La blockchain et les PME/PMI – Synthèse
Première partie - Table ronde sur la blockchain : qu'est-ce que c'est et pour quoi faire ? Intervenants : Daniel Augot (INRIA - DG Transfert) : La blockchain, qu'est-ce que c'est ? Alexis Collomb (CNAM) : La blockchain, pour quoi faire ? Manuel Ortiz (AYMING) : Les aides publiques et privées pour développer la blockchain Modération : Denis Deschamps (CCI Paris IdF / ARIST Paris IdF)
Daniel Augot a commencé par donner les caractéristiques d’une blockchain publique : héritée de Bitcoin, il s’agit d’un registre décentralisé, public et infalsifiable mis à jour au moyen de la cryptographie par le minage. C’est un protocole permettant de supprimer les tiers de confiance : les individus font confiance à l’algorithme, au code, et non aux autres pairs du réseau. Par extension, la blockchain d’Ethereum permet également de programmer des scripts (smartcontracts) en utilisant sa cryptomonnaie propre (l’Ether) ou même un token numérique différent. Alexis Collomb a présenté les différents champs d’application de la blockchain dans les entreprises. En ce qui concerne Bitcoin, il s’agit essentiellement d’applications de paiement, notamment la remittance (transferts de fonds internationaux); quant à la blockchain au sens large, son usage s’étend à la traçabilité des transactions et au traitement de l’information. Elle est donc un outil de contrôle et d’audit permettant la certification et l’authentification de transactions. Elle offre également de nombreuses possibilités dans le domaine de l’IoT (Internet des objets). A titre d'exemple il cite Everledger, startup proposant la certification de diamants via la blockchain. Si cette dernière est bien une technologie fascinante, elle ne pourra pas remplacer l'expertise préalable nécessaire à la certification (identification de l'objet).
Manuel Ortiz a fortement conseillé aux entrepreneurs de réfléchir à cette technologie en amont plutôt que de se retrouver devant le fait accompli. La blockchain va impacter différents univers et nous n’en sommes qu’aux prémices. La blockchain peut s’immiscer dans toutes les strates du commerce et va participer à “l’uberisation” croissante de notre société; il a même évoqué la possibilité d’une disruption future des professions réglementées. D. Augot a brièvement présenté les caractéristiques économiques de la blockchain en parlant du prix de la confiance, sur une échelle allant du tiers de confiance centralisé à son extrême opposé, le réseau Bitcoin. Entre les deux se trouvent les "blockchains privées" ou plutôt "registres distribués" tels Corda, développé par R3CEV. Il juge le système Bitcoin "trop" fiable : la sécurité a un prix et l'activité de minage est très coûteuse en électricité. Les débats internes au réseau (quant à la taille des blocs par exemple) posent des divisions. Alexis Collomb a noté que la motivation première à utiliser la blockchain de Bitcoin réside dans la rémunération du minage. Pour les PME, il s'agit de la désintermédiation et de la baisse des coûts de certification. Mais cela se fera-t-il via la blockchain de Bitcoin ? Celle d'Ethereum ? Ou un tout autre système ? Manuel Ortiz a noté que les systèmes business to business et customer to customer présentent une modification en profondeur de l'organisation des entreprises pour vendre des produits ou des services. La blockchain étant désormais centrale dans ces systèmes, il faut donc trouver le moyen de créer de nouvelles offres de services. Il a cité en exemple les secteurs de la santé ou de l'énergie. Parallèlement à une réduction des marges, pourquoi ne pas imaginer dans le futur plusieurs blockchains différentes correspondant à des secteurs d'activité particuliers ? Daniel Augot est revenu sur la solidité des algorithmes : Bitcoin est extrêmement robuste et résilient grâce à la décentralisation du réseau. Par contre, dans le cas d'un permissioned ledger (registre distribué) où une dizaine de noeuds bancaires seulement stockeraient les clefs privées, le système est beaucoup plus vulnérable à la corruption. Il a rappelé que la cryptographie à clef publique est paradoxale : il est ainsi possible d'effectuer une opération de chiffrement à la place d'un autre sans pour autant être capable de la déchiffrer. La blockchain a également des applications dans le domaine des protocoles cryptographiques à deux joueurs, par exemple lors d'une IPO entre deux compagnies souhaitant préserver la non-diffusion des sources.
Malgré la “blockchain hype” dérivant vers des modèles de registres distribués, la blockchain de Bitcoin offre encore de nombreuses possibilités et Alexis Collomb a insisté sur la distinction obligatoire entre les deux systèmes. Il évoque la fin des plateformes centrales en citant OpenBazaar. La nouveauté réside dans la combinaison entre économie pair-à-pair, cryptographie et monnaie numérique. La décentralisation peut par exemple à l'échelle des PME permettre à différentes entreprises de dialoguer entre elles via la blockchain ; l'information étant cryptée, elle reste la seule possession des tiers concernés. L'économie proposée par la blockchain et la décentralisation est de payer le juste prix de ce dont on a besoin. L'IoT (Internet des objets) permettra de calculer précisément ces coûts, et il cite en exemple la serrure de slock.it. Les transactions sont émises par les usagers via des smart-contracts et diffusées sur la blockchain. Il y a donc énormément de potentiel dans le domaine des objets connectés, avec par exemple des modèles machine to machine où des programmes interagissent entre eux via la blockchain et se rémunèrent via les cryptodevises. D'autres applications sont évoquées comme la gestion des cadastres (ex : l'expérience Factom au Honduras). Les titres de propriété peuvent donc ainsi être inscrits dans la blockchain mais ici encore cela nécessite une certification préalable par des experts.
Quant à l'anonymat, Alexis Collomb a rappelé que la blockchain de Bitcoin supprime la question de l'identité via la cryptographie à clef publique : en effet, une adresse Bitcoin est un hash d'une clef publique. Manuel Ortiz, quant à lui, a relevé la confusion entre cryptographie et anonymat (l'une n'implique pas l'autre !) Parmi les questions, on a notamment demandé si la proof of work (preuve de travail) est le seul moyen d'inscrire un bloc sur la blockchain; d'autres méthodes ont été alors évoquées comme la proof-of-stake et la proof of storage. La blockchain, malgré ses origines libertariennes, peut-elle devenir un outil de contrôle ? Les intervenants ont évoqué le Droit à l'oubli qui pourra éventuellement servir de rempart.
D'autres applications de la blockchain de Bitcoin ont été citées comme l'inclusion financière des 2 milliards d'individus non-bancarisés ou encore les problèmes économiques existant dans les pays à l'inflation élevée. En conclusion, Daniel Augot a incité le public à apprendre les bases. La blockchain est une révolution comparable à l'arrivée du TCP/IP, nous a dit Alexis Collomb; nous sommes à l'aube de changements importants et une entreprise ne peut pas faire l'économie de ne pas s'y intéresser, ni de l'expérimenter afin d'en déterminer les cas d'usage. Manuel Ortiz a insisté sur la nécessité de mettre en oeuvre des prototypes en France (et en Europe).
Deuxième partie : Témoignages d'entreprises Intervenants : François Fort (Guacamol) François Dorléans (Stratumn) William El Kaim (La Fabrique des Mobilités) Florent Schlaeppi (Novertur) Modération : Justine Hannequin
François Fort pour GUACAMOL
La startup, créée en 2015, est axée sur la création et l'immatriculation d'entreprises online. Elle propose un pack d'accompagnement des jeunes sociétés, grâce au travail d'experts en amont puis par l'exécution des processus administratifs. La blockchain a des applications notables. Par exemple, dans le cas du pacte d'associés, des documents qui étaient auparavant falsifiables peuvent désormais devenir confidentiels et incorruptibles grâce à la blockchain. F. Fort a ajouté qu'il suit l'initiative The DAO (l'organisation autonome décentralisée qui a réalisé le plus gros crowfunding de l'histoire) avec intérêt.
François Dorléans pour STRATUMN (intégration de processes via la blockchain)
F. Dorléans a rappellé qu'il y a eu très peu de changements dans la gestion des données depuis plus d'un siècle : les données sont stockées dans une base centralisée et sont accessibles via une clef. Désormais, les données sont répliquées et décentralisées et seul l'utilisateur final y a accès grâce à sa clef privée.
Il a cependant évoqué des soucis de scalabilité et a trouvé comme solution la création d'une couche transactionnelle supplémentaire, permettant via un arbre de Merkel une "préinjection" à la blockchain. F. Dorléans fait également allusion à Chainscript qui permet à un particulier de déposer ses documents; un hash des données est alors créé dans le chainscript puis il y a émission d'un certificat. Pour le KYC, très important dans le domaine des smart-contracts, il s'agit de mettre en place un certificat d'identité cryptographique. Il assure que l'entreprise regarde toutes les blockchains existantes mais que c'est évidemment Bitcoin qui a la plus grosse inertie.
Willian El Kaim pour LA FABRIQUE DES MOBILITES
Il s'agit d'une organisation décentralisée incluant particuliers, institutions publiques et entreprises privées autour de la mobilité dans le domaine de la direction des ressources humaines, de la création et de la gestion de la gouvernance, visant à créer des moyens de communication stables et durables. Bitcoin et Ethereum sont les deux blockchains les plus utiles pour sortir d'un écosystème fermé et centralisé. Le but est donc de créer des entreprises décentralisées où des participants ne se connaissant pas et ne se faisant pas confiance à priori peuvent interagir, l'intégration numérique permettant de rechercher rapidement une authentification. Il s'agit donc de résoudre le problème de la confiance tout en supprimant le tiers. W. El Kaim a bien fait la distinction entre blockchain publique (type Bitcoin) et privée (orientée business, trusts, consortiums), et a parlé d'optimiser les processus administratifs, notamment dans le cadre des ressources humaines (exemple : supprimer le CV via une authentification irréfutable de l'expérience grâce à la blockchain). Cependant codifier les règles d'une DAO n'est pas chose facile : par exemple, La Zooz ne peut pas gagner d'argent avec son business model. Il a rappelé qu'une blockchain est à la base opensource et qu'il est donc difficile de trouver une rémunération vu la disparition des intermédiaires. Il est également indispensable d'avoir une crypto-monnaie propre à la DAO.
Florent Schlaeppi pour NOVERTUR
NOVERTUR est une startup créée en 2012 aidant les PME à s'internationaliser. Les facteurs d'exportations étant en effet l'identification des partenaires et la confiance mutuelle, F. Schlaeppi a présenté Novertur comme une plateforme web s'inspirant notamment des sites de dating et des réseaux sociaux pour mettre les entreprises en relation. L'intérêt de la blockchain réside dans la possibilité de créer des systèmes de recommandation basés sur la compatibilité en affaires et d'améliorer les systèmes de validation et de feedback des entreprises. F. Schlaeppi a cité le cas d'une PME familiale active dans le secteur des machines-outils, qui a fini par trouver une vingtaine de partenaires internationaux mais dont les relations sont en plein statu quo, et qui n'arrive pas à trouver d'autres collaborateurs. La blockchain, supprimant les intermédiaires, permet alors d'établir des partenariats plus fluides et mieux optimisés. Parmi les questions :
quid de la durée que prendront les outils blockchain pour être mis en application ? Le secteur étant à ses balbutiements, cela prendra du temps et les investisseurs devront être patients.
quid d'une fausse donnée inscrite dans la blockchain ? F. Dorléans a parlé de forking, via un layer "traçabilité" supplétif à la blockchain.
quid de l'aspect législatif flou des DAOs ? Le concept de DAO peut avoir une approche organisationnelle; mais sans responsable son aspect juridique est délicat, la loi de 1901 relative aux associations fut mentionnée.
Troisième partie - Table ronde sur la blockchain : implications économiques et juridiques
Intervenants :
Philipe Dewost (CDC)
Raphaël Levy – (INPI)
Thibault Verbiest et Georgie Courtois (Cabinet De Gaulle Fleurance et Associés)
Modération : François Chevillard (FCDevelopment)
Cas d'usages concrets et focus sur l'industrie : Selon P. Dewost, la blockchain résiste à toute réduction intellectuelle et pour l'instant aucun cas d'usage industriel n'est connu. Il s'agit avant tout d'expérimentations car il est difficile de chiffrer et de calibrer un projet blockchain. Il a rappelé que depuis toujours, le commerce fonctionne en "postpayé" : une entreprise livre un produit et est donc payée. Les systèmes de facturation et de régulation sont tous bâtis sur ce modèle. Dans un système décentralisé, c'est l'inverse : la transaction est une certitude car elle est irrémédiable et l'incertitude réside dans la livraison du produit. Quant à la blockchain, il préfère parler d'infrastructure plutôt que de technologie : une infrastructure qui est là de fait et sans permission, pour la première fois. Elle est donc d'abord un outil de partage. Bitcoin, outil libertarien, part du principe que l'être humain est faillible (intentionnellement ou non) et qu'il vaut mieux faire confiance au code : c'est un système "anti CAPTCHA" (il s'agit de l'outil permettant de s'assurer qu'un formulaire Internet a bien été rempli par un être humain).
Pour l'instant les écosystèmes peinent à apparaître mais de brillants individus émergent : il a cité en exemple Louison Dumont de Bitproof. Les institutions sont également en train de comprendre que la blockchain permet d'authentifier et d'auditer : elles ont ainsi tout intérêt à monter en compétence sur les cas d'usages.
Protection des données et du savoir-faire, brevets : Raphaël Levy a rappelé les conditions de brevetabilité en France, notamment qu'une innovation ne doit pas avoir été divulguée précédemment pour qu'elle soit brevetable, ainsi que le critère d'activité inventive. Une méthode mathématique n'est pas considérée comme une innovation, mais dans différentes juridictions les plus grand acteurs ont déjà déposé des brevets, notamment aux Etats-Unis où la législation du brevetage est différente. Quant à la protection du droit d'auteur, il a bien précisé que ce n'est pas parce qu'un code source est libre que l'on a le droit de faire n'importe quoi avec. Le monde ouvert de la blockchain peut donc être un frein à une protection des applications par brevet. Certains brevets peuvent être techniques, par exemple si une entreprise apporte des solutions aux contraintes énergétiques du minage.
Smart-contracts : Georgie Courtois a rappelé le principe du consensualisme; un smart-contract est donc un ensemble d'obligations conditionnelles. Il a pris en exemple la répartition des apports énergétiques entre voisins, qui pourrait être schématisée ainsi : événement (trop d'énergie) →smart-contract →transfert du surplus d'énergie Un smart-contract n'est donc pas un contrat à proprement parler mais plutôt un script d'exécution qui automatise les obligations et supprime les litiges et les conflits. Autres exemples : droit de préemption, DAO avec un registre d'actionnaires interdisant de vendre ses parts à une autre DAO...
Qui est le juge d'un smart-contract ? Thibault Verbiest a déclaré que l'automatisation a ses limites et qu'il faudra donc prévoir les cas problématiques du smart-contract considéré et passer par un avocat. Le Droit ayant horreur du vide, il s'agit donc de déterminer quel type de Droit s'applique à la blockchain, tout comme lors de l'avènement d'Internet où de nouvelles problématiques avaient surgi. Par exemple, dans le cas du vol de bitcoins, il s'agit du Droit de la victime. La seule limite à la création d'applications blockchain est donc la licéité des produits en question.
Pour la question de la confiance, il faut “évangéliser” la blockchain et expliquer pourquoi et comment on peut lui faire confiance. Ceci est un processus évolutif et la confiance sera établie lorsque les applications seront là.
Problèmes dûs à l'immutabilité de la blockchain P. Dewost a signalé que l'on projette actuellement une série de fantasmes sur la blockchain et que l'opposabilité ou la qualité de ce qui y est inscrit est géré à l'extérieur : ainsi, la blockchain est un outil d'enregistrement et non de gestion. Thibault Verbiest a souligné que la confiance est souvent liée à la transparence de la gouvernance : une gouvernance mal comprise engendre généralement la défiance. La question de la gouvernance passera donc par une régulation de Bitcoin via ses mineurs et ses développeurs. Les autorités de régulation françaises telles que l'AMF, la Fédération Bancaire ou la Fédération des Assurances se penchent sur le sujet mais n'y comprennent pas grand-chose pour l'instant. Il a cité l'Estonie comme pays mature sur ces questions de gouvernance numérique.
La légalité des DAOs : Une DAO (Organisation Autonome Décentralisée) n'est pas en soi illégale; mais en cas d'opérations illicites il faudra bien trouver un responsable. Par exemple, en Droit français, il existe le contrat d'association : en cas d'illégalité, tous les membres sont responsables. Ce qui est problématique dans le cas d'une DAO c'est que les membres peuvent être anonymes. DAO Link fut cité comme système de procuration entre un fournisseur de services via une DAO et un client. Un autre exemple présenté fut celui d'une assurance chômage complémentaire : des personnes créent une DAO via la blockchain de Bitcoin; un smart-contract indemnise un membre de la DAO en cas de perte de son travail, une fois certifiée sur la blockchain. La question du statut juridique d'une DAO est donc posée.
A la question “quid de certains brevets qui sont probablement déjà violés par certaines DAOs ?”, R. Levy a déclaré qu'il n'ya pas assez de recul pour l'instant pour statuer. Quant à la question “les minibonds sont-ils une bonne nouvelle pour l'écosystème Bitcoin/blockchain ?”, il a été répondu que c'est l'occasion de se poser les bonnes questions en terme de régulation. Le décret devra spécifier quelle blockchain sera utilisée, une utilisation qui sera la conséquence de certains critères. La nécessité de la création d'une blockchain d'Etat fut également évoquée.
Trouver un accord commun : Dans un monde qui va vite, l'immaturité est le cauchemar des institutions. Le débat actuel est très bien évoqué par l'opposition "Code is law" vs "Law is code" (Le code informatique fait-il loi ou la Loi fait-elle le code ?). L'ambitieux projet Common Accord , voué à codifier les structures du Droit Civil de manière informatique, fut évoqué. Il est impossible d'empêcher le développement des blockchains; ainsi il parait judicieux de donner des avantages légaux aux blockchains qui respecteraient des normes à définir. Les blockchains pourraient donc à terme être normalisées. Mais avant tout, c'est bien la question de la gouvernance qu'il faut régler !
Le séminaire en vidéo : Introduction – Première table ronde – Deuxième table ronde – Troisième table ronde
Organisation et participants au séminaire :
Synthèse :