. Elle comprend seulement que Dieu lui communique sa vie, que cette vie circule dans ses veines, si on peut dire, comme un sang nouveau. Elle éprouve une impression de bien-être spirituel qui l’étonne et la ravit. Elle est heureuse d’un bonheur bon heur inconnu pour elle 1 Ps.
XLI, 3. XLV , 5. 3 Joan., IV , 15. 4 Luc., IX, 23. 2 Ps.
PSAUME XXII
203
jusqu’alors. Il lui est doux de proclamer qu’elle le doit à son Dieu : Dieu : « Jéhovah est mon Pasteur. Pasteur . Il restaure mon âme ». Dans ses luttes purificatrices, l’âme a épuisé ses forces. Les souffrances de la faim divine ont achevé de l’aff aiblir. l’aff aiblir. Mais voilà que Dieu la fait entrer dans cette prairie toujours verte de l’union. Elle s’y repose, elle s’y rafraîchit, elle s’y nourrit. Or, son repos, son rafraîchissement, sa nourriture, c’est Dieu lui-même. lui -même. Elle sent que des forces nouvelles lui sont données, la vie, la vie divine circule en elle et à flots. Il lui semble, non sans raison, que son Dieu l’a conduite jusqu’au plus intime d’elled’elle-même et qu’elle le saisit, lui, à cet endroit mystérieux où le fini et l’infini se rejoignent, tout occupé occup é comme la plus tendre des mères à donner la vie, la force, la paix, la joie à son enfant. Elle s’écrie alors tout heureuse : « Dieu « Dieu lui-même restaure mon âme ». * Le pasteur oriental marche à la tête de son troupeau, il le conduit vraiment. Le divin Pasteur prend lui-même lui-même la direction de l’âme intérieure. Il marche constamment devant elle. Elle n’a qu’à le regarder et à le suivre. Elle sait qu’il la fait marcher par les « droits sentiers », sentiers », ceux qui mènent directement au but, parce qu’ils sont les chemins de la volonté de Dieu. Et ce n’est pas seulement d’une manière générale ou à titre de modèle et d’exemple que Jésus dirige ainsi son Épouse, c’est d’une façon spéciale et dans tous les détails de la vie qu’il se fait son conducteur et son guide. Au fur et à mesure qu’elle avance, la lumière de Dieu l’éclaire sur ce qu’elle doit faire, dire ou souffrir. Et après coup, l’âme docile se rend compte que c’était bien le pas à faire, le chemin à suivre pour se rapprocher de Dieu. Au moment même, elle en avait l’intuition l’in tuition ; après elle en a comme l’évidence et elle redit toute reconnaissante : reconnaissante : « Mon Dieu me conduit dans les droits sentiers ». Et tout cela, vous le faites, ô mon Dieu, pour la gloire de votre nom. Vous ne vous contentez pas d’affirmer que vous êtes le bon Pasteur, vous le prouvez jusqu’à l’évidence par votre, conduite à l’égard de vos brebis. Les faits parlent tout haut, leur éloquence est irrésistible. L’âme intérieure en est toute saisie. En vous voyant prendre soin d’elle avec tant de sollicitude, veiller ve iller à tous ses besoins, même d’ordre temporel, la faire reposer délicieusement en vous, ouvrir en son cœur une source intarissable de bonheur, lui infuser votre vie, la mener comme par la main au milieu de tous les obstacles jusqu’à vous, son Dieu et son Tout, elle est obligée, par la force même des choses, à laquelle du reste elle cède très volontiers, de glorifier votre nom, résumé de vos infinies perfections, et de proclamer que vous avez vraiment et seul le droit de le porter, ô Bon Pasteur.
204
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Même quand quand je marche dans une vallée d’ombre et de mort, je ne crains aucun mal car tu es avec moi ; ta houlette et ton bâton me rassurent (4). Sécurité dans les épreuves de la nuit obscure. L’Apôtre de la vie cachée, rempli de Dieu, brûle de communier spirituellement les âmes.
La vie intérieure a ses épreuves. La lumière de Dieu n’éclaire pas toujours la route. Il fait nuit parfois, il fait froid. L’âme se rend bien compte de ce changement d’état, elle en souffre. Elle ne sait pas au surplus ce que cache cette nuit obscure et froide. Mais quand elle a reçu de Dieu la grâce de l’union, elle chasse sans peine toute crainte, elle reste calme. Le fond d’elled’elle-même n’est point troublé par l’épreuve ; l’épreuve ; la surface est seule agitée. C’est que son Dieu est là, avec elle au de dans. Elle sait que tout obéit à sa voix et que rien ne peut prévaloir contre lui. Pourquoi craindrait-elle ? « Lorsque « Lorsque le fort armé garde sa maison, ses biens ne sont-ils pas en sureté ? 1 » Dieu n’est-il n’est-il pas le Dieu fort ? Et n’est-elle n’est-elle pas son bien ? Un regard jeté sur la croix de son Jésus suffît à la rassurer : « Ta houlette et ton bâton me rassurent ». Malgré la nuit donc, l’âme se l’âme se tient en paix. Elle sait qu’elle est qu’elle est en sécurité, Dieu est là. Quelle force, ô mon Dieu, pour une pauvre âme humaine naturellement si faible et à cause de cela si inquiète, que de vous savoir au-dedans d’elle-même, d’elle-même, et de le savoir, non point seulement par la raison et par la foi, mais par une expérience intime, mystérieuse sans doute, très réelle pourtant ! « Vous êtes avec moi, vous êtes en moi, vous y êtes pour moi, ô mon Dieu ». Vous vivez dans mon cœur, et cœur, et mon cœur vit cœur vit en vous. À chaque battement, je vous attire en moi et je me perds en vous. Ma vie est une aspiration et une respiration d’amour. Bien que je ne pense pas toujours clairement à vous, je vous sens tou jours là, au dedans, et je vous aime toujours. Il me semble même par moments que si on ouvrait mon cœur, on cœur, on vous y trouverait caché. Merci, ô mon Dieu, de ces joies si profondes que votre douce présence me fait goûter ! Merci de la paix qu’elle m’apporte et m’apporte et de la sécurité qu’elle me donne ! Rien ne peut rendre re ndre de telles émotions. Mieux vaut se taire. « Tu es avec moi » » toujours. Ô mon Dieu, quand je sens ainsi mon cœur tout cœur tout rempli de vous, je cherche comme malgré moi à qui vous donner. Oui, je voudrais vous donner, puis vous donner encore et vous donner toujours : « Je « Je n’ai ni n’ai ni or, ni argent, mais ce que j’ai, que j’ai, je je vous le donne » donne » 2. Ouvrez votre cœur tout grand, Dieu veut y vivre et y régner. « Je vous le donne », voilà ce 1 Luc., 2 Act.,
XI, 21. III, 6.
PSAUME XXII
205
que je brûle de dire aux âmes que je rencontre sur ma route et qui me demandent l’aumône, j’entends l’aumône spirituelle. l’aumône spirituelle. Ah ! communier ainsi les âmes, quelle charité et quelle joie ! Ô mon Dieu, vous seul savez ce que je souffre à certaines heures de ne pas savoir comment vous donner, faites que ma prière au moins vous porte à toutes les âmes qui vous sont chères, à celles surtout qui s’efforcent de s’efforcent de vivre d’une vie d’une vie intérieure et cachée. Qu’elles vous Qu’elles vous reçoivent en ce moment et qu’il leur qu’il leur soit permis de vous dire en toute vérité : « Tu es avec moi », », ô le Dieu de mon cœur ! cœur ! Laissez-moi vous redire encore, ô mon Dieu, combien il est doux pour mon cœur de constater que vous êtes toujours avec moi. Sans doute, aux heures de souffrance, cette douceur paraît paraî t s’affaiblir. L’atL’attention et les forces de l’âme sont comme divisées. Mais même alors votre présence se fait reconnaître. Elle enlève à la souffrance ce je ne sais quoi d’amer et d’irritant qui la rendrait intolérable. Puis à la première éclaircie, vous réapparaissez plus aimable et plus affectueux que jamais. Ce qui est vrai de la souffrance so uffrance physique l’est plus encore peutpeut être de l’épreuve morale. Je vous connais maintenant, ô mon Dieu ! Quand vous permettez qu’une petite tempête s’élève dans mon âme, c’est que vous voulez me donner une marque nouvelle de votre vigilance et de votre tendresse. Vous ne me demandez qu’une seule chose, la foi en votre amour. Bientôt tout s’apaise, tout revit, tout chante « Vous êtes avec moi », », ô mon Dieu ! Tu dresses devant moi une table en face de mes ennemis, tu ré pands l’huile sur ma tête, ma coupe déborde (5). Cène béatifiante. Onction de l’Esprit - Saint sur les hauteurs de l’âme introduite comme dans sa vraie Patrie. Coupe débordante.
Ces paroles pourraient s’entendre de d e la table eucharistique dressée par Jésus devant le chrétien et surtout devant le prêtre. Mais nous les entendrons du repas mystérieux que Dieu fait prendre à l’âme intérieure. En face de ses ennemis, le démon, le monde, ses propres passions, tenus en respect et à distance par la présence de Dieu, une table se dresse dans l’âme elle-même. elle-même. Celle-ci Celle-ci est invitée à s’y asseoir sans crainte. La parole de Jésus se réalise : « Si « Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, porte , j’entrerai chez lui, je souperai avec lui lu i et lui avec moi » » 1. Tout est paisible, tout est silencieux dans l’âme. Un recueillement profond l’enveloppe. Et voilà que Dieu lui-même lui -même se manifeste dans une demi-obscurité. Il est là devant elle, comme à table avec elle. Il la contemple et elle le contemple. Il lui parle et elle lui parle. Ils vi1 Apoc.
III, 20.
206
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
vent ensemble, tout près l’un l’u n de l’autre. Ils participent au même repas. repas . Comme c’est Dieu qui reçoit, c’est lui aussi qui fait tous les frais de cette nouvelle cène. À quoi faut-il la comparer ? Au repas d’Emmaüs d’Emmaü s ? Oui, mais avec quelque chose de plus intime et de plus conscient. L’âme intérieure n’hésite pas à reconnaître l’Hôte qu’elle reçoit et qui la reçoit. Son esprit est éclairé ; son cœur brûle. Mais elle sait d’où lui vient et la lumière et la chaleur. Puis, à Emmaüs, au moment de la fraction du pain, Jésus disparaît. Là, au contraire, Dieu reste longtemps, très longtemps parfois. On dirait qu’il s’attarde comme à plaisir, ne pouvant se décider à rompre une si douce conversation et à quitter une âme si tendrement aimée. Et le souper se prolonge très avant dans la nuit. Comme vous êtes bon, ô mon Dieu ! L’âme favorisée L’âme favorisée de cette grâce voudrait rester sans cesse à table avec son Dieu. Ce n’est guère n’est guère possible. Mais quand Dieu s’éloigne, le s’éloigne, le souvenir de sa visite demeure très vivant et très bienfaisant. Il excite la reconnaissance. Il porte à l’humilité. Il l’humilité. Il pousse à proclamer que Dieu est le maître de ses grâces, qu’il les qu’il les donne comme il lui plaît et quand il lui plaît. Il se transforme en prière, et en prière ardente : « Vous ne me devez rien, ô Jésus ; tout ce que vous m’accordez, c’est c’est par pure bonté que vous le faites. Mais c’est là c’est là ce qui me donne confiance et me rend audacieux. Moins j’ai Moins j’ai de de droits, et plus j’espère. plus j’espère. Mon Mon espoir est infini, presque comme votre miséricorde. Revenez, Seigneur ! Dressez de nouveau une table dans mon âme. Prenez-y place. Je me tiendrai à vos pieds et je me rassasierai des miettes de votre divin repas : « Veni, Domine Jesu, veni » » 1. Il peut cependant arriver qu’après ces heures de d e douce intimité, une vague de souffrance s’abatte sur l’âme. C’est l’occasion pour cellecelle ci de prouver à Dieu la sincérité de son amour. Quelle que soit la manière dont il nous traite, Dieu reste toujours aimable, il ne change pas. L’âme aussi ne doit pas changer. Le pain alors est amer, mais c’est tou jours le pain de Dieu. Qui sait même s’il n’est pas plus nourrissant et dès lors meilleur ? Tout porte à l’affirmer. L’essentiel est de rester là, fidèle, aimant, reconnaissant, acceptant avec une égale gratitude le pain de la souffrance comme celui de la consolation, disant à Dieu du fond du cœur : cœur : « Panem quotidianum da mihi hodie » hodie » 2. Puis, faites, que je sois transformé par lui en Jésus, votre Fils Bien-Aimé, afin que vous puissiez m’admettre un jour jou r à la table du Ciel. Continuons. L’huile parfumée répandue sur la tête figure les onctions de l’Esprit-Saint. l’Esprit-Saint. Pour admettre à sa table, Dieu ne se contente pas de revêtir de la robe nuptiale, il verse dans l’âme de son hôte des grâces de choix. Ces faveurs de Dieu Di eu non seulement réjouissent l’âme, mais encore l’ornent, l’embellissent et la fortifient. L’âme éprouve en 1 Venez, 2 Luc.,
Seigneur Jésus, venez (Apoc., XXII, 20). XI, 3.
PSAUME XXII
207
effet au spirituel l’impression qu’elle est comme pénétrée jusque dans ses derniers replis par une substance mystérieuse qui l’adoucit, la dilate et la réjouit. Elle se sent devenir tout à la fois plus souple et plus forte, plus aimable et plus gracieuse. Tout se range, tout s’harmonise en elle, en même temps que tout s’agrandit et s’exalte, mais dans l’ordre et dans la paix. L’onction divine se fait comme sur les hauteurs de l’âme, puis sa douceur la gagne peu à peu tout entière. C’est pourquoi celle-ci dit : « Tu répands l’huile sur ma tête ». tête ». Dieu ne veut pas seulement nourrir, fortifier et orner l’âme intérieure. Il désire encore lui donner un breuvage qui la rafraîchisse et l’enivre tout ensemble. Il verse à l’âme un vin mystérieux. Elle boit à cette coupe débordante que Dieu lui présente. Et l’ivresse, une ivresse toute spirituelle, l’envahit peu à peu, parfois aussi tout à coup, mais toujours délicieusement. Ce qui est du monde disparaît à ses yeux. Elle ne voit, elle n’entend, elle ne comprend plus rien des choses de la terre. Elle est comme séparée intérieurement de ce qui la mettait en communication avec le dehors. Elle est isolée d’abord, puis elle puis elle est introduite dans une région toute différente de celle où elle habite ordinairement. Il lui faut un certain temps pour revenir de sa surprise et s’accoutumer à cette manière d’être et de vivre toute nouvelle. Elle comprend toutefois que ce pays est sa vraie patrie et que cette vie nou velle est e st sa vraie vie. vie . Des horizons de bonheur bon heur infinis s’ouvrent devant d evant ses yeux étonnés. Une joie toute céleste l’envahit alors. Elle s’écrie dans son ravissement : « Ma « Ma coupe déborde ». déborde ». Je ne puis soutenir tant de bonheur bonheur à la fois. Mon cœur est trop faible pour porter un tel poids. Cette joie va me faire mourir, c’est-à-dire c’est -à-dire me séparer de mon corps. Je ne puis plus en même temps m’occuper et de lui et de vous, ô mon Dieu. Cette division d’attention et de forces m’épu ise : ou séparez-moi tout à fait de lui, ou fortifiez ma faiblesse afin que je puisse lui donner ce dont il a besoin sans rien vous enlever pourtant à vous, mon amour et mon tout. Prenez vous-même soin de lui, et moi je serai tout entière à vous. C’est alors alo rs que, devenue moi-même tout amour, je pourrai vous dire et dire à tous en parfaite vérité vé rité : « Ma « Ma coupe déborde ». Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison de Jéhovah pour de longs jours (6). Pai x stable, stab le, permanente de l’âme l’â me entrée pour toujours dans la maison de son Père céleste qui est Dieu même.
L’âme intérieure, élevée par Dieu à l’union parfaite, éprouve un sentiment de sécurité tout nouveau pour elle. Elle goûte une paix pro-
208
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
fonde. Elle a de plus l’impression que c’est une paix stable, solide, permanente. Est-elle confirmée en grâce ? En tout cas, les règles de la prudence étant toujours observées, les choses se passent en elle « comme si ». Dieu lui a donné de telles preuves de son affection, il se l’est unie si intimement, qu’elle ne peut douter, semble-t-il, semble -t-il, de la perpétuité de sa protection. Elle est donc heureuse. Elle se sent comme remplie de grâce, et la vérité l’oblige à dire que « ce bonheur et cette grâce l’accompagneront tous les jou rs de sa vie ». vie ». Il lui paraît même qu’ils iront grandissant de plus en plus jusqu’au jour de son éternité bienheureuse. Non seulement Dieu la protège et la nourrit, mais il la fait habiter dans sa propre maison. Dieu s’est réservé au fond de l’âme une demeure demeure où l’âme elle-même elle-même ne peut entrer sans une permission spéciale de sa part. Et c’est là précisément que celle-ci celle -ci a été introduite, non pas pour quelques instants, mais pour toujours, lui semble-t-il. Dieu lui a d’abord révélé l’existence de cette demeure. demeur e. Puis il a fait naître en elle le désir ardent d’y entrer. Ce désir a grandi. Après de dures épreuves, il a été enfin réalisé. L’âme est entrée dans la maison de son Père. Elle a l’impression d’y habiter et pour toujours. Mais il y a plus : la maison de Dieu, c’est Dieu même. C’est donc en lui qu’il fait entrer et habiter son enfant. Le mot de saint Paul devient pour l’âme une réalité expérimentée, on pourrait dire vécue : « In « In ipso enim vivimus, movemur et sumus : C’est en lui que nous avons le mouvement , mouvement , la vie et l’être » l’être » 1. Vivre en Dieu, voilà désormais d ésormais son partage. Ah ! elle peut bien bi en dire d ire qu’elle ne manquera de rien, que Dieu la restaure, qu’il la protège contre tout mal, qu’il est avec elle, que sa coupe déborde et que son bonheur durera toujours. Rien n’est plus vrai.
1 Act.,
XVII, 28.
Conseils aux âmes d’oraison Principes de vie intérieure.
La vie intérieure est une communion consciente et constante à l’acte par lequel Dieu se connaît et s’aime. C’est une participation au bonheur même de Dieu, qui en donne comme un reflet soit dans toutes les facultés, ou seulement dans les facultés supérieures, ou même uniquement dans la cime de l’âme (fine pointe de l’esprit). Mon Dieu, vous êtes là, vous êtes au fond de mon âme. Si je savais aller jusque-là, je vous trouverais. Au fond de moi, c’est vous. Quand sera-ce ? Détachez-moi, recueillez-moi, isolez-moi, attirez-moi, appliquez-moi, prenez-moi. Faites-moi entrer en vous ; voir avec vos yeux, vous voir ; aimer a imer avec votre amour, vous aimer ; goûter votre bonheur, vous goûter ; rester là en vous, à vous voir, à vous aimer, à vous goûter, à vous bénir, à vous louer, toujours, toujours, toujours. La vie intérieure est un mouvement constant et conscient de l’âme faisant retour à Dieu présent en elle par Jésus-Christ Notre-Seigneur, faisant effort pour s’unir à Dieu, le posséder et jouir de lui. Elle consiste à être gouverné par le dedans, à être nourri de Dieu par Dieu lui-même lui-même et toujours au plus intime de l’âme. Mais il faut toujours, quand on le peut, se laisser gouverner et nourrir aussi par le dehors. * Tendre à l’union divine, sans y prétendre. Rester bien souple entre les mains du bon Dieu, pour cela ne tenir à rien, mais à rien en dehors de lui. Ne s’occuper des choses que parce qu’il le veut, dans la mesure où il le veut. Son bon plaisir en tout, partout, toujours et tout de suite. C’est la vraie liberté, c’est aussi la joie et la paix. C’est encore et surtout le véritable amour. On peut tendre à cette union. Sainte Thérèse l’a définie « une « une disposition pure et dégagée de toutes les choses de la terre, où il ne se trouve plus aucune tendance contraire à la volonté de Dieu, où l’esprit et le cœur sont conformes à cette divine volonté, détachés de tout, totalement occupés de Dieu, où il n’y a plus trace de l’amour de soi, ni d’aucune chose créée ». créée ». Quel programme ! Pourquoi Pou rquoi ne pas le prendre ? Pourquoi ne pas tendre humblement, mais résolument, à le réaliser ? Il est vrai que c’est auau-dessus de nos forces, mais Dieu est si bon qu’il aura pitié de notre faiblesse, sera touché de nos efforts et nous tendra la main. Adveniat regnum tuum.
210
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE *
La vie intérieure proprement dite peut se concevoir comme une véritable interpénétration chaque jour plus parfaite et plus consciente de l’âme par Dieu et de Dieu par l’âme. Dieu au plus intime de l’âme, l’âme au plus intime de Dieu. Dieu et l’âme se connaissant l’un l’autre, comme du dedans. Dieu et l’âme s’aimant à fond l’un l’autre, se le disant sans cesse de mille manières et se le prouvant de même. Dieu et l’âme ne se quittant pour ainsi dire jamais et s’entretenant toujours l’un avec l’autre, l’un de l’autre. Dieu et l’âme se possédant pleinement l’un l’autre, se goûtant l’un l’autre d’une manière ineffable, l’âme de venant le paradis de Dieu, Dieu se faisant dès ce monde le Paradis de l’âme. l’âme. Et tout cela, encore une fois, augmentant chaque jour et sans mesure. Voilà bien, semble-t-il, la vraie vie intérieure. « Si « Si scires donum Dei !… !… 1 » La distinction entre Dieu et l’âme existe toujours ; l’âme vit comme si elle n’existait pas. * L’Humanité sacrée de Notre-Seigneur, Notre-Seigneur, qu’il ne faut jamais séparer de sa divinité, est la voie. Aller à elle par la Sainte Vierge : quand l’âme ne peut pas se maintenir sur les sommets de la divinité, redescendre à la sainte Humanité et à la Sainte Vierge, et recommencer sans cesse. Jésus comme Dieu est cause efficiente de la grâce. Comme Homme-Dieu, il est cause méritoire et aussi cause instrumentale physique. Ces derniers mots veulent dire que toute grâce nous est communiquée par l’Humanité sainte de Notre-Seigneur. Notre -Seigneur. En ce sens, bien que l’humanité du Sauveur n’habite pas en nous comme le Verbe, elle ne cesse d’exercer une influence sur nous, elle nous communique toutes les grâces que nous recevons. Le Christ est la tête d’un corps mystique dont nous sommes les membres. Il est le cep dont nous sommes les rameaux. À ce titre, il possède pour nous la grâce en plénitude : « Et « Et de plenitudine ejus, omnes nos accepimus » 2. Le Christ a pu mériter sa glorification et l’exaltation de son nom. Mais il n’a pu aucunement mériter l’union hypostatique, ni les grâces qui en découlent immédiatement. La vie spirituelle est une communion constante à la Sainte Trinité. Cette communion se fait par Jésus qui est la Voie en tant qu’Homme uni personnellement au Verbe. C’est la loi au ciel et et sur la terre. La 1 Si
tu savais le don de Dieu (Joan., IV , 10). sa plénitude, nous avons tous reçu (Joan., I, 16).
2 De
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
211
Sainte Eucharistie nous rappelle cette loi et nous la fait accomplir : communion sacramentelle et spirituelle. — L’âme s’unit à Dieu en Jésus, par Jésus, pour Jésus et dans la mesure de sa transformation en Jésus. Faire d’humbles et affectueux affec tueux (volonté) actes de foi. Plus tard, quand nous comprendrons, nous serons interdits de tant de Sagesse et de tant d’Amour. C’est par son Humanité adorable que Jésus est la Voie. Le plus simple est de prendre Jésus tout entier : Verbe incarné : corps, âme, nature divine. Distinguer en lui ce qui doit être distingué, mais ne séparer rien de ce que la Sainte Trinité a si parfaitement uni. Aller du corps à l’âme et de l’âme à Dieu. Rester uni à Dieu aussi longtemps que cette grâce est faite. Puis, quand l’usage l’u sage régulier des facultés est rendu, revenir à la sainte Humanité : sein de Marie ; Crèche ; Temple ; Nazareth ; Puits de Jacob ; Béthanie ; Passion ; Croix ; enfin Eucharistie. Mais que le désir soumis de l’âme soit toujours d’aller de l’extérieur à l’intérieur, et de l’intérieur de Jésus au Dieu qui s’est fait homme par amour, enfin à la très adorable Trinité. Et ainsi de suite ; Jésus est donc tout. Il faut éviter deux excès : 1º s’arrêter au sensible de la Sainte Humanité ; 2º écarter de soi-même ce sensible considéré comme un obstacle à l’union. Ce sont deux erreurs très dommageables. Enfin garder comme principe que nous ne pouvons plaire à Dieu que dans la mesure où nous sommes comme assimilés à la sainte Humanité (corps et âme). Pour que nous puissions monter vers Dieu, pour que Dieu puisse descendre jusqu’à nous, afin de réaliser la sainte union que nous désirons tant, il n’y a pas d’autre voie, d’autre moyen que l’incorporation au Christ Jésus. C’est Marie qui la fait, que nous en ayons conscience ou non. * Celui-là seul dont la volonté est identique à la loi est impeccable par nature. Or Dieu est le seul dont la volonté soit une même réalité avec la loi morale. Dès qu’une volonté n’est pas identique à cette loi, elle peut succomber. On peut dire que cette identité de la volonté et de la loi morale est le propre de Dieu, et de Dieu seul. Ce fait de ne pouvoir faillir, c’est le privilège de Dieu. Il peut le communiquer. Il le communique d’une façon rigoureuse à la sainte Humanité de Notre-Seigneur, et par grâce à la très sainte Vierge. Ce privilège était dû à la sainte Humanité unie au Verbe, car tous ses actes sont imputables au Verbe, d’après ce principe : principe : toutes les ac-
212
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
tions et les passions sont attribuables à la personne. Malgré cette entière impecca bilité, impecca bilité, le Christ C hrist reste libre, libre , c’est un mystère. Dix-neuf Dix -neuf systèmes ont essayé de l’expliquer autant que possible ; possible ; plusieurs manquent d’intérêt. La difficulté vient en partie de ce que nous avons une fausse notion de la liberté. Pour plusieurs, la liberté consiste à faire tout ce qui plaît, comme si le pire bandit ou débauché était l’être le plus libre. Il n’en est rien. En réalité, on est d’autant plus libre qu’on est plus attaché au bien. Plus l’âme est dégagée des entraves qui l’empêchent de se fixer dans dans le vrai bien, plus elle est libre. La liberté, c’est le pouvoir de se fixer dans le bien, en y étant attiré comme du dedans, sans y être forcé ou nécessité autrement que par une loi qui s’impose suavement à l’intérieur. En ce monde, nous ne sommes en face que de biens finis, biens crées et périssables qui ne peuvent remplir notre volonté. Même Dieu ne peut nous attirer invinciblement parce que nous ne le voyons pas, et qu’ainsi il peut toujours être en conflit avec tel ou tel bien apparent. On sait, on voir, voir, on sent qu’on le choisit librement. Il ne faudrait pas considérer la liberté comme le pouvoir de faillir, de faire le mal ; mais au contraire, comme le pouvoir de s’affranchir des obstacles qui s’opposent ou bien ; bien ; pouvoir d’être attiré vers le bien, de s’attacher, de se fixer au bien. Il faut voir le côté positif et non le côté négatif. C’est comme si l’on disait : l’intelligence, c’est le pouvoir de se tromper ; non, l’intelligence, c’est le pouvoir de connaître. Marcher, c’est le pouvoir de tomber ; tomber ; non, c’est le pouvoir de se tenir droit et d’avancer. Seulement à cause de la faiblesse humaine, celui qui mar che peut tomber ; celui qui fait usage de son intelligence peut errer ; celui qui jouit de la liberté peut faire le mal, et malheureusement on ne s’en sert le plus souvent que pour le mal. C’est ce qui frappe et ce qui explique, hélas ! cette fausse conception de la liberté. D’ailleurs, le mal seul peut lui être attribué : le bien que nous faisons ne vient jamais de nous seuls, mais aussi de Dieu, auteur de tout bien. Là encore, profond mystère, que toutes les controverses ne sauraient éclaircir. Pratiquement nous devrons : 1º être attentifs à n’user de notre li berté que selon la loi établie par Dieu, ne nous en servant que pour accomplir sa sainte volonté ; 2º dès que nous nous en sommes écartés, recourir à sa miséricorde. J’attends tout de sa bonté, parce qu’il est la miséricorde infinie. * L’homme vaut ce que valent ses joies. La joie est le reflet du bien. Ne prendre aucune joie en dehors du Bien véritable qui est Dieu. Mais
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
213
se dire qu’on y arrivera très difficilement, peutpeut -être jamais. Ne s’ars’arrêter volontairement à aucune autre joie et à aucune tristesse autre que celle de penser que Dieu est si peu aimé, qu’on l’aime si peu, qu’on l’a autrefois si autrefois si peu aimé. Monter toujours de la joie, même spirituelle, à la Cause de la joie, c’est-àc’est-à-dire dire Dieu. Tout ce qui n’est pas Dieu est moyen : il faut l’utiliser et ne pas s’y reposer. La joie est le retentissement du bien. La charité a son bonheur qu’elle porte porte avec elle. Dieu est infiniment heureux. Se réjouir de son bonheur, de le savoir aimé. Être impitoyable pour toute autre joie. Ne pas analyser ni séparer cette joie dans l’acte d’amour, cela va de soi ; on n’y pense pas, on pense à Dieu. Renoncement total to tal à toute autre consolation dans les exercices de piété ; renoncer même à cette satisfaction de constater que Dieu travaille l’âme. La vie intérieure profonde est insaisissable. La vie intérieure a ses joies, elles sont légitimes, elles sont une participation ticipation aux joies mêmes de Dieu. On les goûte et d’autant plus pour l’ordinaire (et sauf aux heures d’abandon apparent) qu’on est plus détaché, plus désintéressé, plus intimement uni au bon Dieu et occupé de lui seul. Il n’y a pas à rechercher ces joies de f açon açon explicite, il suffît de rechercher le bon Dieu, la joie vraie, la joie spirituelle, surnaturelle n’étant pas autre chose que la conséquence normale de la possession du Bien de Dieu. C’est le repos dans le bien possédé, mais ici dans une sorte de connaissance de cette possession même. Par prudence, mettre toujours l’accent sur Dieu lui-même. lui -même. Ici-bas, possession de Dieu et joie de cette possession peuvent à la rigueur être séparées. Une âme généreuse doit être dans la disposition de ne pas goûter Dieu, si cela plaît à son Dieu, pourvu, bien entendu, qu’elle le possède. C’est peut-être peut-être le plus héroïque des sacrifices quand il est sincère. Le fait de la séparation dépend de Dieu seul, je crois qu’il est rare. Dieu désire tant nous béatifier et le plus tôt possible ! * Pour les thomistes, la foi consiste essentiellement dans l’adhésion à la parole du témoin. La foi est nécessairement obscure. La parole de Dieu révèle la vérité, mais elle n’éclaire pas la vérité révélée. Plus il y a en apparence de raisons tirées tir ées du côté de l’objet pour ne pas croire, plus l’adhésion à la seule parole du témoin est glorieuse pour lui et méritoire pour nous. — Je crois, parce que vous l’avez dit. La foi vive est fondement et racine ; fondement de tout l’édifice, racine de l’arbre l’arbre spirituel. Creuser le fondement, laisser à la racine le
214
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
moyen de s’enfoncer très avant dans le sol. Les fleurs viendront, les fruits suivront en leur temps. Quand le bon Dieu nous permettra de les goûter, nous dirons alors : Magnificat : Magnificat … Misericordias Domini … La foi est le fondement de tout l’édifice spirituel. On peut dire que c’est la racine de l’arbre, et la comparaison est meilleure comme tout ce qui appartient au monde vivant. La foi est nécessairement obscure : le seul appui de notre foi, c’est la parole pa role de Dieu. Rien ne nous honore, nous autres hommes, comme la confiance que l’on donne à notre parole, et pourtant nous n’y avons pas droit, nous pouvons nous tromper. La foi et la raison ne peuvent se contredire en fait : elles peuvent être contraires en apparence. Quand l’eau courbe un bâton, ma raison le redresse. Le bâton parait brisé, c’est une illusion d’optique. De même la parole de Dieu semble contraire au bon sens. « Marche ! », dit Dieu. « Le bâton n’est pas brisé, il paraît brisé ». Le don d’intelligence n’enlève pas cette obscurité de la foi, mais il en éclaire les alentours, il fait pénétrer les termes, et surtout quand il est uni au don de Sagesse, il fait aller jusqu’à Dieu même. Par la foi nous communions d’une façon très réelle à la scienc e même de Dieu. Il s’agit du même objet. Dieu voit ; voit ; moi je crois, et je verrai parce que j’aurai cru. Dans la foi un seul motif, la parole de Dieu ; dans l’espérance un seul motif, l’aide de Dieu, la main secourable de Dieu, en dépit de toutes les imaginations et tentations. Il faut aimer Dieu aimer Dieu a priori pour pour sa perfection infinie, puis on l’aime a posteriori pour pour sa bonté manifestée par tous les bienfaits reçus de lui. Éternellement nous chanterons ainsi sa miséricorde. * Aimer beaucoup la vertu d’espérance. Comme c’est bon de penser que nous ne pouvons aller au bon Dieu qu’en mettant notre main d’enfant dans sa main de Père. Douce et forte, fidèle et sûre, elle nous conduit au but. Le motif de l’espérance, c’est Dieu lui-même, lui -même, mettant sa force à notre service pour le conquérir. Si un seul rayon de la divine Bonté pénétrait dans notre âme, c’en serait fait, je crois, pour toujours. Laisser tout aux mains du bon Dieu, ne s’occuper que de lui, il s’occupera de nous et très bien. Le bon Dieu inspire aux âmes de lui demander ce qu’il a l’intention d’accorder. Il veut ainsi que nous l’aidions à sauver les âmes. Une âme est d’autant plus puissante auprès de Dieu, qu’elle lui est plus unie et qu’elle est plus conforme à Notre-Seigneur. Notre -Seigneur. Quel puissant stimulant pour ne rien lui refuser de ce qu’il nous demande.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
215
* Saint Thomas dit que la prière est un acte de la raison, puis il se demande comment elle se rattache à la charité qui est vertu de la volonté. 1º Parce que dans la prière tout doit se ramener à demander l’amour. l’amour. 2º Parce que la prière étant une élévation de notre âme vers Dieu, celle-ci se rapproche ainsi de lui et sa charité augmente. On ne peut aimer Dieu qu’en lui demandant son saint amour. Il est absolument impossible de l’obtenir par nos propres forces. « Deman« Demandez et vous recevrez » » 1. Vous recevrez immanquablement. Le désir est la profondeur du cœur. Il cœur. Il vaut mieux ne pas insister en demandant à Dieu des choses déterminées qu’il n’a peut-être peut -être pas l’intention d’accorder sous telle forme. Il faut commencer pa r aimer le bon Dieu par devoir. Nous sommes si loin de lui, si plongés dans les sens, que pour nous en détacher, il est obligé de nous donner d’abord des consolations sensibles, puis généralement il nous les retire pour nous faire passer à l’amour spirituel. C’est alors qu’il faut se dire que puisque ses consolations sont si grandes qu’elles font volontiers renoncer au monde et à ses attraits, son véritable amour surpasse également tout amour-propre, tout autre amour. Mais a priori , il faut aimer Dieu parce que lui-même lui-même nous en fait l’obligation. Ce n’est pas qu’il ne demande pas plus, surtout de certaines âmes, mais on peut dire qu’il leur fait chèrement payer leurs élans enflammés, les faveurs spirituelles qu’elles reçoivent. Il ne faut pas se décourager de d e ne pas éprouver les mêmes sentiments. * Le but de la vie intérieure, c’est l’union profonde d’esprit à esprit avec le bon Dieu. Cette union se fait par la charité. De là, l’importance capitale de cette vertu et le soin qu’il faut prendre de détruire tout ce qui s’oppose à son plein épanouissement. On peut atteindre Dieu directement, immédiatement, dès ce monde. C’est l’œuvre de la charité qui unit. Ne pas oublier que nous ne pouvons que nous préparer à cette union intime et consciente, mais « que c’est un grand un grand point que cette préparation » préparation » 2. Elle consiste à isoler l’âme intérieurement, à la pacifier en étouffant tout mouvement d’orgueil, de susceptibilité, d’humeur, etc., et tout de suite. Puis à regarder simplement Dieu, à le désirer, à attendre sa visite, site, à s’appliquer humblement et affectueusement à lui, mais sans 1 Luc, 2 Ste.
XI, 9.
Thérèse.
216
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
vouloir s’imposer à son amour. Ce dernier point, est très important. Le bon Dieu veut rester libre de se donner. Il faut respecter sa liberté, mais compter beaucoup, uniquement sur sa miséricorde. miséric orde. C’est si encourageant de penser qu’on devra tout à cette miséricorde, qui ne demande qu’à se pencher vers nous. Ce regard intérieur relève de la foi : foi : celle-ci celle-ci est obscure. Sauf miracle, la vision béatifique n’a pas lieu ici bas. Mais la foi peut devenir de moins en moins obscure. Dieu peut éclairer l’intelligence et donner aux vérités surnaturelles un grand relief, une influence très pénétrante, on dirait presque un sens tout nou veau, pratiquement. (Quelle différence entre voir un lion en peinture et un lion vivant, libre ; appliquer en transposant dans l’ordre intellectuel et surnaturel). Dans une oraison profonde, tantôt c’est la lumière qui domine, tantôt l’amour. Mais toujours la lumière doit finir par exciter l’amour. S’attacher à Dieu seul, puis, puis , par amour pour lui, pratiquer la charité envers tous. * La charité est une vertu une. La charité est une disposition permanente, surnaturelle, reçue au baptême, qui fait que l’âme aime Dieu comme il s’aime lui-même lui-même en lui-même. Cette disposition est une création nouvelle, physique, au sens de réelle ; par la charité les trois Personnes divines sont aussi réellement présentes en nous, mais notre union avec elle n’est que morale, tandis que l’union de l’humanité de Jésus au Verbe est réelle, physique, substantielle. L’amour L’amour de charité est une grâce créée qui modifie réellement la substance de l’âme. Ce l’âme. Ce n’est pas n’est pas seulement une harmonie morale de d e volonté, mais quelque chose de physique (pas matériel). Les Personnes divines sont dans l’intime de l’intime de l’âme, comme l’âme, comme Hôte, Ami, Époux ; intimité beaucoup plus grande que toutes celles des comparaisons de la terre. Dieu fait comprendre qu’il est qu’il est là. Il veut nous faire participer à son Bien propre, à sa vie intime, comme il se connaît par son Verbe, comme il s’aime par s’aime par son Esprit. Notre rôle actif : dépouillement de tout souvenir, de toute image en dehors de l’Humanité l’Humanité sacrée de Notre-Seigneur. Dieu peut prendre l’âme l’âme en lui communiquant quelque chose de son bonheur, en lui infiltrant quelques-unes de ses joies. L’âme L’âme devient simple capacité de connaître et d’aimer. d’aimer. Elle connaît et regarde sans voir dans l’obscurité de l’obscurité de la foi. On ne désire plus cette communication de Dieu en tant que jouissance d’avarice, d’avarice, mais on veut faire à Dieu l’offrande, la l’offrande, la consécration, l’immolation la plus plus parfaite de ses facultés. La préparation personnelle d’ailleurs est un long et véritable martyre.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
217
* La grâce la plus élevée, décrite par saint Jean de la Croix, est une véritable pénétration de l’âme l’â me par Dieu. La cloison étanche qui séparait l’âme de Dieu est tombée. L’âme s’est évadée de la zone sensible, puis de la zone intellectuelle elle même ; elle vit au-dessus. au-dessus. Elle est en Dieu. Elle a d’abord eu l’impression d’être ramenée à la source même de sa vie et, là, de rencontrer Dieu comme tout occupé à la lui donner. Elle vit la vie de Dieu. Elle comprend qu’il en est ainsi. * Pour obtenir la dévotion au Saint-Esprit, la lui demander. Mortifier l’activité naturelle, faire tout le bien que l’on voit. Prier beaucoup l’Esprit-Saint. l’Esprit-Saint. Toute âme en état de grâce possède l’Esprit-Saint l’Esprit-Saint en elle comme un hôte, un ami, un conseiller, un protecteur. Avoir à soi, pour soi, comme tout seul en soi l’Esprit-Saint l’Esprit-Saint qui est l’Esprit même de Dieu, quelle richesse richesse ! Être mus par lui, tout est là pour nous. Il sait le plan de notre vie, la mesure selon laquelle nous devons être transformés en Jésus. Il travaille sans cesse à cette transformation. Comme nous devrions l’aimer ! l’aimer ! Comme nous devrions lui dire : « Esprit d’amour, éclairez-moi d’amour, éclairez-moi ; réchauffez-moi ; conduisez-moi ; transformez-moi ; embrasez-moi ; consumez-moi. Faites-moi entrer dans le sein de mon Père, dans cette place où il me veut, près de son Cœur, de plus en plus près. Faites que je reste là toujours, que je souffre, que je parle ou que je prie. C’est le lieu de mon m on repos et de mon bonheur ». Les dons du Saint-Esprit sont supérieurs aux vertus morales, mais inférieurs aux théologales car il n’y a rien au-dessus au -dessus des vertus théologales. Ils les complètent, les perfectionnent, mais en dépendent, ils sont informés par elles, enracinés en elles. On peut désirer les dons du Saint-Esprit Saint-Esprit puisqu’ils font partie de notre organisme spirituel. Ne pas désirer les grâces dites extraordinaires qui ont un but social, mais ne rien refuser au bon Dieu. * Le don de Sagesse a aussi un côté pratique : sa règle n ’est pas la même que celle du don de Science. Il juge de plus haut par la participation à la pensée de Dieu sur les choses, à son plan divin sur le monde : « Dominus « Dominus est » » 1. C’est l’intuition des cœurs purs. Le don de 1 C’est C’est
le Seigneur (Joan., (Joan ., XXI, 7).
218
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Science juge des choses en elles-mêmes dans leur harmonie avec Dieu — par exemple, valeur de la souffrance. Le don de Conseil nous dirige dans l’usage des choses. Le don de Sagesse fait participer à la filiation divine dans le Verbe, La béatitude qui y correspond est celle des pacifiques qui seront dits enfants de Dieu 1, justement parce que le don de Sagesse fait goûter Dieu et l’harmonie des moyens qu’il a établis. Il met dans l’ordre, la paix. C’est « la tranquillité de l’ordre ». l’ordre ». Les pacifiques donnent la paix, parce qu’ils la possèdent, parce qu’ils sont dans l’ordre. Le don de Science ou la science des Saints, c’est la même chose : « Justum deduxit Dominus per vias rectas, et edit illi scientiam sanctorum » torum » 2. Quand on y regarde de près, on s’aperçoit que tout r enouveau dans la vie intérieure, tout progrès réel dans le même ordre, commence par un jugement pratique sur le bon Dieu. « Dieu est tout pour moi ». Le but de mes efforts, effo rts, de ma vie, c’est de m’unir m’u nir à lui. « Mihi autem adherere Deo bonum est » » 3. Dieu n’est n’est pas loin de moi. Il est en moi. Il y est pour moi. Il veut se donner à moi. Il veut me faire goûter à son bonheur à lui. Ce qu’il est ce bonheur ? bonheur ? « L’œil de l’homme n’a pas vu » vu » 4. Si je le goûtais même un peu, j’en serais enivré d’une façon dont rien ne peut me donner l’idée. Mais je sais que sans la grâce, ce serait à en mourir… « Que faire, mon Dieu, pour m’unir à vous autant que cela dépend de moi ? » Pour m’unir à Dieu, pour me nourrir de lui spirituellement, il faut que je vide mes facultés supérieures, intelligence et volonté, de tout, absolument de tout : images, idées, affections créées ; puis, que je les tourne vers mon Dieu, que je les lui présente afin qu’il les illumine et qu’il les embrase, chacune suivant sa nature. Il faut que je me tienn e là, dans cette attitude intérieure le plus souvent, le plus longtemps, le plus parfaitement possible. Sans parler. Dieu m’entendra. Il comprendra que j’ai faim et que j’ai soif de lui. Il aura pitié, et un jour… il m’exaucera. Je le sentirai au plus intime inti me de mon âme, je le goûterai, je l’adorerai, je l’aimerai comme je n’ai jamais fait. Je m’oublierai tant je serai heureux de le savoir, de le sentir si heureux, lui. « Deus « Deus cordis mei ». Oh ! si j’étais sage, je serais fou de Dieu. Ce jugement pratique, point de départ de tous les renoncements, de tous les sacrifices, est porté par le don de Conseil. Plaise à Dieu que ce 1 Matth., V ,
9. Seigneur conduit le juste par des voies droites. Il lui a donné la science des saints (Office des Conf. non Pontifes). 3 Psal. LXXII, 28. 4 I Cor. II, 9. 2 Le
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
219
don béni, et mieux, sa mise en activité puissante nous soient accordés. Amen ! Amen ! * Il faudrait revenir à la docilité parfaite au Saint-Esprit. Saint- Esprit. C’est l’amour de Dieu qui rend docile. C’est lui aussi qui recueille l’âme et la tient solitaire. Demander beaucoup ce divin amour, Jésus ne le refuse pas. Quand je l’aurai, il consumera mes défauts et mon apostolat de viendra fructueux. Le meilleur moyen de savoir quand et comment il faut agir, quand il n’est pas possible de prendre conseil au dehors, est de se tourner vers Notre-Seigneur et de lui exposer son embarras. La réponse, sans qu’il y ait miracle, sera pour l’ordinaire d’autant plus prompte pro mpte et plus claire que l’âme se tient plus habituellement recueillie en elle-même elle -même et autant que cela dépend de son activité propre, doucement unie au bon Dieu. Qui donc connaît mieux le plan divin en ce qui regarde telle ou telle âme que le bon Dieu lui-même ? Quelle est l’âme qui a le plus de chances de le découvrir, de voir les choses comme Dieu les voit, de les aimer comme il les aime, de les réaliser comme il les veut, si ce n’est celle qui, autant qu’il lui appartient, ne fait pour ainsi dire qu’un se ul et même esprit avec ce Dieu béni ? Voilà pourquoi une âme qui veut vraiment agir d’une action qui demeure et porte jusqu’à l’éternité, l’ éternité, doit se tenir toujours étroitement unie au Sauveur Jésus. Elle ne pense plus, en un sens, mais c’est lui qui pense par elle, par elle, avec elle ; elle n’agit plus, en un sens, mais c’est lui qui agit en elle et par elle. Quelle dignité, quelle richesse de vie connue ou cachée, mais réelle. Il ne faut pour cela qu’une condition, mais il la faut absolument : absolument : renoncer à toute joie autre au tre qu’à la joie de Jésus ; ne vouloir d’autre gloire que la sienne, ne chercher d’autre bonheur que le sien, lui laissant, à lui qui est si bon, le soin de nous donner le meilleur pour le bien de notre âme ; consolations ou sécheresses, qu’importe, pourvu qu’il soit aimé ! Il y a du reste une joie si profonde à renoncer à toute joie pour Jésus quand on l’aime, que l’on n’ose pas dire que ce renoncement soit un sacrifice. * Quand j’agis seul, je fais une indélicatesse à Notre-Seigneur. Notre -Seigneur. Être ferme et rester intérieurement le plus possible avec le bon Dieu. Il désire que l’âme demeure avec lui seul. Surmonter l’effroi naturel de l’âme au moment d’entrer dans cette solitude. Triompher par des essais répétés de cette peur du vide. C’est une fausse peur : peur : Dieu habite cette solitude. Il la remplit de sa douce présence.
220
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Quelques instants de silence, le matin ; recueillement de tout l’être dans le dégagement absolu des facultés. On n’y arrive arrive pas seul : y tendre constamment. Y revenir sans cesse malgré les distractions : vrai martyre. tyre. Renouveler de plus en plus ces moments le long de la journée. Revenir sans cesse aux arrêts avant l’action, si dur et si difficile que cela paraisse. Le bon Dieu a droit à ce regard humble, affectueux et franc ; l’âme en a grand besoin. C’est toute la vie intérieure en raccourci. Il n’y a plus qu’à étendre. L’idéal serait d’en venir à tenir toujours les facultés supérieures ainsi appliquées à Dieu sans agitation, mais simplement et pleinement. On se donne ainsi tout entier, et on permet à Dieu de se donner si telle est son adorable volonté. L’habitude du recueillement acquise par la courageuse répétition des actes est capitale. Elle permet d’écouter l’Esprit-Saint, l’Esprit-Saint, de lui obéir. Elle rend maître de soi jusque dans l’action, elle facilite beaucoup l’oraison. — — Prier et s’exercer longtemps. — Dieu est au terme, et, s’il lui plaît, la joie de le goûter ; mais c’est Dieu pour luilui-même qu’il faut chercher. Dans tous les moments de solitude, revenir aussitôt au bon Dieu comme à mon unique Bien. Tous mes instants libres lui appartiennent, pour rester seul en sa présence. Que ma chambre soit un sanctuaire. M’habituer à y trouver Dieu. Penser qu’il m’y attend. * Aimer la l a solitude : celle de l’esprit et celle du cœur. C’est là que Jésus vient chercher pour l’ordinaire. Ne pas témoigner la peur de l’isolement. Aimer la solitude par esprit de foi : Jésus y parle aux âmes. O beata solitudo, o sola beatitudo. Chercher le bon Dieu au dedans. Tâcher donc d’avoir pour cela de petits moments de vraie solitude. Seul à seul avec Jésus, demander le saint amour : on ne peut pas se le donner, mais on peut avec la grâce ordinaire lui faire place en mortifiant l’égoïsme dans toutes ses manifestations et prier là le bon Dieu de nous donner, lui, son amour. Ne pas attendre attendre un amour senti, mais espérer l’amour vrai, celui qui pénètre la volonté jusque dans son fond, la purifie, la détache, l’assouplit, la fortifie, la dilate, la soulève et avec elle toute l’âme vers ce Dieu si aimant, si bon, si doux et si fort. « Il faut toujours porter les bras du désir vers la Plénitude adorée » 1. Quand je voudrai, Dieu voudra. * Être impitoyable pour la tristesse ; ne la supporter à aucun prix : Dieu est toujours là. Être triste volontairement, c’est dire à Dieu, à Jé1 Ruysbroeck.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
221
sus, qu’il ne suf fît fît pas à notre bonheur, que nous avons besoin de quelque chose autre que lui pour être heureux. Nous n’y pensons pas ; pas ; autrement, comment expliquer notre attitude ? Pardonnez-nous, ô mon Dieu. Faites-nous comprendre la parole de saint Augustin : « Fecisti « Fecisti nos ad te ». Qu’une seule tristesse pénètre dans notre âme, celle de ne pas vous aimer assez. Encore voulez- vous voulez- vous qu’elle soit douce, modérée, confiante. * La solitude est la condition sine qua non de non de toute vie intérieure véritable. Le bon Dieu a le droit de tout exiger, tout absolument. Il faut réaliser l’isolement du cœur. Les affections même y gagnent, car on est plus désintéressé pour aller aux âmes. Lutter doucement, mais fermement et impitoyablement : insister courageusement sur cette peur de l’isolement. Une âme qui aime Dieu ou simplement veut l’aimer n’est pas seule, pas du tout. Le vide ne fait souffrir que pendant qu’il se fait, et aussi longtemps qu’il n’est pas fait : cette souffrance doit cesser ou à peu près. Elle n’est pas le but, mais la conséquence du détachement qui s’impose pour que l’âme s’attache à son Dieu, et à lui seul. Quand l’âme ne tient plus à rien qu’à la volonté de Dieu, elle ne sent plus cette souffrance. Elle en éprouve une autre très différente, celle de ne pas aimer son Dieu et de ne pas le posséder pleinement. Mais cette souffrance-là est un « martyre délicieux », d’après sainte Thérèse. Demander à Jésus la grâce de comprendre que la solitude, quand il y pousse lui-même, lui-même, est comme un sacrement pour l’âme : Dieu s’y cache et s’y donne. Combattre toute tristesse. Cela fait de la peine au divin Maître. « Pour de telles faveurs, Dieu veut une âme seule, pure et enflammée du désir de les recevoir » 1. Demander sans cesse l’amour de la solitude, celle du corps (sauf charité), celle ce lle de l’esprit, celle du cœur. S’exercer sans relâche et avec une douce patience à les acquérir. Le bon Maître nous récompensera un jour en nous introduisant dans cette solitude supérieure de l’âme, où il lui parle cœur à cœur, où il l’éclaire, la nourrit nourrit et se donne à elle dans une union que les sens et l’intelligence ne comprennent pas. Ne pas craindre de détruire tout ce qui détourne de cette solitude de l’esprit et du cœur. * Aller à Jésus, au Tabernacle, sur la Croix, dans notre cœur ; cœur ; aimer beaucoup à nous tenir aux pieds du divin Maître présent en nous, 1 Ste.
Thérèse, Vie par elle-même, ch. elle-même, ch. VIII.
222
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
même d’une certaine façon par sa Sainte Humanité. Lui parler, l’écoul’écou ter, le regarder humblement et s’il se peut toujours, qu’il daigne nous entraîner dans cette solitude intérieure, loin du bruit, loin de nousmêmes, tout près de lui, et nous parler de cette parole qui ne s’entend pas des oreilles du corps, mais qui produit dans l’âme ce qu’elle signifie. Pour le moment et pour toujours, tout souffrir pour pouvoir aimer plus simplement, plus humblement, plus profondément, plus constamment. Chasser toute tristesse d’exil ; la vraie Patrie, c’est Dieu : Dieu : « Trop est avare à qui Dieu ne suffît ». Ne pas redouter l’isolement, le désirer absolu, ne jamais céder à la nature sur ce point : Dieu seul. Pratiquer cela de toute son âme, s’assurer de sa fidélité. Revenir souvent vers le sanctuaire intérieur : Dieu dans ce sanctuaire et l’âme en adoration affectueuse et vivante devant sort Dieu. Qui a cela, a tout. Qui ne l’a pas et ne cherche pas à l’avoir dans la mesure où il peut (sans s’imposer à Dieu toutefois), n’a rien. Renoncement. Don de soi.
Répéter souvent ces mots si profonds et si beaux de la très sainte Vierge : Ecce : Ecce ancilla. Fiat mihi… Demander mihi… Demander à Jésus une réelle et abondante participation aux dispositions intérieures de sa sainte Mère lorsqu’elle prononçait ce Fiat qui lui a tout donné, parce qu’en le disant, elle avait tout donné. « Mater « Mater Dei et nostra, Mater mea, ora pro me ». Me donner comme tout de nouveau à Jésus, corps et âme, facultés et actes, biens extérieurs même ; que ce don soit total, absolu, irrévocable. Que dès maintenant toutes mes pensées, toutes mes actions, toutes mes souffrances soient pour lui. Lui donner tout particulièrement ma volonté, de façon qu’elle ne m’appartienne plus. M’exercer M’exercer à ne rien vouloir que ce qu’il veut, comme il veut et quand il veut. M’assurer avant l’action qu’il en est bien ainsi, m’examiner après l’action pour la même raison. Enfin, pendant l’action même, être toujours souple aux vouloirs divins, quelque forme qu’ils prennent pour m’arriver. Que notre bonne Mère m’apprenne l’art si précieux de me donner à Dieu. Dieu me manifestera sa volonté le jour où je me serai vraiment donné à lui. S’il attend, c’est par miséricorde. Il craint que je ne prête pas attention à sa parole, occupé que je suis de mes volontés et de leur réalisation, ou que ma volonté, trop jalouse de son indépendance, manque de courage pour exécuter son plan à lui. Il n’y a qu’un remède à cela : se donner, se mettre totalement à son service, ne plus dépendre que de lui. Chez saint Paul, volonté rendue à merci, accent qui ne trompe pas. Prier beaucoup pour que la volonté se rende.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
223
* Quand on souffre, il semble que le bon Dieu est loin et qu’il n’agit plus dans l’âme. C’est une pure impression. Jamais, Jamai s, peut-être, peut-être, il n’est plus près et n’agit plus à fond, mais la pauvre âme n’en sait rien ; c’est ce qui la porte à s’inquiéter, à se désoler, à se plaindre ; plaindre ; trois choses qu’il faut éviter au contraire plus que jamais. « « Dieu sait tout, Dieu peut tout, Dieu Dieu m’aime » m’aime » 1. Que voulons-nous de plus ? * Pour recevoir de Dieu, il faut se donner. Plus le don de soi est intime, constant, généreux, détaillé, réel surtout, plus on peut espérer. Faire ce don, ces dons incessants par Marie. Dieu ne fait connaître sa volonté vo lonté qu’aux âmes qui se sont données à lui. Ma volonté est-elle donnée ? Lui appartient-elle ? Peut-il en faire ce qu’il lui plaît, et cela sans résistance, mieux encore avec joie de sa part à elle ? Est-elle sa volonté ? Suis- je Suis- je sien jusqu’à la dernière fibre du cœur ? cœur ? Est-ce que je ne veux que lui, rien que lui, lui tout seul ? Quand il aura entendu le véritable : « Ecce « Ecce ancilla Domini », », il parlera, je l’entendrai, je le posséderai, alors j’aurai tout, je ne chercherai plus rien. Tant que nous tenons à quelque chose pour nous, si peu que ce soit, le bon Dieu ne pourra pas nous accorder son intimité. N’y comptons pas. Mais en revanche, si nous brisons net, dès que nous avons conscience de la moindre recherche personnelle, nous ne savons ce qu’il fera, mais mais nous savons qu’il pourra faire ce qu’il voudra. À nous de poser la condition sine qua non : c’est vraiment grave. Pour la vie d’oraison, rien n’est profitable comme le don complet de notre volonté, don constamment renouvelé. C’est ce que le bon Dieu attend, attend, tant qu’il n’est pas encore maître chez lui. * Quand nous aurons obtenu la charité, nous n’aurons que peu de difficultés pour regarder le bon Dieu intérieurement, et les moindres attaches à quoi que ce soit nous feront horreur. N’hésitons pas à briser toutes les résistances de notre nature augmentées à certaines heures par la malice du démon. Plus elles nous détournent de Dieu, plus nous devons les combattre. Les joies qui suivront la victoire nous paieront plus qu’au centuple de nos efforts. Croyons-le Croyons -le de toute notre âme. 1 Ste.
Thérèse.
224
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Ne reculer devant aucun sacrifice pour atteindre le but. Détruire sans pitié tous les obstacles. Les détruire encore jusqu’à ce qu’enfin nous ayons trouvé le bon Dieu au fond de nous-mêmes, là où il nous attend, là où il nous appelle, là où il veut nous voir venir, rester et vivre. S’exercer à l’amour de Dieu. Prier, ne faire jamais notre volonté si c’est possible. Voilà ce qui conduit à l’union, s’il plaît à Dieu. * Le grand obstacle entre Dieu et l’âme, c’est l’âme elle-même elle -même qui ne sait sait pas et ne veut pas s’oublier. Les circonstances nous placent très souvent entre deux volontés di vines qui semblent se contredire, mais au lieu de se révolter ou de se décourager, il faut accepter l’incompréhensible, et c’est dans cet état déconcertant que le travail se fait. Les deux volontés divines sont très claires l’une et l’autre, mais ce qui est tout à fait obscur, c’est leur rencontre au même moment. C’est un conflit d’obligations, de devoirs. L’âme est comme saisie, tenaillée — — comme un objet pincé entre les deux branches d’une tenaille pour être retordu, rectifié. Évidemment on souffre. C’est un état des plus douloureux, mais à mon avis presque constant, et si on accepte bien la volonté du bon Dieu, les fruits se montrent, naissent de là. Il faut se soumettre sans comprendre. Me voici, Seigneur, avec votre grâce, je boirai votre calice, je porterai votre croix ; je vous ferai connaître et aimer, je vous aimerai surtout et je vous prouverai mon amour en renonçant à mes idées, à mes goûts, à mes volontés. Plus je sentirai de répugnance à le faire, et plus je me dirai : le devoir est là, la volonté de Dieu est là, mon Dieu est e st là. l à. Je le cherche, je ne le trouverai que là. — Suivre les conseils, passer par les chemins qu’on me montre, les préférer ; j’arriverai j’arriverai beaucoup plus vite et plus sûrement. * En principe, le don de soi se fait en un moment ; en fait, c’est à c’est à chaque instant qu’il se qu’il se réalise. Ce qui aide le plus dans la pratique avec la grâce du bon Dieu, c’est la c’est la vue constante de la volonté de Dieu en tout. Pour s’unir à Dieu, il faut le rencontrer rencontrer ; or Dieu ne se rencontre que sur les chemins de sa divine et adorable volonté. C’est dans ce chemin qu’il faut donc marcher toujours. Sous une autre forme, s’unir à Dieu, c’est communier à lui. Il se cache c ache sous les espèces du petit de voir présent, du petit sacrifice actuel, du petit renoncement du moment. C’est là qu’il faut le voir, le contempler, l’adorer, l’aimer et le prendre.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
225
* On ne va pas à Dieu par un autre chemin que celui de la Croix. Comme c’est c’est difficile difficile à comprendre pratiquement ! Dieu est la réalité suprême, en haut : comment l’atteindre sans l’atteindre sans tout laisser loin de soi ? Dieu est au plus intime de l’âme : l’âme : comment aller jusqu’à aller jusqu’à lui lui et le trouver sans se détacher de cœur de tout ce qui n’est p as lui, sans tout perdre ? (Le cœur est là où il aime). « Qui perdiderit animam suam » suam » 1. Il est notre fin unique, dernière. Notre mouvement d’âme ne doit pas s’arrê ter, qu’il ne l’ait obtenue, cette fin. Une fois atteinte, il s’arrête, l’âme se fixe. Elle Elle devient en quelque sorte immuable de l’immutabilité de Celui auquel elle s’attache et en qui elle se repose. L’abnégation est la loi de notre vie en ce monde. « Si quis vult venire post me » me » 2. Elle est la condition rigoureuse de tout progrès, elle en est est le fruit le plus révélateur. Mais il y a des formes d’abnégation qui peuvent ne pas convenir à telle ou telle âme. Ce qui importe, c’est de trouver la sienne, sa croix, et de la porter de toute son âme. * La vertu purificatrice de la tentation vient uniquement de la promptitude et de l’énergie avec lesquelles nous la repoussons ; repoussons ; de la détestation, de l’horreur de la volonté pour la chose proposée. Avoir conscience de cette résistance est presque est presque nécessaire nécessaire : on ne pèche pas sans le savoir, donc il faut se s e rendre compte qu’on résiste. L’âme sent la puissance de la grâce qui la fait résister comme si quelqu’un de très fort la tenait pendant qu’un autre agent extérieur la tenaille. * Vouloir faiblement ce que l’on veut lorsqu’il ne s’agit pas de Dieu ou d’un moyen nécessaire d’aller à lui. * Rien ne coûte comme le don parfait de notre volonté, rien pourtant ne nous est plus utile. Une âme qui veut glorifier le bon Dieu en reconnaissant opere et veritate son veritate son souverain domaine, son droit absolu de nous commander, commande r, n’a pas de meilleur moyen que celui-là. celui -là. Comme c’est la volonté qui dispose de tout ce qui lui appartient au dehors et au dedans, la donner, donner, c’est vraiment tout donner. Voilà pourquoi saint 1 Luc, 2 Si
IX, 24.
quelqu’un veut venir après moi (Luc, IX, 23).
226
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
François de Sales dit, parlant de nos facultés : « La volonté est la seule que Dieu veut ». Nous n’avons pas non plus de meilleur moyen de nous sanctifier. Quand la volonté est devenue autant que possible volonté de Dieu, elle évite non seulement presque tout péché, mais même presque toute imperfection, elle pratique en même temps toute vertu, parce que partout et toujours elle est docile à Dieu. Or Dieu est l’infatigable Ouvrier de notre perfection. Il travaille sans cesse à nous rendre semblables à Jésus, son Fils Bien-Aimé. Nous n’avons pas non plus de meilleur moyen de moyen de nous rendre heureux. Une volonté unie à la volonté de Dieu par l’obéissance est dans l’ordre et par suite dans la paix. Elle goûte aussi la joie la plus parfaite, parce qu’elle donne la preuve évidente de son amour, et que la divine charité rend heureux heureux puisqu’elle unit à Dieu, le Bonheur même. On pourrait ajouter que c’est c’est la meilleure préparation aux plus hautes faveurs de Dieu s’il plaît à sa miséricorde de les accorder. Sainte Thérèse a des pages encourageantes au possible sur le don de la volonté 1. Mais tout cela est aux mains de Dieu. Lui dire souvent ce mot qu’il aime tant et qui dit tant de choses : Père. « Nemo « Nemo tam Pater » Pater » 2… Comme cela est vrai, mille et mille fois vrai. « Adveniat « Adveniat regnum tuum… tuum… Fiat voluntas tua… in me… semper ». Si l’on l’on savait dire « Père » au bon Dieu, comme on serait heureux, joyeux et forts ! Mon Dieu, quand serons-nous vos enfants ? Vous êtes Père, ô mon Dieu, D ieu, choisissez vous-même vous -même ma voie extérieure et intérieure, je veux vous plaire et non me plaire. * Comme il est précieux précieux pour une âme d’être une âme qui plaît à Dieu ! En un sens très vrai, il n’y a rien de meilleur au monde, alors même que l’âme ne goûterait pas la joie que l’on goûte quand on sent que Dieu est content. Plaire à Dieu, c’est lui ressembler. Il ne sourit qu’à sa propre Beauté. — C’est imiter Jésus : Jésus : « Quae placita sunt facio semper », c’est de venir Jésus, c’est posséder Jésus, même si on ne sent rien. Dieu ne se plaît qu’à regarder Jésus. Conclusion : chercher toujours et partout à plaire à Dieu sans retour vers soi. Avoir cette seule intention dans tout ce qu’on fait, s’ingénier pour découvrir ce qui peut le plus plaire à Dieu. Tout sacri1 Chemin 2 Nul
de la perfection, ch. XXXII. n’es n’estt Père comme Dieu (Tertullien).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
227
fier pour atteindre ce but, même et surtout sa volonté propre. Travailler à embellir son âme sans désirer connaître, contempler et goûter cette beauté pourvu que lui la contemple et la goûte. Un moyen très sûr de plaire à Dieu, c’est de ne se plaire qu’à le contempler et à le servir : miroir qui reflète, statue vivante qui reproduit. * Dieu se donne où il veut et quand il veut. Le meilleur moyen de le rencontrer, c’est de se tenir toujours sur le chemin de sa sainte volonté. Le reste dépend de lui seul. Il faut donc avoir faim et soif de cette adorable volonté, chercher à la connaître, puis s’efforcer humblement de la réaliser coûte que coûte en vue de le glorifier, de lui témoigner son amour et de lui plaire. Ne pas oublier que le plus souvent notre volonté n’étant pas en harmonie parfaite avec le bon Dieu, il y aura nécessairement souffrance, immolation, sacrifice. Mais cela doit plutôt rassurer, c’est bon signe, on est sur le chemin du Calvaire. * Si l’âme doit désirer l’union à Dieu, c’est surtout afin de pouvoir prendre sur elle une part plus grande de la Croix de Jésus et la mieux porter. Ceci est très important et n’entre pas aisément dans l’âme. La Croix fait peur et pourtant ! Demander au bon Dieu la grâce de ne pas vouloir que les minutes d’obscurité et de souffrance passent plus vite que les autres, elles sont si précieuses. Étouffer tout mouvement naturel dès que nous en avons conscience. Renoncer à nos goûts personnels, à nos idées. Prier Jésus de nous donner à la place ses goûts et ses idées. Il faut croire le mystère de la Croix avant de le comprendre et de le goûter. * Ne pas regarder ce que font les autres. Observer le règlement avec ponctualité. Interrompre ce que nous faisons assez tôt pour arriver à l’heure, dussions-nous dussions-nous attendre. Donnons-nous Donnons-nous ainsi l’occasion : l’occasion : 1º de nous détacher de ce que nous faisons ; 2º d’aller doucement et de pou voir ainsi penser au bon Dieu, 3º de pratiquer la patience si on nous fait attendre, et d’utiliser encore ces moments perdus en faisant des retours vers Dieu. La sainte volonté de Dieu est là, et alors elle n’est que là. Le bon Dieu sait le but, les moyens, la voie. L’écouter, lu i obéir, ne lui refuser aucun de ces sacrifices que nous sentons qu’il demande.
228
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
S’appuyer sur lui tout seul. Faire de petits efforts humblement, il le veut, mais lui en laisser toute la gloire. Il aime tant que l’on reconnaisse que tout vient de lui, qu’il est tout. C’est la vérité et il est la Vérité. Nous avons besoin de bonheur profond, nous le cherchons : il est là, dans l’amour de Dieu, dans l’union à Dieu, dans la vie toujours plus intime avec ce Dieu mille fois béni. * Le divin Maître veut le détachement détache ment du cœur complet, absolu, mais c’est chose du dedans surtout. C’est nous qui devons en souffrir. Il ne faut en faire souffrir les autres que si cela est nécessaire. Pour la mortification intérieure, champ libre : pas une pensée, pas un regard pour se satisfaire. Renoncer à tout, même à ce qui serait légitime. Regarder plus haut. Ne pas craindre la mortification du cœur : il semble qu’on s’arrache le pain de la bouche, c’est une mort, mais le bon Dieu demande ce sacrifice ; un jour il rendra au centuple. Ne pas se lasser de recommencer sans cesse, c’est dans l’ordre. Renouveler l’énergie de la volonté, lorsqu’elle fléchit dans la surveillance sur soi-même soi-même et le travail qu’elle impose. Prier surtout : c’est par la prière que l’on arrive à se reprendre sans sans cesse, car le grand point, c’est la persévérance. * Être généreux pour la mortification, mais prudent. Réfléchir, demander à Notre-Seigneur si cela lui fait vraiment plaisir. Il éclairera de quelque façon, mais viser à la persévérance dans les petites souffrances qui n’en ont pas l’air. Préférer les petites mortifications aux grandes. Les aimer et les pratiquer. Elles préparent très efficacement à la vie intérieure. Mortifier surtout le jugement et la volonté. Il y a toujours attache quand nous changeons sans raison une organisation donnée. En matière de mortification, quand on a une fois sagement fixé ce que l’on peut supporter, il faut y tenir avec fidélité. Voilà pourquoi il convient d’aller pas à pas et de bien s’éprouver avant d’ajouter à sa charge. Toutefois la santé, la charité, les circonstances, etc., peuvent obliger à des modifications transitoires. Il faut alors les accepter simplement, comprimer la nature impatiente du joug et portée à se réjouir quand il est allégé, revenir enfin dès qu’il est possible possible à son petit programme.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
229
Ainsi comprises, les mortifications produisent les plus heureux fruits, elles assurent notre éternité en nous faisant éviter le péché, elles enrichissent notre éternité, mieux aimer Dieu à jamais ! Elles hâtent notre éternité : purgatoire sur terre et même souvent le ciel dès ce monde. Puis, pour une âme qui veut être apôtre, c’est par là qu’elle obtiendra les grâces de conversion pour les pécheurs, d’ascension pour les justes, et d’union pour les privilégiés de Jésus. Quelle belle moisson : « Adimpleo « Adimpleo quae desunt » » 1… « Christo con fixus sum su m cruci » » 2… « Nisi « Nisi granum g ranum frumenti » » 3… « Abneget « Abneget semetipsum » sum » 4. La souffrance affectueuse est la plus efficace des prières. Demander à Dieu l’amour profond, inlassable, des petites souffrances, souffra nces, des petites humiliations, des petites contrariétés, des petits renoncements même dans la piété. Être sur le chemin du Calvaire (sinon sur la Croix), y marcher avec un amour grandissant, voilà le secret des plus intimes faveurs du bon Sauveur. « Si « Si nous savions te don de Dieu !… » !… » 1º Ne pas se charger sans beaucoup de prudence et d’essais. 2º d’essais. 2º Mais, ceci fait, tenir. 3º Causes d’exceptions d’exceptions : santé, charité, circonstances mais pas inconstance, absence de ferveur sensible…, etc. * Ne pas tendre son esprit vers la mortification héroïque et par trop dure. On s’accable. Cela enlève la douce liberté de l’âme. Donner sincèrement sa volonté au bon Dieu. Lui dire que nous voulons tout ce qu’il veut et comme il le veut. Puis prendre de sa main tout ce qu’il nous envoie. De nous-mêmes, nous-mêmes, n’allons qu’à de petites mortifications, mais soutenues autant que possible. Insister surtout sur les renoncements intérieurs : jugement, volonté. Par dessus tout, nous oublier le plus possible pour songer à Jésus, le contempler dans la paix et l’aimer simplement, très simplement. Compenser par la mortification des yeux, des oreilles, de la mémoire, de l’imagination, du jugement, de la volonté. Quel champ ! champ ! Ne pas céder sur la mortification de la tenue : la nature cherche ses aises partout. Ne pas avoir peur du sacrifice : s’appuyer sur Jésus. Communier bien par amour pour Dieu aux petites souffrances de chaque instant : c’est du réel, du solide, de l’actuel, et, avec -la grâce, du possible. Puis quand la piqûre d’épingle paraît trop sensible, s’unir à Dieu au dedans, la force sera donnée. J’accomplis dans ma chair ce qui manque aux souffrances du Christ (Colos., (Colos., I, 24). suis cloué à la Croix avec le Christ (Galat., II, 19). 3 Si le grain de froment ne meurt (Joan., XII, 24). 4 Qu’il se renonce lui-même (Luc, IX, 23).
1
2 Je
230
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Aller petitement d’abord, les grandes croix ne se portent pas sans un grand amour. C’est toujours au désir de la charité qu’il faut en re venir. Demander pendant quelque temps l’amour l’ amour du sacrifice. Puis on en viendra à demander la souffrance même, mais selon la volonté de Dieu et toujours en sollicitant la grâce nécessaire pour porter la croix. * Il y a bien des manières de faire jeûner la sensibilité ; il faut qu’elle entre tout entière et peu à peu dans la nuit. Supprimer parfois la mortification les jours de fête, non pas tant pour se donner relâche que pour s’unir à la joie de l’Église. * « Nonne haec oportuit pati Christum ? Ne fallait-il pas que le Christ souffrit ces choses ? 1 » Pour entrer dans sa gloire le Christ Jésus a dû souffrir. Ce qu’il a souffert, nous le savons un peu seulement. Et ce peu que nous savons nous effraie. Mystérieuse mais bienfaisante loi pourtant que celle qui unit ainsi comme en une même réalité la souffrance et la gloire. Nous ne voyons qu’une des faces de la réalité ; elle nous fait peur. L’autre ne nous est connue que par la foi. À mesure, il est vrai, que la foi grandit dans une âme, elle lui montre dans une plus vive lumière l’aspect glorieux et éternel de l’immolation. Alors par une sorte de réflexion des rayons lumineux de la foi sur le côté douloureux et humiliant du sacrifice, celui-ci change de teinte. Il perd de son pouvoir sur la nature. Il devient d’abord tolérable, puis désirable, enfin aimable. L’âme comprend, on on dirait même qu’elle voit que toute souffrance acceptée par amour est un vrai trésor, et que la loi à laquelle Jésus s’est soumis est aussi sa loi à elle. Elle s’y soumet dès lors avec joie. « Mortui enim estis, et vita vestra est abscondita cum Christo i n Deo : Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu » 2. Mourir à tout ce qui est de la terre, s’unir à Jésus, l’unique voie et l’unique vie, puis se cacher en Dieu, et là, inconnu de tous, vivre déjà de la vie du ciel toute de contemplation cont emplation et d’amour, quel beau programme ! Y en a-t-il même un autre au fond ? Oui, mon Dieu, je voudrais le faire mien en toute vérité et le réaliser point par point chaque jour plus parfaitement. Mourir pour devenir Jésus autant que cela est possible. Devenir Devenir Jésus afin de vivre de sa vie profonde qui n’est autre que la vision face à face et l’amour qui suit cette bienheureuse vision. 1 Luc,
XXIV , 26. III, 3.
2 Colos.,
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
231
« Jésus, divin Médiateur, faites votre œuvre en moi. Détruisez tout ce qui ne peut pas être pris en compte par vous et da ns l’esprit, et dans la volonté, et dans le cœur. Tout est à vous, tout doit être transformé en vous autant que cela est possible. Bien que restant distincts puisqu’il le faut, faites que nous ne soyons qu’un, vous et moi par la pensée et par le cœur. Soyez Soye z à la fois le principe, le modèle et la nourriture de ma vie ». * Pour voir Dieu, même dès ce monde, il faut avoir le cœur pur, c’estc’est à-dire àdire une volonté qui ne soit attachée qu’à Dieu et non à soi et à quoi que ce puisse être. Supprimer absolument toute jouissance qui ne regarde que soi ; abstraction du créé. Quand je suis seul en jeu, pencher toujours du côté du sacrifice ; en dehors de Dieu, rien, absolument rien. Quand d’autres sont en cause, pencher toujours du côté de la charité, en désavouant tout plaisir par la volonté. * Il faut une grâce puissante pour aimer vraiment la souffrance, pour en comprendre le prix, pour en venir aux actes. Porter sa croix simplement avec beaucoup d’amour : d’amour : « Être sur la croix vaut mieux que la contempler ». C’est le seul seul chemin pour qui veut suivre le Sauveur. Il l’a pris, le premier, innocent, et nous avons tant à nous faire pardonner ! Le bon Dieu me fait la grâce d’aimer de plus en plus mes chères souffrances (providentielles). Dès lors qu’il les permet, je les reçois avec bonheur. Il me semble qu’elles me rapprochent de lui. C’est par moment seulement que la lumière se fait dans l’esprit sur la souffrance. J’ai tout à fait l’impression de n’avoir rien compris jusqu’ici pratiquement au sacrifice. La volonté n’est pas gagnée, mais j’espère. Dieu est si bon ! Oh ! quel trésor que la souffrance. Mais voilà, on ne sait pas au sens vrai du mot et on passe à côté d’elle sans en soupçonner sou pçonner le prix. Humilité.
Méditer l’humilité de Marie avant l’Incarnation, à Bethléem, à Nazareth, pendant la vie publique, à la Croix, après la Résurrection. L’humilité, l’obéissance, disposent à la vraie contemplation, et la meilleure préparation à l’union comme aussi la meilleure preuve de sa réalité, c’est précisément le goût de plus en plus vif de ces vertus. Tout ce qu’on fait dans ce sens rapproche du bon Dieu plus qu’on ne le
232
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
pense. C’est par la charité qu’on arrive à cette vertu bien qu’elle soit à la base dans l’ordre des conditions. La perfection s’obtient lentement ; lentement ; il ne faut pas songer à une perfection toute faite et reçue tout de suite et une fois pour toutes. Savoir supporter ses défauts dans la patience, c’est la moitié de l’art de les corriger. Il faut des examens sérieux pour connaître les idoles du dedans. C’est l’amour vrai du bon bon Dieu qui rend humble. Quand on vit de lui et pour lui, on ne vit plus de soi et pour soi. Dans les tentations de vanité, penser à Jésus. Travailler à détruire l’habitude de passer toujours en premier, avant la grâce, avant Jésus. Plus je resterai en bas sur moi-même, moins je verrai clair : plus je monterai vers le bon Dieu et le regarderai, plus tontes les choses s’illus’illu mineront. La clarté se fait en tout quand on ne n e tient plus qu’à Dieu. La simplicité consiste à n’avoir qu’une pensée, un désir, une affection : Jésus, et ceci toujours. On n’est simple qu’en s’oubliant constamment, autrement il y a toujours double courant. * Noter les critiques, cela éclaire, cela humilie, c’est donc précieux. Répondre avec charité aux compliments, mais n’en rien croire (très pratique). Chaque fois regarder Jésus couronné d’épines et bafoué par les soldats. On ne sait pas se défendre devant un compliment, cela gonfle : c’est une sottise ! La même chose pour un reproche, cela torture : on voudrait s’en débarrasser, y échapper. Ne pas s’étonner de sa faiblesse, mais ne pactiser jamais. Renvoyer les compliments à Notre-Seigneur par un acte intérieur ; puis passer, ne pas trop s’inquiéter des retours sur soi. * Le bon Dieu peut faire toucher ce que c’est qu’être pauvre. C’est une grâce alors d’avoir la joie de dépendre de lui, d’attendre tout de lui pour le matériel. Le bel évangile que celui du XIV e dimanche après la Pentecôte ! Comme je voudrais le comprendre et le vivre… Au point de vue spirituel, c’est la même chose. C’est si bon de se sentir misérable, de tout lui devoir. Aimer ses impuissances, accepter d’être pauvre. Il ne s’agît pas de renoncer à ceci ou cela — laisser — laisser faire le bon Dieu avec une confiance filiale.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
233
Rien n’est bon comme de constater sa faiblesse pourvu que, tout t out de suite, on se tourne vers Celui en qui seul on a mis sa confiance. Par contraste, son adorable et infinie Beauté grandit à nos yeux quand la réalité nous oblige à prendre conscience de notre infirmité et de notre laideur. On conclut : « Comme il est bon de nous aimer quand même ! Comme il faut à son exemple être miséricordieux pour les autres, puisqu’il l’est à ce point pour nous ! nous ! » * D’une façon générale, travailler à s’effacer. Aimer le bon Dieu de plus en plus, le faire aimer autant qu’il est poss ible, puis se faire ou blier ou du moins désirer qu’il en soit ainsi ainsi : voilà qui est bon pour Dieu, pour le prochain et pour nous. On trouve de grandes grâces et de grandes joies dans cet effacement. Mais l’occupation de soi ne disparaît que lentement. C’est C’est à force de se tourner vers Jésus et de le contempler qu’on finit par s’oublier soi-même. soi-même. Rien ne rend humble comme de connaître un peu le bon Dieu. À force de contempler l’infinie Beauté, on en vient à trouver insupportable le moindre retour vaniteux sur soi-même. Joindre les deux méthodes : combattre toute pensée, tout jugement, toute parole qui sentent l’orgueil ; l’orgueil ; mais croire que la charité, fruit de l’adoration, sera plus efficace et de beaucoup. On peut souffrir de son inutilité jusqu’à en pleurer, mais ma is en restant soumis à la volonté de Dieu, sans aucune consolation, sauf le sentiment très profond qui se trouve dans la preuve qu’on aime alors sans aucun retour d’intérêt. « Ama « Ama nesciri » » 1. C’est sur le premier mot qu’il faut insister, c’est-à-dire c’est-à-dire sur les dispositions delà volonté delà volonté à l’égard de l’estime, des louanges et de leur contraire. Prendre au dedans (à l’intérieur, on a le champ libre) et même au dehors (la prudence pose des limites à l’extérieur) une attitude et user d’expressions en harmonie avec avec la petite idée qu’on se fait de nous. Par volonté, aimer à être traité ainsi. Parler peu de soi, très peu, pas du tout s’il était possible. Rien n’est bon comme de s’oublier pour mieux s’occuper de Dieu et des autres pour Dieu. Quand il y a lieu de parler de soi, le faire très simplement en termes toujours vrais et discrets. Réfléchir avant de parler. Le vrai frein de la langue, c’est le vif sentiment que Dieu est là, qu’il écoute et qu’il juge. Notre parole lui appartient. Les vrais humbles parlent bas d’instinct. d ’instinct. * 1 Aimer à
être ignoré…. ignoré… . ou compté pour rien ( Imit., ( Imit., I, I, ch. II).
234
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
La douceur ordonne les mouvements de notre âme par rapport au prochain, l’humilité par rapport à Dieu et ce qu’il y’a de lui dans les autres. L’humilité rend l’homme capable de Dieu. Dieu. La seconde béatitude, celle des doux, s’harmonise avec le don do n de Piété, car ceux-là sont doux qui se comportent comme des enfants de Dieu, et ceux-là s’irritent à proprement parler qui ne s’élèvent pas à la pensée de ce que Dieu veut ou de ca qu’il permet pour un plus grand bien. Demander les vertus du Cœur de Jésus Jésu s : la douceur avec tout le monde ; l’humilité : l’humilité : à la dernière place on ne dérange personne, il faut qu’on vienne vous y chercher ; chercher ; la patience pour accepter toutes les volontés du Seigneur, même quand elles semblent se contredire ; la charité : pour faire un peu aimer le bon Dieu, il faut beaucoup l’aimer. Parfois, plus on demande ces vertus, moins on les a, semble-t-il. C’est bon signe ; signe ; cela prouve combien on en a besoin ; le démon aurait voulu nous endormir sur ce point. Le grand ennemi, c’est l’orgueil, l’orgueil , lui faire une guerre implacable dans toutes ses manifestations : jugement, parole, attitude, démarche. On ne saurait trop demander l’humilité. Plus on aime Dieu, plus on a d’attrait pour l’humiliation vraie et le sacrifice. L’union à Jésus, la contemplation contemplat ion habituelle de Dieu sont les meilleurs moyens de vaincre l’orgueil. * Il y a des tempéraments résonateurs : il suffit d’une petite idée, grossie, amplifiée par l’imagination (orateurs) et l’on croit qu’on possède une grande vertu. Chez d’autres, la volonté volo nté forte et réelle s’exprime difficilement en effets. C’est aux actes qu’il faut juger : juger : les uns sont portés à la présomption, les autres au découragement. Saint Augustin a de très belles réflexions sur la présomption de saint Pierre qui confondait ses désirs dé sirs avec ses réels moyens d’action. Renoncer à la satisfaction même inconsciente que procurent les imaginations forgées par la vanité : histoires dont on est le centre, le héros, retours sur ce que les autres pensent, etc. L’orgueil est toujours à base de jugement faux : on vit trop près de soi, cela fausse la perspective. Ne chercher jamais à savoir ce que l’on dit de nous : si c’est du mal, penser qu’on en mérite beaucoup plus ; si c’est du bien, qu’on a peut-être peut-être exagéré, et qu’en tout cas, tout vient d e Dieu. Tout mouvement de vanité volontaire est un véritable larcin. Dans les fautes, s’humilier d’abord intérieurement, paisiblement : paisiblement : « Mon Dieu, j’ai eu tort, pardonnez-moi, donnez-moi donnez-moi plus d’amour d’amour ». Se blâmer, même après coup, habitude à prendre, très précieuse. Demander l’humilité qui rend heureux.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
235
Ne pas séparer la connaissance de soi de la connaissance de Dieu. Peu à peu, l’âme en vient à s’oublier et à se mépriser, à ne plus songer qu’à la gloire et au bon plaisir de Dieu. Travailler l’humilité ; l’humilité ; voir ce qui domine le plus en nous : recherche de l’estime des autres ou attache à sa propre estime — — reproches — compliments — ouvrage manqué… Contempler Jésus doux et humble. Comprendre que cette vertu amère à la nature est douce et que la destruction qui s’opère est bonne. * J’ai beaucoup souffert de la vue indiscutable de mon impuissance à faire aimer le bon Dieu. Je ne puis radicalement rien. Alors, j’ai demandé au bon Dieu de ne pas détruire par mon incapacité le bien que l’enseignement peut faire par lui-même, et je lui ai dit : « Puisque je ne puis rien pour vous, je vais me mettre à vous aimer, à vous aimer ! Réduit à rien à l’extérieur, je vais m’appliquer à votre saint Amour, afin qu’en considération de ce désir, vous attiriez vous-même vous -même ces âmes ». Être bien convaincu que nous sommes un monde de pauvreté ! de tout petits ouvriers, si incapables, si misérables !… Les vues de notre esprit sont absolues et nous les avons en un moment ; la réalisation est longue, coûteuse, difficile ; elle n’atteint jamais l’idéal entrevu ; l’unité ne se fera que Là-Haut. Chez les Saints, cette souffrance est encore plus vive, car ils se sentent plus loin de Dieu : plus on monte, plus on constate la distance qui sépare du sommet. Mais cette souffrance est paisible. Elle explique les actes d’humilité d’un saint Vincent de Paul, d’un Curé d’Ars, de tous les Saints. * Les âmes (non pas toutes, mais la plupart) passent généralement par trois phases : période d’illusion — puis d’irritation — enfin — enfin de résignation. C’est si bon de connaître ses limites, de les sentir si vite atteintes, d’expérimenter sa dépendance. * La douceur est la vertu des vertus, en ce sens qu’elle en est la fleur. C’est l’union habituelle à Dieu qui rend fort ; fort ; la douceur est une vertu forte. Pour être doux, toujours, toujours, il faut être fort de la force même de Dieu. Il est très difficile de souffrir et d’être doux. * Trembler quand on ne se sent pas dans la main de Dieu et qu’on ne cherche pas à s’y remettre.
236
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE *
Disposition d’une âme visant au sourire et acceptant humblement la manifestation involontaire ou la répugnance produite par l’humilial’humilia tion et le sacrifice, quand cette manifestation se remarque. Achever d’un sourire le premier mouvement de douleur. C’est le don de Science qui fait trouver le trésor caché dans l’humi liation, la pauvreté, le sacrifice, l’obéissance, tout ce qu’on appelle la croix. Les mondains, tous ceux qui n’ont pas reçu ce don, n’y compren nent rien, tout cela est si contraire à la nature ! Mais le Saint-Esprit en fait découvrir découvrir le prix, il en donne le goût caché dans l’intime de l’âme ; l’âme ; quelquefois il le fait transparaître un peu, très peu, jusqu’à l’extérieur. Obéissance.
Il n’y a que l’intime, profond, spirituel contact de l’âme avec Dieu, senti ou non, qui sanctifie. De là, soit dit en passant, le prix de l’obéisl’obéis sance, qui oblige souvent pour être vraiment observée à renouveler cette prise de contact avec Dieu. Pour qu’il y ait mission morale, il faut que celui qui envoie soit supérieur sous un rapport quelconque : ainsi celui que le roi consulte avant de faire la guerre. C’est le conseiller qui l’y envoie, il lui est supérieur sous le rapport de la sagesse. Dans l’obéissance, notre intelligence peut regarder un supérieur, commandant dans les conditions voulues, comme éclairé directement par Dieu, et reflétant la lumière divine, comme les anges s’illuminant les uns les autres jusqu’à la dernière hiérarchie. Ne pas obéir pour la supériorité reconnue de la personne qui ordonne, mais à cause de ce reflet de Dieu, parce que cette personne a charge et autorité. Dieu ne se trouve que sur le chemin de son adorable volonté. Le grand avantage, de l’obéissance est l’obéissance est d’harmoniser notre d’harmoniser notre volonté avec la volonté du bon Dieu, alors même qu’il y qu’il y aurait erreur du côté de celui qui commande. L’union L’union transformante suppose toujours réalisée l’union de l’union de conformité : celle-ci est le plus court chemin pour atteindre celle-là. * Il ne faut pas ramener la règle à sa mesure, mais s’adapter à la mesure de la règle, c’est le seul moyen de se former. Docilité humble faisant tout de suite le sacrifice de volonté ou de jugement demandé ; intelligente, pénétrant la pensée du Supérieur pour la prendre à son compte et la mieux exécuter ; affectueuse enfin, toute détrempée d’amour de Dieu, de ce Dieu si bon auquel on obéit. on obéit.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
237
Rien n’est utile comme l’obéissance, rien n’est difficile comme elle. Le mauvais esprit la rend presque impossible en prévenant contre l’autorité, en dénaturant les intentions de celui qui commande, en lui en prêtant qu’il n’a jamais eues. Il est permis p ermis et même louable de chercher à pénétrer les raisons du commandement quand on le fait pour soumettre son jugement à la Vérité. Dans ce cas, le mérite de l’obéis sance vient de l’hommage rendu à la Vérité. Comprendre autant que possible le conseil donné, mais pour mieux le suivre. Tenir ferme à ce principe si sage : Praesumptio stat pro superiore. Dans les cas douteux, le supérieur est supposé avoir raison. * Plus l’obéissance immole, plus elle est précieuse, plus on doit l’es timer. On donne à Dieu sa v olonté, olonté, c’est cette faculté qu’il veut : veut : quand il la possède, tout suit : « Meus « Meus est cibus, ut faciam voluntaiem ejus qui misit me » me » 1. « Quae placita sunt ei, facio semper » semper » 2. Apostolat.
Contempler avec quelle facilité la sainte Vierge donne son petit Jésus. C’est son geste habituel, familier. Un bon vieillard le désire, comme elle le lui remet volontiers. Elle est toujours disposée à le donner. Faire comme elle : donner Jésus par la prière, le sacrifice, le bon exemple, une bonne parole, le désir intérieur. Quand nous sommes en rapport avec le prochain, prier intérieurement, demander à Jésus de se donner : que cette âme à qui je parle l’aime davantage, le serve plus généreusement… Il n’y a qu’un moyen d’aimer les âmes, c’est de leur vouloir du bien, leur seul Bien, en leur donnant Jésus. Pour cela, communier aux vertus de la sainte Vierge, amour, dévouement, oubli de soi : se priver pour donner Jésus. Avant d’apprendre aux autres à aimer Dieu, il faut commencer par l’aimer soi-même. soi-même. Comment le donner aux autres, si on ne le possède pas ? Nous faisons du bien dans la mesure de notre union à Jésus. Nous ne le voyons pas toujours, mais cela est toujours vrai. * 1 Ma 2 Je
nourriture est de faire la volonté volonté de mon qui m’a envoyé (Joan., IV , 34). fais toujours ce qui lui plaît (Joan., VIII, 29).
238
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Quand nous sommes brusques et durs, ce n’est pas Jésus qui agit en nous. Il nous reprend au contraire : « Vous ne savez pas de quel es prit vous êtes » êtes » 1. — « Qui Spiritu Dei aguntur hi sunt filii Dei » » 2. Ne nous impatienter jamais, jamais. Nous avons toujours tort de le faire. * Pour faire du bien aux âmes, tenir son cœur spirituel intimement et continuellement uni à Dieu. Plus on est instrument attaché, attaché, serré par un mouvement volontaire à l’agent principal, plus on fait de bien, plus on le fait bien et plus on en fait à soi-même. soi- même. L’action est alors une contemplation continue. On voit l’œuvre, on voit l’Ouvrier, l’ Ouvrier, on se voit entre les deux, heureux du bien qui passe pour nous, heureux surtout de se sentir entre les mains de Celui qui seul est bon et nous fait alors communier à sa bonté. Songer que l’on remplit un devoir, le premier de tous après celui d’aimer Dieu, et le remplir par amour, puisque c’est l’amour qui donne du prix à tout, au verre d’eau froide comme au sacrifice de la vie. * Ceux qui sont doués d’une certaine force de pensée ou d’imaginad’imagina tion sont exposés à vouloir faire entrer de gré ou de force les hommes, les idées, les choses dans les cadres rigides de leurs concepts ou de leurs images. Ils doivent tout d’abord se demander si ces cadres sont bien conformes à la l a réalité, puis surtout s’assurer que les hommes sont bien préparés à les accepter. accepter . * Toute vérité n’est pas bonne à dire… sans préparation. Il y a tout un art d’amener les âmes à la Vérité. C’est la charité qui enseigne à le pratiquer : elle fait pénétrer les dispositions de celui à qui l’on parle et porte l’intelligence à chercher par où par où la Vérité pourra se faire jour dans son âme. L’amour apprend à sortir de soi soi ; il rend semblable à ceux que l’on aime ; il permet ainsi à l’intelligence de les connaître comme du dedans. Une fois à l’intérieur de la place, on voit mieux comment s’y prendre prendre pour y faire entrer la Vérité, et « c’est la Vérité qui délivre » livre » 3. Comme on a su gagner par sa bonté les sympathies de l’âme, on la tourne peu à peu, doucement, vers la Vérité ; elle accoutume par 1 Luc,
IX, 55.
2 Ceux
qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu de Dieu (Rom., VIII, 14). 32.
3 Joan., VIII,
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
239
degrés ses pauvres yeux à cette bienfaisante lumière et finit par devenir capable de la regarder en face et d’en soutenir tout l’éclat. « Caritas patiens est » » 1. — « Facientes « Facientes veritatem in caritate » caritate » 2. Le mieux en soi-n’est soi-n’est pas le mieux toujours pour telle ou telle âme. Dieu veut des âmes qui prient et des âmes qui souffrent, des spécialistes de tes de la prière et de la souffrance, mais il veut aussi des spécialistes de spécialistes de l’apostolat. Le tout pour un sujet est de savoir ce que Dieu veut de lui. * Il faut s’établir fortement dans la vie intérieure, en comprendre la la nécessité, le mécanisme, la richesse. Alors on pourra revenir à l’action car on la voit avec d’autres yeux, on la veut pour des motifs plus purs, on la réalise sans quitter l’intime union avec Dieu. C’est alors la vie mixte, la vraie. Ne pas arrêter son esprit sur le mal qui est dans le monde ; semer, semer toujours ; prières, œuvres, œuvres, sacrifices. Laisser tout autre soin au bon Dieu. Si nous étions meilleurs, nous, le monde serait moins mauvais. La manière de répondre aux confidences suffit pour faire comprendre qu’on a l’expérience personnelle de la souffrance : souffrance : en faire soimême diminue souvent aux yeux du prochain et ne lui fait pas de bien, au contraire. * Ne pas parler de soi, ce n’est pas utile, au contraire ; viser toujours à s’effacer. Les âmes qui souffrent ont besoin surtout qu’on leur parle d’elles et plus encore, dans la mesure possible, du bon Dieu. Notre apostolat sera d’autant plus fructueux que nous pratiquerons mieux le recueillement et le détachement ; renoncement constant dans les petites choses : « Nisi « Nisi granum frumenti » » 3… Nous voulons toujours passer à côté des chemins tracés par le Maître. Quand nous aimerons bien le bon Dieu, nous serons l’indulgence même pour les autres, mais pas avant. Si Notre-Seigneur nous traitait selon nôtre valeur, nous serions bien malheureux ! Répondre avec impersonnalité à la confiance des âmes ; leur parler surtout d’elles et du bon Dieu. * 1 I
Cor., XIII, 4. la vérité dans la charité (Ephes., IV , 15). 3 Joan., XII, 24. 2 Faisant
240
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Les âmes n’ont pas toutes la même vocation ; vocation ; pour que deux sensi bilités soient parfaitement à l’unisson, il faudrait, outre une harmonie naturelle très rare, une harmonie d’âme plus rare encore encore : Jésus et Marie. Que cela nous explique les reproches injustes des gens du monde (ils n’ont pas les mêmes biens en vue). en vue). Que cela nous explique aussi comment la vraie charité, victorieuse de tout égoïsme, sait vraiment et seule parler le langage du cœur. Attendre, pour parler du bon Dieu d’une façon un peu profonde, d’y être autorisé du dedans par une sorte d’indication de la grâce. Voir aussi à qui l’on parle, il n’y a pas deux âmes âme s identiques. Il faut être apôtre quand le bon Dieu le veut et comme il le veut. L’être alors simplement. * Semer dans les âmes de son mieux ; c’est tout ce que Jésus demande. Il enverra la pluie et fera luire son soleil quand il le jugera bon. Jésus n’a pas pas converti tous ses contemporains de Judée et de Samarie, tant s’en faut ! Semer dans la paix et dans l’espérance. Pour la conquête des âmes, être un instrument souple, docile, désintéressé, n’agissant jamais pour lui lui-même, -même, ni par lui-même. L’action vaut ce que vaut l’âme : l’âme : « Qui manet in me et ego in eo, hic fert fructum multum » 1. * L’âme de la vie intérieure, c’est la charité. Or la charité est une. Quand on aime le prochain par la charité, c’est pour Dieu, à cause de Dieu et de Dieu seul. C’est donc Dieu que l’on aime ! aime ! Il faut savoir quitter Dieu pour Dieu et ne pas craindre quand on a agi de la sorte pour lui plaire. Ce qui est fait par véritable obéissance et par amour n’éloin’éloi gne jamais de Dieu, non, jamais. Il peut sembler qu’il n’en est pas ainsi, mais c’est une illusion, ou, si cela est vrai, c’est que l’on a recherché sa propre satisfaction au lieu de rechercher la volonté du bon Dieu. * Il faut toujours essayer de travailler les âmes en profondeur ; mais jusqu’où peut aller ce travail pour telle tel le ou ou telle âme ? C’est très difficile à déterminer. En tout cas, on doit procéder par degrés, faire faire les progrès possibles actuellement, puis pousser un peu plus avant, mais toujours en suivant la grâce pas à pas. 1 Celui
qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruits (Joan.,
XV , 5).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
241
Quand on aime davantage le bon Dieu, on pénètre mieux les âmes, on les comprend mieux. Sans fausser les principes, on arrive à les appliquer aux cas individuels avec sagesse et avec fruit. * Après aimer aim er le bon Dieu, il n’y a rien de meilleur que de le faire aimer. On peut le faire par la prière et la souffrance, mais aussi par l’apostolat. C’est possible, mais difficile, d’avoir de l’emprise sur les âmes. Pour pouvoir faire du bien, il convient d’amener une âme comme par un mouvement tournant, sans la buter, de l’endroit où elle est à celui où elle doit aller. C’est difficile. Avant tout, enraciner en soi la vie intérieure et ensuite on fait plus de bien par quelques mots que par de longues lettres. Peu à peu, la charité rend « intelligent ». Quand on comprend mieux, on supporte beaucoup mieux aussi et ses défauts et ceux des autres. Se défier de la sévérité dans le jugement ; elle peut provenir d’une vue inexacte de la réalité à laquelle l aquelle il faut appliquer les l es principes. Remarquer comme il y a peu de personnes qui entrent dans les idées des autres : chacun suit les siennes propres. * Sauf les cas urgents, attendre pour faire une monition de n’éprou ver aucun contentement naturel à la faire. faire . Quand on a la responsabilité de quelqu’un, ne jamais lui montrer qu’on le méprise, même après une faute. Diriger Diriger la reconnaissance et l’admiration plus haut que la personne ; remonter à la Cause première. Rechercher les conversations qui élèvent, tolérer celles qui sont utiles vraiment, fuir habilement les autres. Remarquer comme cela élève les âmes de leur témoigner estime et confiance, et comme les critiques, non seulement font de la peine, mais rétrécissent et découragent. Être bien convaincu qu’on a beaucoup à apprendre des autres, et manifester volontiers cette disposition. C’est un grand art de se rendre compte co mpte du retentissement de nos paroles dans l’âme des autres. * Pourquoi l’insuccès ? Parce que le disciple n’est pas au-dessus au -dessus du Maître. Jésus n’a pas converti tous ses auditeurs. Il a connu la trahison
242
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
d’un de ses apôtres, le reniement de Pierre, l’abandon l’abandon de presque tous. Dans son âme la douleur et la joie s’interpénétraient sans cesse, mais dans la paix. Vouloir goûter les joies du Sauveur sans boire à son calice, c’est l’impossible. Les âmes généreuses préfèrent lui demander la couronne d’épines et la Croix ; elles sont dans le vrai. Pour entrer véritablement dans les joies divines, il faut passer par le chemin du Calvaire : « Non« Nonne haec oportuit pati Christum et ita intrare in gloriam suam » 1. « Nisi granum frumenti » » 2, etc. Puis il est très bon que nous constations notre impuissance quand Jésus n’est pas là ou paraît ne pas y être. Nous finirions par croire, si le succès était constant, que ce succès vient de nous. Ce serait le pire malheur. Dieu est bon, infiniment bon. * Quand j’aimerai j’aimerai vraiment le bon Dieu, que je serai un seul esprit avec Lui, alors j’aimerai alors j’aimerai aussi aussi le prochain. Je voudrai lui donner Dieu (c’est la (c’est la vraie charité, la seule vraie). Je me ferai tout à tous, pour les gagner tous à Jésus. J’agirai avec J’agirai avec ma sensibilité, mais je n’agirai n’agirai plus pour elle. Le bonheur de Dieu devenu le mien, et passant quelque fois jusqu’à elle jusqu’à elle sera ma seule joie ; et encore je ne m’y attacherai attacherai pas. Je trouverai la note juste dans mes manifestations d’amitié, ou d’amitié, ou mieux, Jésus, dont je serai possédé, me la fera trouver tout naturellement. Toutes mes difficultés viennent de ce que je n’aime pas assez le bon Dieu. * Les distractions inévitables dans l’oraison, à la suite des travaux d’apostolat, ne nuisent pas à une âme vraiment détachée, dont la volonté est tout à Dieu. Une âme qui s’occupe des autres pour Dieu seul, selon Dieu et suivant les indications qui précèdent, trouvera Dieu tout de suite ou presque dans l’oraison, et l’union sera beaucoup plus profonde, solide et fructueuse, je ne dis pas agréable ! La vertu de charité est une. Elle une. Elle unit selon sa force et elle grandit par le véritable apostolat. Ce qui dissipe dans les œuvres (entendons celles qui sont voulues de Dieu et sagement organisées), c’est la manière dont on s’en occupe. Si on les fait par goût naturel, désir humain de réussir, manque de mortification dans le déploiement de son activité, etc., on s’éloigne de Jésus, parce qu’on s’attache à quelque chose et à soi-même. soi -même. Une âme détachée à fond est une âme libre, elle trouve Dieu partout. 1 Ne fallait-il pas que le Christ souffrit toutes ces choses pour entrer dans sa gloire 2 Joan.,
XII, 24.
? (Luc, XXIV , 26).
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
243
Rien ne distrait distrait de Dieu une âme qui n’aime que Dieu et ne goûte ou ne veut goûter d’autre joie que Dieu (détachement à rendre tou jours plus profond et plus universel). Sans doute, dou te, ses facultés, pour un moment, s’occupent de choses qui ne sont pas Dieu, mais l’âme ne quitte pas son centre, et au premier moment libre ramène à elle toutes ses puissances (tout son monde) et par suite à son Dieu. * Oui, nous ne sommes que des instruments, mais Jésus a décidé de se servir de nous comme s’il en avait besoin. Plus tard, Notre-Seigneur Notre -Seigneur fait comprendre comment tout le bien, qui est en nous, ou passe par nous, vient de lui, et comment, en ce sens, c’est lui qui fait tout dans les âmes. * Ne pas se détourner de l’action, quand elle est voulue par le bon Dieu, à cause des distractions distracti ons qu’elle apporte à l’oraison. Ce serait un très mauvais calcul. Ne prendre de contentement qu’en lui seul et renoncer au contentement personnel de l’oraison comme à celui de l’acl’ac tion. C’est ce que le bon Dieu attend d’une âme pour se donner à elle… Un temps viendra où nous trouverons le bon Dieu partout, où rien ne nous distraira de lui. C’est le bon Dieu qui nous manque ! Quand Qu and il sera ser a chez nous comme chez lui, tout s’illuminera, nous verrons mieux nos défauts, nous aurons plus de courage pour les corriger, nous le porterons dans le monde comme dans un ostensoir. Tout en nous le révélera, le regard, l’attitude, le ton, le geste. Nous devons le demander sans cesse, y revenir à tout instant. Prions-le Prions-le instamment, il ne demande qu’à se donner à nous, mais il faut que nous nous donnions à lui non pas d’un don verbal, mais réel. Il faut nous oublier ; nous apprendrons à connaître sa volonté et à l’ai mer sous les apparences diverses quelque désagréables qu’elles soient. * Sauf indication précise et sûre de la grâce, s’occuper de Dieu tout seul dans l’oraison. Il s’occupera de nos affaires dans l’action (Règle d’or). * Prier Nôtre-Seigneur Nôtre-Seigneur d’agir surtout dans l’intime de l’âme. C’est son domaine ; là tout est spirituel. Avoir le zèle de cette maison de
244
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Dieu. C’est sur les hauteurs de l’âme que le bon Dieu a établi sa vraie demeure. Ces hauteurs doivent être silencieuses, solitaires même. C’est là qu’il faut apprendre à se retirer, à se tenir et à revenir. On peut dire en vérité de ce lieu béni : « Aer « Aer purior, coelum apertius, familiarior Deus » Deus » 1. La foi y contemple son Dieu sans le voir encore, elle y communie à la connaissance qu’il a de luilui -même. L’espérance, forte de la force même de Dieu, travaille à conquérir son vrai et unique trésor. La charité rapproche, soulève, porte la volonté et avec elle toute l’âme vers ce Dieu, qui lui est si intime, et auquel elle s’unit autant qu’il lui est possible. C’est le Thabor, c’est le Calvaire, c’est parfois simultanément les deux. C’est toujours la vraie vie. Maison à orner par toutes les bonnes petites vertus : humilité, mortification, recueillement, renoncement. Prima sibi caritas 2, mais le zèle vient à son tour. La maison de Dieu, c’est alors l’âme des autres. Avec prudence et en suivant les indications de la grâce, faire fai re naître le zèle dans l’âme de nos frères, leur apprendre à connaître, à aimer leur âme, cette demeure de Dieu en eux et à y vivre. * Le meilleur moyen de réparer, c’est de bien faire l’action actuelle avec tous les sacrifices qui s’y rencontrent. C’est par là qu’il faut commencer, continuer et finir ; mais le programme peut devenir plus complet ; c’est le bon Dieu qui le trace. * Les grâces que Dieu fait à une âme ne lui appartiennent pas ; elle ne doit pas les étouffer sous prétexte de discrétion, mais les utiliser pour la plus grande gloire de Dieu et par conséquent les faire contrôler. Saint Jean de la Croix permet de se rappeler les grâces de fond, afin de s’en servir plus efficacement. Grave écueil que les retours sur soi et l’appropriation des grâces. grâ ces. Quand une fois on a exposé ses peines intérieures, il ne faut pas y revenir sans cesse. S’occuper de soi dans la mesure nécessaire pour se conduire et se faire conduire, pas davantage. Agir avec confiance et simplicité, mais avec mortification. Il y a plus de recherche à se faire consoler que d’orgueil à ne pas le faire. Voir au résultat, au profit qu’on en retire. Parler des grâces reçues avec le même désintéressement que la Sainte Vierge, comme s’il s’agissait d’un autre. Parler comme on parle1
L’air L’air est plus pur, le ciel plus ouvert, Dieu plus intime (S. Bernard). bien ordonnée commencé par soi-même.
2 Charité
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
245
rait à la Sainte Vierge, même confiance, même respect, même simplicité, même docilité surnaturelle pour trouver lumière et force, encouragement et paix. Pour que la direction ne dégénère pas en occupation de soi, vraie pureté d’intention, franche humilité qui ne s’occupe de soi que dans la mesure où c’est nécessaire, pour répondre aux dons de Dieu, par la pensée qu’il faudra rendre compte de tous ces dons et de la manière dont on les aura fait fructifier. Oraison.
« Domina, doce nos orare » orare » 1. C’est C’est vrai que nous ne connaissons pas Jésus. Tous, nous devons faire cette constatation. C’est une C’est une question de degrés. Et jusqu’à Et jusqu’à un un certain point, sans connaissance préalable, il n’y a a pas d’amour. Que d’amour. Que faire ? De notre côté, faire tout ce qui dépend de nous, pour le connaître par l’étude (Traité (Traité du Verbe Incarné), Incarné ), la méditation de l’Évangile. l’Évan gile. Mais le plus souvent nous n’en tirons qu’une connaissance intellectuelle, sèche, comme du dehors… Adressons-nous Adressons -nous à la Sainte Vierge. Toutes les mères aiment à parler de leurs enfants qu’elles qu’elles trouvent parfaits. Mais quand c’est vraiment vrai vrai ! Cela lui fera plaisir. Demandons-lui ce qu’elle lui disait à son Jésus quand elle le portait dans son sein, quand elle le serrait tout petit enfant dans ses bras, le soir à Nazareth. Elle devait être être à Béthanie… Nous croyons qu’après la Résurrection, la première apparition a été pour elle… Ce qu’elle lui dit maintenant dans le ciel… Demandons-lui Demandons-lui de nous dire comment il réunit toutes les beautés, comment il aime toutes les âmes : Madeleine, le l e bon Larron… la mienne… les âmes qui lui sont chères. S’il aime tant les âmes claires et limpides, c’est parce qu’elles ressemblent à sa Mère ! Mère ! Revenir sou vent, avec persévérance (la persévérance est ce qui nous nou s coûte le plus) et faire la même prière : « Mère, nous voudrions connaître Jésus ! » Ce n’est pas une connaissance qui s’acquiert en un jour. Pour cela, il faut que l’âme se fasse écoutante, attentive, oublieuse de tout. Visite au Saint-Sacrement avec Marie et Joseph, comme si nous étions le soir à Nazareth, Nazare th, nous contentant d’offrir leurs sentiments. « Mon Jésus, je vous offre l’affection, la bonté, le dévouement, la tendresse de ces cœurs si aimants et si parfaits ». parfaits ». Recommencer doucement ; ne faire que cela. Faire son possible pour obtenir le silence intérieur, même incomplet. Laissez à Notre-Seigneur Notre-Seigneur le soin d’aimer en nous et avec nous 1 Cf.
Luc, XI, 1.
246
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
pendant ces petites pauses de l’âme. Se tenir aux pieds de Jésus, le regarder, lui parler, l’écouter, l’aimer. S’unir à lui au-dedans au -dedans humblement, sans s’occuper de savoir si l’on sent quelque chose. * Faire de petits retours distincts sous forme de communion spirituelle : se recueillir à fond, une ou deux minutes, se pacifier ; appeler Jésus-Eucharistie avec humilité et amour, le recevoir des mains de Marie. Quand on le possède, po ssède, l’adorer, le prier d’infuser à notre âme ses vertus, douceur, humilité, etc., surtout sa charité. Laisser quelques instants à Jésus pour faire son œuvre œuvre ; silence, puis soulever doucement notre âme vers sa Divinité, l’aimer, l’aimer encore avec son cœur devenu nôtre. Rester ainsi le plus longtemps possible, allant et revenant, dans la mesure nécessaire, de son Humanité, ici spécialement de son Cœur, qui est la voie, à sa Divinité, qui est le terme. Il n’y a que ces actes d’amour « Jésus-nous « Jésus-nous », qui plaisent à Dieu, et Dieu ne visite, au sens profond du mot, que ceux qui sont Jésus pour lui. Il ne peut em brasser que son Fils bien-aimé. Seulement on peut être Jésus sans en avoir conscience, sans savoir qu’on l’est intérieurement. Mais qu’importe, pourvu qu’on le soit ? soit ? Dans ceci, peu d’imagination. * C’est surtout après la communion qu’il faut faire des actes de foi, d’espérance et de charité. Désirer ardemment cette vertu. La demander sans cesse, lui faire produire des fruits. Quand elle sera devenue reine de fait, elle tournera sans cesse notre âme vers le bon Dieu. Elle excitera en nous la faim et la soif de ce Bien, si doux, si aimable, si précieux. Nous vivrons sans cesse au-dedans de nous-mêmes, devant lui, à ses pieds. Un jour viendra, je l’espère vraiment, où je vivrai en lui presque continuellement. Mais dès maintenant, faire comme si j’avais un grand amour de Dieu. Que doit faire, que fait une âme qui aime Dieu ? Elle se plaît dans sa divine société, elle ne se plaît que là. Elle parle doucement à son Dieu, elle l’écoute, elle le regarde longuement, elle l’aime ; l’aime ; elle se brûle devant lui et pour lui ; elle passe sa vie avec lui au dedans sans que presque personne ne le sache ; elle est heureuse de se tenir ainsi, cachée en Dieu. Son Dieu, c’est tout to ut pour elle : c’est l’atmosphère où elle vit, le soleil qui l’éclaire et la réchauffe, la réjouit et la fortifie, elle se laisse pénétrer par ses divins rayons. L’infini bonheur de son Dieu la met hors d’elle-même, d’elle-même, elle le goûte, elle ne peut assez le goûter. goûter. Sa joie, c’est que son Bien-Aimé Bien -Aimé soit si heureux, lui, si parfait, si beau. Elle lui dit sa joie par ses paroles, par son silence plus
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
247
encore. Elle prolonge ce silence plein de signification le plus qu’elle peut. Plus elle contemple, plus elle aime, plus elle est heureuse et pourtant aussi plus elle s’oublie. L’oubli de L’oubli de soi devient chaque jour plus profond ; l’extase intérieure plus fréquente, plus prolongée, plus intime. Prolonger l’action de grâces quand on le peut, même si l’on ne fait rien en apparence. Nul apparence. Nul moment n’est meilleur que celui -là -là pour faire oraison. Notre-Seigneur oraison. Notre-Seigneur nous pénètre à notre insu, il nous transforme, nous donne ses goûts, ses sentiments. * La Sainte Messe Messe est mystère de répartition, comme la Croix a été mystère d’acquisition. Il est très vrai qu’avant tout, le saint Sacrifice est acte de religion, et l’acte de religion par excellence ; excellence ; louange et action de grâces, il exalte le souverain domaine de Dieu et remercie de toutes grâces. Mais aussi la Sainte Messe met à notre portée tous les mérites, toutes les satisfactions, les expiations de Jésus. Il nous appartient d’y puiser à pleines mains, pour distribuer ensuite au monde tous les trésors de la Croix. À ce moment-là notre charité doit se faire uni verselle et nous pouvons dire à Jésus : « Souvenez-vous que vous avez versé votre sang pour tous, quels que soient so ient leur l eur état d’abaissement d’abaisse ment et et leur misère ; il n’y a pas de crimes qui ne puissent être pardonnés ; pardonnés ; votre Rédemption, ô mon Dieu, les dépasse tous et sans limites. Allez donc, ô mon Jésus, toucher ce pécheur au bord de la tombe, rappelez vous qu’il a une âme immortelle faite pour contempler contemple r Dieu face à face et que, par votre grâce, il se souvienne qu’il a le ciel à gagner ; fermez l’enfer prêt à s’ouvrir pour lui. — Allez — Allez trouver, ô mon Jésus, cette âme qui n’est pas en état de péché grave, mais qui se traîne dans la vie spirituelle. Faites-lui Faites-lui comprendre que ce bonheur qu’elle cherche partout autour d’elle, elle ne le trouvera qu’en vous. Faites-lui Faites -lui comprendre que la vraie liberté consiste à se faire votre esclave, parce que quand on vous sert, on domine do mine tout, comme vous le faites vous-même. vous -même. Délivrezla de l’obscurité de son esprit, des liens de sa volonté ; éclairez-la sur le danger de son état, donnez-lui le courage de faire ces tout premiers pas vers le mieux, si difficiles et si nécessaires. — Et puis encore, ô Jésus, que vos grâces de lumière, d’amour et de force aillent vers ces âmes qui vous aiment déjà beaucoup et pourraient vous aimer sans mesure si elles voulaient consentir consen tir à tout quitter. Il s’en faut peut-être peut -être d’un rien pour que ce soient des âmes tout à vous, toutes consacrées à votre amour, transformées en vous en e n plénitude de sorte sor te qu’elles puissent dire comme saint Paul : « Vivo, jam non ego… ego … Ce n’est plus moi qui vis, vis, cest Jésus qui vit en moi » » 1. Brisez leurs derniers liens, faitesles monter dans vos bras et sur votre Cœur. Amen ». Amen ». 1 Galat.,
II, 20.
248
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE *
En se préparant à la confession, songer que c’est le sang de Jésus qui va purifier, enrichir et embraser notre âme. Prier beaucoup avant pour connaître nos fautes, les détester, les accuser, les expier comme Jésus le veut. Plus l’accusation sera simple, mieux cela vaudra. Considérer le sacrement plus comme une communion au sang divin que pour effacer les péchés. * S’attacher au Rosaire. Méditer Rosaire. Méditer les mystères en appliquant à la vie intérieure. Après les joies, les grandes douleurs, puis l’âme qui se transforme peu à peu en Dieu, monte vers lui, reçoit les motions de la divine charité et, morte à tout ce qui n’est pas lui, commence dès i ci bas la vie des élus. Aimons à dire l’Ave Maria avec Maria avec les Saints qui ont eu une si grande dévotion à la Sainte Vierge. Pourquoi ne pas leur demander de nous aider ? Disons-leur : « Faites donc passer dans mon âme quelques-uns des sentiments que vous aviez alors. Adressons-nous à saint Bernard, au Bx Grignion de Montfort… Demandons à notre Ange gardien ou à l’Archange Gabriel de le dire avec nous nous ; avec quel respect ne la saluait-il luait-il pas au jour de l’Annonciation, avec quelle affection, quelle admiration, quelle confiance que le monde serait sauvé grâce à elle ! Disons-le sons-le avec saint Joseph. Imaginons un peu ce qu’il y avait de délicatesse, d’affectueux respect et aussi de félicité en ce grand et bon saint Joseph quand il prononçait ce nom béni. Disons-en le début avec Jésus, mais il faudrait une autre langue, nous bégayons… C’est tout un monde que cette intimité de Marie et de Jésus !… * Il y a la liturgie du dedans, celle dedans, celle qui donne du prix à la liturgie du dehors ; adorer le bon Dieu en esprit et en vérité, par amour : en es prit , dans le sanctuaire intérieur ; en vérité, vérité, toutes les facultés à genoux, soumises à Dieu et souples à tous, ses vouloirs ; par amour, l’amour est dans la volonté. * Renoncer aux goûts sensibles dans la récitation du bréviaire et bréviaire et à la joie joie intellectuelle de tout comprendre. S’appliquer à prononcer matériellement le mot : « Mon Dieu, je vous dis ce mot, parce que je vous aime. Je vous le dis en lui donnant, autant qu’il m’est possible, la plé-
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
249
nitude de sens que lui donnait le Saint-Esprit en l’inspirant à l’écrivain sacré ». * Concevoir l’exercice d’Écriture Sainte Sainte comme une réfection de l’âme par une parole de Dieu. Chercher à pénétrer le sens de la sainte Écriture. Saint Augustin avait une grande dévotion à Jésus-Christ caché sous l’écorce l’écorce de la sainte Écriture. Notre-Seigneur a dit ces paroles pour nous. * Étudier saint Thomas…, le traité de la sainte Trinité. N’est-ce N’est -ce pas rendre gloire à Dieu que de lui consacrer notre intelligence en cherchant humblement à pénétrer le mystère de sa vie intime ? Nous sa vons bien qu’il n’y a aucune proportion entre ce que nous comprenons compr enons par nos efforts et la réalité. Le bon Dieu peut donner directement bien d’autres lumières, s’il le juge bon. * Viser toujours à méditer plus qu’à lire ; lire ; si dès le début de la lecture, le bon Dieu occupe l’âme, il faut cesser de lire et obéir à la grâce sans hésitation et sans aucun regret. Lire peu, mais lire profond. Ce qui donne de la profondeur à l’esl’es prit, c’est l’union à Dieu. On voit les choses des hauteurs de Dieu. O n les juge, on les aime comme lui. Le regard de l’homme devient, dans le sens où cela est possible, regard de Dieu. Dieu seul connaît à fond ces choses, et ceux qu’il prend avec lui et auxquels il donne ses yeux les connaissent aussi en lui et par lui. Tenir à la formation du jugement en examinant à fond et en faisant le tour des questions qui touchent « l’unique nécessaire ». Pas d’admid’admiration pour l’intelligence en elle-même. elle-même. Se méfier des sympathies intellectuelles spontanées. L’intelligence n’augmente pas p as le mérite. Si elle est mise au service de la mauvaise volonté, elle fait d’autant plus de mal. N’estimer que d’après la vertu. * Pour lire sans danger et avec profit saint Jean de la Croix (comme beaucoup d’autres auteurs de premier ordre), il faut une préparation d’esprit et de cœur. Au directeur de juger si elle est suffisante. Sans elle, on s’exposerait à ne pas comprendre ou à comprendre mal. La langue des mystiques est matériellement sensible (et il le faut bien, puisqu’elle est humaine), formellement formellement spirituelle. Elle demande donc
250
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
au lecteur un perpétuel effort de transposition. C’est alors seulement qu’elle livre son secret. Il n’y a pas, avec saint Thomas, d’auteur plus éclairant. Il décrit le travail de l’âme sur elle-même elle-même et le travail de Dieu dans l’âme avec une précision, une sûreté, une profondeur incomparables. On comprend que l’Église ait fait de lui un de ses Docteurs. Pour goûter de plus en plus saint Jean de la Croix, il faut se mortifier intérieurement, se tenir dans la paix, prier avec humilité et surtout aimer Dieu seul de plus en plus. C’est pour comprendre la nécessité du renoncement à toute jouissance intellectuelle, étrangère au fond de notre vie surnaturelle, que saint Jean de la Croix est si précieux. Lire lentement, relire, comparer ; il faut beaucoup de temps pour faire le tour d’une idée et la pénétrer, surtout dans l’ordre des choses spirituelles. * Il y Il y a un sens caché dans l’Évangile, les âmes intérieures le décou vrent et s’en nourrissent. C’est la manne cachée ; cachée ; comme elle, il a tous les goûts. * À l’oraison, prendre un livre déjà lu pour lu pour que le travail de déblaiement intellectuel soit fait. Revenir toujours aux mêmes livres. User selon le besoin, de livres modernes mieux adaptés : bien des auteurs anciens exigent une culture philosophique préalable, qui manque à la plupart des âmes. * On peut d’une certaine façon faire son Chemin de Croix en en dedans. Une station peut occuper ainsi de longs moments. C’est même la porte de la contemplation pour certaines âmes. Faire le Chemin de la Croix avec une seule pensée : par exemple, communier pendant quelques instants, à chaque station, à toutes les dispositions du Cœur de Jésus. Une autre fois à sa charité, à son humilité, où, pour varier, sentiments d’adoration du Cœur de Jésus, la prochaine fois reconnaissance, etc… Renouveler doucement, quand cela est nécessaire. Laisser l’âme se nourrir, ou mieux, laisser Dieu la nourrir alors. À chaque station du Chemin de la Croix, prier Notre-Seigneur Notre -Seigneur de nous mettre dans l’âme la pensée qu’il veut nous voir méditer. Rester quelques instants en paix. Si rien ne se présente, se servir de formules connues.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
251
S’humilier au commencement de l’oraison l’oraison ; prier Jésus de nous appliquer les mérites de sa sainte Passion, en particulier de son agonie au Jardin des de s Oliviers ; puis se tenir en paix quelques quelqu es instants et suivre alors les mouvements de la grâce. On peut aussi se tenir en esprit aux pieds du Sauveur comme Marie-Madeleine au jour du repas chez Simon et attendre en paix la parole et le regard du divin Maître. Jamais de découragement : il faut savoir ramer seul (en apparence) dans la nuit, contre la marée et même au milieu de la tempête. Jésus est toujours là. S’offrir à lui tel que l’on est. Ne jamais diminuer le temps des entretiens avec le bon Dieu sous prétexte que l’on ne fait rien, mais plutôt agere contra. Comment contra. Comment ? Plus on se sent porté à fuir Notre-Seigneur, plus il faut réagir. « À « À quel autre irais-je ? 1 » Il veut voir si nous l’aimons d’un amour désintéressé pour lui-même ou encore beaucoup trop pour nous. Revenir sans cesse à l’oraison de simple présence ; présence ; commencer par demander à la sainte Vierge de nous unir à son Fils afin qu’il nous prenne et nous amène à la Divinité. On sait qu’on ne verra pas, mais on regarde comme un enfant aveugle qui détournerait sa pensée de tout autre objet pour se tourner seulement vers sa mère. Deux attitudes seules possibles : celle-là ou dans les bras de Dieu quand il nous prend : 1º Je veux vous fixer toujours. 2º Fascinez-moi. * Il faut toujours agir quand on n’est pas n’est pas agi. Ne agi. Ne jamais chercher à suspendre de soi-même soi-même l’entendement, chose impossible ou nuisible, mais simplifier son travail : quelques vues peuvent suffire ; il faut utiliser ses propres difficultés. Nous n’avons pas sur l’imagination un pou voir absolu ; la calmer, la nourrir de la vie et de la Passion de NoireNoire Seigneur ; ne pas prendre de décision quand elle veut dominer malgré la foi et la raison. Quand c’est la sensibilité qui est en jeu, fixer le regard sur Dieu seul : « Vous êtes là, ô mon Dieu, je l e sais… je vous regarde sans vous voir ; je vous aime, je vous loue ; je vous prends respectueusement et affectueusement comme la nourriture de mon âme. Autant qu’il est en moi, je m’unis à vous, je me presse spirituellement contre vous. Quand serai-je en vous ? » Garder cette attitude, héroïquement, si c’est nécessaire. La reprendre sans cesse pendant toute l’oraison. Louer, bénir, adorer, aimer simplement ainsi, Dieu sera content ; il saura bien le témoigner. * 1 Joan., VI, 69.
252
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Ne pas chercher les consolations. Le bon Dieu nous donnera celles dont nous aurons besoin pour nous soutenir. Même alors, il ne faudra pas s’y attacher, mais aimer et servir Notre-Seigneur Notre -Seigneur pour lui-même. C’est son « « droit ». Rien ne lui fait plaisir comme la reconnaissance pratique et franche de ce droit. Dieu peut nous délaisser (il ne le fera pas), mais nous, nous ne le pouvons pas. Il ne nous doit rien, et lorsqu’il couronne nos mérites, ce sont ses dons qu’il couronne. Nous lui devons tout et surtout lui-même. lui- même. Le désirer humblement, l’attendre constamment, constamment, l’aimer totalement et uniquement, voilà notre part. À lui tout le reste. Ne craignons rien, il est la Bonté, la Miséricorde et l’Amour. Dans la prière, avoir cette fidélité d’être là pour le bon Dieu tout seul. Après avoir recommandé les âmes pour lesquelles nous devons prier, celles que nous aimons, celles qui nous aiment, être uniquement à lui. Convenir une fois pour toutes qu’il paiera nos dettes. Rechercher Dieu même uniquement ; se tenir très tranquille à ses pieds à l’intérieur de l’âme. Le regarder, l’aimer, comme un enfant son père, occupé à de sérieux travaux et en apparence oublieux de son enfant. Se pacifier, oublier ses distractions, s’oublier soi-même. soi -même. Regarder, aimer, recevoir simplement ce qu’il donne. * Être très fidèle quand Jésus se cache, ce sont les heures les plus précieuses. Quand on éprouve comme une sorte d’impuissance à trouver une idée, rester ainsi sous le regard de Dieu, à ses pieds et lui dire doucement : « J’attends ; je vous attends… je reste là quand même, au moins pour vous consacrer mon temps ». Redire simplement, doucement, assez souvent ces simples mots : « Pour vous, pour vous. Je me consume là, pour vous, pour vous ». Ces humiliations de l’oraison sont très précieuses ; elles font comprendre le prix de la grâce, le néant de notre être et de notre action. Rien n’est meilleur. Croire fermement à l’action de Jésus dans l’âme, action souvent cachée à l’âme elle-même l’âme elle-même ; qu’importe qu’importe pourvu que l’œuvre l’œuvre de Dieu se fasse. Quand on est las, ne pas craindre de se reposer près du bon Dieu, avec respect et beaucoup de simplicité. On n’a pas le droit de faire tra vailler la tête quand elle n’est n’ est pas en état. Le bon Dieu veut alors le repos, mais près de lui, sinon en lui. Il peut tant donner à ces moments où nous donnons si peu… Qui Q ui sait si ce ne sont pas ses moments à lui ? Comme recherche du sensible proprement dit, tout désapprouver. Mais distinguer sensible et conscient. Le spirituel peut être conscient
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
253
presque sans être sensible. Il peut même échapper presque complètement aux facultés de connaissance laissées à elles-mêmes. Oraison de présence de Dieu au dedans. Dieu est si seul dans les âmes ! Comme il y en a peu qui consentent à ne pas s’ennuyer à lui tenir compagnie. * « Cor mundum crea in me, Deus » Deus » 1. La parfaite pureté de cœur ouvre les yeux et fait voir le bon Dieu partout. Donnez-moi, ô mon Dieu, votre véritable amour. Je saurai alors ce que c’est que ces yeux illuminés du cœur 2 dont parle votre Apôtre. Je vous verrai toujours, je vous goûterai en tout, même dans l’amertume l’amertume ; vous vous éveillerez mystérieusement en moi, ou mieux vous m’éveillerez à vous, à votre présence, à votre action, à votre vie en moi. Vous me permettrez de vous saisir sans vous voir, mais réellement comme tout occupé à me donner votre vie de contemplation contem plation et d’amour de vous-même vous -même pour me donner votre bonheur. Vous pourrez m’unir à vous pleinement, me posséder, me faire comprendre que vous me possédez et que moi aussi, je vous possède. « Beati « Beati mundo corde » corde » 3… * Dieu seul fait l’union immédiate ; immédiate ; il suffit alors de suivre son mou vement, mais sans tenter cette union impossible si Dieu n’y porte. On peut la demander doucement, tout bas au bon Dieu, s’y préparer même, en excluant de l’âme tout ce qui n’est pas Dieu et en s’appli quant à lui d’une façon très tr ès réelle, bien que cette application ne soit pas proprement l’union. Puis, attendre ce que Dieu voudra bien donner. Même infructueuse en ce dernier sens, cette attitude est la meilleure qui soit. Quand ce que l’on éprouve se passe dans les facultés supérieures supéri eures de l’âme et au plus intime de l’âme, c’est bien alors Dieu qui agit. Tout le devoir est d’accepter, de s’unir et d’aimer, car c’est aimer cela, vraiment. Viser toujours tou jours à l’union l ’union intime avec le l e bon Dieu, il est notre not re Tout… La demander humblement. S’y préparer dans la patience et la confiance. L’essentiel ici, c’est d’être en chemin toujours, en tant que cela dépend de soi et cela en dépend. Le reste, il faut le laisser à la sagesse et à la bonté de Celui qui est si sage et si bon. Le Seigneur nous aime. Travailler toujours, mais paisiblement à se recueillir pour mieux s’aps’ap 1 Ps.
L, 12. I, 18. 3 Matth., V , 8. 2 Ephes.,
254
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
pliquer au bon Dieu, dans la mesure où cette application est possible. Ce doit être une résolution constamment renouvelée : Dieu est là, au dedans ; c’est là qu’il faut le chercher toujours, t oujours, mais dans la patience et dans la paix. La fièvre ne donne pas le bon Dieu. Il se donne aux âmes qui l’aiment profondément, à en mourir même, mais pourtant sans agitation. Ne pas attendre une vue intérieure de Dieu, mais faire comme si je le voyais intérieurement et spirituellement sans image sensible nette. Lui répéter que je lui consacre mes facultés et que je les oriente vers lui (grâce à demander d’ailleurs). * L’action de Dieu dans la contemplation, se produisant dans le fond même de l’âme, bien que toujours par l’intermédiaire des puissances, dans cette partie supérieure où les images et les idées (que nous dégageons des images par l’abstraction) n’ont plus cours, il n’est pas étonnant que l’âme, considérée en tant qu’elle agit à sa manière ord inaire, « ignore » ignore » ce qui se passe en elle, que tout se produise en ce sens « à son insu insu », surtout au début. Et pourtant, elle connaît et elle aime, mais d’une façon qui ne s’analyse pas. La connaissance est ordinairement confuse, générale. Elle peut aussi, dans certains cas, être précise, mais pour plusieurs auteurs cette connaissance par mode angélique n’est pas requise pour la contemplation. Tenir son âme aux écoutes, au dedans, sur les confins du royaume de Dieu. Revenir là sans cesse, comme les vierges vierge s sages. Il n’y a pas, je crois, d’attitude spirituelle plus favorable à la fois à la contemplation, quand Dieu voudra bien la donner, et à l’action vraie, quand le bon Maître invite à s’y appliquer. Ne pas oublier que plus l’âme se simplifie, pour se conc entrer dans un regard affectueux et relativement continu sur l’Hôte intérieur, plus aussi elle s’oublie elle-même, elle-même, et plus son activité très réelle lui échappe. Par rapport à ce qu’elle faisait autrefois, à ce qu’elle sentait, il lui semble qu’elle ne fait rien fait rien et ne sent plus rien. Ce n’est n’est pas exact, au moins pour le premier point. * Se remettre entre les mains de la sainte Vierge, dans ses bras, pour qu’elle nous unisse à son Jésus. Elle connaît les degrés les plus élevés de l’union divine pour les avoir expérimentés. avoir expérimentés. Elle désire ardemment y faire participer les âmes parce qu’il y va de la gloire de son Jésus. Elle connaît son divin Fils, elle nous connaît aussi, mieux que personne après lui. Elle sait donc les conditions qui nous seront imposées.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
255
Notre-Seigneur Notre-Seigneur nous veut détachés de tout, humbles, d’une simple et profonde humilité, mais surtout il demande l’amour. Plus nous serons détachés et humbles, plus l’amour croîtra, et alors l’union se réalisera. C’est la sainte Vierge qui nous l’obtiendra. Dire à la sainte Vierge : « Je ne sais pas m’arranger pour trouver votre Jésus, faites-le pour moi ». Bonne sainte Vierge, donnez-moi votre Petit Jésus dans mes bras, et votre cœur pour l’aimer. Vivre avec la sainte Vierge et le bon saint Joseph, Jésus sera bien forcé de venir. Il ne pourra faire autrement. Attention de la sainte Vierge à conserver et à accroître la grâce de l’immaculée Conception en se sanctifiant toujours davantage. Demandons-lui de participer à sa pureté. La pureté consiste à se déprendre, de plus en plus, de ce qui est inférieur, pour s’attarder à ce qui est supérieur, ici à Dieu. C’est pour être restée fidèle, même en face de l’offre de la maternité divine et de tout ce qu’elle demande, que Marie a été Mère de Jésus. Ce qui semblait un obstacle, était la condition rigoureuse de l’exécution du plan divin. Pour être Mère de Jésus, il faut être fidèle comme Marie. Plus le cristal est pur, mieux le rayon l’éclaire et le rend lumineux ; plus la condition est remplie, plus l’âme est vierge, plus elle est épouse, plus elle est mère et plus sa fécondité est grande. * Après le Cœur de Dieu et le Cœur de Jésus Eucharistie, la troisième source de la charité, c’est le Cœur de Marie : enfant privilégiée de ce Père qui est tout charité, Mère de ce Jésus qui est venu apporter le feu sur la terre, Épouse de l’Esprit d’amour. Il s’est développé, enrichi ; au Temple : amour silencieux ; à Nazareth : amour laborieux ; au Cal vaire : amour douloureux ; près de saint Jean : amour délicieux, qui faisait vivre Marie et qui l’a fait mourir. Quel trésor ! trésor ! Et ce trésor est à nous, il est pour nous. Elle veut nous y faire puiser à pleines mains pour glorifier la Trinité sainte, son Jésus, et nous rendre heureux en nous rendant de plus en plus ses enfants semblables à elle. Nous tenir unis à Marie et considérer son amour comme l’incom parable supplément du nôtre. Mater pulchrae dilectionis, ora pro nobis. * Ce qui me plaît le plus en Marie-Madeleine, Marie-Madeleine, c’est sa fidélité. Je suis saisi de la miséricorde de Notre-Seigneur pour elle chez Simon ; le bon
256
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Dieu a complètement transformé son cœur, mais comme elle a su s’en servir, et le montrer à la Passion, au tombeau !… Il y a chez elle quelquelque chose de crâne, de fier et de brave. Elle ne quitte pas Jésus ; elle semble dire : « Vous l’insultez, l’insultez, vous le torturez, mais je resterai là, je serai là avec lui. Jésus est toujours Jésus. Je ne le lâche pas ». Et après la Résurrection : « Je « Je l’emporterai » » 1. Je ne puis dire combien je lui suis reconnaissant de ce qu’elle a fait pour Notre-Seigneur. Notre -Seigneur. Elle a tenu notre place ; nous ne pouvions pas y être ; mais comme elle l’a tenue spontanément, admirablement, quelle ardeur ! Elle aurait fait comme elle, disait. C’est vraiment beau ; voilà ce qui s’appelle aimer. Aussi comme Notre-Seigneur la récompense : Il lui apparaît à elle seule, l’appelle de son nom… d’un mot profond… * Quand nous aimerons davantage, nous songerons moins à nous. Nous comprendrons que c’est par le chemin du Calvaire qu’il faut passer pour aller à la joie très légitime de la possession de Dieu (disciples d’Emmaüs). Se proposer la Croix comme moyen, la gloire de Dieu comme but premier, notre bonheur comme fin secondaire. On est ainsi dans l’ordre. On ne recule pas devant la souffrance. Quand Dieu donne une goutte de joie, on est tout surpris et tout reconnaissant. Renoncer une bonne fois à tout ce qui ne nous conduit pas au bon Dieu. À quoi auraient servi aux enfants caressés par Notre-Seigneur ces marques extérieures de tendresse, s’il ne leur avait donné sa grâce au-dedans ? Les créatures, comme telles, ne peuvent pas nous donner ce dont nous avons uniquement besoin, l’amour du bon Dieu. Comme il est bon de comprendre la vérité de cette maxime : « Dieu seul ». Dire qu’il peut être tout à nous, toujours et de plus en plus ! * Pardonnez-nous, mon Dieu, de vous préférer tant de fois des riens, moins que des riens, et de vous laisser là, de côté, vous, notre trésor, notre Tout. Comme il faut que vous soyez bon, patient, miséricordieux ! Vous nous regardez et vous dites : « Ils « Ils ne savent savent ce qu’ils font » » 2. « Si « Si scires donum Dei » » 3. Mon Dieu, je vous aime. Ce qui nous manque toujours et qui explique pourquoi nous sommes si peu généreux dans la mortification, et si facilement distraits de notre Dieu pour des riens, c’est l’amour. Nous n’aimons pas. Que faire ? 1 Joan.,
XX, 15. XXII, 34. 3 Joan., IV , 16. 2 Luc,
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
257
a) Prier beaucoup du fond du cœur. « Demandez « Demandez et vous recevrez » » 1. La parole de Jésus est vraie, mille fois vraie. Que veut-il donner ? La charité. « Ignem « Ignem veni mittere in terram, et quid volo, nisi ut accendatur » accendatur » 2. N’ayons pas peur de l’importuner, il aime ces importunités-là. b) S’exercer à la charité en faisant de fréquents f réquents actes de cette vertu, oraisons jaculatoires, désirs du cœur, sans parler, mais simples, confiants, prolongés. Aimer à rester près de Jésus comme une plante aux rayons du soleil, longtemps, longtemps, toujours. c) Si nous manquons d’entrain, offronsoffrons -lui notre désir de l’aimer. Demandons-lui la grâce de ne pas le quitter un instant du regard et de revenir vers lui dès qu’il nous est possible de le faire. Il no us est tou jours possible d’avoir au moins m oins le désir de faire ce retour. Notre prière pri ère sera exaucée, nos efforts seront bénis, l’amour grandira dans notre âme, et c’est lui qui nous détachera de tout, c’est lui qui nous recueillera à fond, à son heure. De notre côté, facilitons sa tâche sur ces deux points autant qu’il est en nous. * Offrir tout l’amour des âmes qui aiment le plus ou qui ont ici-bas ici -bas le plus aimé Notre-Seigneur avant de lui être unies pour toujours dans le ciel. Convenir que nous renouvelons cette offrande à chaque battement de cœur. Toute notre vie devrait être un merci souriant au bon Dieu. Si nous savions notre bonheur d’être à lui, de pouvoir l’aimer à plein cœur… Quand on ouvre toutes les portes, il entre. Si l’on pouvait aimer Notre-Seigne Notre -Seigneur ur autant qu’il est aimable, ou du moins d’un amour qui s’approchât de sa grandeur grandeur ! Pourquoi pas ? Oui, tout donner à Jésus dans la simplicité de son cœur, c’est bien cela puisque c’est la charité. Donner son esprit pour contempler et admirer, sa volonté pour obéir, son cœur pour aimer, son corps pour tra vailler, pour servir, pour souffrir, Donner tout, et l’âme et les facultés et les actes : la terre, l’arbre et les fruits. Donner tous les le s jours, donner toujours, donner toujours mieux, avec plus de plénitude, plus de promptitude, plus d’élan, plus d’amour ; d’amour ; donner sans rien attendre en retour de déterminé, de choisi pour soi, mais donner pour la seule joie de lui donner, de lui faire plaisir, avec la seule espérance et le seul désir de pouvoir lui donner plus encore. Voilà qui est bien ; à qui se donne ainsi, Dieu se donnera tôt ou tard en plénitude et sans retour. 1 Matth., VII, 2 Je
7. suis venu apporter le feu sur la terre et que désiré- je désiré- je sinon qu’il s’allume s’allum e (Luc, XIV , 49).
258
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
On pourra dire alors, comprenant et goûtant ce que l’on dit : « Deus cordis mei et pars mea, Deus in aeternum » 1. Seigneur, donnez-nous un cœur simple, généreux, affectueux, un cœur d’enfant, puisque c’est la condition pour entrer dans le royaume des cieux, même dès ce monde : « Nisi « Nisi efficiamini sicut parvuli » » 2… * Penser que l’amour de Dieu que nous avons reçu au baptême est surnaturel, c’est-à-dire c’est-à-dire au-dessus de toutes les exigences de la nature créée et même de toute nature créable. Donc, ne pas s’étonner si parfois nous ne le sentons pas en nous ; il est très supérieur à notre sensi bilité. Offrir Offr ir à Jésus l’amour des âmes qui lui lu i sont chères. Lui dire : Je ne puis vous aimer comme je le voudrais : daignez m’attirer. Tant que nous ne sommes pas complètement à Dieu, nous l’oublions si vite ! C’est pourquoi la tentation vient nous rappeler combien nous avons besoin de lui. En E n soi, cela ne n e devrait pas être. Ayons recours à lui pour qu’il nous aide, mais disons-lui disons -lui : Je voudrais ne venir à vous que pour vous. Quand n’irai-je n’irai -je à vous que pour vous ? * En cherchant à acquérir la charité, nous faisons tout ce que le bon Dieu veut de nous. À lui de faire ce c e qu’il jugera bon pour sa gloire. Que tous les efforts tendent donc à développer en l’âme le saint amour de Jésus. Ne pas oublier que : « Probatio « Probatio amoris est exhibitio operis » operis » 3. Considérer toute observance religieuse, tout acte d’obéissance comme un moy en en de frayer la voie à la charité en détruisant l’égoïsme. Dieu est toujours là ; il est notre Bien. Il nous aime. Nous pouvons communier à lui quand nous voulons. Il est tout, absolument tout pour nous. Ne rien chercher en dehors de lui : « Fecisti « Fecisti nos ad te » te ».. Quand nous aimerons- vous aimerons- vous de bon cœur, à plein cœur et vous seul ? seul ? Vivre seul avec Dieu seul, tout est là. Dieu est en nous ; il y est pour nous ; il vent être à nous pour que nous soyons à lui. Désirons paisi blement, mais ardemment cette rencontre et cette transformation. Ne nous lassons jamais, jamais. Toutes nos difficultés viennent de ce que nous n’aimons pas assez le bon Dieu. Aimons vraiment, simplement, de plus en plus le bon Dieu. Laissons-nous transformer par Notre-Seigneur. Il le fera. Prions dans ce sens, beaucoup, mais paisiblement. Que notre effort constant soit de nous tenir tournés intérieurement vers lui. Unissons-nous humbleDieu de mon cœur et mon partage pour l’éternité (Ps. l’éternité (Ps. LXXII, 26). vous ne devenez comme de petits enfants (Matth., XVIII, 3). 3 L’amour se prouve par les œuvres (S. œuvres (S. Grégoire).
1
2 Si
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
259
ment ou mieux offrons-nous offrons-nous pour être unis s’il lui plaît de le faire. Demandons la docilité intérieure, prompte et et joyeuse à l’Esprit-Saint, l’Esprit-Saint, nous l’obtiendrons. Il fera alors ce qui lui plaira. Ne pas s’inquiéter du tout de l’avenir, faire réellement confiance au bon Dieu qui voit les vraies dispositions. Ne parler, n’agir jamais sans Dieu en dedans. Demander sans cesse ce sse l’amour de Dieu. Quand notre volonté aura compris que Dieu seul est son bien, quand elle ne s’aimera plus elleelle -même, mais qu’elle épuisera toute sa puissance d’aimer en aimant Dieu, les biens particuliers ne l’attireront plus et elle saura trouver son bien son bien à elle partout. * Aller toujours à la très sainte Trinité par Jésus, et à Jésus par Marie. C’est elle qui nous unit à son Fils. Lui, à son tour, nous assimile en quelque sorte, et c’est alors que nous pouvons regarder le bon Dieu et l’aimer. Il n’y a que le regard de Jésus et son amour qui puissent plaire à Dieu. * Me recueillir le plus possible : le bon Dieu me donnera peut-être un tel désir de lui que j’aurai le courage de me détacher intérieurement de tout afin d’être plus tôt et plus complètement à lui. Il faut toujours aviver son désir d’aimer le bon Dieu. Ce désir n’est pas tout, mais il est le commencement de tout. Puis, n’est -ce pas un acte d’amour très réel ? À mesure que l’on se rapproche du bon Dieu, est-ce que ce désir ne devient pas à la fois plus satisfait et plus ardent ? Est-ce Est-ce que la perfection ne serait pas que notre âme ne soit plus qu’un désir vivant, ardent et calme de notre Bien-Aimé ? Sans doute, au fond de ce désir, il y a une douleur, puisque son existence même prouve que nous ne possédons pas encore pleinement notre trésor, mais que cette douleur est bonne et comme on voudrait toujours l’éprouver et la sentir plus vive : « Fame « Fame pereo ; surgam et ibo ad Patrem » Patrem » 1. Cela n’est-il n’est-il pas vrai de toute âme qui a été blessée par le saint amour ? Nous ne saurions trop nous oublier pour ne penser qu’à Jésus. Comme il s’occupera de nous, lui, et comme il le fera bien et à propos ! * Amour simple, confiant, généreux géné reux et souriant so uriant du bon Dieu. Ce n’est pas affaire d’imagination, de sensibilité, c’est affaire de bonne volonté et de grâce. 1
Je meurs de faim… Je me lèverai et j’irai à mon Père (Luc, Père (Luc, XV , 18).
260
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
C’est Dieu qui donne son amour. C’est lui qui le fait croître en nous. À lui seul appartient de modifier le fond même de notre volonté et de la rendre semblable à la sienne par une participation à l’Esprit-Saint. l’Esprit-Saint. « Demandez et vous recevrez » » 1. « L’amour contient toutes les vocations » 2. Quand nous le posséderons, tout changera d’aspect pour nous. Ne pas séparer la souffrance de la charité. * « Nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit -Saint -Saint ne peut entrer dans le royaume de Dieu » Dieu » 3. Littéralement, ce texte s’applique au baptême et à la vie de la grâce, la charité. Il peut s’adapter à la vie intérieure qui est une vraie vie, vie nouvelle comme la grâce. Il faut renaître dans les larmes, larmes de la pénitence, des tribulations, des épreuves de toutes sortes. C’est, inévitable, absolument nécessaire. Ne pas chercher un amour senti ; se contenter d’un amour contrôlé. Le contrôle, c’est l’acceptation de tout pour Dieu, pour lui plaire et à lui seul. « Probaiio « Probaiio amoris est exhibitio operis » operis » 4. « Non diligamus verbo et lingua, sed opere et veritate » 5. Quand on constate, sinon des résultats, du moins un effort réel dans ce sens, il faut se tenir en paix. L’âme peut être tout à Dieu et la sensibilité ne pas le savoir . * Comment ne pas se plaindre, quand on aime le bon Dieu, qu’on le désire et qu’on ne le possède pas ! Pourvu qu’elle soit douce, abandonnée, respectueuse, cette plainte du cœur est la meilleure preuve de son amour. Elle est très agréable au bon Dieu. Quand Quand on aime, on croit tout ce qu’il dit, à fond ; fond ; on espère tout ce qu’il promet, c’est-à-dire c’est-à-dire lui-même et la force intime nécessaire pour monter vers lui en se détachant de tout et de soi. On souffre et on est heureux. On souffre, parce qu’on ne l’aime pas de pas de tout son être, parce qu’on ne le possède pas ; pas ; mais on est heureux, oui, heureux à pleurer, parce que cette souf france france vient de lui et mène à lui. On sait bien qu’il n’y a que lui qui puisse guérir la blessure qu’il a faite et qui fait si délicieusement souffrir. On lui dit « merci » mille fois le jour. Quand on aime le bon Dieu, on sent grandir son cœur cœur ; on se trouve une profondeur, une délicatesse et une pureté d’affection qu’on 1 Matth., VII,
7. Thérèse de l’Enfant Jésus. 3 Joan., III, 5. 4 L’amour se prouve par les œuvres (S. œuvres (S. Grégoire). 5 N’aimons pas de parole el de langue, mais en action et en vérité (I Joan., III, 18). 2 Ste.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
261
ne se connaissait pas. C’est lui qui fait passer son amour pour les autres autres dans notre cœur à nous. Comme c’est bon d’aimer les autres avec un amour qui est de lui et non de soi ! On le sait, on le voit, on le sent, et on bénit celui qui peut faire aimer ainsi le cœur de sa pauvre créature. Avoir horreur de l’amour mercenaire ; mercenaire ; laisser les mains libres à la générosité de l’Époux. Demander sans cesse la faim et la soif de Dieu seul. Renoncer à toute joie qui n’est pas lui, et lui répéter souvent avec une humble présomption : « Je ne veux que vous, Seigneur, mais je vous veux tout entier et toujours ». Tous les sacrifices ne sont rien quand on les compare à un seul instant de véritable amour. Je voudrais alors jeter les âmes dans le bon Dieu comme dans un océan de bonheur. Dieu est bon au-delà au-delà de tout. L’appeler « Père « Père ». * Vie toute toute nouvelle, vie toute d’amour de Dieu. Il s’agit de la charité, qui est infusée par Dieu lui-même lui-même dans la volonté, et qui passe à l’acte sous l’influence de grâces actuelles qu’il faut toujours demander. « La « La charité a été répandue dans nos cœurs par l’Es prit-Saint l’Es prit-Saint qui nous a été donné » donné » 1. Elle nous fait communier d’une façon créée à l’amour que le bon Dieu se porte à lui-même. lui-même. Dieu seul est beau. L’amour, c’est le mouvement du cœur spirituel vers cette infinie Beauté. Plus ce mouvement est profond, puissant, puiss ant, constant, plus l’âme se rapproche de son Tout, plus elle s’unit à lui et plus elle trouve dans cette union le « centuple de ce qu’elle a quitté ». Aimer, demander la charité, l’esl’es pérer, la pratiquer. Présenter souvent son âme au bon Dieu. Le prier doucement de la pénétrer jusqu’au fond de son amour. Peu à peu l’œuvre divine se fera ; le saint amour purifiera, rectifiera, fortifiera tout. Il deviendra lumière et force, paix et joie. Chercher Dieu dans le calme. Il est au fond de notre cœur ; cœur ; se cacher là, le plus souvent, le plus profondément possible. Sans bruit de parole, sans éveiller même la zone sensible de d e l’âme, il instruit, il transforme. Lui offrir une âme humble, docile, généreuse, attentive. Il comblera mes désirs. Je puis communier tout le jour… j our… * Il faut aimer pour comprendre les Stigmates, pour les goûter surtout. * 1 Rom., V ,
5.
262
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Une seule chose suffit pour tout : aimer Dieu de tout son cœur ; cœur ; se renoncer à chaque instant en faisant sa sainte volonté ; être occupé de lui ou pour lui ; rejeter toute joie qui n’est pas n’est pas Dieu ; se tenir en adoration au dedans devant lui ; au dehors être occupé pour lui seul en se tenant uni à lui par le fond de l’âme. l’âme. La vie intérieure est simple, très simple. * Signes de d e charité : charité : Se plaire avec Dieu, au fond, ne se plaire que là. Y revenir dès qu’on le peut et autant que possible y rester toujours, même est agissant. Chercher à connaître la volonté de Di au, la faire dès qu’on la connaît et de bon cœur. Dire mille fois par jour à Jésus qu’on l’aime. Lui prouver son amour en ne cherchant qu’à lui faire plaisir. L’amour effectif est le seul qui soit toujours conscient ; l’amour affectif peut ne pas l’être, mais Dieu le veut aussi. Le cultiver surtout dans l’oraison. On ne peut jamais dire au bon Dieu qu’on l’aime de tout son cœur tant qu’on ne se possède pas entièrement, tant qu’on constate encore des attaches, des défaillances de volonté, mais lui montrer au moins son désir profond, intense de l’aimer, incomparablement plus que tout autre bien, et de n’aimer rien qu’en lui et pour pour lui. * Puisqu’il n’y a qu’un moyen de mourir d’amour de Dieu, c’est d’en vivre. Prier Jésus notre divin Sauveur de répandre dès maintenant ce saint amour dans nos âmes. Qu’il détruise, qu’il brûle, ce feu divin, tout ce qui pourrait lui être contraire ; qu’il consume tout, qu’il nous consume nous-même. Y a-t-il une plus grande grâce que de se brûler ainsi, par moments à grandes flammes, le plus souvent à petit feu, à la gloire de Celui qui est la Bonté et l’Amour ? Non, il n’y en a pas. Qu’il daigne nous nous l’accorder. Amen. Peu penser à ce que l’on souffre, mais penser au Dieu caché que l’on aime. Ne restons pas chez nous, allons chez notre Père ; là seulement nous serons bien et même de mieux en mieux. Cachons-nous en lui, il se cachera en nous ; mais il ne se cachera plus de nous, au contraire : « Manifestabo ei meipsum » meipsum » 1. * La pensée du ciel m’occupe beaucoup ces jours -ci. Je voudrais le mieux connaître et y vivre déjà comme par avance. N’est-ce N’est -ce pas ce que 1 Joan.,
XIV , 21.
CONSEILS AUX ÂMES D’ORAISON
263
le bon Dieu attend de nous ? Je lui demande de m’éclairer sur cette vie éternelle qui consiste à le voir, à le posséder, à l’aimer, lui, dans l’unité de sa nature et la Trinité de ses adorables Personnes, et son Fils bienaimé Jésus. Je lis ce que je puis trouver sur ce beau sujet, mais je ne cache pas que cela ne me suffît pas. Heureux ceux qui lisent ces choses dans ce livre vivant qui est le bon Dieu lui-même. Il doit cependant trouver bon que l’on cherche à connaître ce beau ciel, à travers ce que Jésus et les Saints ont bien voulu nous en dire. — Oui, mon Dieu, comment vous aimer si peu que ce soit, sans désirer vous voir, vous posséder, vous louer, vous aimer à jamais ! — Daigne Jésus nous donner mille fois plus vif encore cet amour et ce désir. Amen.
Chemin de Croix I Jésus est condamné à mort Ici, vivre pour l’Hommel’Homme-Dieu, c’est mourir. Je dois endurer une vraie mort, mais c’est une mort qui mène à la vraie vie. On ne meurt pas sans souffrir, il est bon d’aller à la Croix du Sauveur par celle qu’il nous dorme à porter. II Jésus est chargé de sa Croix Il importe que je souffre d’une souffrance que je n’ai pas choisie. Je ne m’habituerai pas à cette souffrancesouffrance -là. Ce qu’il y a de manque de conformité à la volonté du bon Dieu devra disparaître. Il est obligé de me l’imposer, mais si c’est une dure nécessité, n écessité, elle doit être passagère. III Jésus tombe pour la première fois Oh ! que la rencontre serait facile, si elle se faisait en descendant !… Se faire des convictions fortes sur l’orgueil ; l’orgueil provient d’un défaut de jugement ; l’orgueil aveugle… je ne suis pas tel que je me crois. Par mon orgueil, je déplais souverainement à Notre-Seigneur et lui mets obstacle. IV Jésus rencontre sa Très Sainte Mère Penser aux douleurs inénarrables de Notre-Seigneur et de la Très Sainte Vierge pour expier le moindre péché. Toute âme intérieure porte la Croix et monte au Calvaire ; elle a besoin pour faire l’un et l’autre de s’appuyer sur l’affection maternelle de la Très Sainte Vierge. Prier la sainte Vierge de nous apprendre combien son Jésus est aimable ; et pourtant, pourtant, comme il l’a fait souffrir cet Enfant ! Enfant !
266
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE V Simon le Cyrénéen aide Jésus à porter sa Croix
Il est impossible que je porte porte la Croix tout seul, mais il la portera pour moi. S’il S’il vient un sacrifice, penser que j’ai j’ai demandé la souffrance. Je peux faire cette demande sans présomption en ne comptant que sur lui. VI Une femme pieuse essuie la face de Jésus Pour réparer, il semble que le mieux soit d’aimer ; de faire qu’il n’y ait pas une fibre de notre cœur qui ne soit à Jésus. S’en assurer en harmonisant sa volonté à celle du divin Maître jusque dans les plus petits détails. VII Jésus tombe pour la deuxième fois Une, âme orgueilleuse est laide à repousser aux yeux de Dieu. Jésus a été humilié au-delà de toute mesure. Jésus est doux et humble de cœur : c’est c’est lui la source de toute humilité. Il faut boire à longs traits, à deux genoux à cette source bénie. Sans humilité, il n’y a pas d’amour possible. Persévérance, persévérance… Ce mot, il faudrait le dire mille fois. Ne se lasser jamais de Dieu et de son intimité avec toutes ses nécessaires exigences. VIII Jésus console les filles de Jérusalem qui le suivent Jésus console. Quand on souffre, dans les moments de découragement, montrer son âme à Notre-Seigneur, simplement, paisiblement, humblement… Confiance absolue. absolue. Il faut souffrir bonnement, simplement, sans regarder en arrière. Ne pas en parler aux autres, sauf à qui de droit…, pas au bon Dieu. Mais lui demander sa grâce quand la piqûre d’épingle semble trop forte. S’oublier de plus en plus. Aller à Jésus sans passer par soi-même. soi- même. Penser à Jésus en s’oubliant pour lui. Désir de communier aux dispositions de Jésus, de Marie, des saintes femmes.
CHEMIN DE CROIX
267
IX Jésus tombe pour la troisième fois Jésus a porté le poids des péchés du monde, ne devons-nous pas supporter les effets du péché, les conséquences de nos péchés ? Demander sincèrement l’amour de l’humiliation pour Jésus. Il faut être sévère pour soi, oui ; pais doux et patient aussi. Si l’on était bien humble, on ne s’étonnerait pas tant de sa faiblesse. Nous nous en v ouv oulons trop de ne pas être parfaits. Aimons notre impuissance. Rien ne fait mieux comprendre le prix de la grâce, le néant de notre être et de notre action. X Jésus est dépouillé de ses vêtements Renoncer à ses goûts personnels, à ses idées. Prier Jésus de nous donner à la place ses goûts et ses idées. C’est quand nous serons détachés que Jésus nous parlera. Plus la volonté est vide, plus elle est capable d’être attirée par son divin objet. Se détacher, s’unir ou être uni ; se transformer, ou, mieux, être transformé, tout est là. Nous ne saurions faire trop de sacrifices intérieurs pour rendre notre âme digne d’être une véritable épouse de Jésus-Christ. Jésus -Christ. XI Jésus est attaché à la Croix Obéir. Ramener tout là pour le moment. Plus l’obéissance nous immole, plus elle est précieuse pour nous ; plus nous devons l’estimer. Nous donnons à Dieu notre volonté ; c’est cette faculté qu’il veut ; veut ; quand il la possède, tout suit. Le sacrifice de la liberté n’est pas incompatible avec la vie intérieure intense. Il en est toujours et partout la condition nécessaire. « Abneget « Abneget »… »… Ma volonté tient à trop de choses, et elle y tient trop. XII Jésus meurt sur la Croix Jésus est toujours crucifie : vie de croix, pour ceux que Jésus appelle, mais aussi de joies profondes… La volonté de Dieu, ce sera la
268
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
croix ; mais par la croix, l’amour et par l’amour l’union. S’oublier. On ne peut être au bon Dieu que si on est complètement donné. Tant qu’il y a attache, il y a souffrance. Elle disparaît d isparaît quand le don est total, ou, ou , si elle subsiste, c’est tout à fait différent, tant il s’y mêle de joie. Suivre les mouvements qui nous porteraient à répandre le sang de Jésus dans les âmes. XIII Jésus est déposé de la Croix et remis à sa Mère Pour vivre de la vie de Dieu, il faut mourir à tout et à soi-même, puis s’abandonner avec une docilité affectueuse et souple à Marie. Elle nous fera passer de la mort à la vie. Elle est notre Mère. « Filioli « Filioli quos parturiit ». Demander les vraies larmes de la pénitence â la Mère des Douleurs en union avec sa compassion si pure et si désintéressée. XIV Jésus est mis dans le sépulcre Nous ensevelir avec Jésus en oubliant tout le reste, même quand nous semblons le quitter en apparence. Dans l’oraison, que ce soit notre fidélité d’être là pour le bon Dieu tout seul… Seul à seul avec Notre-Seigneur. Supprimer toutes les créatures. Amour solitaire. De moi, par moi, pour moi, rien : donc anéantissement. L’âme se simplifie et devient alors pure capacité de connaître et d’aimer. L’âme dans sa pureté primitive, mais développée par les dons du Saint-Esprit et le mérite. Se laisser transformer par Notre-Seigneur. Il le fera. Le jour où nous n’agirons plus par poussée naturelle, mais uniquement pour Dieu, sera un beau jour.
Table des matières Préface ................................................................................................................ 3 Prologue ............................................................................................................ Prologue ............................................................................................................ 11 Chapitre I .......................................................................................................... 13 13 OSCULETUR ME OSCULO ORIS SUI (I, 1) .......................................................................... ............................ .............................................. 13 Bonheur de la sainte union, même transitoire, 13. — Effets de cette union et aspiration de l’âme l’âme à son divin Époux, 13. Époux, 13. MELIORA SUNT UBERA TUA VINO (I, 2) .......................................................................... ................. ......................................................... 14 L’amour divin réjouit, fortifie, enivre, 14. enivre, 14. FRAGANTIA UNGUENTIS OPTIMI (I, 3) ............................................................................ .............................. .............................................. 16 Parfums de l’Époux : l’Époux : douceur, paix, bonne édification, 16. OLEUM EFFUSUM NOMEN TUUM (I, 3) ........................................................................... 17 Élévation au Saint Nom de Jésus, 17. IDEO ADOLESCENTULAE DILEXERUNT TE (I, 3) .............................................................. 17 L’âme pure, miroir pure, miroir vivant de Jésus, 17. U NGUENTORUM TUORUM (I, 4) ................. TRAHE ME POST TE ; CURREMUS IN ODOREM UNGUENTORUM ....... .......... 18 Jésus entraîne l’âme vers le Père, lui Père, lui seul le peut, 18. EX IN CELLARIA SUA ( INTRODUXIT ME R EX (I, 4) ................................................................. ................... .............................................. 19 Jésus Roi : entrée dans ses appartements secrets, 19. — Envahissement progressif des facultés jusqu’à l’union parfaite, 20. — Obstacles à cette révélation. Prière, 20. — Les « Secrets ». Néant des créatures. Le don de Science y fait voir le reflet du Créateur. 21. — Le don d’intelligence d’intelligence pénètre les Saintes Écritures, 22. — L’amour suit, divine rencontre, ineffa ble et sainte union. Don de Sagesse, Sagesse, 23. XULTABIMUS ET LAETABIMUR LAE TABIMUR IN TE (I, 4)................................................... EXULTABIMUS ................................................................... ................ 24 L’âme conquise, possédée par Dieu, souhaite ardemment la même fafa veur à beaucoup d’autres d’autres âmes, 24. âmes, 24. MEMORES UBERUM TUORUM SUPER VINUM (I, 4) .......................................................... .................................................... ......25 Chœur d’âmes intérieures célébrant à l’envi le saint amour de Dieu, 25. Dieu, 25. ECTI DILIGUNT TE (I, 4) ............................................................................................. 26 R ECTI Louanges de l’âme à l’âme à la divine Bonté, 26. — Sa richesse, 26. — Sa joie, 27. — Sa pureté, 27. — Sa force, 28. — Sa beauté, 28. — Aimer de tout son cœur, 29. cœur, 29. NIGRA SUM, SED FORMOSA , FILIAE JERUSALEM, SICUT TABERNACULA CEDAR , SICUT .............................................................................................. ................................... 30 PELLES S ALOMONIS (I, 5) ........................................................... Maturité de l’âme par l’épreuve, 30. l’épreuve, 30. NOLITE ME CONSIDERARE QUOD FUSCA SIM , QUIA DECOLORAVIT ME SOL . FILII MA TRIS ME PUGNAVERUNT CONTRA ME ; POSUERUNT ME CUSTODEM IN VINEIS , VINEAM MEAM NON CUSTODIVI (I, 6) ......................................................................................... 30 L’âme reconquiert sa liberté d’être toute toute à Dieu, 30.
270
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
INDICA MIHI, QUEM DILIGIT ANIMA MEA , UBI PASCAS , UBI CUBES IN MERIDIE (I, 7)......... 31 Brebis privilégiées, 31. — Jésus lui-même, nourriture et lieu de repos de l’âme, 32. l’âme, 32. NE VAGARI INCIPIAM (I, 7) ............................................................................................ 33 Attitude et prière de de l’âme dans l’obscurité et l’épreuve, 33. POST GREGES SODALIUM TUORUM (I, 7) ........................................................................ 34 Pratique du saint détachement, 34. SI IGNORAS TE, O PULCHERRIMA INTER MULIERES (I, 8) ................................................ 34 Ce qu’est la vraie beauté spirituelle de l’âme, l’âme, 34. EGREDERE ET ABI POST VESTIGIA GREGUM (I, 8) ........................................................... ...................................................... ..... 36 L’âme sortie d’elle-même d’elle-même aspire aux divins pâturages, 36. — Le vrai Directeur, 40. — À l’école des Saints, 41. Saints, 41. QUITATUI MEO IN CURRIBUS PHARAONIS ASSIMILAVI TE, AMICA MEA ( EQUITATUI (I, 9) ................. ............ ..... 42 Plaire à Dieu, seul bonheur à ambitionner, 42. PULCHRAE SUNT GENAE TUAE SICUT TURTURIS (I, 10) ................................................... 43 Les vertus gagnent en vigueur et en beauté en en proportion de l’amour de Dieu, 43. COLLUM TUUM SICUT MONILIA (I, 10) ........................................................................... ...................................................................... ..... 44 L’âme aimante est belle parce qu’elle est forte, 44. forte, 44. MURENULAS AUREAS FACIEMUS TIBI , VERMICULATAS ARGENTO (I, 11) .......................... 44 Œuvre ineffable de ineffable de la Trinité Sainte dans l’âme fidèle, 44. fidèle, 44. DUM ESSET REX IN ACCUBITO SUO, NARDUS MEA DEDIT ODOREM SUUM (I, 12) .............. 47 La vie de l’âme fidèle est pour pour Dieu comme un précieux parfum, 47. ASCICULUS US MYRRHAE MYRRHAE DILECTU DILECTUSS MEUS MIHI ; INTER INTER UBERA MEA M EA COMMORABITUR (I, 13) .. 47 F ASCICUL La souffrance est le parfum de Jésus pour l’âme intérieure, intérieure, 47. BOTRUS CYPRI DILECTUS MEUS MIHI IN VINEIS ENGADDI (I, 14) .................................... ................................ .... 48 Le bonheur d’aimer Dieu Dieu est une participation au bonheur même de Dieu, 48. ECCE TU PULCHRA ES , AMICA MEA , ECCE TU PULCHRA ES (I, 15) ..................................... 49 Expérience que fait l’âme de l’amour de d e bienveillance de son Dieu, 49. OCULI TUI COLUMBARUM (I, 15) ................................................................................... ................................ ................................................... 50 Le regard de l’âme intérieure est pur, il ne voit que Dieu, il le v oit oit en tout et voit tout en lui, 50. ECCE TU PULCHER ES, DILECTE MI, ET DECORUS (I, 16) .................................................. 52 Cris d’admiration des d’admiration des Saints, 52. LECTULUS NOSTER FLORIDUS (I, 16) ............................................................................. 52 Le divin Époux instruit l’âme sur sa vie sa vie intime en la Trinité Sainte, 52. TIGNA DOMORUM NOSTRARUM CEDRINA , LAQUEARIA NOSTRA CYPRESSINA (I, 17) ......... 55 L’âme fermée à tous les bruits du monde vit vi t avec Dieu dans une intimité ineffable, prélude de la vie du Ciel, 55.
Chapitre II ........................................................................................................ 61 61 EGO FLOS CAMPI ET LILIUM CONVALLIUM (II, 1) ............................................................. ........................................................... ..61 Toute la divine richesse du Cœur de Jésus appartient au cœur pur, aimant et humble, 61.
T ABLE DES MATIÈRES
271
SICUT LILIUM INTER SPINAS , SIC AMICA MEA INTER FILIAS (II, 2) .................................. 62 Plaire à Jésus, c’est beau et c’est charitable pour charitable pour lui, 62. SICUT MALUS INTER LIGNA SILVARUM , SIC DILECTUS MEUS INTER FILIOS (II, 3) ............ 63 Jésus, arbre de vie, dont les fruits sont seuls capables de plaire à l’âme aimante et de la nourrir, 63. SUB UMBRA ILLIUS QUEM DESIDERAVERAM SEDI , ET FRUCTUS EJUS DULCIS GUTTURI MEO (II, 3) ................................................................................................................... 63 La parole divine nourrit notre esprit de vérité ; l’amour de Dieu, vie Dieu, vie de la volonté et du cœur, 63. cœur, 63. INTRODUXIT ME IN CELLAM VINARIAM ; ORDINAVIT IN ME CARITATEM (II, 4).................65 Dieu « vraie place » de l’âme tout l’âme tout ordonnée à l’aimer et l’aimer et à le faire aimer, 65. FULCITE ME FLORIBUS , STIPATE ME MALIS, QUIA AMORE LANGUEO (II, 5) ...................... 67 L’Eucharistie et la Croix, soutiens de l’âme consumée consu mée d’amour, 67. d’amour, 67. CAPITE MEO, ET DEXTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME (II, 6)................. 69 L AEVA EJUS SUB CAPITE Dieu seul, force de l’âme qui se remet entre ses mains, 69. DJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM , NE SUSCITE A DJURO TIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM , QUOADUSQUE IPSA VELIT (II, 7) ................. 70 Rien ne compte plus pour l’âme qui repose dans le sein de Dieu. Respect dû à son sommeil, 70. OX DILECTI MEI ; ECCE ISTE VENIT (II, 8) .................................................... V OX ..................................................................... ................. 71 Conditions pour entendre la voix de Jésus, 71. MONTIBUS, TRANSILIENS COLLES (II, 8) ....................................................... 73 S ALIENS IN MONTIBUS Hâte empressée de Dieu vers l’âme recueillie et recueillie et pénétrée de silence, 73. SIMILIS EST DILECTUS MEUS CAPREAE , HINNULOQUE CERVORUM (II, 9) ......................... 74 EN IPSE STAT POST PARIETEM NOSTRUM (II, 9) .............................................................. ............................................. ................. 74 Bonheur Bonheur de l’âme regardée par Dieu, 74. Dieu, 74. ESPICIENS PER FENESTRAS, PROSPICIENS PER CANCELOS (II, 9) ................................... R ESPICIENS ............................. ...... 75 EN DILECTUS MEUS LOQUITUR MIHI : SURGE, PROPERA , AMICA MEA , COLUMBA MEA , FORMOSA MEA , ET VENI (II, 10).......................................................... ...................................................................................... ............................ 76 Appels directs du du Bien- Aimé Bien- Aimé à l’intimité de l’union, 76. J AM ENIM HIEMS TRANSIIT, IMBER ABIIT ET RECESSIT (II, 11) .........................................78 Phases douloureuses qui qui préparent l’âme intérieure à de nouvelles grâces, 78. FLORES APPARUERUNT IN TERRA NOSTRA (II, 12)........................................................... 81 Épanouissement Épanouissement des vertus l’âme intérieure, 81. intérieure, 81. TEMPUS PUTATIONIS ADVENIT (II, 12)........................................................... ........................................................................... ................ 82 La Sainte Église a pourvu l’âme intérieure de chants d’amour : d’amour : Psaumes, Hymnes, 82. OX TURTURIS AUDITA EST IN TERRA NOSTRA ( V OX (II, 12) ................................................... 85 Chant Chant d’amour plus intime de l’âme, 85. l’âme, 85. FICUS PROTULIT GROSSOS SUOS (II, 13)......................................................................... 85 Fruits du travail profond profond de la grâce dans l’âme fidèle, 85. fidèle, 85. INEAE FLORENTES DEDERUNT ODOREM SUUM (II, 13) .................................................. V INEAE ..................................................87 87 Le parfum préféré de Jésus est celui c elui du sacrifice et de l’amour, 87. l’amour, 87.
272
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
SURGE AMICA MEA , SPECIOSA MEA , ET VENI (II, 13) ....................................................... 88 Abîme de la Sagesse et de la Science de Dieu ; plus on vous aime et plus on vous goûte, plus on vous goûte et plus on vous connaît, 88. COLUMBA MEA , IN FORAMINIBUS PETRAE, IN CAVERNA MACERIAE (II, 14) ..................... ...... ............... 89 Hauteur et solitude, demeure inaccessible inaccessible de l’âme intérieure, in térieure, 89. 89. OSTENDE MIHI FACIEM TUAM, SONET VOX TUA IN AURIBUS MEIS (II, 14) ....................... 89 Paisible et irrésistible mouvement entraînant l’âme vers son Dieu qui l’appelle, 89. l’appelle, 89. OX ENIM TUA DULCIS ET FACIES TUA DECORA (II, 14)................................................... V OX 14 )................................................... 90 L’âme pure et aimante attire at tire sur elle le regard de Dieu, 90. C APITE NOBIS VULPES PARVULAS QUAE DEMOLIUNTUR VINEAS VINEA S ; NAM VINEA NOSTRA FLORUIT (II, 15) ............................................................................................................. ........................................................................... .................................. 91 Graves dommages que les passions immortifiées peuvent causer à l’âme peu recueillie, 91. DILECTUS MEUS MIHI, ET EGO ILLI (II, 16) .................................................................... 92 Totale donation de l’âme, l’âme, 92. QUI PASCITUR INTER LILIA ( (II, 16) ................................................................................ 93 Communication des richesses spirituelles. 93 EVERTERE, SIMILIS ESTO , DILECDONEC ASPIRET DIES, ET INCLINENTUR UMBRAE… R EVERTERE TE MI, CAPREAE, HINNULOQUE CERVORUM SUPER MONTES BETHER (II, 17) ................... 94 Ardents désirs du retour de de l’Époux, l’Époux, 94.
Chapitre III III .......................................................................................................97 IN LECTULO MEO, PER NOCTES, QUAESIVI QUEM DILIGIT ANIMA MEA : : QUAESIVI ILLUM ET NON INVENI (III, 1) ........................................................................................... 97 Vouloir profond, profond, unique, impérieux, douloureux de l’âme à la à la recherche vraie de son Dieu, 97. SURGAM ET CIRCUIBO CIVITATEM ; PER VICOS ET PLATEAS QUAERAM QUEM DILIGIT ............................................................................................. ........... 98 ANIMA MEA (III, 2) ........................................................................................................ Ne pouvoir souffrir l’absence de Dieu et tout tout entreprendre pour le retrouver, 98. QUAESIVI ILLUM ET NON INVENI (III, 3) ........................................................................ ................................................................... ..... 99 Dieu se donne quand il lui plaît ; et il ne doit rien rien même à l’âme la plus fidèle, 99. INVENERUNT ME VIGILES QUI CUSTODIUNT CIVITATEM . NUM QUEM DILIGIT ANIMA MEA VIDISTIS ? (III, 3) ................................................................................................ 100 Nul ne peut donner donner Dieu à l’âme que Dieu même, 100. même, 100. PEUTRANSISSEM EOS, INVENI QUEM DILIGIT ANIMA MEA (III, 4) ........ 100 P AULULUM CUM PEUTRANSISSEM Dépasser les créatures pour trouver Dieu, 100. TENUI EUM, NEC DIMITTAM, DONEC INTRODUCAM ILLUM IN DOMUM MATRIS MEAE , ET IN CUBICULUM GENITRICIS MEAE (III, 4)................................................................ 4).................................................................... 101 L’âme s’empare du Bien-Aimé Bien-Aimé de toutes les forces de son amour, 101. DIURO VOS, FILIAE JERUSALEM, PER CAPREAS CERVOSQUE CAMPORUM, NE SUSCITE A DIURO TIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILECTAM DONEC IPSA VELIT (III, 5) .......................... 103 Ne pas troubler l’amour solitaire de l’âme intérieure ; intérieure ; en elle et par elle, le monde est comme rapproché de Dieu, 103.
T ABLE DES MATIÈRES
273
QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT PER DESERTUM SICUT VIRGULA FUMI EX AROMATIBUS MYRRHAE, ET THURIS, ET UNIVERSI PULVERIS FIGMENTARII ? (III, 6) .......................... 104 Séparation du monde, de soi-même, de son âme, 104. — L’âme intéintérieure embaume et la terre et le ciel, ci el, 105. EN LECTULUM S ALOMONIS : SEXAGINTA FORTES AMBIUNT EX FORTISSIMIS ISRAËL, OMNES TENENTES GLADIOS ET AD BELLA DOCTISSIMI ; UNIUSCUJUSQUE ENSIS SUPER ...................................... ........ 105 FEMUR SUUM, PROPTER TIMORES NOCTURNOS (III, 7-8) .............................................. Avances divines à l’âme intérieure que rien n’arrêtera n’arrêtera ni ne troublera désormais, 105. FERCULUM FECIT SIBI REX S ALOMON DE LIGNIS LIBANI. COLUMNAS EJUS FECIT ARGENTEAS, RECLINATORIUM AUREUM , ASCENSUM PURPUREUM ; MEDIA CARITATE CONSTRAVIT, PROPTER FILIAS JERUSALEM (III, 9-1o) ................................................... ........................................... ........ 106 La foi, fondement et racine de la vie intérieure, est est aussi fruit de l’Esl’Es prit-Saint, 106. — Triomphe de la charité. L’immolation le prépare, l’acl’accompagne et le suit, 107. — Toutes les vertus se prodiguent au service de l’amour, 108. l’amour, 108. EGREDIMINI ET VIDETE, FILIAE SION, REGEM S ALOMONEM IN DIADEMATE QUO CORONAVIT ILLUM MATER SUA IN DIE DESPONSATIONIS ILLIUS ET IN DIE LAETITIAE CORDIS EJUS (III, 11) ........................................................ ....................................................................................................108 ............................................108
L’union de l’âme avec Dieu fait la joie de Marie qui qui l’a préparée, 108. préparée, 108. — Bonheur de l’apôtre l’apôtre « Précurseur » de l’union, 109. l’union, 109.
Chapitre IV ...................................................................................................... IV ...................................................................................................... 111 QUAM PULCHRA ES, AMICA MEA , QUAM PULCHRA ES (IV , 1) ........................................... 111 Une belle âme charme et attire Jésus. Ardents désirs. Prière, 111. OCULI TUI COLUMBARUM , ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LATET (IV , 1) ...................... 112 Voiles qu’il peut y avoir entre l’âme et Dieu, 112. Dieu, 112. — Prière pour obtenir une foi vive et lumineuse, 113. C APILLI TUI SICUT GREGES CAPRARUM QUAE ASCENDERUNT DE MONTE GALAAD (IV , 1) ... 113 L’âme aimante s’efforce de multiplier les actes méritoires et de leur donner une exécution achevée, 113. DENTES TUI SICUT GREGES TONSARUM QUAE ASCENDERUNT DE LAVACRO ; OMNES GEMELLIS FOETIBUS ET STERILIS NON EST INTER EAS (IV , 2) ........................................ 114 Les vertus, ornement de nos facultés, agissent par paires et transforment tout en aliment de l’âme, 114. l’âme, 114. SICUT VITTA COCCINEA LABIA TUA ET ELOQUIUM TUUM DULCE (IV , 3) .......................... 114 Un seul discours : « Je vous aime ai me », 114. SICUT FRAGMEN MALI PUNICI, ITA GENAS TUAS, ABSQUE EO QUOD INTRINSECUS LA TET (IV , 3) ................................................................................................................... 115 Amour généreux, humble et pur, 115. SICUT TURRIS D AVID COLLUM TUUM QUAE AEDIFICATA EST CUM PROPUGNACULIS ; MILLE CLYPEI PENDENT EX EA , OMNIS ARMATURA FORTIUM (IV , 4) .............................. 115 Puissance de l’âme intérieure ; intérieure ; elle communique à son tour force et confiance, 115. DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI CAPREAE GEMELLI QUI PASCUNTUR IN LILIIS (IV , 5) .. 116 Maternité spirituelle, 116.
274
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
DONEC ASPIRET DIES, ET INCLINENTUR UMBRAE, VADAM AD MONTEM MYRRHAE ET AD COLLEM THURIS THURIS (IV , 6) ........................................................................................... ...................................................................... ..................... 116 L’âme intérieure, séparée d’elle-même, d’elle-même, se retire dans le secret pour mieux aimer, 116. TOTA PULCHRA ES, AMICA MEA , ET MACULA NON EST IN TE (IV , 7) ................................ 118 Jésus adresse cet éloge à Marie, 118. ENI DE LIBANO, SPONSA MEA , VENI DE LIBANO ; VENI, CORONABERIS ; DE CAPITE V ENI MANA , DE VERTICE S ANIR ET HERMON, DE CUBILIBUS LEONUM , DE MONTIBUS PAR A MANA DORUM (IV , 8) ............................................................................................................. ........................................................................................ ..................... 119 Jésus appelle l’âme l’âme à l’union définitive, 119. définitive, 119. ULNERASTI COR MEUM, SOROR MEA SPONSA , VULNERASTI COR MEUM, IN UNO OCU V ULNERASTI LORUM TUORUM ET IN UNO CRINE COLLI C OLLI TUI (IV , 9) ..................................................... 119 Pour conquérir le Cœur de Dieu, il suffit de l’aimer tout à fait, 119. fait, 119. QUAM PULCHRAE SUNT MAMMAE TUAE , SOROR MEA SPONSA ! ! PULCHRIORA SUNT UBE RA TUA VINO, ET ODOR UNGUENTORUM TUORUM SUPER OMNIA AROMATA (IV , 10) ....... 121 Puissance du véritable véritable amour sur le Cœur de Dieu, 121. Dieu, 121. F AVUS DISTILLANS LABIA TUA , SPONSA ; ; MEL ET LAC SUB LINGUA TUA , ET ODOR VESTIMENTORUM TUORUM SICUT ODOR THURIS (IV , 11).................................................... ........................................................122 ....122 Tout dans l’âme intérieure ravit le Cœur de l’Époux divin, 122. divin, 122. HORTUS CONCLUSUS, SOROR MEA SPONSA , HORTUS CONCLUSUS, FONS SIGNATUS (IV , 12) ..123 Richesse et charme de ce jardin fermé, 123. EMISSIONES TUAE PARADISUS MALORUM PUNICORUM CUM POMORUM FRUCTIBUS , CYPRI CUM NARDO, NARDUS ET CROCUS , FISTULA ET CINNAMOMUM , CUM UNIVERSIS LIGNIS LIBANI, MYRRHA ET ALOË CUM OMNIBUS PRIMIS UNGUENTIS (IV , 13-14)........... 125 Les fruits du Saint-Esprit, 125. — Charité, 126. — Joie, 126. — Paix, 127. — Patience, 128. — Mansuétude et douceur, 129. FONS HORTORUM, PUTEUS AQUARUM VIVENTIUM, QUAE FLUUNT IMPETU DE LIBANO (IV , 15) ....................................................................................................................... 130 L’âme contemplative vivant dans vivant dans les hauteurs de la vie même de Dieu y attire les âmes, 130. SURGE A QUILO ; PERFLA HORTUM MEUM , ET FLUANT AROMATA IL QUILO, ET VENI, A USTER USTER ; LIUS (IV , 16) ................................................................................................................ 131 Humble prière de l’âme pressée de tout rapporter à Dieu de ses libé ralités en elle, 131. ENIAT DILECTUS MEUS IN HORTUM SUUM , ET COMEDAT FRUCTUM POMORUM SUO V ENIAT RUM (IV , 16) ................................................................................................................132
Chapitre V Chapitre V ....................................................................................................... 133 V ENI ENI IN HORTUM MEUM, SOROR MEA SPONSA ( V , 1) ...................................................... 133 Prière exaucée, 133. MESSUI MYRRHAM MEAM CUM AROMATIBUS MEIS ( V , 1) ..............................................134 Dieu daigne venir prendre ses délices son dans jardin fermé, 134. COMEDI FAVUM CUM MELLE MEO ( V , 1)........................................................................134 BIBI VINUM MEUM CUM LACTE MEO ( V , 1) .................................................................... ................................................................ .... 135 COMEDITE, AMICI, ET BIBITE, ET INEBRIAMINI, CARISSIMI ( V , 1) ................................... 135 Jésus invite ses amis, 135.
T ABLE DES MATIÈRES
275
EGO DORMIO ET COR MEUM VIGILAT ( V , 2) .................................................................. ...................... ............................................ 136 Désir d’aimer Dieu sans sans interruption et sans mesure, 136. — Mystérieux et profond sommeil de l’amour, 137. l’amour, 137. OX DILECTI MEI PULSANTIS : A PERI MIHI, SOROR MEA , AMICA MEA , COLUMBA MEA , V OX : A PERI ( V , 2) ........................................................... ............................................................................................. .................................. 138 IMMACULATA MEA ( Délicates Délicates industries de l’amour de Jésus pour se faire aimer, ai mer, 138. — Ce qui attire Jésus dans une âme c’est la simplicité, la fidélité, la fidélité, la profondeur, la délicatesse, la pureté de son amour pour lui, 139. N OCTIUM ( V , 3) ......... 142 QUIA CAPUT MEUM PLENUM EST RORE , ET CINCINNI MEI GUTTIS NOCTIUM Jésus Jésus sollicite nos retours d’amour, 142. d’amour, 142. EXPOLIAVI ME TUNICA MEA , QUOMODO INDUAR ILLA ? ? L AVI PEDES PEDE S MEOS , QUOMODO INQUINABO ILLOS ? ( V , 3) ........................................................................................... 143 Après Après les dépouill dépouilleme ements nts successifs successifs,, prép préparat aratoires oires à l’union, l’âme craint l’âme craint de retourner au monde sensible, mais c’est à c’est à Jésus de tout régler en elle, 143. 14 3. DILECTUS MEUS MISIT MANUM SUAM PER FORAMEN , ET VENTER MEUS INTREMUIT AD TACTUM EJUS ( V , 4) ......................................................... ..................................................................................................... ............................................ 144 L’âme comprend son devoir ; devoir ; elle doit se lever et ouvrir, 144. SURREXI UT APERIREM DILECTO MEO ; MANUS MEA STILLAVERUNT MYRRHAM, ET DIGITI MEI PLENI MYRRHA PROBATISSIMA ( ( V , 5).......................................................... .............................................................. .... 145 L’onction de Dieu est douce, suave, forte, délicieuse, 145. PESSULUM OSTII MEI APERUI DILECTO MEO ; AT ILLE DECLINAVERAT , ATQUE TRANSIERAT ( V , 6)................................................................................................................. 145 Dans la vie intérieure appel et fuite du Bien-Aimé sont choses fréquentes, 145. A NIMA NIMA MEA LIQUEFACTA EST, UT LOCUTUS EST ( V , 6) .................................................. 146 QUAESIVI ET NON INVENI ILLUM, VOCAVI ET NON RESPONDIT MIHI ( V , 6) .................... 146 La souffrance règne, 146. INVENERUNT ME CUSTODES QUI CIRCUMEUNT CIVITATEM ; PERCUSSERUNT ME, ET VULNAVERUNT ME. TULERUNT PALLIUM MEUM MIHI CUSTODES MURORUM ( V , 7)........ 147 L’âme est incomprise incomprise dans la recherche de son Dieu, 147. DJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, SI INVENERITIS DILECTUM MEUM , UT NUNTIETIS EI A DJURO QUIA AMORE LANGUEO ( V , 8) ............................................................ ...................................................................................... .......................... 147 Prière instante pour obtenir la grâce de répandre l’amour divin dans les cœurs, 147. cœurs, 147. QUALIS EST DILECTUS TUUS EX DILECTO , O PULCHERRIMA MULIERUM ? QUALIS EST DILECTUS TUUS EX DILECTO , QUIA SIC ADJURASTI NOS ? ( V , 9) ..................................... 148 Incomprise de certaines âmes, la sainte Épouse excite la sainte curiosité des autres, 148. DILECTUS MEUS CANDIDUS ET RUBICUNDUS, ELECTUS EX MILLIBUS ( V , 10) ................. 149 Beauté de Jésus ! Nul ne la connaît comme la sainte Vierge ; nous n ous adresser à elle pour apprendre à le garder, l’aimer, le chanter, le donner, 149. donner, 149. C APUT EJUS AURUM OPTIMUM. COMAE EJUS SICUT ELATAE PALMARUM ; NIGRAE QUASI CORVUS ( V , 11) .................................................................................................. 151 Infinie beauté et inépuisable richesse du divin époux, 151. OCULI EJUS SICUT COLUMBAE SUPER RIVULOS AQUARUM , QUAE LACTE SUNT LOTAE , ET RESIDENT JUXTA FLUENTA PLENISSIMA ( V , 12) ......................................................... ..................................................... .... 152 Ravissement de l’âme s’apercevant que s’apercevant que Dieu s’occupe de s’occupe de sa petitesse, 152.
276
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
GENAE ILLIUS SICUT AREOLAE AROMATUM CONSITAE A PIGMENTARIIS ( V , 13) ..............153 Contemplation des perfections divines dans leur admirable unité, 153. LILIA DISTILANTIA MYRRHAM PRIMAM ( V , 13) ............................................ 153 L ABIA EJUS LILIA Vérité et beauté de sa doctrine, doctrine, 153. M ANUS ILLIUS TORNATILES, AUREAE PLENAE HYACINTHIS ( V , 14) ................................ ...................... ..........154 Hommage d’admiration et d’amour aux mains divines divines et sacerdotales de Jésus, 154. ENTER EJUS EBURNEUS, DISTINCTUS SAPPHIRIS ( V , 14).......................................... V ENTER 14).............................................. .... 155 Divin tourment des âmes qui désirent pénétrer dans le Sacré-Cœur, Sacré-Cœur, 155. 155. CRURA ILLIUS RURA ILLIUS COLUMNAE MARMOREAE QUAE FUNDATAE SUNT SUPER BASES AUREAS ( V , 15) ............................................................ ..................................................................................................................... ............................................................. ....156 Divines Perfections du Verbe Incarné, appui immuable de l’âme intéintérieure, 156. SPECIES EJUS UT LIBANI, ELECTUS UT CEDRI ( V , 15) ..................................................... 157 157 Puissance tranquille, grâce infinie de l’Époux divin, divin, 157. MEU S, GUTTUR ILLIUS SUAVISSIMUM ET TOTUS DESIDERABILIS . T ALIS EST DILECTUS MEUS ET IPSE EST AMICUS MEUS, FILIAE JERUSALEM ( V , 16) .................................................. 157 L’Épouse achève l’éloge de son saint Époux, Époux , 157.
Chapitre VI Chapitre VI ..................................................................................................... ..................................................................................................... 159 QUO ABIIT DILECTUS TUUS , O PULCHERRIMA MULIERUM ? QUO DECLINAVIT DILE.......................................................... ....159 CTUS TUUS ? ET QUAEREMUS EUM TECUM ( VI, 1) ...................................................... Saint tourment de l’âme déjà transformée déjà transformée par le divin Amour, 159. DILECTUS MEUS DESCENDIT IN HORTUM SUUM AD AREOLAM AROMATUM , UT PASCA TUR IN HORTIS, ET LILIA COLLIGAT ( VI, 2) ................................................................... 160 L’Église, les Institutions, les âmes, jardin de l’Époux où toute fleur de vertu s’épanouit exclusivement pour lui, 160. EGO DILECTO MEO, ET DILECTUS MEUS MIHI ( VI, 3) ..................................................... ..................... ................................ 161 Sainte union, 161. QUI PASCITUR INTER LILIA ( VI, 3) ............................................................................... 162 Jésus, bon Pasteur, 162. PULCHRA ES, AMICA MEA , SUAVIS ET DECORA SICUT JERUSALEM, TERRIBILIS UT CA ( VI, 4)............................................................................... 162 STRORUM ACIES ORDINATA ( Une âme vraiment intérieure est une puissance, 162. TUOS A ME, QUIA IPSI ME AVOLARE FECERUNT ( VI, 5) .........................163 A VERTE OCULOS TUOS Puissance d’une âme aimante sur le Cœur de Dieu, 163. Dieu, 163. SICUT GREX CAPRARUM QUAE APPARUERUNT APPARUERUNT DE G ALAAD ( VI, 5) ...............163 C APILLI TUI SICUT Vifs désirs et bonnes œuvres, témoignages certains certains de la vérité de son amour, 163. DENTES TUI SICUT GREX OVIUM QUAE ASCENDERUNT DE LAVACRO ; OMNES GEMELLIS FAETIBUS ET STERILIS NON EST IN EIS ( VI, 6) ...................................................... ............................................................... ......... 164 Fécondité des vertus morales guidées par la raison et par la grâce, 164. SICUT CORTEX MALI PUNICI , SIC GENAE TUAE, ABSQUE OCCULTIS TUIS ( VI, 7) .............. 164 Le charme inexprimable de la vie intérieure est un perpétuel renouveau d’amour divin, divin, 164.
T ABLE DES MATIÈRES
277
SEXAGINTA SUNT REGINAE ET OCTOGINTA CONCUBINAE , ET ADOLESCENTULARUM NON EST NUMERUS. UNA EST COLUMBA MEA , PERFECTA MEA ; ; UNA EST MATRIS SUAE, ELECTA GENITRICIS SUAE. V IDERUNT IDERUNT EAM FILIAE ET BEATISSIMAM PRAEDICAVE RUNT ; REGINAE ET CONCUBINAE ET LAUDAVERUNT EAM ( VI, 8-9) ............................... 165 Légitime préférence de Dieu, de la sainte Église pour une âme ; elle n’excite pas la jalousie, 165. QUAE EST ISTA QUAE PROGREDITUR QUASI AURORA CONSURGENS , PULCHRA UT LUNA , ELECTA UT SOL , TERRIBILIS UT CASTRORUM ACIES ORDINATA ( ( VI, 10) .......................... 166 166 Incompara ble beauté de l’âme l’âme unie à Dieu, 166. Dieu, 166. DESCENDI IN HORTUM NUCUM UT VIDEREM POMA CONVALLIUM , ET INSPICEREM SI FLORUISSET VINEA , ET GERMINASSENT MALA PUNICA ( ( VI, 11)....................................... 167 Souci de l’âme intérieure de veiller toujours au bon état de son mystémysté rieux jardin, 167. MINADAB ( VI, 12) ...... 167 NESCIVI ; ANIMA MEA CONTURBAVIT ME PROPTER QUADRIGAS A MINADAB La loi de l’amour est de revenir à sa source, d’y ramener l’âme et parfois même le corps, 167.
Chapitre VII Chapitre VII ....................................................................................................169 EVERTERE, REVERTERE, SULAMITIS, REVERTERE, REVERTERE, UT INTUEAMUR TE R EVERTERE ( VII, 1) ........................................................ ..................................................................................................................... ................................................................. .... 169 Douleur paisible, mais profonde que cause la mort des Saints, 169. QUID VIDETIS IN SULAMITE NISI CHOROS CASTRORUM ? ( VII, 1) ................................... 169 Beauté vivante de l’âme évoluant évoluant autour de la volonté de Dieu, 169. QUAM PULCHRI SUNT GRESSUS TUI IN CALCEAMENTIS , FILIA PRINCIPIS ! JUNCTURAE FEMORUM TUORUM SICUT MONILIA , QUAE FABRICATA SUNT MANU ARTIFICIS ( VII, 2) ...... 170 La Sagesse qui règne au sommet de l’âme intérieure rend admirables les qualités inférieures à travers l’enveloppe du corps, 170. corps, 170. UMBILICUS TUUS CRATER TORNATILIS NUNQUAM INDIGENS POCULIS ( VII, 3) ................171 La coupe est le cœur, son vin l’amour. Tant vaut le cœur, tant vaut vaut l’amour, 171. l’amour, 171. ENTER TUUS SICUT ACERVUS TRITICI VALLATUS LILIIS ( VII, 3) .....................................171 V ENTER L’âme intérieure intérieure est une ressource inépuisable, 171. DUO UBERA TUA SICUT DUO HINNULI GEMELLI CAPREAE ( VII, 4).................................. 172 Plus une âme est pure, plus elle est digne de devenir Épouse de d e l’Espritl’EspritSaint et mère spirituelle, 172. COLLUM TUUM SICUT TURRIS EBURNEA ( ( VII, 5) ........................................................... ....................................................... .... 172 La sainte Épouse ne désire la vraie beauté que pour plaire à Jésus, 172. OCULI TUI SICUT PISCINAE IN HESEBON, QUAE SUNT IN PORTA FILIAE MULTITUDINIS ( VII, 5) ........................................................................................................................ 173 Joie de Jésus quand il rencontre une âme vraiment vrai ment intérieure, 173. TURRIS LIBANI, QUAE RESPICIT CONTRA D AMASCUM ( VII, 5) .......... 174 N ASUS TUUS SICUT TURRIS Force de certaines âmes choisies par Dieu pour garder son peuple fidèle, 174. C APUT TUUM UT C ARMELUS ( VII, 6) ............................................................................ 174 L’âme intérieure est an sommet d’où elle domine domine tout, 174.
278
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
ET COMAE CAPITIS TUI SICUT PURPURA REGIS , VINGTA CANALIBUS ( VII, 6) ................... 175 Jésus se fait le captif de l’âme aimante, 175. aimante, 175. — L’âme intérieure est avide d’être elle aussi l’esclave du l’esclave du divin amour, 176. QUAM PULCHRA ES ET QUAM DECORA , CARISSIMA , IN DELICIIS ( VII, 7) ......................... 177 Beauté de l’âme transformée en Jésus dont Jésus dont elle est le miroir vivant, 177. STATURA TUA ASSIMILATA EST PALMAE , ET UBERA TUA BOTRIS ( VII, 8) .........................178 L’âme intérieure, ferme sur sa base, droite dans son attitude, riche dans ses fruits, est un beau spectacle pour le regard de Dieu, 178. SCENDAM IN PALMAM, ET APPREHENDAM FRUCTUS EJUS ( VII, 9) ..................... 179 DIXI : A : A SCENDAM Joies saintes de l’âme fidèle sous l’étreinte l’étreinte du divin amour, 179. ET ERUNT UBERA TUA SICUT BOTRI VINEÆ , ET ODOR ORIS TUI SICUT MALORUM ; GUTTUR TUUM SICUT VINUM OPTIMUM ( VII, 9)............................................................. 179 La grâce et les richesses de l’âme intérieure l’âme intérieure vont croissant chaque jour, 179. DIGNUM DILECTO MEO AD POTANDUM , LABIISQUE ET DENTIBUS ILLIUS AD RUMI NANDUM ( VII, 10) ...................................................... ........................................................................................................ .................................................. 181 Ce vin exquis sera réservé pour Jésus seul, 181. EGO DILECTO MEO, ET AD ME CONVERSIO EJUS ( VII, 11) ............................................... 181 L’âme fidèle est la désirée du Cœur divin, 181. divin, 181. ENI, DILECTE MI, EGREDIAMUR IN AGRUM , COMMOREMUR IN VILLIS ( VII, 12) ........... 182 V ENI Impérieux besoin de solitude ; lumière sur les perfections divines, 182. M ANE SURGAMUS AD VINEAS ; VIDEAMUS SI FLORUIT VINEA , SI FLORES FRUCTUS PAR TURIUNT, SI FLORUERUNT MALA PUNICA ; ; IBI DABO TIBI UBERA MEA ( VII, 13) .............. 183 Preuves de l’action divine ; aux fruits on connaît l’arbre. L’amour enfin atteint son terme et unit unit à jamais l’Époux à l’Épouse, 183. l’Épouse, 183. M ANDRAGORAE DEDERUNT ODOREM. IN PORTIS NOSTRIS OMNIA POMA : : NOVA ET VETERA , DILECTE MI, SERVAVI TIBI ( VII, 14) ................................................................ 184 L’âme multiplie multiplie pour son Bien-Aimé ses amoureuses délicatesses, 184.
Chapitre VIII Chapitre VIII .................................................................................................. 185 QUIS MIHI DET TE FRATREM MEUM, SUGENTEM UBERA MATRIS MEAE, UT INVENIAM TE FORIS ET DEOSCULER TE, ET JAM ME NEMO DESPICIAT ? ( VIII, 1) ............................. 185 Plaintes de l’âme aimante qui ne qui ne peut donner à son Dieu des marques extérieures de son amour, 185. PPREHENDAM TE ET DUCAM IN DOMUM MATRIS MEAE , IBI ME DOCEBIS ( VIII, 2) ........ 186 A PPREHENDAM L’âme intérieure, enfant de la sainte Vierge et sa propriété, aspire propriété, aspire à recevoir sous ses yeux les enseignements divins, 186. ET DABO TIBI POCULUM EX VINO CONDITO ET MUSTUM MALORUM GRANATORUM MEORUM ( VIII, 2) ...................................................... ........................................................................................................ .................................................. 187 CAPITE MEO, ET DEXTERA DE XTERA ILLIUS AMPLEXABITUR ME ( VIII, 3) ............. 187 L AEVA EJUS SUB CAPITE Mystérieux échange échange de témoignages d’affection, 187. d’affection, 187. DJURO VOS, FILIAE JERUSALEM, NE SUSCITETIS, NEQUE EVIGILARE FACIATIS DILE A DJURO CTAM, DONEC IPSA VELIT ( VIII, 4) ............................................................................... 188 La prise de possession d’une âme humaine par l’amour divin divin est une vraie mission divine, 188.
T ABLE DES MATIÈRES
279
QUAE EST ISTA QUAE ASCENDIT DE DESERTO , DELICIIS AFFLUENS, INNIXA SUPER DILECTUM SUUM ? ( VIII, 5) ............................................................................................. ........................................................... .................................. 189 Les âmes parvenues à l’union divine font l’admiration l’admiration des anges et des saints, 189. SUB ARBORE MALO SUSCITAVI TE ; IBI CORRUPTA EST MATER TUA , IBI VIOLATA EST GENITRIX TUA ( ( VIII, 5) .............................................................. ................................................................................................ .................................. 189 Au pied de la Croix, Marie a enveloppé d’une affection spéciale ceux qui devaient suivre Jésus de plus près, 189. PONE ME UT SIGNACULUM SUPER COR TUUM , UT SIGNACULUM SUPER BRACHIUM ......................................................................... .................................... 190 TUUM ( VIII, 6) ............................................................................................................. À la prière de l’âme fidèle, le fidèle, le Tout-Puissant semble se mettre à la disposition de la toute faiblesse, 190. QUIA FORTIS EST UT MORS DILECTIO ; DURA SICUT INFERNUS AEMULATIO ( VIII, 6) ...... 191 L AMPADES EJUS, LAMPADES IGNIS ATQUE FLAMMARUM ( VIII, 6).................................. 192 192 L’amour divin, feu dévorant, ne détruit pas ; il transforme, 192. QUAE MULTAE NON POTUERUNT EXTINGUERE CARITATEM, NEC FLUMINA OBRUENT A QUAE ............................................................................................................. ....................................................... 192 ILLAM ( VIII, 7) ...................................................... Les épreuves excitent et développent l’amour, 192. l’amour, 192. SI DEDERIT HOMO OMNEM SUBSTANTIAM DOMUS SUAE PRO DILECTIONE , QUASI NIHIL DESPICIET EAM ( VIII, 7) ............................................................................................... ............................................................. .................................. 193 Pour que le cœur se remplisse de la divine charité, il faut qu’il se vide de tout ce qui n’est pas Dieu, 193. Dieu, 193. SOROR NOSTRA PARVA ET UBERA NON HABET ; QUID FACIEMUS SORORI NOSTRAE IN DIE QUANDO ALLOQUENDA EST ? ( VIII, 8) .................................................................... 193 Sollicitude des anges et des saints du Ciel pour notre perfection, 193. SI MURUS EST, AEDIFICEMUS SUPER EUM PROPUGNACULA ARGENTEA ; ; SI OSTIUM EST, COMPINGAMUS ILLUD TABULIS CEDRINIS ( VIII, 9) ......................................................... ..................................................... .... 194 Tout ce qui embellit une âme tourne au profit des autres âmes, 194. EGO MURUS, ET UBERA MEA SICUT TURRIS , EX QUO FACTA SUM CORAM EO QUASI PA CEM REPERIENS ( VIII, 10) ............................................................................................ 194 194 L’amour triomphe, il règne, 194. règne, 194. INEA FUIT PACIFICO IN EA QUAE HABET POPULOS ; TRADIDIT EAM CUSTODIBUS ; VIR V INEA AFFERT PRO FRUCTU EJUS EJUS MILLE ARGENTEOS ( VIII, 11) ................................................ 195 Riche redevance que le Maître attend du gardien spirituel de la vigne mystique, 195. V INEA INEA MEA CORAM ME EST. MILLE TUI PACIFICI ET DUCENTI IIS QUI CUSTODIUNT ....... ....................................................................................... .......................... 196 FRUCTUS EJUS ( VIII, 12) .................................................................... La sainte Épouse rend toute la gloire de sa vigne à son Maître, et sollicite pour ses gardiens la plus riche récompense, 196. QUI HABITAS IN HORTIS , AMICI AUSCULTANT ; FAC ME AUDIRE VOCEM TUAM ( VIII, 13) .... 196 Dernier et doux appel de Jésus à l’âme intérieure qui a passé sa vie à cultiver le jardin de son âme, 196. FUGE, DILECTE MI, ET ASSIMILARE CAPREAE HINNULOQUE CERVORUM SUPER MON TES AROMATUM ( VIII, 14) ............................................................................................ .......................................................... .................................. 197 La sainte Épouse réalise enfin le désir de l’Époux : l’Époux : mourir, mourir, c’est vous voir, ô mon Dieu, 197.
280
V IRGO IRGO FIDELIS – LE PRIX DE LA V IE IE CACHÉE
Psaume XXII XXII .................................................................................................. 199 Connaissance toute nouvelle des divines Perfections en l’âme entièreentièrement livrée à Dieu. Rien ne lui manque. Le royaume de Dieu est tout à elle, 199. — Entrée de l’âme intérieure dans la Terre promise de l’union divine, 200. — Soif ardente de l’eau vive « « qui a le goût du bonheur éternel », 201. — Jésus est vraiment bon Pasteur, seul il a le droit de porter ce nom, 202. — Sécurité dans les épreuves de la nuit obscure. L’Apôtre de la vie cachée, rempli de Dieu, D ieu, brûle de communier spirituellement les âmes, 204. — Cène béatifiante. Onction de l’Esprit-Saint l’Esprit-Saint sur les hauteurs de l’âme introduite comme dans sa vraie sa vraie Patrie. Coupe débordante, 205. — Paix stable, permanente de l’âme entrée pour toutou jours dans la maison de son Père céleste qui est Dieu même, même, 207.
Conseils aux âmes d’oraison .................................................................... 209 PRINCIPES DE VIE INTÉRIEURE ............................................................................. .................................... ......................................... 209 ENONCEMENT. DON DE SOI ................................................................................ 222 R ENONCEMENT HUMILITÉ .............................................................................................................231 OBÉISSANCE........................................................ ......................................................................................................... ................................................. 236 POSTOLAT ......................................................... A POSTOLAT .......................................................................................................... ................................................. 237 ORAISON .................................................. ........................................................................................................... ............................................................ ... 245
Chemin de Croix .......................................................................................... Croix .......................................................................................... 265 Table des matières ...................................................................................... matières ...................................................................................... 269