KARL WITTFOCEL
despotisme oriental
'ARGUMENTS"
'VB I B L I O T H E Q U E S DE LA VILLE DE P A R I S
L E DESPOTISME ORIENTAL
©
1964-1977 by LES ÉDITIONS DE MINUIT
7, rue Bernaid-Palissy — 75006 Paris Tous droits réservés pour tous pays ISBN 2-7073-0197-3
KARL
LE
A. WITTFOGEL
DESPOTISME ORIENTAL
Étude comparative du pouvoir total Traduit de l'anglais par Micheline Pouteau
ARGUMENTS
LES ÉDITIONS D E MINUIT
N é en 1896, Karl WITTFOGEL fit ses é t u d e s en Allemagne. Son itinéraire intellectuel fut m o u v e m e n t é . Il écrit, au lendemain de la p r e m i è r e guerre mondiale, plusieurs p i è c e s de théâtre d'inspiration communiste et à partir de 1922 publie de nombreux travaux de sociologie générale et d'histoire et de sociologie chinoise, d'inspiration marxiste. II fut notamment un des pionniers de l'histoire é c o n o m i q u e du monde chinois. T h é o r i cien des p r o b l è m e s d'Extrême-Orient pour le compte de la 3" Internationale, il voit ses thèses c o n d a m n é e s en 1931. A p r è s l'avènement du r é g i m e nazi qui l'interne en 1933 dans plusieurs camps de concentration, il fait un long voyage d'études en Chine (1935/1937). Il est depuis lors installé aux Etats-Unis, directeur du Chinese History Project depuis 1939 et professeur d'histoire chinoise à l'Université de Washington (Seattle) depuis 1947^ Oriental Despotism, A Comparative Study of Total Power, est paru en 1957 aux Yale University Press. La p r é s e n t e traduction est établie d'après la dernière é d i t i o n (1959).
N O U V E L L E PRÉFACE à un livre qui s'est révélé très « inquiétant » Vingt années se sont écoulées depuis la publication de mon étude comparative du pouvoir total, Le despotisme oriental. J'avais choisi un certain nombre de prémisses, dont j'invitais mes lecteurs à vérifier la validité. J'affirmais que dans la partie du monde que l'on peut appeler ouverte se préparait une crise grave ; que, pour comprendre le monde dans son ensemble, il fallait comprendre la partie orientale de ce monde ; que cette compréhension, deux hommes l'avaient infléchie de façon décisive, bien qu'insuffisamment remarquée : Marx et Lénine. Depuis lors, on a ressenti de plus en plus vivement le besoin de comprendre Marx et Lénine. Le marxisme est devenu la lingua franca des intellectuels inquiets de nombreux pays. Et la crise, qui est politique, sociale et même ethnique, qui n'est pas seulement une crise idéologique (y compris au sein du marxisme), mais une crise d'ordre moral, est aujourd'hui plus effrayante qu'elle n'était en 1957 ; beaucoup plus effrayante. Les lecteurs du Despotisme oriental perçoivent-ils ce que j'essaie d'exprimer? Dans bien des pays, même sous régime communiste, on me connaît comme l'auteur d'une théorie de la « société hydraulique ». Jusque-là, on est d'accord. Mais, dans le monde communiste, et dans les sphères où règne la même idéologie, mon analyse socio-historique et socio-politique est tenue pour hérétique. Elle est condamnée, jugée irrecevable d'un point de vue marxiste. Le sinologue hongrois Ferenc Tôkei, venu du monde communiste en 1962 pour donner le ton à la première conférence du « Grand débat » organisé à Paris sur le concept de mode de production asiatique, me prit pour cible principale de ses attaques. Je me serais emparé, selon lui, tel un Prométhée pervers, du « pré-
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deux » concept asiatique marxien. Dans des termes qu 'il allait bientôt renier, mais qui ne furent pas oubliés, il proclama qu'il fallait « reprendre » ce concept. Un important participant français à ce débat, le sinologue Jean Chesnaux, cita deux fois en 1964 cette idée de Tôkei de « reprendre » le concept ; l'idée, manifestement, avait fait sur lui une forte impression . En 1966, Jean Chesnauxfitde nouveau une analyse critique, ambivalente, de mon livre, qu'il appela « l'inquiétant ouvrage de Wittfogel sur le despotisme oriental » . Voyons cela. 1
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A. L'origine « asiatique » d'un grand secret idéologique. On comprend sans peine pourquoi Staline exclut de l'héritage marxiste le concept de mode de production asiatique, et pourquoi, après sa mort, les théoriciens communistes firent le silence sur l'idée marxienne des conditions « semi »-asiatiques de la Russie et sur la crainte manifestée par Lénine d'une « restauration asiatique » en Russie. L'élément le plus inquiétant de cet ensemble est, bien sûr, l'idée d'une restauration asiatique. Derrière l'attaque menée contre mon étude de la société asiatique hydraulique et du despotisme oriental, ce qui se dissimule, c'est une attaque contre mes révélations concernant l'idée d'une restauration asiatique. Dans Le despotisme oriental, j'ai démontré, avec méthode et documents à l'appui, que Lénine a conçu la notion d'une telle restauration dès l'époque de la discussion avec Plékhanov en 1906, et qu'il en a vu la confirmation dans les faits après 1917. Il l'a reconnu, avec répugnance, certes, mais aussi avec des arguments qui sont pour nous riches d'enseignement. Ses successeurs « épurèrent » l'œuvre qu'il léguait, dans l'intérêt du nouveau régime dont ils étaient les bénéficiaires. Et, surtout, ils dissimulèrent le terme qu'il avait employé, de « restauration asiatique », et les « garanties » qu'en conséquence il jugeait nécessaires à la marche de la révolution russe vers le socialisme, à la prévention de toute dégénérescence. Pour Lénine, le socialisme, c'était l'ordre décrit par Marx en 1871, à l'image de la Commune de Paris, et que lui-même présentait en 1916-17, dans État et révolution, comme l'étape nécessaire sur la voie vers le communisme. La dégénérescence de la révolution bolchevique — inévitable pour Plékhanov, et redoutée par Lénine — impliquait la restauration du « vieil » ordre tsariste, que l'un comme l'autre
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appelaient tantôt « semi »-asiatique, tantôt « asiatique ». D'un point de vue socio-historique, la différence entre un système « semi ^-asiatique et un système asiatique tout court est très importante. Marx établit sa thèse du despotisme oriental d'abord à propos de l'Inde. Pour lui, il apparut dans des sociétés totalement orientales, agricoles, comportant des ouvrages d'adduction d'eau fonctionnant sous la direction de l'Etat ; des sociétés constituées d'une multiplicité de villages liés entre eux par une économie agro-hydraulique. Naturellement, il n'y avait pas trace d'une telle économie agro-hydraulique dans la société russe. Mais l'existence de communautés villageoises dispersées constituait une base suffisante pour un despotisme oriental importé. J'ai pu observer des variantes de sociétés semi-asiatiques en Asie centrale, en particulier dans certaines sociétés qui subirent la conquête chinoise et se développèrent sous cette influence ; il s'agit là de sociétés dans lesquelles l'organisation agro-hydraulique n'a joué qu'un rôle secondaire. ou même aucun rô/e^. Le despotisme oriental traite de ces différents systèmes, ainsi que de la théorie marxienne de sociétés asiatiques et de la société russe, « semi-asiatique ». J'y renvoie le lecteur. Mais je reviendrai ici sur un point essentiel pour l'étude du problème de la « restauration asiatique ». Les peuples qui appartenaient à l'une ou l'autre des deux branches principales de la société orientale — asiatique ou « semi-asiatique » — étaient des peuples asservis. Selon Marx, ils étaient les esclaves d'un despotisme au sens propre du terme : le despotisme oriental. Selon Marx, un tel régime étouffait toute « énergie historique », toute volonté de s'engager dans une lutte politique consciente. Pour des raisons que j'examinerai plus loin, Marx a évité, lorsqu'il parlait du despotisme oriental, d'utiliser le terme explosif de « lutte des classes ». Mais il fait apparaître à l'évidence que dans un tel régime, il n'existait aucune lutte des classes au sens où l'entend le Manifeste communiste, aucune lutte politique en vue d'une transformation sociale progressiste, aucune révolution sociale. « La seule révolution sociale qu'ait jamais connue l'Asie », déclarat-il, fut le résultat de l'action de conquérants non asiatiques, les Anglais, qui, en dépit de leur politique coloniale « ignoble », et en instruments aveugles de l'histoire qu'ils étaient, provoquèrent en Inde l'avènement de relations humaines politiquement et socialement plus décentes . 4
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Telle était la conception du despotisme oriental que Marx présenta en 1853 dans le New York Daily Tribune, à l'occasion de ses « observations » sur la société indienne. C'est cette même conception dont il révèle la substance socio-historique dans le premier tome du Capital en 1867 , et dont la version originale devint accessible en 1925 . De cette conception, il tira son interprétation de la Russie tsariste, société « semi-asiatique » vivant sous un véritable despotisme de type asiatique. C'est là également qu'il faut rechercher la crainte de Lénine qu'une révolution russe, apparemment victorieuse, ne soit appelée à dégénérer si certaines garanties espérées se révélaient inefficaces ou illusoires. Et les premières années qui suivirent la révolution d'Octobre montrèrent en effet que ces garanties étaient inefficaces. A partir de 1919, Lénine dut reconnaître ce fait — dont la responsabilité, du reste, lui revenait. Voilà donc le terrible secret de la révolution que Lénine a voulue et accomplie. Pour nombre d'intellectuels et d'ouvriers dans bien des pays, cette révolution était un appel à la lutte pour la propagation du « socialisme » né en Russie ; un appel à lutter pour ce socialisme et, s'il le fallait, à mourir pour lui. Qu'advient-il lorsque cette révolution perd son drapeau, son pouvoir galvanisateur ? Qu'advient-il s'il s'avère que, selon les propres paroles de Lénine, cette révolution mène, non pas au socialisme, mais à une forme nouvelle du despotisme oriental ? Qui, si ce n 'est ceux qui en sont les privilégiés, accepterait de mourir pour la restauration asiatique ? Lénine, logique dans sa politique du pouvoir,fitallusion à ce terrible secret en termes voilés. Staline et ses successeurs étaient, de leur propre point de vue, parfaitement logiques, et plus encore que Lénine, lorsque d'abord ils dissimulèrent les théories de Marx sur l'Asie, et lorsque, après la publication du Despotisme oriental, ils s'évertuèrent à en nier l'application à la Russie. Du point de vue des bénéficiaires de la restauration asiatique, il est parfaitement compréhensible qu'ils redoutent ces idées « inquiétantes » et qu'ils s'efforcent de les supprimer. Mais comment comprendre que dans le monde qui est intellectuellement et moralement ouvert les dirigeants idéologiques et politiques négligent ces idées, lesquelles, dans la crise mondiale actuelle, prennent une signification de plus en plus précise, et de plus en plus inquiétante ? 5
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B. L'autre face du secret. S'il est vrai que le monde « socialiste » évolue selon des lois « asiatiques », la « démocratie » américaine — pour employer la terminologie de Tocqueville — et les sociétés analogues d'Europe, du Japon et de l'hémisphère sud se trouvent face à des forces d'une nature et d'un fonctionnement différent. Les dirigeants du monde démocratique ont pendant longtemps, trop longtemps, jaugé la Russie à l'aide de leurs propres étalons institutionnels. Ils ont cru qu'en tant que puissance mondiale l'Union soviétique restait loin derrière les pays occidentaux parce que son industrie était primitive et son niveau de vie peu élevé. Nous avons entendu ce raisonnement au temps de la République de Weimar, et de nouveau à la fin de la seconde guerre mondiale. Il est fallacieux. Il vaut pour des pays où compte la pression de l'opinion publique. Mais il ne peut pas s'appliquer « complètement » à des sociétés asiatiques. Et il ne s'applique pas davantage à ces conditions « semi-asiatiques » sur lesquelles Gengis Khan fonda ses irrésistibles conquêtes . En mai 1950, j'ai avancé la thèse suivante devant la Seconde conférence nationale sur l'étude des zones du monde : « Le potentiel économique de Gengis Khan était primitif et médiocre ; les Mongols n 'ont probablement jamais produit autant de calories que la grande société agricole chinoise. Mais seul un stratège de la race des autruches peut se rassurer en mettant en lumière des aspects (^'économie de subsistance, alors que, ce qui est en jeu, ce sont, en totalité, les forces de deux économies de pouvoir opposées . 9
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La relation entre économie de subsistance et économie de pouvoir dans un État totalitaire est fondamentalement différente de ce qu'elle est dans un pays démocratique. Lorsque l'Union soviétique, épuisée économiquement, établit militairement son hégémonie sur l'Europe orientale, à la fin de la seconde guerre mondiale, elle en administra la preuve. Aucun mouvement d'opinion en faveur d'une démobilisation immédiate ne se manifesta pour empêcher Staline de mettre à profit le vide du pouvoir qui s'était créé sur sa frontière occidentale (et qu'il n'avait pas escompté) , ni de mener à bien sa politique expansionniste. C'est une version non militaire du même principe qui dicta l'attitude russe à l'égard de la République de Weimar. 10
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L'économie soviétique de subsistance était à cette époque à un niveau très bas, mais l'économie de pouvoir était déjà suffisamment puissante pour permettre à l'U.R.S.S. de consacrer des fonds très importants au mouvement communiste allemand, et cela au moment même de la première (1921-22) et de la seconde famine soviétique ( 1931-32). Staline voyait dans le nationalisme anti-versaillais de l'Allemagne « une mine creusée sous l'Europe Il n'était pas le seul à avoir cette idée ; d'autres stratèges à l'échelle européenne la partageait. Mais il avait, lui, le moyen de la traduire en acte, parce que l'arme politique et idéologique au service du projet soviétique — la section allemande de l'Internationale communiste, qu'il dirigeait — était suffisamment forte pour paralyser en Allemagne la lutte contre le fascisme. La politique de Staline permit l'avènement d'Hitler. Il faut nous souvenir de ce fait, que les pro-soviétiques tentent de dissimuler. Nous disposons heureusement du témoignage de Joseph Guttman, qui pendant les années critiques, occupa un très haut poste au siège du Comintern à Moscou. La presse communiste a déformé, sans pouvoir la supprimer, cette déclaration de Guttman selon laquelle le comportement, déterminant, du parti communiste allemand s'expliquait par le comportement, non moins déterminant, du Comintern, sous la direction de Staline. Il ne faut pas oublier que Staline fut en mesure de poursuivre la politique qu'il s'était fixée à l'égard d'Hitler uniquement parce qu'il possédait un pouvoir total, de type oriental et non pas occidental ; et parce que, à la différence de l'ancien régime russe (asiatique) et des gouvernements fascistes modernes, il disposait d'une arme politique qui assurait à l'Union soviétique un pouvoir d'attraction et une cinquième colonne absolument uniques. Le système soviétique n'est pas un totalitarisme nationaliste, comme le fut le fascisme italien, dont le pouvoir d'attraction était faible, sur le plan international. Ce n'est pas non plus un totalitarisme fondé sur la race, comme le fut le nazisme ; le fascisme hitlérien exerça une attraction supérieure à celle du fascisme mussolinien, mais également dans des limites bien définies. Le système soviétique est un totalitarisme d'ordre social, dont la fascination s'exerce dans le monde entier, aussi longtemps que sa nature socialiste reste crédible. Machiavel professait cette thèse que, dans le système
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féodal, il était facile de trouver des mécontents prêts à conspirer avec des puissances étrangères contre leur propre souverain. Mais, selon lui, il n'en allait pas de même pour les citadelles du despotisme asiatique, par exemple la Turquie. II était facile de s'introduire dans un pays où le tissu politique était lâche, en France par exemple, « en gagnant quelques barons du royaume, car il existe toujours des mécontents et des gens qui désirent des changements. Pour les raisons que j'ai dites, ceux-ci peuvent vous ouvrir la voie et faciliter la victoire ». Mais les choses étaient différentes en Turquie. On avait affaire là à un esclavage politique ; et Machiavel y voyait, comme Aristote avant lui et Marx après, la substance même du despotisme asiatique. En Turquie. « tous étant esclaves et dépendants, il sera plus dijficile de les corrompre, et. même s'ils étaient corrompus, il y aurait peu à en espérer, car ils seraient incapables d'entraîner le peuple avec eux » . Telles n'étaient pas les conditions de la Russie lorsque, après la révolution d'Octobre, l'Union soviétique consolida son pouvoir. Selon l'expression ambiguë de Lénine, le nouvel ordre soviétique était en train de restaurer la voie d'évolution du régime t saris te (asiatique). Des agents de l'ancien régime tentèrent bien sûr de trouver à l'étranger des partisans, des alliés. Mais, mises à part certaines minorités nationalistes, slaves surtout, qui constituaient à leur façon des groupes d'idéalistes, les agents tsaristes ne rencontrèrent guère d'audience sur le plan international. Leur influence s'étendit exactement aussi loin que pouvaient atteindre leurs moyens financiers. En revanche, l'Union soviétique et ses ramifications extra-diplomatiques à l'étranger (l'Internationale communiste et ses auxiliaires) exercèrent une énorme force d'attraction. Moscou consacrait de considérables sommes d'argent à la création et au fonctionnement des organisations communistes, mais les masses qui soutenaient ce mouvement ne lui coûtaient rien. Les membres du mouvement communiste international n'étaient pas les sujets d'un système asiatique restauré ; ils constituaient, au sein de l'ordre social, une cinquième colonne d'un type nouveau. Lorsqu'il conçut l'idée d'une restauration, Lénine ne prévit sans doute pas ces modifications, ni certaines autres. A l'évidence, il ne vit pas les possibilités d'ordre institutionnel 12
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qu'offrait ce phénomène. Le passage d'un ordre semi-directorial (où le despotisme s'exerce seulement au sommet du système économique) à un ordre directorial (où les autorités dirigent toutes les branches de la production et de la distribution, à commencer par l'industrie, et en général aussi l'agriculture) aboutit à un système qui, en droit et en pratique, va beaucoup plus loin que l'ancien système dans la voie de l'économie de pouvoir et de la surveillance de la population. Il peut arriver que la population soit alors traitée avec une dureté que, pour paraphraser Engels, à propos de l'arbitraire du despotisme oriental, « nous autres, Occidentaux, nous ne pouvons même pas imaginer » . Engels ne vit de ce problème que son aspect socio-historique. Au moment où il développait sa thèse de la restauration, Lénine s'adressait à l'avenir, et il ne vit, lui, que l'aspect social. Tous deux raisonnaient essentiellement en termes de classes — classes « progressiste », régressive et intermédiaire. Et, tandis que le totalitarisme social imposait même aux classes jugées progressistes une totale soumission (et, en cas d'insubordination, un châtiment total), les maîtres du nouveau système ne craignaient pas de formuler leur nouvelle politique en des termes essentiellement sociaux. Mais les événements atroces de ces dernières décennies montrent que, de même que les classes opprimées d'hier peuvent subir aujourd'hui de nouvelles formes d'oppression, plus brutales encore, de même les peuples et les ethnies opprimés hier peuvent l'être encore aujourd'hui, et plus durement — soit indirectement, par l'appui accordé, à l'étranger, à leurs exterminateurs, soit directement, par le génocide sur le sol national. On peut trouver ainsi associées l'oppression sociale et l'oppression ethnique totales : le Goulag et Auschwitz. ii
Il ne faut pas oublier le Goulag ni Auschwitz. Et il ne faut pas oublier que, grâce à une économie de pouvoir et une logique militaire supérieures, le système directorial total est capable d'étendre son hégémonie à l'ensemble du globe. Il ne faut pas oublier que la fusion des formes anciennes et nouvelles d'un pouvoir «fonctionnel » (asiatique) dominant confère à ce système, selon Marx, une longévité unique, presque une Unverânderlichkeit, une quasi-immuabilité.
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C. Marx : des découvertes scientifiques exceptionnelles et d'exceptionnels « péchés contre la science ». Revenons à notre point de départ : Marx. Quelle créance faut-il accorder à Marx comme auteur d'analyses scientifiques ? Max Weber attribuait à ses « interprétations de développements » (Entwicklungskonstruktionen) un pouvoir révélateur « singulier » . Ce jugement — sa forme néokantienne n'enlève rien de sa valeur ontologique — se trouve confirmé par la fécondité des catégories macro-historiques marxiennes, par la cohérence organique de ses vues mésoet micro-historiques. Il est confirmé sur ces trois plans par l'étude du monde que Hegel appelait « oriental ». Avec tout le respect dû à ceux qui eurent l'intuition de l'originalité des institutions orientales, et parmi eux Engels, il faut bien dire que la découverte que fit Marx de la société asiatique, et d'un concept nouveau dans l'histoire du monde, est une découverte exceptionnelle, sans équivalent jusqu'à nos jours ; et cela en dépit (ou, mieux, à cause) des travaux conformistes des marxistes traditionnels et des travaux non conformistes de Max Weber. Weber n'appartenait pas au monde académique, ni au monde du marxisme. Son mode de pensée n'était pas celui de Marx. Cela apparaît clairement dans son analyse de la révolution russe de 1905-1906. Weber connaissait l'attitude «jacobine » de Lénine ; il connaissait le débat sur la question agraire, entre la minorité bolchevique et la majorité plékhanovienne au congrès de Stockholm de 1906 (le point d'affrontement fut précisément le débat sur la restauration asiatique) ; mais il ne s'intéressait pas suffisamment au problème sous-jacent pour en établir les fondements socio-historiques et pour envisager la possibilité d'une orientation « asiatique » de la future révolution russe. Tout en admettant l'existence de la tradition « tartare » en Russie , Weber voyait, dans une perspective jacobine, un facteur prédominant et résolument occidental : le « grand capitalisme » (Hochkapitalismus) . En 19tfî, après la réforme de Stolypine , il envisagea différemment la question agraire; mais il n'avait rien retenu de tout le débat qui, depuis 1906, faisait revivre le passé asiatique de la Russie et évoquait les possibilités d'une restauration asiatique. 14
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Les social-démocrates orthodoxes n 'étaient pas formés à la discipline de pensée marxiste. Le social-démocrate russe Boris I. Nicolaevsky, grand marxiste, a déclaré en 1958 qu'il avait « jusque-là » prêté peu d'attention au concept « asiatique » de Marx. C'est seulement après la parution du Despotisme orientai — dont il fit une critique favorable — qu'il comprit toute l'importance de ce concept pour « les bases du marxisme » et la compréhension de Lénine — c'est-à-dire de la révolution russe. De telles remarques montrent combien les marxistes orthodoxes s'étaient peu intéressés à cet aspect de la pensée du maître. C'est implicitement mettre en lumière de sérieuses carences dans les positions théoriques de socialistes marxistes aussi importants que Mehring, Cunow, Kautsky, Rosa Luxemburg, Parvus et Trotsky. Et c'est également attirer l'attention sur un fait plus important encore : la façon ambiguë dont Marx lui-même a traité sa découverte sociohistorique. Il est essentiel de reconnaître cette ambiguïté. Il est essentiel de la comprendre telle qu'elle se manifesta en 1859 dans la préface à la Critique de l'économie politique ; en 1872, dans la préface à la nouvelle édition allemande du Manifeste communiste ; et dans la lettre écrite en 1877 où, sans mentionner le Manifeste, // répudia comme non scientifique le concept d'une histoire et d'une société « universalistes » (unilinéaires). Dans la préface de 1859, Marx dit que ses principes théoriques, sa « ligne directrice », étaient « le résultat général » des études d'économie qu'il avait « entreprises à Paris » en 1844 et « poursuivies à Bruxelles » l'année suivante . On se souvient que c'est pendant son séjour à Bruxelles (1845-1848) que Marx écrivit L'idéologie allemande, en collaboration avec Engels (1845-1846) ; La misère de la philosophie, est l'œuvre de Marx seul durant le premier semestre de 1847 ; et la première version du Manifeste communiste, esquissée par Engels sous le titre « Principes du communisme », en automne 1847, fut entièrement récrite par Marx de décembre 1847 à janvier 1848 : le Manifeste du parti communiste vit le jour en février . Les disciples de Marx ont voulu voir dans sa déclaration théorique de 1859 l'expression même de son interprétation 20
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« matérialiste » de l'histoire, et cela est regrettable. En fait, dans sa thèse concernant la structure et dans celle concernant la transformation par la voie du développement, dans la première et la seconde partie de sa déclaration, il se conformait, pour l'essentiel, au Manifeste. Tout d'abord, dans la thèse concernant la structure, il ne mettait pas l'accent sur le rôle essentiel que jouent dans la production les conditions naturelles ; cependant, lui-même et Engels avaient, en théorie, reconnu l'importance de ce facteur en 1845-46 , et, en 1853, ils trouvèrent qu'il apparaissait de façon frappante dans l'économie et le gouvernement orientaux. Il se conforma également au Manifeste dans la première partie de sa déclaration lorsqu'il mit l'accent sur les forces de production « matérielles » , minimisant par là même l'importance des instances qui organisent la production. Ces instances d'organisation prennent une place remarquable dans l'industrie manufacturière et, à une échelle colossale, dans le monde « asiatique ». Dans la seconde partie de sa déclaration de 1859, Marx n'abandonnait pas l'idée d'un développement unilinéaire et nécessairement progressiste tel qu'il avait été évoqué dans le Manifeste. // insista même sur cette idée avec la thèse d'une transformation par développement, sans indiquer le moins du monde que, selon des observations précédentes, cette thèse peut ne pas valoir pour l'antiquité, et que — alors qu'il l'avait compris dès 1853 — elle ne valait en aucun cas pour la société asiatique. Dans la troisième et dernière partie de sa déclaration, Marx fit bien allusion à une vision nouvelle de l'histoire du monde, avec une référence à une configuration « asiatique » particulière ; c'est une idée qui nefiguraitpas dans le Manifeste. Mais il déforma lui-même cette vision en plaçant l'ordre asiatique dans un modèle de développement linéaire alors que, selon ses conceptions nouvelles, il n'appartenait pas à ce type de développement. Marx écrivit cette phrase qui, dans le contexte de la préface, prend une importance qu'elle n'avait pas dans la seule déclaration : « Dans une vision d'ensemble, on peut dire que les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne constituent des étapes progressistes de la formation économique de la société », les rapports de production bourgeois étant « la dernière forme antagoniste du processus social de production » . 2i
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Comme je le disais plus haut, cette thèse du développement est déjà sujette à caution pour l'antiquité ; elle est absolument inacceptable quand il s'agit de la société asiatique. Elle suppose qu'à la fin du monde antique ait existé un courant progressiste, ce que Marx et Engels mettaient en doute dès 1845-46, et que Marx rejetait explicitement après 1859 . Elle méconnaît le caractère de « stagnation » de la société asiatique tel qu'il émane de ses caractéristiques géo-économiques et socio-historiques particulières. Elle suppose enfin que l'on accepte un mode asiatique de production sans renoncer pour autant au concept unilinéaire de développement de la société que le Manifeste attribuait à toutes les grandes sociétés antagonistes *. Marx et Engels confirmèrent en 1872, par leur attitude, ce que la thèse « progressiste » de 1859 suggérait. Ils disaient dans la préface à la nouvelle édition allemande du Manifeste que, compte tenu de certaines modifications nécessaires dans le détail, « les principes généraux » de la déclaration étaient « dans l'ensemble toujours corrects » . L'attitude de Marx à propos de sa lettre de 1877 au journal libéral de Petersbourg Otechestvenniye Zapiski est significative pour plusieurs raisons. Dans cette lettre, Marx prenait argument du passé et de l'avenir socio-historique russe (un écrivain russe, N. Mikhailovsky, l'avait récemment évoqué, en relation avec les théories marxiennes sur l'accumulation primitive) pour réaffirmer que « les conditions historiques particulières » de la Russie étaient différentes de celles de l'Europe occidentale, où une économie capitaliste s'était « élaborée au sein de l'économie féodale » . La comparaison entre l'avènement du capitalisme en Europe occidentale et le développement en Russie ne justifiait pas une « théorie historico-philosophique d'un destin qui s'imposerait à chaque peuple, indépendamment des circonstances historiques ». Il ne méritait, de la part de l'écrivain russe, « ni cet excès d'honneur, ni cette indignité » . Dans cette discussion, Marx confrontait le développement de 1 Europe occidentale féodale et capitaliste et la situation en Russie avant 1861, année où le pays, à travers les réformes qui suivirent la défaite de Crimée, s'engagea dans « la voie qui menait au capitalisme » . Selon une thèse que Marx commença à élaborer en 1881 au long de trois ébauches suc21
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cessives d'une lettre à Vera Zazulich, il existait « encore », en Russie, en raison d'un « singulier concours de circonstances », cette communauté villageoise isolée qui avait disparu plus ou moins en Europe occidentale. Ce type de communauté se trouvait, là, « sans doute favorisé par l'étendue du territoire, et fortement consolidé par l'invasion mongole » . Comme Marx en avait déjà émis l'hypothèse, des communautés villageoises dispersées constituaient une base solide pour le despotisme oriental* , et expliquaient les sociétés et les États asiatiques* . La partie principale de la lettre Zapiski faisait allusion aux particularités qui apparaissent dans le développement de la première des quatre sociétés antagonistes, la société asiatique ; au fait que c 'était une société en stagnation ; et aux causes de ce phénomène. Elle mentionne aussi la particularité qui caractérise la seconde société antagoniste, la société « antique » : celle-ci, au lieu de progresser vers un système économique moderne, régresse au contraire. Marx rappelle qu'il a évoqué cette question « dans plusieurs passages du Capital », et il retrace les conditions de vie des paysans libres et des riches propriétaires — de terres ou de capitaux — dans la Rome du Bas-Empire. La première de ces deux classes dégénéra en populace oisive ; la seconde ne donna pas naissance au capitalisme, mais à « un mode, de production qui reposait sur l'esclavage » . Autrement dit : « Des faits qui présentent des analogies frappantes, se produisant dans des contextes historiques différents, menèrent à des résultats entièrement différents. En étudiant ces phénomènes séparément, puis en les comparant, on peut trouver facilement l'explication de ce phénomène ; mais on n'y parviendra jamais si l'on utilise la clé universelle d'une théorie historico-philosophique générale, dont le plus grand mérite est d'être suprahistorique » . ìì
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Est-ce que la lettre Zapiski répond à toutes les questions sur l'histoire du monde, de V « Asie » et de la Russie, que ses recherches posaient depuis 1853 ? Certainement pas. Mais elle rejetait cette image universaliste de l'histoire que Marx avait proposée pendant la période bruxelloise de sa vie, et que, dans la préface de 1859, il avait proposée de nouveau avec d'évidentes contradictions et une moins évidente propension au « péché contre la science ».
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« Le péché... ». J'emploie ce terme dans le sens où Marx l'employa au début des années 1860^. Lorsque en 1845-46 Marx et Engels déclarèrent que l'histoire était la science par excellence^, ils la plaçaient au niveau suprême dans la hiérarchie. Marx réaffirma cette notion en 1859 lorsqu'il présenta la ligne théorique qui orientait ses recherches comme un ensemble de concepts historiques. Mais quand en 1877 il qualifiait de « supra-historique » l'approche universaliste, il la condamnait naturellement comme non scientifique. La lettre Zapiski indiquait ce qu'était la thèse sociohistorique que Marx avait dans l'esprit depuis 1853, et que depuis plus de vingt ans il s'abstenait de révéler comme un système. Même en 1877, s'il expose les particularités des sociétés asiatique et antique dans sa vision historique, il ne les érige pas en système. Mais il proclame vigoureusement sa position anti-universaliste. Pour paraphraser une expression de Marx lui-même, en 1865, nous pouvons dire que, comparée à des tentatives précédentes en vue de rendre compte du destin de l'homme à travers l'histoire du monde, la thèse qui apparaît dans la lettre Zapiski était « nettement insuffisante ». Cependant, dans la mesure où elle marquait un progrès par rapport à sa position bruxelloise, elle « faisait date » . Pourtant, Marx ne poursuivit pas dans cette voie. Ayant écrit la lettre Zapiski, // ne l'expédia pas. Engels trouva l'original de ce projet de lettre en français parmi les papiers de son ami, après sa mort. Le 6 mars 1884, il en envoya une copie à Vera Zazulich, lui disant qu'il savait ce qui avait poussé Marx à écrire cette lettre : c'était l'article de Mikhailovsky intitulé « Karl Marx devant le tribunal de M. Choukovski ». Engels ne disait pas s'il avait lu la réponse de Marx. Cependant, il était très net sur un point : « Marx composa cette réponse sous forme d'un texte destiné à être publié en Russie, mais il ne l'envoya jamais à Saint-Pétersbourg, parce qu'il craignait que son nom suffise à mettre en danger l'existence du journal qui publierait sa réponse » . 40
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Engels était tout à fait disposé à donner copie de la lettre Zapiski à ses amis russes de Genève : « Utilisez-la comme vous voudrez ». Il surestimait probablement l'intérêt de la censure tsariste pour la nouvelle conception marxienne de l'histoire du monde ; mais il avait très évidemment sous-estimé son
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intérêt pour les marxistes. Et il ne comprit certainement pas que l'attitude de Marx à l'égard de la lettre Zapiski n'était pas dictée par la crainte de la censure, qu'il s'agissait là de quelque chose de beaucoup plus important. Une traduction russe de la lettre parut à Genève en 1886. Elle parut également dans un journal juridique de Petersbourg en 1888 . et à ma connaissance, sans entraîner de répression. C'est-à-dire que la traduction russe fut tolérée par le régime tsariste après l'assassinat d'Alexandre II, qui avait pourtant entraîné un durcissement de la censure *. L'article aurait-il donc attiré une répression avant l'assassinat, quand la politique du gouvernement, sans être tolérante, n 'était pas aussi sévère (Otechestvenniye Zapiski fut interdit en 1884) ? Quelle que soit la réponse à cette question, il ne fait aucun doute que Marx, s'il voulait faire connaître ses idées sur l'anti-universalisme, n'avait pas pour seul débouché le journal de Saint-Pétersbourg auquel il s'était adressé. En 1887, une année après que le groupe marxiste russe de Genève eut publié la première traduction de la lettre Zapiski, une traduction allemande parut à Zurich dans Sozialdemocrat , et une autre dans le Volkszeitung de New York . Ici encore, nous pouvons nous poser la question : si, en 1887, les socialistes allemands éprouvaient de l'intérêt pour la conception marxienne de l'histoire du monde, ne peut-on pas supposer que cet intérêt existait déjà en 1877 ? Et, Marx n'était-il pas libre d'exposer ses idées sur ce sujet dès cette époque, et de chercher à les faire publier dans différents pays du monde occidental? N'aurait-il pas pu ainsi exprimer ses idées plus facilement qu'il ne l'aurait fait dans la quelque peu ésotérique lettre Zapiski? En 1877, Marx était vieillissant et malade. Mais des notes qu'il écrivit par la suite, des lettres, des lettres-mémorandums (comme les trois ébauches de la lettre à Vera Zazulich, de 1881), montrent qu'il était encore physiquement et intellectuellement capable de formuler ses idées — des idées nouvellement conçues — si telle était sa volonté. Pourquoi alors ne pas dépasser les limites de la lettre Zapiski et exposer sa conception de l'histoire du monde, de /' « Asie » et de la Russie d'une façon systématique et complète, s'il le voulait ? Mais c 'est cette volonté qui manquait. Hegel écrit sans ménagement : « Une volonté qui ne va pas jusqu 'au bout n 'est pas 42
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une volonté » (Ein Wille des nichts beschliesst. ist kein wirklicher Wille) «*. 4
Le dilemme qui avait tourmenté Marx depuis ses nouvelles études dans les années 1850 le tourmentait encore à propos de cette question — de cette « terrible » question, comme le note Engels en 1859. Terrible, de quelle façon ? Au début des années 1860, Marx considérait la recherche de vérités nouvelles comme une entreprise qui pouvait être déplaisante et brutale. Considérant avec admiration l'œuvre de son modèle parmi les chercheurs, Ricardo, il dit ceci : « Avec le Maître, le nouveau et significatif naît de manière violente du heurt de phénomènes contradictoires, dans le 'fumier' des
contradictions (im 'Dünger' der Widerspruche, gewaltsam...). Les contradictions elles-mêmes sont la preuve de la richesse des bases vivantes d'où se dégage la théorie » . Préconisant, de la part du théoricien scientifique, une attitude « sloïque, objective, scientifique », celle de Ricardo dans toute son « honnêteté scientifique », Marx voyait dans chaque violation de ce principe sous l'influence d'un quelconque intérêt extérieur un « péché contre la science ». Et il ne faisait pas d'exception pour celui dont les « intérêts extérieurs » auraient été ceux des travailleurs^, c'est-à-dire, pour lui, les intérêts extérieurs les plus dignes de respect. 47
Dans son analyse de la Critique de l'économie politique, en août 1859, Engels laissait entrevoir l'existence de tels intérêts. Il présentait en effet la déclaration théorique de Marx comme procédant en droite ligne du Manifeste communiste, et non seulement il omettait la référence autobiographique, explicative, à la période bruxelloise, mais encore il passait sous silence, dans sa citation de la déclaration, le passage central de la dernière partie où Marx indiquait l'existence du mode de production asiatique — révélation hautement perturbatrice. Au lieu d'en avertir le lecteur, Engels limitait son analyse à la perspective historique finale de Marx : « A mesure que nous poursuivons la vérification de notre thèse matérialiste et que nous en arrivons à l'appliquer au présent, s'ouvre devant nous la perspective d'une formidable révolution, la plus grande révolution de tous les temps » . 49
Les intérêts extérieurs qui, du point de vue de Marx et d'Engels, étaient en effet immenses, conduisirent en 1859 Engels à préférer la thèse périmée de la structure et de la trans-
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formation par développement, telle qu'elle était exposée dans la déclaration, aux lois régissant l'histoire du monde, lois complexes et brutales que Marx avait découvertes dès 1853. Ils poussèrent Engels à privilégier les thèses datant de l'époque bruxelloise, qui n'étaient plus conformes aux nouvelles convictions de Marx. Est-ce que ces intérêts « formidables » amenèrent plus tard d'éminents théoriciens marxistes comme Mehring, Cunow et Kautsky à faire, non sans quelque gêne, ce qu'Engels avait fait avant eux? Est-ce qu'ils déterminèrent la décision de Rosa Luxemburg, qui connaissait bien le débat « asiatique » entre Plékhanov et Lénine, à rester fidèle au Manifeste communiste et à la défense par Engels de la version, apparemment revue et corrigée, de la lutte des classes — celle de l'édition de 1888 du Manifeste ? Non point qu'après 1853 Engels ait évité toute référence au despotisme oriental et à l'existence de cette forme de société en Russie. En aucune façon. Mais il ne se montra guère rigoureux sur ce point dans /'Anti-Duhring. // ne se montra guère rigoureux d'une façon générale^ dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État. // ne parla pas, plus tard, des libertés qu'il avait prises avec la question asiatique, mais il se dit un jour amusé de V « impudence » (Frechheit) avec laquelle il avait traité certains écrits qu'il avait prétendu connaître, mais que, « entre nous, je n'avais pas lu » , et se félicita de n'avoir pas été découvert. 50
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Marx était différent. Il est vrai qu'après l'éblouissante découverte de la théorie « asiatique » il ne fit preuve de témérité ni en 1859, ni en 1872, ni en 1877. Il n'avait rien d'un prophète juif. A certains moments critiques, il recula devant des vérités qu'il savait en conscience devoir être proclamées. Traitant de certains problèmes de macro-analyse, il s'abstint de révéler sous forme systématique sa théorie de la société asiatique en relation avec la Russie, et les conséquences de cette théorie dans sa conception de l'histoire du monde. C'est pour cette raison que le chercheur qui analyse la société et le pouvoir asiatique, et qui reconnaît les découvertes uniques de Marx, doit dépasser les limites qu'il a fixées. Mais, si Marx n 'était pas un prophète juif, il était sensible au plus haut point à la notion de « péché » intellectuel. Il y était sensible comme l'étaient les grandesfiguresbibliques du passé, ou, de notre temps, les héros dostoïevskiens —
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qui étaient capables d'intuitions extraordinairement créatrices en même temps que des péchés les plus abjects. C'est pour cette raison qu'à partir de 1853, et avec des contradictions croissantes après 1859, Marx continua, stoïquement si l'on veut, de rechercher des éléments méso- et micro-analytiques du monde asiatique. C'est pour cette raison aussi que l'analyste de l'économie, de la société et du pouvoir asiatiques, qui utilise aussi complètement que possible le squelette de la théorie asiatique marxienne sur le plan macro-historique, doit utiliser la totalité des détails institutionnels significatifs concernant le monde asiatique que Marx continua à noter après 1853. D. L'ombre d'Alexis de Tocqueville. C'est ce que j'ai tenté de faire depuis que j'ai commencé d'étudier la société chinoise et asiatique vers 1925, d'abord en Allemagne sous la République de Weimar, puis aux ÉtatsUnis en 1934-35, en Chine en 1935-37, puis de nouveau aux États-Unis jusqu'à maintenant. Je fus d'abord un marxiste communiste, qui essayait d'être un bon communiste et un bon marxiste. C'est en tant que tel que je poursuivis mes recherches sur la Chine, sur le mode de production asiatique et le rôle de la nature dans le développement de cet ordre économique et dans les autres formes antagonistes du processus de production social. Pendant la première phase de ma carrière, j'avais le désir profond et avoué de faire usage des théories de Marx sur la société asiatique. Ce désir resta profond ; et j'ai continué à citer Marx à des moments cruciaux pendant la première période post-allemande de ma carrière, jusqu'à mon retour de Chine, et pendant les deux années qui suivirent ^, jusqu'au pacte Staline-Hitler. Si, après le pacte, je me montrais moins disposé à citer Marx, c'est que mon intention était de me dissocier du mouvement « marxiste » qui avait été mon point de départ théorique et politique. En 1923, Trotsky m'avait incité à rechercher les traits asiatiques de la Russie tsariste . Mais, peu convaincu de la compétence scientifique de Trotsky, je ne m'arrêtai guère à ses observations. Comme dès le début j'avais laissé l'analyse de la Russie à des camarades communistes, en particulier des Soviétiques que je supposais compétents, j'ignorais tout 5
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de l'interprétation marxienne de la Russie comme société asiatique lorsque je rompis avec les communistes. Tel est le prix que j'ai payé pour m'être consacré à 1' « Asie ». J'étais devenu plus familier des théories « asiatiques » de Marx que ne le sont la plupart des marxistes . Dès la fin des années 1920, je compris que mes recherches dans ce domaine étaient mal vues à Moscou. Je ne savais pourtant pas ce qu'elles signifiaient pour les dirigeants soviétiques sur le plan idéologique et politique. Je ne savais pas qu'en 1906 Staline s'était trouvé confronté à des thèses portant sur la « restauration asiatique », qu'au congrès du parti à Stockholm il avait reconnu dans ces thèses une menace contre le « léninisme » , et qu'en 1920 il se rappelait encore avec amertume cette expérience . Je considérai alors mon intérêt pour le concept marxien de société asiatique comme une légère déviation qui allait se résorber selon une ligne fondamentalement juste. En 1931, je publiai Économie et société en Chine, qui était « une tentative d'analyse scientifique d'une grande société agraire asiatique » . Mon analyse s'attachait aux «forces de production, processus de production et distribution ». En fait, je consacrais presque cinq cents pages du volume à l'aspect agraire du mode de production chinois (asiatique) et presque trois cents aux aspects de communication, industriels, commerciaux et au prêt d'argent®*. Je continuais à soutenir ma déviation « asiatique », bien que le débat sur le mode de production asiatique à Leningrad en 1931 nous eût mis en garde contre elle. Le champion de la ligne du parti me critiqua tout particulièrement pour l'importance que je donnais au rôle de la nature . J'avais en effet particulièrement approfondi ce point, en conformité avec certains éléments négligés de la pensée de Marx, et j'avais publié une série d'articles sur ce sujet en 1929 dans Under the Banner of Marxism et dans Economy and Society in China. Une traduction russe en circula, sans être jamais publiée, avant même la parution de la version allemande. Je continuai mon travail sur la Chine et te mode de production asiatique après Leningrad, alors que la plupart des marxistes communistes orthodoxes s'étaient détournés de cette question, et même après 1938, quand Staline condamna officiellement la thèse « géographique » et, indirectement, 55
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mais de façon cependant évidente et officielle, rejeta la thèse « asiatique » de Marx. Dans ces conditions, ma position prenait une importance qui dépassait ma personne. Plus tard, des dissidents marxistes me rendirent naïvement hommage ; récemment, et de façon plus spécifique, l'économiste néo-trotskiste Ernest Mande! fit de même ; mais, comme ses camarades néo-trotskistes , il refusait de voir le lien entre la thèse de Marx concernant l'Asie et son interprétation « asiatique » de la Russie. Il écrivait : « Pendant les deux décennies qui suivirent [le débat de Leningrad], le concept de mode de production asiatique fut condamné, en U.R.S.S. d'abord, puis dans les démocraties populaires et en Chine, à un silence de plus en plus profond, jusqu'à enfin disparaître des livres officiels. En Occident, pourtant, un communiste allemand du nom de Karl August Wittfogel avait consacré un ouvrage monumental au mode de production asiatique, qui devait par la suite exercer une influence durable sur les sociologues » . Mandel soulignait la portée scientifique de Economy and Society in China. // déclarait que, dans mon « œuvre magistrale de 7937, Wirtschaf und Gesellschaft Chinas », on peut « maintenant encore (...) trouver la clé nécessaire à la compréhension du caractère spécifique du mode de production asiatique, aux deux sens que Marx et Engels lui donnaient dans les Grundrisse » , première ébauche complète du Capital. Mais Mandel rejetait avec la même vigueur « Le despotisme oriental, le dernier magnum opus de Wittfogel »; et il l'attaquait d'une façon qui, de son point de vue, s'explique très bien. Comme tous les néo-trotskistes, Mandel rejette mon interprétation asiatique de la Russie. Et il se détourne de History of Chinese Society : Liao. Pourquoi ? J'ai commencé à travailler sur Liao en collaboration avec un groupe de sinologues, altaïstes et anthropologues éminents, à la fin de 7939. Nous terminâmes ce travail en 1943. « Nous » (le Chinese History Project) distribuâmes en 1946 aux collègues intéressés l'Introduction générale que j'avais rédigée. Et « nous » (the American Philosophical Society) publiâmes le volume entier en 1949, avec des introductions analytiques aux quinze sections, dont les textes chinois, d'une richesse exceptionnelle, furent excellement traduits et annotés par le plus éminent des spécialistes Liao, 62
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Fêng Chia-shêng, avec l'accord éclairé des autres membres du groupe . Il n'y a aucune raison pour que des dissidents marxistes comme Mandel s'attardent aux aspects orientalistes et sociohistoriques de notre entreprise, envers laquelle les universitas literarum ont manifesté une grande estime : on a dit qu'avec Liao les États-Unis s'étaient placés à la tête des études contemporaines sur la Chine et l'Asie . On n'attendait pas de Mande! qu'il s'intéressât au prestige culturel de l'Amérique. Mais il aurait pu tenir compte du jugement d'un autre ancien trotskiste, le sinologue européen Etienne Balazs. Celui-ci porta témoignage, en des termes voilés, de ma fidélité, avec Liao. à l'approche socio-historique marxiste . Mande! n'a pas été non plus très intéressé, sans doute, par le fait que notre étude de la première grande dynastie chinoise de conquête réfutait la légende généralement accréditée par l'histoire concernant le sort des conquérants nomades de la Chine : les documents que nous avons pu retrouver prouvent que, conformément à la tendance des groupes dominants à perpétuer leur pouvoir, les Chinois n'assimilèrent jamais leurs conquérants tant que se prolongea la situation de conquête . Mais un aspect de notre recherche aurait dû attirer l'attention de Mande! et des autres marxistes non orientalistes. Notre analyse des relations entre la Chine proprement dite et le monde de l'Asie centrale montrait qu'il existait un type de société asiatique marginale où régnaient des gouvernements despotiques qui n'avaient que peu ou pas de fonction hydraulique. Qu'est-ce que cela signifiait en 1939-1943. lorsque j'écrivais les introductions analytiques à Liao. sans connaître le concept marxien de conditions « semi-orientales » (semi-asiatiques) de la Russie après la « tartarisation »? Sur le plan de ma référence à Marx, rien. Je m'étais frayé un chemin de manière indépendante à travers le « fumier » des contradictions entre la thèse de la société asiatique, mode de production caractérisé par des ouvrages d'irrigation, et un système économique dans lequel l'irrigation importait peu ou pas du tout. Les contradictions queje découvris, avec l'aide de notre éminent sinologue Fêng Chia-shêng et de notre éminent altaïste Karl H. Menges, prouvaient la « richesse de la base vivante » . Cette découverte m'amena à reconnaître l'existence, dans le monde asiatique, de types marginaux de 65
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pouvoir despotique oriental. Mais, dans ce début des années 1940, je ne sus pas encore tirer les conclusions théoriques générales de cette riche « base vivante » ; je n 'y parvins qu 'après avoir découvert la thèse marxienne sur la Russie semi-asiatique. C'est seulement depuis 1947 et en particulier dans le présent ouvrage que j'ai mis en relation une série de sociétés en partie agro-directoriales, notamment Liao, les civilisations byzantine moyenne et tardive, et Maya préhispanique, avec la Russie mongole et post-mongole — c'est-à-dire avec le concept marxien de la Russie, société semi-asiatique. Qu'est-ce que cela signifiait pour Mande/ qui, en 1967, eut accès au fertile terrain d'observation qu'était l'Asie centrale et d'autres régions marginalement « asiatiques », et au débat sur la Russie semi-asiatique, esquissé par Marx dans ses « Révélations sur l'histoire diplomatique du dix-huitième siècle » ? Pour Mandel et de nombreux autres marxistes allergiques au concept marxien de la nature semi-asiatique de la Russie, tout cela ne signifiait apparemment rien. Mais seulement en apparence, car Mandel, qui connaît Le despotisme oriental, sait que les thèses que j'avance sont les thèses « asiatiques » de Marx et Lénine. Je regrette que dans son livre sur La pensée économique de Marx, paru en 1967, il n'ait pu se résoudre à citer mon évocation des sociétés asiatiques marginales, qui couvre plus de vingt pages du Despotisme oriental. Mandel ne cite pas ce que dit Lénine du « système asiatique » en Russie ; mais il indique bien que Lénine a dit quelque chose sur ce sujet qui n'est pas tout à fait dénué d'intérêt. En fait, Mandel reconnaît que dans Le despotisme oriental, j'ai consacré à ce sujet « un résumé assez complet des passages chez Lénine » (et il ne mentionne personne d'autre qui en ait fait autant) . Mais, dans la mesure où Mandel ne cite pas dans sa présentation et sa bibliographie l'esquisse tracée par Marx de la « tartarisation » de la Russie, j aurais mauvaise grâce à lui reprocher de ne pas citer mon analyse de la société semiasiatique dans Le despotisme oriental, et de ne pas faire mention non plus, ni dans son texte ni dans bibliographie, de History of Chinese Society : Liao. Cet ouvrage fournissait pourtant de précieux éléments pour parvenir à la compréhension de l'interprétation marxienne de la Russie comme 12
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société semi-asiatique. En évitant les faits pertinents contenus dans Liao et dans Le despotisme oriental, les marxistes non orthodoxes qui, comme Mande/ et ses camarades néotrotskistes, partagent la position des théoriciens communistes quant à une évolutionfinalementprogressiste de l'Union soviétique, commettent un « péché contre la science » au sens où l'entendait Marx. Des chercheurs américains peuvent-ils réussir là où apparemment des dissidents marxistes indépendants de différents pays ont échoué? L'histoire du sinologue américain John K. Fairbank montre quelles difficultés se dressent devant les leaders de l'opinion aux Etats-Unis. Fairbank vécut en Chine durant la seconde guerre mondiale et immédiatement après. Grâce au contact qu'il eut en même temps avec la réalité de la Chine ancienne et de la nouvelle, avec l'Union soviétique et le marxisme, Fairbank s'éleva au-dessus du point de vue étroitement national. A son retour aux Etats-Unis, il écrivit un livre (en 1947-48j * où il disait que les Américains ne peuvent comprendre le monde nouveau que s'ils associent une vision nouvelle de la Chine avec celles des forces nouvelles qui modèlent l'histoire. Fairbank essayait de percevoir la Chine en profondeur en « suivant la voie tracée par un pionnier en matière d'histoire sociale, le Dr. K. A. Wittfogel ». Selon cette voie, il classait « la Chine traditionnelle parmi les représentants d'un antique type de société 'orientale', fondamentalement différente des sociétés modernes européennes plus récentes » . Fairbank ne souffrait d'aucune inhibition pseudo-marxiste ; il était prêt à se mettre à l'école de nos études Liao : Wittfogel, qui avait émis.« sur la Chine, société 'orientale', (...) les idées les plus fécondes », traitait notamment, dans « l'Introduction générale à cet ouvrage » [Liao], « des dynasties nomades conquérantes » . Fairbank recommandait à ses lecteurs de prendre très au sérieux ces dynasties conquérantes . Et, comprenant qu'en Orient il venait de découvrir un monde moderne, il insista sur la nécessité d'étudier sérieusement, non seulement la Chine, mais également « le marxisme et la Russie » . 1
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Est-ce que, pour Fairbank, les Américains étudiaient la Chine avec suffisamment d'attention ? Malheureusement, non. Les sinologues traditionnels se contentaient de considérer la société chinoise ancienne à travers sa philosophie, surtout
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celle de Confucius. L'observateur réaliste, tout en accordant à la philosophie l'attention qui lui est due, la replacerait dans « son contexte social et politique ». Fairbank reprochait à ceux qui négligent cette démarche d'être « superficiels » . Et c'est pourquoi, selon lui, la recherche américaine sur la Chine moderne est inadéquate. Fairbank écrivit ces lignes en 1947-48, au moment où j'approfondissais ma propre compréhension de Marx, des sociétés asiatiques marginales en Chine, et semi-asiatiques en Russie. Les sociologues, les historiens américains pouvaientils assimiler ces principes, les utiliser pour une compréhension plus réaliste du monde international ? Fairbank exprima cet espoir, en 1948. Et, de toute évidence, les membres de la Seconde conférence nationale pour l'étude des zones l'espéraient aussi en 1950, puisqu'ilsfirentun accueil favorable à mon article « Russie et Asie » . Mais les événements qui suivirent, outre Pacifique, en particulier l'affermissement du régime communiste chinois, produisirent chez Fairbank et ses amis un retour à une conception plus étroite de la Chine, à une approche que lui-même avait qualifiée naguère de « superficielle ». Dans la période qui suivit, l'opinion publique américaine fut la proie de profonds remous qui favorisèrent des recherches de caractère plus immédiat et passionnel — recherches utiles peut-être dans certains domaines, mais qui prirent le pas sur les recherches à long terme qui étaient nécessaires dans l'intérêt de la liberté, de la science de la liberté*®. Le despotisme oriental rencontra en 1957-58* un succès extraordinaire, mais sans conséquences profondes ; et cela confirme plutôt que réfute le jugement du grand analyste politique Gabriel A. Almond : en 1960, l'Amérique n'avait pas encore entrepris une étude sérieuse et méthodique des grands problèmes internationaux, indispensable pour sauvegarder l'avenir du monde libre* . On ne peut aborder de façon rationnelle et avec quelque chance de succès la quatrième étape dans l'étude de la société asiatique, l'amorce d'une analyse des conséquences internationales de la « restauration asiatique » esquissée dans Le despotisme oriental, que si l'on a auparavant assimilé méthodiquement le troisième stade de cette étude. Les Américains ne peuvent devenir les guides du monde libre s'ils n'ont pas 78
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une connaissance intime des grandes philosophies classiques —- y compris le marxisme —- qu'ils peuvent appréhender, fût-ce au prix d'un grand effort, à la lumière de leur propre héritage. Dans les premiers chapitres du Despotisme oriental, j'ai tenté de poser les bases géo-historiques de ma thèse, faisant usage des découvertes conceptuelles et empiriques que j'avais relatées dans Économie et société en Chine et dans Liao. Le lecteur qui s'intéresse particulièrement au mode de production hydraulique asiatique trouvera l'essentiel de ces découvertes dans les cinq premiers chapitres du livre. Mais il devra également noter ce qui a trait à l'extraordinaire puissance d'organisation que recèle le système, et il pourra ainsi reconnaître la révolution hydraulique pour ce qu'elle est : une révolution dans le domaine de l'organisation. La logique interne de cette analyse veut que la définition de la substance institutionnelle, des « organes hydrauliques », n'intervienne qu'au chapitre VI, que la nature semi-asiatique du système agro-directorial (y compris en Russie) ne soit décrite que dans ce chapitre crucial ; c 'est seulement dans le chapitre VII que je donne une classification des systèmes hydrauliques « primitifs », c'est-à-dire précédant l'organisation en Etat. C'est après le tournant que constitue le chapitre VI, dans le chapitre VII donc, que l'on trouvera la description des différents types de propriété, variant de forte à faible, opposée à la notion traditionnelle de présence ou d'absence de propriété privée. Dans le chapitre VIII, on lira une analyse différenciée d'une bureaucratie économiquement fonctionnelle (directoriale) assumant le rôle de classe dirigeante. Les théoriciens du pouvoir directorial total se sont particulièrement déchaînés contre ce chapitre ; ils refusent absolument qu'une telle bureaucratie puisse, ou plutôt doive nécessairement devenir une classe dirigeante. Je n'ai pas voulu alourdir mon analyse par un commentaire parallèle des concepts asiatiques correspondants chez Marx, chez Engels et chez Lénine. J'ai préféré en rendre compte d'une façon systématique, et je leur ai consacré le chapitre IX. J'ai fait en outre, dans le chapitre X, une analyse critique de cet exposé. Ces analyses que, depuis 1950, j'ai proposées à mes compatriotes américains sont-elles d'un intérêt purement académique ? Elles le sont tout autant que l'héritage semi-
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asiatique de la Russie communiste — bien réel, celui-là — et que l'héritage totalement asiatique de la Chine communiste. Elles sont théoriques comme était théorique ce jugement de Lénine, porté avec peine, avec réticence : la révolution bolchevique n'a pas abouti à un socialisme démocratique mais à une restauration asiatique, avec toutes les caractéristiques, ressuscitées et amplifiées, d'une révolution organisationnelle. Le Goulag et Auschwitz. Certains peuvent voir là les résultats directs et indirects de la théorie du développement asiatique. Pour ma part, je ne le pense pas. Certains de mes compatriotes américains espèrent que le nouveau modèle totalitaire de société et de pouvoir subira, avec le temps, un processus de dissolution spontanée, alors que son précurseur moins puissant, moins parfait, le despotisme oriental d'autrefois, n'a pas subi ce sort, en des millénaires d'existence. Je refuse cet espoir. Pour des raisons inhérentes à l'histoire concrète de la société, les citoyens des Etats-Unis, dans la mesure où ils considèrent avec sérieux leur place dans le monde et leurs responsabilités, se doivent d'acquérir les connaissances de base en ce qui concerne les forces principales et leur poids dans le contexte international. Tocqueville jugeait déjà que tel était le devoir des Américains s'ils voulaient remplir leur mission historique, dont il se faisait une haute idée* . Mon projet est de faire une analyse comparative de ces forces. J'aurais mauvaise grâce à me plaindre de mes compatriotes qui ont bien voulu attirer l'attention sur Le despotisme oriental ; mais, ce qui importe ici, ce n'est pas la notoriété qui s'attache à l'individu, c'est l'intérêt pour le problème, et un intérêt véritablement profond. 1
Tocqueville pensait que ses amis américains ne faisaient pas à certains problèmes la part qu'ils méritaient, parce qu'ils se contentaient d'une information « superficielle », parce qu'ils s'en détournaient vite pour passer à « autre chose » . Aujourd'hui, dans les milieux américains où s'élabore la politique, où se forme l'opinion, on se préoccupe beaucoup d'une éventuelle guerre thermonucléaire ; on a raison de s'en préoccuper ; une telle éventualité — et l'éventualité même d'une attaque thermonucléaire surprise — n'est pas à exclure. Mais on s'attache moins au second aspect de la stratégie globale, qui privilégie si scandaleusement les maîtres 84
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des puissances totalitaires centralisées : les guerres localisées, et leur extraordinaire importance. Et l'on n'accorde qu'une fugitive attention au troisième aspect : l'option intellectuelle et morale, que Tocqueville considérait comme décisive. Si au contraire on donne à cet aspect toute l'attention qu'il mérite, on parvient à comprendre le marxisme, lingua franca de la plus grande partie du globe. Cela nous permet d'utiliser ce langage pour discuter avec nos ennemis et nos amis, en particulier avec le tiers-monde. Cela nous permet d'utiliser les théories marxiennes de façon analytique, afin de mieux comprendre les origines semi-asiatiques de la zone stratégiquement centrale du totalitarisme moderne, c'est-à-dire social, la Russie. Cela nous permet enfin de comprendre les conclusions que Lénine en avait tirées, de faire front à la « restauration asiatique ». Résumons-nous : nombre d'intellectuels américains ont lu Le despotisme oriental et y ont trouvé un guide pour l'étude des sociétés fondées sur l'irrigation, et/ou l'étude de la bureaucratie comme phénomène universel. S'ils se contentent de cela, c'est parfaitement leur droit. Mais nous pouvons également leur demander de considérer les références à une société « semi-asiatique » telle qu'elle apparaît à la lumière de la théorie asiatique (hydraulique). Des Américains de plus en plus nombreux, spécialistes ou non, ne se contentent plus de cette vision étroite. Pour eux, les théories « asiatiques » de Marx donnent à la mise en garde lancée par Tocqueville une force qui pourrait bien accomplir ce que ce penseur français voulait voir accompli par les Américains. L'avertissement lancé par Tocqueville vaut naturellement également pour l'Europe. Aucune excuse d'ordre matériel — manque d'espace, de temps, d'argent — ne peut dispenser les théoriciens des différents pays décentralisés d'Europe du devoir d'entendre un avertissement qui leur vient du siècle dernier. Tocqueville croyait que ces pays accepteraient tôt ou tard que l'Amérique prenne la tête de la moitié libre du monde. Mais il pensait que les Américains ne pourraient assumer leur rôle de leaders que lorsqu'ils seraient parvenus à une compréhension réaliste des conditions internationales, qu'ils se contentaient alors d'appréhender de façon incertaine et passionnelle. Pour atteindre ce but, disait-il, un_ gouvernement populaire était inadéquat et il évitait le
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terme « démocratique » ; son idée était que « la masse du peuple peut se laisser séduire par son ignorance ou ses passions »*-. Mais un monarque absolu est également susceptible de variations. Seule, disait-il, une aristocratie peut remplir cette tâche. Négligeant le fait que l'Angleterre vivait sous un régime de monarchie constitutionnelle, et que l'aristocratie anglaise portait la responsabilité de flagrantes injustices sociales, Tocqueville jugeait cette aristocratie supérieure à toutes les autres par son libéralisme et son aptitude à diriger : « Je ne sais pas s'il y a jamais eu une aristocratie aussi libérale que celle d'Angleterre, ou qui ait aussi constamment donné au gouvernement des hommes aussi capables et aussi éclairés » . Le point de vue de Tocqueville a ses limites, évidentes. Mais il se trouve que les pays d'Europe ont joui de suffisamment de liberté depuis le temps de leur absolutisme pour être en mesure d'analyser scientifiquement les problèmes de la liberté et de l'esclavage politique, du despotisme occidental et oriental. Les théories classiques concernant l'histoire et la société ont été élaborées ou reprises par saint Thomas d'Aquin et Machiavel en Italie, par Bodin et Montesquieu en France, par Hume et Adam Smith en Angleterre, par Herder et Hegel en Allemagne. Les Américains ont-ils, au cours de leur conquête de l'hégémonie militaire et politique du monde libre, été fidèles à la tradition classique, et non classique, qu'ils connaissaient nécessairement depuis leur Indépendance* ! Qui est le guide et qui est le disciple dans cette recherche des conditions internationales de l'économie et de la société qui a pris une place grandissante depuis le XIX siècle dans les préoccupations de ces intellectuels inquiets, en Europe ? Aucun obstacle matériel ne devrait nous conduire à oublier qu 'après la première guerre mondiale les théoriciens politiques européens ont perdu confiance en eux-mêmes, et qu'après la seconde, les nouveaux théoriciens européens ont cédé à l'influence américaine en matière de science politique. 86
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Ce qui s'est produit est le contraire de ce qu'attendait Tocqueville. Ce renversement est-il définitif? N'existe-t-il aucun « accident », aucune « liberté » de choix dans la situation historique européenne, éminemment ouverte**! Les libres citoyens de ce petit continent, si important pourtant, sont-ils capables de reconquérir la suprématie intellectuelle et mo-
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raie qui était le propre de leurs ancêtres, et que leurs héritiers américains n'ont pas su recueillir? Les citoyens de ce continent prédestiné sont-ils capables de recevoir et d'utiliser les idées que Marx a tirées des philosophes et des économistes classiques et que, de façon incomplète mais féconde, il a appliquées à la science de la liberté telle qu'il la concevait ? Sont-ils capables d'identifier ces idées et de les partager avec les insatiables chercheurs américains ? Sont-ils capables de mener à bien une analyse scientifique et méthodique de ce qui favorise des situations historiques ouvertes, et de ce qui, au contraire, les bloque ? Sont-ils capables, non seulement d'invoquer le nom de Lénine, mais d'utiliser pour leur propre cause les théories explosives de Lénine sur l'aspect asiatique de la société et de la révolution russes ? Les indications données par Marx et par Lénine sont très incomplètes. Mais c'est seulement en les suivant pour notre propre compte, de façon autonome, que nous pourrons renverser le rapport de forces dans la lutte d'idées qui se livre en Europe et aux Etats-Unis. C'est également la seule voie possible pour l'Inde. On comprendra immédiatement pourquoi je me tourne vers l'Inde à la fin de cette nouvelle préface. Dans la Russie semi-asiatique, on n'a pas utilisé consciemment le hasard d'une situation historique ouverte pour combattre la tendance vers une restauration asiatique et pour promouvoir ce que Tocqueville appelait la démocratie. En Inde, la désintégration d'une société totalement asiatique a créé un autre « accident » de dimension gigantesque, au sens où l'entendait Marx. Une vieille idée ? Oui, une idée très vieille. Est-elle dépassée pour autant ? Non. Aristote, qui apprit à ses disciples à distinguer entre une « tyrannie », que l'on peut renverser de l'intérieur, et le despotisme « asiatique », où c'est impossible", devrait être bien dépassé aujourd'hui, dans la mesure où les néo-classiques, particulièrement Bodin et Montesquieu, et Marx luimême, ont donné une nouvelle définition du concept classique de tyrannie. Et cependant, pour l'essentiel, le jugement d'Aristote n'est pas dépassé. En fait, la grande majorité de nos théoriciens politiques ne l'ont pas encore assimilé. 90
Les Indiens sont-ils capables d'apprendre d'Aristote, et de Marx, ce que nos penseurs occidentaux hésitent à apprendre? Boris I. Nicolaevsky m'a rapporté que Boukharine, qui, au début se souciait peu des théories « asiatiques » de
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Marx, lui avait confié en 1936, lors de sa dernière visite en Occident, qu'il s'y intéressait maintenant de très près. Selon une rumeur qui circulait dans le monde scientifique, Jawaharlal Nehru aurait dit vers la fin de sa vie à un visiteur étranger qu 'il était de plus en plus attiré par la théorie marxienne du système « asiatique ». En 1939, interrogé par un homme influent dans les milieux politiques américains sur mon opinion de la crise en Asie, je conseillai aux responsables américains des relations internationales de consacrer nos ressources, autant que cela nous était possible, à aider l'Inde dans son développement économique et dans le développement de sa démocratie . Je restefidèleà cette opinion lorsque aujourd'hui j'applique la notion marxienne de « liberté » à l'Inde ; et les théoriciens politiques indiens devraient comprendre qu'une tyrannie temporaire peut, certes, ouvrir la voie à une « restauration asiatique », mais qu'il n'en va pas nécessairement ainsi. Les combattants de la révolution d'Octobre n'avaient pas conscience, pour la plupart, de ce qu'ils déchaînaient. Mais aujourd'hui l'histoire de l'esclavage politique, et également économique, est beaucoup mieux connue qu'elle ne l'était en 1917, même en Inde, tout particulièrement en Inde. Il y a également le Japon. On ne peut qu 'être impressionné par l'habileté, la rapidité, l'ingéniosité avec laquelle les Japonais modernes ont fait de leur pays l'une des premières nations industrielles du monde. Impressionné aussi par leur intérêt pour les sciences économique et politique, intérêt qui en Occident s'était développé en même temps que l'entreprise capitaliste, et la conscience et l'organisation du prolétariat. Depuis la fin de la première guerre mondiale, les intellectuels japonais se sont intéressés en même temps aux théories de Marx relatives au capital et au travail — la pensée soviétique régnait ici en maître — et à celles qui concernaient / 'économie et la société « asiatiques »; dans ce domaine, l'interdit jeté par Staline étant très diversement observé dans le monde ; mes écrits et mon analyse « asiatique » de la Chine furent largement traduits et lus, jusqu'au début de la seconde guerre mondiale . Depuis la fin de la guerre, la situation est complexe. Mais actuellement, comme avant guerre, les théoriciens marxistes et non marxistes sont aussi largement opposés à mes théories que précédemment ils leur avaient été favorables *. 91
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Le débat qui se poursuit au Japon sur le mode de production asiatique diffère par bien des détails du « grand débat » qui, à partir de 1962, se déroula à l'intérieur et à l'extérieur du monde communiste ; mais il lui ressemble sur un point au moins. Il révèle la volonté, de part et d'autre, d'éviter de poser l'inquiétant problème de la Russie. Personne n'admet ouvertement l'interprétation marxienne de la Russie comme société semi-asiatique. Personne n'admet ouvertement l'interprétation « asiatique » de la société et de la révolution russes par Lénine. Dans les récentes discussions qui ont eu lieu au Japon autour de la théorie de la société asiatique, l'idée d'une « restauration asiatique » en Russie, comme d'ailleurs en Chine, est aussi délibérément ignorée que l'est cette déclaration de l'éminent communiste d'Europe de l'Est, Tôkei, selon laquelle c'est à lui et à ses amis que j'aurais emprunté les précieuses théories « asiatiques » de Marx. Il ne fait pas de doute que les théoriciens japonais marxistes et non marxistes, s'engageant dans cette voie, en viennent nécessairement à rejeter l'héritage classique et néo-classique dans les sciences historique et sociale ; et en même temps la variante qu'en proposait Marx. Et il ne fait pas de doute qu'ils se privent ainsi, et qu'ils privent leurs compatriotes, de la clé qui leur permettrait de comprendre la réalité socio-historique russe et chinoise, et le sens véritable de la « restauration asiatique » telle que Lénine, malgré lui, la concevait. Est-ce que cette méthode satisfait les intellectuels japonais qui prennent à leur compte le critère marxien d' « honnêteté scientifique » ? Certainement pas. Est-elle suffisante pour le Japon, pionnier d'une société décentralisée en Asie ? Certainement pas. Dans le but de défendre les progrès accomplis par l'humanité dans la voie de la démocratie, les Japonais traitent avec un louable sérieux les problèmes du « matériel » : équipement militaire lourd, en particulier thermonucléaire. Mais l'équipement, s'il est nécessaire, n'est pas suffisant. Et l'attention portée aux guerres limitées n'est pas non plus suffisante aujourd'hui. Les Japonais en sont d'ailleurs probablement plus conscients, dans la partie du monde qui leur est proche, que ne le sont les Américains dans la leur. Pour l'Amérique, la voie est toute tracée. Il est essentiel de comprendre clairement la crise globale actuelle pour com-
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prendre — pour que nous, Américains, comprenions — ce que signifient les guerres limitées, ce que signifie le « matériel ». Il faut également être très clairs si nous voulons comprendre le troisième point, la question décisive : la question morale et intellectuelle posée dans le passé par les penseurs classiques, et posée de nouveau par leurs héritiers, Marx compris. L'aspect intellectuel et l'aspect moral sont inséparables. Le péché contre la science est en réalité un péché contre la morale. Une nouvelle et « modeste » Magna Carta, en Occident, a donné à la lutte pour une humanité nouvelle une nouvelle direction, un espoir nouveau . A un certain moment de l'existence de l'humanité, l'ignorance n'est pas seulement un handicap mais, comme l'a dit Marx dans sa jeunesse, une terrible tragédie . A un certain moment de l'histoire de l'humanité, seule une lutte héroïque pour la vérité peut nous assurer la « nouvelle naissance physique et morale » , fondement de notre force. K. A. W. New York, 17 juillet 1977. 94
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NOTES
1. T ô k e i a r e v u le texte f r a n ç a i s de sa c o n f é r e n c e de 1962 a v a n t d ' e n p e r m e t t r e l a d i f f u s i o n s o u s f o r m e de texte r o n é o t y p é . Cette v e r s i o n c o r r i g é e ne c o n t e n a i t pas l ' a p p e l à « r e p r e n d r e » le c o n c e p t a s i a t i q u e . ( V o i r F . T ô k e i . Sur le « Mode de production asiatique ». L ' é d i t e u r m e n t i o n n é est le C e n t r e d ' é t u d e s et de r e c h e r c h e s m a r x i s t e s , sans d a t e . C h e s n e a u x a r é p é t é cet a p p e l à « r e p r e n d r e » le c o n c e p t à d e u x reprises en 1964 : d ' a b o r d d a n s u n c o m p t e r e n d u d é t a i l l é de la p r e m i è r e s é a n c e d u « G r a n d d é b a t » . en j u i n 1 9 6 2 ; p u i s d a n s une b i b l i o g r a p h i e c o m p l é m e n t a i r e (La Pensée n " 114. a v r i l 1964. p p . 35 et 71). D a n s les d e u x cas. C h e s n e a u x s o u l i g n a i t le m o t « r e p r e n d r e » . 2. J e a n C h e s n e a u x . « O ù en est la d i s c u s s i o n sur le m o d e de p r o d u c t i o n a s i a t i q u e » . La Pensée n° 129. o c t o b r e 1966. p. 39. n o t e 10. 3. K a r l A . W i t t f o g e l et F ê n g C h i a - s h ê n g . History oj Chinese society . Liao (907-1125). avec la c o l l a b o r a t i o n de J o h n de F r a n c i s . E s t h e r S. G o l d f r a n k . L e a K i s s e l g o f T e t K a r l H . M e n g e s . T r a n s a c t i o n s o f the A m e r i c a n P h i l o s o p h i c a l S o c i e t y , v o l . 36 (1946). P h i l a d e l p h i e , m a r s 1949. p a s s i m . C i t é u l t é r i e u r e m e n t s o u s le t i t r e Liao.
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PRÉFACE
XXXIII
4. K a r l M a r x - F r i e d r i c h E n g e l s . Werke (1957-1966). v o l . 28. p . 267. C i t é u l t é r i e u r e m e n t sous le titre M E W . V o i r é g a l e m e n t n o t e 5. 5. A u d é b u t d u s e c o n d des d e u x articles s u r l ' I n d e q u ' i l é c r i v i t p o u r le New York Daily Tribune le 10 j u i n et le 22 j u i l l e t 1853. M a r x n o t a i t : « M o n i n t e n t i o n est de c o n s i g n e r d a n s cette lettre l a c o n c l u s i o n de mes o b s e r v a t i o n s sur l ' I n d e » . Les d e u x articles p a r u r e n t r e s p e c t i v e m e n t d a n s le N . Y . D . T . le 25 j u i n et le 8 a o û t 1853. 6. M E W 23. p. 3 7 3 s q . 7. « K a r l M a r x ü b e r I n d i e n u n e C h i n a , m i t E i n l e i t u n g v o n R j a s a n o v » . Unter dem Banner des Marxismus, 1. 2. 1925. p . 370 p a s s i m . 8. V o i r W i t t f o g e l . « C h i n a u n d d i e o s t e u r a s i s c h e K a v a l l e r i e - R e v o l u t i o n » . Ural-Altaische Jahrbücher. 49 (1977). C i t é u l t é r i e u r e m e n t s o u s l ' a b r é v i a t i o n 1977. 9. W i t t f o g e l . « R u s s i a a n d A s i a » . World Politica I I . 4. 1950. p . 4 6 1 . C i t é u l t é r i e u r e m e n t sous l ' a b r é v i a t i o n 1950. 10. M i l o v D j i l a s . Conversations wìth Stalin. N e w Y o r k . 1962. p. 74. 11. J . Stalin.' Works. M o s c o u . 1953. 6. p . 302. 12. C f . lnprekorr 1934. p p . 52. 108. 168 s q q . . 320. 4 6 1 . 6 2 2 . 6 3 6 . 13. M E W 18. p . 5 6 7 . 14. M a x W e b e r . Gesammelle Aulsätze zur Wissenschaflslehre. Tübingen. 1922. p p . 204 sq. 15. M a x W e b e r . « Z u r L a g e d e r b ü r g e r l i c h e n D e m o k r a t i e i n R u s s l a n d » , Archiv für Sozialwissenschajt und Sozialpolitik. 22 (1906). p p . 246 et 2 8 1 . C i t é u l t é r i e u r e m e n t sous le titre Lage. 16. M a x W e b e r . « R u s s l a n d s U b e r g a n g z u m S c h e i n k o n s t i t u t i o n a l i s m u s ». Archiv 23 (1906). p . 2 8 3 . C i t é u l t é r i e u r e m e n t sous le titre Übergang. 17. Lage. p. 18. Übergang, p p . 249 et 3 9 6 . 18. Lage. p . 3 4 7 . 19. W e b e r . Gesammelte et p. 107.
Politische
Schritten.
Tübingen.
1921. p. 110. note,
20. B o r i s I. N i c o l a e v s k y . « M a r x a n d L e n i n o n O r i e n t a l D e s p o t i s m » . Soisialisticheski Westnik. f é v r i e r - m a r s 1958. p . 53. 2 1 . M E W 13. p . 8. 22. D . R i a z a n o v , Karl Marx und Friedrich Engels, N e w Y o r k , 1927. P o u r u n e d o c u m e n t a t i o n p l u s c o m p l è t e , v o i r Der Bund des Kommunisten, v o l . 1. B e r l i n . 1970. p p . 1057. 1091. et textes relatifs à cette q u e s t i o n . 23. V o i r M E W 3. p p . 21 et 44. D a n s le cas de M a r x , cette a t t i t u d e r e m o n t e a u t e m p s de ses é t u d e s u n i v e r s i t a i r e s , et m ê m e p r é c é d e m m e n t . V o i r Ibid.. p . 28, note, et Marx Engels Archiv, v o l . 2. 1927. p p . 117 s q q . 24. Je t r a d u i s Produktivkräfte, n o n p a r productive force, « force de p r o d u c t i o n ». c o m m e o n le fait h a b i t u e l l e m e n t , m a i s p a r productive powers o u powers oj production, « p u i s s a n c e de p r o d u c t i o n ». C e sont les termes q u e M a r x l u i - m ê m e e m p l o y a i t g é n é r a l e m e n t l o r s q u ' i l citait des e x p r e s s i o n s o u des passages en a n g l a i s , g é n é r a l e m e n t t i r é s des é c o n o m i s t e s c l a s s i q u e s . R e c o n n a i s s o n s le lien q u i r a t t a c h e M a r x a u x é c o n o m i s t e s c l a s s i q u e s et r e s p e c t o n s l a t e r m i n o l o g i e q u ' i l e m p l o y a i t . V o i r N . Y . D . T . . 8 a o û t 1853 ; M a r x , Grundrisse des Kritik der Politischen Ökonomie,. B e r l i n . 1953. p . 636 ( u l t é r i e u r e m e n t c i t é s o u s le titre Grundrisse): M E W 2 6 . 1, pp. 4 0 et 4 0 2 [ A d a m S m i t h ] ; 26. 2. p p . 5 7 0 et 623 R i c a r d o ; en r e l a t i o n avec R i c h a r d J o n e s . M E W 2 6 . I. p. 18 ; 2 6 . 3.. p p . 4 0 6 . r é f é r e n c e à On Rent. D a n s s o n c o m p t e r e n d u de J o n e s , M a r x e m p l o i e à l ' o c c a s i o n la f o r m u l a t i o n productive forces oj social labour, « forces de p r o d u c t i o n de l a m a i n - d ' œ u v r e s o c i a l e ». Ibid.. p . 414. 25. L e j u g e m e n t de P l é k h a n o v à ce sujet et m o n p r o p r e c o m m e n t a i r e sont i n a d é q u a t s . L ' u n c o m m e l ' a u t r e n é g l i g e n t le c o n t e x t e a u t o b i o g r a p h i q u e d a n s l e q u e l M a r x p l a ç a sa d é c l a r a t i o n t h é o r i q u e . V o i r p l u s l o i n . p. 5 0 1 . n o t e d . 26. M E W 13. p . 9. 27. M E W 3. p . 24. • -28. M E W 4 . p p . 4 6 2 sqq.
XXXIV 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42.
LE DESPOTISME ORIENTAL Ibid.. p . 5 7 3 . M F . W 19. p . 108. Ibid.. p . ¡ 1 1 . Ibid.. p . 108. Ibid.. p . 388. N . Y . D . T . . 25 j u i n 1853 ; cf. M E W 9. p . 132. M E W 2 3 . p . 379. M E W 19. p p . I i i s q . Ibid.. p . 112. M E W 26. 2. p p . 11 i s q q . M E W 3. p p . 18. 27 sq.. 39. 4 6 . M E W 16. p . 2 5 . M E W 36. p . 121. M E W 19. p . 5 5 8 .
43. V o i r R i c h a r d P i p e s . Russin Under the OUI Regime. L o n d r e s . 1974. p p . 300 s q . 44. M E W 19. p . 558. 45. V o i r K a r l K o r s c h , Karl Marx. N e w Y o r k , 1938, p . 167. n o t e 2. 46. G e o r g W i l h e l m F r i e d r i c h H e g e l . Grundlinien der Philosophie des Reclus. H e g e l . Sämtliche Werke, v o l . 7. S t u t t g a r t - B a d C a n n s t a d t . p . 6 5 . 4 7 . M E W 2 6 . 3. p . 80. 48. M E W 2 6 . 2. p p . 112 s q q . 49. M E W 13. p . 4 7 0 . 50. « A v e c q u e l q u e g ê n e . . . ». T o u s t r o i s v o u l u r e n t v o i r d a n s l a P r é f a c e de 1859 l ' e x p r e s s i o n p r i v i l é g i é e d e l a p o s i t i o n t h é o r i q u e d e M a r x . T o u s t r o i s , n o n seulem e n t c i t è r e n t les p o i n t s essentiels d e sa d é c l a r a t i o n d e 1859. m a i s m e n t i o n n è r e n t é g a l e m e n t les é l é m e n t s a u t o b i o g r a p h i q u e s a u x q u e l s M a r x faisait a l l u s i o n e n guise d ' i n t r o d u c t i o n . M e h r i n g o m i t l a p h r a s e s u r B r u x e l l e s , m a i s i l s i g n a l a cette o m i s s i o n p a r des p o i n t s de s u s p e n s i o n ( F r a n z M e h r i n g . Karl Marx. 1918. p . 265). C u n o w fit de m ê m e ( H e i n r i c h C u n o w . Die Marxsche Geschichts — Gesellschafts — und Staatstheorie. B e r l i n . 1920. V partie, p . 249). K a u t s k y . sans e m p l o y e r d e p o i n t s de s u s p e n s i o n , o m i t é g a l e m e n t l a p h r a s e sur B r u x e l l e s ( K a r l K a u t s k y . Die Materialistische Geschichtsauffassung, B e r l i n . 1927. l partie, p p . 2 0 et 806). e
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51. A l ' é g a r d des i d é e s q u i n o u s o c c u p e n t , l ' a t t i t u d e d e R o s a L u x e m b u r g , c o m m e celles d e P a r v u s et d e T r o t s k y . est c o m p l e x e . N o u s ne p o u v o n s l ' a n a l y s e r i c i , n o n p l u s q u e celles des d e u x m a r x i s t e s russes q u e n o u s v e n o n s de citer. D i s o n s a u m o i n s ceci : a y a n t t r a n s f é r é s o n a c t i v i t é p o l i t i q u e d e l ' E u r o p e d e l ' E s t à l ' A l l e m a g n e . R o s a L u x e m b u r g n ' e n t r a p a s d a n s l a d i s c u s s i o n « a s i a t i q u e » c o m m e le firent P l é k h a n o v et L é n i n e . E l l e c o n n a i s s a i t l ' e x i s t e n c e d u d e s p o t i s m e o r i e n t a l , elle r e c o n n a i s s a i t l ' é l é m e n t d e s p o t i q u e o r i e n t a l d a n s l ' o r d r e a n c i e n e n R u s s i e ; b i e n é v i d e m m e n t , elle n ' a c c e p t a i t pas l a p r é s e n t a t i o n des p r i n c i p e s h i s t o r i q u e s q u i est fait d a n s le Manifeste aussi f a c i l e m e n t q u e n o m b r e des a u t r e s m a r x i s t e s a l l e m a n d s . M a i s elle n ' a l l a p a s aussi p r o f o n d é m e n t a u c œ u r d u p r o b l è m e q u e M a r x d a n s l a lettre Zapiski. E t elle se r a l l i a à l a v e r s i o n c o r r i g é e q u e d o n n a t a r d i v e m e n t E n g e l s d e l a t h è s e d e l a l u t t e des classes s e l o n le Manifeste ; ce f a i s a n t , elle c o n t r i b u a p l u t ô t à e m b r o u i l l e r le p r o b l è m e q u ' à le clarifier. P u i s q u e M a r x , d a n s le Manifeste, n ' a v a i t p a r l é d e lutte des classes q u ' e n r e l a t i o n avec des s o c i é t é s a n t a g o n i s t e s , l a m e n t i o n p a r E n g e l s e n 1888 d e s o n absence d a n s le m o n d e p r i m i t i f des c o m m u n e s é t a i t c o r r e c t e , m a i s sans objet i c i . S u r le r a l l i e m e n t d e R o s a L u x e m b u r g à cette tent a t i v e d e c o r r e c t i o n d u Manifeste p a r E n g e l s , v o i r ses Ausgewählte Reden und Schriften, v o l . 1, B e r l i n . 1951. p. 524. S u r sa tentative d ' i n t é g r e r le d e s p o t i s m e o r i e n t a l à une s u c c e s s i o n d ' o r d r e s é c o n o m i q u e s , t o u s c e n s é s se d é s i n t é g r e r et s'effondrer, et c o n t r i b u a n t t o u s à l ' a v è n e m e n t d u c a p i t a l i s m e , v o i r Ibid.. p . 6 7 3 . 52. V o i r M E W 38. p . 117. L e p r o b l è m e de l ' a t t i t u d e d ' E n g e l s s u r cette q u e s t i o n , et d ' a u t r e s q u i e n d é c o u l e n t , c o m p o r t e d i f f é r e n t s aspects, i m p o s s i b l e s à p r é s e n t e r i c i . Je r e n v o i e le l e c t e u r à m e s c o m m e n t a i r e s s u r M a r x et E n g e l s d a n s « P r o b l e m s
NOUVELLE
PRÉFACE
XXXV
o f M a r x i s m a n d R e l a t i o n s B e t w e e n the E a s t a n d the W e s t ». d a n s The Soviet Union : The Seventies and Beyond, p r é s e n t é p a r B e r n a r d W . E i s s e n s t a t . L e x i n g t o n . 1975. p p . 32 sq. O n y v e r r a que M a r x p o s s é d a i t une f a c u l t é de m a c r o - a n a l y s e q u a l i t a t i v e m e n t d i f f é r e n t e de celle que p o s s é d a i t E n g e l s . E n g e l s r e c o n n a i s s a i t v o l o n t i e r s l a s u p é r i o r i t é de 1' « a r t i l l e r i e l o u r d e » i n t e l l e c t u e l l e de M a r x et s o n e x t r a o r d i n a i r e b e s o i n de p o s s é d e r t o u t e l ' i n f o r m a t i o n p o s s i b l e sur u n sujet a v a n t d e c o m m e n c e r à é c r i r e . M a i s M a r x r e c o n n a i s s a i t q u ' E n g e l s , avec ses limites, é c r i v a i t vite et b i e n , m ê m e l o r s q u ' i l é t a i t ivre ( M E W 28, 596. lettre à A d o l f G l u s s . o c t o bre 1953). E n faisant la p a r t de l ' h u m o u r q u i c o l o r e la lettre à C l u s s . n o u s p o u v o n s ajouter q u e . d a n s les l i m i t e s de ses f a c u l t é s c o n c e p t u e l l e s . E n g e l s é c r i v a i t p r e s q u e t o u j o u r s p e r t i n e m m e n t , et p a r f o i s b r i l l a m m e n t . J ' a i p o u r t a n t d û me r e n d r e à cette é v i d e n c e : à m a c o n n a i s s a n c e , i l n ' a pas c o m m e M a r x c o m b a t t u « le p é c h é c o n t r e la science ». P r e n a n t en c o m p t e tout c e c i , n o u s ne p o u v o n s o u b l i e r q u ' i l y a v a i t d a n s le l i v r e d ' E n g e l s L'origine... une i m p u d e n c e q u i d é p a s s e celle q u i passe p o u r ê t r e c o u r a n t e d a n s la l i t t é r a t u r e e t h n o l o g i q u e . Il faut en t e n i r c o m p t e d a n s l ' a p p r é c i a t i o n de ce l i v r e . E n g e l s n ' é t a i t pas M a r x . V o i r p l u s l o i n . p p . 450 s q q . , v o i r é g a l e m e n t W i t t f o g e l , « T h e H y d r a u l i c A p p r o a c h to P r e - S p a n i s h M e s o a m e n c a » d a n s The Prehistory oi the Tehuacan Valley, é d i t é sous la d i r e c t i o n de R i c h a r d S. M a c N e i s h . v o l . I V . Chronology and Irrigation, p r é s e n t é p a r F r e d e r i c k J o h n s o n . T e x a s . 1972. p p . 64 et 78. 53. V o i r W i t t f o g e l . « T h e F o u n d a t i o n s a n d Stages o f C h i n e s e E c o n o m i c H i s t o r y », d a n s Zeitschrift für Sozialforschung, I V . 1935. p. 5 0 ; « W i r t s c h a f t s g e s c h i c h t l i c h e G r u n d l a g e n d e r F a m i l i e n a u t o r i t ä t ». d a n s Studien über Autorität und Familie, v o l . V de Schriften des Instituts für Sozialforschung, p r é s e n t é par M a x H o r k h e i m e r . P a r i s . 1936. p. 4 7 8 ; « D i e T h e o r i e der o r i e n t a l i s c h e n G e s e l l s c h a f t , d a n s Zeilschrift für Sozialforschung. V I I . 1938. p. 118. 54. W i t t f o g e l . Geschichte der bürgerlichen Gesellschaft, V i e n n e . 1924. pp. 110 sq. L i v r e é c r i t en 1923. 55. S u r les m a r x i s t e s s o c i a l - d é m o c r a t e s , v o i r N i c o l a e v s k y . « M a r x a n d L e n i n o n O r i e n t a l D e s p o t i s m ». op. cit. 56. J . S t a l i n . Works, v o l . I. M o s c o u . 1952. p. 238. 57. Idem. Works, v o l . 6. p p . 57 s q . 58. V o i r W i t t f o g e l . Wirtschaft und Gesellschaft Chinas. Versuch einer wissenschaftlichen Analyse einer grossen asiatischen Agrargesellschaft. Erster Teil, Produktivekräfte. Produktions- und Zirkulationsprozess. Schriften des Instituts für Sozialforschung an der Universität Frankfurt a. M. P r é s e n t é par C a r l G r ü n b e r g . L e i p z i g . 1931. v o l . III. U l t é r i e u r e m e n t c i t é s o u s l ' a b r é v i a t i o n 1931. 59. Ibid.. p p . 7-494. 60. Ibid.. pp. 4 9 4 - 7 6 2 . 6 1 . V o i r G . L . U l m e n . The Science ol Society. Toward an Understanding of the Life and Work oj Karl August Wittfogel. c h a p . I V . L a H a y e . 1977. C i t é u l t é rieurement s o u s l ' a b r é v i a t i o n 1977. 62. S u r les aspects d u n é o - t r o t s k i s m e q u i ont trait à n o t r e p r o p o s , v o i r W i t t f o gel. « T h e M a r x i s t V i e w o f R u s s i a » d a n s World Politics. 12. 1960. pp. 505 sq.. texte et notes. 63. E r n e s t M a n d e l . The Formation of the Economie Thought of Karl Marx, N e w Y o r k et L o n d r e s 1971. p p . 118 s q q . P u b l i é e n F r a n c e s o u s le titre La formation de la pensée économique de Karl Marx c h e z M a s p e r o . C i t é u l t é r i e u r e m e n t sous l ' a b r é v i a t i o n 1971. 64. Ibid.. p p . 128 sq. 6 5 . Liao. p p . 33 s q . 66. V o i r W i t t f o g e l 1977. c h a p i t r e « N o t h i n g c o m p a r a b l e . . . » ( R i e n de comparable...). 67. Ibid.. c h a p i t r e « T h e C h i n a S t u d y o f the F u t u r e ». 68. Liao, p. 15. 69. Ibid.. p. 365. C f . Despotisme oriental c h a p . V I .
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LE DESPOTISME ORIENTAL
70. Ibid., p . 663 (en ce q u i c o n c e r n e le centre p o l i t i q u e de Q a r a - K h i t a y ) . 71. S u r l ' u s a g e d e cette f o r m u l e p a r M a r x , v o i r M E W 26. 3. p . 80. 72. M a n d e l . 1971. p . 117. note 4. 73. J o h n K i n g F a i r b a n k . The United Stata and China. C a m b r i d g e . 1948. p. 2 6 6 . U l t é r i e u r e m e n t c i t é sous l ' a b r é v i a t i o n 1948. 74. Ibid., p . 5 3 . 75. Ibid., p . 3 5 3 . 76. Ibid., p p . 78 sqq. 77. Ibid., p . 2 6 0 . 78. Ibid., p . 59. 79. V o i r ci-dessus, n o t e 9. 80. V o i r U l m e n 1977. c h a p i t r e X I I . et W i t t f o g e l . 1977. 81. U l m e n . 1977. c h a p i t r e X V . 82. G a b r i e l A . A l m o n d . The American People and Foreign Policy. N e w Y o r k , 1967. p p . x i p a s s i m . 83. A l e x i s d e T o c q u e v i l l e . Democracy in America, p r é s e n t é p a r J . P . M a y e r et M a x L e r n e r . N e w Y o r k . 1966. p p . 211 s q . P u b l i é en F r a n c e sous le titre De la démocratie en Amérique c h e z G a l l i m a r d . U l t é r i e u r e m e n t c i t é sous l ' a b r é v i a t i o n 1966. 84. Ibid., p p . 4 0 5 s q q . 85. Ibid., p . 2 1 2 . 86. Ibid., p . 2 1 6 . 87. W i t t f o g e l . 24 s q . . 59 s q .
« P r o b l e m s o f M a r x i s m » ( v o i r ci-dessus, n o t e 5 2 ) . p p . 20.
88. A p r o p o s d e l a c o n c e p t i o n m a r x i e n n e a p p a r e m m e n t h é r é t i q u e de l a l é g i t i m i t é de I' « a c c i d e n t » et de l a « l i b e r t é » en h i s l o i r e . e s q u i s s é e s d a n s s o n I n t r o d u c t i o n g é n é r a l e d e 1857. v o i r les Grundrisse. p. 30. M a r x f o r m u l a cette i d é e d a n s des notes diverses, o ù a p p a r a î t p a r t i c u l i è r e m e n t l a d i s p a r i t é entre m o d e d e p r o d u c t i o n et r e l a t i o n s de p r o d u c t i o n . N o u s p o u v o n s s u p p o s e r q u ' a v e c cette n o t i o n d ' a c c i d e n t - l i b e r t é , e x p r i m é e e n 1857. M a r x tentait u n e c o n c e p t u a l i s a t i o n d e l a s i t u a t i o n q u i le p r é o c c u p a i t d e p u i s p l u s i e u r s a n n é e s : celle c r é é e e n R u s s i e p a r l a « t a r t a r i s a t i o n » d u p a y s . M a r x n e r e n i a j a m a i s cette é b a u c h e d ' I n t r o d u c t i o n d e 1857. m a i s i l s'abstint d e l a p u b l i e r p a r c e q u ' i l a t t e n d a i t d ' a r r i v e r à « des r é s u l t a t s d o n t i l restait à faire l a p r e u v e » ( M E W 13. p . 7). S u r m o n c o n c e p t d ' u n e s i t u a t i o n h i s t o r i q u e o u v e r t e , v o i r p l u s l o i n . p p . 20 s q . . 526 s q . . 538 s q . 89. W i t t f o g e l . « P r o b l e m s o f m a r x i s m » . p 16 90. Ibid., p p . 18 s q . 91. V o i r U l m e n 1977. c h a p i t r e X I I . 92. Ibid., c h a p i t r e I V . 93. Ibid., c h a p i t r e X V I I . 94. M a r x . Le Capital, v o l . I ( M E W 23. p . 320). 95 M E W 1. p . 104. 9 6 M E W 2 3 . p . 3 1 2 M a r x n e p a r l a i t i c i q u e des ouvriers. M a i s il p e n s a i t c e r t a i n e m e n t q u ' u n e telle r é g é n é r a t i o n est é g a l e m e n t le d é s i r de tous les m e m b r e s de l a c o m m u n a u t é s o c i a l e q u ' i l e n v i s a g e a i t .
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PRÉFACE à la première édition Deux aspects de la présente étude ont rapidement éveillé l'intérêt : la tentative faite pour établir la spécificité d'un système semi-directorial, non occidental, de pouvoir despotique, et l'interprétation du totalitarisme communiste comme étant une variante, totalement directoriale et bien plus despotique, de ce système. Un troisième aspect a été moins largement commenté, mais c'est à lui que sont dues toutes les vérités que notre enquête a dégagées : l'utilisation de vastes concepts structuraux pour l'identification de vastes schémas de structure et de mutations sociales. Bien sûr, cette méthode n'est pas nouvelle. C'était celle d'Aristote, de Machiavel et des physiocrates. Elle donna des résultats spectaculaires lorsque Adam Smith et ses successeurs construisirent un système d'économie politique qui ne prenait en considération le détail de la fabrication et du marché qu'en le plaçant dans le cadre d'un ordre économique et social d'ensemble. Puis vinrent des années d'indifférence. Mais aujourd'hui cette méthode revient au premier plan. De vastes instruments d'analyse sont nécessaires à la compréhension de notre économie industrielle complexe, nationale et internationale. On ne peut s'en passer si l'on Veut apprécier d'une manière correcte les pratiques complexes du monde communiste. Aujourd'hui, les économistes réclament à grands cris une nouvelle macro-économie. Et les sociologues, dans un autre domaine, sont aussi avides de trouver ce que l'on peut appeler des méthodes macro-analytiques de recherche. I.a révolution macro-analytique est, dans la crise intellectuelle présente, celle qui a le plus de chances de se développer. Elle n'y parviendra que si la réalité empirique est envisagée dans sa profondeur géo-historique et que si nous intégrons à notre appareil mental les vastes concepts, éprouvés, de nos prédécesseurs intellectuels. Les efforts faits pour apprécier le phénomène du totalitarisme communiste, en tant que direction collective
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et autocratie, économie de pouvoir et économie de subsistance, auto-perpétuation et auto-destruction, seront plus nuisibles qu'utiles si nous nous fondons essentiellement sur les expériences des sociétés à centres multiples et si nous négligeons le seul précédent important d'absolutisme J durablement victorieux : le despotisme oriental. Les efforts < faits pour expliquer les crises agraires de l'U.R.S.S. et de la Chine communiste ne donneront que des résultats incertains si l'agriculture soviétique est interprétée en termes d'agriculture américaine et l'agriculture chinoise en termes d'agriculture soviétique. De tels efforts sont macro-analytiques quant à leur intention, mais méso-analytiques quant à leurs résultats. Ils généralisent d'une manière illégitime à partir d'une base empirique limitée et inadéquate. Une enquête macro-analytique authentique utilisera avec soin l'héritage théorique qui est le sien, exactement comme l'ingénieur qui s'efforce d'épuiser toutes les possibilités créatrices que lui offre sa technique sur la terre, sous la mer et dans l'espace. Un savant qui pense qu'il lui faut à nouveau inventer tous ses instruments pourra bien aborder sa recherche avec un esprit vide — mais il l'abandonnera avec un esprit également vide. Correctement appliqué, un vaste concept, mis à l'épreuve de la réalité, possède une potentialité de développement considérable. S'il est implanté dans les expériences et les idées du passé, il a toutes les chances de se développer au contact des données empiriques nouvelles qu'il est à même de découvrir. Ce sont les principes macro-analytiques qui m'ont guidé lorsque, au cours des trente dernières années, j'ai tenté de définir la spécificité de l'économie chinoise comme étant un élément de la société chinoise (et « asiatique » ) spécifique. Ce sont encore eux qui m'ont guidé lorsque, au cours des quarante dernières années, j'ai tenté de définir la différence entre les dynasties chinoises de conquête et les dynasties chinoises typiques. Ils m'ont guidé, enfin, lorsque j'ai tenté de définir la différence entre le despotisme oriental, les sociétés à centres multiples de l'Occident (et du Japon), et le totalitarisme communiste (et fasciste). Ces mêmes principes continuent à me guider dans mon étude comparative du pouvoir absolu et totalitaire contemporain. Le présent ouvrage reprend le texte original du Despotisme oriental avec les quelques rares additions et corrections apportées à la troisième édition américaine et à l'édition allemande. La présente étude a bénéficié de l'aide amicale de nombreuses institutions et personnes. Je dois beaucoup
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à l'Institut d'Extrême-Orient et de Russie, de l'Université de Washington, qui m'a permis d'entreprendre les diverses recherches qui constituent la base matérielle du présent ouvrage. L'Université de Columbia, en tant qu'elle contribue à parrainer le Projet d'histoire de la Chine, à NewYork, a facilité les démarches concernant l'administration et la bibliothèque. Pendant de nombreuses années, la Fondation Rockfeller a soutenu le projet d'ensemble dont la présente étude fait intégralement partie. Les fonds accordés par la Société américaine de philosophie et la Fondation Wenner-Gren pour la recherche anthropologique ont rendu possibles les enquêtes concernant les aspects spécifiques du despotisme oriental. De nombreux êrudits ont encouragé mes efforts. Sans tenter de les énumêrer tous, je citerai, pour les remercier, Pedro Armillas, Pedro Carrasco, Chang-Chung-li, Nathan Glazer, Waldemar Gurian, Karl Menges, Frantz Michael, George P. Murdock, Angel Palerm, Julian H. Steward, Donald W. Treadgold, Hellmut Wilhem et C.K. Yang. J'ai eu la chance de débattre des principaux problèmes avec deux spécialistes éminents du totalitarisme moderne : Bertram D. Wolfe et le regretté Peter Meyer. Dans le domaine du Proche-Orient musulman et prémusulman, j'ai été tout spécialement aidé dans mes recherches par Gérard Salinger. En ce qui concerne les études sur la Chine, j'ai beaucoup emprunté à Chaoying Fang, Lienche Tu Fang, l.ea Kisselgoff et Tung-tsu-Chu, qui travaillaient tous, lors de la rédaction de ce livre, au Projet d'histoire de la Chine. Bertha Gruner a très consciencieusement tapé et revu la première esquisse d'une analyse de la société russe et de l'attitude du marxisme-léninisme à l'égard du despotisme oriental, analyse que j'avais d'abord eu l'intention de publier séparément mais qui, par la suite, a été intégrée, comme en étant un élément essentiel, au présent ouvrage. Ruth Ricard a travaillé inlassablement à mettre au point le manuscrit, qui posait de multiples problèmes quant à la forme, aux sources et à la bibliographie. Une enquête sur la nature du totalitarisme bureaucratique rencontre inévitablement de sérieux obstacles. Parmi ceux qui m'ont aidé à les surmonter, je citerai tout particulièrement Georges E. Taylor, directeur de l'Institut d'Extrême-Orient et de Russie, de l'Université de Washington, qui ne cessa jamais d'encourager mes efforts et de soutenir ce qui, parfois, semblait ne jamais devoir trouver d'achèvement, et ma femme et plus proche collaboratrice, Esther S.Gold-Franck, qui partagea toutes les tâches concernant la mise en lumière des vérités scientifiques fondamentales et des valeurs humaines.
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C'est la foi en ces valeurs qui m'a jeté derrière les barbdlés des camps de concentration de Hitler. Mes pensées vont, enfin, à ceux qui, comme moi, ont connu l'enfer de la terreur totale. Certains d'entre eux souhaitaient qu'un vaste renversement des rôles leur permît d'être les gardiens et les maîtres d'un régime dont ils avaient été les prisonniers et les victimes. Ils s'opposaient, non aux moyens totalitaires, mais aux fins au service desquelles ces moyens étaient employés. D'autres ont eu une attitude différente. Ils m'ont demandé, si jamais l'occasion m'en était donnée, d'expliquer à tous ceux qui voudraient bien m'entendre, l'inhumanité du pouvoir totalitaire sous toutes ses formes. Ce sont ces hommes qui, sans cesse et plus que je ne puis le dire, ont inspiré mon effort dans la recherche d'une compréhension plus profonde de la nature du pouvoir absolu. New-York, septembre 1962.
Karl A. Wittfogel.
LE
PÉROU
INTRODUCTION
1 . — Lorsqu'aux 16 et 17 siècles, àia suite de la révolution commerciale et industrielle qui s'effectua en Europe la puissance et le commerce européens s'étendirent jusqu'aux lieux les plus reculés de la terre, un certain nombre de voyageurs et de savants occidentaux doués d'un esprit pénétrant firent une découverte intellectuelle comparable aux grandes découvertes géographiques de la même époque. Examinant les civilisations du Proche-Orient, de l'Inde, de la Chine, ils y trouvèrent une combinaison caractéristique d'éléments institutionnels qui n'existaient ni dans l'Antiquité classique, ni dans l'Europe du moyen âge, ni dans l'Europe contemporaine. Les économistes classiques devaient tirer de cette découverte le concept de société « orientale » ou « asiatique ». Les différentes sociétés orientales avaient, semble-t-il, un trait commun : la force despotique de leur autorité politique. Bien entendu, l'Europe connaissait elle aussi les gouvernements tyranniques : l'essor du système capitaliste coïncida avec le développement de l'absolutisme. Mais les observateurs comprirent que l'absolutisme oriental était beaucoup plus total et pesait d'un poids plus lourd que son homologue occidental. Pour eux le despotisme « oriental » constituait la forme la plus dure du pouvoir absolu. Les théoriciens du gouvernement, Montesquieu par exemple, furent frappés d'abord par l'oppression que le despotisme oriental faisait peser sur les personnes, les économistes par le système de propriété et d'organisation. Les économistes classiques furent impressionnés par les grands travaux d'irrigation et d'aménagement des voies fluviales. Et ils notèrent que pratiquement partout en Orient le gouvernement est le plus grand propriétaire foncier (1). Ces intuitions étaient extraordinaires. Elles étaient en fait, un point de départ pour une étude systématique et comparative du pouvoir absolu. Cette étude ne fut jamais entreprise. Pourquoi ? En elle-même, la dérobade e
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des sociologues devant le problème du despotisme oriental est troublante. Mais elle devient explicable si l'on considère les transformations survenues au 19" siècle dans les conditions de la vie occidentale. L'absolutisme prévalait en Europe quand Bernier décrivit ses expériences dans le Proche-Orient et dans l'Inde des grands Mogols, et quand Montesquieu écrivit l'Esprit des Lois. Mais, vers le milieu du 19 siècle, des gouvernements représentatifs s'établirent dans la plupart des pays possédant une industrie développée. La sociologie se consacra alors aux problèmes qui paraissaient les plus urgents. e
2. — Heureuse époque ! Heureuse en dépit des souffrances qu'un système industriel en expansion imposait à des masses d'hommes et de femmes défavorisés. Effrayé par leur sort, John Stuart Mill proclama en 1852 que « les contraintes du communisme sembleraient la liberté en comparaison de la situation actuelle de la plus grande partie de la race humaine» (2). Mais il déclara également que le système industriel actuel, fondé sur le capital privé, quand il aurait dépassé l'âge ingrat, pourrait satisfaire les besoins de l'homme sans pour autant le réduire « à une docile uniformité de pensées, de sentiments et d'actions » (3). Heureuse époque ! Ses enfants, l'esprit critique toujours en éveil, pouvaient combattre le despotisme limité du privilège et du pouvoir, parce qu'ils ne vivaient pas dans un système d'« esclavage généralisé» (a). En fait, l'expérience de l'absolutisme leur était si étrangère qu'ils ne ressentaient aucunement le besoin d'étudier ce phénomène. Quelques-uns, Max Weber par exemple, firent de certains aspects de la bureaucratie et du mécanisme gouvernemental orientaux une étude pénétrante bien qu'elle restât peu systématique. Mais, dans l'ensemble, ce que dit Bury vers la fin de cette période de libéralisme est vrai : on fit peu de tentatives pour cerner par une étude comparative détaillée les caractéristiques de l'absolutisme (4). Heureuse époque ! Elle attendait en toute confiance du soleil levant de la civilisation qu'il dissipât les dernières traces de despotisme qui obscurcissaient encore les voies du progrès. 3. — Mais le soleil de midi n'accomplit pas les promesses de l'aurore. Des bouleversements politiques et sociaux plus terrifiants qu'aucun de ceux qui auparavant (a) Marx (1939 : 395) appliqua ce terme au despotisme oriental sans comprendre que des formes plus complètes d'esclavage d'Etat pouvaient se développer dans une société industrielle.
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avaient ébranlé les fondements de la science moderne démontrèrent avec une évidence cruelle que ce qui avait été précédemment acquis n'était ni assuré ni définitif. Le pouvoir totalitaire, loin de s'effriter sans bruit, progresse comme un mal virulent et contagieux. Ce sont de telles conditions qui remettent en mémoire les expériences anciennes des formes extrêmes de despotisme. Ce sont de telles conditions qui incitent à une analyse nouvelle et approfondie de la société orientale — ou, comme je préfère maintenant la nommer, hydraulique. 4. — Pendant trente ans, j'ai étudié les fondements institutionnels du despotisme oriental ; et je me suis longtemps contenté de le désigner sous le nom de « société orientale ». Mais plus j'avançais dans mon enquête, plus je sentais la nécessité d'une terminologie nouvelle. Il m'a paru nécessaire d'établir une différence entre l'économie agricole qui ne demande qu'une irrigation restreinte (hydroagriculture) et l'économie agricole qui nécessite des travaux d'irrigation et de régulation des inondations sur une grande échelle et dirigés par l'Etat (agriculture hydraulique). J'en vins donc à penser que les termes de « société hydraulique » et de « civilisation hydraulique » expriment avec plus d'exactitude que les termes traditionnels les caractéristiques de ('objet de notre étude. Cette nouvelle terminologie, qui met l'accent sur les institutions plutôt que sur la géographie, facilite la comparaison avec la « société industrielle » et la « société féodale ». Et elle nous permet, sans que nous ayons besoin de transposer les particularités de chaque société, d'inclure dans le champ de notre enquête aussi bien les civilisations agraires plus évoluées de l'Amérique pré-colombienne que les civilisations hydrauliques analogues de l'Afrique orientale et du Pacifique, en particulier celle des îles Hawaii. En soulignant le rôle prééminent du gouvernement, le terme « hydraulique » avec ce qu'il implique et tel que je le définis, attire l'attention sur le caractère agro-directorial (*) et agro-bureaucratique de ces civilisations. 5. —• L'enquête actuelle va bien au-delà des découververtes des premiers spécialistes de la société orientale. Dans les pages qui suivent je tente de décrire systématiquement la réponse que donne l'homme, au moyen de techniques hydrauliques, aux conditions créées par l'aridité, la semiaridité, ou la trop grande humidité. J'indique également (*) N o u s traduisons ainsi le (N. d. T.).
mot agromanagerial
employé
par l'auteur
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comment les aspects majeurs de la société hydraulique se combinent pour former un vigoureux ensemble institutionnel. Il s'agit d'un complexe géo-institutionnel qui a ceci de commun avec la société industrielle qu'une zone restreinte et centrale a une influence décisive sur de vastes zones périphériques et intermédiaires. En bien des cas, ces zones marginales sont politiquement liées aux zones hydrauliques centrales ; mais elles ont aussi une existence indépendante. Il est manifeste que les institutions qui dans un Etat agro-despotique régissent l'organisation et l'acquisition de la propriété peuvent s'étendre hors du cadre des institutions hydrauliques qui, à en juger par ce que nous savons, se retrouvent à l'origine de tout despotisme de type agraire ayant une certaine importance historique. Il est indispensable de comprendre les relations entre la zone centrale et les zones périphériques d'une société hydraulique — phénomène à peine identifié par les pionniers qui se sont intéressés à l'objet de notre étude — si l'on veut connaître l'Occident romain, puis Byzance, la civilisation maya, et la Russie tsariste (post-mongole). En ce qui concerne la propriété privée, les premiers historiens des institutions se contentèrent d'indiquer que l'Etat oriental était maître des moyens de production essentiels, et avant tout, de la terre cultivable. La situation est en réalité beaucoup plus complexe, et en ce qui concerne la direction de la société, beaucoup plus troublante. L'histoire atteste l'existence, dans bien des sociétés hydrauliques, d'une propriété privée active et productive ; mais l'histoire montre aussi que le développement d'une telle propriété ne constituait pas pour les régimes despotiques une menace, puisque les propriétaires fonciers, en tant que tels, étaient délibérément exclus de toute organisation et du pouvoir politique. De toute évidence on a trop parlé de la propriété privée en tant que telle, et trop peu de la puissance ou de la faiblesse de la propriété et des conditions qui favorisent l'une ou l'autre de ces formes. L'analyse des différentes catégories de la propriété privée dans la société hydraulique qu'elle soit ou non bureaucratique, en fait apparaître les limites sous le régime du despotisme oriental. Le résultat de cette analyse est en contradiction avec la notion selon laquelle pratiquement toute forme d'étatisme officiellement bienfaiteur vaut mieux que la prédominance de la propriété privée, cette forme sociale que le folklore sociologique moderne exècre entre toutes. Il y a aussi le problème de classe. Richard Jones et John Stuart Mill notèrent que dans la société orientale
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les fonctionnaires jouissaient des revenus privilégiés qui, dans les sociétés occidentales, sont l'apanage des propriétaires fonciers et des capitalistes. Jones et Mili ont énoncé là une vérité capitale. Mais ils le firent en passant, et sans établir clairement que dans un régime agro-despotique la bureaucratie chargée de l'organisation devient la classe dirigeante. Ils n'ébranlèrent donc pas le concept admis de classe dont le critère essentiel est la diversification de la propriété privée La présente étude analyse les différents types de classe dans une société où les détenteurs du pouvoir despotique de l'Etat sont les dirigeants et non pas les capitalistes et les industriels. Cette façon de procéder, outre qu'elle modifie le concept même de classe dirigeante, aboutit à une réévaluation de phénomènes tels que aristocratie rurale, capitalisme, petite noblesse rurale, et corporation. Elle explique encore pourquoi on trouve dans la société hydraulique une propriété foncière bureaucratique, un capitalisme bureaucratique, une aristocratie rurale bureaucratique. Elle explique pourquoi dans une telle société, les organisations professionnelles bien qu'elles aient des traits communs avec les corporations de l'Europe médiévale en diffèrent sociologiquement. Elle explique aussi pourquoi dans une telle société, la règle est l'autocratie au sommet. Tandis que la loi de la rentabilité administrative décroissante fixe les limites de la base de la pyramide bureaucratique, la tendance cumulative au pouvoir sans contrôle est la caractéristique de son sommet (6). 6. — Celui qui innove en matière scientifique écarte inévitablement des idées anciennes. Il est inévitable également qu'il suscite les critiques des défenseurs de ces théories anciennes. Il n'est pas rare qu'une telle controverse jette sur son objet un jour nouveau. Ce fut certainement le cas avec la théorie de la société orientale (ou hydraulique). Le lecteur ne sera pas surpris d'apprendre que la théorie en question éveilla une hostilité passionnée chez les bureaucrates totalitaires modernes qui, sous le nom de communistes, gouvernent une grande partie de la population du globe. Les idéologues soviétiques qui, en 1931, déclarèrent politiquement inadmissibles le concept de société orientale et celui d'une bureaucratie dirigeante « fonctionnelle » quelle que pût être la « vérité objective » (7) reconnurent cyniquement que leurs objections: étaient inspirées par des intérêts politiques et non par
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des considérations scientifiques. En 1950, les plus grands patrons des études orientales en Union soviétique, indiquèrent comme leur réalisation la plus importante « la mise en échec de la fameuse théorie du mode de production asiatique » (8) Cette allusion au « mode de production asiatique » met en évidence le genre de problèmes que la théorie de la société orientale pose pour les communistes et explique leurs attaques. Pour comprendre ces problèmes, il faut se rappeler que Marx reconnaissait certaines valeurs du monde occidental tout en souhaitant la destruction de ses institutions modernes fondées sur la propriété privée. Marx n'avait pas comme les Soviétiques une attitude partisane en art et en science. Au contraire, il appelait « péché contre la science » et rejetait comme « misérable » toute méthode qui subordonne l'activité scientifique à un intérêt étranger à la science, fût-ce à l'intérêt des travailleurs eux-mêmes (9). Et à la suite de Richard Jones et de John Stuart Mill, il commença au début des années 1850, à utiliser le concept d'une société spécifiquement orientale ou asiatique. Mettant l'accent en particulier sur le système économique asiatique, qu'il désignait par le terme de « mode de production asiatique », Marx s'en tint fermement au conrept « asiatique » jusqu'à sa mort. Engels, malgré quelques fléchissements temporaires, s'en tint lui aussi jusqu'à la fin à la thèse de Marx. Ni Marx, ni Engels ne donnèrent une définition claire des sociétés qui apparaissent en marge de la société orientale classique ; toutefois à partir de 1853, l'un et l'autre soulignèrent le caractère « semi-asiatique » de la société tsariste et le caractère despotique, au sens oriental du terme, de son gouvernement. Lénine exprima son accord avec le concept marxien d'un mode de production spécifiquement asiatique pour la première fois en 1894, et pour la dernière en 1914. Comme Marx et Engels, il était sensible à l'importance des institutions « asiatiques » de la Russie tsariste puisqu'il voyait en elle une société « semi-asiatique » et un gouvernement despotique (10). 7. — Je ne pensais pas qu'une étude comparative du pouvoir absolu pût avoir des implications politiques lorsqu'au cours de l'hiver 1922-23 je commençai, sous l'influence de Max Weber, à faire des recherches sur les caractéristiques de la société hydraulique et sur son gouvernement. Je ne le pensais pas davantage quand en 1924, et cette fois-ci me référant à Marx aussi bien qu'à Weber, je montrai la société «asiatique» (11) comme dominée par un Etat bureaucratico-despotique (12). Je ne croyais pas avoir tiré de la version marxienne du
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concept asiatique des conclusions que Marx lui-même eût évitées quand en 1926, et employant les critères socioéconomiques de Marx lui-même, j'écrivais que le développement de la Chine dans la seconde moitié du premier millénaire de notre ère faisait du « fonctionnariat administratif — avec un empereur autocrate à sa tête — la classe dirigeante» (13), et que cette classe dirigeante, en Chine, comme en Egypte ou aux Indes, était une «puissante bureaucratie hydraulique [Wasserbau] » (14). Frappé par l'insistance avec laquelle Marx place au premier plan une recherche sans compromis (b) de la vérité, je précisai la forme de cette thèse en 1926 (15), 1927 (16), 1929 (17) et 1931 (18). En 1932, un critique soviétique analysant mon livre Wirtschaft und Gesellschaft Chinas dénonça ma foi en l'objectivité de la science (19). C'est à ce moment que les éditeurs soviétiques cessèrent de publier mes analyses de la société asiatique en général et de la société chinoise en particulier (c). Au cours des années trente, je perdis petit à petit l'espoir que la nationalisation des moyens essentiels de production en U.R.S.S. signifiât le début d'un contrôle populaire sur le gouvernement et l'avènement d'une société sans classe. Une compréhension plus profonde du caractère de la société soviétique ouvrait de nouvelles perspectives quant à la structure et à l'idéologie du despotisme bureaucratique. Un réexamen de la théorie marxiste-léniniste de la société orientale rendait évident le fait que Marx, loin d'avoir inventé le concept « asiatique », l'avait trouvé tout prêt dans les écrits des économistes classiques. Je compris en outre que bien que Marx acceptât cette conception classique dans ses grandes lignes, il n'avait
(b) J ' a i c i t é les paroles de M a r x à ce sujet en 1927 (Wittfogel, 1927 : 296) et de n o u v e a u en 1929 (ibid., 1929a : 581 et n . 60 ; v o i r aussi 585). (c) M o n article, • Geopolitik, geographischer Materialismus u n d M a r x i s mus •, q u i d é m o n t r a i t l'importance d u facteur n a t u r e l dans le d é v e l o p p e m e n t d'une s o c i é t é en g é n é r a l et dans celui d'une s o c i é t é asiatique en particulier (voir W i t t f o g e l , 1929 : 725-8) fut p u b l i é sans commentaire dans Unter dem Sanner des Marxismus, tandis que dans l a version russe de la m ê m e revue (Pod tnamenem marxiima, 1929, n<" 2/3, 6, 7/8) le r é d a c t e u r en chef i n d i q u a i t son d é s a c c o r d avec quelques-unes des t h é o r i e s de l'auteur. E n 1930, l a revue refusa de publier l a suite de m o n article, q u i approfondissait l'analyse des fondements naturels de l a s o c i é t é asiatique (voir W i t t f o g e l , 1932 : 593 s q q . , 597-608). P o u r une r é v i s i o n sur certains points de certaines de mes p r e m i è r e s t h é o r i e s sur les relations h o m m e - n a t u r e , v o i r ci-dessous, chap. 1, v o i r aussi chap. 9. M o n livre, Wirtschaft und Gesellschaft Chinas fut traduit en russe et cette t r a d u c t i o n fut c o m m u n i q u é e d a c t y l o g r a p h i é e à u n certain n o m b r e d'experts s o v i é t i q u e s à q u i on d e m a n d a une i n t r o d u c t i o n critique. A m a connaissance cette i n t r o d u c t i o n ne fut jamais é c r i t e . L a traduction ne fut jamais p u b l i é e .
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pas réussi à tirer la conclusion qui, du point de vue de sa propre théorie, semblait inévitable — à savoir que, dans les conditions du mode de production asiatique, la bureaucratie agro-directoriale constituait la classe dirigeante. L'ambiguïté de l'attitude de Lénine à l'égard du « système asiatique » est peut-être plus révélatrice encore. En 1906-1907, Lénine admettait que la prochaine révolution russe, au lieu d'instaurer une société socialiste, pourrait conduire à une « restauration asiatique ». Mais quand la première guerre mondiale ouvrit de nouvelles possibilités pour une prise de pouvoir révolutionnaire, il renonça complètement au concept asiatique qu'il avait, avec des hésitations, maintenu pendant vingt ans. Discutant les théories de Marx sur l'Etat, sans reprendre les idées marxiennes d'un Etat asiatique et du despotisme oriental de la Russie tsariste, Lénine écrivit le livre sans doute le plus malhonnête de sa carrière politique : L'Etat et la Révolution. Cet abandon progressif du concept asiatique en U.R.S.S. qui devint total lorsqu'en 1938 Staline refit à sa façon la théorie marxienne du mode asiatique de production, fut la suite logique de l'abandon par Lénine du concept « asiatique » à la veille de la révolution bolchevique. 8. — La campagne contre le concept « asiatique » montre que les dirigeants intellectuels du camp communiste sont incapables d'étayer ce refus par des arguments rationnels. Cela à son tour explique les méthodes indirectes et négatives mais seulement d'une façon primaire par lesquelles les amis du totalitarisme communiste dans le monde non communiste supposèrent au concept ainsi mis hors la loi. Pour les non initiés, ces méthodes, qui n'hésitent pas à déformer ou à passer sous silence les arguments d'autrui plutôt qu'à accepter la discussion ouverte, ne font que semer la confusion. Pour les initiés, elles trahissent une fois de plus l'absence de valeur scientifique des attaques les les plus puissamment orchestrées contre la théorie de la société orientale (hydraulique). 9. — L'image de la société hydraulique que donne la présente étude exige des concepts bien définis pour les ensembles sociaux types et leur développement (*). Il ne
(*) Le texte anglais emploie le mot « societal » qui qualifie l'ensemble d une société et dont il n'existe pas d'équivalent en français (N. d. T . ) . >
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fait aucun doute que l'histoire personnelle de chaque homme comporte structure et cohésion. Tous les individus fondent leur conduite sur la conviction qu'il existe un lien nécessaire entre la norme d'hier et celle d'aujourd'hui et de demain. Et l'histoire de l'humanité comporte aussi structure et cohésion. Les individus et les groupes d'individus parlent volontiers d'unités institutionnelles, unités qu'ils voient à l'œuvre dans le présent et qu'ils s'attendent à voir fonctionner, modifiées peut-être mais reconnaissables, dans l'avenir. L'agnosticisme devant le problème du développement cesse par conséquent d'être plausible dès lors que l'on cherche à en donner une définition claire. Cependant l'absurdité de l'attitude agnostique en cette matière ne justifie en aucun cas la théorie d'une transformation historique qui mette l'accent sur un développement de la société selon une direction unique, irrésistible et nécessairement en progrès. L'acceptation par Marx et Engels de l'idée d'une société asiatique à part et stabilisée montre le manque de sincérité doctrinale de ceux qui, au nom de Marx, essayent d'imposer leur conception monolinéaire. Et l'étude comparative des structures sociales démontre la fragilité empirique de leur position. Une telle étude met à jour un modèle (*) socio-historique complexe qui contient la notion de stagnation aussi bien que celle de développement, de conversion et de régression aussi bien que celle de progrès. En révélant les possibilités et les pièges des situations historiques ouvertes, ce concept assigne à l'homme une profonde responsabilité morale à laquelle la théorie monolinéaire, avec son fatalisme fondamental, ne fait aucune place. 10. — Logiquement, j'ai commencé mon enquête par l'étude de l'ordre social dont le despotisme agro-directorial est l'un des éléments ; j'ai souligné l'originalité de cet ordre en le nommant « société hydraulique ». Mais je n'hésite pas à employer les termes traditionnels de « société orientale » et « société asiatique » comme des synonymes de « société hydraulique » et de « société agrodirectoriale » ; et tout en utilisant les termes « hydraulique » « agro-bureaucratique » et « despotisme oriental » de manière interchangeable, j'ai préféré employer la formulation plus ancienne de « despotisme oriental > pour mon titre, en partie pour souligner la portée historique de mon concept central et en partie parce que la majorité des grandes civilisations hydrauliques se développèrent
(*) N o u s traduisons ainsi le mot anglais pattern ( N . d. T . ) .
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dans ce que l'on a coutume d'appeler l'Orient. Mon idée première était de publier cette étude sous le titre de La Société orientale. L'ancienne terminologie pose bien le problème, si nous examinons les développements récents. Car tandis qu'il reste à peine quelques traces de la société hydraulique dans certaines régions de l'Amérique latine, le maintien de cet ordre ancien est au contraire tout à fait évident dans bien des pays de l'Orient proprement dit. Le problème d'une société hydraulique en état de transition est donc avant tout le problème de cette région. Sous quelles influences et de quelle manière les peuples d'Orient rejettent-ils les conditions de la société hydraulique qu'ils ont conservées pendant des millénaires ? La portée de cette question n'apparaît que si nous considérons que le despotisme oriental atomisa ces groupes non bureaucratiques et ces couches sociales qui, dans l'Europe et le Japon féodaux, amorcèrent le développement de la société commerciale et industrielle. Nulle part, semble-t-il, la société hydraulique, sans aide extérieure, n'a fait un tel progrès. C'est pour cette raison que Marx parlait de société asiatique stabilisée et attendait de la domination britannique sur l'Inde qu'elle accomplît « la seule révolution sociale jamais connue en Asie » en y imposant une société non asiatique fondée sur la propriété privée (20). Les événements qui suivirent montrent que Marx avait sérieusement surestimé le potentiel révolutionnaire de l'économie capitaliste. Bien sûr, la domination occidentale aux Indes et dans les autres pays d'Orient créa de nouvelles possibilités pour un développement non totalitaire ; mais à la fin de l'ère du colonialisme occidental et malgré l'instauration de gouvernements parlementaires de différents types, les leaders politiques orientaux subissent encore fortement l'attraction d'une politique bureaucratico-directoriale qui assure à l'Etat la puissance suprême et affaiblit à l'extrême le secteur non bureaucratique et privé de la société. 11 — Dans ce contexte, certains aspects du développement récent de la Russie méritent l'examen le plus attentif. La civilisation, marginalement orientale, de la Russie tsariste était largement influencée par l'Occident, bien que la Russie ne soit jamais devenue une colonie ni même une semi-colonie orientale. L'occidentalisation de la Russie transforma radicalement son climat politique et économique et au printemps de 1917 ses forces antitotalitaires eurent l'occasion d'accomplir la révolution sociale anti-asiatique que Marx, en 1853, avait envisagée pour les Indes. Mais à l'automne 1917, ces forces anti-
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totalitaires furent battues par les bolcheviks, champions d'un nouvel ordre totalitaire. Elles furent battues parce qu'elles laissèrent passer l'occasion d'utiliser le potentiel démocratique dans une situation historique momentanément ouverte. Du point de vue de la liberté individuelle et de la justice sociale, 1917 est probablement l'année la plus néfaste de l'histoire moderne. Les dirigeants intellectuels et politiques de l'Asie non communiste qui font profession de croire à la démocratie et qui pour la plupart parlent de Marx avec déférence, ne feront face à leur responsabilité historique que lorsqu'ils affronteront l'héritage du monde despotique et oriental avec plus de lucidité que Marx ne l'avait fait. A la lumière de l'expérience russe de 1917, ils devraient être en mesure de considérer la question d'une « restauration asiatique » non seulement par rapport à la Russie, mais aussi par rapport à l'Asie d'aujourd'hui. 12. — Les maîtres du super-Etat totalitaire moderne construisent de puissantes institutions intégrées avec lesquelles, disent-ils, nous ne pouvons rivaliser. Et ils exposent des idées à la fois puissantes et intégrées que, disent-ils, nous ne pouvons combattre. Ils ont raison sur un point. Nous n'avons pas de système totalitaire, pas de pouvoir ni d'idéologie intégrés. Une pléiade d'événements historiques favorables nous ont permis d'éviter ces développements monstrueux qui paralysent la recherche de la vérité scientifique et du progrès social. Mais nos adversaires ont tort de nous tenir pour incapables d'association volontaire parce que nous rejetons les disciplines d'un esclavage généralisé, d'un esclavage d'Etat. Ils ont tort de nous tenir pour incapables de produire des grandes idées fortement structurées parce que nous rejetons le dogme imposé par l'Etat. La liberté politique ne s'identifie pas à l'absence d'action organisée, quelle que puisse être la joie de nos ennemis s'il en était ainsi. Et la liberté intellectuelle ne s'identifie pas à l'absence de pensée intégrée. C'est seulement dans des conditions de libre discussion que des systèmes de pensée portant sur de larges secteurs peuvent véritablement être mis à l'épreuve. Dans un passé récent, les savants se sont souvent consacrés à des études de détail, parce qu'ils tenaient les grands principes de la vie et de la pensée pour acquis. Voyant ces principes menacés, ils commencent aujourd'hui à se rappeler que les pionniers de la pensée moderne considérèrent la nature et la société comme des ordres intégres dont ils exploraient l'architecture. Les Newton, Montes-
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quieu, Adam Smith, Darwin, fournirent de nouvelles interprétaiions du monde aussi spontanées que cohérentes, aussi hardies que compétentes. On ne peut pas combattre quelque chose avec rien. Dans une situation de crise, tout vide théorique comme toute vacance du pouvoir appelle la catastrophe. On est inexcusable de laisser l'ennemi agir à sa guise lorsqu'on a de son côté des réserves infinies de forces supérieures, Nous sommes sans excuse si nous laissons les stratèges totalitaires faire parade de leur doctrine artificielle sur un terrain qui nous appartient en toute légitimité. Rien n« peut nous justifier de perdre la bataille des idées par forfait. L'étude scientifique a ses lois internes. Mais elle ne gagne le privilège d'être libre que lorsque, prenant ses racines dans l'héritage du passé, elle fait vigoureusement) front aux menaces d'un présent déchiré et qu'elle exploité] hardiment les possibilités d'un avenir ouvert.
CHAPITRE PREMIER
LE CADRE NATUREL DE LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE
A. ~ VARIATIONS RÉCIPROQUES DE LA NATURE E T DE L'HOMME Contrairement à la croyance populaire selon laquelle la nature reste toujours identique à elle-même — croyance qui a engendré les théories statiques du milieu déterminant et le rejet tout aussi statique de ces mêmes théories —- la nature se trouve profondément modifiée toutes les fois que l'homme, en réponse à des événements historiques simples ou complexes, modifie profondément son équipement technique, son organisation sociale et sa vision du monde. L'homme ne cesse jamais d'agir sur son milieu naturel. Il le transforme constamment ; et il actualise (a) des forces nouvelles toutes les fois que ses efforts le font accéder à des entreprises d'un niveau supérieur. L'accession à ce niveau supérieur d'entreprise et la direction que cette entreprise prendra dépendent d'abord de l'ordre institutionnel (b) et en second lieu du but final de l'acti-
(a) P o u r les termes « transformation » et « actualisation » au sens o ù ils sont e m p l o y é s i c i . v o i r W i t t f o g e l , 1932 : 482. (b) Cette f o r m u l a t i o n d i f f è r e d u concept, q u i é t a i t p r é c é d e m m e n t le mien, des relations entre l'homme et l a nature (voir Wittfogel, 1932 : 483 s q q . , 712 sqq.), p o u r l'accent qu'il met sur l'importance primordiale des facteurs institutionnels (et culturels). De ces p r é m i s s e s s'ensuit l a reconnaissance de la l i b e r t é q u ' a l'homme de faire un choix authentique dans les situations historiques ouvertes, point q u i sera d é v e l o p p é à l a fin de ce chapitre. Ces corrections e x c e p t é e s — et elles sont essentielles à l a critique que je fais de certaines i d é e s de M a r x que j'avais a u p a r a v a n t a c c e p t é e s — je maintiens en substance mes t h é o r i e s p r e m i è r e s (voir Wittfogel, 1931 : 21 s q q . ; ibid., 1932 : 486 sqq.).
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vite humaine : le monde physique, chimique et biologique lui est accessible. A conditions institutionnelles égales, c'est la différence de milieu naturel qui suggère et permet — ou exclut -— le développement de formes nouvelles de technologie, de subsistance, de pouvoir social. Une cascade n'intéressait guère l'homme primitif si ce n'est comme délimitation naturelle ou objet de vénération. Quand l'homme sédentaire donna à l'industrie un développement hautement mécanisé, il actualisa l'énergie motrice de l'eau ; et un grand nombre d'entreprises nouvelles (moulins) s'édifièrent sur les rives des cours d'eau rapides. La découverte du potentiel technique contenu dans le charbon rendit l'homme sensible à la géologie comme il ne l'avait jamais été auparavant, et le moulin à eau devint une survivance romantique dans le paysage d'après la révolution industrielle, dominé par la machine à vapeur. Au cours de ces dernières années, l'homme a découvert l'énergie productrice de l'électricité. Il tourne de nouveau son attention vers les chutes d'eau. Mais alors même que l'ingénieur du 20 siècle construit une station hydroélectrique à l'endroit où s'élevait auparavant une usine de textiles, il actualise des forces nouvelles dans un site ancien. La nature acquiert une fonction nouvelle ; et petit à petit, elle prend aussi un aspect nouveau. e
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B. — LA PLACE DE LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE DANS L'HISTOIRE Ce qui est vrai pour le paysage industriel l'est aussi pour le paysage rural. Le potentiel hydraulique des régions de la terre pauvres en eau ne s'actualise que dans des conditions historiques spécifiques. L'homme primitif connaît depuis des temps immémoriaux des régions pauvres en eau ; mais tant qu'il pouvait compter sur la cueillette, la chasse et la pêche, il n'avait guère besoin d'organiser le contrôle des ressources en eau. Ce n'est qu'après qu'il eut appris à utiliser les procédés de reproduction du monde végétal qu'il s'est mis à apprécier les possibilités de culture de certaines zones sèches qui possédaient des ressources en eau autres que les chutes de pluie locales. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il commença à exploiter les possibilités récemment découvertes d'un site ancien, en pratiquant une agriculture d'irrigation restreinte (hydroagriculture) et /ou une agriculture d'irrigation à grande échelle et dirigée par le gouvernement. Ce n'est qu'alors que se trouvèrent réunies les conditions favorables à des formes despotiques de gouvernement et de société.
L E C A D R E N A T U R E L D E L A S O C I É T É H Y D R A U L I Q U E (1,
C)
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Les conditions favorables, non pas la nécessité. De grands travaux régulateurs de l'eau ne créent pas nécessairement un ordre hydraulique s'ils font partie d'un complexe non hydraulique plus large. Les travaux de la plaine du Pô, de Venise et des Pays-Bas modifièrent les conditions régionales ; mais ni le nord de l'Italie, ni la Hollande ne donnèrent naissance à un système hydraulique de gouvernement et de propriété. Même les Mormons, qui établirent une agriculture hydraulique florissante au cœur des régions arides de l'Amérique du Nord, ne réussirent jamais à éliminer complètement l'influence politique et culturelle du milieu industriel plus large qui les entourait. L'histoire des « Saints des Derniers Jours s> illustre à la fois le potentiel organisationnel de l'irrigation pratiquée sur une large échelle et les limitations qu'impose au développement des institutions hydrauliques la prédominance d'une société occidentale. Ainsi, ni l'excès ni la pénurie d'eau ne conduisent nécessairement à un contrôle gouvernemental de l'eau ; et le contrôle gouvernemental de l'eau n'implique pas non plus nécessairement des méthodes gouvernementales despotiques. C'est seulement au-dessus du niveau d'une économie fondée sur les ressources naturelles, au-delà de l'influence des centres puissants d'agriculture « pluviale » et au-dessous du niveau d'une civilisation industrielle fondée sur la propriété privée que l'homme, réagissant de manière spécifique à un milieu pauvre en eau tend vers un mode de vie spécifiquement hydraulique. C. — L E CADRE NATUREL 1.
-
A
CONDITIONS
NATURELLES DE
HISTORIQUES
FONDAMENTALES
DIFFÉRENCES
ÉGALES,
SONT
DES
DIFFÉRENCES
D'ÉVENTUELLES
INSTITUTIONNELLES
CAUSES
DÉCISIVES
Les modes de vie agraire se différencièrent avant l'âge industriel sous l'influence de nombreux facteurs. Mais aucun n'eut la portée institutionnelle de celui que présen*ent les contradictions stimulantes des zones arides qui possèdent des ressources en eau autres que les chutes de pluies locales. Dans les conditions de l'agriculture pré-industrielle que je viens de définir, cette configuration naturelle influença de manière décisive le comportement de l'homme économique et social. S'il voulait cultiver des terres sèches mais potentiellement fertiles de manière permanente et rentable, il lui fallait assurer une irrigation régulière. De toutes les tâches imposées par le milieu naturel, celle qu'imposait 3
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une situation de pénurie en eau poussa d'une façon décisive l'homme à instaurer des méthodes hydrauliques de contrôle social. 2. - DE QUELQUES FACTEURS NATURELS ESSENTIELS A L'AGRICULTURE
L'eau n'est pas l,e seul facteur naturel indispensable à de bonnes récoltes. Quiconque veut cultiver la terre a besoin d'avoir à sa disposition les plants utiles, une terre arable, l'humidité convenable, la température appropriée (suffisamment de soleil et une saison de maturation adéquate) et une configuration praticable du terrain (relief, surface) (a). Tous ces éléments sont également essentiels. L'absence de l'un quelconque d'entre eux détruit la valeur agrononomique de tous le¿ autres. La culture est impossible si l'action humaine ne vient pas remédier à l'absence de l'un des facteurs essentiels. 3. - CERTAINS FACTEURS ESSENTIELS SONT RÉFRACTAIRES A L'INTERVENTION COMPENSATRICE ; D'AUTRES SUSCEPTIBLES DE COMPENSATION
L'efficacité de l'intervention compensatrice de l'homme dépend de la facilité avec laquelle on peut remplacer un facteur naturel essentiel quand il est absent. Certains facteurs doivent être considérés comme des constantes parce que même s'il existe déjà des conditions technologiques, ils sont, en ce qui concerne une application pratique, hors du contrôle humain. D'autres sont plus faciles à contrôler. L'homme peut les manœuvrer ou si cela est nécessaire, les changer. La température et la surface sont les constantes les plus invariables du paysage agricole. C'était vrai pour l'ère prémécanisée ; c'est encore essentiellement vrai aujourd'hui. Les tentatives de l'époque pré-industrielle pour transformer la température dans les zones d'agriculture, n'ont, pour des raisons évidentes, pas été couronnées de succès ; et même des réalisations telles que le chauffage central et l'air conditionné n'ont apporté aucun changement majeur. L'homme pouvait encore moins parvenir à modifier les circonstances cosmiques qui en dernier ressort déterminent la température de la terre.
(a) P o u r des tentatives analogues de d é f i n i t i o n des facteurs naturels de base de l'agriculture, v o i r CM : 125 ; SM : 753 ; W i d t s o e , 1928 : 19 sqq. ; B u c k , 1937 : 101.
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La configuration du terrain a également défié l'effort humain. L'homme a fait quelques aménagements mineurs, il a par exemple aplani ou pratiqué une culture en terrasses — le plus souvent semble-t-il en relation avec des travaux hydroagricoles. Mais avant que les machines à vapeur et les explosifs à grande puissance ne fussent inventés, le relief du globe se trouvait, à peu de choses près, intact. L'agriculture mécanisée elle-même, comme les formes d'agriculture techniquement moins avancées, obtient des résultats sur les surfaces égales des plaines ou sur les pentes douces des collines et non dans les montagnes déchiquetées. La végétation et le sol n'opposent pas à l'activité humaine une résistance semblable. L'agriculteur manipule plantes et sols. Il sait transférer des plantes utiles dans les régions qui en manquent, il pratique cela souvent. Cependant une telle action est sporadique et limitée dans le temps ; elle cesse quand son objectif précis est atteint. Dans une zone agricole donnée, les opérations en vue d'une récolte se répètent régulièrement ; mais les plantes couvrent le sol d'une manière discontinue et, bien que dans certaines circonstances le travail agricole puisse se coordonner et devenir travail d'équipe, rien dans la nature spécifique de la plante ou même d'un ensemble de plantes ne requiert de façon impérative la coopération sur une vaste échelle comme une condition indispensable à une culture prospère. Avant le machinisme, l'agriculture se pratiquait généralement avec beaucoup d'efficacité lorsqu'elle était la charge exclusive de cultivateurs individuels ou réunis en petits groupes. Le second facteur variable, le sol, suit des lois analogues, avec des limitations particulières déterminées par la teneur plus ou moins forte en substances minérales pulvérisées. Tandis que l'on a souvent implanté certaines espèces de végétaux dans des régions qui ne les produisaient pas naturellement, on a rarement fourni de la terre arable à des régions stériles. Sans aucun doute, on a amélioré des champs pauvres ou inutilisés en y apportant une terre plus fertile. Mais une telle intervention change peu de choses au caractère d'une région agricole de quelque importance (1). L'homme tente d'abord d'adapter le sol primitif aux nécessités de sa récolte en binant, en bêchant ou en labourant et, à l'occasion, en améliorant sa composition au moyen d'engrais. Le sol est donc susceptible d'aménagements, mais d'aménagements qui ne requièrent pas des groupes de travail d'une ampleur supérieure à celle des groupes qui suffisaient à la culture simple de la terre. Et même lorsque, dans des conditions primitives, le défrichage du sol et les travaux de la moisson sont faits en commun
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par des groupes importants, la culture des champs proprement dite est généralement confiée à un individu ou à un groupe très restreint. 4. - L E S QUALITÉS SPÉCIFIQUES DE L'EAU
Comparée aux autres éléments naturels indispensables à l'agriculture, l'eau est spécifique. La température et la configuration du terrain, à cause de leur appartenance respective à la cosmologie et à la géologie, ont pu empêcher absolument ou limiter considérablement l'action humaine pendant toute la période pré-industrielle et encore par la suite. Au contraire, l'eau n'est jamais ni trop éloignée, ni d'une utilisation impossible. De ce point de vue, elle est analogue à ces deux autres variables, la végétation et le sol. Mais elle en diffère considérablement par les modalités de son transport et les techniques nécessaires à son utilisation. L'eau est plus lourde que la plupart des plantes. Cependant elle est beaucoup plus facilement utilisable. N'étant pas gênée par la rigidité de la matière solide et suivant la loi de la gravité, l'eau coule automatiquement vers le point accessible le plus bas et le plus proche. A l'intérieur d'un site agricole donné, l'eau est, par excellence (*), la variable naturelle. Et ce n'est pas tout. Coulant automatiquement, l'eau se répartit inégalement dans le site, elle s'amasse sous la surface du sol en nappes souterraines, ou elle se présente à la surface dans des cuvettes distinctes (creux, mares, lacs), ou elle coule en lits continus (cours d'eau, rivières). De telles formations sont d'une importance mineure dans une zone agricole jouissant d'abondantes précipitations, mais elles deviennent d'une importance énorme pour les sites pauvres en eau. L'homme qui doit mettre l'eau en œuvre est en présence d'une substance non seulement plus mobile que les autres variables agronomiques, mais aussi plus massive. Cette dernière particularité crée des difficultés spécialement lorsqu'il s'agit pour l'homme d'utiliser d'abondantes réserves d'eau ; et c'est ce qu'il tend à faire, toutes les fois que les conditions naturelles et technologiques le permettent. Aucune nécessité technique ne l'oblige à manipuler le sol ou les plantes dans un travail collectif. Mais la masse de toutes les ressources en eau, excepté les plus petites, crée un type de travail technique pour lequel la seule solution est la coopération.
(•)
E n français
dans le texte ( N . d. T . ) .
L E CADRE NATUREL DE LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE (1, D)
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D. — L E POTENTIEL HYDRAULIQUE DOIT-IL ÊTRE ACTUALISÉ ? 1. - U N E SITUATION HISTORIQUE OUVERTE — MAIS DES TYPES DE RÉPONSE IDENTIFIABLES
La contradiction dynamique inhérente à un site potentiellement hydraulique est évidente. Un tel site reçoit des pluies insuffisantes ou pas de pluie du tout ; mais il possède d'autres ressources, accessibles, en eau. Si l'homme décide de les utiliser, il peut transformer des terres sèches en champs et en jardins fertiles. Il le peut mais le veut-il ? Qu'est-ce qui le pousse vers une entreprise qui exige de grands efforts et lourde de conséquences institutionnelles hautement imprévisibles ? L'histoire est témoin que de nombreux groupes ethniques ont pris cette décision. Elle témoigne aussi que beaucoup d'autres ne l'ont pas prise. Pendant des millénaires des tribus vivant de la cueillette, de la chasse, de la pêche, de l'élevage, ont habité des régions hydrauliques en puissance, souvent à proximité d'agriculteurs utilisant l'irrigation, mais peu ont abandonné leurs occupations traditionnelles pour un mode de vie hydroagricole. Manifestement, aucune nécessité irrésistible ne contraignait l'homme à utiliser les nouvelles ressources naturelles. La situation était ouverte et la voie de l'hydroagriculture n'était que l'un des choix possibles. Cependant, l'homme a si souvent choisi cette voie et dans tant de régions éloignées les unes des autres que nous pouvons conclure, dans l'ensemble, à la régularité aussi bien de l'évaluation que du procédé. L'homme recherche un avantage reconnu. Toutes les fois que des causes internes ou externes suggèrent une modification dans la technologie, dans la production matérielle ou dans les relations sociales, il compare les mérites de la situation existante avec les avantages — et les désavantages — qui peuvent résulter de la modification envisagée. Un effort particulier est nécessaire pour atteindre le nouvel objectif ; et cet effort peut comporter non seulement une plus grande somme de travail et le passage d'une occupation plaisante à une occupation moins plaisante, mais aussi des réajustements sociaux et culturels impliquant une perte plus ou moins importante de l'indépendance individuelle et politique. Quand la somme des bénéfices supplémentaires dépasse manifestement et de façon convaincante les sacrifices
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exigés, l'homme accepte facilement le changement ; mais un avantage problématique le laisse généralement froid. Ici comme ailleurs, l'économie humaine comporte des rubriques matérielles et d'autres non matérielles ; si l'on tente de la formuler en termes quantitatifs de biens matériels (marchandises), on ne parviendra pas à un résultat satisfaisant. Bien entendu le facteur matériel pèse lourdement, mais son importance relative ne peut être définie raisonnablement que si l'on reconnaît pleinement l'importance d'autres valeurs, telles que la sécurité personnelle, l'absence d'oppression, et les modes de pensée et d'action que le temps a rendus vulnérables. Les historiens de la civilisation ont fait beaucoup de bruit autour du fait qu'au cours de l'époque « récente » de la géozoologie (1) des groupes humains ont adopté l'agriculture, soit comme occupation de complément, soit, et de plus en plus, comme principal moyen de subsistance. Sans aucun doute, cette modification a influé sur le sort de l'humanité ; mais toute référence à la loi de l'avantage doit tenir compte du fait que beaucoup de groupes primitifs ne se sont pas convertis à l'agriculture, ni à l'époque où celle-ci en était à ses débuts, ni après l'avènement de puissantes civilisations agraires organisées en classes. La solution agraire ne présentait qu'un attrait limité — et à des degrés différents — pour les groupes non agriculteurs, au temps où la culture du sol était primitive et la direction de la société relativement peu exigeante. Après l'avènement de sociétés fondées sur l'agriculture et organisées en classes, le choix devint beaucoup plus difficile. Le maniement de l'autorité par les gouvernements et les riches propriétaires fonciers des Etats agraires voisins les détourna de ce choix, car dans ces conditions, passer à l'agriculture signifiait la soumission à un contrôle politique et économique désagréable. Souvent les femmes, les enfants et les prisonniers de guerre cultivaient quelques champs proches du camp militaire ; mais les membres dominants de la tribu, les adultes mâles, se refusaient obstinément à abandonner la chasse, la pêche ou l'élevage. Les nombreux peuples primitifs qui subirent des années de pénurie et même de famine sans se résoudre à opter pour l'agriculture démontrent l'immense attrait des valeurs non matérielles à partir du moment où une plus grande sécurité matérielle ne peut être atteinte qu'au prix de la soumission politique, économique et culturelle. 2. - LES AVANTAGES RECONNUS DE L'AGRICULTURE D'IRRIGATION
Le passage à la culture d'irrigation pose le problème du choix sous une forme plus complexe encore. Le choix
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fondamental —- s'engager ou ne pas s'engager dans une hydroagriculture là où elle n'avait jamais existé auparavant — fut généralement, mais peut-être pas exclusivement, le fait de groupes familiarisés avec les techniques primitives de l'agriculture « pluviale ». Le second choix (dérivé) — se rallier ou non à une économie d'irrigation existante — se pose à l'agriculteur traditionnel (qui pratique l'agriculture «pluviale») tout autant qu'au primitif non-agriculteur. Mais le non-agriculteur est bien moins préparé techniquement et psychologiquement à s'adapter à cette nouvelle situation ; dans les deux cas, la décision devient plus problématique quand l'acceptation d'une économie d'irrigation qui présente des avantages matériels s'accompagne d'un état de sujétion politique et sociale. C'est évidemment pour cette raison que nombre de communautés pratiquant l'agriculture pluviale dans la Chine du Sud-Ouest, l'Inde, l'Amérique centrale, aussi bien que les tribus vivant de la chasse, de la pêche et de l'élevage, n'accomplissent pas cette conversion bien que vivant à la limite du monde hydroagricole. Le sort de ceux qui refusèrent cette possibilité à double tranchant fut divers ; mais quel qu'ait été le développement ultérieur de leur situation, l'histoire a offert à la plupart d'entre eux un choix authentique et l'homme n'a jamais été l'instrument passif d'une force évolutive irrésistible et unilinéaire, mais un être raisonnant, participant activement à la création de son avenir. a. - Si..., alors...
L'agriculture d'irrigation exige plus d'efforts physiques que l'agriculture pluviale, accomplie dans des conditions analogues. Mais elle ne requiert des aménagements sociaux et politiques révolutionnaires que dans un contexte géohistorique particulier. Les travaux strictement locaux : creuser, établir des vannes et répartir l'eau, peuvent être accomplis par un seul paysan, une seule famille, ou un petit groupe de voisins, et en ce cas il n'est pas nécessaire de créer une organisation d'envergure. L'hydroagriculture, c'est-à-dire la culture fondée sur une irrigation restreinte, accroît les ressources comestibles mais n'implique pas les modèles d'organisation et de contrôle social qui caractérisent l'agriculture hydraulique et le despotisme oriental. Ces modèles se constituent lorsqu'une communauté de pionniers (fermiers ou proto-fermiers), découvrent d'importantes ressources en eau dans une zone sèche mais potentiellement fertile. Si la culture d'irrigation dépend de l'utilisation effective d'une réserve d'eau importante,
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les qualités spécifiques de l'eau — sa tendance à s'amasser — deviennent décisives sur le plan institutionnel. Une grosse quantité d'eau ne peut être canalisée et maintenue à l'intérieur de certaines limites que par l'emploi d'une maind'œuvre abondante ; et cette main-d'œuvre doit être coordonnée, disciplinée, dirigée. C'est ainsi qu'un certain nombre de fermiers désirant conquérir des plaines arides sont contraints de faire appel au type d'organisation qui — selon la technologie pré-mécanique — offre l'unique chance de succès : ils doivent travailler en coopération et se soumettre à une autorité dirigeante. Encore une fois, l'histoire n'a pas suivi un cours uni-linéaire imposé par une nécessité inévitable. Il y avait d'autres possibilités connues ; et ceux à qui ce choix s'offrit furent à même de décider en toute connaissance de cause. Mais quelles qu'aient été leurs décisions, elles se firent à l'intérieur d'un cadre qui n'offrait qu'un nombre limité de solutions possibles. Ainsi, la conversion à l'agriculture hydraulique ou son rejet ne se sont pas faits sans ordre ou sans direction. Les différentes décisions prises font apparaître des constantes dans le conditionnement et la motivation. Mais l'égalité relative des choix originaux n'impliquait pas une égalité relative correspondante dans les résultats finaux. La plus grande partie des chasseurs, des pêcheurs, des cultivateurs se contentant des pluies et qui préservèrent leur mode de vie traditionnel, se sont trouvés réduits à des groupes insignifiants quand ils n'ont pas disparu tout à fait. Quelques groupes pratiquant une économie mixte comportant peu ou pas de formes hydroagricoles furent assez puissants pour imposer leur volonté à des civilisations hydrauliques limitrophes. Les pasteurs se sont affirmés à une époque relativement tardive et dans un contexte géo-historique particulier. Ils se maintinrent souvent contre les agriculteurs de toute espèce et dans de nombreux cas se lancèrent dans des expéditions de grande envergure, réalisant des conquêtes qui modifièrent profondément la structure politique et sociale des civilisations agraires qu'ils assujettirent. Ceux qui pratiquèrent l'agriculture fluviale firent l'histoire dans certaines régions de l'Occident auxquelles convenait seul ce type d'économie. Mais les cultivateurs hydrauliques dépassèrent en nombre et vainquirent la plus grande partie des peuplades, leurs voisines, partout où les conditions locales et internationales favorisèrent unilatéralement l'économie et la forme de gouvernement agro-organisationnelles. Les pionniers de l'agriculture hydraulique, comme les pionniers de l'agriculture pluviale, ignoraient les consé-
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quencos ultérieures de leur choix. Poursuivant un avantage reconm, ils inauguraient un processus institutionnel qui menait bien au-delà du point de départ. Leurs héritiers et successeurs édiiièrent des structures politiques et sociales colossales ; mais ils le firent en sacrifiant de nombreuses libertés, que les réfraetaires conservateurs tentèrent et réussirent à préserver partiellement. b. - Zones arides, semi-arides et humides : modèles hypothétiques d'interaction et de développement. En poursuivant un avantage reconnu, les cultivateurs traditionnels utilisant l'eau de pluie firent des expériences d'hydroagriculture non seulement dans les zones d'aspect désertique et d'aridité totale ou dans les zones de steppe semi-aride, mais aussi dans les régions humides convenant à la culture de plantes aquatiques utiles, surtout le riz. Les deux premiers types de site couvrent ensemble presque les trois cinquièmes (2) — et les trois ensemble, environ les deux tiers — de la surface des terres émergées. A l'intérieur de cette zone, chacun des trois types de site potentiellement hydraulique a pu jouer un rôle spécifique, en particulier durant la période de formation d'une économie hydraulique. Dans un secteur assez large, comprenant ces trois types, les régions semi-arides sont extrêmement aptes aux petites entreprises d'irrigation, susceptibles d'un développement progressif. Les régions arides constituent un terrain de recherche pour des techniques nouvelles. Et les régions humides ou semi-arides profitent ultérieurement de l'expérience technique et organisationnelle acquise par l'homme au cours de sa lutte victorieuse contre le désert. C'est peut-être ainsi que l'agriculture hydraulique s'est implantée dans des zones aussi éloignées les unes des autres que la Mésopotamie antique, l'Inde et l'Ouest de l'Amérique du Sud. Un ordre différent de développement est probable pour des sites arides de façon homogène, un autre encore pour ceux où la semi-aridité domine. Dans chaque cas, la présence ou l'absence de régions humides adjacentes compliqua le processus. En Egypte, les tribus vivant de la cueillette, de la chasse, de la pêche, semblent avoir pratiqué l'agriculture comme occupation subsidiaire sur les rives du Nil inondées naturellement, longtemps avant que l'agriculture ne devînt une occupation primordiale. En Amérique centrale (a) et en Chine on ne (a) Il y a v i n g t ans environ, je comptais le M e x i q u e a z t è q u e au n o m b r e des civilisations f é o d a l e s à irrigation restreinte, comme le J a p o n p r é - T o k u g a w a d'ailleurs (Wittfogel, 1932 : 587 sqq.). E n me familiarisant davantage avec les documents les plus anciens, j'en vins à r e c o n n a î t r e le c a r a c t è r e h y d r a u l i q u e
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peut pas exclure l'influence extérieure (respectivement de l'Amérique du Sud et de l'Asie intérieure et méridionale). Mais une telle stimulation externe n'était pas indispensable ; si elle se produisit, elle dut son efficacité au seul fait que dans les zones « stimulées » les fermiers traditionnels étaient prêts à reconnaître les avantages de la nouvelle technique. Dans la Chine antique, le Nord semi-aride et le Sud producteur de riz établirent des formes remarquables d'interaction. Les Etats antiques du Yang-Tsé se développèrent tôt et peut-être sous l'influence de la culture du riz dans
des zones centrales dans le Mexique p r é - c o l o m b i e n ; et les t r a v a u x r é c e n t s des historiens et a r c h é o l o g u e s mexicains confirment mes conclusions (voir Armillas, 1948 : 109 ; ibid., 1951 : 24 sqq. ; Paierai, 1952 : 184 sqq.). Citons quelques passages d'une é t u d e de P a l e r m qui abonde en m a t é r i e l historique sur l'irrigation dans le M e x i q u e des temps p r é - c o l o m b i e n s et d u d é b u t de l ' é p o q u e coloniale : 4. L a plus grande partie des r é s e a u x d'irrigation semble n'avoir eu qu'une i m p o r t a n c e locale et n'avoir pas requis de grands t r a v a u x hydrauliques. Cependant des t r a v a u x plus c o n s i d é r a b l e s furent entrepris dans l a v a l l é e de Mexico, et l'irrigation fait son apparition sous une forme c e n t r a l i s é e sur le cours s u p é r i e u r des fleuves T u l a , L e r m a et A t l i x c o , et dans les environs de Colima-Jalisco. 5. L e s plus grandes d e n s i t é s de population, les ouvrages d'irrigation les plus i m p o r t a n t s et les plus c o n c e n t r é s , la r é p a r t i t i o n des centres urbains p r i n c i p a u x et le s i è g e d u p o u v o i r politique et de l'expansion militaire c o ï n c i d e n t , en g é n é r a l (Palerm, 1954 : 71). J u s q u ' à quelle é p o q u e peut-on retracer les a c t i v i t é s h y d r a u l i q u e s en A m é r i q u e centrale ? A r m i l l a s pense que l à grande avance culturelle de l a civilisation h o h o k a m en A r i z o n a (500-900 de notre è r e ) é t a i t sans doute due au d é v e l o p p e m e n t d u s y s t è m e d'irrigation, fait é t a b l i p a r l ' a r c h é o l o g i e . E t c o m m e les vestiges attestent les relations existant entre H o h o k a m et l ' A m é r i q u e centrale, i l pense q u ' « on peut retrouver le m ê m e facteur sous-jacent au d é v e l o p p e m e n t culturel de certaines zones de l'ouest de l ' A m é r i q u e centrale d u r a n t cette m ê m e p é r i o d e » (Armillas, 1948 : 107). Les documents hohokams s ' i n s è r e n t dans l a p é r i o d e « classique » de l'histoire de l ' A m é r i q u e centrale q u i a d û commencer, dans l a r é g i o n lacustre, a u x premiers s i è c l e s d u premier mill é n a i r e de notre è r e . L ' h y p o t h è s e d'Armillas est c o n f i r m é e p a r une r é c e n t e analyse d u pollen q u i indique que l ' a r i d i t é est a l l é e croissant au cours de l a d e r n i è r e partie de l ' é p o q u e « a r c h a ï q u e » (Sears, 1951 : 59 sqq.). P a l e r m a é t a b l i que ce changement climatique peut avoir c r é é le « besoin de l'extension de l'irrigation » dans l ' A m é r i q u e centrale (1955 : 35). Une a r i d i t é q u i est a l l é e en s'accroissant expliquerait les concentrations nouvelles de p o p u l a t i o n et un d é v e l o p p e m e n t de la construction monumentale en A m é r i q u e centrale. Mais ce que nous savons des conditions climatiques dans les é p o q u e s post-glaciaires nous met en garde contre une s u r e s t i m a t i o n de la p o r t é e des utiles d é c o u v e r t e s de Sears. L e d é v e l o p p e m e n t de l a construction monumentale en A m é r i q u e centrale au d é b u t d u premier m i l l é n a i r e de notre è r e peut bien avoir pour causes une d i m i n u t i o n des pluies et un accroissement de l'irrigation : cela ne signifie pas pour a u t a n t q u ' a v a n t la p é r i o d e t classique », les p r é c i p i t a t i o n s é t a i e n t assez r é g u l i è r e s p o u r rendre superflu le recours à l'irrigation. E n fait, les fouilles r é c e n t e s de A . P a l e r m et E . W o l f ont r é v é l é l'existence d'une a c t i v i t é h y d r a u l i q u e dans l a r é g i o n lacustre d è s le milieu d u premier m i l l é n a i r e a v a n t notre è r e . D'autres recherches entreprises par ces deux anthropologistes a t t r i b u e n t une date relativement r é c e n t e aux travaux h y d r a u l i q u e s é t e n d u s de l ' E t a t de T e x c u c o q u i , à l ' a r r i v é e des Espagnols, venait en i m p o r t a n c e i m m é d i a t e -
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l'Asie du Sud-Est ; mais ce fut le Nord semi-aride qui, pour une longue période, constitua le centre de pouvoir dominant et de culture évoluée dans l'Asie extrême orientale. En Inde, les régions arides, semi-arides et humides du Nord devinrent historiquement prépondérantes avant la région excessivement humide du Bengale. Ces processus de développement sont présentés comme des hypothèses. Leur validité ou non-validité est sans conséquence pour notre analyse de la structure sociale. Elles valent la peine d'être notées cependant parce que, sur la base de nos connaissances archéologiques et préhistoriques actuelles, elles suggèrent un jeu d'influences réciproques hautement dynamiques entre les différents types de site qui contribuent à former des zones plus vastes de civilisation hydraulique.
ment après Mexico. Evidemment, accepter une date tardive pour ces réalisations ne signifie pas que l'on rejette l'existence de travaux hydrauliques plus anciens dans d'autres zones de la région lacustre. Ces documents suggèrent plutôt que le gouvernement de Texcuco d'abord gouvernement hydraulique marginal, a progressivement acquis les caractéristiques d'un gouvernement hydraulique central. (Pour le problème de la modification de la densité hydraulique, voir plus loin, chap. 6).
CHAPITRE II
L ÉCONOMIE HYDRAULIQUE — UNE ÉCONOMIE DIRECTORIALE AUTHENTIQUEMENT POLITIQUE Les caractéristiques de l'économie hydraulique sont nombreuses, mais trois d'entre elles sont essentielles. L'agriculture hydraulique implique une division spécifique du travail. Elle intensifie l'agriculture. Et elle nécessite une coopération sur une grande échelle. La troisième caractéristique a été étudiée par nombre de spécialistes de l'agriculture orientale. La seconde, fréquemment notée, a été rarement analysée. On n'a pour ainsi dire jamais prêté attention à la première. Cette négligence est particulièrement regrettable, puisque les modèles hydrauliques d'organisation et de mise en œuvre ont influé de manière décisive sur le rôle organisationnel de l'Etat hydraulique. Les économistes considèrent généralement la division du travail et la coopération comme les conditions préliminaires à l'industrie moderne, mais estiment qu'elles sont pratiquement inexistantes en agriculture (a). Cette conception reflète les conditions de l'agriculture pluviale occidentale. Pour ce type d'agriculture elle est dans l'ensemble juste. Cependant, les économistes ne s'en tiennent généralement pas à leur seul domaine. Parlant d'agriculture sans aucune compétence géographique ni institutionnelle,
(a) P o u r les p r e m i è r e s formulations de cette conception v o i r S m i t h , 1937 : 6 ; M i l l , 1909 : 131, 144 ; M a r x , D K , I : 300, 322 sqq. Les é c o n o m i s t e s modernes ont repris et m ê m e durci ces formules. Seligman é c r i t (1914 : 350) : « Dans l'immense domaine de la production agricole, la p o s s i b i l i t é de c o o p é r a tion est presque e n t i è r e m e n t é l i m i n é e ». E t Marshall (1946 : 290) : « D a n s l ^ g r i culture, il n'y a g u è r e de division d u travail et aucune p r o d u c t i o n sur une t r è s grande é c h e l l e ».
UNE
ÉCONOMIE DIRECTORIALE (2,
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ils donnent l'impression que leur thèse, universellement valable, s'applique à l'agriculture hydraulique aussi bien qu'à l'hydroagriculture ou à la culture pluviale. Une étude comparative des faits montre rapidement le caractère fallacieux de cette conception. A. — DIVISION DU TRAVAIL DANS L'AGRICULTURE HYDRAULIQUE 1. - TRAVAUX PRÉPARATOIRES ET DE PROTECTION DIFFÉRENTS DÉ CEUX DE LA CULTURE PROPREMENT DITE
Ce qui est vrai pour l'industrie moderne — à savoir que la production proprement dite dépend de tout un ensemble d'opérations préparatoires et de protection (b) -— est vrai pour l'agriculture hydraulique depuis ses origines. L'originalité des travaux préparatoires et de protection est un aspect essentiel de l'originalité de l'agriculture hydraulique. a. - Opérations préliminaires de grande envergure (but : irrigation). Les activités agricoles combinées d'un cultivateur utilisant l'irrigation sont comparables à celles d'un cultivateur qui utilise les chutes de pluie. Mais les travaux du premier comprennent des tâches (creuser sur place, aménager des vannes, irriguer) que l'autre n'a pas. L'importance de ces tâches spéciales peut être évaluée par le fait que dans un village chinois un paysan peut passer de 20 % à plus de 50 % de son temps de travail à irriguer et que dans de nombreux villages indiens l'irrigation est la tâche qui prend le plus de temps au paysan (1). L'hydroagriculture (culture d'irrigation restreinte) implique une culture intensive des champs irrigués — et souvent aussi des champs non irrigués (2). Mais elle n'implique pas de division du travail au niveau communal, régional ou national. Une telle répartition du travail n'intervient que lorsqu'il faut mettre en œuvre de grandes
(b) P o u r l e c o n c e p t d e « t r a v a i l p r é p a r a t o i r e e t p r é l i m i n a i r e » v o i r M i l l , 1 9 0 9 : 2 9 , 3 1 . L e p r i n c i p e g é n é r a l f u t a u s s i i n d i q u é p a r S m i t h (1937) q u i , a n a l y s a n t l a d i v i s i o n d u t r a v a i l d a n s l ' i n d u s t r i e , m e n t i o n n a les « p r o d u c t e u r s d e l i n e t de l a i n e » e t les m i n e u r s d a n s l a c a t é g o r i e des f o u r n i s s e u r s d e m a t i è r e b r u t e (5 s q q . , 1 1 ) , les o u v r i e r s des filatures e t des a t e l i e r s de t i s s a g e d a n s l a c a t é g o r i e des s p é c i a l i s t e s a u s e n s p r o p r e (6) e t les f a b r i c a n t s d ' o u t i l s d a n s u n e c a t é g o r i e q u i c o m b i n e des é l é m e n t s des d e u x a u t r e s (11). M i l l ( 1 9 0 9 : 36 s q q . ) i n c l u t é g a l e m e n t d a n s l a c a t é g o r i e d u t r a v a i l p r é l i m i n a i r e les a c t i v i t é s v i s a n t à l a p r o t e c t i o n de l a p r o d u c t i o n i n d u s t r i e l l e p r o p r e m e n t d i t e .
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quantités d'eau. Partout où dans les civilisations préindustrielles l'homme a recueilli, conservé et réparti l'eau sur une grande échelle, nous trouvons la division caractéristique entre travail préparatoire (d'alimentation) et travail proprement dit, division qui est propre à l'agriculture hydraulique. b. - Opérations de protection de grande envergure (but : contrôle des eaux). Mais la lutte contre les conséquences désastreuses de la pénurie d'eau peut s'accompagner d'une lutte contre les conséquences désastreuses d'un excès d'eau. Les zones potentiellement les plus rentables pour la culture hydraulique sont les plaines arides et semi-arides et les régions humides qui conviennent aux plantes aquatiques telles que le riz, et qui ont un niveau assez bas pour permettre l'inondation par les rivières voisines. Ces rivières prennent généralement leur source dans des montagnes éloignées et leur niveau monte considérablement quand le soleil d'été fait fondre une partie de la neige qui s'y trouve accumulée. Dans le cours supérieur des rivières, des phénomènes de ce genre causent des inondations annuelles, en Egypte, en Mésopotamie, au Turkestan, en Inde, en Chine, dans les Andes et au Mexique. Dans les régions semi-arides, les pluies locales créent des dangers supplémentaires lorsqu'elles sont trop concentrées (par convection) ou irrégulières. Cette dernière condition prévaut en Chine du Nord, en Mésopotamie du Nord (Assyrie), dans la région lacustre du Mexique. C'est à cause de ces phénomènes qu'une communauté hydraulique a besoin non seulement d'un travail préparatoire pour préserver l'énergie utile de l'eau, mais encore d'un travail de protection pour mettre ses récoltes à l'abri d'inondations périodiques excessives. Quand, aux temps de la protohistoire, les Chinois commencèrent à mettre en valeur les grandes plaines du nord de la Chine, ils comprirent que les centres de fertilité potentielle maxima étaient également ceux qui potentiellement se trouvaient les plus menacés. D'après John I.ossing Buck : « D'un point de vue géologique, l'homme a colonisé ces plaines des milliers d'années avant qu'elles ne fussent prêtes à être habitées...» (3). Les Chinois construisirent d'énormes levées de terre qui, tout en n'écartant pas entièrement les dangers inhérents à cette situation ambivalente, étaient cependant d'une ampleur équivalente ou même supérieure à celle des travaux de préparation (d'alimentation) de la même région (4). En Inde, l'Indus (5) pose de très gros problèmes de contrôle des eaux ; il en est de même, et d'une façon
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particulièrement frappante, pour le Gange et le Brahmapoutre, qui, au Bengale, créent les conditions les plus favorables à la culture du riz et les dangers d'inondation les plus redoutables. Dès 1900 le Bengale disposait de plus de cent soixante kilomètres de larges canaux d'irrigation et de plus de deux mille kilomètres de levées de terre (6). Dans la Mésopotamie antique, les gouverneurs les plus attentifs ne purent totalement empêcher les inondations de ravager les plaines intensivement cultivées (7). Au Turkestan, de graves inondations menaçaient périodiquement la vallée du Zarafshan (8). En Haute Egypte, le Nil, pendant les grandes crues, monte jusqu'à un mètre au-dessus du niveau des terres cultivées, en Moyenne Egypte à deux mètres, dans le Delta jusqu'à trois mètres et demi (9). Les habitants de la région lacustre du Mexique ne pourraient bénéficier de la fertilité que le lac communiquerait aux campagnes qu'à condition d'accepter les inondations périodiques de ses affluents courts, étroits et irréguliers (10), qu'ils ont au contraire tenté de contenir au moyen de différents ouvrages de protection. Ainsi, dans toutes les civilisations hydrauliques importantes, les travaux préparatoires (d'alimentation) en vue de l'irrigation se combinent avec des travaux de protection en vue de contenir les eaux. 2. - COOPÉRATION
Une étude des modèles hydrauliques de la Chine (surtout de la Chine du Nord), de l'Egypte, ou de l'Amérique centrale (en particulier la région lacustre) doit donc tenir compte de ces deux formes d'activité agrohydraulique. Ce n'est qu'en procédant ainsi que nous pouvons espérer cerner de façon réaliste la dimension et le caractère de ce mode de travail-clé : la coopération. a. - Dimension. Quand une société hydraulique ne dépasse pas les bornes d'une seule localité, tous les adultes mâles peuvent être mis à la disposition d'une ou de quelques-unes des équipes de travail communales. Des besoins et des circonstances variables peuvent modifier les proportions de la masse de main-d'œuvre ainsi mobilisée. Dans les régions hydrauliques possédant des ressources en eau indépendantes les unes des autres, la tâche du contrôle de l'eau est confiée à un certain nombre d'équipes de travail séparées. Chez les Suk, montagnards de l'est de l'Afrique, « tout individu mâle doit contribuer à l'édification des digues » (11).
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Dans presque tous les pueblos d'Amérique « l'irrigation et l'entretien des points d'eau est le travail de tous » (12). Chez les Chaggas, un système d'irrigation relativement évolué est assuré par « la participation de la population tout entière 6 (13). A Bali, les paysans doivent une redevance au travail au groupement hydraulique, le subak, auquel ils appartiennent (14). Les maîtres des Etats-temples sumériens exigeaient de tout adulte mâle dépendant de leur juridiction une « contribution au creusement et à l'entretien des canaux» (15). La plupart des inscriptions de l'Egypte des Pharaons sous-entend une semblable codification du travail. Ce n'est qu'occasionnellement qu'un texte précise le caractère des travaux collectifs exigés, parmi lesquels le portage et le creusement occupent la plus grande place (16). Dans la Chine impériale, toute famille de roturiers devait, sur demande, fournir une main-d'œuvre pour les travaux hydrauliques et autres services publics. Les écrits politiques et légaux de l'Inde mentionnent de semblables redevances en travail (17). Les lois du Pérou inca (18) obligeaient tous les hommes valides à fournir des corvées (*). Dans le Mexique ancien, les jeunes roturiers et les jeunes aristocrates étaient également instruits des techniques de creusement et d'aménagement des vannes (19). A de certaines périodes, les dirigeants de cette zone hydraulique levaient dans plusieurs sections du territoire la maind'œuvre nécessaire à leurs gigantesques entreprises hvdrauliques (20). Dans l'Egypte du 19* siècle, « l'ensemble de la population corvéable » participa, en quatre équipes énormes, à l'édification des installations hydrauliques de MéhémetAli. Chaque groupe travailla aux canaux pendant quarantecinq jours jusqu'à ce que, au bout de 180 jours, le travail fût terminé (21). A partir de 1881, en un temps de décadence et de désintégration, « tout le travail retomba sur les classes les plus pauvres» (22), la réduction du nombre étant compensée par un accroissement du temps de travail jusqu'à quatre-vingt-dix jours. Dans certaines régions, on fit travailler ces recrues « pendant 180 jours > (23). b. -
Intégration.
Une coopération ordonnée exige une intégration planifiée. Une telle intégration est particulièrement nécessaire quand les objectifs sont complexes et les équipes de travail importantes. (*) En français dans le texte (N. d. T . ) .
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Au-dessus du niveau tribal, les tâches hydrauliques sont en général complexes. La plupart des écrivains qui mentionnent l'aspect coopératif de l'agriculture hydraulique pensent dans l'ensemble aux opérations de creusement, de dragage, d'aménagement des vannes ; et les tâches organisationnelles qu'exigent ces travaux sont certainement considérables. Mais les organisateurs d'une entreprise hydraulique importante doivent résoudre des problèmes d'un ordre beaucoup plus complexe. Combien faut-il de personnes ? Et où trouver ces personnes ? Sur la base des registres préexistants, les organisateurs doivent décider du nombre et des critères de sélection. La notification suit la sélection et la mobilisation suit la notinV cation. Les groupes assemblés se déplacent en colonnes quasi militaires. Ayant atteint leur destination, les hommes de l'armée hydraulique doivent être répartis en groupes, suivant la division des opérations coutumières (bêcher, porter la terre, etc.). Si des matériaux bruts tels que paille, fagots, troncs d'arbre ou pierres, sont nécessaires il faut organiser des opérations secondaires ; et si les équipes de travail — en totalité ou en partie — doivent être approvisionnées en nourriture et en boisson, d'autres moyens encore pour se les procurer, pour les transporter et pour les distribuer sont à mettre en œuvre. Même sous sa forme la plus simple, l'ensemble des opérations agrohydrauliques nécessite un important effort d'intégration. Dans sa forme plus élaborée, une planification organisationnelle extensive et complexe devient nécessaire. c. -
Direction.
Toute équipe de travail requiert des chefs d'équipe ; et le travail de grandes équipes intégrées requiert des chefs locaux, chargés de diriger le travail et de maintenir l'ordre, aussi bien que les organisateurs au sommet. Les grandes entreprises d'agriculture hydraulique comprennent ces deux types de direction. Le contremaître, généralement, n'accomplit aucun travail de manœuvre ; et, excepté quelques techniciens, les sergents et officiers de l'armée du travail, sont essentiellement des organisateurs. Bien entendu, l'élément physique — y compris les menaces de punition et les moyens coercitifs — n'est jamais absent. Mais c'est là surtout que l'expérience et les prévisions sont capitales. Ce qui joue un rôle décisif dans l'entreprise, la réalisation et la conservation des grandes œuvres de l'économie hydraulique, c'est l'aptitude du chef suprême et de ses aides à prévoir, à inventer une organisation et à intégrer de grands ensembles humains.
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d. - Direction hydraulique - Direction politique. Le fonctionnement pratique de ces ouvrages nécessite un réseau d'organisation embrassant l'ensemble ou tout au moins les noyaux dynamiques de la population du pays. Par conséquent, les administrateurs de ce mode d'organisation sont préparés d'une manière exceptionnelle au maniement du pouvoir suprême. Du point de vue du résultat historique, il est indifférent que les chefs d'un gouvernement hydraulique aient été primitivement des dirigeants civils, des chefs de guerre, des prêtres, des prêtres-rois ou des fonctionnaires hydrauliques sans phrase (*). Chez les Chaggas, la corvée hydraulique s'annonce par la même sonnerie de cor qui traditionnellement appelait les tribus à la guerre (24). Chez les Indiens pueblos, les chefs de guerre (ou prêtres), bien que dépendant du cacique (le chef suprême), dirigent et surveillent les activités communales (25). Les capitales hydrauliques primitives de Mésopotamie semblent avoir été pour la plupart dirigées par des rois prêtres. En Chine, le précurseur légendaire du contrôle de l'eau par l'Etat, le Grand Yü, se serait, selon la tradition, élevé du rang de premier fonctionnaire hydraulique à celui de roi et serait devenu, selon les annales protohistoriques, le fondateur de la première dynastie héréditaire, la dynastie Hsia. Peu importe que des chefs traditionnels pris en dehors du monde hydraulique aient créé, ou se soient emparé d'un appareil hydraulique naissant, ou que les maîtres de cet appareil soient devenus la force réelle à l'arrière-plan de toutes les fonctions publiques importantes (c) ; il est hors de doute que dans tous ces cas, le régime qui en résulta reçut, des formes de direction et de contrôle social requises par l'agriculture hydraulique, une empreinte décisive. j
(*) E n f r a n ç a i s dans le texte ( N . d. T . ) . (c) Rtistow, q u i en g é n é r a l , adopte le point de vue de K e r n en ce q u i concerne l a c o r r é l a t i o n entre le c o n t r ô l e de 1 eau à direction gouvernementale sur une grande é c h e l l e et le c a r a c t è r e c e n t r a l i s é et despotique de l ' E t a t en E g y p t e et en M é s o p o t a m i e , é m e t l ' h y p o t h è s e que dans ces r é g i o n s , des c o n q u é rants nomades d é v e l o p p è r e n t les travaux hydrauliques après avoir f o n d é leurs empires sur l a c o n q u ê t e (Rtistow, O G , I : 306). Des types de direction et de discipline traditionnels chez des c o n q u é rants purent ê t r e et furent probablement u t i l i s é s dans l ' é t a b l i s s e m e n t de certains gouvernements hydrauliques ; mais les s o c i é t é s pueblos, chaggas et hawaiiennes montrent que de tels processus de f o r m a t i o n pouvaient ê t r e endog è n e s . E n tout cas, les faits ethnographiques et historiques i n d i q u e n t p l u t ô t des origines diverses qu'une seule origine pour le d é v e l o p p e m e n t des s o c i é t é s hydrauliques.
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B. — TRAVAUX HYDRAULIQUES LOURDS ET INDUSTRIE LOURDE En ce qui concerne la forme opérationnelle, l'agriculture hydraulique présente d'importantes similitudes avec l'industrie lourde. Ces deux types d'activité économique sont préparatoires aux opérations de production. Toutes deux fournissent aux travailleurs les matériaux essentiels à ces opérations ultérieures. Et toutes deux tendent à être complexes, « lourdes ». Pour ces raisons, les grands travaux de l'agriculture hydraulique peuvent être désignés par le terme de « travaux hydrauliques lourds ». Mais les dissemblances sont aussi révélatrices que les ressemblances. Le travail lourd de l'agriculture hydraulique et l'industrie lourde de l'économie moderne se distinguent par un certain nombre de différences fondamentales qui, définies d'une manière adéquate, peuvent contribuer à nous faire connaître plus clairement les caractéristiques de la société hydraulique. Le travail hydraulique lourd fournit au producteur agricole du dernier stade l'élément auxiliaire essentiel : l'eau ; l'industrie lourde produit des matières premières et auxiliaires de différentes catégories et des outils pour l'industrie lourde elle-même comme pour l'industrie de transformation. Le travail hydraulique lourd accomplit d'importantes fonctions de protection qui concernent l'ensemble du pays ; les installations de protection (bâtiments, etc.) de l'industrie n'ont pas ces fonctions. Les travaux hydrauliques lourds couvrent à leurs débuts une surface relativement grande ; et avec le développement de l'ordre hydraulique, ils s'étendent en général plus encore. Les opérations de l'industrie lourde couvrent un espace plus restreint. A leur début, et au cours d'un certain nombre d'opérations préparatoires, elles peuvent se contenter de petits ateliers dispersés ; avec le développement de l'ordre industriel, ces ateliers tendent à se grouper en un ou quelques établissements importants. Le caractère de la main-d'œuvre varie avec ces différences opérationnelles et spatiales. Le travail hydraulique lourd convient généralement à un personnel disséminé, tandis que l'industrie lourde a besoin d'une main-d'œuvre résidant auprès des « grosses » entreprises concentrées qui les emploient. Les entreprises hydrauliques n'ont besoin que des paysans adultes mâles qui continuent à résider dans leurs villages respectifs ; tandis que l'industrie exige une main-d'œuvre géographiquement concentrée.
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II est entendu que la grande masse des travailleurs hydrauliques restent des paysans et dans la plupart des cas ne sont mobilisés que pour une période relativement brève —• dans le meilleur des cas pour quelques jours, au pire pour une période qui ne gêne pas la productivité agricole. Ainsi la division du travail agrohydraulique ne s'accompagne pas d'une division analogue des travailleurs. La différence avec l'utilisation de la main-d'œuvre dans l'industrie lourde est évidente. Alors que les travaux hydrauliques lourds peuvent ne s'étendre que sur une partie de l'année, l'industrie lourde n'atteint son maximum de rendement que si le travail est ininterrompu. Les employeurs industriels préfèrent occuper leur personnel toute l'année ; et le système industriel se développant, le travail à plein temps devint la règle. Ainsi la division du travail industriel va vers une spécialisation plus ou moins complète des travailleurs. Les deux secteurs sont aussi administrés de manière différente. Dans l'ensemble, l'industrie lourde moderne est dirigée par des propriétaires et des directeurs privés. Les gros travaux de l'agriculture hydraulique sont dirigés essentiellement par le gouvernement. Le gouvernement s'engage aussi dans d'autres grandes entreprises qui selon différentes combinaisons sont complémentaires de l'industrie hydraulique proprement dite. C. — ÉTABLISSEMENT DU CALENDRIER E T ASTRONOMIE - FONCTIONS IMPORTANTES DU RÉGIME HYDRAULIQUE Parmi les fonctions intellectuelles qu'accomplissent les leaders d'une économie hydraulique, certaines n'ont avec l'organisation des hommes et du matériel qu'un lien indirect ; mais ce lien est cependant d'une importance capitale. Le décompte du temps, l'établissement du calendrier sont essentiels au succès de toute économie hydraulique ; et dans certaines circonstances particulières, on peut avoir un urgent besoin de mesures et de calculs spéciaux (1). La façon dont ces tâches sont accomplies peut influer sur le développement politique et culturel de la société hydraulique. Il est évident que, dans toute économie fondée sur les ressources du sol et dans le monde rural tout entier, le changement des saisons a pour l'homme une importance immense. Mais dans la plupart des cas, il se contente d'évaluer d'une manière générale la venue du printemps ou de l'été, du froid, de la pluie ou de la neige. Dans les civilisations hydrauliques, de telles connaissances géné-
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raies sont insuffisantes. Dans les zones d'aridité absolue, il est d'une importance cruciale de se préparer aux crues des fleuves dont les eaux bien utilisées apportent la fertilité et la vie, alors que laissées à leur propre mouvement, elles sèmeront la mort et la dévastation. Il faut réparer les digues à temps pour qu'elles résistent au moment de l'inondation ; il faut curer les canaux pour que l'eau se répartisse convenablement. Dans les zones de semiaridité, recevant une quantité de pluie limitée et irrégulière, un calendrier exact a une importance analogue. Ce n'est que lorsque les digues, les canaux et les réservoirs sont en bon état que les précipitations insuffisantes seront pleinement utilisées. La nécessité de redistribuer les champs périodiquement inondés et de déterminer les dimensions des structures hydrauliques et autres provoque une incessante stimulation pour le progrès de la géométrie et de l'arithmétique. Hérodote attribue les débuts de la géométrie en Egypte à la nécessité de réévaluer annuellement la terre inondée (2). Que les premiers pas de la science dans cette direction se soient faits dans la vallée du Nil ou en Mésopotamie, la corrélation fondamentale est éminemment plausible. Il est évident que les pionniers et les maîtres de la civilisation hydraulique disposaient d'un terrain exceptionnel pour jeter les bases de deux sciences capitales et voisines : l'astronomie et les mathématiques. En général, les opérations de mensurations et de calculs scientifiques étaient accomplies par les dignitaires officiels ou par des spécialistes sacerdotaux (ou séculiers) attachés aux régimes hydrauliques. S'enveloppant de magie et d'astrologie, protégées par le secret le plus profond, ces opérations mathématiques et astronomiques devinrent le moyen à la fois d'améliorer la production hydraulique et de protéger le pouvoir suprême des leaders hydrauliques. D. — AUTRES ACTIVITÉS DE CONSTRUCTION COUTUMIÉRES AUX SOCIÉTÉS HYDRAULIQUES Les maîtres de l'Etat hydraulique ne bornaient pas leurs activités à l'agriculture proprement dite. Les méthodes de travail collectif qui s'étaient montrées si efficaces dans le domaine agricole trouvèrent facilement leur application dans de nombreuses autres entreprises d'envergure. Certains types de travaux viennent probablement avant d'autres. On peut dire en gros que le canal d'irrigation est antérieur au canal de navigation ; le creuse-
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ment des canaux et l'établissement des vannes se produisit avant la construction des routes. Mais souvent des activités latérales se développèrent avant que les activités originelles ne fussent parvenues à leur plein développement et des conditions régionales différentes favorisèrent différents processus évolutifs. Ainsi, il y a de grandes différences dans l'interaction et le développement. Par exemple, la construction se développe au-dessus et et au-delà du domaine de l'agriculture hydraulique (a). 1. - TRAVAUX HYDRAULIQUES NON AGRAIRES.
a. - Aqueducs et réservoirs
fournissant de l'eau potable.
Un Etat capable de véhiculer de l'eau en vue de l'irrigation applique facilement la technique hydraulique à l'acheminement de l'eau potable. Une telle nécessité n'apparut guère dans la plus grande partie de l'Europe médiévale où les précipitations annuelles constituaient un apport d'eau souterraine suffisant pour que les puits alimentent en eau la plupart des villes (1). Même dans le monde hydraulique l'eau potable n'est pas nécessairement un problème. Partout où les fleuves, les rivières, les sources fournissent assez d'eau pour satisfaire aux besoins en «au potable de la population tout au long de l'année, aucun problème grave ne se pose. Les habitants des vallées du Nil et du Gange et d'autres zones analogues ne furent pas obligés de construire des aqueducs compliqués. Le cours irrégulier des fleuves ou des rivières, l'accès relativement aisé des sources de montagne fraîches et claires ont incité dans bien des sites hydrauliques à construire des installations complexes destinées à la conservation et à la distribution de l'eau potable. En Amérique, les sociétés hydrauliques de la région des Andes et d'Amérique centrale (2) ont construit de grands aqueducs. Les nombreux réservoirs (citernes) du sud de l'Inde servent fréquemment à plusieurs usages ; mais près des grands (a) Q u i v e u t é t u d i e r les d é t a i l s techniques et organisationnels d'une s o c i é t é h y d r a u l i q u e exemplaire peut consulter l'admirable description que fait W i l l c o c k s de l'irrigation et d u c o n t r ô l e des eaux dans l ' E g y p t e d u 1 9 « s i è c l e (Willcocks, 1889 : passim). U n e é t u d e g é n é r a l e des conditions hydrauliques en Inde à la fin d u 1 9 « s i è c l e a é t é faite par la commission indienne d'irrigation ( R R C A I ) . Dans m o n é t u d e de l ' é c o n o m i e et de la s o c i é t é chinoises j ' a i a n a l y s é s y s t é m a t i q u e m e n t les bases é c o l o g i q u e s et les d i f f é r e n t s aspects de l'ordre h y d r a u l i q u e chinois traditionnel (Wittfogel, 1931 : 61-93, 188-300, et 410-56). A u j o u r d ' h u i nous avons aussi une description a r c h é o l o g i q u e d u d é v e l o p p e m e n t des constructions h y d r a u l i q u e s et autres a u cours des temps p o u r une zona l i m i t é e mais é v i d e m m e n t r e p r é s e n t a t i v e : la v a l l é e V i r u au P é r o u (voir W i l l e y , 1953 : 344-89).
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centres résidentiels, ils servent avant tout à fournir de l'eau potable. Dans certaines zones du Proche-Orient, en Syrie et en Assyrie par exemple, des aqueducs savamment conçus ont alimenté en eau de nombreuses cités célèbres. Tyr (3), Antioche (4) et Ninive (5) entre autres. Dans le monde occidental d'agriculture pluviale, les aqueducs furent à l'origine l'œuvre de peuples méditerranéens, tels que les Grecs et les Romains, qui depuis l'aube de l'histoire restèrent en contact avec des pays techniquement avancés de l'Asie occidentale et de l'Afrique du Nord (Egypte), dont ils reçurent les leçons. Sans aucun doute, les Grecs et les Romains auraient résolu le problème de l'eau potable sans inspiration extérieure ; mais la forme de leur réponse fait apparaître d'une façon évidente l'influence des techniques orientales (6). h. - Canaux de navigation. Parmi les grands ensembles agraires connus dans l'histoire, seule la société hydraulique a construit des canaux navigables de grandes dimensions. Les Grecs navigateurs, faisant de la Méditerranée leur voie de communication, évitèrent ce problème qui ne pouvait être résolu par les Etats-cités antiques, mal équipés. Les canaux romains, relativement peu nombreux, datent tous apparemment d'une époque où l'orientalisation croissante de l'appareil d'Etat stimula entre autres choses un intérêt également croissant pour les travaux publics de toute sorte (7). En ce qui concerne l'agriculture pluviale, les paysans de l'Europe médiévale, comme ailleurs leurs homologues, évitèrent plus qu'ils ne recherchèrent les plaines marécageuses des bords de rivière. Et leurs maîtres féodaux prêtèrent peu d'attention aux catactéristiques des fleuves qui n'avaient pour eux aucun intérêt. Ils sentirent encore moins le besoin de construire des rivières supplémentaires artificielles — les canaux. On ne construisit pas ou peu de canaux importants au moyen âge (8), et le commerce et les transports médiévaux se trouvèrent sérieusement handicapés par l'état des fleuves navigables (9). C'est en relation avec l'essor du capitalisme commercial et industriel encouragé par le gouvernement que l'Occident commença à construire des canaux en quantité appréciable. Le « pionnier des canaux de l'Europe moderne y-, le canal français du Midi, ne fut terminé que dans la seconde moitié du 17° siècle, en 1681 (10), c'est-à-dire à peine plus d'un siècle avant la fin de l'absolutisme. Et sur cette terre classique de la navigation intérieure, l'Angleterre (11), « o n fit peu de choses dans le domaine des canaux (...) avant le milieu du 18 siècle» (12) e
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— et ce fut bien après la fin de l'absolutisme en Angleterre et immédiatement avant le début du machinisme. Comme nous l'avons dit auparavant, les membres d'une société hydraulique ressentaient d'une manière tout à fait différente le problème de l'aménagement de cours d'eau naturels et celui de l'aménagement de cours d'eau artificiels. Ils s'approchaient autant qu'ils le pouvaient des rivières fertilisantes et devaient par conséquent trouver les moyens de drainer les plaines marécageuses, de consolider et de rectifier les rives des fleuves. Naturellement, la question de la navigation intérieure ne se posait pas partout. Les rivières et les fleuves existants pouvaient convenir à l'irrigation mais non à la navigation (les hautes terres du Pérou de montagne, le pays des Pueblos et des Chaggas) ; ou bien l'océan pouvait se montrer un moyen de transport idéal (Hawaï, la côte du Pérou). Dans certaines localités la navigation intérieure était suffisamment assurée par des fleuves aménagés (Egypte, Inde) et des lacs (Mexique), complétés par des canaux d'irrigation assez larges pour laisser passer des bateaux (Mésopotamie). Mais lorsqu'il fut non seulement possible, mais souhaitable de disposer de cours d'eau supplémentaires, les organisateurs de travaux agro-hydrauliques n'eurent guère de difficultés à utiliser leur appareil de travail collectif pour rendre ces projets utilisables. Les nouveaux canaux ne pouvaient être que complémentaires des cours d'eau existants. Les Egyptiens de l'Antiquité construisirent des canaux afin de contourner des cataractes impraticables et ils relièrent temporairement le Nil à la Mer Rouge (13) ; mais ces entreprises eurent peu d'effet sur la forme générale de l'économie hydraulique du pays. En d'autres cas, les canaux de navigation prirent une grande importance. Ils satisfirent aux besoins des maîtres de l'Etat hydraulique : le transfert d'une partie du surplus agraire vers les centres administratifs et le transport des messagers et des troupes. En Thaïlande (Siam) les différentes tâches hydrauliques se superposèrent. En plus des différents types d'installations hydrauliques de production et de protection, le gouvernement construisit dans les centres de culture du riz et les centres administratifs un certain nombre de canaux, qui servaient essentiellement de « chemins d'eau », c'est-à-dire de moyens de transport pour les surplus en riz qu'on dirigeait vers la capitale (14). Sur le développement analogue de la Chine, nous avons des documents particulièrement riches. Dans les grandes plaines du nord de la Chine, les canaux de navigation ont fait leur apparition à l'époque des provinces — c'est-à-dire avant 221 av. J.-C, époque où les différents
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gouvernements régionaux étaient encore administrés par des fonctionnaires à qui des fiefs étaient attribués en paiement des services rendus. La différence entre le système centralisé de dons en terres qui existait dans la Chine primitive et le système féodal de vassalité en Europe médéviale apparaît de façon éclatante dans le contraste entre l'absence à peu près complète de travaux publics en Europe féodale et l'énorme développement de ces mêmes travaux — hydrauliques et autres — dans les provinces de la Chine (b). L'unification géographique et administrative de la Chine en rendant plus pressante pour des raisons politiques, la nécessité des canaux de navigation, a fait naître pour l'Etat la possibilité de les organiser et de ies construire. Les premiers siècles de l'empire virent non seulement l'essor de la construction de canaux d'irrigation (15), de réservoirs et de digues de protection le long des fleuve,s, mais aussi le creusement de longs canaux destinés à rendre possible le fonctionnement de l'administration et de la fiscalité (16). (b) A u p a r a v a n t , j e c o n s i d é r a i s l a C h i n e d e l ' é p o q u e T c h ' o u c o m m e u n e société féodale p o s s é d a n t certains traits orientaux q u i o n t fait leur a p p a r i t i o n t r è s COt et q u i o n t é t é d e p l u s e n p l u s m a r q u é s j u s q u ' à ce q u e , à l a f i n d e c e t t e p é r i o d e , i l s d o m i n e n t t o u t à f a i t ( W i t t f o g e l , 1 9 3 1 : 2 7 8 s q q . ; ibid., 1 9 3 5 : 40 s q q . ) . L ' i d é e d ' u n e s o c i é t é q u i t r a v e r s e u n e p é r i o d e d e d i v i s i o n i n s t i t u t i o n nelle est a b s o l u m e n t c o m p a t i b l e a v e c les c o n c l u s i o n s de l a p r é s e n t e é t u d e ( v o i r p l u s l o i n , c h a p . 6) ; e t e n i n t e r p r é t a n t l a s o c i é t é T c h ' o u d e c e t t e f a ç o n , je n ' a u r a i s p a s e u à m o d i f i e r u n e p o s i t i o n q u e j ' a i l o n g t e m p s m a i n t e n u e . M a i s une é t u d e c o m p a r a t i v e plus m i n u t i e u s e m o b l i g e à c h a n g e r d ' a v i s . L e s sites a r i d e s e t s e m i - a r i d e s d u n o r d d e l a C h i n e (43 c e n t i m è t r e s d e p l u i e a n n u e l l e d a n s l ' a n c i e n d o m a i n e T c h ' o u e t 60 c e n t i m è t r e s d a n s le d o m a i n e d e l a d y n a s t i e p r é - T c h ' o u , C h a n g ) i n d i q u e n t u n e a g r i c u l t u r e h y d r a u l i q u e p o u r les a n t i q u e s zones c e n t r a l e s . L a c o n f i g u r a t i o n d u t e r r a i n , les i n o n d a t i o n s d ' é t é , l ' e n s a b l e m e n t p é r i o d i q u e des fleuves r e n d i r e n t n é c e s s a i r e s des mesures r a d i c a l e s de c o n t r ô l e des eaux, p a r t i c u l i è r e m e n t dans l a r é g i o n centrale d u p o u v o i r C h a n g . U n e i n t e r p r é t a t i o n r é a l i s t e des l é g e n d e s et des sources p r o t o h i s t o r i q u e s ( v o i r W i t t f o g e l e t G o l d f r a n k , 1 9 4 3 : passim) i n d i q u e l a f o r m a t i o n d ' u n m o d e d e v i e h y d r a u l i q u e l o n g t e m p s a v a n t l a d y n a s t i e C h a n g d o n t les c r é a t i o n s a r t i s a n a l e s (bronzes) et les i n s c r i p t i o n s r e f l è t e n t u n e c i v i l i s a t i o n agraire h a u t e m e n t d é v e l o p p é e , d i s p o s a n t de t e c h n i q u e s r a f f i n é e s p o u r l a c o m p t a b i l i t é , les c a l c u l s et i ' a s t r o n o m i e . L e s i n s t i t u t i o n s i d e n t i f i a b l e s de l a p r e m i è r e é p o q u e T c h ' o u s o n t celles d ' u n e s o c i é t é h y d r a u l i q u e q u i a c c r û t petit à petit sa « d e n s i t é » b u r e a u c r a t i q u e e t o r g a n i s a t i o n n e l l e ( p o u r ce c o n c e p t , v o i r p l u s l o i n , c h a p . 6 ) . L e s s o u v e r a i n s T c h ' o u se m o n t r è r e n t e n v e r s l e s g o u v e r n e u r s d e p r o v i n c e n o n les p r e m i e r s p a r m i l e s é g a u x , m a i s l e s m a î t r e s s u p r ê m e s , n e d e v a n t d e c o m p t e s q u ' a u Ciel. C e n'est pas leur faute s i leurs aspirations despotiques, i m i t a n t peutê t r e l ' e x e m p l e d e s C h a n g , se r é a l i s è r e n t i m p a r f a i t e m e n t e t a v e c d e s r é s u l t a t s d é c r o i s s a n t s . A u c o n t r a i r e , l e s g o u v e r n e u r s de p r o v i n c e f u r e n t assez f o r t s p o u r se c o n d u i r e e n s o u v e r a i n s a b s o l u s d a n s l e u r s r o y a u m e s r e s p e c t i f s . L e s terres q u ' i l s d i s t r i b u è r e n t furent d o n n é e s n o n pas sous c o n t r a t s , et à des c h e v a l i e r s e t b a r o n s o r g a n i s é s de m a n i è r e i n d é p e n d a n t e ( a s s o c i é s ) , m a i s à d e s f o n c t i o n n a i r e s o u à des personnes q u i a v a i e n t d r o i t à des terres de s i n é c u r e . C e n ' é t a i e n t p l u s d e s fiefs m a i s d e s t e r r e s à a d m i n i s t r e r ( v o i r p l u s l o i n , c h a p . 6
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Lorsque, après plusieurs siècles de dispersion politique, les Sui, à la fin du 6 siècle, réunifièrent le « Céleste Empire », ils étayèrent la nouvelle structure politique par la création du gigantesque Canal impérial, qui utilisait des travaux déjà substantiellement commencés, et qui, fait significatif, fut connu en Chine sous le nom de Yun Ho, « le Canal de transport ». Ce canal a aujourd'hui une longueur d'environ 1 400 kilomètres, longueur égale à la distance entre les Grands Lacs et le Golfe du Mexique ou celle — en termes européens — de Berlin à Bordeaux ou de Hambourg à Rome. Pour une partie seulement de ce gigantesque ouvrage, le gouvernement Sui mobilisa dans les régions nord du Fleuve Jaune « plus d'un million d'hommes et de femmes » (17) comme main-d'œuvre, c'est-à-dire presque la moitié de la population supposée de l'Angleterre entre le 14 et le 16* siècles. Les travaux gigantesques nécessaires pour contenir les fleuves et construire les canaux en Chine sont mentionnés par l'agronome américain F.-H. King qui évalue la longueur totale des cours d'eau aménagés en Chine, en Corée et au Japon, à quelque 330 000 kilomètres. « Quarante canaux traversant les Etats-Unis d'est en ouest et soixante du nord au sud n'égaleraient pas en longueur ceux de ces trois pays aujourd'hui. En fait, il est probable que cette estimation n'est pas excessive pour la Chine seule » (19). e
e
2. - GRANDES CONSTRUCTIONS NON HYDRAULIQUES. a. - Enormes
structures
défensives.
Le besoin de grands travaux de défense se fait sentir presque dès les débuts d'une agriculture hydraulique. Contrairement au cultivateur d'agriculture pluviale qui peut changer de champ avec une relative facilité, le cultivateur d'irrigation dépend d'une source de fertilité fixe autant que rentable. Au début de l'agriculture hydraulique cette subordination à un système d'irrigation inamovible a dû en bien des cas obliger la communauté agraire à construire de solides défenses autour de ses champs et de ses habitations. Dans cette perspective, l'agriculture hydraulique se montra dynamique de deux manières : elle enseigna à l'homme le maniement de toutes sortes de matériaux de construction, terre, pierres, bois, etc. et elle l'habitua à manier ces matériaux de façon organisée. Les constructeurs
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de canaux et d'écluses devinrent facilement des constructeurs de tranchées, de tours, de palissades et de longues murailles. En ce cas, comme dans tous les cas analogues, le caractère et l'ampleur des travaux furent déterminés par les circonstances tant internes qu'extérieures. Entourés de voisins agressifs, les Indiens pueblos utilisèrent ingénieusement tous les matériaux disponibles pour protéger leurs centres, qui comprenaient rarement plus de quelques centaines d'habitants (c). Le caractère de forteresse de leurs villages est encore aujourd'hui manifeste pour l'anthropologiste ; le fait frappa les conquistadores espagnols qui durent parfois faire le siège d'un simple village pendant des mois et des semaines avant d'en venir à bout (d). Une stricte coopération assurait la sécurité
(c) C a s t a ñ e d a , 1896 : 512. B a n d e l i e r confirme ces chiffres de C a s t a ñ e d a , s'opposant a u x é v a l u a t i o n s d i f f é r e n t e s que l'on trouve dans d'autres sources espagnoles anciennes (Bandelier, F R , I : 120 s q q . , n n ; v o i r ibid., D H : 312, 46 s q q . , 171-3). (d) C a s t a ñ e d a , chroniqueur officiel de l a p r e m i è r e e x p é d i t i o n espagnole, note (1896 : 494) que les tours de d é f e n s e d'une colonie Z u m i é t e n d u e é t a i e n t é q u i p é e s de « m e u r t r i è r e s (...) p o u r d é f e n d r e les toits des d i f f é r e n t s é t a g e s ». Il ajoute : « I l faut d ' a b o r d atteindre les toits, et ces constructions s u p p l é mentaires sont d e s t i n é e s à les d é f e n d r e ». L e s observations faites au cours de l a seconde e x p é d i t i o n confirment et c o m p l è t e n t celles de l a p r e m i è r e . Gallegos conclut ses remarques concernant l'architecture pueblo p a r celles-ci qui concernent les é c h e l l e s de bois amovibles « au m o y e n desquelles ils montent à leur poste de garde ». L a n u i t « ils les retirent puisqu'ils sont entre e u x en guerre permanente », (Gallegos, 1927 : 265). O b r e g o n insiste é g a l e m e n t sur l'importance militaire de ces é c h e l l e s ; de plus, i l explique comment les b â t i m e n t s e u x - m ê m e s servent à p r o t é g e r l a c o m m u n a u t é : « Ces maisons ont des murs et des m e u r t r i è r e s q u i leur servent à se d é f e n d r e et à attaquer leurs ennemis a u cours de leurs batailles » (Obregon, 1928 : 293). L ' u n des lieutenants de Coronado, a p p r o c h a n t certaines colonies T i g u a , « t r o u v a les villages p r o t é g é s par des palissades ». L e s Pueblos, q u i avaient é t é soumis à d i f f é r e n t e s formes d'exactions et d'humiliations « é t a i e n t tous p r ê t s à se battre. O n ne p o u v a i t rien faire parce qu'ils ne voulaient pas descendre dans l a plaine et que les villages sont tellement f o r t i f i é s que les E s p a gnols ne p o u v a i e n t pas les d é l o g e r ». A t t a q u a n t un village hostile, les soldats espagnols atteignirent l ' é t a g e s u p é r i e u r g r â c e à une tactique de surprise. Ils r e s t è r e n t dans cette position dangereuse une j o u r n é e e n t i è r e , incapables de vaincre, j u s q u ' à ce que les Indiens mexicains q u i les accompagnaient approchassent le pueblo d'en bas, se creusant u n passage et e n f u m a n t les a s s i é g é s ( C a s t a ñ e d a , 1896 : 496. P o u r l'examen d u r é c i t de C a s t a ñ e d a v o i r Bandelier, D H : 38 sqq.). A t t a q u a n t une grande colonie T i g u a , les hommes de Coronado eurent l'occasion d ' é p r o u v e r à fond le potentiel de d é f e n s e d'un pueblo q u a n d i l n ' é t a i t pas pris p a r surprise : « C o m m e les ennemis avaient eu plusieurs jours our s ' é q u i p e r , ils l a n c è r e n t de telles q u a n t i t é s de pierres sur nos hommes que eaucoup d'entre eux furent t u é s et ils en b l e s s è r e n t une centaine e n v i r o n avec des flèches ». L e s i è g e d u r a sept semaines. P e n d a n t ce temps, les E s p a g n o l s d o n n è r e n t plusieurs assauts mais ils ne purent prendre le pueblo. C e p e n d a n t , les habitants a b a n d o n n è r e n t le village f o r t i f i é , n o n parce que les agresseurs avaient franchi leurs d é f e n s e s , mais à cause d'une p é n u r i e en eau ( C a s t a ñ e d a , 1896 : 498 s q q . ; v o i r R D S : 576). B a n d e l i e r c o m p l è t e le r é c i t que donne Casta-
E
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du village exactement de la même manière qu'elle assurait le succès de la culture. Un observateur ancien souligne cet aspect de la vie pueblo : « Ils travaillent tous ensemble à construire leurs villages» (e). Les Chaggas surent de la même façon appliquer leurs modèles élaborés en vue du travail hydraulique, aux constructions militaires. Leur grand chef, Horombo (vers 1830), employa « des milliers de gens » pour construire de grandes fortifications qui sont en partie encore debout de nos jours (20). «Les murs de ces fortifications ont environ 1 m 80 de hauteur, 275 mètres de long sur la face sud, 400 mètres sur la face nord, 250 mètres à l'est, et 135 mètres à l'ouest ». Des souterrains, des tranchées étendues, des abris contribuaient à la défense des villages fortifiés que l'on trouve très tôt dans l'histoire des Chaggas (22). «On utilisait comme refuge des souterrains profonds, creusés sous les huttes, constituant souvent un réseau comportant des issues assez éloignées. Chaque région ou presque était défendue par de grands fossés que l'on voit encore partout à présent et qui sont souvent très profonds » (23). Ces exemples montrent ce que même des sociétés hydrauliques primitives pouvaient accomplir dans le domaine de la construction de défense, lorsqu'elles employaient pleinement leurs ressources coopératives. Les sociétés hydrauliques plus évoluées employèrent le principe de base en l'adaptant aux formes d'institutions et de techniques nouvelles. Dans le Mexique pré-colombien, l'absence d'animaux de trait adaptés limitait les possibilités de transport. ñ e d a de cet é p i s o d e significatif par u n autre r é c i t que fait M o t a P a d i l l a , auteur du 1 8 s i è c l e , q u i p r é t e n d avoir eu a c c è s aux é c r i t s originaux d'un autre membre de l ' é t a t - m a j o r de C o r o n a d o (Bandelier, D H : 323). L a version de M o t a P a d i l l a contient de n o m b r e u x d é t a i l s q u i r é v è l e n t les techniques d'attaque aussi bien que l a force et l ' i n g é n i o s i t é de l a d é f e n s e . Quelques-uns des Espagnols € atteignirent le sommet d u mur, mais a r r i v é s l à , ils d é c o u v r i r e n t que les i n d i g è n e s avaient e n l e v é les toits de nombreuses p i è c e s (de l ' é t a g e s u p é r i e u r ) , si bien u'il n'y avait plus de c o m m u n i c a t i o n entre ces p i è c e s , et comme i l y a v a i t es tourelles peu é l o i g n é e s les unes des autres d ' o ù les d é f e n s e u r s d é v e r s a i e n t des projectiles sur les assaillants p e r c h é s sur le mur, les Espagnols eurent plus de soixante b l e s s é s dont trois moururent de leurs blessures » (ibid.. 48). (e) C a s t a ñ e d a (1896 : 520) c o m p l è t e cette i n f o r m a t i o n g é n é r a l e en disant que les femmes « faisaient le m é l a n g e [pour les briques] et les murs tandis que les hommes apportaient le bois et le mettaient en place ». Des relations modernes attribuent ces t â c h e s , ainsi que la construction des murs, a u x hommes ; le t r a v a i l des femmes se b o r n a n t à l'application d u torchis ( W h i t e , 932 : 33 ; v o i r Parsons, 1932 : 212). L a d i f f é r e n c e entre ces deux descriptions, l'une r é c e n t e , l'autre ancienne, peut provenir d'un v é r i t a b l e changement institutionnel ou simplement d'une exactitude plus ou moins grande dans l'observ a t i o n . I n t é r e s s a n t e s p o u r l'anthropologiste, ces variantes ne changent rien a u x conclusions fondamentales concernant le c a r a c t è r e c o m m u n a l de la grande construction dans les pueblos a m é r i c a i n s . e
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Et ce fait, s'il limitait la technique de siège, n'interdisait pas l'attaque ou la défense des cités. Au besoin, bien des ouvrages hydrauliques construits par le gouvernement dans la région lacustre avaient une valeur stratégique, de la même façon que les énormes palais et temples servaient de bastions contre les invasions ennemies (24). Des recherches récentes attirent l'attention sur différents types de forts mexicains et de murs de défense (25). En raison de leur dimension et de leur importance, on peut à coup sûr les considérer comme des entreprises d'Etat. On sait que les forteresses et les murs colossaux du Pérou pré-espagnol qui stupéfièrent les observateurs tant anciens que modernes (26) ont été construits sur l'ordre du gouvernement et par des équipes de travailleurs corvéables en nombre «incroyable» (27). De nombreux textes, de nombreuses représentations graphiques ont montré les murs, les portes, les tours de l'Egypte ancienne, de Sumer, de Babylone de l'Assyrie et de la Syrie. L'Arthashastra montre de quelle manière systématique les maîtres du premier grand empire indien résolurent les problèmes de fortification et de défense (28). A l'aube de l'histoire chinoise, de nouvelles capitales furent créées sur l'ordre du prince, et au cours des derniers siècles de la période Tch'ou les provinces utilisèrent leurs réserves corvéables pour fortifier avec des murs des régions frontières tout entières, non seulement contre les tribus barbares, mais aussi pour se protéger les unes des autres. Au 3 siècle avant notre ère, l'unificateur de la Chine, Ch'in Shih Huang-Ti, coordonna et fondit des constructions provinciales plus anciennes pour former la plus longue installation de défense ininterrompue jamais construite par l'homme (29). La reconstruction périodique de la Grande Muraille de Chine est l'expression de la réalité d'une économie hydraulique et d'une main-d'œuvre de masse dirigée par le gouvernement. e
b. - Les routes. En ce qui concerne la période babylonienne, l'existence de routes construites par l'Etat est probable (30) ; en ce qui concerne l'Assyrie, c'est un fait acquis (31). Et la parenté entre ces constructions primitives et les routes de Perse, des Etats hellénistiques et de Rome semble « n e faire aucun doute» (f). La grande «route (f) Meissner, B A , I : 341. O n trouve le terme de « route royale » dans une description assyrienne (Olmstead, 1923 : 334). O n retrouve la forme d'organisation de l a poste d ' E t a t romaine, le cursus publicus, à travers la p é r i o d e h e l l é n i s t i q u e en Perse et p e u t - ê t r e m ê m e à B a b y l o n e . ( W i l c k e n , 1912 : 372 et n . 2).
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royale » de Perse fit sur les Grecs contemporains une profonde impression (32) ; elle servit de modèle aux princes hellénistiques (33) dont les entreprises inspirèrent à leur tour les constructeurs de routes officiels de l'Empire romain (34). Selon Mez, les Arabes s'inspirèrent « en ce qui concerne leur " route gouvernementale " des Perses et de leur " route royale " pour la forme aussi bien que pour le nom» (35). Cependant ils ne s'intéressèrent guère à l'entretien de bonnes routes, probablement parce que dans l'ensemble ils comptaient davantage pour leurs transports sur les caravanes de chameaux. Les régimes musulmans postérieurs du Moyen-Orient employèrent les grandes routes mais ne leur rendirent jamais la perfection technique qui les avait caractérisées au cours de la période pré-arabe (36). Les routes étaient pour les énergiques rois Maurya de l'Inde une entreprise importante (37). Une «route royale » de 10 000 stades, dont on dit qu'elle menait de la capitale jusqu'à la frontière nord-ouest, était pourvue d'un jalonnement marquant les distances, système qui plus tard sous une forme modifiée a été réemployé par les empereurs mongols (38). Au sud de l'Inde où la civilisation hindoue se perpétua pendant des siècles après la conquête du nord, les routes construites par l'Etat sont mentionnées dans les inscriptions ; et « quelques-unes d'entre elles sont appelées voies royales » (39). Les dominateurs musulmans de l'Inde préférèrent le système indien au système d'Asie occidentale, et ils s'efforcèrent de maintenir un réseau de routes publiques (40). Sher Shah (t 1545) construisit quatre grandes routes dont l'une reliait le Bengale à Agra, Delhi, et Lahore (41 ). On dit qu'Akbar fut inspiré par Sher Shah lorsqu'il construisit une nouvelle « route royale » nommée la « longue marche » qui sur six cent cinquante kilomètres était « ombragée de grands arbres sur les deux côtés » (42). En Chine, on construisit un gigantesque réseau de routes immédiatement après l'instauration de l'empire, en 221 avant notre ère. Mais, dans ce cas, comme dans le cas des canaux d'irrigation et de navigation ou des longs murs de défense, les ingénieurs impériaux se contentèrent de refondre et de systématiser ce que leurs prédécesseurs des provinces avaient commencé. Bien avant le 3* siècle avant notre ère, une province bien administrée devait avoir des grandes routes en bon état, sous la responsabilité de fonctionnaires des administrations centrales et locales ; elles étaient bordées d'arbres et comprenaient des relais et des auberges (43). Sous l'empire, de grandes routes publiques reliaient tous les centres importants de la zone-
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centre du nord à la capitale. Selon l'Histoire de la Dynastie Han officielle, le premier empereur « construisit la Route Impériale à travers l'empire entier. A l'est, elle atteignit Yen et Ch'i, au sud Wu et Ch'u. Les rives du Chiang [le fleuve Yang Tsé], les lacs et le littoral le long de la mer devinrent tous accessibles. La voie avait cinquante pas de large. Un espace de trois chang [environ six mètres cinquante était ménagé entre des arbres. Les deux côtés étaient solidement construits et renforcés par des barres de métal. Des pins verts étaient plantés tout au long. Il construisit la Voie Impériale avec une telle élégance que les générations suivantes furent incapables de trouver ne fût-ce qu'un sentier tortueux pour y poser le pied » (44). Au cours des dynasties suivantes, construire et entretenir de grandes voies de communication et leurs nombreuses ramifications régionales restèrent une des tâches traditionnelles de l'administration centrale et locale en Chine. Le terrain accidenté de l'Amérique centrale et l'absence d'empire centralisé semblent avoir fait obstacle à la construction de grandes routes au cours de la période précolombienne, au moins sur le haut plateau. Mais la région des Andes fut le théâtre de constructions de routes extraordinaires. Les conquérants espagnols décrivirent en détail les belles routes qui traversaient la plaine littorale et les régions montagneuses, les reliant ainsi entre elles (45). En guise de commentaire sur les routes des Andes, Hernando Pizarro écrit que, sur un terrain semblable, il n'a jamais vu leurs pareilles « dans le monde chrétien tout entier» (46). En fait, seules les grandes voies construites par les Romains pouvaient servir de comparaison avec ces routes. La similitude est pleine de signification. Comme nous le verrons plus loin, les grandes routes romaines furent le fruit d'une inévitable évolution qui fit de l'empire romain un Etat despotique hellénistique (à l'orientale). Les efforts requis pour la construction de toutes ces grandes voies ont moins étonné que les voies elles-mêmes. Mais les documents attestent que, comme la plupart des autres entreprises gouvernementales, elles furent en grande partie exécutées grâce à l'effort collectif d'une main-d'œuvre accomplissant la corvée et requise par l'Etat. Dans l'empire inca, des fonctionnaires dessinaient le tracé de la route et informaient les habitants locaux « qu'ils auraient à faire ces routes ». Ce qui était fait, à peu de frais pour
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le gouvernement. Les hommes convoqués « viennent avec leur nourriture et leurs outils pour les faire» (g). Les voies de la Chine impériale nécessitaient une main-d'œuvre énorme pour leur construction et une maind'oHivre assez considérable pour leur entretien. Une inscription Han note que la construction d'une certaine route au cours des années 63-66 de notre ère occupa 766 800 hommes. Parmi eux, 2 690 seulement étaient des condamnés (47). c. - Palais, capitales et tombeaux. Un appareil gouvernemental capable d'exécuter tous ces travaux hydrauliques et non hydrauliques pouvait facilement servir à la construction de palais, de jardins de plaisance pour le prince et sa cour, d'édifices administratifs à l'allure de palais pour ses auxiliaires, de monuments et de tombeaux pour les défunts de l'aristocratie. On pouvait l'utiliser partout où les conditions égalitaires de la société tribale primitive faisaient place à des formes d'autocratie qu'elles soient ou non au niveau de la tribu. Le chef d'une communauté pueblo faisait cultiver ses champs par Jes villageois. Mais apparemment, son habitation ne différait pas des maisons des autres membres de la tribu, si ce n'est peut-être en ce qu'elle était mieux située et dans un endroit plus sûr. Les chefs chaggas se faisaient construire pour leur usage personnel de véritables palais ; et la main-d'œuvre corvéable nécessitée par ces constructions était assez considérable (48). Les palais colossaux des maîtres de l'ancien Pérou furent construits grâce à l'effort collectif de nombreux travailleurs. Dans le Mexique pré-colombien, Nezahualcoyotzin, roi de Tezcuco, seconde ville de la fédération aztèque, aurait employé plus de 200 000 travailleurs chaque jour pour la construction d'un palais et d'un parc magnifiques (49). Un pouvoir discrétionnaire sur le potentiel de travail de leurs sujets permit aux maîtres de Sumer, de Babylone et d'Egypte de construire leurs palais, leurs jardins et leurs tombeaux grandioses. Un même emploi de la main-d'œuvre était en usage dans les nom-
(g) C i e i a , 1943 : 95. L'organisation r é g i o n a l e et le travail d'entretien des routes avaient d é j à é t é n o t é s par un membre de l ' a r m é e c o n q u é r a n t e ( E s t è t e , 1938 : 246). L a g r a t u i t é d u travail fourni sous forme de c o r v é e de route est s i g n a l é e é g a l e m e n t par Blas Valeras, qui d é c l a r e que des conditions analogues é t a i e n t , l a r è g l e pour les ponts et les canaux d'irrigation (Oarcilaso, 194S, I :
858).
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breux petits Etats qui copiaient pour leurs gouvernements les modèles de la Mésopotamie et de l'Egypte. Selon la Bible, le roi Salomon construisit son beau temple grâce à des équipes d'ouvriers qui, comme ceux de Babylone, furent employés quatre mois dans l'année (50). Il existe de nombreuses descriptions des grands édifices de l'Inde mongole. Moins connues sont les constructions de périodes plus primitives, mais également dignes d'être mentionnées. Le troisième prince du Tughluk, Firus Shah (ca. 1308-88), creusa plusieurs canaux d'irrigation importants, parmi lesquels le célèbre « vieux canal Jumna ». Il bâtit des forts, des palais, des cités-palais, des mosquées et des tombeaux. Le palais forteresse de Kotla Firus Shah, situé dans sa nouvelle capitale de Firusàbad (Delhi), conserva fidèlement le grand style de l'architecture pré-islamique indienne et orientale (51). Maintes œuvres élaborées révèlent ce que fut pour la Chine l'activité de construction dans une société agro-institutionnelle. Le premier empereur de Chine, Ch'in Shih Huang-Ti, commença de grands travaux hydrauliques dès le début de son règne ; et plus tard il accomplit d'autres œuvres colossales non hydrauliques, publiques et semiprivées. Ayant éliminé tous ses rivaux des provinces, il construisit le réseau de routes déjà mentionné qui permit à ses fonctionnaires, à ses messagers, à ses troupes, un accès facile aux régions les plus lointaines de son empire. Plus tard, il se défendit contre les nomades du nord en consolidant la Grande Muraille. Dès le début de son règne, il avait fait construire des palais pour son usage personnel ; mais ce n'est qu'en 213 avant notre ère qu'il fit commencer son grand palais. La réalisation de ce gigantesque projet, ainsi que la construction de son énorme tombeau (52) auraient employé des équipes de plus de 700 000 personnes (53). Huit cents ans plus tard, le second monarque de la Chine réunifiée, l'empereur Yang (604-17) de la dynastie Sui, mobilisa des masses plus grandes encore pour l'exécution d'entreprises monstres d'un genre analogue. Outre plus d'un million de personnes — hommes et femmes — appelés à la construction du Grand Canal (54), il envoya d'énormes équipes de corvée étendre le réseau des routes impériales (55) et travailler à la Grande Muraille. Selon VHistoirc de la Dynastie Sui, plus d'un million de personnes travaillèrent à la Grande Muraille (h). Selon la (h) Plus d'un million e m p l o y é en 608 {Sui Shu
en 607 ; un compliment de 200 000 personnes fut 3,
10b,
12a).
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même source officielle, la construction de la nouvelle capitale de l'est, comprenant un nouveau palais impérial gigantesque, occupa non moins de deux millions de personnes «chaque mois» (56). d. - Temples. La situation, le sort et le prestige des maîtres séculaires de la société hydraulique étaient étroitement liés à ceux de leurs divins protecteurs. Sans exception, les maîtres politiques tenaient à confirmer et à étayer leur propre légitimité et leur majesté en rendant manifeste la grandeur de leurs mandants surnaturels. Que le gouvernement eût à sa tête des monarques séculiers ou des prêtres-rois, le pouvoir central mit tout en œuvre pour fournir aux dieux suprêmes et à leurs fonctionnaires terrestres les installations nécessaires au culte et à leur résidence. La main-d'œuvre, dirigée par le gouvernement, qui édifiait de gigantesques palais, était apte également à édifier de gigantesques temples. Les inscriptions antiques mentionnent les nombreux temples construits par les rois de Mésopotamie (57). D'ordinaire le souverain parle comme si ces œuvres s'accomplissaient grâce à ses seuls efforts personnels. Mais, à l'occasion, allusion est faite à la présence du « peuple » qui travailla « selon le plan établi » (i). De la même façon, la plupart des textes pharaoniques mentionnent l'œuvre accomplie (j) ou la grandeur du souverain qui les ordonna (58) ; mais ici aussi, un certain nombre de textes parlent de la main-d'œuvre dirigée par le gouvernement, « le peuple » (k). Dans les civilisations agraires de l'Amérique précolombienne, les constructions religieuses sont particulièrement frappantes. La tradition indigène et les premiers récits espagnols mettent l'accent sur l'énorme potentiel de travail requis pour la construction et l'entretien des demeures sacrées et des pyramides. Les Mexicains réuni-
(i) Price, 1927 : 24 : v o i r T h u r e a u - D a n g i n , 1907 : 111, et B a r t o n , 1929 : 225. Schneider (1920 : 46) et D e i m e l (1931 : 101 sqq.) d é p l o r e n t l a r a r e t é des documents concrets concernant l a construction à S u m e r . (j) Il en est ainsi pour l'une des inscriptions é g y p t i e n n e s les plus anciennes, la Pierre de Palerme (Breasted, 1927, I : 64). (k) « J ' a i c o m m a n d é à ceux q u i travaillent de faire comme t u l'ordonneras » (Breasted, 1927, I : 245). L e « peuple » apporte l a pierre pour le temple d ' A m o n ; et le « peuple » fait aussi l a construction. P a r m i les ouvriers, i l y a des artisans appartenant à d i f f é r e n t s m é t i e r s (ibid., II : 293, 294).
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rent leur main-d'œuvre communale afin d'ériger le premier temple de la nouvelle cité insulaire, plus tard capitale aztèque (59) ; et leurs descendants, de plus en plus puissants, mobilisèrent la main-d'œuvre de plusieurs pays conquis pour la construction de temples de plus en plus énormes (1). La cité semblable à un palais du célèbre roi de Tezcuco, Nezahualcoyotzin, ne contenait pas moins de quarante temples (60). On a déjà cité le grand nombre des travailleurs employés à la construction de cette cité-templeet-palais. Comme les équipes de travail gigantesques du Mexique, celles de Tezcuco pouvaient embrasser l'ensemble de la population corvéable (m). Dans une autre partie de la région du grand lac, Cuauhtitlan, la construction de grands ouvrages hydrauliques (61) fut suivie de la construction d'un grand temple. Il fallut treize années pour achever ce second ouvrage (62). Dans la région des Andes, comme dans la plupart des autres régions du monde hydraulique, la dépendance des prêtres à l'égard du gouvernement ne fait aucun doute. Les Incas prélevaient une grosse part de la richesse matérielle de leur empire pour embellir leurs temples et leurs pyramides (63). Ils faisaient appel à la main-d'œuvre nécessaire pour trouver les matériaux, les transporter et faire le travail de construction (64). E. — LES MAÎTRES DE LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE LES GRANDS BÂTISSEURS Evidemment, les maîtres de la société hydraulique, qu'ils gouvernassent le Proche-Orient, l'Inde, la Chine, ou l'Amérique d'avant la conquête, furent de grands bâtisseurs. On emploie généralement cette formule à la fois pour désigner l'aspect esthétique et l'aspect technique de l'œuvre ; et ces deux aspects sont étroitement liés. Examinons-les brièvement en relation avec les types suivants de construction hydraulique et non hydraulique : I. - Travaux hydrauliques A. — Installations de production (canaux, aqueducs, réservoirs, écluses, digues destinées à l'irrigation). (1) Tezozomoc, 1944 : 79 (le temple de Huitzilipochtli) ; 157 (le g r a n d C u , temple d é d i é au m ê m e dieu). (m) Ixtlilxochitl, O H , II : 173 s q q . L e s Annales de Cuauhtitlan mentionnent aussi cette construction (Chimalpopoca, 1945 : 52), sans cependant donner de d é t a i l s sur le t r a v a i l p r o p r e m e n t dit.
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B. — Travaux de protection (canaux de drainage et digues pour le contrôle des eaux). C. — Aqueducs fournissant l'eau potable. D. — Canaux de navigation. II. — Travaux
non
hydrauliques
A. — Travaux de défense et de communication. 1. - Murs et autres structures de défense. 2. - Voies de communication. B. — Edifices servant aux besoins publics et individuels des maîtres civils et religieux de la société hydraulique. 1. - Palais et capitales. 2. - Tombeaux. 3. - Temples. 1. - L'ASPECT ESTHÉTIQUE a. - Des œuvres
remarquables
mais
inégales.
La plupart de ceux qui ont étudié les grands bâtisseurs d'Asie et d'Amérique ont parlé beaucoup plus volontiers des ouvrages non hydrauliques que des ouvrages hydrauliques. Et parmi les travaux hydrauliques on a également prêté beaucoup plus attention aux aqueducs qui fournissaient l'eau potable et aux canaux de navigation qu'aux installations de production et de protection de l'agriculture hydraulique. En fait, ces dernières sont, fréquemment, purement et simplement ignorées. Parmi les travaux non hydrauliques les « grandes maisons » destinées au gouvernement et au culte et les tombeaux des puissants furent étudiés avec plus de soin que les grands ouvrages de communication et de défense. Ce n'est pas par hasard si l'on a ainsi traité différemment les diverses constructions gigantesques de la société hydraulique. Pour des raisons fonctionnelles, esthétiques et sociales, les travaux hydrauliques sont généralement moins impressionnants que les constructions non hydrauliques. Et ce sont des raisons analogues qui incitent à traiter différemment des divers ouvrages à l'intérieur de ces deux grandes catégories. Du point de vue fonctionnel, les canaux d'irrigation, les digues de protection se présentent d'une façon espacée et monotone, répartis dans l'ensemble du pays, tandis que les palais, les tombeaux et les temples se trouvent concen-
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très dans l'espace. Du point de vue esthétique, la plupart des travaux hydrauliques sont entrepris à l'origine dans des buts utilitaires, tandis que les résidences des princes et des prêtres, les temples du culte et les tombeaux des puissants ont pour but d'être beaux. D'un point de vue social, ceux qui répartissent la main-d'œuvre et les matériaux sont ceux-là mêmes qui personnellement et directement jouissent des bénéfices de nombreuses structures non hydrauliques. Par conséquent ils ont intérêt à faire porter l'effort esthétique sur ces structures (palais, temples et capitales), au détriment des autres ouvrages. Bien sûr le contraste n'est pas absolu. Quelques travaux d'irrigation, digues, aqueducs, canaux de navigation, voies de communication et murs de défense atteignent à une extrême beauté fonctionnelle. Et la proximité du siège du pouvoir peut conduire les fonctionnaires chargés de construire des digues, des aqueducs, des routes, des ponts, des murailles, des portes et des tours à apporter à ces constructions un souci de l'esthétique aussi grand que le permettent les matériaux et la main-d'œuvre. Mais ces motivations secondaires ne changent pas ces deux faits fondamentaux : la plus grande partie des travaux publics, hydrauliques ou non, sont esthétiquement moins remarquables que les palais, les temples, les tombeaux royaux ou officiels, et les travaux hydrauliques les plus importants — canaux et digues — sont, du point de vue de l'art et de la technique artistique, les moins remarquables de tous. b. - Le style monumental. En dépit de ces inégalités, les palais, les édifices gouvernementaux, les temples et les tombeaux ont en commun avec les travaux « publics » proprement dits un trait : leur dimension. Le style architectural dans une société hydraulique est monumental. Ce style apparaît dans les colonies fortifiées des Indiens pueblos. On le remarque dans les palais, les cités-temples et les forteresses de l'Amérique centrale et du sud. Il caractérise les tombeaux, les cités-palais, les temples et les monuments royaux de l'Egypte des pharaons et de la Mésopotamie antique. Celui qui a observé les portes et les murailles d'une capitale chinoise comme Pékin, ou qui a traversé les immenses portes des palais et les cours de la cité interdite pour entrer dans ses résidences princières, ses temples ancestraux et ses appartements privés, ne peut manquer d'avoir été profondément impressionné par leur caractère monumental.
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Pyramides et tombeaux en dôme sont la caractéristique la plus constante du style monumental dans la construction hydraulique. Leur effet esthétique est obtenu au moyen d'un minimum d'idées et d'un maximum de matériel. La pyramide n'est guère autre chose qu'un énorme tas de pierres disposées en un ordre symétrique. La société fondée sur la propriété privée et de plus en plus individualiste de la Grèce antique provoqua l'allégement de l'architecture massive qui s'était créée au cours de la période quasi hydraulique que fut la période mycénienne (1). Vers la fin du premier millénaire avant notre ère, quand Alexandre et ses successeurs dominaient le Proche-Orient tout entier, les concepts architecturaux de l'Hellade transformèrent et affinèrent le style hydraulique sans cependant détruire son aspect monumental. Dans l'architecture islamique, les deux styles se combinèrent pour en créer un troisième. Les productions de cette dernière évolution furent aussi remarquables aux points les plus occidentaux de la culture islamique — l'Espagne mauresque — que dans les grands centres orientaux : le Caire, Bagdad, Boukhara, Samarcande et Istamboul. Le même phénomène se manifeste dans le Taj Mahal d'Agra et autres constructions semblables, en Inde où, avant l'invasion islamique, une architecture riche et originale s'était développée. c. - l.a signification institutionnelle. Il est à peine nécessaire de dire que d'autres civilisations agraires surent combiner beauté et massiveté architecturales. Mais les maîtres hydrauliques différaient des seigneurs civils et religieux de l'Occident antique et médiéval en ceci que, d'une part leurs activités constructrices concernaient la vie de plus près, et que d'autre part le pouvoir qu'ils avaient sur la main-d'œuvre et les ressources matérielles du pays les mettaient en mesure d'atteindre des résultats infiniment plus monumentaux. Les travaux dispersés de l'agriculture pluviale n'exigeaient pas comme l'agriculture hydraulique des formes de travail coopératives à l'échelle nationale. Les nombreux manoirs de la société féodale européenne devinrent autant de résidences fortifiées (châteaux forts) ; et leur dimension était déterminée par le nombre de serfs attachés au domaine. Le roi, n'étant guère que le plus important des seigneurs féodaux, dut bâtir ses châteaux forts à l'aide de la main-d'œuvre dont ses domaines personnels disposaient. La concentration des revenus dans les centres régionaux ou provinciaux de l'autorité ecclésiastique permit la création
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des plus grands édifices individuels médiévaux : églises, abbayes et cathédrales. On peut noter que ces bâtiments furent l'œuvre d'une institution dont, à la différence de celles de toutes les autres communautés occidentales eminentes, les caractéristiques d'organisation et d'acquisition étaient à la fois féodales et quasi hydrauliques. En ce qui concerne, cependant, le pouvoir social et les ressources naturelles, les grands bâtisseurs de la société hydraulique demeurèrent sans rivaux dans le monde extra-hydraulique. La modeste Tour de Londres et les châteaux disséminés de l'Europe médiévale sont l'expression de la société féodale en équilibre qui est celle de la Magna Carta, de façon tout aussi évidente que les énormes cités administratives, les palais colossaux, les temples, les tombeaux d'Asie, d'Egypte, d'Amérique sont celle de la coordination organisationnelle et des possibilités de mobilisation dans l'économie et le système de gouvernement hydrauliques (a). F. —
L E GOUVERNEMENT HYDRAULIQUE DIRIGE AUSSI D'AUTRES GRANDES ENTREPRISES INDUSTRIELLES 1. - ETUDE COMPARATIVE
Un gouvernement qui a la direction de toutes les constructions importantes, hydrauliques ou non, peut, s'il le désire, jouer aussi le rôle essentiel dans toutes les autres branches de l'industrie. Il y a des industries d'« alimentation » telles que la mine, les carrières, les salines, etc. ; et il y a aussi des industries de transformation, telles que les manufactures d'armes, de textiles, de charrettes ou de mobilier, etc. Dans la mesure où les activités dans ces deux domaines se poursuivaient sur une grande échelle, elles étaient pour la plus grande partie soit dirigées directement par le gouvernement soit contrôlées par ce même gouvernement au moyen d'un monopole. Dans les conditions qui étaient celles de l'Egypte et du Pérou inca, le système qui prévalait était l'administration gouvernementale directe. Dans des conditions sociales plus différenciées, le gouvernement tendait à laisser une partie des mines, des salines, etc., à des entrepreneurs lourdement imposés et étroitement surveillés tandis que luifa) E n ce q u i concerne une autre p a r t i c u l a r i t é de l'architecture h y d r a u lique, le c a r a c t è r e « i n t r o v e r t i » de la p l u p a r t des b â t i m e n t s r é s i d e n t i e l s , à l'exception de l a demeure d u prince, v o i r plus loin, c h a p . 3, E , note b.
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même continuait à administrer directement la plupart des grands ateliers de manufacture. En rapprochant ces faits de ce que nous connaissons des opérations entreprises par l'Etat pour les constructions hydrauliques et non hydrauliques, nous pouvons, par le tableau suivant, indiquer la situation de l'Etat hydraulique administrateur, tant dans l'agriculture que dans l'industrie. Pour faciliter la comparaison, nous indiquons les éléments correspondants dans deux autres sociétés agraires, et dans l'Europe marchande. TABLEAU I L'Administration
gouvernementale dans VAgriculture et dans l'Industrie
Industrie
Agriculture
Formes insti- Grands Agritutionnelles travaux culture hydrauliques
Société hydraulique Capitales maritimes de la Grèce classique Europe médiévale . Europe marchande .
+ +
—
—
(+ )
Mines, etc.
(+ )
3
Industrie de construction
Manufactures Grands Petits ateliers ateliers
+
1
(+)
3
(+)•
—
-
(-)
Légende : + Prédominante — I n o p é r a n t e ou inexistante Conditions simples " A l'échelon national A l'échelon féodal. 1
+ + Essentielle ( ) Portée limitée ou modifiée par les facteurs indiqués dans ce texte
3
Dans la Grèce antique, l'industrie minière était entre les mains de propriétaires patentés. Aussi longtemps que le concessionnaire versait une part fixe de sa production à l'Etat, il jouissait de droits « très étendus > ; on « disait
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qu'il " achetait " la mine, il organisait le travail comme il l'entendait, le minerai lui appartenait et il pouvait céder sa concession à un tiers» (1). Dans l'Europe médiévale, l'industrie minière était dans l'ensemble aux mains des entrepreneurs privés qui, ayant obtenu du roi ou des autorités provinciales une concession, poursuivaient leur activité de façon indépendante et principalement par l'entremise de coopératives artisanales (2). Les gouvernements marchands d'Europe exploitaient quelques mines directement ; mais la plus grande partie des mines était exploitée par des propriétaires privés étroitement contrôlés (3). Ces diverses organisations diffèrent profondément du système gouvernemental d'exploitation minière qui prévalait en Egypte et dans le Pérou inca. Les institutions des pays marchands ressemblent en apparence mais non en substance, à la politique pratiquée dans certaines des sociétés hydrauliques plus différenciées où la direction gouvernementale, pour quelques mines, s'alliait à l'administration privée, mais sous licence gouvernementale des autres (4). Les mines exceptées, l'absolutisme oriental et l'absolutisme occidental ont, dans le domaine industriel, moins de similitudes qu'on ne l'a prétendu tandis qu'il existe entre la société hydraulique et l'Europe féodale une ressemblance générique. Dans la société hydraulique, la plus grande partie des ateliers importants, peu nombreux d'ailleurs, étaient sous la direction du gouvernement. En ce qui concerne l'Europe marchande, ils étaient au contraire détenus et administrés par des entrepreneurs privés, dont la liberté était restreinte par diverses formes de contrôle gouvernemental. Dans les cités-Etats de la Grèce classique, le gouvernement n'était pas en mesure et n'avait pas le désir de se livrer à une activité industrielle. Les princes de l'Europe médiévale, devant une situation différente, agirent différemment. Dans les ateliers seigneuriaux, ils employaient un certain nombre de serfs artisans qui travaillaient à satisfaire les besoins de leur maître. Les seigneurs féodaux faisaient également appel aux serfs pour la construction des « grandes maisons » — les châteaux. La similitude entre ce système seigneurial de travail coopératif et le processus hydraulique est évident. Mais, encore une fois, la similitude fonctionnelle trouve ses limites dans l'organisation de la société. Les rois et les barons médiévaux ne disposaient que de la seule main-d'œuvre dépendant de leurs domaines et Etats, tandis que les princes hydrauliques disposaient de la main-d'œuvre, qualifiée ou non, de larges provinces et même du pays tout entier.
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La différence spécifique, cependant, entre la société hyoraulique et les trois civilisations avec lesquelles nous la comparons se trouve, en ce qui concerne l'industrie, dans le domaine de la construction. C'est ce domaine qui, plus qu'aucun autre secteur de l'industrie, prouve le pouvoir organisationnel de la société hydraulique. Et c'est dans ce domaine que furent atteints des résultats hors de la portée des autres sociétés, agraires ou marchandes. La pleine signification institutionnelle de ce fait devient apparente dès que nous cherchons son lien avec le développement agraire correspondant. Les grands travaux hydrauliques dirigés par le gouvernement plaçaient l'appareil de l'agriculture entre les mains de l'Etat. Les travaux de construction dirigés par le gouvernement font de l'Etat le maître incontesté des secteurs les plus étendus de la grande industrie. Dans les deux domaines principaux de la production, l'Etat occupait donc une situation unique de direction opérationnelle et organisationnelle. 2. - L E POUVOIR DE L'ETAT HYDRAULIQUE SUR LES TRAVAILLEURS EST PLUS GRAND QUE CELUI DES ENTREPRISES CAPITALISTES
Dans ces deux domaines, l'Etat hydraulique enrôlait et dirigeait la main-d'œuvre au moyen de méthodes coercitives — qu'un seigneur féodal ne pouvait employer que dans une zone restreinte — et totalement différentes des méthodes en usage dans les conditions du capitalisme. Les maîtres hydrauliques étaient assez forts pour accomplir à l'échelon national ce qu'un souverain ou un seigneur féodal ne pouvaient faire que dans les limites de leur domaine. Ils contraignaient le peuple valide à travailler pour eux selon le système de la corvée. La corvée est un travail forcé. Mais, à la différence du travail de l'esclave qui est une obligation permanente, la corvée est requise pour une période temporaire renouvelable. La corvée terminée, il est entendu que le travailleur rentre chez lui et reprend son propre travail. L'ouvrier corvéable est plus libre que l'esclave. Mais il est moins libre que le travailleur rémunéré. Il ne profite pas des avantages de la concurrence sur le marché du travail et cela même si l'Etat le nourrit (dans le Proche-Orient antique, il est souvent question de « pain et bière » ) ou le paye. Dans les régions possédant un système de circulation fiduciaire très développé, le gouvernement hydraulique peut lever un impôt de corvée, en échange de la main-d'œuvre nécessaire. Cela se faisait couramment en Chine à la fin de la dynastie Ming et pendant la plus grande partie de la domination des Ts'ing.
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Mais ici comme ailleurs, le gouvernement fixait le salaire arbitrairement. Et il maintint toujours les travailleurs dans une discipline quasi militaire (5). Excepté en temps de crise politique ouverte, l'Etat hydraulique pouvait toujours enrôler la main-d'œuvre nécessaire ; et cela que les travailleurs fussent requis ou payés. On a dit que le prince mongol Akbar « par son firman (décret) pouvait rassembler autant d'hommes qu'il le voulait. Le nombre de ses travailleurs n'avait d'autre limite que le nombre des sujets de son Empire» (6). Mutatis mutandis, cette formule peut être appliquée à toutes les civilisations hydrauliques. G. — UN TYPE AUTHENTIQUE E T SPÉCIFIQUE DE RÉGIME DIRECTORIAL Ainsi, l'Etat hydraulique remplissait de nombreuses fonctions organisationnelles importantes (a). Dans la plupart des cas, il entretenait les ouvrages hydrauliques essentiels, se montrant, dans le domaine agraire, le seul moteur des grandes entreprises de préparation et de protection. Et, d'ordinaire, il dirigeait également les grandes entreprises industrielles non hydrauliques, en particulier les grandes constructions. Il en était ainsi, même dans certaines zones « marginales » où les travaux hydrauliques étaient insignifiants. L'Etat hydraulique diffère des Etats totalitaires modernes en ceci qu'il se fonde sur l'agriculture et ne dirige qu'une partie de l'économie du pays. Il diffère des Etats libéraux fondés sur la propriété privée en matière d'industrie, en ceci que sous sa forme originelle il accomplit les fonctions économiques essentielles au moyen du travail dirigé (forcé).
(a) L a science sociale doit à James B u r n h a m l a d é c o u v e r t e d u potentiel de p o u v o i r i n h é r e n t à la direction organisationnelle. L a p r é s e n t e é t u d e souligne l'importance de l'organisateur (politique) g é n é r a l , c o m p a r é non seulement au s p é c i a l i s t e technique (voir V e b l e n , 1945 : 441 sqq.), mais encore a u dirigeant é c o n o m i q u e . Cela cependant ne diminue en rien l'estime qu'a l'auteur pour l a d é c o u v e r t e p a r B u r n h a m d u concept de leadership directorial.
CHAPITRE III
UN ÉTAT PLUS FORT QUE LA SOCIÉTÉ A. — DES FORCES NON GOUVERNEMENTALES RIVALES DE L'ÉTAT POUR LA CONQUÊTE DE LA DIRECTION DE LA SOCIÉTÉ L'Etat hydraulique est un Etat authentiquement institutionnel. Ce fait affecte très profondément l'ensemble de la société. En tant que contrôle suprême de constructions énormes, hydrauliques et autres, l'Etat hydraulique empêche les forces non gouvernementales de la société de se cristalliser en groupes indépendants assez forts pour contrebalancer et prendre la direction de la machine politique. Les relations entre les forces sociales, gouvernementales et non gouvernementales, sont aussi complexes que la structure de la société elle-même. Tous les gouvernements se préoccupent de la protection de la nation contre les ennemis extérieurs (en organisant les forces militaires) et du maintien de l'ordre intérieur (au moyen de juridictions et de méthodes policières de toute espèce). Le gouvernement se charge de ces tâches et d'autres encore, plus ou moins complètement selon que l'ordre social encourage ou restreint les activités gouvernementales d'une part, et d'autre part le développement de forces non gouvernementales rivales. Les forces non gouvernementales qui recherchent la direction sociale et politique, peuvent être des groupes liés par la parenté (en particulier dans les sociétés primitives) ; les représentants d'organisations religieuses autonomes (courantes dans certaines civilisations primitives, mais, comme le montre l'histoire de l'Eglise chrétienne, nullement réservées à ces sociétés) ; des chefs de groupes militaires, indépendants ou semi-indépendants (tels que les tribus guerrières, les armées des seigneurs féodaux) ; et des détenteurs de différentes formes de propriété (tels que l'argent, la terre, l'équipement industriel, le potentiel de travail).
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En certains cas, l'essor du despotisme hydraulique a probablement subi la concurrence de chefs de clans puissants ou de groupes religieux, soucieux de conserver leur autonomie traditionnelle. Dans d'autres, des chefs militaires semi-indépendants ont pu essayer d'empêcher les maîtres de l'appareil hydraulique de parvenir au pouvoir total. Mais à ces forces rivales manquèrent les droits à la propriété et la force organisationnelle qui, dans l'antiquité grecque et romaine aussi bien que dans l'Europe médiévale, furent à la base de la puissance des forces non gouvernementales. Dans les civilisations hydrauliques, les détenteurs du pouvoir empêchèrent l'affermissement organisationnel de tous les groupes non gouvernementaux. Leur Etat devint «plus fort que la société» (1). Toute organisation qui donne à ses représentants un pouvoir sans contrôle sur ses sujets peut être considérée comme un appareil. A la différence de l'Etat soumis au contrôle des sociétés à centres multiples, l'Etat dans une société hydraulique fortement centralisée constituait un véritable appareil. B. — L E POUVOIR ORGANISATIONNEL DE L'ÉTAT HYDRAULIQUE 1. - L E S GRANDS CONSTRUCTEURS DE LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE DE GRANDS ORGANISATEURS
Un pouvoir organisationnel supérieur peut avoir différentes racines. Dans un cadre hydraulique, le besoin d'une organisation totale est inhérent aux constructions complexes que nécessite l'ordre agraire. Ces constructions posent de nombreux problèmes techniques et requièrent aussi une vaste organisation. Dire que les maîtres de la société hydraulique sont de grands constructeurs n'est qu'une autre manière de dire qu'ils sont de grands organisateurs. 2. - LES BASES D'UNE ORGANISATION EFFECTIVE : COMPTABILITÉ ET ARCHIVES
Un organisateur ordonne des éléments disparates pour en faire un tout intégré. Il peut le faire ex tetnpore si son but est simple ou temporaire. Il doit au contraire élaborer une méthode si sa tâche est permanente et difficile. S'il s'agit d'êtres humains — de leur potentiel de travail et de leur potentiel militaire, de leur capacité de payer des impôts — il faut connaître leur nombre et leur condition. Dans ce but, il faut dénombrer les gens. Et lorsque l'organisateur a l'intention de demander une contribution fréquente et régulière, il doit conserver les résultats de
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ses calculs, soit qu'il les garde en mémoire, ou soit qu'il dépasse ce niveau primitif, en utilisant des symboles appartenant ou non à un système d'écriture. Ce n'est pas par hasard que, entre tous les peuples sédentaires, les pionniers de l'agriculture et du type d'Etat hydrauliques ont été les premiers à inventer des systèmes rationnels de calcul et d'écriture. Ce n'est pas par hasard non plus que les archives des sociétés hydrauliques concernent non seulement les régions restreintes que sont les cités et les Etats-cités, les domaines royaux ou féodaux, mais aussi les villes et les villages de nations et d'empires tout entiers. Les maîtres de la société hydraulique furent de grands constructeurs parce qu'ils furent de grands organisateurs ; et ils furent de grands organisateurs parce qu'ils furent de grands calculateurs. l^es cordelettes quipus colorées et nouées, au moyen desquelles les Incas conservaient les résultats de leurs dénombrements fréquents (1), prouvent que l'absence d'une écriture ne constitue nullement un obstacle insurmontable au recensement et à l'enregistrement de la population. Dans le Mexique d'avant la conquête, la répartition des propriétés et l'état des obligations qui s'y rapportaient étaient soigneusement enregistrés ; et la procédure appliquée par les administrateurs locaux se basait apparemment sur ces documents essentiels (2). En Chine, un système complexe d'écriture et de comptes exista dès la dynastie Yin (Chang), c'est-à-dire dès le second millénaire avant notre ère. Au cours de la dynastie Tch'ou, plus tard, les listes censitaires servirent à désigner les éventuels combattants et travailleurs et à évaluer les revenus et les dépenses. Nous avons des témoignages de l'existence d'un système évolué de recensement et d'enregistrement dans les règlements de l'Etat Tch'ou (3). Et nous savons qu'à la fin de la période Tch'ou, les habitants étaient recensés dans la grande province nordest de Ch'in (4), et aussi dans la province de Ch'i. En ce qui concerne Ch'i, on nous dit que l'on procédait au recensement chaque année en automne (5). C'est aussi en cette saison que l'on recensait les habitants au cours de la première dynastie impériale de longue durée, la dynastie Han (6). Des résultats de recensement sur bambous indiquent que les fonctionnaires Han avaient une méthode permanente (7). Les deux recensements de la période Han que l'on trouve dans l'histoire officielle de cette période sont les données les plus complètes que nous possédions en matière de population concernant une grande civilisation, y compris l'empire romain. L'histoire ultérieure du recensement chinois pose de
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nombreux problèmes qui sont loin d'être résolus. Les méthodes et la précision de la procédure varièrent beaucoup avec le temps, mais il n'y a aucun doute sur le rôle du gouvernement en cette matière. D'une façon ou d'une autre, la bureaucratie impériale réussit à tenir registre de ses ressources matérielles et humaines. Cela est valable pour l'Inde, L'Arthashastra (9) et les sources islamiques (10) révèlent l'intérêt que prirent les dominateurs indigènes et étrangers au recensement de leurs sujets et à l'estimation de leurs revenus. Et cet intérêt n'était nullement académique. Mégasthènes révéla l'existence, dans l'empire maurya, de corps de fonctionnaires chargés du cadastre et du recensement (11). De nombreuses inscriptions révèlent l'existence d'investigations du même genre pendant la dernière période de l'Inde hindoue (12). Après la Chine, c'est sans doute le Proche-Orient qui nous fournit le plus de renseignements sur le développement du recensement gouvernemental. Les plus anciennes inscriptions déchiffrées concernant l'économie d'une cité sacrée en Mésopotamie contiennent des indications numériques sur la terre, les habitants, l'agriculture et les services publics (13). Dans l'Egypte des Pharaons, les habitants étaient dénombrés régulièrement depuis le temps de l'Ancien Empire (14). II n'existe de documents prouvant la relation entre le recensement, le fisc et les obligations personnelles que pour la période du Moyen et du Nouvel Empire, mais l'absence de documents plus anciens sur ce point est certainement fortuite (15). A la veille de l'époque hellénistique, il semble qu'il y ait eu un recensement annuel des personnes et des biens (16) ; et les Ptolémées maintinrent certainement l'ancien système. D'après les papyrus on peut conclure qu'il existait deux cadastres se contrôlant réciproquement, l'un dans les villages, l'autre dans la capitale (17). Sous les différents régimes les méthodes de recensement des personnes et des biens, en particulier de la terre, subirent de nombreuses modifications ; mais comme en Inde et en Chine, le principe fondamental demeura. Les Romains héritèrent du système hellénistique et les Arabes fondèrent le leur sur celui de l'Empire romain oriental (19). Les Mameluks maintinrent le système éprouvé d'enregistrement de même que les Turcs ottomans qui, à l'apogée de leur pouvoir, exigèrent que « tous les trente ans, un recensement soit opéré, les morts et les vivants étant séparés, et que ceux qui n'étaient pas encore enregistrés soient inscrits sur les rouleaux» (21).
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3. - DIRECTION ORGANISATIONNELLE ET HYDRAULIQUE
Un regard sur les registres de la capitale et des centres secondaires d'une société hydraulique nous rappelle le sens originel du terme « bureau-cratie » : « gouvernement par l'intermédiaire de bureaux ». La puissance du régime agro-institutionnel avait des liens étroits avec le contrôle « bureaucratique » que le gouvernement exerçait sur ses sujets. a. - La tâche organisationnelle propre à toute grande construction, hydraulique ou non. Comme nous l'avons déjà dit, d'énormes tâches organisationnelles sont spécifiques des grandes constructions que l'appareil d'Etat agrarien réalise et qui, particulièrement sous la forme hydraulique, jouent un rôle décisif dans la cristallisation de l'ensemble. Ayant traité dans le chapitre précédent du développement de la construction dans une société hydraulique, nous nous bornerons à souligner une fois de plus l'importance fondamentale de l'organisation dans ce domaine. b. - Aménagements hydrauliques. Les formes primordiales d'aménagements hydrauliques (juxtaposées à la construction) sont la distribution de l'eau d'irrigation et le contrôle des eaux. En général ces deux opérations exigent beaucoup moins de maind'œuvre que le travail de construction et d'entretien, mais ceux qui en sont chargés doivent coopérer selon un plan très précis. Mégasthènes décrit le soin avec lequel les fonctionnaires de l'empire maurya ouvraient et fermaient les canaux et les conduits destinés à répartir l'eau d'irrigation (a). Le très systématique code de gouvernement chinois, le Tch'ou Li, mentionne l'existence de fonctionnaires chargés de suivre le cheminement de l'eau d'irrigation depuis les réservoirs et les grands canaux jusqu'aux petits canaux et aux rigoles (22). Hérodote, dans un passage fréquemment cité, relate comment dans la Perse des Achéménides, le souverain lui-même surveillait les grandes opérations hydrauliques : « Le roi ordonne d'ouvrir pour la contrée qui a le plus besoin d'eau, les écluses se trouvant de son côté, et, quand la terre a été abreuvée jusqu'à saturation, ces écluses sont fermées et d'autres sont ouvertes pour la région qui, ensuite, en a le plus besoin » (23). (a) S t r a b o n , 15.1.50. S m i t h , 1914 : 132. O n d i t que le B o u d d h a l u i - m ê m e r é g l a un d i f f é r e n d entre deux c i t é s , à propos de leurs droits sur les eaux d'une r i v i è r e voisine (Jatakam, V : 219).
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Mégasthènes et Hérodote sont formels sur ce point : c'est le gouvernement qui distribue l'eau d'irrigation ; mais ils ne donnent aucun détail d'organisation. De tels renseignements restent ensevelis dans les codes et les règlements administratifs qui, en raison de leur caractère technique, ont été délaissés par les humanistes. Font exception cependant quelques descriptions de la Perse des 10* et 16 (ou 17 ) siècles, et plusieurs codes d'irrigation découverts à Bali. Les documents traitant du mode d'irrigation en Perse montrent avec quels soins l'eau disponible était répartie. Ils indiquent également la minutieuse coopération entre le « maître de l'eau » (mirab), les fonctionnaires et les auxiliaires, ses subordonnés et les chefs de villages (b). Les documents de Bali nous familiarisent avec le fonctionnement d'un ordre hydraulique bien intégré. Ici, ce sont le monarque et le ministre des finances (sedahan agong) qui prennent les décisions vitales, à savoir quand et comment les différentes unités d'irrigation, les subaks, doivent être alimentées (24). Le fonctionnaire responsable d'un ensemble de ces unités surveille l'approvisionnement de chaque subak (25) ; et le responsable d'une unité locale, le klian subak, rassemble les paysans qui s'engagent par un serment solennel à respecter les règlements pendant l'inondation des rizières, les sawah (26). «Ainsi, la distribution ordonnée de l'eau parmi les propriétaires de sawah s'accomplit avec un soin extrême, et aussi pour des raisons bien fondées. Le propriétaire de sawah ne peut à aucun moment avoir plus que sa part d'eau, lorsque l'eau est rare. Les propriétaires de sawah, même s'ils appartiennent au même subak, doivent partager l'eau disponible et inonder leurs champs selon l'ordre établi » (27). Les opérations organisationnelles que nécessite la distribution de l'eau d'irrigation sont remarquables pour leur subtilité et la centralisation de leur direction. Les conflits sont fréquents entre cultivateurs et entre zones d'irrigation. « Si chaque propriétaire de sawah pouvait agir à sa guise, il s'ensuivrait bientôt de grands désordres et le dernier subak n'aurait sans doute jamais d'eau ». Tous ces problèmes sont résolus au mieux, essentiellement parce e
e
(b) L a m b t o n , 1948 : 589 s q q . Ibid., 1938 : 665 s q q . L'organisation d u s y s t è m e d'irrigation en Perse orientale au temps d u califat des Abbassides est d é c r i t e dans les annales arabes. L e chef d u service des eaux de M e r v disposait de dix mille ouvriers et son p o u v o i r é t a i t plus grand que celui d u chef de police local. L ' é c l u s e , dans l a partie i n f é r i e u r e de la ville, é t a i t a c t i o n n é e p a r quatre cents gardes ; et la mesure et l a distribution de l'eau suivaient des r è g l e s minutieuses (Mez, 1922 : 423 sqq.). E n ce q u i concerne l'institution d u m a î t r e de l'eau en A r a b i e m é r i d i o n a l e ancienne et moderne, voir O r o h m a n n , 1933 : 31.
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que « la distribution de l'eau, aussi bien que la loi concernant l'eau, sont entre les mains d'une seule personne » (28). Le contrôle des eaux ne nécessite un plus grand effort que dans certaines circonstances particulières. Un problème opérationnel se pose d'abord dans les régions où la crue périodique d'un fleuve important menace le système d'irrigation et la sécurité de ceux qui en dépendent. A Bali il faut surveiller le cours supérieur du fleuve ; et il existe des hommes spécialisés dans cette fonction, qui l'accomplissent comme une partie de leur corvée hydraulique (29). Dans la Chine impériale, même au temps de la décadence, le gouvernement plaçait des milliers de personnes le long des digues pour combattre d'éventuelles inondations (30). De 1883 à 1888, le gouvernement égyptien appela, annuellement, cent mille personnes corvéables pour la surveillance du fleuve et la lutte contre l'inondation (31). 4. - L'ORGANISATION DE TRANSPORTS RAPIDES ET DES SERVICES DE RENSEIGNEMENT
Dans l'agriculture hydraulique il faut organiser certains grands travaux de construction et d'aménagement. D'autres activités organisationnelles ne sont pas impératives, mais sont rendues possibles par une économie politique qui oblige le gouvernement à maintenir les sièges du pouvoir et de la coordination dans les zones majeures de production. Etant en mesure d'affirmer son autorité, au-delà d'un « domaine royal » limité, et au-delà d'un certain nombre de villes royales — auxquels se restreint l'Etat féodal type — le régime hydraulique place ses administrateurs et ses officiers partout où existent de grandes colonies qui, virtuellement, prennent partout le caractère de villes administratives dirigées par le gouvernement et de villes de garnisons. Un contrôle gouvernemental efficace possède tout d'abord la suprématie politique et fiscale de l'organisme dirigeant et, en second lieu, les moyens de communiquer des ordres ou d'envoyer des chefs aux centres secondaires du pouvoir. La volonté d'exercer le pouvoir au moyen du contrôle des communications est caractéristique de toutes les hiérarchies politiques ; mais il dépend des circonstances que cette volonté s'accomplisse plus au moins complètement. Le suzerain d'une société féodale appréciait les communications rapides autant qu'un despote oriental ; mais la dispersion de ses centres administratifs et l'absence de bonnes routes due aux conditions poli-
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tiques, empêchaient ses messages de se transmettre aussi rapidement et avec autant de sécurité que ceux d'un souverain hydraulique. Le développement de longues routes et de canaux de navigation n'est qu'une manifestation de plus des extraordinaires possibilités de construction de la société hydraulique. De même, le développement de systèmes efficaces de communication n'est qu'une autre manifestation de ses extraordinaires facultés d'organisation. Presque tous les Etats hydrauliques étayèrent leur pouvoir au moyen de systèmes complexes de communication « postale » et de liaison. Les termes « poste » ou « service postal » indiquent que des personnes sont « postées » à des intervalles donnés le long de la route ; la formule « système de relais » indique une interaction organisée entre les personnes postées de cette façon. Ces termes seront employés de manière interchangeable, étant entendu que dans notre contexte ils désignent une organisation (maintenue par l'Etat au service et à la charge de l'Etat. A certaines occasions, la poste achemina des marchandises rares et périssables (fruits et poissons pour la cour, etc.). Mais son but originel était le déplacement de personnes hors du commun (envoyés, fonctionnaires, diplomates étrangers), de messagers, de messages — ces derniers comprenant les communications les plus confidentielles, les plus importantes, les plus délicates. Dans la société décentralisée de l'Europe médiévale, des individus ou des groupements (marchands, bouchers, villes) établirent des communications à travers le pays, bien avant que le gouvernement n'entreprît d'organiser un service postal systématique (32). Dans le monde hydraur lique, les communications privées existaient (33), mais n'entraient jamais en compétition avec le système de relais étendu et efficace de l'Etat. En administrant la poste à la manière d'une institution politique, les représentants du gouvernement oriental s'assurèrent un monopole des moyens de communication rapide, lequel — en liaison étroite avec un système complexe de transmission — devint une arme formidable de pouvoir social. Dans les régions hydrauliques de l'Amérique ancienne, le système de relais existe sous une forme simple mais extrêmement efficace. En l'absence d'animaux de selle, les messages étaient transmis par des coureurs qui, dans la région mexicaine, suivaient des routes médiocres et, dans la région des Andes, d'excellentes voies publiques. Il semble que la distance entre deux relais mexicains ait été d'environ dix kilomètres (34) ; et, selon Torquemada, les messages pouvaient être transmis à une vitesse de plus
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de cinq cents kilomètres par jour (35). Les relais sur la route inca étaient plus proches les uns des autres, parfois à peine séparés par 1 250 m. L'organisation des coureurs permettait une vitesse de 250 kilomètres par jour. Selon Coho, un message était transmis de la ville littorale de Lima à Cuzco, la capitale du haut plateau, c'est-à-dire à une distance d'environ 650 kilomètres de terrain difficile et souvent escarpé, en trois jours environ. Cent ans après la conquête, il fallait à la poste espagnole, utilisant des chevaux, douze à treize jours pour parcourir le même terrain (c). Pour la durée de leur mission, les coureurs devaient être nourris ; cette responsabilité était confiée aux colonies que les routes de relais traversaient (36). En fait, dans toutes les parties du monde hydraulique, ceux qui vivaient le long des routes postales étaient en général obligés d'approvisionner les relais, de fournir de la main-d'œuvre auxiliaire, des animaux de trait et de selle, des chars, des litières ou des bateaux, à la demande des fonctionnaires des relais. On dit que les Incas étaient extrêmement bien informés de ce qui se passait dans les régions les plus éloignées de leur empire (37). La perfection de l'organisation du système postal dans la Perse des Achéménides fit sur Hérodote une profonde impression (38). On pouvait aussi faire porter des lettres privées, mais, pour des raisons de sécurité, elles étaient lues par les fonctionnaires de la poste (39). Xénophon insiste sur la transmission des renseignements. Grâce à la poste royale, les rois Achéménides pouvaient « s'informer avec une grande rapidité de l'état des affaires dans toutes les parties de leur royaume » (40). Nous avons de nombreuses descriptions des aspects techniques de la poste romaine. La répartition de ces grands et petits relais (mantiones
et mutationes)
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formes d'organisation de ces institutions sont vraiment remarquables (41). Mais il faut se rappeler qu'à l'origine, le cursus publicus était destiné à fournir à la capitale impériale des informations (42). En créant cette poste, Auguste jeta les bases d'un vaste système de renseignement. Des fonctionnaires spéciaux, appelés d'abord frumentarii, et à partir de Dioclétien agentes in rébus, travaillaient en liaison avec le personnel technique. Leur activité affermit considérablement l'emprise du gouvernement autocrate sur ses sujets (*) (44). (c) Cobo, H N M , III : 269 ; R o w , 1946 : 231 sqq. Selon Cieza (1945 : 137) message é t a i t transmis à cette distance en h u i t jours. (*) V o i r sur ce point H . G . Pflaum. Essai sur le curcus publicus dans l'Empire romain, Paris, 1939 (N. d. T . ) . un
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On dit qu'à l'aube de l'ère byzantine, le système postal fut excellent (44). Selon Procope, les courriers parcouraient en un jour une distance qui, parcourue par des particuliers, en exigeait dix (45). En Perse, les souverains Sassanides conservèrent la tradition des Achéménides, tant en entretenant un service postal efficace qu'en l'utilisant essentiellement pour les besoins de l'Etat (46). On a souvent dit que les califes copièrent leur système postal sur le modèle persan (47). Cela semble vrai, si l'on tient compte du fait que les Arabes apportant avec eux les traditions de la steppe et du désert, se déplaçaient à cheval ou avec des caravanes de chameaux. Par conséquent, ils s'intéressaient peu (48) à l'état des routes, qui avaient été l'orgueil du service postal dans le Proche-Orient jusqu'au temps des Sassanides. Cela mis à part, ils se montrèrent soucieux de conserver une poste publique en bon état. On dit qu'au 9 siècle le califat entretint neuf cents relais (49). Sous les califes, le grand maître de la poste était souvent en même temps le chef du service de renseignement (50). Un décret de nomination datant de 315 de l'Hégire (927-28 de notre ère), stipule clairement que le calife exige du chef du service postal qu'il observe en détail l'état de l'agriculture, de la population, la conduite des juges officiels, la circulation fiduciaire et autres questions du même ordre. Les rapports secrets devaient traiter séparément des différentes classes de fonctionnaires, de juges, d'officiers de police, de fonctionnaires chargés des impôts, etc. (51). Ces directives sous-entendent des méthodes complexes de collecte et d'information systématisée. Les Fatimides conservèrent la tradition postale de leurs prédécesseurs arabes (52) ; et les Mameluks cherchèrent à garder au moins la poste d'Etat qui, à l'époque de leur prospérité, reliait la métropole égyptienne aux différentes régions de la Syrie (53). Kalkashandi note la relation qui existait entre le système postal régulier et le système d'information et d'espionnage. Les départements responsables de ces questions dépendaient du même ministère, le Divan de la Correspondance (54). Les porteurs de dépêches du gouvernement ottoman portaient la correspondance politique et administrative de l'Etat « d'un bout à l'autre de l'empire ottoman » (55). Mégasthènes mentionne l'activité des fonctionnaires chargés de l'information en Inde maurya (56) ; et l'Arthashastra, ainsi que le Livre de Manon, analysent en détail les méthodes que les espions doivent employer (57). La liaison entre le système postal à la charge du gouvernement et les renseignements secrets, apparaît clairee
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ment dans des textes qui concernent la période Gupta (3-8* siècles de notre ère) (58) ; il existe aussi des documents concernant la période musulmane (59). Au temps des Mongols, l'information locale était une organisation bureaucratique et dépendait d'un fonctionnaire nommé kotuml (60). Il est permis de penser que le service national de renseignement était lié au système routier, dont les auberges publiques {sarais) et autres commodités étaient organisées « selon les pratiques des meilleurs rois hindous des temps anciens » (61 ). En Chine, le système de relais se développa en même temps que les routes d'Etat et les voies d'eau faites par l'homme. Perpétuant et améliorant des systèmes plus anciens (62), les maîtres de l'empire établirent un service postal qui, avec de nombreuses interruptions et modifications, dura plus de deux mille ans. La poste impériale fournit au gouvernement des informations rapides et confidentielles en provenance de toutes les parties du pays. Pendant la période Han, il arriva assez fréquemment que des rebelles barbares brûlèrent les relais postaux (63). Un haut dignitaire, appelé roi de Yen, qui conspira pour devenir empereur, instaura un système de relais personnel, pour la transmission rapide de ses messages (64). Un ancien fonctionnaire, recherché par le gouvernement, déclara dans un mémorandum de protestation que le gouvernement commença son enquête en envoyant « des messages par le service de la poste et de la poste à cheval, pour publier une proclamation au près et au loin ». Ses poursuivants « examinèrent chaque empreinte de pied d'homme » et « suivirent chaque ornière de la voiture ». Il arriva que le filet qui était « tendu sur l'empire entier » se referma sur le fugitif ; il fut pris et livré à la mort (65). Le système de relais du gouvernement T'ang (618907) comprenait plus de 1 500 postes de relais, dont près de 1 300 servaient aux communications par voie de terre, 260 étaient des « relais d'eau » et 86 étaient mixtes (66). La poste liao était réservée exclusivement à l'Etat. Son entretien était à la charge du peuple. « Chaque région devait avoir ses relais et la population locale devait fournir les chevaux et les bœufs» (67). Confronté avec de tels précédents historiques, le rapport de Marco Polo sur le système postal de la Chine mongole ne semble pas fantaisiste, en particulier si nous nous rappelons que l'empire du Grand Khan comprenait bien des « régions sans route » (68). Mais les maîtres mongols de la Chine entretenaient des chevaux en très grand nombre. Il faut noter cependant qu'en plus d'importantes « maisons de relais de chevaux », ces conquérants cavaliers eux-mêmes possédaient des relais secondaires
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destinés aux coureurs. Grâce à ces coureurs, dont le nombre était « immense » l'empire mongol recevait « des dépêches apportant des nouvelles de lieux situés à dix journées de voyage en l'espace d'un jour et d'une nuit» (69). L'emploi de ces coureurs — auxiliaires des messagers qui se déplaçaient à cheval et par bateau — se perpétua jusqu'à la dernière dynastie impériale, T'sing (1616-1911). En 1825, le service postal fonctionnait au moyen d'un réseau complexe de routes principales et secondaires comprenant plus de 2 000 relais express et presque 15 000 relais pour les messagers à pied. Pour ces premiers relais, l'administration entretenait 30 526 chevaux et 71 279 hommes, et pour les seconds 47 435 messagers à pied. Ces chiffres ne comprennent que le personnel technique. L'information officielle et les renseignements secrets appartenaient à des fonctionnaires régionaux et locaux dont la vigilance était tenue en éveil par la menace de châtiments sévères. L'effort d'organisation que nécessitait l'entretien de ce réseau gigantesque est évident. Les possibilités extraordinaires d'information rapide et confidentielle ne sont pas moins frappantes. La province métropolitaine Chihli avait à elle seule 185 stations pour la transmission ultrarapide des messages et 923 relais pédestres. Les chiffres correspondants pour le Chan-Toung sont de 139 et 1 062 ; pour le Chan-Si, 127 et 988 ; pour le Chen-Si, 148 et 534 ; pour le Sseu-Tchouan, 66 et 1 409 ; pour le Yun-Nan, 76 et 425. Au cours des 17 et 18" siècles, le gouvernement T'sing réserva jusqu'à 10 % de ses dépenses totales à l'entretien de son système postal (70). e
5. - LA S O C I É T É H Y D R A U L I Q U E E T L ' O R G A N I S A T I O N D E L A G U E R R E
Le contrôle du gouvernement sur l'ensemble de la population en temps de paix lui donnait d'extraordinaires possibilités d'action de masse coordonnée en temps de guerre. Cela devient évident dès que nous examinons les aspects cruciaux de la défense, tels que le monopole et la coordination des opérations militaires, l'organisation de l'intendance, la stratégie et le potentiel des forces armées. Une étude comparative de ces traits et de quelques autres, annexes, révèle les particularités institutionnelles de la société hydraulique dans ce domaine comme dans d'autres. a. - Monopolisation et coordination. Le souverain d'un pays féodal ne possédait pas le monopole de l'action militaire. En général, il ne pouvait mobiliser ses vassaux que pour une période limitée, au début peut-être pour trois mois, plus tard pour quarante jours, les titulaires de petits fiefs ne servant souvent que
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vingt jours, dix jours ou moins encore (71). Cette réquisition temporaire touchait une partie seulement des forces militaires vassales, peut-être un tiers ou un quart d'entre elles, ou moins encore (72). Et fréquemment, cette fraction elle-même n'était pas obligée de suivre le souverain s'il faisait campagne en terre étrangère (73). Le souverain national n'exerçait le pouvoir absolu que sur ses propres troupes, qui, en raison du caractère décentralisé de la société, ne constituaient qu'une partie — et souvent une partie assez restreinte — des armées nationales pour un temps assemblées. En Angleterre, la conquête normande accéléra l'accroissement du pouvoir gouvernemental ; mais là encore, le pouvoir central ne s'accrût que lentement. En 1300, pendant la campagne de Carlaverock, le roi accomplit ce que Tout considère comme une mobilisation générale des « chevaliers de la garde royale ». A ce moment-là, l'élément « armée personnelle » ne représentait guère qu'« environ un quart du nombre total des hommes d'armes » ; tout au plus « plutôt un tiers qu'un quart» (74). En 1467, l'empereur d'Allemagne essaya de rassembler une armée de 5 217 cavaliers et 13 285 soldats à pied pour combattre les Turcs. Sur le nombre souhaité, l'apport de l'empereur devait s'élever à 300 cavaliers et 700 soldats à pied, tandis que les six électeurs devaient respectivement en amener 320 et 740 ; les quarante-sept archevêques et évêques, 721 et 1 813 ; les vingt et un princes, 735 et 1 730 ; les différents comtes et seigneurs, 679 et 1 383 ; et les soixante-dix-neuf villes, 1 050 et 2 926 (75). Pour tous ces problèmes, les armées d'un Etat hydraulique se plaçaient sur un plan entièrement différent. Les soldats n'étaient pas protégés par des contrôles démocratiques, ni par des contrats féodaux. Peu importait qu'ils eussent une terre administrative, ils devaient venir quand on les appelait ; ils marchaient vers le lieu désigné ; ils combattaient aussi longtemps que leur maître le leur demandait ; et le problème de savoir qui donnait les ordres et qui obéissait ne se posait pas. Le changement constant des nombreux contingents armés qui, selon le contrat féodal, ne servaient que pendant une courte période était l'une des raisons principales de la turbulence qui virtuellement caractérisait les armées féodales composites. Une autre raison était l'absence d'une autorité bien définie. Le souverain n'étant que le premier parmi des égaux, et les seigneurs tenant orgueilleusement aux privilèges de leur qualité, l'obéissance cédait le pas à la discussion. L'action militaire se faisait par conséquent autant remarquer par le manque de discipline que par le courage individuel (76).
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1). - Entrainement et moral. Dans un Etat hydraulique, l'armée pouvait comprendre parmi ses recrues de nombreux éléments peu entraînés et à l'esprit peu combatif. En ce qui concerne la formation militaire, la comparaison est plutôt en faveur de l'armée féodale, dont les membres étaient soigneusement entraînés ; quant au moral, l'armée hydraulique était peutêtre inférieure aux guerriers de la Grèce antique et à ceux de l'Europe féodale. Mais en ce qui concerne la coordination, ils n'étaient pas loin d'égaler les Grecs ; et ils surpassaient de beaucoup les chevaliers européens. TABLEAU
Types de sociétés
II
et types de combattants Armées de
Sociétés hydrauliques
Qualités
T
Entraînement . Moral Coordination . .
Légende
+ +
Grèce classique et Europe féodale
R
T
H
—-
+
+
+
+
: T
Troupes professionnelles.
R
Recrues " militia ".
+ Caractéristique d é v e l o p p é e — Caractéristique faible ou absente.
Les Grecs, qui reconnaissaient le mérite des soldats d'élite orientaux (d), parlaient avec mépris de la masse des soldats auxiliaires peu entraînés (77) qui, évidemment, étaient des recrues. Beaucoup d'entre eux, en effet, manquaient de l'esprit de corps et de l'enthousiasme qui étaient (d) V o i r dans H é r o d o t e le compte rendu de la conversation entre le r o i e x i l é de Sparte, D é m a r a t e et X e r x è s ( H é r o d o t e V I I 103 sq.)-
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l'orgueil des armées des citoyens grecs (78). Mais, en face des armées indisciplinées de l'Europe médiévale, les troupes bien coordonnées des monarchies orientales constituaient de redoutables ennemies. Vers l'an 900 de notre ère, l'auteur des Tactica, l'empereur byzantin Léon VI, en parlant des Francs et des Lombards, conseilla à ses généraux (e) de « profiter de leur indiscipline et de leur désordre ». « Ils n'ont ni organisation ni entraînement », et, par conséquent, « qu'ils combattent à pied ou à cheval, ils chargent par masses denses et peu maniables, incapables de manœuvrer» (79). Dans l'organisation des armées occidentales, « rien ne peut se comparer à notre division ordonnée en bataillons et en brigades ». L'installation de leurs camps est si sommaire qu'il est facile de les attaquer pendant la nuit. « Ils ne se préoccupent guère de leur intendance ». Sous l'effet des privations, leurs rangs ont tendance à se désintégrer « car ils n'ont aucun respect pour leurs chefs — un noble se juge l'égal de tout autre — et ils désobéissent délibérément lorsqu'ils sont mécontents » (80). L'image d'une « armée occidentale du 9 ou du 10° siècle, exactement la période du développement de la cavalerie féodale» (81), reste valable, avec quelques modifications, pour toute la période féodale européenne. Oman décrit l'armée des croisades comme « une foule composite peu ou pas organisée» (82). «Leur manque de discipline était aussi manifeste que leur goût du pillage ; la désobéissance délibérée des officiers aussi commune que la négligence et le laisser-aller des soldats. Ces caractéristiques étaient celles de toutes les armées féodales » (83). L'historien égyptien moderne Atiya attribue la victoire des Turcs durant la dernière grande croisade au manque d' « unité des armes et des comipagnies » et à l'absence de « tactique homogène » des Chrétiens. Au contraire, « l'armée turque était... un parfait exemple de la discipline la plus stricte, d'une unité de but rigoureuse et même fanatique, de la concentration du pouvoir tactique suprême en la seule personne du Sultan » (84). e
c. - Intendance. Les maîtres de la société hydraulique appliquaient au domaine militaire l'organisation même qui leur avait valu tant de succès dans la construction et les communica(e) P o u r les raisons m e n t i o n n é e s ci-dessus dans l'introduction, notre e x p o s é c o m p r e n d des r é f é r e n c e s à Byzance a p r è s les c o n q u ê t e s arabes, à l'empire L i a o , à l a s o c i é t é M a y a et autres civilisations hydrauliques marginales. Les zones marginales d u monde h y d r a u l i q u e feront l'objet d'une plus large analyse, plus loin, au chap. 6.
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tions. En bien des cas, les recrues destinées à faire la guerre pouvaient être mobilisées de manière aussi efficace que les recrues destinées au travail. Les armées assemblées opéraient des mouvements ordonnés et l'organisation des camps et des liaisons était souvent très élaborée. Partout où c'était possible, les armées vivaient sur le pays ; mais il existait de nombreux moyens pour parer à des pénuries possibles. Les Incas avaient un « magnifique système d'intendance » (85). Le roi de Perse, Xerxès, se préparant à envahir la Grèce « fit faire des stocks de provisions en plusieurs endroits ; il s'enquit soigneusement des positions et fit emmagasiner les provisions là où elles seraient le plus utiles, les faisant apporter de différentes parties de l'Asie et de différentes manières, les unes au moyen de transports routiers, les autres par bateaux » (86). Les généraux de Byzance avaient soin du « ravitaillement » de leurs troupes (87). Les Arabes et les Turcs, à l'apogée de leur pouvoir, portaient une attention particulière au problème du ravitaillement et employaient des méthodes adaptées spécialement à leur forme de guerre (88). L'histoire des guerres chinoises est également pleine de références à cette question (89). d. - Stratégie et théorie militaire. La guerre féodale, étant défavorable au développement de la tactique et de la stratégie au sens propre de ces termes (90), ne réussit pas davantage à élaborer une théorie militaire. Les chroniques médiévales font d'innombrables allusions à des combats et les épopées de chevalerie ne se lassent jamais de décrire des aventures guerrières. Mais il s'agit essentiellement des prouesses de combattants isolés. Les considérations tactiques demeurent aussi étrangères à la littérature qu'à la réalité. Dans le monde hydraulique, l'organisation d'une guerre était l'objet de nombreuses discussions. Les experts militaires aimaient à faire le point de leurs expériences dans les traités de tactique et de stratégie (f). L'Arthashastra montre l'Inde maurya très avertie des problèmes d'agression et de défense (91). L'abondante littérature militaire byzantine indique les nombreux problèmes que posait en stratégie la défense de l'empire (92). Le schéma organisationnel de l'art de la guerre en Islam est esquissé dans un passage du Coran qui promet la bénédiction d'Allah à ceux qui se battent pour lui « en (f) Les é c r i t s militaires de la G r è c e antique r e f l è t e n t un i n t é r ê t analogue, bien que d'origine d i f f é r e n t e , pour un art de la guerre o r g a n i s é .
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rangs serrés, comme s'ils étaient une construction sans faille » (93 ). Plus tard, de nombreux écrivains musulmans traitèrent des questions militaires (94). Cependant, aucune grande civilisation hydraulique n'a sans doute produit une littérature militaire aussi riche que celle de la Chine. Contrairement à une idée très répandue, les hommes d'Etat chinois prêtaient une grande attention aux problèmes militaires ; il en était déjà ainsi à l'époque des provinces, qui à cet égard, comme à beaucoup d'autres, présentaient une structure plutôt hydraulique que féodale. L'auteur de l'Art de la Guerre, Sun Tzu (95), quelque brillant qu'il soit, n'était pas le seul grand théoricien militaire de cette période — Sun Ping et Wu Ch'i sont aussi éminents (96) et parmi les théories avancées par Sun Tzu beaucoup sont connues pour être fondées sur des ouvrages plus anciens (97). Chaque grande province presque avait sa propre théorie militaire (98). Mais peu importe de savoir quand les différents concepts furent pour la première fois formulés, c'est à l'époque des provinces qu'ils ont pris leur forme classique. Pour des raisons très pratiques, l'empire conserva pour les problèmes de stratégie un intérêt très vif. Pour n'en donner qu'un témoignage, toutes les histoires officielles à partir de la dynastie T'ang (618-907) comprirent des parties spéciales, souvent longues, consacrées aux affaires militaires. e. - Effectifs. Les maîtres de l'Etat hydraulique qui monopolisaient une action militaire coordonnée pouvaient à volonté lever de grandes armées. Leur potentiel mobilisable était totalement différent de celui de l'Europe féodale et lui était infiniment supérieur. Dans l'Angleterre médiévale, les Normands héritèrent d'une armée qui, outre une élite féodale, comprenait encore les éléments de l'antique levée tribale. Les conquérants réussirent à conserver et à développer ces rudiments d'armée nationale ; mais même en Angleterre, l'Etat féodal ne disposait que d'une partie de la population. Les armées des civilisations hydrauliques ne connaissaient pas de limite de cet ordre. Leur force numérique variait selon les techniques militaires (guerres d'infanterie, de chars, de cavalerie légère ou lourde), les conditions économiques (économie naturelle ou de numéraire) et la composition nationale (législation indigène ou soumission à un peuple conquérant). Mais, potentiellement, cette force était grande. Quand tous les soldats combattent à pied — soit à cause de l'absence d'animaux adéquats, soit parce que
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l'art de combattre à cheval ou en char est inconnu — les effectifs tendent à être importants même si les différentes parties de l'armée sont différemment armées et entraînées. Au Mexique (99), comme dans le Pérou inca (100), le gouvernement levait de grandes armées d'infanterie. Quand au contraire les combats se livrent à cheval ou en char, l'infanterie compte moins et par conséquent ses effectifs sont moins importants. Le développement d'une économie monétaire favorise le recrutement de mercenaires qui peuvent constituer la seule armée permanente (les cadres) et être employés en même temps qu'une élite « noble >. 11 y a aussi la conquête. Souvent, et en particulier au début d'une dynastie de conquérants, le dominateur étranger s'appuiera sur ses compatriotes pour la conservation de son pouvoir ; et il ne donnera que peu d'entraînement à ses sujets nouvellement acquis (101). Mais quelle que soit la composition des armées du despotisme agraire, l'avantage de la masse disparaît rarement. Les meilleures armées de type évolué sont généralement composites (102). Comme nous l'avons déjà noté, les armées féodales de l'Europe du moyen âge étaient de petites unités de combattants d'élite à cheval. Une armée mise en campagne par Charies le Chauve comptait moins de 5 000 guerriers ; et plus tard, à plusieurs reprises, les chroniques parlent de deux cents cavaliers (103). Les armées internationales des croisades se composaient habituellement de quelques milliers d'hommes, dix mille tout au plus (g). Les Arabes possédaient des cadres brillants de combattants à cheval complétés par d'importantes unités auxiliaires (104). Les armées permanentes des premiers califes ommeyades auraient compté environ soixante mille hommes ; et le dernier souverain de cette dynastie aurait eu, selon Ibn al-Athir, une armée de 120 000 soldats (105). Haroun alRachid entreprit une certaine campagne d'été avec 135 000 soldats réguliers et un nombre non précisé de volontaires (106). Extrêmement instructive également est la comparaison des armées de l'Europe féodale avec celles du « Califat occidental » de Cordoue. Selon les sources islamiques, P Espagne musulmane du 10" siècle envoya vingt mille cavaliers faire campagne dans le nord. Lot met ce chiffre (g) L o t , 1946 , I : 130, 175, 201. M ê m e à la fin des croisades, l ' a r m é e e u r o p é e n n e internationale qui c o m b a t t i t en 1396, à Nicopolis, les envahisseurs turcs, ne comprenait a u c u n contingent national de plus de d i x mille soldats, e x c e p t é celui des Hongrois, qui é t a i e n t eux, directement m e n a c é s . O n dit que les Hongrois fournirent à ce moment environ 60 000 hommes, ce qui d u t ê t r e à peu de chose p r è s une levée en masse. ( E n f r a n ç a i s dans le texte, N . d. T . ) .
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en doute, parce que, dans le contexte européen, il apparaît incroyablement élevé. II dit : « l'Europe entière à cette époque était incapable de lever une armée si nombreuse » (107). Remarque exacte, mais conclusion fausse ! Cet historien distingué note lui même à propos des revenus énormes dont disposait le califat de Cordoue : « Quel contraste avec l'empire carolingien ou l'empire ottoman, Etats sans finances ! Seul peut-être l'empereur de la Rome d'Orient, le basileus byzantin, disposait de ressources de cet ordre» (108). Dans une autre partie de son étude, il attribue à l'empire byzantin à ses débuts deux armées de dix-huit mille hommes chacune, plus un effectif indéterminé de troupes d'occupation en Afrique et en Italie (109) — c'est-à-dire au total, une force militaire de plus de 40 000 hommes ou peut-être plus encore. En face de tels faits il n'y a aucune raison de douter que l'Espagne musulmane, pays hydraulique à population très dense et au revenu très supérieur à ceux des nations européennes contemporaines, ait pu disposer d'une armée égale à la moitié de celle de l'empire byzantin dont elle égalait facilement, selon Lot lui-même, les revenus. Au temps de la Perse des Achéménides, les fantassins constituaient encore l'essentiel des combattants. Hérodote estime que le Grand Roi'mobilisa contre les Grecs environ deux millions d'hommes (110) y compris ses combattants d'élite, les dix mille « Immortels ». Delbrück a certainement raison de douter qu'une armée aussi énorme ait réellement été envoyée en Europe, mais sa théorie devient sujette à caution lorsqu'il laisse entendre que cette armée d'invasion ne comptait guère que cinq à six mille hommes armés (112). Et il n'y a aucune raison de contester la possibilité qu'avait l'empereur perse, à l'intérieur de ses frontières, de lever des armées de plusieurs centaines de milliers d'hommes. Munro suggère qu'Hérodote a mal compris un document perse officiel lorsqu'il estime le total des forces armées de la Perse à 1 800 000 hommes. Quant à Munro lui-même, il présume que Xerxès pouvait rassembler 360 000 hommes et que le corps expéditionnaire contre la Grèce pouvait en compter 180 000 (h). L'effectif des armées de l'Inde à une époque plus ancienne, qui semble «incroyable à première vue» (113), devient plausible lorsqu'on le compare aux chiffres que (h) V o i r M u n r o , 1939 : 271-3. E d u a r d Meyer ( G A , I V , P t . 1 : 5) é t a b l i t que la description que fait H é r o d o t e de l ' a r m é e de X e r x è s , de m ê m e que l'inventaire du t r i b u t de Darius et autres renseignements s p é c i f i q u e s se fondent sur des sources persanes authentiques. M u n r o (ibid., 271) a la certitude que l a description par H é r o d o t e de l ' a r m é e de X e r x è s reproduisait la substance i d'un document officiel ».
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nous possédons pour la période plus récente de l'Inde musulmane. Selon les sources grecques, à la veille de la formation de l'empire maurya, le roi Mahapadma Nanda aurait possédé 80 000 cavaliers, 200 000 fantassins, 8 000 chars et 6 000 éléphants de combat (114) ; et les chiffres cités pour l'armée de Chandragupta sont, sauf pour la cavalerie, encore plus impressionnants ; au total « 690 000 hommes, non compris la suite et les domestiques» (115). Les documents concernant des périodes plus récentes affirment l'existence d'armées de 100 000 fantassins dans le royaume Andhra, de centaines de milliers et même de plusieurs millions de soldats sous le règne des derniers rois de l'Inde du sud (116) et des grands souverains musulmans (117). Dans la Chine antique, les unités d'élite qu'étaient les chars combattaient à côté de larges formations de fantassins. A la fin de la dynastie Tch'ou, la cavalerie commença à s'ajouter aux chars, mais apparemment, les nouvelles armées composites étaient encore plus importantes numériquement. A la veille de la période impériale, les principales provinces auraient mobilisé trois millions et demi de fantassins, plus une nombre indéterminé de chars, et plus de trente mille cavaliers (118). L'empire Liao possédait avec l'ordus un cadre de cavalerie d'environ cinquante à soixante mille guerriers : et ses chroniques vantent l'existence d'une milice d'un million d'hommes (119). On dit qu'au cours de la dynastie Song (960-1279), le gouvernement chinois aurait instruit — entraînement sommaire mais entraînement néanmoins — une armée permanente de plus d'un million de soldats (120). L'armée de la dynastie mandchoue, «les Bannières », était une armée permanente qui. au moins à ses débuts, constituait une cavalerie d'élite d'une grande qualification. A la fin du 19" siècle, ces armées, qui comprenaient des Mandchous, des Mongols et des Chinois, totalisaient 120 000 soldats. De plus, le gouvernement disposait d'une armée « verte » essentiellement chinoise, qui comptait environ cinq à six cent mille hommes (121). f. -
Pourcentages.
En notant tout cela, nous devons nous souvenir que les civilisations hydrauliques qui entretenaient de grandes armées avaient également pour la plupart des populations nombreuses. Cependant, des conditions externes et internes différentes expliquent les très grandes différences de pourcentages de l'armée par rapport à la population totale. L'armée, à la fin de la période Ts'ing, constituait probablement moins de 0,2 % de la population totale. Dans l'empire Hang, tout paysan valide devait participer
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à la fois au travail et à la défense. En théorie, cela concernait 40 % de la population rurale (122), soit environ 32 % de la population entière. L'armée de cadre de la dynastie Liao comprenait environ 1 % de la population. La milice paysanne en comprenait en théorie 20 %. D'après les données d'Hérodote, interprétées par Munro, on peut supposer que dans la Perse des Achéménides, d'une population de moins de vingt millions d'habitants (123), environ 1,8 % d'entre eux étaient mobilisables. En supposant que la population de la Chine à la fin de la période Tch'ou ait été aussi nombreuse que celle de l'empire Han à son apogée, c'est-à-dire environ de soixante millions d'habitants, (chiffre sans doute exagéré) le potentiel moyen de mobilisation des grandes provinces absolutistes aurait été de presque 6 %. Naturellement, rien ne prouve qu'en aucun de ces cas on ait jamais tenté une mobilisation générale. Le gouvernement Song qui, au 11 siècle, leva un million de soldats sur presque vingt millions de familles, c'est-àdire sur presque cent millions de personnes, enrôlait à peine plus de 1 % de sa population. Une comparaison entre la Grèce antique et l'Europe féodale est fructueuse. En cas de besoin, tous les hommes libres, valides, d'une cité grecque étaient mobilisables. Au cours du 5 siècle avant notre ère, Athènes aurait pu, momentanément, tenir sous les armes plus de 12 % de sa population totale, c'est-à-dire environ 20 % du nombre absolu de la population de citoyens (124). L'armée que l'empire d'Allemagne leva en 1467 pouvait représenter 0,15 % d'une population totale de douze millions d'habitants et l'armée de Charles le Chauve, déjà mentionnée, environ 0,05 % de ce que l'on pense être la population de la France à cette époque (125). Ainsi, le pourcentage, extrêmement bas, de la dernière période Ts'ing est encore supérieur au chiffre allemand de 1647 et représente presque quatre fois le chiffre mentionné pour la France du 9 siècle. La différence entre le pourcentage féodal et nos pourcentages hydrauliques est énorme. Bien sûr, dans l'Europe médiévale, les seigneurs féodaux, les monastères et les bourgs avaient beaucoup plus de soldats ; mais ces soldats, en surnombre par rapport à l'effectif convenu, n'étaient pas obligés de combattre dans les armées du suzerain suprême. Le gouvernement féodal était trop faible pour mobiliser plus d'une fraction des hommes valides de la nation ; les régimes agro-despotiques, de même que les gouvernements des cités antiques, n'avaient pas cet handicap. Des considérations techniques et politiques pouvaient les conduire à n'employer qu'un faible pourcentage de leurs sujets pour les besoins militaires, e
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Mais, comparées aux armées féodales, les armées, même relativement restreintes, des Etats hydrauliques étaient quantitativement considérables ; et quand les gouvernements agro-institutionnels faisaient des levées en masse leurs armées surpassaient — en termes absolus et relatifs — les armées des gouvernements féodaux comparables. C. — L E POUVOIR D'ACQUISITION DE L'ETAT HYDRAULIQUE 1. - CONDITIONS ORGANISATIONNELLES
ET BUREAUCRATIQUES
Les hommes qui dirigent les entreprises de construction et d'organisation d'une société hydraulique ne peuvent le faire que sur les bases d'un revenu approprié et régulier. Différents modes d'acquisition s'élaborent donc en même temps que les modes particuliers de construction et d'organisation. L'acquisition d'un revenu gouvernemental important et stable comprend un certain nombre d'opérations organisationnelles et bureaucratiques, dès que la nation hydraulique dépasse un cadre local : et la nécessité d'un tel organisme devient particulièrement grande lorsque les fonctions d'administration sont accomplies par de nombreux fonctionnaires spécialisés. Petit à petit, les maîtres de l'Etat hydraulique attachent autant d'importance aux opérations d'acquisition qu'aux tâches hydrauliques de communication et de défense. Comme nous le montrerons plus loin, dans certaines conditions, la taxation et des méthodes connexes de contrôle de la propriété peuvent se développer en même temps qu'une armée intégrée et qu'une poste d'Etat sans qu'il y ait des ouvrages hydrauliques correspondants. 2. - TRAVAIL SUR LES TERRES COLLECTIVES ET/OU TAXE FONCIÈRE
Une communauté hydraulique à ses débuts peut n'avoir prévu aucun système particulier sur lequel appuyer sa direction. Cependant, l'affermissement des conditions hydrauliques s'accompagne en général d'une tendance à libérer lé chef de tout travail agricole pour qu'il puisse se consacrer complètement à ses fonctions communales, civiles ou religieuses. Dans ce but, les membres de la tribu travaillent collectivement les terres du chef, comme ils le font pour les fossés d'irrigation, les ouvrages de défense et autres entreprises communales. Les Suk, qui ne consacrent qu'une partie de leur effort économique à l'agriculture hydraulique, n'ont pas de terres collectives ; mais chez les Pueblos, les hommes
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du commun sont réunis pour cultiver les champs du cacique (1). Ils sont en général rassemblés par la persuasion ; mais avec recours à la coercition quand la situation le réclame (a). Dans les communautés plus grandes des Chaggas, le chef dispose de plus de pouvoirs et de beaucoup de terre. Le travail communal consacré à la culture de cette terre n'est pas négligeable, mais les membres de la tribu reçoivent peu ou pas de compensation pour ce travail — tout au plus un peu de viande et quelques gorgées de bière à la fin de leur travail. Ainsi le paysan chagga qui dit à son ami blanc « pour vous nous travaillons non comme pour la corvée mais comme sur nos propres champs» (2), indique qu'il accomplit sa corvée agricole sans enthousiasme. Les maîtres d'un Etat hydraulique développé vivent du surplus de travail ou du surplus de production de la population, de l'argent équivalent à cette production ou de l'ensemble ou de quelques-uns de ces éléments. Le travail sur les terres du gouvernement (et du temple) était une pratique normale au Pérou inca, au Mexique aztèque (b) et dans la plus grande partie de la Chine des Tch'ou. Les terres étendues appartenant aux temples des ci tés-temples de Sumer étaient cultivées en général par des soldats paysans qui constituaient l'essentiel du personnel du temple ; mais les fermiers communaux ne livraient apparemment qu'une part fixe de leur récolte aux magasins et encore le faisaient-ils personnellement et directement (3). L'organisation sumérienne diffère de façon frappante des équipes de travail coordonnées des villages incas (4) et des « milliers de couples » qui selon une antique ode chinoise cultivaient ensemble les champs collectifs au début de la période Tch'ou (5). Dans l'Egypte des Pharaons, il semble qu'on donnait aux paysans qui la cultivaient individuellement l'ensemble de la terre arable et qu'une fois la moisson faite, une partie de la récolte était remise au fonctionnaire compétent (6).
(a) A i t k e n (1930 : 385) compare « les gaies é q u i p e s de travail des H o p i • a u x « c o r v é e s pour le p r ê t r e - c h e f et pour les c a n a u x d'irrigation c o m m u n a u x » dans les pueblos d u R i o G r a n d e . II est significatif que le t r a v a i l accompli sur les terres d u chef, soit d i r i g é par le chef de guerre, a u t o r i t é disciplinaire s u p r ê m e chez les Pueblos (voir W h i t e , 1932 : 42, 45 : ibid., 1942 : 97 sqq. et 98, n. 10 ; v o i r é g a l e m e n t Parsons, 1939, II : 884, 889), et il en é t a i t ainsi non seulement chez les Pueblos de l'est, p o s s é d a n t une organisation h y d r a u l i q u e plus stricte, mais aussi chez les Pueblos de l'ouest. (h) Chez les M a y a s , les h o m m e s d u c o m m u n , c o m m e les membres des calpulli mexicains, cultivaient des terres p a r t i c u l i è r e s p o u r leurs « seigneurs », les r e p r é s e n t a n t s d u gouvernement local et central (voir L a m d a , 1938 : 104).
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On trouve des fermes d'Etat («domaines») (c) employant des équipes spéciales de cultivateurs dans un certain nombre de civilisations hydrauliques ; mais à part l'Amérique d'avant la conquête, et la Chine Tch'ou, la plupart des Etats hydrauliques (d) semblent avoir préféré la taxe foncière à la corvée de travail sur de grands champs gouvernementaux. Pourquoi ? Il n'y a pas de corrélation cohérente entre la prédominance d'une économie naturelle et la prédominance du système de terres collectives. Le commerce international et les moyens d'échange analogues à la monnaie étaient plus développés dans le Mexique aztèque que dans l'Ancien et le Moyen Empire d'Egypte. Il est possible que l'absence — ou la présence — d'animaux de trait ait exercé une influence plus fondamentale. Les paysans qui sans l'aide de tels animaux cultivaient la terre au moyen d'une houe (comme ils le faisaient dans l'ancien Pérou et en Amérique centrale) ou avec une herse (comme dans la plus grande partie de la Chine Tch'ou), peuvent être efficacecément rassemblés en équipes semi-militaires, même s'ils cultivent des champs irrigués, tandis que des laboureurs travaillent avec plus d'efficacité si on les laisse opérer isolément sur des champs séparés. Il est significatif que le labour au moyen de bœufs se soit développé en Chine à la fin de la dynastie Tch'ou (7), période qui vit l'abolition progressive du système de champs collectifs. Les paysans de Lagash qui, pour la plupart, cultivaient, semble-t-il, individuellement les terres du temple, étaient familiarisés avec l'em])loi d'animaux de trait. Il en était de même pour les paysans égyptiens et pour ceux de l'Inde hindoue et musulmane. C'est ainsi que la plupart des Etats hydrauliques où les animaux participaient au travail des champs reposaient sur la production de fermiers individuels et non sur l'effort collectif de la corvée agricole.
(c) Il y avait en Inde d u r a n t l a d e r n i è r e partie d u premier m i l l é n a i r e avant notre è r e , des lermes d ' E t a t , sita (Anhashastra, 1926 : 177 s q q . ) . I l faut cependant distinguer ces fermes d u hhaisa mongol, souvent a p p e l é le « domaine » d u rajah. Malheureusement, le terme « domaine » a é t é a p p l i q u é aussi bien à de grandes é t e n d u e s de terre publique (< la terre d u roi »), et à des domaines l i m i t é s ressemblant à des fermes. L e khalsa mongol a p p a r t i e n t certainement à l a p r e m i è r e c a t é g o r i e . Selon B a d e n - P o w e l (1896 : 198), les chefs mongols employaient le terme khansa p o u r d é s i g n e r « l a t o t a l i t é des terres versant un i m p ô t direct au T r é s o r ». (d) O n retrouve trace des c h a m p s collectifs dans certaines r é g i o n s de l'Inde. Mais i l reste à savoir s'ils r e f l è t e n t des institutions tribales p r i m i t i v e s qui peuvent ê t r e d'origine dravidienne o u p r é d r a v i d i e n n e (voir B a d e n - P o w e l , 1896 : 179, 180 ; ibid., 1892, I : 576 s q q . ; et Hewitt, 1887 : 622 sqq.).
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L e tableau suivant indique les d i f f é r e n t s modes selon lesquels des gouvernements hydrauliques typiques se procuraient leurs revenus ruraux. T A B L E A U III
Revenu rural des gouvernements hydrauliques Sources de revenus
Taxes
Terre « collective »
Exemples gouvernements
de
Surtout Part, en nature en nature Part, en argent Sociétés tribales : Suk
— + + (+ )
+ 1
Amérique ancienne :
+
+ Le Proche-Orient : Cités temples de Sumer (Lagash)
2
+
P é r i o d e h e l l é n i s t i q u e et romaine
+ +
+ +
+ + traces Chine : D é b u t de la période Tch'ou . . F i n de la période Tch'ou . . . . Epoque impériale (environ)
+
+ Transition attestée
..
Légende : + Caractéristique d é v e l o p p é e — Caractéristique peu d é v e l o p p é e ou inexistante Quelques-unes » R e s p o n s a b i l i t é individuelle 1
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3. - UNIVERSALITÉ ET IMPORTANCE DES EXIGENCES FISCALES DE L'ETAT HYDRAULIQUE
Le fait que la corvée sur les terres collectives ait été normalement effectuée par tous les adultes mâles corvéables montre de quel pouvoir les dirigeants disposaient pour obliger chacun à apporter sa part de travail. L'instauration d'une économie monétaire va de pair avec une différenciation plus grande de la propriété, des structures de classe et du revenu national. Mais l'Etat hydraulique, maître d'un énorme appareil organisationnel, continue à réclamer une contribution fiscale à la masse populaire. Une comparaison montre qu'à cet égard il était beaucoup plus fort que le gouvernement d'autres cités agraires. Dans l'Athènes classique « l'impôt personnel était considéré comme incompatible avec la dignité du citoyen» (8). Quand cette cité célèbre «dominait déjà la Grèce, elle n'avait ni impôts réguliers ni trésor » (9) ; et ses finances nationales étaient alimentées essentiellement par des taxes sur les marchandises importées et par ses colonies. Dans la Rome républicaine, les citoyens libres tenaient à réduire les dépenses publiques. Le seul impôt direct important, le tributum, s'élevait à 0,1-0,3 % du revenu des propriétés des personnes imposées (e). Dans les deux cas, les éléments non gouvernementaux de la société veillaient à ce que l'appareil administratif restât réduit, tant en personnel qu'en budget ; des fonctionnaires éminents ne recevaient qu'un traitement insignifiant ou même aucun traitement. Les princes de l'Europe médiévale tiraient leurs revenus essentiels de leurs domaines personnels, qui ne représentaient qu'une fraction du territoire national. Les impôts occasionnels ou réguliers qu'ils levaient sur les autres territoires étaient si limités qu'ils prouvent la faiblesse plutôt que la force du pouvoir fiscal du souverain. Les conquérants normands innovèrent en instaurant un Etat fort ; mais pour des raisons que nous analysons plus loin, ils ne purent eux-mêmes imposer une taxe générale à leurs sujets que de façon intermittente (10). Après un siècle de lutte, de puissants barons restreignirent le droit royal de lever des impôts sans le consentement du « conseil commun » à trois « aides », selon une coutume
(e) Les p r o p r i é t é s imposables à l'origine é t a i e n t seulement les terres des esclaves et les a n i m a u x ; plus tard, on y inclut les p r o p r i é t é s de toute e s p è c e (Schiller, 1893 : 196 ; v o i r H o m o , 1927 : 237).
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en vigueur dans presque tous les pays féodaux du continent. C'est à ces sociétés agraires et non à l'Occident protoindustriel et industriel qu'il faut comparer les grandes sociétés orientales. Les maîtres de l'agriculture hydraulique étendirent leur organisation fiscale autant que celles du recensement et de la mobilisation. Tous les adultes mâles devaient travailler, combattre et payer, chaque fois que l'Etat l'exigeait. Telle était la règle. Les exemptions étaient concédées spécialement et même une fois concédées, pouvaient être révoquées, soit après une période déterminée, soit lorsque finissait le règne de celui qui les avait concédées. Le revenu rural était calculé de façon diverse. Parfois les adultes mâles, parfois les « chefs » de famille, quelquefois des mesures de terre formaient la base des évaluations. A Babylone, l'impôt foncier était exigé môme des soldats à qui étaient assignées des terres (11). Le gouvernement pouvait exiger comme taxe foncière 20 % des récoltes annuelles. On trouve dans le Nouvel Empire de l'Egypte pharaonique le même impôt officiel (12). En Inde, durant la dernière partie du premier millénaire avant notre ère, c'était le douzième, le sixième ou le quart de la récolte. ISArthashâstra autorise le roi, en cas de besoin, à réclamer le tiers (au lieu du quart) de la récolte du cultivateur qui a de bonnes terres irriguées (13). On mentionne pour la fin de la période Tch'ou et pour la Chine impériale, bien des taux différents. A l'origine, les lois islamiques fondaient essentiellement les distinctions sur les croyances religieuses ; mais les conditions devinrent progressivement plus complexes ; et naturellement, elles différèrent énormément selon l'époque ou le lieu. Les nombreux documents concernant une lourde taxation montrent que sous la domination islamique l'impôt foncier était aussi écrasant et tendait à devenir aussi universel que dans les autres parties du monde hydraulique. Un gouvernement qui s'en tient aux taux officiels est considéré comme juste ; mais la plupart des gouvernements préféraient à une satisfaction morale un avantage matériel. Bien des souverains n'appliquèrent pas la loi à la lettre. Les tablettes de Babylone indiquent que l'Etat, qui en théorie se contentait d'environ 10 %, à l'occasion éleva l'impôt « à un cinquième, un quart, un tiers et même à la moitié t> de la récolte (14). Et ce n'est pas tout. Les versements qui apparaissent dans les listes officielles sont, dans la plupart des cas, inférieurs, et souvent de beaucoup, à ceux que les collecteurs d'impôts obtenaient réellement. Même dans les plus rationnels des Etats hydrauliques, les fonctionnaires des
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échelons les plus élevés avaient du mal à exercer un contrôle véritable sur leurs subordonnés. Souvent, ils ne parvenaient même pas à exiger une remise complète des taxes collectées. La distribution du revenu total entre les différentes catégories et échelons de l'administration varia beaucoup. Ces divergences ont une signification importante en ce qui concerne la répartition du pouvoir à l'intérieur de la bureaucratie ; mais, du point de vue de l'Etat dans son ensemble, elles importent peu. On peut mesurer le pouvoir fiscal de l'appareil d'Etat hydraulique au revenu total que la bureaucratie dans son ensemble est capable de tirer de la population non gouvernementale dans son ensemble. Comparées à l'absence à peu près complète d'imposition universelle et directe dans les cités de la Grèce et de la Rome antiques, et à la politique fiscale tragiquement débile de l'Europe féodale, l'étendue et la force "du système hydraulique de taxation sont frappantes. 4. - L E S CONFISCATIONS
L'Etat hydraulique qui impose si efficacement sa puissance fiscale à la campagne, pratique une politique similaire envers les artisans, les marchands et autres possesseurs de biens mobiliers non protégés par des prérogatives particulières. Ce fait est si remarquable que dans le contexte présent nous n'analyserons pas les méthodes employées pour taxer l'artisanat et le commerce. Cependant, un autre mode d'acquisition de l'Etat hydraulique mérite un commentaire : celui qui consiste à s'emparer d'une propriété convoitée, au moyen d'une pure et simple confiscation. Une association d'hommes libres peut exiger d'ellemême tous les sacrifices qu'elle juge nécessaires pour le bien commun ; et à l'occasion, elle peut employer l'arme qu'est la confiscation contre des criminels ou des hommes dont le pouvoir est excessif (f). Mais la confiscation arbitraire généralisée caractérise un régime authentiquement absolutiste. Ayant proclamé des lois fiscales imprécises, un tel régime peut les modifier à volonté. De plus, il peut empiéter sur la propriété privée alors même que toutes les taxes régulières et irrégulières ont été payées. (f) Sur la confiscation dans la Grèce antique, voir Busolt, GS, II : 1109 soq. Les confiscations à lafinde la république romaine reflètent ravinement d'un pouvoir despotique sans limite, de type oriental (voir plus loin, chap. 6).
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Dans les cas les plus simples, il y a peu, ou il n'y a pas, de grande entreprise privée ; et les confiscations qui peuvent intervenir frappent essentiellement les membres du groupe au pouvoir. Lorsque les conditions sont plus complexes, la propriété des entreprises privées devient la cible favorite, mais les attaques contre les biens des fonctionnaires ne cessent pas pour autant. Les grands domaines fonciers ne sont nullement exempts de confiscations. Mais ils sont plus facilement soumis à la taxation que les métaux précieux, les joyaux ou l'argent qui peuvent être dissimulés assez aisément et qui en fait sont soigneusement dissimulés par tous, excepté par les membres les plus puissants de l'appareil gouvernemental. Les mesures de confiscation de l'Etat hydraulique frappent donc avec une sévérité particulière les propriétaires de biens immobiliers — et dissimulés. Les motifs officiels de confiscation de biens de fonctionnaires et d'autres membres de la classe dirigeante sont presque sans exception politiques ou administratifs. Les motifs politiques sont les erreurs diplomatiques, la conspiration et la trahison ; des irrégularités fiscales, une mauvaise gérance constituent les motifs administratifs. Des délits sérieux mènent fréquemment leur auteur à la ruine complète, politique et économique ; des délits moins graves entraînent une mutation temporaire ou définitive et la confiscation totale ou partielle des biens. Les gens d'affaires sont à l'origine poursuivis pour des fraudes fiscales, mais eux aussi peuvent être impliqués dans une intrigue politique. Dans le premier cas ils peuvent être expropriés partiellement ; dans le second, ils peuvent payer de leur fortune entière et de leur vie. Au sein même de la classe dirigeante, des conspirations pour renverser le pouvoir ou pour remplacer un important dignitaire, reviennent périodiquement, et en particulier au cours des périodes d'insécurité et de crise. Des persécutions au hasard sont également fréquentes. Un pouvoir centralisé qui est à la fois accusateur et juge, peut déclarer criminelle n'importe quelle activité, quels que soient les faits. Des témoignages fabriqués sont produits régulièrement ; et des purges politiques sous un déguisement légal ont lieu chaque fois que les maîtres de l'appareil d'Etat les trouve commodes. Le risque d'être persécuté augmente encore du fait que dans les conditions d'un pouvoir autocratique la plus grande partie des fonctionnaires officiels et la grande majorité des gens d'affaires opulents tendent à commettre des actes qui, du point de vue légal, sont des délits ou peuvent être interprétés comme tels. A la cour et/ou dans l'administration, on trouve toujours des individus
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ou des groupes qui tentent de promouvoir leurs propres intérêts en gagnant la faveur du souverain ou d'autres personnages d'un rang élevé. Le souverain et ses parents proches ou ses amis, le chancelier (vizir) et les autres membres éminents de la bureaucratie, sont tous virtuellement les cibles d'intrigues politiques. Et dans une atmosphère de pouvoir absolu, le secret et la conspiration semblent parfaitement normaux. Dans un tel état de choses, le pouvoir central n'a guère de difficulté à attribuer le nom de conspirateur à celui dont il souhaite la perte. Bien sûr, parmi ceux qui s'engagent dans de telles intrigues beaucoup ne sont jamais découverts ; et beaucoup d'autres s'en tirent avec quelques dommages mineurs. En temps de prospérité et de calme, cela n'est pas rare. Mais les accusations énoncées en termes politiques sont un trait essentiel de l'absolutisme ; et toute tension exceptionnelle peut amener la ruine de nombreux individus ou de nombreux groupes. De la même manière, dans la sphère administrative, la ligne de démarcation est subtile et les risques de catastrophe sont grands. Bien des fonctionnaires doivent prendre des mesures en ce qui concerne leurs biens ou leur argent ; et en l'absence de méthode rationnelle de procédure et de contrôle, il est fréquent de s'écarter des normes prescrites et tentant d'augmenter sa fortune personnelle. Le code de gouvernement hindou décrit les occasions presque infinies de détournement qu'offrent de telles conditions. A la manière d'un catalogue, l'Arthashâstra mentionne environ quarante façons de distraire les fonds du gouvernement (15). L'auteur de l'Arthashâstra doute que quiconque soit capable de résister à tant de tentations « de même qu'il est impossible de ne pas goûter le miel ou le poison qui se trouvent au bout de la langue, de même il est impossible à un serviteur du gouvernement de ne pas manger au moins un petit peu du revenu du roi» (16). L'homme d'affaires opulent est également vulnérable. La taxation étant la prérogative d'un gouvernement dont les exigences avouées sont élevées et dont les agents ont tendance à aller au-delà de l'imposition officielle, le propriétaire privé cherche à se protéger de son mieux. Il cache son trésor dans la terre. Il le confie à des amis. I! l'envoie à l'étranger (g). En résumé, il est acculé à comte) D a n s l'Inde classique « les biens t h é s a u r i s e s é t a i e n t c o n s e r v é s soit dans l a maison — dans les grandes maisons, au-dessus de l ' e n t r é e . . . , dans l a terre, dans des jarres de cuivre e n t e r r é e s sous les berges d'une r i v i è r e , ou confiés à u n a m i • ( C . A . F . R h y s - D a v i d s , 1922 : 219).
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mettre des actes qui font de lui, virtuellement, un délinquant fiscal. Dans bien des cas, leurs efforts sont couronnés de succès, en particulier quand ils sont soutenus par quelques pots-de-vin bien placés. Mais une erreur technique ou une modification du personnel bureaucratique peut bouleverser cet équilibre incertain ; et des accusations qui s'appuyent sur des témoignages sérieux, s'ajoutant à d'autres non fondées donneront lieu à des actions judiciaires qui amèneront la ruine économique et peut-être aussi physique de l'homme d'affaires incriminé. Dans l'Egypte des Pharaons, les fonctionnaires étaient les victimes désignées des procédures de confiscation. Les membres de la bureaucratie convaincus d'un délit important étaient sévèrement punis. Une mutation disciplinaire entraînait habituellement la perte des revenus et des propriétés, y compris les champs que le coupable pouvait posséder, soit sous forme de concession officielle, soit sous forme de sinécure (17). Au début d'une nouvelle dynastie, le nouveau souverain avait souvent recours à de telles mesures afin d'affermir son pouvoir (18). Une désobéissance au Pharaon, même sans conspiration, pouvait être sévèrement punie. Un décret de la cinquième dynastie menaçait « tout fonctionnaire, dignitaire ou officier d'agriculture » qui négligeait un ordre royal, de la confiscation de ses « maisons, champs, gens, et toutes choses en sa possession ». Le coupable lui-même pouvait être réduit à la condition d'ouvrier de corvée (19). L'histoire de la bureaucratie chinoise abonde en épisodes de mutations et de confiscations. Quand l'empereur Ts'ing, Kao-tsung (de son nom de souverain Ch'ien-lung) mourut, son ministre tout-puissant Ho Shên fut immédiatement arrêté et « bien que par respect pour la mémoire de son maître on lui permît de conserver la vie, ses énormes accumulations d'argent, d'or, de pierres précieuses et autres formes de richesses, furent confisquées » (20). L'expropriation des fonctionnaires pour cause de délits administratifs ou fiscaux montre la vulnérabilité de presque tous les personnages officiels. De nouveau, VArthashastra pose nettement le problème. Puisque tout fonctionnaire qui manipule le revenu royal est inévitablement tenté d'en détourner une partie, le gouvernement doit employer des espions habiles (21) et des informateurs (22) qui l'aideront à retrouver les biens publics. Des critères brutaux déterminent la culpabilité d'un fonctionnaire. Qui est responsable d'une diminution du revenu « mange le bien du roi» (23). Qui est découvert en possession des biens du roi est coupable (24). Qui vit de façon mesquine et accumule et thésaurise, est coupable (25). Le roi peut
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« presser ceux qui se sont gorgés, il peut les transférer d'un emploi à un autre de façon qu'ils ne dévorent pas ses biens ou qu'ils vomissent ce qu'ils ont dévorée (26). Bien sûr, en ces matières, une discrimination existe, qui tient compte de la nature du délit. Le roi devrait traiter les délits mineurs avec indulgence (27). Et il devrait aussi abandonner quand les circonstances le permettent ; ne pas poursuivre, même pour un délit grave, si le coupable « est soutenu par une puissante faction » ; mais « celui qui est sans soutien, qu'il soit saisi » et, ajoute le commentaire, «privé de ses biens» (28). Ces maximes hardies ne se soucient nullement d'une simple apparence de justice. La confiscation peut être partielle ou totale ; et elle peut intervenir durant la vie de la victime ou après sa mort. Les expropriations posthumes sont facilitées par le fait que la famille du mort a perdu son influence. En 934, le calife Abbasside s'empara de tous les biens de son vizir mort, al-Muhallabi, pressurant même ses serviteurs et ses mariniers (29). Après la mort d'un puissant vizir de la Perse du nord, l'as-Sahib, « sa maison fut immédiatement encerclée ; le souverain la fouilla, découvrit un sac contenant des reçus pour plus de 150 000 dinars qui avaient été déposés hors de la ville. Ils furent encaissés sans délai et tout ce que contenaient la maison et la chambre du trésor fut apporté au palais» (30). Après la mort du grand général Bejkem en 941, le calife « envoya immédiatement à sa demeure, creusa partout et recueillit deux millions en or et en argent. Plus tard, il ordonna que la terre de la maison fût lavée et ceci rapporta encore 35 000 dirhem », mais il est peu probable qu'il ait jamais trouvé les caisses d'argent que Bejkem avait enterrées dans le désert (31). Les personnes soupçonnées d'avoir volé le gouvernement subissaient toutes sortes de mauvais traitements. Le calife al-Kadir (991-1031) fit torturer la mère de son prédécesseur. Sa résistance étant brisée, elle livra tout l'argent qu'elle possédait et consentit à la vente de ses terres (32). La confiscation des fortunes acquises dans les affaires obéit à un processus analogue. Comme nous l'avons montré plus haut, toute persécution peut être justifiée politiquement ; et les relations internationales des grands marchands rendaient une accusation politique facile. Mais dans la plupart des cas, on déclarait que le délit était de nature fiscale. Il arrive fréquemment que la distinction entre une taxe spéciale (pour une campagne militaire ou autre besoin) et une confiscation partielle "'soit difficile à définir ; mais quel que soit le prétexte, les censé-
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quences pouvaient être redoutables pour la victime. UAiihashâstra encourage te roi à augmenter son trésor en exigeant de l'argent des personnes riches selon le montant de leurs propriétés (33). Qu'il pressure de telles personnes « vigoureusement, en ne leur donnant aucune chance de lui échapper. Car elles peuvent reprendre les biens que d'autres conservent (pour elles) et les vendre » (34). En cas d'accusation politique, les espions et les hommes de main servaient à fournir les preuves requises. Un « traître » appartenant à la classe moyenne pouvait être pris de plusieurs manières. Un homme de main pouvait commettre un meurtre sur le seuil d'un commerçant. Le propriétaire était alors arrêté, ses biens et son argent confisqués (35). Ou bien, l'homme de main pouvait introduire dans la maison de la future victime de la fausse monnaie et les outils destinés à la fabriquer, ou encore du poison ; introduire chez lui une preuve de son allégeance envers un autre souverain ou forger une « lettre » d'un ennemi de l'Etat (36). En théorie, ces mesures ne devaient être employées que lorsque la culpabilité de la victime était certaine (37) ; mais, en même temps que d'autres procédés, elles sont recommandées dans un chapitre qui traite des moyens de remplir le trésor. L'histoire montre combien le despote moyen était disipóse à les employer précisément dans ce but. « De même que l'on cueille les fruits d'un jardin aussi souvent qu'ils mûrissent, de même il faut cueillir le revenu aussi souvent qu'il devient mûr. Il ne faut jamais cueillir les fruits ni les revenus avant qu'ils ne soient mûrs de peur d'en tarir la source, ce qui entraînerait des catastrophes» (38). Dans le monde islamique, la mort d'un homme riche fournissait au gouvernement des possibilités sans nombre de liquider ou de décimer ses possessions. « Malheur à lui » se lamente un texte arabe du 9 siècle, « son père est mort riche ! Pendant un long temps, on le garda prisonnier dans la maison de détresse et il [le fonctionnaire injuste] dit [au fils] "qui sait si tu es son fils ?" Et s'il disait : " Mon voisin le sait et tous ceux qui me connaissent " alors ils lui tordaient la moustache jusqu'à ce qu'il tombe de faiblesse. Et ils le battaient et lui donnaient des coups de pieds en abondance. Et il demeura dans la captivité la plus étroite jusqu'à ce qu'il jetât la bourse devant eux » (39). Durant certaines périodes du califat abbasside, « la mort d'une personne riche était une catastrophe pour tous les siens, ses banquiers et ses amis se cachaient, on s'opposait à l'examen du testament par le gouvernement... Et il arrivait que la famille se rachetât au moyen d'un versement important » (40 ). e
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Naturellement aucune société n'a le monopole de la violence et du pillage. Mais le mode hydraulique de confiscation diffère en qualité et en ampleur des actes de violence arbitraire commis dans d'autres civilisations agraires supérieures. Dans la Grèce classique, ce n'était pas un gouvernement d'une force écrasante, mais l'ensemble des citoyens possédants ou non qui contrôlaient un dirigeant s'il risquait de devenir trop puissant, l'envoyaient en exil et saisissaient ses biens. Dans l'Europe médiévale, les princes avaient un nombre de fonctionnaires si réduit que les luttes intestines de la bureaucratie à la manière orientale avaient peu de chance de se développer. Les conflits entre les centres de pouvoir féodal étaient nombreux et souvent violents ; mais les forces rivales vidaient leur conflit plus souvent sur le champ de bataille que in caméra. Et ceux qui souhaitaient détruire leurs ennemis par la ruse préféraient le guet-apens à la chicane. Les occasions d'employer le premier procédé étaient nombreuses ; celles d'employer le second étaient rares. En ce qui concerne les gens d'affaires, les propriétaires dans la Grèce classique n'étaient pas accablés de lourds impôts directs ; et leurs homologues médiévaux étaient fort bien protégés contre les prétentions fiscales de leurs suzerains, provinciaux ou nationaux. De même, les bourgeois des villes marchandes semi-franches n'étaient pas en danger permanent d'être arrêtés, interrogés, soumis à la torture ou expropriés par les fonctionnaires d'une autocratie centralisée. Il est vrai que des convois commerciaux au moyen âge étaient parfois arrêtés et pillés alors qu'ils se déplaçaient d'une ville à une autre. Mais à l'abri des murs de leur cité, les artisans et les marchands jouissaient d'une tranquillité relative quant à la sécurité de leurs personnes et de leurs biens. Les rois absolus de l'Europe étaient aussi brutaux dans leurs plans et aussi impitoyables dans leurs massacres que leurs confrères d'Orient. Cependant, leur pouvoir de persécution et d'appropriation était limité par la noblesse terrienne, l'Eglise et les cités dont les suzerains autocrates pouvaient restreindre mais non annihiler l'autonomie. De plus, les souverains des nouveaux gouvernements centralisés tiraient des avantages précis du développement de la capitalisation de biens mobiliers. Issus d'un ordre agraire qu'ils n'avaient jamais dirigé ni exploité à la manière hydraulique, les autocrates occidentaux étaient prêts à protéger le capitalisme commercial et industriel naissant dont la prospérité croissante était également profitable à ses protecteurs. A l'opposé, les maîtres de la société hydraulique resserrèrent les liens fiscaux sur l'économie agraire de
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leur pays. Et ils ne subirent aucune pression en faveur des capitalistes urbains comme en subirent les souverains occidentaux post-féodaux. Tout au plus, traitèrentils ce qui existait d'entreprises capitalistes comme de fructueux jardins. Dans les pires cas, ils taillèrent et dépouillèrent l'arbre de l'entreprise privée jusqu'à la racine. D. — PROPRIÉTÉ HYDRAULIQUE PROPRIÉTÉ FAIBLE 1. - QUATRE
MANIÈRES
D'AFFAIBLIR
LA PROPRIÉTÉ
PRIVÉE
Dans nombre de civilisations stratifiées, les représentants de l'entreprise et de la propriété privées furent assez forts pour contrôler le pouvoir de l'Etat. Dans les conditions hydrauliques, l'Etat restreignit le développement de la propriété privée au moyen de mesures fiscales, judiciaires, légales et politiques. Dans les pages précédentes, nous avons analysé les techniques fiscales et judiciaires grâce auxquelles l'Etat parvenait à ses fins (impôts, fausses accusations et confiscations). Avant de nous tourner vers l'aspect politique de la question, il nous faut d'abord traiter d'une institution légale qui, plus qu'aucune autre peut-être a été la cause d'une fragmentation périodique de la propriété privée : les lois hydrauliques (orientales) sur l'héritage. 2. - LOIS HYDRAULIQUES
SUR LA SUCCESSION : L E PRINCIPE
Dans le monde hydraulique tout entier l'ensemble des biens d'une personne décédée sont transmis non pas selon sa volonté mais selon des lois coutumières ou écrites. Ces lois prescrivent une division égale ou approximativement égale des biens entre les héritiers, le plus souvent les fils et les autres parents proches mâles. Parmi les fils, l'aîné a souvent des devoirs particuliers à remplir. Il doit prendre soin de sa mère et de ses jeunes frères ; et il peut être chargé des obligations religieuses de la famille. Les lois tiennent compte de tout cela. Mais leur modification ne change pas leur effet fondamental : l'émiettement des biens d'une personne décédée et leur répartition entre ses héritiers. 3. - L'APPLICATION
Dans l'Egypte des Pharaons, le fils aîné, à qui incombaient d'importantes tâches rituelles, recevait une part plus grande de l'héritage paternel. Mais les autres enfants pouvaient réclamer la part que la loi leur garantissait (1).
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Le principe d'une division plus ou moins égale est clairement établi dans le code babylonien. Un don fait par le père durant sa vie au premier né n'est pas inclus dans le partage final, mais « cela mis à part, ils [les fils] partageront également les biens du domaine paternel » (2). La loi assyrienne est plus complexe. Là aussi le fils aîné jouit d'un avantage, mais tous les autres frères ont droit à leur part (3). En Inde, la situation, à l'origine privilégiée, du fils aîné fut progressivement réduite jusqu'à ce que toute différence entre lui et les autres héritiers disparût virtuellement (4). Dans le monde islamique, la succession se compliquait d'un grand nombre de facteurs, parmi lesquels le droit de disposer d'un tiers du domaine (a). Mais le système des « héritiers coraniques » tend à la fragmentation : il prescrit strictement la division entre plusieurs personnes (5). Le dernier code impérial chinois réaffirme ce qui semble avoir été une pratique régulière pendant toute la période de la propriété privée « développée ». Les biens d'une famille doivent être également divisés entre tous les fils. La désobéissance était punissable d'un maximum de cent coups d'un bâton pesant (6). Dans le Pérou inca, l'ensemble des terres était régi par l'Etat et ses agents locaux. Quelques dons en terres faits à des parents du souverain ou à des fonctionnaires militaires ou civils pour services rendus pouvaient être transmis comme biens héréditaires ; mais l'usufruit de la terre héritée était sujet à division égale (7). Dans le Mexique aztèque, les terres appartenaient aux communautés de villages et ne pouvaient donc être transférées selon la volonté du propriétaire. Certaines terres tenues personnellement par des membres du groupe dirigeant étaient, après la mort de l'usufruitier, divisées entre les héritiers (8). 4. - L E S EFFETS
a. - Sur les villages organisés. Une loi sur la succession qui prescrit une division périodique de la propriété privée affecte différemment les différents groupes de la société hydraulique. Les paysans qui vivent en communauté dans des villages organisés peuvent partager la propriété mobilière d'un chef de famille (a) missible
Le Coran prescrit (Coran IV 7-14).
une division très compliquée de la propriété trans-
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mort, mais non ses champs. Ceux-ci doivent rester intacts ou êtie de temps en temps redistribués selon les prérogatives ou les besoins reconnus des membres de la communauté. b. - Sur les possesseurs de petites propriétés
privées.
Des problèmes tout à fait nouveaux se posent quand les paysans possèdent leur terre de façon privée et libre. La rareté de la nourriture peut réduire le nombre de leurs héritiers éventuels et cela est un facteur démographique important dans toutes les sociétés hydrauliques. Cependant, la volonté de vivre donne souvent les moyens de remédier aux pénuries ; et en dépit de disettes périodiques ou chroniques, la population tend à s'accroître. Ceci signifie inévitablement des fermes plus petites, plus de travail, plus de difficultés et, fréquemment des migrations, le banditisme et la rébellion. Les pressions démographiques ne manquent certainement pas dans les villages organisés. Mais elles sont particulièrement graves là où la propriété privée de la terre est la règle. Car en de telles zones, l'appauvrissement des éléments économiquement les plus faibles n'est pas contrebalancé, ni retardé par l'économie intégrée du village qui met obstacle à la fois à l'essor économique et à l'effondrement individuels. c. - Sur les possesseurs de grandes propriétés
privées.
Chez les riches propriétaires, un autre facteur de démographie hydraulique devient important : la polygamie. Dans les civilisations hydrauliques les riches ont habituellement plusieurs femmes ; et plus leur fortune est grande, plus leur harem peut être grand. La possibilité d'avoir plusieurs fils se multiplie en proportion. Mais plusieurs fils, cela veut dire plusieurs héritiers ; et plusieurs héritiers, cela signifie une réduction plus rapide des biens originels au moyen de l'héritage également partagé. Analysant le dynamisme de la société traditionnelle chinoise, deux sociologues modernes, Fey et Chang trouvent « malheureusement vrai » que dans cette société « la terre n'engendre pas la terre ». Pourquoi, « la vérité fondamentale, c'est qu'exploiter la terre, en vue de s'enrichir et selon la technologie traditionnelle, n'est pas une méthode pratique pour accumuler des richesses ». La richesse foncière tend à se rétrécir plutôt qu'à s'agrandir ; et cela essentiellement à cause de la loi sur la succession ; « aussi longtemps que le principe coutumier des parts égales entre les fils existe, le temps est une puissante force désintégrante de la propriété foncière» (9).
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La loi islamique sur la succession a un effet désintégrant analogue. Partout où elle prévaut, elle « doit à la longue mener à l'inévitable endettement des plus grandes propriétés...» (10). Dans l'empire inca, il n'en allait pas mieux, apparemment, pour les propriétés foncières concédées. Après quelques générations, le revenu que percevaient individuellement les héritiers était pratiquement insignifiant (11). 5. - DÉVELOPPEMENTS OCCIDENTAUX
a. - Les cités démocratiques
PARTICULIERS
de la Grèce antique.
La fragmentation de la propriété foncière au moyen d'héritages plus ou moins également partagés est certainement une institution pleine d'enseignement. Mais, est-il légitime de la considérer comme fondamentalement caractéristique des civilisations hydrauliques ? « La règle de partage d'un domaine au moment de la succession » était également en vigueur dans les cités de la Grèce classique. Constamment appliquée, elle « émiette la terre sans cesse » (12). Au 4 siècle, « à part un seul cas exceptionnel, la propriété la plus étendue en Attique... mesurait 300 plethres, soit 25 hectares ». Glotz ajoute : « cet état de choses était commun aux cités démocratiques» (13). e
b. - Les Etats-Unis après la Guerre d'Indépendance. Il nous faut citer encore la lutte contre l'indivision et le droit de primogéniture dans la première période historique des Etats-Unis. Au cours de la révolution américaine et immédiatement après, les porte-parole de la jeune république attaquèrent vigoureusement l'inaliénabilité qui fut justement décrite comme un reste de la tradition féodale européenne. Une fois abolie la loi garantissant l'indivision, les énormes domaines aristocratiques se démembrèrent rapidement. « Vers 1830, la plupart des grands domaines d'Amérique avaient disparu» (14). c. - Un contraste frappant : la puissance de la propriété foncière en Europe, à la fin de l'époque féodale et à l'époque post-féodale. On fit en Europe, après la fin de l'époque féodale, des tentatives similaires pour briser le pouvoir de la grande propriété foncière. Les gouvernements des nouveaux Etats provinciaux et nationaux s'attaquèrent à l'indivision et au droit de primogéniture au moyen de nombreuses mesures ; les actes du gouvernement prévalurent sur le continent, les réformes judiciaires en Angleterre (15). Les
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protagonistes habiles de l'absolutisme donnèrent à la lutte vigueur et couleur. Mais dans les pays importants de l'Europe centrale et occidentale, les gouvernements furent longtemps incapables d'empêcher la perpétuation de la grande propriété. En France, cette institution demeura intacte jusqu'à la Révolution et survécut sous une forme modifiée jusqu'en 1849. Et en Angleterre et en Allemagne, elle ne fut éliminée qu'au 20 siècle (16). e
6. - DIFFÉRENTES FORCES SOCIALES OPPOSÉES A L'INALIÉNABILITÉ
a. - Propriété
petite et mobile.
Evidemment, la perpétuation de la grande propriété foncière peut se heurter à différentes forces sociales. Les législateurs grecs qui, selon Aristote (17), reconnaissaient l'influence de l'uniformisation de la propriété sur la société politique ne s'identifiaient probablement pas avec un groupe ou une classe sociale en particulier. Mais leur œuvre favorisa la petite propriété rurale (18) autant que les formes nouvelles de propriété mobilière (urbaine) et d'entreprise privée. On comprend facilement que les groupes qui profitèrent d'un affaiblissement de la grande propriété foncière parvinrent à ce résultat grâce à des méthodes de plus en plus efficaces à mesure que les cités se démocratisaient. Aux Etats-Unis, au début de leur histoire, Jefferson se battit pour l'abolition de la propriété indivise et du droit de primogéniture, abolition qu'il considérait comme un pas nécessaire vers l'élimination de « distinctions féodales et artificielles» (19). Et il fonda sa politique sur une philosophie qui se défiait du commerce et de l'industrie autant qu'elle faisait confiance aux fermiers libres et indépendants. La propriété rurale petite et moyenne n'était peut-être pas représentée directement parmi ceux qui rédigèrent la Constitution (20) ; cependant son influence fut grande. La Révolution qui « commença par des protestations de marchands et des rixes d'ouvriers » fut en fait « menée jusqu'à la fin — une fin amère — par les baïonnettes de fermiers combattants» (21). Et ce n'est pas tout. Quelques décades après la Révolution, la « frontière agricole » l'emportait tellement en influence sur les intérêts commerciaux et bancaires des villes littorales qu'elle « décida de l'ouverture des hostilités contre l'Angleterre en 1812» (22). Il semble donc légitime d'affirmer que ce fut l'alliance de la propriété rurale indépendante (agriculture) et mobilière urbaine
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qui consomma la chute du système féodal de propriété indivise et de primogéniture aux Etats-Unis. b. - Les Etats de l'Europe féodale et
post-féodale.
La propriété foncière féodale et post-féodale en Europe se heurta à des forces très différentes. A l'apogée du conflit, l'attaque fut menée par les représentants de l'Etat absolutiste ; et la ressemblance extérieure avec la version orientale de la même lutte rend d'autant plus nécessaire la compréhension de la nature exacte des événements en Occident. Pourquoi les seigneurs féodaux de l'Europe eurent-ils la possibilité de consolider à ce point leur situation de propriétaires fonciers ? Parce que, comme nous l'avons déjà indiqué, dans la société cloisonnée de l'Europe médiévale, les souverains, provinciaux ou nationaux, n'avaient pas les moyens de l'empêcher. Il est vrai que le souverain, le seigneur le plus riche en terres et en hommes, exerçait une certaine autorité publique (23). Il pouvait exiger une certaine contribution militaire de ses seigneurs vassaux et barons ; il exerçait certaines fonctions judiciaires suprêmes ; c'est lui qui était chargé des relations de son pays avec les pays étrangers ; et son autorité s'appuyait sur le fait que la plupart de ses vassaux ne tenaient leur fief qu'aussi longtemps qu'ils remplissaient les engagements stipulés dans leur investiture. Ainsi les seigneurs étaient-ils, à l'origine, dépositaires plutôt que propriétaires de leurs domaines ; et ils le demeurèrent au moins théoriquement, même lorsque les fiefs devinrent héréditaires. Cet état de choses a été souvent décrit. A quelques différences près — différences particulièrement importantes dans un pays comme l'Angleterre d'après la conquête — il prévalut dans la plus grande partie de l'Europe occidentale et centrale, au cours de la période de formation de la féodalité. Cependant, l'image traditionnelle que l'on donne de la féodalité insiste beaucoup plus sur la relation entre le seigneur féodal et son suzerain que sur la relation entre les différents seigneurs. Du point de vue du développement de la propriété, cette seconde relation est cruciale. Que le baron ait tenu son fief de manière temporaire ou héréditaire, sa vie avait pour centre son propre château et non pas la cour du roi ; c'était cette situation détachée qui déterminait ses contacts personnels et sociaux. Le roi pouvait exiger de ses vassaux une contribution militaire de quelques semaines ; mais au-delà de cette période limitée par contrat — période qui pouvait être prolongée si un payement convenable était offert (24) —
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il ne pouvait pas contrôler leurs actions. Le baron et le chevalier étaient libres d'employer ses soldats pour liquider des litiges privés. Il était libre de s'engager dans des chasses, des tournois et des expéditions de tous genres. Et, ce qui est plus important, il était libre de s'entendre avec les seigneurs ses voisins qui, comme lui-même, désiraient promouvoir leurs intérêts communs. La dispersion de l'ordre politique incitait les vassaux, qui individuellement étaient infiniment plus faibles que le souverain mais qui unis pouvaient s'opposer à lui avec succès, à s'associer selon des affinités locales et provinciales. Au cours de la compétition entre le pouvoir croissant des seigneurs (et des bourgeois) d'une part, et le pouvoir royal de l'autre, les gouvernements centraux se heurtèrent dans leur essor, non aux forces, féodales et citadines, dispersées de jadis, mais à des provinces organisées, capables de défendre leurs droits économiques et sociaux. En Angleterre, dès le 11" siècle, on désigna par le terme de barones ceux qui tenaient du roi les fiefs principaux. A l'origine, le terme désignait plutôt un groupe qu'un individu : « le mot ne se trouve pas au singulier » (25). Mais ce fut seulement lorsque le gouvernement tenta de limiter leur indépendance que les barons sentirent la nécessité d'une action coordonnée. La dernière clause de la Grande Charte a été justement définie comme « la première reconnaissance par le roi du droit des barons à imposer collectivement leur volonté au roi » (26). Peu après, les représentants de la « totius Anglise nobilitas... se font mutuellement serment de ne pas donner au roi d'autre réponse qu'une commnnis responsio » (27). Ce fut durant ce même siècle que les seigneurs anglais s'unirent en un seul Etat en même temps qu'ils jetaient des bases pour la pérennité de leurs domaines au moyen de la propriété indivise et de la primogéniture (28). Sur le continent, les dates furent différentes et il y eut des variantes dans les détails. Mais la tendance générale était la même. Appliquant à leurs fiefs le principe de l'indivision — qui avec l'abandon de la forme féodale d'obligation militaire avait perdu sa signification première — les propriétaires nobles consolidèrent leurs domaines en Espagne, en Italie, en France et en Allemagne (29). Il est important de noter que les nobles, qui maintenaient en équilibre les sociétés de la fin de la féodalité, devaient en partie leurs propriétés à l'attitude de la bureaucratie absolutiste. Parmi les membres aristocratiques de cette bureaucratie, nombreux étaient ceux qui se sentaient une profonde affinité avec la noblesse rurale à laquelle ils étaient liés à plus d'un titre. Déchirés par des conflits
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de propriété et des intérêts bureaucratiques, les représentants de l'absolutisme occidental ne poussèrent pas jusqu'au bout la lutte organisée contre les privilèges des grands propriétaires. En conséquence, ce fut l'une des formes les plus fortes de propriété privée jamais connue qui sortit de la société féodale. c, - L'absolulisme hydraulique réussit là où les Etats féodaux et absolutistes occidentaux ont échoué. En Europe, à la fin de la féodalité et durant la période post-féodale, l'État admit, pour la noblesse terrienne, un système de succession qui favorisait l'un des fils aux dépens de tous les autres. Et dans le monde occidental moderne, l'Etat permet généralement à l'individu de disposer de ses biens à son gré. L'Etat hydraulique n'accordait aucune liberté de décision équivalente, ni aux possesseurs de propriétés mobilières, ni aux possesseurs de terres. Ses lois sur la succession veillaient à ce qu'ait lieu un partage plus ou moins égal du domaine du défunt et par conséquent un morcellement périodique de la propriété. Chez les peuples peu évolués vivant d'une économie d'extraction ou d'agriculture primitive, le processus de succession était apparemment très divers (30) ; il est donc peu probable que les prédécesseurs de la société hydraulique aient en majorité maintenu un système de succession à héritier unique, que le développement hydraulique aurait ensuite aboli. En quelques cas néanmoins, il fallut sans doute éliminer les germes d'un tel système. Là où de tels germes n'existaient pas, les maîtres hydrauliques firent en sorte que des tentatives en vue de saper l'organisation distributive traditionnelle ne pussent aboutir. Ils y parvinrent par de multiples méthodes, dont la généralisation de la fragmentation de l'héritage n'est que l'exemple le plus remarquable. Dans les sociétés féodales et post-féodales occidentales, ce qui permit aux nobles terriens de créer le système de succession unilatéral appelé indivision et primogéniture ce furent principalement leur puissance et leur organisation sur le plan national et politique. Dans la société hydraulique, les représentants de la propriété privée n'avaient pas la force nécessaire pour instaurer des formes consolidées de propriété, tout d'abord parce que le monopole de l'action armée que possédait l'Etat empêchait les propriétaires d'entretenir des forces militaires indépendantes et, ensuite, parce que le réseau gouvernemental d'organisation (corvée, poste d'Etat et renseignement, armée intégrée, taxation universelle) empêchait
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les propriétaires de protéger leurs intérêts au moyen d'una véritable organisation nationale. Dans ce contexte, la lutte pour ou contre la divisibilité de la propriété ne devint pas un problème politique spécifique comme ce fut le cas dans la Grèce antique, l'Europe absolutiste ou les Etats-Unis, Et, contrairement aux zones de conilit ouvert, le monde hydraulique ne favorisa pas les arguments politiques qui justifiaient — ou s'opposaient à — la loi de fragmentation de l'héritage. 7. - IMPUISSANCE ORGANISATIONNELLE DES PROPRIÉTAIRES SOUS LE RÉGIME HYDRAULIQUE
Etant un pouvoir fort, organisé et partout représenté, le régime hydraulique l'emportait dans les lieux de concentration de la propriété mobilière, dans les cités, autant que dans le domaine principal de la propriété immobilière, la campagne. Les cités étaient les points d'appui administratifs et militaires du gouvernement ; et les artisans et marchands n'avaient aucune possibilité de devenir des rivaux politiques sérieux. Bien que leurs associations professionnelles ne fussent pas tenues de se rattacher directement à l'Etat, il est certain qu'ils ne réussirent pas à créer des centres de corporations bourgeoises forts et indépendants comme il s'en forma en tant de lieux de l'Europe médiévale. Il n'en alla pas mieux pour la campagne. Les possesseurs des terres étaient, soit d'opulents nommes d'affaires, aussi étroitement limités dans le domaine de l'organisation que les détenteurs de propriétés mobilières, soit — et le plus souvent — des fonctionnaires ou des prêtres faisant partie de — ou associés à — la bureaucratie organisée à l'échelon national. Cette bureaucratie pouvait permettre à ses membres propriétaires ou à ses associés de créer des organisations locales telles que les « porteurs de ceinture » chinois (ce qu'on pourrait approximativement traduire par « noblesse rurale » ), et les organisations de prêtres des divers temples et des différentes croyances. Mais elle décourageait toute tentative d'unification de la propriété terrienne à l'échelon national et sous forme de corporations ou de domaines indépendants. Dans le Proche Orient islamique, les possesseurs de douaires familiaux (wakfs), conservaient intactes leurs terres parce que celles-ci devaient servir ultérieurement à des fins religieuses et charitables. Mais tant que le wakf familial était temporairement le bien du dépositaire et de ses descendants, il ne constituait pas une forme de propriété sûre, libre et forte. Bien que moins fré-
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quemment objets de confiscation, les wakfs familiaux, de même que les autres wakfs, pouvaient être saisis si l'Etat le désirait. Ils étaient soumis à une taxation ; et leurs bénéficiaires n'affermirent jamais leur pouvoir au moyen d'une organisation politique à l'échelon national. Le wakf familial, par sa destination sinon pour son usage immédiat, ressemble aux terres des temples administrées par les prêtres. Mais, à l'inverse des fonctionnaires religieux, les possesseurs de ces douaires se font remarquer non par leur participation active à la vie publique, mais par leur position de rentiers. La terre des temples, comme les terres attribuées à des fonctionnaires laïques, ne se divisait pas ; mais ce qui est caractéristique dans les relations entre l'Etat hydraulique et les religions prédominantes, c'est que les prêtres ou les temples nantis de terres ne s'engagent pas dans de véritables luttes destinées à imposer à l'Etat absolutiste un contrôle constitutionnel. I^s membres propriétaires de la bureaucratie — ceux qui étaient en fonction aussi bien que la noblesse rurale — ne s'associaient pas davantage en un groupement national capable de défendre leurs droits de propriétaires contre les pressions acquisitives et légales de l'appareil d'Etat. Ils se contentaient de jouir de leurs terres comme de ressources confortables, laissant aux fonctionnaires actifs le soin d'organiser et de faire fonctionner un système nationalement intégré de pouvoir politique. Le général chinois qui prouva son innocence politique en prétendant ne s'intéresser qu'à l'acquisition de terres (31) illustre de façon frappante l'impuissance politique de la propriété orientale, cela même quand elle est entre les mains des membres de l'appareil (b). E. — L E RÉGIME HYDRAULIQUE S'ATTACHE LA RELIGION DOMINANTE DU PAYS Des causes similaires mènent à des résultats similaires également dans le domaine de la religion. L'Etat hydraulique, qui ne permettait aucune direction indépendante, qu'elle fût militaire ou économique, ne favo(b) Ces conditions favorisaient ce que l'on peut appeler le c a r a c t è r e introverti de l a p l u p a r t des constructions r é s i d e n t i e l l e s de l a s o c i é t é agrobureaucratique c o m p a r é e s a l'architecture extravertie des é d i f i c e s correspondants en O c c i d e n t . Cette tendance à dissimuler des jardins et des r é s i d e n c e s luxueuses d e r r i è r e une f a ç a d e neutre n ' é t a i t pas seulement le fait des riches particuliers. E l l e é t a i t aussi le fait des membres de l'appareil, e x c e p t é bien entendu les m a î t r e s s u p r ê m e s .
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risait pas non plus la montée d'un pouvoir religieux indépendant. Jamais dans la société hydraulique la religion dominante ne se plaça hors de l'autorité de l'Etat et ne revêtit la forme d'une église autonome nationalement (ou internationalement) intégrée. 1. - RELIGIONS UNIQUES, DOMINANTES ET SECONDAIRES
Une religion dominante peut n'avoir pas de rivales remarquables. C'est souvent le cas dans les civilisations primitives où les seuls représentants marquants d'idées et de pratiques hétérodoxes sont les sorciers et les sorcières. Là, le choix ne se pose même pas ; et les dirigeants s'identifient facilement à la religion dominante. La naissance et l'extension des religions secondaires sont, d'ordinaire, favorisées par des conditions institutionnelles relativement différenciées. Partout où l'on accorde à de telles religions une chance de survivre (croyances non hindoues en Inde ; taoïsme et bouddhisme dans la Chine du confucianisme ; christianisme et judaïsme en Islam), les souverains tendent avec le temps à s'identifier avec la doctrine dominante. Il est à peine besoin de dire que dans le contexte présent le mot « dominant » ne qualifie que les aspects sociaux et politiques de la question. II n'implique aucun jugement de valeur religieuse. Que la religion socialement dominante soit en même temps supérieure en termes de doctrine religieuse c'est une question totalement différente (quoique légitime), qui n'entre pas dans le cadre de la présente étude. 2. - AUTORITÉ RELIGIEUSE ATTACHÉE A L'ETAT HYDRAULIQUE a. - Le régime que.
hydraulique
— parfois
(quasi)
hiérocrati-
Si l'on cherche à définir les relations entre le pouvoir hydraulique et la religion dominante, il faut d'abord se garder de faire une erreur très répandue. Dans le monde hydraulique, comme dans d'autres sociétés agraires, la religion joue un rôle énorme ; et les représentants de la religion tendent à être nombreux. Cependant, l'importance d'une institution n'implique pas nécessairement son autonomie. Comme nous l'avons déjà expliqué, les armées gouvernementales des civilisations hydrauliques sont généralement grandes, mais les facteurs mêmes qui assurent leur importance font qu'elles n'ont aucune indépendance. Naturellement, l'organisation religieuse ne peut se comparer à l'organisation de la défense. Mais, dans les
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deux cas, le nombre est une conséquence directe des liens étroits existant entre l'organisation et la machine gouvernementale, qui est capable de mobiliser d'énormes sources de revenus. Les civilisations hydrauliques sont en général caractérisées par un clergé nombreux et influent. Ce serait cependant une erreur de les considérer comme hiérocratiques, « dirigées par des prêtres ». On a beaucoup cherché à définir le mot « prêtre » ; et des sociologues éminents, comme Max Weber (1), ont proposé un large choix de définitions pour un phénomène dont les limites institutionnelles ne sont pas aisées à déterminer. Il va de soi qjue le prêtre doit être apte à remplir ses tâches religieuses, qui comprennent la célébration des sacrifices aussi bien que les prières. Un prêtre ainsi qualifié peut cependant ne consacrer qu'une partie restreinte de son temps à ses devoirs religieux, la plus grande partie étant employée à assurer sa subsistance, ou au contraire à célébrer le culte professionnellement, c'est-à-dire à temps complet. Si nous définissons le pouvoir des prêtres comme un pouvoir gouvernemental exercé par des prêtres professionnels, alors peu d'Etats hydrauliques répondent à cette définition (peut-être pas un seul). Dans de nombreux cas, les postes officiels étaient occupés par ceux qui avaient reçu une formation de prêtres, et qui, avant d'occuper un poste de gouvernement, exerçaient en tant que prêtres. Il importe de noter ce fait parce qu'il explique le rôle des temples dans le complexe gouvernemental. Mais il est également important de noter que lorsque ceux qui ont été prêtres jouent un rôle éminent dans le gouvernement, ils ne continuent pas, en général, à consacrer la plus grande partie de leur temps à l'accomplissement des devoirs religieux. Un tel régime n'est donc pas hiérocratique au sens propre, mais quasi hiérocratique. Les quelques gouvernements à la tête desquels se trouvent des prêtres qualifiés sont presque tous de cette dernière sorte. Les tribus des Indiens pueblos ont à leur tête des chefs qui jouent un rôle essentiel dans de nombreuses cérémonies religieuses. Cependant, excepté en ce qui concerne l'un ou quelques-uns d'entre eux — souvent le seul cacique — ces prêtres-chefs passent l'essentiel de leur temps à cultiver les champs. Le gouvernement pueblo est par conséquent représenté par une hiérarchie d'hommes qui, bien que qualifiés pour célébrer le culte, ne sont pas dans l'ensemble des prêtres à temps complet. On a dit que les cités de Sumer auraient été d'ordinaire dirigées par les grands-prêtres des temples des cités
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dominantes (2), les hommes de cour éminents et les fonctionnaires gouvernementaux, qui tenaient un rôle important dans l'administration des domaines des temples (3), étant probablement eux aussi des prêtres qualifiés (a). Mais ces hommes, qui avaient reçu une éducation de prêtres, avaient-ils encore le temps d'accomplir les nombreuses fonctions religieuses d'un prêtre de profession ? Deimel suppose que les rois-prêtres n'officiaient dans les temples qu'en des occasions particulièrement solennelles (4). Leurs subordonnés étaient également accaparés par leurs obligations séculières — et également limités dans leurs activités religieuses. Les auxiliaires éminents du souverain, et sans aucun doute aussi nombre de ses fonctionnaires subalternes, entraient dans l'arène politique parce qu'ils étaient membres des plus puissantes subdivisions économiques et politiques, les temples. Les gouvernements des cités-temples de Sumer étaient donc quasi hiérocratiques. Mais, même à Sumer, la puissance des temples semble avoir connu une décadence. La réforme du roi-prêtre de Lagash, Urukagina, indique que dès le troisième millénaire avant notre ère, de puissantes familles de prêtres ont tenté de séculariser la terre des temples (5) ; et peu après Urukagina, les grands rois d'Akkad et d'TJr réussirent à incorporer au domaine royal quelques possessions foncières des temples (6). Durant la période babylonienne qui suivit, les temples cessèrent d'être des secteurs éminents de l'économie de la société, et la majorité des hauts fonctionnaires ne coïncida plus nécessairement avec le corps du clergé. Le schéma babylonien est beaucoup plus répandu que le schéma sumérien. En principe, les gouvernements hydrauliques étaient administrés par des fonctionnaires professionnels qui, peut-être élevés par des prêtres, n'étaient pas destinés à le devenir eux-mêmes. La plus grande partie des prêtres qualifiés et des prêtres de profession restaient accaparés par leurs charges religieuses, et l'emploi de quelques prêtres isolés dans le service de l'Etat ne suffisait pas à faire du gouvernement une hiérocratie. Parmi les différentes tentatives faites en vue d'établir un gouvernement de prêtres dans une nation hydraulique (b), celle de la vingt et unième dynastie de l'Egypte (a) D a n s l'histoire de Sumer, on trouve t r è s t ô t des p r ê t r e s professionnels (Deimel, 1924, 6 sqq. ; Falkenstein, 1936 ; 58 ; Meissner, B A , II : 52). L e s inscriptions antiques font mention des p r ê t r e s aussi bien que des r e p r é s e n t a n t s des professions s é c u l i è r e s (Schneider, 1920 : 107 sqq. ; D e i m e l , 1924 : 5 s q q • F a l k e n s t e i n , 1936 : 58 sqq. ; Deimel, 1932 : 444 sqq.). ' (b) L e T i b e t est a n a l y s é comme une s o c i é t é h y d r a u l i q u e marginale a u chap. 6.
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des Pharaons semble particulièrement digne d'attention. Mais le fondateur-usurpateur de cette dynastie, Hérihor, qui était un prêtre, remplit des fonctions séculières dans le gouvernement avant que le Pharaon ne fît de lui le grand-prêtre ; et cette fonction lui fut donnée non pour consolider mais pour affaiblir le pouvoir du clergé dominant, celui d'Amon (c). Comme les roisprêtres de Sumer, les souverains d'Egypte —• Hérihor compris — passèrent évidemment le plus clair de leur temps à accomplir des charges gouvernementales. Du point de vue de l'histoire de l'Egypte ancienne, il est significatif que des vingt-six dynasties que compte la période pharaonique, l'une d'elles tout au plus puisse être rangée parmi les gouvernements quasi hiérocratiques. b. - Le régime hydraulique - fréquemment
théocralique.
Les activités de construction, d'organisation et d'acquisition de la société hydraulique tendent vers une concentration de l'autorité en un seul centre dirigeant : le gouvernement central, et, ultérieurement, en une seule personne : le chef de ce gouvernement. Depuis le début de la civilisation hydraulique c'est vers ce centre que les pouvoirs magiques du pays eurent tendance à converger. La plus grande partie des cérémonies religieuses peuvent être confiées à un clergé spécialisé, qui jouit souvent d'une liberté considérable. Mais dans de nombreuses sociétés hydrauliques, le représentant suprême de l'autorité séculière est également l'incarnation de l'autorité suprême en matière religieuse. S'il apparaît soit comme un dieu véritable, soit comme le descendant d'un dieu, soit comme un grand-prêtre, le souverain est effectivement un chef théocratique (divin) ou quasi théocratique (pontifical). Evidemment, un régime théocratique n'est pas nécessairement hiérocratique ni quasi hiérocratique. Souvent, et même si le souverain lui-même est un prêtre qualifié, ses dignitaires et fonctionnaires ne le sont pas nécessairement dans leur majorité. Les chefs des Indiens pueblos et chaggas, qui sont les grands-prêtres de leurs communautés respectives, occupent une situation théocratique ; et la qualité divine des rois d'Hawaï ne fait aucun doute. Cependant, dans (e) Kees, 1938 : 10 s q q . ; 14, 16 ; v o i r W i l s o n , 1951 : 288 s q q . M ê m e E . M e y e r ( G A , II, P t . 2 : 10 sqq.) q u i met fortement l'accent et sans doute à tort, sur les hases sacerdotales de l'accession au p o u v o i r de H é r i h o r , a le sentiment que la vingt et u n i è m e dynastie ne p a r v i n t pas à instaurer « une v é r i t a b l e t h é o c r a t i e ».
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des conditions agraires primitives, les autorités religieuse et séculière sont souvent étroitement liées, que le mode d'agriculture soit ou non l'irrigation. Contrastant avec la fréquence des institutions théocratiqucs chez les peuples agraires primitifs, le développement de la théocratie est très inégal dans les civilisations agraires plus évoluées. Des tendances théocratiques ou quasi théocratiques prévalurent dans de nombreuses sociétés hydrauliques centralisées alors qu'au contraire elles furent insignifiantes dans la Grèce antique et l'Europe médiévale. Dans la Grèce homérique, le roi était d'origine divine (7), et sa prééminence dans toutes les questions religieuses était si absolue qu'on l'a appelé « chef-prêv tre » (8). Les développements démocratiques ultérieurs ne rompirent pas le lien entre l'Etat et la religion ; mais ils placèrent le contrôle de l'une et l'autre activité entre les mains des citoyens. Etroitement contrôlée par la communauté des citoyens, la religion d'Etat de la Grèce antique n'acquit jamais une hiérarchie sacerdotale (9) ni un ordre ecclésiastique fermé (10). D'une manière générale, ceux qui devaient faire fonction de prêtres étaient choisis, soit par tirage au sort, soit par élection (11). Ils manquaient donc de cette formation qui joue un si grand rôle pour les prêtres professionnels recrutés par cooptation. Les finances des temples étaient soumises au strict contrôle des autorités politiques qui, dans leur majorité, étaient choisies de la même manière. De plus, les chefs du gouvernement n'étaient pas considérés comme divins et ne faisaient pas fonction de grands-prêtres ni de chefs d'aucun ordre religieux organisé. Le terme de « théocratie » que l'on peut appliquer aux conditions primitives de la Grèce pré-classique ne s'applique donc guère à l'Etat de citoyens « servants » de la période démocratique. Dans les grandes civilisations agraires de l'Europe médiévale, le développement non théocratique, alla plus loin encore. Malgré les tentatives qu'ils firent pour instaurer une autorité théocratique (12) Pépin et Charlemagne furent impuissants à remonter le courant qui portait le pays vers la décentralisation féodale. Et parmi les nombreux centres secondaires du pouvoir économique, militaire et politique qui restreignaient l'autorité des souverains nationaux et provinciaux, l'Eglise se montra éminemment efficace parce qu'une doctrine unique et une direction de plus en plus unifiée dotaient ses subdivisions locales quasi féodales d'une puissance organisationnelle tout orientale. Après une longue période de lutte intense, l'Eglise acquit sa pleine autonomie. Au 11* siècle, la couronne française « avait cédé au Saint-
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Siège» (13) et l'empereur d'Allemagne, Henri IV, s'était humilié devant le Pape Grégoire VII. Pendant quelque temps, la lutte entre le pouvoir séculier et le pouvoir ecclésiastique se prolongea sans aboutir, jusqu'à ce qu'Innocent III (1198-1216) élevât l'autorité du Pape à une telle suprématie qu'il put tenter — sans succès cependant — de soumettre l'Etat à la direction de l'Eglise. Parmi les nombreuses manifestations de comportement autonome d'une église, l'exemple de l'Angleterre est particulièrement instructif. En 1215, les évêques anglais alliés aux seigneurs féodaux contraignirent le roi Jean à reconnaître par la Grande Charte la légitimité d'un gouvernement constitutionnel équilibré. La Charte était « à " l'origine " une concession faite " à Dieu " en faveur de l'Eglise d'Angleterre... Par le premier article, le roi reconnaissait que " l'Eglise anglaise serait libre, jouirait de ses pleins droits et de libertés inviolables " et en particulier " de cette liberté qui, pour l'Eglise anglaise compte pour la plus grande et la plus nécessaire, la liberté du choix de ses dignitaires ". L'article 42 concernant la liberté de quitter le royaume entraînait pour le clergé le droit extrêmement important d'aller à Rome sans l'autorisation du roi » (14). L'Eglise, sous le régime instauré par la Charte, n'était pas seulement l'un des nombreux groupes de propriétaires fonciers féodaux efficacement organisés. Pour son organisation tant nationale qu'internationale, elle était différente des — et, d'une certaine manière, supérieure aux — groupements de noblesse séculière. De plus, elle lutte pour son autonomie en qualité de corps religieux, ayant des buts et des exigences spécifiquement religieux. Mais quelque cruciales que fussent ces caractéristiques, l'Eglise n'aurait pas pu contrôler le pouvoir du régime politique si elle n'avait en même temps consolidé la puissance économique et organisationnelle de la noblesse séculière. En qualité de puissance religieuse, l'Eglise, dans la société agraire de l'Europe médiévale, devint une entité essentiellement indépendante (15). En atteignant son but, elle facilita la croissance de la société équilibrée de la fin de l'époque féodale et c'est grâce à elle que la société moderne occidentale devait naître plus tard. Ainsi, qu'elles aient eu ou non à l'origine une direction théocratique, les civilisations agraires supérieures de l'Occident ne présentèrent pas un développement important des structures théocratiques. Les cités de la Grèce classique étaient caractérisées par une alliance non théocratique du gouvernement et de la religion ; et dans l'Europe médiévale, les autorités séculières et religieuses, loin d'instaurer
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un système césaro-papiste intégré, se cristallisèrent en deux institutions qui se distinguaient d'une manière flagrante. La civilisation hydraulique prit une direction radicalement différente. Là où les gouvernements hydrauliques tribaux étaient de structure théocratique, le schéma originel se perpétua d'ordinaire, même dans des conditions institutionnelles plus complexes. Et là où la théocratie était inexistante à l'époque pré-hydraulique, elle prit forme fréquemment, comme partie intégrante du développement hydraulique. Une société qui fournissait au développement de la machine gouvernementale des possibilités uniques ne laissait aucune place à l'avènement d'une religion dominante politiquement et économiquement indépendante. Le souverain d'une société agro institutionnelle consolidait sa position temporelle en attachant à sa personne, sous une forme ou sous une autre, les attributs de l'autorité religieuse suprême. En quelques cas, cette situation n'est pas absolument théocratique mais c'est plus souvent l'exception que la règle. Dans la majorité des cas, les régimes hydrauliques semblent avoir été, soit théocratiques, soit quasi théocratiques. La diversité institutionnelle du monde hydraulique exclut une formulation rigide. Mais il semble que les souverains divins apparurent d'abord dans les conditions sociales les moins différenciées. Au niveau de la technologie néolithique, les Incas gouvernèrent théocratiquement une société hydraulique simple. Le chef suprême des Incas (« unique », Sapa) était un descendant du Soleil, divin par conséquent (16) ; et, à des degrés divers, sa parenté participait de la même divinité (17). Le Sapa inca célébrait les sacrifices les plus solennels (18), ayant rang dans ces cérémonies au-dessus des grands-prêtres de profession, lesquels étaient généralement choisis parmi ses oncles ou ses frères (19). Ses fonctionnaires dirigeaient la distribution et la culture des terres du temple (20) et ils administraient les greniers du temple aussi bien que ceux du gouvernement séculier (21). Ainsi le gouvernement dirigé par un chef divin administrait à la fois les affaires séculières du pays et le clergé de la religion dominante. De nombreux documents littéraires et picturaux attestent le développement théocratique du Proche-Orient. L'Egypte antique qui s'est développée sans liens institutionnels visibles avec la Mésopotamie (d) — mais non sans (d) Des contacts entre ces deux civilisations s ' é t a b l i r e n t probablement longtemps a v a n t le d é b u t de l'histoire é c r i t e (voir Kees, 1933 : 7 sqq.).
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liens culturels — démontre de façon évidente la puissance potentielle d'un ordre hydraulique extrêmement centralisé et relativement simple. Le Pharaon est un dieu ou le fils d'un dieu (22), un dieu grand et bon (23). Il est le dieu Horus (24), émanation du dieu du Soleil Râ (25). Il est « physiquement » le descendant de son père divin (26). Placé ainsi à part, il s'offre comme le médiateur entre les dieux et l'humanité. Le manque de temps l'empêche d'accomplir personnellement la plupart de ses charges religieuses (27) ; mais c'est un grand-prêtre (28) et le prêtre de tous les dieux (29). Le caractère suprême de sa position ne fait aucun doute. A l'origine, les charges des temples étaient pour la plus grande part confiées à des fonctionnaires royaux (30), et l'administration du temple aux hommes du roi (31). Mais même après la constitution d'un clergé professionnel important, l'Etat conserva le droit de juridiction sur les revenus du temple ; c'était le Pharaon qui nommait individuellement les prêtres (32). Ce même contrôle subsista au cours de l'Ancien et du Moyen Empire, et même au début du Nouvel Empire. Il perdit de son efficacité pendant la période de crise et de trouble qui, à la fin de la vingtième dynastie (e), permit à un grand-prêtre de monter sur le trône (33). De la vingt-deuxième à la vingt-cinquième dynastie, l'Egypte fut soumise au joug des conquérants lybiens et nubiens, mais la qualité divine du Pharaon résista aux bouleversements politiques, jusqu'à la vingtsixième et dernière dynastie (34). En Mésopotamie, la société fut depuis l'aube de l'histoire écrite plus différenciée qu'elle ne l'était dans l'Egypte de la haute époque. C'est peut-être la raison —. ou l'une des raisons — pour laquelle la divinité des rois de Sumer se formule de manière relativement compliquée. A la différence du Pharaon, qui était « engendré par le dieu •— incarné en la personne du roi et de la reine » (35) — le roi sumérien est, dans le ventre de sa mère, « doué des qualités divines, et avant tout de la force et de la sagesse» (36). Après sa naissance, il est nourri par les dieux ; et son accession au trône et son couronnement confirment sa divinité (37). Si, comme Labat le suggère, les divinités ne reconnaissent le roi pour divin qu'après sa naissance, il n'est pas le fils divin de parents divins, mais plutôt un enfant adopté (38). (e) P o u r l'instauration d'une é c o n o m i e de temple i n d é p e n d a n t e a u cours de l a v i n g t i è m e dynastie, v o i r Breasted, 1927, I V : 2-42 s q q . ; v o i r R o s tovtzeff, 1941, I : 281 s q q .
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La controverse concernant la nature exacte de la divinité royale en Mésopotamie (39) révèle la grande complexité du schéma gouvernemental, mais ne peut dissimuler que le roi sumérien, d'une manière ou d'une autre, représentait l'autorité divine suprême sur terre (40). Il jouait le rôle d'un grand-prêtre (41). En principe, il était « le seul titulaire de la dignité de grand-prêtre » (42). Son contrôle administratif sur les temples s'exerçait aisément, puisque dans les cités sumériennes, les grands temples avaient tous à leur tête le prêtre-roi, sa femme, ou quelque membre de sa famille (43). A partir de la fin de l'époque sumérienne, les relations entre les gouvernements de la Mésopotamie et les temples se relâchèrent, mais les temples ne purent jamais s'affranchir complètement de la domination du souverain séculier. Le roi continua à occuper une position quasi divine, analogue à celle de ses prédécesseurs sumériens. Comme autrefois, il avait le droit de romplir les fonctions religieuses les plus hautes. En Assyrie, il les remplissait personnellement (44), tandis qu'à Babylone, ces charges étaient généralement confiées à un représentant (45). Généralement, mais pas toujours. Dans les grands rites de « création » de l'année nouvelle, il jouait un rôle religieux si important (46) que « durant ces cérémonies, le roi était pour son peuple l'incarnation même des dieux » (47). En Assyrie, le gouvernement gardait le strict contrôle administratif et judiciaire de la religion dominante (48) ; à Babylone, ce contrôle était beaucoup moins strict. Mais ici aussi, les rois tinrent à conserver le droit de nommer les prêtres appartenant à la haute hiérarchie (49), et, nommé par le souverain, « le prêtre devait comme tous les autres fonctionnaires, prêter serment [d'allégeance] » (50). Les souverains achéménides qui, par la conquête, s'étaient rendus maîtres de tout le Proche-Orient, étaient, dit-on, dépourvus de tout caractère divin. Conservaient-ils dans leur patrie persane, certaines de leurs premières conceptions non théocratiques ? Ou bien étaient-ils vénérés comme des divinités par leurs sujets persans parce qu'imprégnés d'une substance divine (51) ? Quelle que soit la réponse à de telles questions, Cyrus le victorieux adopta à Babylone « tous les éléments de la monarchie chaldéenne » (52), y compris la divinité du roi ; et ses successeurs agirent de même en Egypte. Comme tous les précédents souverains égyptiens connus de nous, Darius fut appelé divin : « Horus » et le « dieu bon » (53). Les souverains hellénistiques des empires ptolémaïque et séleucide apprirent très vite à concilier autorité
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religieuse et autorité séculière (54). Il est significatif que la vénération à l'égard du roi se soit moins développée dans une région institutionnellement périphérique du monde hydraulique, l'Anatolie. Mais là également, les souverains hellénistiques recherchèrent visiblement l'ordre théocratique (55). Les Romains adoptèrent nombre des institutions de leurs nouvelles possessions orientales. Ils n'acceptèrent que progressivement la divinité de l'empereur ; mais les débuts du culte de l'empereur remontent aux premiers jours de l'empire. Ce culte, que César avait déjà proposé (56), fut officiellement instauré par le premier empereur, Auguste (57). Au début de l'ère byzantine, le christianisme s'adapta à un régime autocratique qui se sentait « absolument compétent en matière de législation tant religieuse que séculière » (58) ; mais il était incompatible avec la notion d'un souverain divin. En dépit de tentatives destinées à établir la qualité quasi divine de l'empereur (59), le gouvernement byzantin était, selon nos critères, tout au plus marginalement théocratique. L'Islam s'oppose à la divinisation du souverain pour des raisons qui lui sont propres : Mahomet était le prophète d'Allah, non son fils ; et le calife, qui hérite de l'autorité du prophète, n'a aucune qualité divine. Bien qu'il eût la charge d'importantes fonctions religieuses (60), on ne peut guère non plus l'appeler un grand-prêtre. Si nous évaluons la position du calife selon nos critères, nous ne le considérons donc, en accord sur ce point avec l'opinion des spécialistes, ni comme théocratique, ni comme hiérocratique (f). En Chine, le souverain apparaît, à la lumière de l'histoire, comme étant l'autorité suprême en matière séculière et religieuse. Nous ne savons pas si le terme traditionnel de s< Fils du Ciel » reflète une croyance plus ancienne en la divinité du souverain. Les souverains suprêmes de l'empire Tch'ou et des dynasties impériales suivantes, qui employèrent également cette appellation, bien que considérés comme des êtres humains, occupaient cependant une situationn quasi théocratique. Dépositaires d'un mandat du Ciel, ils commandaient aux relations magiques avec les forces de la nature au moyen de sacrifices (f) V o i r A r n o l d , 1924 : 189 s q q . , 198 n. ; ibid., 1941 : 294. T o u t cela est vrai en particulier pour le secteur sunnite d u monde islamique. D a n s le secteur chilite les tendances t h é o c r a t i q u e s devinrent parfois t r è s fortes. P a r exemple, Shoh Ismalil de l a dynastie s é f é v i d e « se c o n s i d é r a i t a p p a r e m m e n t c o m m e Dieu i n c a r n é • (Minorsky, 1943 : 12 n.).
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complexes. Dans les grandes cérémonies religieuses, le souverain et les dignitaires du pouvoir central et local tenaient les rôles primordiaux, ne laissant aux prêtres de profession et à leurs aides que les fonctions secondaires. L'empereur était le grand célébrant dans la plus sacrée parmi toutes les cérémonies, le sacrifice au Ciel (61) ; il était également le grand célébrant dans les sacrifices à la Terre destinés à assurer la prospérité de la moisson (62), l'abondance des pluies au début de l'été (63) et dans les sacrifices aux divinités nationales du Sol et du Millet (64). Certains de ces rites étaient exclusivement célébrés dans la capitale nationale. D'autres étaient célébrés aussi dans les nombreux centres secondaires du pouvoir gouvernemental, par des fonctionnaires de province, de district, ou de communauté, distingués pour cette tâche : le grand sacrifice de la pluie (65), le labour sacré (66), les sacrifices à Confucius (67) et au patron de l'agriculture (68), etc. (g). Pour nous résumer : dans la religion d'Etat chinoise, le souverain et une hiérarchie de grands fonctionnaires remplissaient les fonctions sacerdotales importantes bien que dans leur grande majorité ces fonctionnaires et l'empereur lui-même eussent pour préoccupation première les affaires séculières. Le gouvernement de la Chine traditionnelle présente donc une variante cohérente — et inhabituelle — de la théocratie. c. - Le despotisme agraire maintient toujours la religion dominante intégrée dans son système d'autorité. Donc, à l'intérieur du monde hydraulique, quelques pays étaient gouvernés de manière quasi hiérocratique par des prêtres qualifiés qui, souvent, n'exerçaient plus professionnellement leur sacerdoce ; et beaucoup étaient gouvernés théocratiquement ou quasi théocratiquement par des souverains-dieux ou des souverains-prêtres. Parmi les autres, certains sont des cas limites et certains ne furent sans doute ni hiérocratiques ni théocratiques. Mais, même parmi ces derniers, la religion dominante ne put pas devenir indépendante du gouvernement. Sous une forme ou sous une autre, elle s'intégra au système d'autorité du régime hydraulique. (g) A i n s i , dans l'ordre politique de les pratiques religieuses jouaient u n r ô l e tiques é t a i e n t aussi o m n i p r é s e n t e s que religion chinoise. De Groot, qualifie ainsi monie p e u t - ê t r e l a plus impressionnante la terre ». (De G r o o t , 1918 : 180.)
l a Chine traditionnelle, les i d é e s et significatif et certaines de ces praterrifiantes. L ' é m i n e n t expert en le g r a n d sacrifice au Ciel : « la c é r é jamais accomplie p a r l ' h o m m e sur
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Dans certaines régions du Mexique d'avant la conquête, le souverain politique était aussi, à l'origine, le prêtre suprême (69), et au Michoaeân cette institution se perpétua jusqu'à l'arrivée des Espagnols (70). Dans les provinces du Lac de Mexico, les deux fonctions étaient manifestement distinctes, longtemps avant la conquête, mais le roi continua à remplir certaines tâches religieuses et les temples, ainsi que leur" personnel, étaient soumis à son autorité. A l'occasion, le souverain, seul ou avec ses auxiliaires de haut rang, pouvait revêtir les vêtements sacerdotaux (71) ; et il accomplissait personnellement certains sacrifices (72). De plus, et ceci est peut-être le plus important, le roi et ses aides de haut rang nommaient les grands-prêtres (73) ; et la terre des temples était apparemment administrée en même temps que la terre du gouvernement (74). Doit-on, pour cette raison, qualifier de quasi théocratique le Mexique d'avant la conquête ? Peut-être. La configuration du Mexique ne permet pas une classification simple mais ceci est certain : les prêtres des différents temples qui se réunissaient pour des célébrations, n'avaient aucune organisation indépendante qui leur fût propre à l'échelon national. Coopérant étroitement avec les autorités séculières dont ils élevaient les enfants, et servant dans leurs armées (75). ils n'étaient pas pour le régime despotique un contrepoids, mais une partie intégrante. Nous avons déjà parlé des cas-limites de la Perse au début de la dynastie achéménide, de Byzance et de la société islamique. Mais même lorsque, dans ces cas, le gouvernement n'était crue marginalement théocratique, la religion dominante était partout étroitement insérée dans le système séculier d'autorité. Le roi achéménide, qui en matière séculière exerçait un pouvoir absolu, était aussi, théoriquement, l'autorité suprême en matière religieuse. Et pas seulement théoriquement. Le cas d'Artaxerxès II montre que le roi achéménide pouvait modifier le culte de manière décisive (76). Les prêtres dominants, les mages, constituaient un groupe privilégié (77), mais ne constituaient pas une Eglise nationale et autonome. La Byzance des débuts de l'empire est l'une des rares civilisations hydrauliques qui laissèrent la religion dominante fonctionner en tant qu'Eglise. Mais tandis que cette Eglise était bien organisée, elle ne se développa pas en entité indépendante, comme le fit la branche romaine après la chute de la moitié occidentale de l'empire. Pendant la première période de l'histoire byzantine — c'est-à-dire, du 4* au 7« siècle — l'empereur «sacré» (78), sinon divin, poursuivit la tradition romaine selon laquelle la religion de ses sujets faisait partie du jus publicum ; il
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exerça par conséquent « un contrôle presque illimité sur la vie de l'Eglise » (79). En pays d'Islam, la direction politique et religieuse était une à l'origine et des traces de cette institution se maintinrent à travers l'histoire de cette religion. La position des souverains islamiques (califes et sultans) subit de nombreuses transformations, mais ne perdit jamais son caractère religieux (80). A l'origine, les califes dirigeaient la grande prière commune. Dans les limites de leurs juridictions, les gouverneurs des provinces, présidaient à la prière rituelle, en particulier le vendredi, et prononçaient également le sermon, le khutba. Les califes nommaient l'interprète officiel de la loi sacrée, le mufti (81). Les centres du culte musulman, les mosquées, étaient essentiellement administrés par des personnes dépendant du souverain, par exemple les kadis ; et les douaires religieux, les wakfs, qui constituaient la ressource principale des mosquées, étaient souvent, s'ils ne l'étaient pas toujours, administrés par le gouvernement. A travers toute l'histoire de l'Islam, le souverain demeura l'autorité suprême pour tout ce qui regardait les affaires de la mosquée. « Il intervenait dans l'administration et la menait selon sa volonté » et il « pouvait aussi intervenir dans les affaires intérieures des mosquées, peut-être par l'entremise d'agents réguliers» (82). Tout cela ne faisait pas du califat une théocratie, mais indique une autorité gouvernementale assez forte pour prévenir l'instauration d'une Eglise islamique indépendante de l'Etat. En Inde, les relations entre l'autorité séculière et l'autorité religieuse subirent de considérables transformations, mais certains traits de base persistèrent tout au long de la période hindoue et après sa fin. Des témoignages dignes de foi laissent supposer qu'au début de l'histoire hindoue, le gouvernement s'appuyait moins sur la participation des prêtres qu'il ne le fit après la fin du premier millénaire avant notre ère (83). Mais quels qu'aient été les changements à cet égard, autorité séculière et autorité religieuse restèrent étroitement intégrées. Les brahmanes étaient-ils peu enclins à — ou incapables de — créer une position autonome semblable à celle de l'Eglise dans l'Europe féodale ? Vivaient-ils des dons et des douaires du gouvernement parce qu'ils le voulaient ou parce qu'ils n'avaient pas le choix ? Tout ce que nous savons de l'attitude des brahmanes révèle que, comme tous les autres groupes sacerdotaux, ils préféraient une situation forte et sûre à une position faible et incertaine. Cependant, les souverains hindous en décidèrent autrement. De même que leurs homologues, les monarques hydrauliques, ils favorisèrent des formes de propriété
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contrôlée et faible. Ils payaient leurs auxiliaires séculiers en argent, en biens de consommation et en usufruits de terre («villages») ; et ils rémunéraient les représentants de la religion dominante exactement de la même façon. En Inde, telle était encore la politique à la fin de la période hindoue : un accroissement des propriétés foncières privées ne réussit pas à consolider le pouvoir des propriétaires comme un développement analogue le fit en Europe à la fin de la période féodale et durant la période posWéodale. Il ne s'agit pas de nier le rôle extraordinaire du brahmanisme — et des brahmanes — dans les gouvernements de l'Inde hindoue et musulmane. Les quatre castes ont pour origine les différentes parties du corps de Brahma et l'origine de la caste des brahmanes est particulièrement noble : c'est la bouche (84). Mais le grand Livre de la Loi attribué à Manou souligne la divinité du roi (85). Il donne donc à l'autorité du roi une qualité nettement théocratique. Le gouvernement hindou avait aussi des traits quasi hiérocratiques significatifs. Depuis les temps védiques le roi avait un prêtre attaché à sa personne, le purohita (86) ; et ce dignitaire devint vite son conseiller pour toutes les questions d'importance (87). Les Livres de la Loi, qui furent rédigés par les brahmanes et acceptés par le gouvernement comme des guides, imposent au roi d'avoir un purohita (88) « (qui sera) essentiel en tout (toute affaire). Qu'il agisse selon ses conseils » (89). Un prêtre conseillait le roi ; et un prêtre l'aidait à appliquer les lois formulées par les prêtres. Le Livre de Manon insiste sur ce point : « un savant brahmane doit les étudier sérieusement et en instruire dûment ses disciples, mais personne d'autre (ne le fera) » (90). Dans les cas litigieux, des brahmanes savants devaient décider de ce qui était juste (91) et, aux tribunaux, les prêtres, soit avec le roi et ses auxiliaires, soit seuls, agissaient en tant que juges (92). Instruits et politiquement influents, les prêtres étaient admirablement placés pour diriger les tâches administratives. Le purohita pouvait devenir premier ministre du roi (93). De la même manière, les prêtres pouvaient se voir confier toute espèce de tâches fiscales. Il en était ainsi au cours de la période classique de la culture hindoue (94) et cela demeura une tendance générale jusqu'à la fin de la période musulmane. Du Bois établit que « les brahmanes deviennent nécessaires même aux princes musulmans qui ne peuvent gouverner sans leur aide. Les souverains mahométans nommaient généralement un brahmane au poste de secrétaire d'Etat et c'est par les
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mains de celui-ci que passait obligatoirement toute la coriespondance officielle. Les brahmanes remplissaient aussi, fréquemment, les fonctions de secrétaires et de correspondants avec les gouverneurs de provinces et de districts » (95). Les Anglais firent peu pour changer ces institutions séculaires. Les brahmanes « occupent les postes les plus élevés et les plus lucratifs dans les différents bureaux administratifs et les départements du gouvernement, aussi bien que dans les tribunaux des différents districts. En fait, il n'y a aucune branche de l'administration publique où ils ne se soient rendus indispensables. Ainsi, ce sont presque toujours des brahmanes qui occupent les postes de collecteurs d'impôts, correspondants, copistes, traducteurs, trésoriers, employés à l'enregistrement, etc. Il est particulièrement difficile de se passer de leur aide pour toutes les questions ayant trait aux comptes, car ils ont un talent remarquable pour l'arithmétique. J'ai vu des hommes résoudre en quelques minutes des calculs longs et compliqués qui auraient demandé au meilleur comptable d'Europe des heures de travail» (96). Au cours de la période hindoue, et après cette période, bien des prêtres qualifiés remplirent d'importantes fonctions gouvernementales. Mais à part le purohita, et peutêtre quelques autres qui temporairement firent office de juges, les prêtres devinrent des fonctionnaires à plein temps. De même que dans les autres civilisations hydrauliques, ils gardèrent leur qualité religieuse, mais cessèrent d'être des prêtres de profession. Selon toute probabilité, ils ne constituèrent pas la majorité des fonctionnaires, car il existait déjà une caste « dirigeante » nombreuse (97), la Kshatriya qui était spécialisée dans les questions administratives et, tout particulièrement, militaires. d. - Evolution de la situation d'un clergé dominant dans la société hydraulique. Ces observations nous interdisent de penser qu'au cours d'une première phase, la civilisation hydraulique a été dirigée par des prêtres et que plus tard elle a été dominée par un groupe séculier, probablement des guerriers. . Répétons : la hiérocratie, c'est-à-dire le gouvernement par des prêtres qui restent des officiants tout en gouvernant, était rare ; et le gouvernement par des prêtres de formation était loin d'être un trait général des civilisations hydrauliques primitives. La théocratie était un gou-
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vernement caractéristique de nombreuses civilisations hydrauliques, tant tardives que primitives ; mais elle n'impliquait pas nécessairement le gouvernement par les prêtres. Il est vrai qu'à une époque primitive, en Mésopotamie et dans de nombreuses (la plupart ?) régions hydrauliques de l'hémisphère occidental, les temples jouèrent apparemment un rôle dominant dans le choix des souverains et des fonctionnaires ; mais dans plusieurs centres hydrauliques importants de l'Ancien Monde, il n'en fut pas de même. En Chine, il n'y eut pas de clergé professionnel remarquable qui représentât la religion dominante. Dans l'Egypte des pharaons il existait un clergé professionnel ; mais dans l'Ancien Empire, bien des fonctions religieuses importantes étaient remplies par les souverains et certains hauts fonctionnaires. Dans une période primitive de l'Inde aryenne, le pouvoir était exercé par des « guerriers » laïcs (les Kshatriyas). Ce n'est que plus tard et progressivement que les prêtres, directement ou indirectement, prirent part au gouvernement. On ne peut pas dire non plus que les sociétés hydrauliques plus importantes et plus tardives ont été généralement dirigées pa rdes militaires. Comme nous l'expliquerons plus complètement au cours du chapitre suivant, les fonctionnaires militaires et « l'armée » pouvaient en effet l'emporter sur la bureaucratie civile. Mais ce développement n'était nullement le fait exclusif des sociétés hydrauliques plus tardives et plus complexes. De plus, pour des raisons évidentes, cet état de choses fut exceptionnel, puisque dans un Etat agraire, l'organisateur politique (la « plume » ) tend à être plus puissant que le chef militaire (l'«épée>>). F. — TROIS ASPECTS FONCTIONNELS MAIS UN SEUL SYSTÈME DE POUVOIR ABSOLU Mais quelles que soient les lacunes de cette théorie d'une évolution à partir du gouvernement des prêtres jusqu'au gouvernement des guerriers, elle a le mérite d'attirer l'attention sur les multiples fonctions du régime hydraulique. Différant de la société européenne féodale dans laquelle la plus grande partie des chefs militaires (les barons féodaux) n'étaient liés à leurs souverains que par des liens lâches et un contrat, et dans laquelle la religion dominante était indépendante du gouvernement séculier, l'armée de la société hydraulique faisait partie intégrante de la bureaucratie agro-institutionnelle et la religion dominante était étroitement attachée à l'Etat. C'est cette puissante concentration des fonctions vitales qui donna au gouvernement hydraulique son pouvoir authentiquement despotique (absolu).
CHAPITRE IV
POUVOIR DESPOTIQUE ABSOLU ET NON BIENFAITEUR Le caractère despotique du gouvernement hydraulique n'est pas sérieusement contesté. Le terme « despotisme oriental », qui est en général employé pour désigner les variantes de ce phénomène dans l'Ancien Monde, suggère une forme extrêmement brutale de pouvoir absolutiste. Mais ceux qui admettent la brutalité du despotisme oriental îont souvent valoir que des régimes de cet ordre étaient limités par un contrôle institutionnel et moral qui les rendait supportables et parfois même bénéfiques. Dans quelle mesure le despotisme hydraulique était-il supportable et bénéfique ? C'est évidemment une question à laquelle on ne peut répondre que par un examen comparatif et raisonné des faits. A. — POUVOIR ABSOLU 1. - ABSENCE
D'UN VÉRITABLE CONTRÔLE
CONSTITUTIONNEL
L'existence de règles constitutionnelles n'implique pas nécessairement l'existence d'un gouvernement limité par une constitution. Tous les gouvernements qui persistent dans le temps — et beaucoup d'autres aussi — relèvent d'un certain modèle (constitution). Ce modèle peut s'exprimer sous forme écrite. C'est ce qui arrive généralement dans des conditions culturelles avancées ; et parfois ces lois écrites s'expriment sous la forme d'un ensemble ordonné, d'un code. L'institution d'une constitution écrite n'est en aucune manière identique à l'institution d'un gouvernement « constitutionnel ». De même qu'une loi peut être imposée par
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le gouvernement (/ex data), ou acceptée à la fois par l'autorité gouvernementale et par des forces indépendantes du gouvernement (lex rôgata), de même une constitution peut être imposée ou acceptée. Le terme constitutiones désigne à l'origine des édits, décrets et mandats promulgués, de manière unilatérale et autocratique, par les empereurs romains. Même lorsqu'un code des lois est systématisé à l'extrême, il ne peut pas paralyser les législateurs puisque ses restrictions font partie des normes qu'ils s'imposent. Le souverain qui exerce une autorité complète, administrative, institutionnelle, judiciaire, militaire et fiscale, peut employer son pouvoir à imposer toute loi que luimême et ses auxiliaires jugent opportune. D'une part, la plupart de ces lois sont utiles au souverain, d'autre part l'inertie des sujets en favorise la perpétuation. Mais le régime absolutiste est libre de modifier ses propres normes à tout moment ; et l'histoire des civilisations hydrauliques témoigne de la promulgation périodique de lois et de codes nouveaux. Le Recueil des Lois (hui yao) de la Chine impériale (1), les Livres de Lois (dharma shâstra) de l'Inde (2) et les écrits administratifs et judiciaires de l'Orient byzantin et islamique en témoignent tous. Imposées unilatéralement, les règles constitutionnelles sont modifiées de même. En Chine « tous les pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, lui appartenaient [à l'empereur] » (3). Dans l'Inde hindoue « l e roi avait le droit constitutionnel d'accepter ou de refuser les lois de son prédécesseur» (4). A Byzance « i l n'y avait dans l'Etat aucun organisme qui eût le droit de le contrôler [l'empereur] ». Ou, plus exactement : « pour ses actes législatifs et administratifs, le monarque n'avait à répondre devant personne si ce n'est devant le Ciel » (5). Dans la société islamique, le calife, comme tous les autres croyants, était censé obéir à la Loi sacrée (6) et, d'une manière générale, il était prêt à la respecter comme faisant partie de l'ordre religieux dominant. Mais il affirmait son pouvoir toutes les fois qu'il le jugeait nécessaire en instaurant des tribunaux séculiers (administratifs) régis par des décrets spéciaux {qânun ou siyâsa) (7). Et les juges religieux, les cadis, soutenaient avec ardeur un gouvernement qui les nommait et les déposait à son gré (a). L'absence théorique d'un pouvoir législatif modifiait (a) Schacht, 1941 s'appliquait autrefois succession, tandis que et de terres. Il en é t a i t sous les sultans turcs.
: 677. L a L o i s a c r é e , la loi islamique p r o p r e m e n t dite, aux affaires purement personnelles, mariage, famille l a loi s é c u l i è r e r é g i s s a i t les affaires de d é l i t s , de taxes ainsi non seulement sous les califes arabes mais encore
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l'apparence mais non la substance de l'absolutisme islamique. « Le califat... était un despotisme qui plaçait un pouvoir absolu entre les mains du souverain» (8). Dans ce cas, et dans d'autres comparables, le régime est l'expression d'une structure et d'un mode opérationnel définis, d'une «constitution ». Mais cette structure n'est pas mise en place à la suite d'un accord. Elle est donnée d'en-haut, et les chefs de la société hydraulique la créent, la respectent ou la modifient, non pas en tant qu'agents de la société, contrôlés par elle, mais en tant que maîtres de cette société. 2. - ABSENCE D'UN CONTRÔLE SOCIAL EFFECTIF
a. - Il n'y a pas de centre d'autorité capable de contrôler le pouvoir du régime hydraulique. Naturellement, l'absence d'un contrôle constitutionnel officiel n'implique pas nécessairement l'absence de forces sociales dont le gouvernement ait à respecter les intérêts et les intentions. Dans la plupart des pays de l'Europe post-féodale, les régimes absolutistes étaient contrôlés non pas tant par des constitutions officielles que par la puissance réelle de la noblesse terrienne, de l'Eglise et des cités. Dans l'Europe absolutiste, toutes ces forces extragouvernementales étaient politiquement organisées et s'exprimaient. Elles différaient ainsi profondément des représentants de la propriété terrienne, de la religion, ou des corps de métiers urbains dans la société hydraulique. Certains de ces groupements étaient peu développés en Orient, et aucun d'entre eux ne se cristallisa en corps politique capable d'imposer des limites au régime hydraulique. Le savant indien K.V. Rangaswami décrit exactement la situation lorsqu'au cours de son analyse de l'absolutisme hindou, il définit le véritable absolutisme comme « une forme de gouvernement dans laquelle tous les pouvoirs doivent être déposés dans les mains du Souverain, en l'absence de toute autorité concurrente et indépendante à laquelle le peuple obéisse habituellement autant qu'au souverain lui-même, et qui puisse légalement lui résister ou lui demander des comptes » (9 ). b. - Le soi-disant droit de rébellion. L'absence de moyens légaux de résistance à un gouvernement donné est l'un des traits caractéristiques du despotisme. Lorsque ces moyens légaux n'existent plus, des hommes mécontents et sans espoir ont parfois pris les armes contre leur gouvernement, et, très exceptionnelle-
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ment, ont réussi à le renverser. Les nouveaux maîtres ont par la suite justifié leur procédé en comparant la légitimité de leur cause et l'illégitimité de celle du régime précédent ; et les historiens et philosophes ont de cette façon expliqué des changements périodiques de dynastie. C'est de tels événements et d'idées de ce genre qu'est né le soi-disant droit de rébellion. Le terme « droit de rébellion » est mal choisi en ceci qu'il confond un problème légal avec une question morale. Les discussions officielles sur la montée et la chute des pouvoirs dynastiques furent présentées comme des mises en garde contre des actions rebelles plutôt que comme des conseils encourageant ces mêmes actions ; et, certainement, elles n'ont pas leur place dans des ensembles de lois et de règles constitutionnelles. Le droit de rébellion ne pouvait s'exercer qu'en violation des lois existantes au péril de la vie de celui qui les violait. On peut virtuellement trouver des traces de ce soidisant droit de rébellion dans toutes les civilisations hydrauliques. Le folklore pueblo raconte avec fierté une action menée avec succès contre des caciques indignes (10), et des révolutions à Bali ont été justifiées de la même manière (11). Des souverains hindous et musulmans ont été mis en garde — et ainsi défiés (12). Le fait qu'en Chine le droit de rébellion ait été formulé dans les classiques confucéens fut aussi peu efficace quant au contrôle du pouvoir (13) que le sont en U.R.S.S. les écrits de Marx et de Lénine préconisant l'action révolutionnaire contre l'oppression. c. - L'élection
du despote n'est pas un
remède.
Que le souverain accède au pouvoir au moyen de l'élection, plutôt que par succession, le régime n'en devient pas moins despotique. Le transfert de titre et d'autorité à un parent proche du souverain décédé, de préférence au fils aîné, favorise la stabilité politique, tandis que l'élection favorise l'accession arbitraire au pouvoir. Le premier principe prévaut chez les chefs indigènes des sociétés hydrauliques, le second parmi les peuples pastoraux et chez d'autres qui, ayant vaincu les premiers, ont fréquemment imposé leur mode de succession originel (14). La coutume byzantine de choisir l'empereur par élection remonte à la Rome républicaine. Elle convenait aux conditions de l'empire à ses débuts qui, dans une large mesure dirigé par des fonctionnaires militaires, choisissait ses souverains plus souvent dans les rangs de « l'armée » (15), que parmi les hauts fonctionnaires civils. Quand,
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à partir du règne de Dioclétien, le Sénat prit une part plus importante dans l'élection de l'empereur, le centre de gravité politique glissa de la branche militaire à la branche civile de l'administration (b). L'élection n'était pas la meilleure méthode pour choisir un nouvel empereur, mais, revêtue du prestige de la tradition et de la légitimité, cette méthode se montra compatible avec les exigences de l'absolutisme bureaucratique (c). Et les fréquents changements de chef suprême ne privèrent ni l'empereur, ni la hiérarchie bureaucratique qu'il dirigeait, de son caractère despotique. Dans le Mexique ancien et dans la plupart des dynasties de conquérants chinois, le nouveau souverain était élu mais on le choisissait parmi les membres de la famille régnante. Cette procédure combinait le principe de succession avec celui du choix limité ; et comme dans le cas de Byzance, ceux qui procédaient à ce choix étaient les membres éminents de la hiérarchie politique. Cet arrangement accrût les chances politiques des membres de l'appareil, mais n'accrût pas l'autorité des forces non gouvernementales de la société. Deux exemples, pris en dehors du monde hydraulique, aideront à réviser la conception selon laquelle le pouvoir despotique se démocratise grâce au système de succession par élection. Le régime de Gengis Khan, qui se perpétua au moyen d'élections limitées, reste l'un des exemples les plus terrifiants de pouvoir absolu. Et le transfert de la direction d'un membre du politburo bolchevique à un autre menace temporairement la stabilité du gouvernement soviétique sans le rendre plus démocratique pour autant. Mommsen appela l'Etat de la Rome d'Orient « une autocratie tempérée par une révolution permanente et légalement reconnue» (16). Bury traduit la formulation de Mommsen par « autocratie tempérée par le droit légal à la révolution» (17). Les deux formulations sont aléatoires, parce que toutes deux sous-entendent que les sujets ont légalement le droit de remplacer un empereur par un autre. En réalité, aucun droit de ce genre n'existe. Diehl le reconnaît en parlant d'« une autocratie tempérée par la révolution et l'assassinat» (18) ; et Bury admet qu'« il n'y avait pas de procédure légale pour déposer un souverain ». Mais il ajoute « les membres de la communauté avaient les moyens de le détrôner, si le gouver(b) L e S é n a t b y z a n t i n n ' é t a i t rien d'autre que « le point de ralliement de l'aristocratie administrative » (Diehl, 1936 : 729). (c) Des formes dynastiques de gouvernement ne se c r i s t a l l i s è r e n t q u ' a p r è s que l ' É t a t b y z a n t i n eut p e r d u ses provinces hydrauliques.
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ncment ne donnait pas satisfaction, en proclamant un nouvel empereur» (19). Tel était en réalité le processus établi par les fonctionnaires militaires de la Rome d'Orient ; et, logiquement, l'usurpation était considérée comme légitime quand elle réussissait. C'est-à-dire que la rébellion devient légale — post festum. Bury dit : « s'il [le prétendant] n'avait pas assez de partisans pour rendre sa proclamation effective, et si celle-ci était annulée, il était traité comme un rebelle » (20). Ainsi, à Byzance et dans les autres Etats du monde hydraulique, n'importe qui pouvait tenter d'usurper le pouvoir ; et la souveraineté spécifiquement élective ainsi que la domination militaire temporaire incitaient à de fréquentes tentatives de cet ordre. Mais aucune loi ne protégeait de telles actions une fois qu'elles étaient entreprises. A Byzance, ceux qui attaquaient le gouvernement existant étaient punis avec une brutalité barbare (21). En Chine, ceux qui étaient surpris alors qu'ils tentaient de se rebeller, étaient exécutés. Sous les trois dernières dynasties, on les coupait en morceaux (22). Si le conflit armé, la rébellion et l'assassinat des souverains faibles ne rendent pas le despotisme oriental plus démocratique, ne donnent-ils pas au moins au petit peuple quelque soulagement ? Cet argument a moins de poids qu'on ne pourrait le croire tout d'abord. Il est rare que de telles diversions atténuent de manière appréciable les pressions administratives et judiciaires traditionnelles ; et la tendance à affermir la direction suprême au moyen de la violence ouverte intensifie sans aucun doute le penchant à la brutalité chez les maîtres au pouvoir. De plus, les dévastations causées par toute guerre civile importante font généralement peser plus lourd sur le peuple les fardeaux économiques. Les cas fréquents de violence à l'intérieur des sphères dirigeantes, loin de tempérer le despotisme, tendent à le rendre plus oppressif. d. - Influences inira-gouvernementales : absolutisme et autocratie. Mais y a-t-il, à l'intérieur du gouvernement, des forces qui tempèrent la brutalité du despotisme agro-institutionnel ? Cette question attire l'attention sur la relation, entre absolutisme et autocratie. L'absolutisme et l'autocratie ne sont pas identiques, mais étroitement mêlés. Un gouvernement est absolutiste lorsque son autorité n'est pas effectivement limitée par des forces extérieures au gouvernement. Le souverain d'un régime absolutiste est
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LE
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un autocrate, lorsque ses décisions ne sont pas effectivement limitées par des forces intra-gouvernementales. Les régimes absolutistes de la société hydraulique ont d'ordinaire (d) à leur tête un seul individu qui concentre en sa personne le pouvoir tout entier en ce qui concerne les décisions importantes. Pourquoi en est-il ainsi ? Les grands travaux hydrauliques qui caractérisent les zones centrales du monde hydraulique et qui requièrent sans aucun doute une direction centralisée, nécessitent-ils une direction autocratique ? Après tout, des gouvernements contrôlés (démocratiques ou aristocratiques) entreprennent et poursuivent aussi d'énormes travaux publics. Ils entretiennent des armées et/ou des flottes importantes et disciplinées ; et ils fonctionnent ainsi pendant longtemps, sans pour autant donner naissance à des institutions autocratiques. Il est manifeste que la formation d'un pouvoir autocratique est conditionnée par d'autres faits que par l'existence de grandes entreprises d'Etat. Dans toutes les sociétés hydrauliques proprement dites, de telles entreprises jouent un rôle considérable ; et là, aussi bien que dans les zones institutionnelles marginales, nous trouvons toujours des armées disciplinées et presque toujours aussi une organisation des communications et des renseignements qui couvre l'ensemble du pays. Mais aucune raison technique ne justifie le fait que ces différentes entreprises ne soient pas dirigées par plusieurs grands fonctionnaires. C'est ce qui se passe pour les gouvernements contrôlés dont les chefs des différents départements sont maintenus soigneusement distincts et s'équilibrent réciproquement. Cependant, les Etats despotiques manquent de l'appareil approprié de contrôle extérieur et d'équilibre interne. Et dans de telles conditions, se développe ce que l'on peut appeler une tendance cumulative au pouvoir incontrôlé. Cette tendance pourrait être freinée si toutes les subdivisions importantes de l'autorité étaient à peu près d'égale force. Elle pourrait être freinée si les dirigeants des travaux publics, de l'armée, des renseignements et du système fiscal disposaient d'une force plus ou moins équivalente dans les domaines de l'organisation, des communications, de la police. En ce cas, le régime absolu pourrait avoir à sa tête une oligarchie équilibrée, un « politburo » dont les membres participeraient de façon plus ou moins large à l'exercice de l'autorité suprême. Cependant, le pouvoir d'organisation, de communication et de police des secteurs importants du gouvernement est rarement, n'est même (d) P o u r quelques exceptions temporaires, par exemple l'Inde p r i m i t i v e , v o i r plus loin, chap. 8.
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jamais équilibré ; et dans les conditions absolutistes, le détenteur de la position la plus forte bénéficiant de la tendance cumulative qui caractérise le pouvoir sans contrôle, tend à étendre son autorité au moyen d'alliances, de manœuvres, de procédés brutaux, jusqu'à ce que, ayant annexé tous les autres centres de pouvoir suprême, il reste seul. Le niveau à partir duquel la croissance des fonctions gouvernementales exclut tout contrôle extérieur effectif diffère suivant les diverses configurations institutionnelles. Mais on peut dire avec certitude que dès que ce point critique est dépassé, la force cumulative du pouvoir suprême tend à se cristalliser en un seul centre autocratique d'organisation et de décision. Ce centre ne perd nullement de son importance quand le détenteur du pouvoir suprême délègue l'administration de ses affaires à un auxiliaire de haut rang, un vizir, un chancelier ou un premier ministre. Il ne perd pas davantage de son importance quand le souverain et/ou ses auxiliaires s'appuient totalement sur les conseils et sur les actions vivement menées de groupes sélectionnés de fonctionnaires placés aux points stratégiques. L'appareil de gouvernement, dans son ensemble, ne cesse pas d'être absolutiste sous prétexte que les décisions sont prises provisoirement, et d'ailleurs souvent de manière voilée, par des personnes et des groupes dépendant du souverain. Le souverain d'un Etat agro-bureaucratique peut être entièrement sous l'influence de ses courtisans et administrateurs ; mais une telle influence diffère qualitativement d'un contrôle institutionnel sur un pouvoir équilibré. A la longue, le chef d'un gouvernement contrôlé doit composer avec les forces réelles, non gouvernementales, de la société, tandis que le chef d'un régime absolutiste n'est pas limité de la même façon. C'est simplement l'intérêt bien compris qui pousse un despote intelligent à écouter l'avis des personnages d'expérience. Il y a eu des conseillers dans la plupart des civilisations agro-institutionnelles et assez fréquemment les conseils ont été un trait habituel de ces gouvernements. Mais il n'y avait pas, pour le souverain, l'obligation de tenir compte de leurs suggestions (23). Que le souverain ait été le chef de son propre pouvoir exécutif, qu'il ait délégué un certain nombre de ses fonctions à un vizir ou que lui-même et son vizir aient suivi dans une large mesure l'avis de conseillers officiels ou officieux, cela dépendait outre les coutumes et les circonstances, de la personnalité du souverain et de ses auxiliaires. Mais, en dépit des tentatives significatives de la bureaucratie pour essayer de soumettre le souverain
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absolu au contrôle de son propre geant pouvait toujours diriger et le faire. Les grands monarques du presque sans exception des « chefs crates.
fonctionnariat, le diriil était bien décidé à monde oriental étaient absolus » — des auto-
3. - L E S LOIS NATURELLES ET LES RÈGLES CULTURELLES NE CONSTITUENT PAS NON PLUS DES ÉLÉMENTS DE CONTRÔLE EFFICACES
Les observateurs sérieux ne contestent généralement pas ces faits. Cependant un grand nombre d'entre eux cherchent à minimiser leur signification, en se référant aux mœurs et aux croyances qui, selon eux, imposent des limites au plus tyrannique des régimes. Mœurs et croyances jouent effectivement un rôle ; et il en va de même des lois de la nature. Cependant, les victimes en puissance du pouvoir despotique trouvent dans ces deux facteurs peu de consolation. Ils savent que le comportement de leurs maîtres, de même que le leur, est déterminé par les lois de la nature et par des conditions culturelles plus ou moins profondément établies. Mais ils savent aussi que cependant, et en dernier lieu, leur sort sera déterminé par la volonté de ceux qui manient le pouvoir total. * Le mécanisme de l'administration et de la police dépend de l'intuition que l'on a des lois de la nature et de l'adresse que l'on met à les utiliser. Un régime despotique agira différemment à l'époque néolithique, à l'âge de fer et à notre époque. Mais, en chacun de ces cas, le groupe au pouvoir affirme sa supériorité totale dans le cadre des conditions naturelles du moment et au moyen de la technologie en usage. L'homme victime d'une forme primitive de despotisme ne considère pas que ses persécuteurs sont moins puissants sous prétexte que dans des conditions techniques plus avancées, ils pourraient se saisir de lui et le détruire au moyen de méthodes différentes ou plus rapides. Il ne doute pas non plus de leur supériorité absolue en raison du fait qu'ils agissent conformément aux règles culturelles du temps. De telles règles influent toujours sur la manière d'agir du souverain (et de ses sujets) ; et, à l'occasion, elles modèrent ou prolongent la procédure gouvernementale en certains de ses stades. Mais elles n'empêchent pas le gouvernement d'atteindre son but. Le fait que dans de nombreux pays les condamnations à mort ne soient pas exécutées en certaines saisons ou certains jours (24) ne signifie pas que les condamnés échappent à leur châtiment. Et le fait que la religion dominante
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exalte la clémence ne signifie pas qu'elle-même s'interdise d'avoir recours à des mesures d'une brutalité extrême. La victime en puissance de la persécution despotique sait parfaitement que le contexte naturel et culturel, quels que soient les répits temporaires qu'il puisse fournir, n'empêchera pas son anéantissement final. Le pouvoir du souverain despotique sur ses sujets n'est pas moins total s'il est limité par les facteurs qui donnent sa forme à la vie humaine pour chaque type de société. B. — UNE DÉMOCRATIE AU RABAIS Le pouvoir du despotisme hydraulique est illimité (total) mais il n'opère pas partout. La vie de la plupart des individus est loin d'être totalement dépendante de l'Etat ; il y a bien des villages et d'autres unités organisées qui, eux non plus, ne sont pas totalement contrôlés. Qu'est-ce qui empêche le pouvoir despotique d'affirmer son autorité dans toutes les sphères de la vie ? Interprétant une formule-clef de l'économie classique, nous pouvons dire que les représentants du régime hydraulique agissent (ou se retiennent d'agir) en fonction de la loi de la rentabilité administrative décroissante. 1. - VARIANTE INSTITUTIONNELLE DE LA LOI DE LA RENTABILITÉ ADMINISTRATIVE VARIABLE
La loi de la rentabilité administrative décroissante est un aspect de ce que l'on peut appeler la loi de la rentabilité administrative variable (1). Des efforts différents produisent des résultats différents, non seulement dans une économie d'affaires, fondée sur la propriété (a), mais aussi dans l'entreprise gouvernementale. Ce fait a une influence décisive tant sur l'économie politique que sur la portée du contrôle d'Etat dans la société hydraulique. a. - Agriculture nistrative
hydraulique croissante.
: la loi de la rentabilité
admi-
Dans un site que caractérise une aridité permanente, l'agriculture ne devient possible que si, grâce à une action coordonnée, on transporte une réserve d'eau abondante et accessible depuis son point d'origine jusqu'à un sol potentiellement fertile. Cela étant accompli, l'entreprise hydraulique dirigée par le gouvernement s'identifie à la (a) Il est significatif que la loi de la r e n t a b i l i t é d é c r o i s s a n t e ait é t é j u s q u ' à p r é s e n t é t u d i é e essentiellement en relation avec l ' é c o n o m i e p r i v é e (voir C l a r k , 1937 : 145 sqq.).
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création d'une vie agricole. Ce premier point crucial peut être désigné par le terme de « point de création administrative ». Disposant de terre arable et d'eau d'irrigation en quantité suffisante, la société hydraulique pionnière tend à établir des formes étatisées de contrôle des affaires publiques. Alors le budget devient unilatéral et l'organisation plus hardie. De nouveaux projets sont mis à exécution à une échelle de plus en plus vaste, et s'il est nécessaire, sans concession aux gens du commun. Les hommes que le gouvernement mobilisait pour la corvée peuvent ne pas comprendre la nécessité d'une plus grande expansion du système hydraulique ; mais le groupe dirigeant, sûr des avantages ultérieurs, n'en poursuit pas moins les travaux. Dirigée avec intelligence, la nouvelle entreprise peut n'entraîner qu'une dépense supplémentaire relativement faible et apporter une augmentation évidente du bénéfice. Une telle augmentation est évidemment stimulante pour de nouvelles entreprises gouvernementales. b. - La loi de la rentabilité
administrative équilibrée.
L'expansion d'une entreprise hydraulique dirigée par le gouvernement se ralentit d'ordinaire quand le coût administratif devient voisin du rendement administratif. Le mouvement ascendant a alors atteint le « point " A " (Ascendance) de saturation ». Au-delà de ce point, toute expansion ultérieure peut rapporter un rendement administratif plus ou moins proportionnel à l'effort administratif supplémentaire ; mais quand les potentiels importants en eau, en terre et en lieux sont épuisés, la courbe atteint le «point " D " (Déclin) de saturation». La zone entre les points « A » et « D » est caractérisée par ce que l'on peut appeler la loi de la rentabilité administrative équilibrée. c. - La loi de la rentabilité
administrative décroissante.
Que les points de saturation « A » et « D » soient rapprochés, éloignés ou qu'ils coïncident, toute incursion audelà de cette zone d'équilibre des rendements mène à une zone où la supériorité des pertes par rapport aux profits est décourageante. Ici, des efforts administratifs analogues ou même accrus coûtent plus qu'ils ne rapportent. C'est dans ces conditions que nous observons le fonctionnement de la loi de rentabilité administrative décroissante. Le mouvement décroissant est achevé lorsque des investissements supplémentaires n'ont aucun rendement supplémentaire. Nous avons alors atteint le point absolu de frustration administrative.
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d. - Courbe idéale et réalité de la modification des bénéfices. Cette courbe idéale ne décrit pas le développement d'un système spécifique d'entreprises hydrauliques à direction gouvernementale dans une société hydraulique spécifique. Elle indique d'une manière schématique les points critiques par lesquels passe toute entreprise hydraulique si elle évolue constamment et parcourt toutes les zones de croissance et de décroissance des rendements. Il est rare, sinon impossible, que les courbes réelle et idéale coïncident. La géologie, la météorologie, la potamologie et les circonstances historiques expliquent ces variations infinies. Le progrès vers la saturation et au-delà de la saturation peut être interrompu par des mouvements en sens inverse de plus ou moins longue durée. Mais toute section de la courbe reflète une tendance authentique : et la courbe entière combine ses lignes de force pour indiquer toutes les possibilités importantes de création et de frustration dans l'entreprise hydraulique. e, - Sphères
non hydrauliques de l'économie politique.
Dans la sphère de la production agricole elle-même, l'action coordonnée et à direction gouvernementale n'a une rentabilité administrative croissante que dans des conditions particulières et primitives. C'est seulement dans les sociétés hydrauliques possédant une technologie élémentaire que le travail de masse prévaut dans les terres « collectives ». Et même dans ces sociétés, le gouvernement ne tente pas d'assumer la direction administrative des champs qui ont été réservés à l'usage du fermier individuel. Dans un contexte techniquement plus évolué, le point de création administrative et le point de frustration administrative tendent à coïncider. Car, en ce cas, le régime hydraulique préfère ne pas se mêler du tout de la production agricole, qui, du point de vue du rendement administratif, est plus rentable lorsqu'elle est laissée aux soins de nombreux petits fermiers. Naturellement, les nécessités politiques prennent le pas sur les considérations économiques. Les grandes entreprises agraires de communication et de défense sont des entreprises essentielles, de même que certains ateliers dirigés par le gouvernement (arsenaux, chantiers navals). Mais la répugnance du régime hydraulique à assumer la direction sans intermédiaire des industries de transformation vient de ce que le gouvernement a compris que dans ce domaine une direction étatique entraînerait plus de déficit que de bénéfice. Dans la société hydraulique,
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comme dans les autres sociétés agraires, le gouvernement laisse donc la plus grosse part de la fabrication industrielle à de petits producteurs privés. 2. - L A LOI DE LA RENTABILITÉ ADMINISTRATIVE VARIABLE TRANSPOSÉE DANS LE DOMAINE DU POUVOIR
a. - Entreprises indispensables et rentables. On retrouve facilement le mécanisme de la loi de la rentabilité administrative variable dans la sphère du pouvoir politique. Les efforts que fait le régime hydraulique pour conserver un contrôle militaire et policier incontesté sur la population se montrent de plus en plus rentables, jusqu'à ce que tous les centres de pouvoir indépendants soient détruits. Les frais engagés pour l'entretien d'un réseau de communications et de renseignements rapides suivent un processus analogue ; et l'extension de l'action fiscale et judiciaire apparaît comme raisonnable, aussi longtemps qu'elle satisfait la volonté d'hégémonie politique et sociale du souverain. Quelques-unes de ces entreprises sont indispensables, d'autres sont, du moins, rentables. Mais, prolongées au-delà du point de saturation « D », elle deviennent toutes aléatoires. La disproportion décourageante entre des efforts prolongés et des profits politiques décroissants fait que le gouvernement répugne à employer son appareil administratif très en dessous de ce point. b. - Le coût prohibitif du contrôle social total dans une société semi-directoriale. L'appareil d'Etat industriel développé de l'U.R.S.S. a annihilé toutes les organisations indépendantes à l'échelon national (organisations militaires, politiques, économiques, religieuses) ; et son économie étatique totale permet l'établissement de bases bureaucratiques innombrables destinées à contrôler tous les groupements professionnels secondaires (locaux) et même la pensée et la conduite des individus. L'appareil d'Etat hydraulique ne dispose pas de facilités analogues. Il est assez fort pour empêcher le développement d'organisations primaires efficaces ; et de cette manière, il favorise cette concentration unilatérale du pouvoir qui le distingue des sociétés agraires antiques et médiévales de l'Occident. Mais, étant seulement semiétatique, il lui manque ces bases omni-présentes qui permettent aux chefs de l'appareil d'étendre leur contrôle total aux organisations secondaires et aux individus. En
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U.R.S.S., le contrôle social total commença par la nationalisation de l'agriculture (la « collectivisation » des villages) ; et cela s'accomplit au moyen de la pulvérisation de tous les rapports humains non gouvernementaux. La société hydraulique ne fit jamais ce premier pas, et par conséquent, ne se prépara jamais à faire le second. Naturellement, la notion d'un contrôle omni-présent séduisit aussi les esprits éminents du despotisme hydraulique. Garcilaso de la Vega, qui appartenait à la dynastie indigène, révêla que sous la domination inca, des fonctionnaires spéciaux allaient de maison en maison s'assurer que tout le monde était actif. Les oisifs étaient punis de coups sur les bras et les jambes « et autres punitions prescrites par la loi» (2). La grande « Utopia » chinoise de gouvernement bureaucratique, le Tch'ou Id, propose une liste de fonctionnaires qui, dans un Etat bien dirigé, devraient présider à la vie des populations, au village et à la ville. Sans aucun doute les Incas tenaient à ce que leurs sujets travaillent le plus possible ; mais toute véritable inspection de la vie quotidienne du peuple aurait requis une armée de fonctionnaires qui eussent absorbé une grande partie du revenu public sans rapporter en compensation un accroissement comparable de ce revenu. Il est par conséquent difficile de croire que l'application des « lois » mentionnées par Garcilaso ait été auttre chose qu'une surveillance générale — et par conséquent peu coûteuse. On peut en dire autant du livre classique de la bureaucratie chinoise. Tous les fonctionnaires chinois lettrés étudiaient le Tch'ou Li ; mais une fois en fonction, ils apprenaient vite la distinction entre le rêve agréable de contrôle social total et la sobre réalité administrative. A part quelques tentatives éphémères d'intervention zélée, ils se contentèrent d'exercer un ferme contrôle sur les sphères stratégiques de leur société. c. - Un contrôle social total n'est pas nécessaire à la perpétuation du despotisme agro-directorial. Dire que la loi de la rentabilité administrative décroissante détourne l'Etat hydraulique d'une tentative de contrôle total des individus et des organisations secondaires, n'est qu'une autre façon de dire que le gouvernement n'éprouve pas le besoin fondamental de ce contrôle. S'il en était autrement — c'est-à-dire, si le contrôle total était une condition essentielle à la perpétuation du régime despotique — les souverains pourraient se trouver dans l'obligation d'assurer leur sécurité au prix de leur revenu
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tout entier. Il est évident qu'un tel système de gouvernement jerait impraticable. L'expérience historique montre qu'au cours de longues périodes de « paix et d'ordre » les souverains hydrauliques peuvent conserver le pouvoir sans avoir recours à des mesures d'un coût excessif. Elle montre également que dans des conditions « normales » ils n'ont pas besoin de consentir à des sacrifices matériels imoprtants, A l'exception des temps troublés, ils sont protégés, de façon adéquate, par un vaste réseau d'espionnage et de police qui réussit à arrêter l'essor d'organisations primaires indépendantes à l'échelon national, et à empêcher les individus mécontents ou les organisations secondaires de parvenir au premier plan. Les crises politiques qui se produisent périodiquement peuvent avoir en partie pour origine l'insatisfaction de ces individus et de ces organisations (3). Mais des troubles sérieux, quelle que soit leur origine, prennent rapidement un aspect militaire et appellent des mesures délibérément militaires. En réponse à la loi de la rentabilité administrative décroissante, les maîtres de l'appareil d'Etat agraire s'exposent à des révoltes occasionnelles et font ce que leurs successeurs industriels modernes ne sont pas obligés de faire : ils accordent une certaine liberté à la plupart des individus et à certaines organisations secondaires. 3. - SECTEURS DES LIBERTÉS INDIVIDUELLES DANS LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE
a. - Limites du contrôle directorial. La durée de la corvée d'Etat détermine la période pendant laquelle un membre de la société hydraulique est privé de sa liberté d'action. La corvée peut avoir différents objectifs mais elle doit laisser à la masse des travailleurs — les paysans — assez de temps pour s'occuper de leurs propres affaires économiques. Naturellement, même dans les villages, les paysans peuvent avoir à se soumettre à un planning économique, mais cela ne concerne tout au plus que quelques tâches essentielles, par exemple les labours, les semailles, la récolte et peut-être ie choix de la culture principale. Souvent cela ne va pas si loin ; et parfois un tel contrôle est tout à fait absent. Dans les conditions d'une technologie évoluée, la corvée tend elle aussi à se transformer et à se réduire. Le travail pour les champs collectifs peut être remplacé par une taxe ; et des parties plus ou moins grandes de la corvée non agricole peuvent, de la même façon, être transformées.
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Mais quel que soit le caractère des communautés rurales et quelle que soit la durée de la corvée, il y a des périodes définies, et parfois considérables, pendant lesquelles le paysan agit de son propre chef. C'est encore plus vrai en ce qui concerne les populations non agraires. Les artisans et les commerçants qui, dans un contexte social différencié, se livrent à leurs occupations professionnelles et privées (4) peuvent devenir plus précieux comme contribuables que comme travailleurs corvéables. Leur liberté d'action s'accroît en conséquence. Marx parle de 1'« esclavage général » de l'Orient. Selon lui, ce type d'esclavage, caractérisé par les liens qui attachent l'homme à la communauté et à l'Etat hydraulique (5), diffère par essence de l'esclavage et du servage occidentaux (b). Le mérite de la formule de Marx réside davantage dans le problème posé que dans la réponse proposée. Celui qui est contraint de travailler pour un Etat « asiatique » est esclave de l'Etat aussi longtemps qu'il se livre à ce travail. Il est parfaitement conscient de l'absence de liberté liée à cette condition, mais conscient également du plaisir qu'il a à travailler pour lui-même. Comparé à l'esclavage d'Etat total de la société industrielle totalement directoriale, l'esclavage partiel de la société hydraulique partiellement directoriale laisse effectivement une large place à la liberté humaine. b. - Limites du contrôle sur la pensée. Une semblable tendance aux concessions se manifeste dans le domaine du contrôle de la pensée. Pour apprécier pleinement ce que cela signifie, il faut comprendre avec quelle insistance les maîtres de l'Etat hydraulique répandent les théories dominantes de la société. La coordination étroite entre autorité séculière et autorité religieuse facilite la divulgation de ces idées auprès de toutes les classes de la société, des plus hautes au plus basses. Les fils de l'élite dominante sont en général instruits par les représentants de la croyance dominante, et la population entière est en contact continu, favorisé par le gouvernement, avec les temples attachés à l'Etat et avec leur clergé. L'éducation est généralement un processus de longue haleine et son influence est profonde. En Inde, le jeune brahmane qui se préparait à être prêtre devait (b) M a r x t e n a i t p o u r a c q u i s q u e , d u p o i n t de v u e e u r o p é e n , d a n s c e t e x c l a v a g e a s i a t i q u e g é n é r a l , le t r a v a i l l e u r s e m b l e ê t r e u n e c o n d i t i o n n a t u r e l l e de l a p r o d u c t i o n a u p r o f i t d ' u n e t i e r c e p e r s o n n e o u d ' u n e c o m m u n a u t é , t o u t c o m m e d a n s l e s y s t è m e d ' e s c l a v a g e e t de s e r v a g e [ f o n d é s u r l a p r o p r i é t é p r i v é e ] , mais q u ' e n r é a l i t é « tel n'est pas le cas » ( M a r x , 1939 : 395).
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étudier un, deux ou trois Vedas, se consacrant à chacun de ces livres pendant douze lotfgues années. Et aux membres de la caste « protectrice » Kshatriya et même à ceux de la caste immédiatement inférieure, les Vaisya, il était également recommandé d'étudier les Livres sacrés (6). En Chine, « l'étude » — l'étude des écrits canoniques (classiques) — était déjà, au temps de Confucius (7), considérée comme la base indispensable à l'exercice d'une fonction administrative. Une systématisation de plus en plus poussée amena l'instauration d'examens complexes et gradués qui favorisèrent une activité idéologique perpétuellement en alerte chez tous les jeunes gens énergiques et ambitieux et chez de nombreux membres de la classe dirigeante, plus mûrs et souvent même âgés. Mais les mêmes forces sociales qui perpétuaient systématiquement les idées dominantes, encourageaient la prolifération des religions secondaires. Bien des civilisations hydrauliques simples toléraient les devins et les sorciers indépendants (8), dont les activités réduites et quasi artisanales n'étaient, quant à l'ceuvre de coordination sociale, qu'un modeste auxiliaire de la croyance dominante, tribale ou nationale. Dans des conditions plus complexes, les divergences idéologiques tendaient à être plus nombreuses. Dans un Etat hydraulique le sujet pouvait souvent, sans danger pour sa vie, devenir l'adepte d'une religion secondaire. Des croyances non brahmaniques, telles que le jaïnisme ou le bouddhisme, prennent racine en Inde dès le premier millénaire avant notre ère. Le bouddhisme se maintint en Chine traditionnelle, en dépit de persécutions sporadiques, pendant près de deux mille ans. Et le Proche-Orient, l'Inde, l'Asie centrale islamiques firent preuve de la même tolérance. Dans le domaine idéologique comme dans le domaine institutionnel, la politique de l'appareil d'Etat agraire forme un contraste frappant avec celle de l'appareil industriel des Etats modernes qui, avec un respect feint de la culture et de la religion traditionnelles (« nationales »), répandent la doctrine marxiste-léniniste dans le but avoué d'annihiler ultérieurement toutes les autres idéologies. Encore une fois, la différence entre ces deux politiques n'est nullement due à une tolérance innée de la part des souverains agro-bureaucrates qui assurèrent la prédominance de la religion principale par des méthodes sans compromis et souvent brutales. Mais la loi de la rentabilité administrative décroissante fait payer trop cher toute tentative en vue d'exercer un contrôle idéologique total dans une société différenciée semi-directoriale. Et ici, comme dans le secteur opérationnel, l'expérience montre
POUVOIR DESPOTIQUE ABSOLU ET NON BIENFAITEUR (4, B)
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que le régime absolutiste peut se perpétuer sans faire un effort aussi coûteux. 4. - LES GROUPES QUI JOUISSENT DE DIFFÉRENTS DEGRÉS D'AUTONOMIE
L'expérience démontre plus encore. Elle prouve aux souverains hydrauliques qu'ils peuvent — pour les mêmes raisons — permettre quelque autonomie, non seulement à leurs sujets en tant qu'individus, mais également à certains groupes secondaires. En examinant des croyances hétérodoxes, nous constatons qu'il est en général permis à leurs fidèles de former des congrégations qui entretiennent soit des prêtres isolés, soit des clergés plus ou moins nombreux. Depuis le début de l'histoire écrite, les artisans et les commerçants des civilisations hydrauliques se sont groupés en organisations professionnelles (guildes). Plus antiques encore sont les communautés de village dont l'existence remonte sans doute aux origines mêmes de la civilisation hydraulique. Les groupements par parenté sont institutionnellement antérieurs à l'agriculture ; et comme les communautés de village, on les trouve partout dans le monde hydraulique. Ces types d'association diffèrent grandement par leur distribution, leur composition, leur qualité et leurs buts. Mais ils ont ceci de commun : ils sont tous tolérés par le régime despotique. En dépit de nombreuses mesures de surveillance, ces associations ne sont pas soumises à un contrôle total. a. - Moins
d'indépendance
qu'on ne l'affirme
souvent.
Des observateurs romantiques ont pris cette absence de contrôle pour une preuve de l'existence de véritables institutions démocratiques aux échelons inférieurs de la société hydraulique. Sous cette forme, cette théorie est inacceptable. Dans le monde hydraulique tout entier, autorité gouvernementale et autorité familiale sont étroitement liées ; et les mesures de contrôle politique concernent la grande majorité des villages, des guildes et des religions secondaires organisées. On peut trouver dans d'autres sociétés agraires les homologues de la plupart de ces tendances restrictives. (Les guildes libres de l'Europe féodale sont aussi exceptionnelles que riches d'enseignement). Mais cela est ici hors de propos. La question est de savoir si, à la différence d'institutions correspondantes dans d'autres Etats despotiques — et aussi à la différence d'institutions restrictives dans d'autres civilisations agraires — les organi-
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sations secondaires de la société hydraulique étaient authentiquement autonomes. La réponse à cette question est « non ». 1. - La famille. On a dit que la famille, dans la Chine traditionnelle, était l'institution qui donnait à la société chinoise sa force et son caractère particuliers. Cette théorie est exacte en ceci qu'elle présente la famille comme unité de base de la société ; mais elle peut induire en erreur si l'on comprend, à partir de cette théorie, que la famille déterminait la qualité et le pouvoir de l'ensemble institutionnel dont elle faisait partie. L'autorité du pater familias chinois était beaucoup plus forte que ne l'exigeait la simple direction interne de la famille (c) ; et le père devait son pouvoir extraordinaire essentiellement à l'appui d'un Etat despotique. La désobéissance à ses ordres était punie par le gouvernement (9). D'autre part, les fonctionnaires locaux pouvaient le faire battre et emprisonner s'il se montrait incapable d'empêcher les membres de sa famille de violer la loi (10). Faisant fonction de policier liturgique (semi-officiel) au sein de son groupe familial, on ne peut guère le considérer comme chef autonome d'une unité autonome. Le père babylonien, qui pouvait placer sa femme, son fils ou sa fille au service d'une tierce personne pour plusieurs années (11), devait également son pouvoir au gouvernement qui l'appuyait dans sa décision. Qu'il ait été responsable aux yeux de la loi de la conduite des membres de sa famille, cela n'est cependant pas prouvé. On a comparé la patria potestas de l'Egypte ancienne à celle de Rome. La société fortement militarisée de la Rome républicaine encourageait effectivement le développement de relations familiales extrêmement autoritaires ; mais le père égyptien semble avoir eu un pouvoir encore plus grand que celui de son homologue romain (d). Dans le monde islamique, le respect des parents est prescrit par la Loi sacrée (12) ; et on peut juger de l'efficacité de l'autorité paternelle, en particulier dans les villages, par le fait que dans des pays comme la Syrie, le père était d'ordinaire maître de sa famille jusqu'à sa mort (13). (c) P o u r l'origine non gouvernementale de l ' a u t o r i t é paternelle dans la famille chinoise, v o i r Wittfogel, 1935 : 49 ; ibid., 1936 : 506 sqq. (d) L ' a f f i r m a t i o n d u D r T a u b e n s c h l a g selon laquelle le droit d u p è r e é g y p t i e n de vendre son enfant est l'homologue d'un droit r o m a i n n'est p r o u v é e par des documents que pour « le 4 s i è c l e » (Taubenschlag, 1944 : 103 sqq.). B
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Les Livres de la Loi en Inde donnent au père un pouvoir quasi royal sur les membres du groupe familial (14). En dépit de nombreuses restrictions (15), son autorité sur sa femme et ses enfants semble avoir é t é extrêmement étendue (e). Evidemment, la puisance paternelle varia de façon appréciable selon les différentes civilisations hydrauliques. Mais presque partout le gouvernement eut tendance à la promouvoir au-delà de ce que requièrent les fonctions de chef de famille. 2. - Le village. En général, les villages des civilisations hydrauliques sont sous la juridiction de chefs qui sont soit nommés par le gouvernement, soit élus par les villageois. Le système de nomination semble fréquent chez les communautés rurales des civilisations au caractère hydraulique fortement accentué, tandis que le choix libre sera plus volontiers admis dans les civilisations au caractère hydraulique moins accentué. Dans le Pérou inca les fonctionnaires locaux, jusqu'au dernier d'entre eux — le chef de dix familles —• étaient nommés (16). Dans le Mexique d'avant la conquête, la terre du village était également soumise à une réglementation communale. Mais son économie agraire était beaucoup moins bureaucratisée que celle de l'empire inca. Les chefs des unités administratives locales du Mexique, les calpulli, étaient élus (17). Cependant, cette corrélation n'est pas universellement valable parce que la nomination n'est que l'une des différentes façons de contrôler un fonctionnaire local. Presque partout, le gouvernement hydraulique tient le chef pour responsable des obligations de ses concitoyens villageois. Cela le place dans une situation de dépendance à l'égard de l'Etat. Là où la terre est administrée par la commune, et où les taxes sont payées sur un plan communal, le chef de village dispose vraisemblablement d'un pouvoir considérable. Assisté d'un scribe et d'un ou de plusieurs policiers, il peut devenir une sorte de despote local. Les inscriptions du Proche-Orient primitif montrent les fonctionnaires régionaux s'oceupant activement du labourage et de la collecte des impôts (18) ; mais nous ne pouvons pas nous faire une image claire de la manière (e) J o l l y , 1 8 9 6 : 7 8 . A u d é b u t d u 1 9 « s i è c l e , D u b o i s ( 1 9 4 3 : 3 0 7 s q q . ) . t r o u v a l ' a u t o r i t é d e s b r a h m a n e s é n o r m e et l ' a u t o r i t é p a t e r n e l l e f a i b l e . L ' a u t e u r v é c u t e n I n d e de 1 7 9 2 à 1 8 2 3 . E n s u p p o s a n t ses o b s e r v a t i o n s e x a c t e s , n o u s n e s a v o n s c o m m e n t les e x p l i q u e r . L e p h é n o m è n e e s t - i l u û , a u m o i n s e n p a r t i e , aux troubies d u temps ?
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dont les fonctionnaires de village s'inséraient dans le complexe administratif (19). Comme dans d'autres domaines de la vie, les Perses et leurs successeurs hellénistiques et romains semblent bien avoir perpétué des institutions plus primitives, en ce qui concerne les villages. Dans l'Egypte ptolémaïque et romaine, le principal fonctionnaire de village, le scribe, assisté des anciens, exécutait les tâches que lui imposait le gouvernement (20). Ces hommes et peu importe qu'ils aient été nommés (21) ou élus comme les anciens (22), « dépendaient directement du gouvernement central... et ils obéissaient tous en particulier au strategos du district» (23). Les documents concernant la Syrie romaine semblent indiquer une participation populaire considérable aux affaires du village (24), tandis que les fonctionnaires de village égyptiens procédaient probablement de façon très autoritaire. Mais cette divergence ne doit pas nous faire oublier les analogies fondamentales, dans tout le ProcheOrient antique, en matière d'organisation villageoise et d'autorité gouvernementale (25). Aux temps hellénistiques (26), comme à l'époque antérieure, les villageois « royaux » étaient attachés à la terre qu'ils cultivaient (27). Par conséquent, nous pouvons conclure avec certitude qu'au cours de la période pré-romaine, comme au cours de la période romaine, les paysans de Syrie et d'Asie mineure n'administraient pas leur village de manière autonome. Dans l'Egypte arabe, comme dans l'Egypte byzantine (28), l'administration du village était entre les mains d'un chef et des anciens. Sous la domination arabe, le chef, peut-être nommé par les paysans, et confirmé dans ses fonctions par le gouvernement (29), semble avoir eu la charge de la répartition et de la collecte de l'impôt (30). Il désignait les travailleurs pour la corvée et exerçait des fonctions de police et de justice (31). Dans les provinces arabes du Proche-Orient turc, le chef de village (sheikh), assistait les représentants officiels et semi-officiels du gouvernement dans la répartition de l'impôt (32). Il « exerçait la police parmi les fellahs qui cultivaient les terres sous sa direction et le seyh principal faisait fonction de magistrat et d'arbitre, non seulement pour les cultivateurs, mais pour l'ensemble des habitants » (33). Contrôlant « s e s » paysans d'une manière arbitraire, et à son tour contrôlé sévèrement par la bureaucratie d'Etat (34), il n'était certainement pas le représentant d'une libre communauté rurale. En Inde, le chef de village était peut.-être, à l'origine, élu (35) ; mais à partir de l'époque des Livres de la Loi
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les plus tardifs — c'est-à-dire à partir de la fin du premier millénaire avant notre ère — sa nomination est attestée par les documents (36). Représentant du roi dans les villages, il «collectait l'impôt pour lui» (37) et remplissait des fonctions de police et de justice (38), et détenait par conséquent une autorité assez analogue à celle dont jouissait son homologue dans le Proche-Orient. La domination musulmane ne modifia pas fondamentalement cet arrangement administratif commode, qui en fait persista dans la plupart des villages indiens jusqu'aux temps modernes (39). En Chine, il y a plus de deux mille ans, le village soumis à une réglementation céda la place à un schéma fondé sur la propriété. Ainsi les tâches des fonctionnaires de village se réduisirent en conséquence, mais sans disparaître complètement. A la fin de la période impériale, la plupart des villages importants avaient au moins deux fonctionnaires ; un chef, chuang chang, et un commissaire de police local, ti fang ou ti pao (40). Le chef, habituellement choisi par les villageois, exerçait les fonctions de direction et le commissaire, généralement nommé par le gouvernement (f), les fonctions de police pour le gouvernement de village. Ils coopéraient dans leurs tâches officielles : la collecte des impôts et du matériel pour les constructions publiques, l'organisation et la direction de la corvée (« le transport pour le gouvernement..., la consolidation des berges de rivière, les patrouilles sur les routes impériales », etc.) (41), et l'élaboration des rapports de renseignement (42). Toutes ces activités liaient le chef bien qu'il ne fît pas partie de la bureaucratie (g), au gouvernement central. Les villageois avaient bien du mal à porter plainte contre lui, même si leur cause était juste, car il avait le monopole des communications avec la magistrature de district (43). Le commissaire de police était soumis au contrôle des (f) Selon S m i t h (1899 : 227), les candidats à ce poste n ' é t a i e n t « ni officiellement choisis, ni officiellement c o n g é d i é s ». Ils « s'installaient à leur poste » à la suite de ce que S m i t h appelle « une sorte de s é l e c t i o n naturelle ». 11 vaudrait sans doute mieux parler d'une é l e c t i o n tacite, f o n d é e sur une entente entre tous les chefs de famille notables. L e D r K . C . Hsiao, q u i a presque t e r m i n é son é t u d e exhaustive, La Chine rurale, l'autorité impériale au 19° siècle, attribue « une certaine influence locale officieuse sur la direction du village », p a r t i c u l i è r e m e n t aux « familles riches ou d'aristocratie rurale ». Mais i l constate l ' i m p o s s i b i l i t é de donner une documentation q u a n t i t a t i v e quant à « la proportion de chefs de villages n o m m é s par le gouvernement (pao chang, chia chang, etc. ; et plus tard chuang chang, ti pao, ti fang, etc.) ». Il ajoute : « L e plan officiel n é c e s s i t a i t l'instauration universelle de tels chefs partout o ù existaient des c o m m u n a u t é s rurales » (lettre d u 15 j a n v i e r 1954). (g) E n g é n é r a l , le village lui p a y a i t u n salaire (Werner, 1910 : 106 sqq.). De plus, il b é n é f i c i a i t des avantages m a t é r i e l s habituels, i n h é r e n t s au maniement des finances publiques.
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fonctionnaires de province. Ils pouvaient le faire « battre et réduire en marmelade » s'il négligeait son devoir d'agent d'espionnage local (44). Les villages de la Chine impériale étaient moins strictement contrôlés que ceux du Pérou d'avant la conquête, de l'Inde et de la plupart des civilisations du ProcheOrient, mais eux non plus ne se gouvernaient pas euxmêmes. Leurs fonctionnaires principaux, qui étaient soit nommés, soit approuvés par le gouvernement étaient liés de manière irréversible à un système opérationnel qui servait les intérêts du gouvernement plutôt que les intérêts des villageois. 3. - Les guildes. Les corporations d'artisans et de commerçants des civilisations hydrauliques fonctionnaient dans des conditions analogues. Là aussi, la nomination par le gouvernement du fonctionnaire principal est significative ; mais là aussi, ce n'est qu'une des nombreuses façons, pour l'Etat despotique, d'assurer sa supériorité sans limite et la faiblesse de l'organisation qu'il tolère. L'Egypte hellénistique semble s'être conformée à l'usage antique qvii est de rassembler les personnes « travaillant pour l'Etat dans l'industrie, le transport, la mine, la construction, la chasse, etc. », en des groupes professionnels « organisés et étroitement surveillés par l'administration économique et financière du roi » (45). A la fin de l'empire romain et à Byzance, le gouvernement « réglementait strictement » les activités des guildes (h). Jusqu'au 3 siècle, leurs membres élirent leur chef ; mais à partir de cette époque, c'est le gouvernement qui prenait la décision finale en ce qui concerne les chefs nommés par la guilde, lesquels après leur installation étaient soumis à la surveillance et à la discipline de l'Etat (46). Dans la Turquie ottomane, des fonctionnaires inspectaient les marchés (47), contrôlaient les prix, les poids et les mesures (i), remplissant ainsi les fonctions qui, dans les villes franches de l'Europe médiévale, étaient ordinairement sous la responsabilité des autorités urbaines (48). De plus, l'Etat, qui dans la plupart des pays e
(h) S t ö c k l e , 1911 : 11. E n ce qui concerne la r é f é r e n c e au chef de guilde a y a n t q u a l i t é de collecteur d ' i m p ô t , à B y z a n c e et dans l ' E g y p t e arabe, voir G r o h m a n n , P A P : 299 et n. 8. P o u r les conditions q u i sont celles d u d é b u t de la d o m i n a t i o n arabe, v o i r ibid. : 161, n. 3 et G r u m , 1925 : 103-11. (i) C ' é t a i t l a t â c h e s p é c i f i q u e des agents d u kadi (Gibb et B o w e n , 1950 : 287).
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de l'Europe féodale collectait peu d'impôts, sinon aucun, et de toute manière irrégulièrement dans les centres urbains où le pouvoir des guildes était développé, était, en Turquie, capable de taxer les guildes et, comme partout en Orient, d'employer pour agents fiscaux les chefs de ces corporations qui « établissaient l'assiette de l'impôt parmi leurs membres » et étaient « personnellement responsables de son payement» (49). Dans l'Inde hindoue, le setthi, chef de la guilde des marchands, était un semi-fonctionnaire étroitement lié à l'administration fiscale du souverain (50). Les marchands représentaient une richesse considérable et leurs corporations semblent avoir été plus respectées que celles des artisans (51). Mais cela ne faisait pas de la guilde des marchands une entité politique de poids. On a dit que les guildes indiennes ont pris de l'importance au début de l'époque bouddhiste (52). Bien que nous soyons d'accord avec cette observation nous devons cependant prendre soin de ne pas exagérer sa signification politique. Selon Fick « les corporations de fabricants se rangent sans aucun doute — au moins en partie — dans la catégorie des castes méprisées » (53) ; et le Dr RhysDavids insiste sur le fait qu'il n'y a « aucun exemple attesté par des documents de l'époque bouddhiste primitive indiquant l'existence d'une corporation comparable à une guilde ou à une ligue du type hanséatique » (54). Une légende du 3 ou 4' siècle qui est censée montrer que la ville de Thana (j) «était dirigée par une forte guilde des marchands » décrit en réalité la tentative infructueuse d'un groupe de marchands qui essaient d'éliminer un concurrent en s'emparant du marché (k). En Chine, l'existence des guildes n'est attestée qu'à partir de la seconde moitié du premier millénaire de notre ère. Sous les dynasties T'ang et Song, les chefs de guilde pouvaient être tenus pour responsables des fautes professionnelles de leurs membres, telles que violations de la réglementation monétaire (55), vols et autres délits. Et en bien des cas, il était obligatoire d'appartenir à une guilde (56). Les guildes en tant que corps constitués devaient rendre des services particuliers à l'Etat (57). Plus récemment, le gouvernement semble avoir laissé aux guildes secondaires de commerçants et d'artisans une plus e
(i) Poona, au sud de la moderne Bombay. (k) Hopkins, 1902 : 175. La thèse erronée de Hopkins est reprise par Max Weber dans sa démonstration de la prééminence politique temporaire des guildes hindoues (Weber, RS, II : 86 sqq.). Voir plus loin, chap. 7, G, b.
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large autonomie (m) ; mais les corporations importantes telles que celles des marchands de sel (n) et un certain nombre de firmes cantonaises d'importation et d'exportation (o) étaient étroitement surveillées. 4. - Religions secondaires. Les renseignements que nous possédons sur les religions secondaires sont particulièrement abondants en ce qui concerne la société islamique et la Chine traditionnelle. Les dirigeants musulmans toléraient le christianisme, le judaïsme et le zoroastrisme (p). Mais les fidèles de ces cultes devaient accepter un statut inférieur tant politique que social et on ne les laissait pas se livrer au prosélytisme. Les lois défendaient la conversion du christianisme au judaïsme ou vice-versa ; et le châtiment punissant l'apostasie chez les musulmans était sévère. Les chrétiens n'étaient pas autorisés à battre fort leurs planches de bois (q) ni à chanter à pleine voix dans leurs églises, ni à s'assembler en présence des musulmans, ni à manifester publiquement leur « idolâtrie », « ni à inviter à la partager, ni à exposer une croix » sur leurs églises (58). lï n'est pas étonnant que les minorités religieuses — qui pendant la période turque étaient mises à l'écart et groupées en organisations appelées millet (59) -— aient plutôt végété que prospéré. Le chef du millet (59) était nommé par le millet (r) mais confirmé dans ses fonctions par le sultan (60) ; une fois en fonction, on lui donnait « juste assez de pouvoir exécutif... pour lui permettre de collecter les impôts que l'Etat réclamait à sa communauté » (61 ). Dans la Chine traditionnelle, le bouddhisme était la religion secondaire la plus importante. Elle atteignit son apogée sous les dynasties barbares d'infiltration et de
(m) Wittfogel, 1931 : 580 sqq., 714 sqq. M o n analyse de 1931 n é g l i g e a i t les guildes de commerce i m p o r t a n t sous c o n t r ô l e d ' E t a t , comme le commerce d u sel. (n) L e s chefs de guilde collectent l ' i m p ô t a u p r è s des » petits marchands » {Ch'ing Shih Kao, 129.1b). (o) Les chefs é t a i e n t n o m m é s par le gouvernement (Yûch Hai Küan Chih 25.2a). (p) M a c d o n a l d , 1941 : 96 ; G r u n e b a u m , 1946 : 117. A l'origine les zoroastriens é t a i e n t t o l é r é s (Mez, 1922 : 30) ; plus tard ils furent plus durement t r a i t é s ( B ü c h n e r , 1941 : 381). (q) Ces planches é t a i e n t e m p l o y é e s en guise de cloches ( G r u n e b a u m , 1946 : 179). (r) O u son c l e r g é ?
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conquête qui dominèrent les vieux centres septentrionaux de la culture chinoise vers le milieu du premier millénaire de notre ère (62). Les dures persécutions de 845 ouvrirent une période d'intolérance qui avec le temps réduisit le bouddhisme à l'état de religion secondaire soigneusement restreinte. Des fonctionnaires spécialement désignés surveillaient le bouddhisme et autres croyances non orthodoxes (63). Le gouvernement limitait l'édification des monastères et des temples (64) et le nombre des prêtres et des moines (65) ; il interdisait aussi certaines activités religieuses qui dans d'autres pays étaient libres ; et il stipula que « le clergé bouddhiste et taoïste ne ferait pas de lecture des soûtras sur les places des marchés, ni ne demanderait l'aumône, ni n'expliquerait les fruits du salut, ni ne recueillerait d'argent» (66). Pour conclure le classique inventaire de ce que d'autres avaient tenu pour les éléments d'une liberté religieuse, De Groot demande : « A quoi sert cette liberté lorsque l'Etat a élaboré son système de nomination du clergé dans des limites aussi strictes, a rendu l'admission des disciples mâles extrêmement difficile, celle des femmes presque impossible, de telle sorte que le nombre de ceux qui pourraient se prévaloir d'une telle liberté est réduit à un très petit pourcentage de la population ? Un tel système fait de cette liberté tant vantée une farce» (67). b. - D'authentiques éléments présents.
de liberté
sont cependant
C'est ainsi que l'Etat hydraulique restreint les possibilités de tous les groupes et organisations secondaires, mais ne les intègre pas complètement à son système de pouvoir. La famille chinoise traditionnelle, dont le chef avait joui d'une situation légale particulièrement enviable, n'était pas contrainte, par des pressions politiques et policières, à dresser les membres de sa famille les uns contre les autres, comme c'est le cas dans les Etats modernes gouvernés par un « appareil ». En Chine et en Inde le gouvernement permettait aux groupes familiaux de régler leurs affaires domestiques selon leurs propres «lois» familiales (68). Dans d'autres civilisations hydrauliques, les familles jouissaient d'une quasi-autonomie moins officielle, mais également efficace. Le contrôle du gouvernement sur les villages, bien que très spécifique, est aussi strictement limité. Même là où les fonctionnaires de village disposent d'un pouvoir étendu, les paysans ont bien des occasions de se faire une opinion 7
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sur les affaires quotidiennes de la communauté. Et une fois les exigences du gouvernement satisfaites, le chef et ses auxiliaires règlent généralement les affaires de leur village avec peu ou pas d'intervention de la part du gouvernement. Il semble qu'il y ait eu certaines possibilités de gouvernement autonome pour les villages de la Syrie romaine (69) et pour les villages égyptiens de la période romaine et byzantine (70). Le chef de village de la Turquie ottomane, comme ses homologues dans d'autres civilisations orientales, agissait avec une grande indépendance tant qu'il s'agissait des affaires intérieures de la communauté rurale (71). Le chef d'un village indien ne pouvait remplir ses fonctions avec succès qu'en essayant de se « concilier les villageois» (72). Il ne pov ait pas être «orgueilleux, intolérant, hautain comme les brahmanes » ; au contraire, il lui fallait être « poli et complaisant » envers ses égaux et «affable et condescendant» envers ses inférieurs (73). Une organisation en véritables comités était probablement réservée à la seule minorité de colonies rurales dominées par des groupes de propriétaires terriens, à l'origine des brahmanes (74). Mais l'assemblée officieuse ipanchayal) des anciens du village ou de tous les villageois, aurait été, selon certains, une institution générale (75) ; et cette assemblée modérait, semble-t-il, les décisions du chef. Puisque les chefs et leurs auxiliaires — en dehors des exigences officielles —étaient plus ou moins responsables des villages, ces derniers étaient en réalité des îlots ruraux jouissant d'une autonomie partielle (76). Dans le village chinois traditionnel, les fonctionnaires locaux étaient encore plus près des villageois non-fonctionnaires qui, en particulier, lorsqu'ils appartenaient aux familles riches ou d'aristocratie rurale pouvaient exercer une grande influence dans les affaires locales (77). Une opposition venant d'un groupe de villageois qui ne participaient pas au pouvoir, pouvait obliger le chef et ses auxiliaires à se démettre. Sous une telle pression, un « groupe d'hommes » qui avaient été au pouvoir pendant longtemps pouvaient se retirer « de leurs postes, les laissant à ceux qui avaient exprimé les critiques » (78). Un tel comportement n'implique pas un gouvernement officiellement démocratique ; mais il a quelque chose de démocratique. Naturellement, il y a différentes sortes d'exigences officielles ; et il y a toujours l'officier de police, et souvent un collecteur d'impôts, tous deux nommés par le gouvernement et tous deux représentant de façon évidente les intérêts de l'appareil bureaucratique. Mais
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ce sont là les limites habituelles du contrôle. Le gouvernement « ne restreint pratiquement pas le droit qu'ont les gens de se réunir librement dans l'intérêt de leurs propres affaires. Les gens d'un village peuvent, s'ils le veulent, se réunir chaque jour. Aucun censeur gouvernemental n'assiste à la réunion et la liberté de discussion est sans restriction. Les gens peuvent dire ce qu'ils veulent et le magistrat local ne sait et ne se soucie pas de savoir ce qui a été dit » (79). Dans de nombreuses civilisations hydrauliques, le gouvernement se souciait très peu des affaires intérieures des guildes. Les Livres de la Loi indiens conseillaient au roi de reconnaître les statuts (lois) des guildes (80). Et des statuts de ce genre existaient partout (81). Les guildes turques étaient soumises à « l'autorité générale des pouvoirs spirituels et temporels représentés par le gouverneur, les officiers de police e* les kadis » (82) ; et leurs chefs étaient responsables devant le gouvernement de l'exécution des obligations fiscales par les guildes. Cependant, d'autre part et « dans les limites imposées par la religion, la tradition et " l'usage les corporations étaient relativement libres et autonomes » (83). Gibb et Bowen les classent par conséquent parmi « les groupes presque autonomes » (84). La formule de Gibb et Bowen est également valable pour les religions secondaires. En dépit de toutes les restrictions extérieures, ces religions jouissaient de « quelques bribes de liberté religieuse ». Dans la Chine traditionnelle, les prêtres des religions secondaires « qui recherchent leur salut et celui des autres, peuvent prêcher, réciter des soûtras et célébrer des cérémonies en lieu clos» (85). Et en Islam « toute congrégation non musulmane administre ses propres affaires sous la responsabilité de son chef, rabbin, evêque, etc. » (86). Aussi longtemps que la célébration de leurs cultes ne troublait pas les « vrais croyants » et aussi longtemps que leur organisation n'était pas une menace pour sa sécurité, le gouvernement permettait généralement aux minorités religieuses de vivre à l'intérieur de leur congrégation une vie plus ou moins autonome. 5. - CONCLUSION
a. - Des libertés sans portée politique. Voilà en effet des libertés modestes ! Biles se retrouvent, en des combinaisons diverses, dans les différentes sphères de la vie. Et maintenant, nous «devrions pouvoir
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comprendre pourquoi elles existent et pourquoi elles sont si limitées. La société hydraulique n'est certainement pas à l'abri des mouvements de rébellion, mais des organisations de caractère familial, même sous des formes assez larges, ne sont pas une menace politique pour un despotisme agro-bureaucratique fonctionnant normalement. Et les villages ne sont pas non plus une menace sérieuse. L'autonomie relativement étendue du village chinois traditionnel pouvait en cas d'insurrection « être supprimée d'un moment à l'autre, fait dont tous les gens étaient parfaitement conscients» (87). Des groupes religieux secondaires pouvaient être un danger en temps de troubles. Et c'est probablement pourquoi le gouvernement de la Chine impériale ne relâcha jamais son contrôle sur les croyances tolérées et se montra si prompt à suprimer certaines sectes (88). Le potentiel de rébellion des guildes ne fut probablement jamais éliminé complètement, mais le gouvernement hydraulique trouva le moyen de le paralyser sans épuiser ses revenus. Grunebaum trouve « remarquable que l'Etat musulman ait été si peu gêné dans ses opérations par le poids mort de ces organisations semi-étrangères à l'intérieur de sa structure» (89). Et d'autres ont porté un jugement du même ordre sur les conséquences politiques de l'exister ce de guildes dans les civilisations hydrauliques. L'Etat byzantin primitif n'avait aucun besoin de liquidei les guildes romaines encore existantes « puisqu'elles n'étaient nullement dangereuses politiquement et puisqu'elles ne pouvaient exercer aucune espèce de pression sur le gouvernement et l'administration, au contraire de ce que firent par exemple les guildes allemandes du moyen âge» (90). Massignon, qui plus que la plupart des islamisants, considère les guildes musulmanes comme un facteur politique, du moins temporairement, sait cependant qu'elles « n'atteignirent jamais une influence politique comparable à celles des guildes médiévales européennes » (91). D'après Gibb et Bowen, le pouvoir des guildes médiévales en Europe était tellement plus étendu que celui des corporations islamiques que le terme de « guilde » risque de ne pas être juste pour ces dernières (92). On a, pour la même raison, rejeté l'idée d'une équivalence entre les guildes de l'Occident médiéval et les guildes de l'Inde (93) ou de la Chine (94). Bien sûr, il existe de nombreuses ressemblances entre les deux types de corporation, ressemblances créées par les particularités et les besoins des professions organisées (95) ; mais les contextes sociaux profondément différents dans lesquels elles opèrent leur donnent des qualités
POUVOIR DESPOTIQUE ABSOLU ET NON BIENFAITEUR (4, C)
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politiques et sociales profondément différentes. Les membres des guildes, à la fin du moyen âge européen, devinrent fréquemment maîtres de leur ville ; et en tant que tels, ils pouvaient jouer un rôle actif dans la lutte pour le pouvoir. Les membres des guildes du monde hydraulique se voyaient nantis d'une certaine autonomie, non point parce que politiquement parlant ils étaient une force, mais précisément parce que leurs organisations étaient dépourvues de toute signification politique. b. - Une démocratie
au
rabais.
Dans les Etats totalitaires modernes, les prisonniers des camps de concentration et de travail forcé peuvent à certains moments, se rassembler et parler entre eux ; et assez fréquemment certains d'entre eux reçoivent des tâches mineures de surveillance. Aux termes de la loi de la rentabilité administrative décroissante, de telles « libertés » sont rentables. En même temps qu'elles économisent du personnel, elles ne menacent en aucune manière le pouvoir du commandant et de ses gardes. Les villages, les guildes et les organisations religieuses secondaires de la société agro-institutionnelle n'étaient pas des camps de terreur, mais comme eux ils jouissaient de certaines libertés sans portée politique. Ces libertés — qui en certains cas étaient considérables — ne constituaient pas une pleine autonomie. Tout au plus, instauraient-elles une sorte de démocratie au rabais. C. — L E DESPOTISME HYDRAULIQUE EST-IL UN DESPOTISME BIENFAITEUR ? 1. - POUVOIR ABSOLU AU PROFIT DU PEUPLE ?
L'Etat hydraulique n'est pas contrôlé par cette démocratie au rabais. Il n'est pas contrôlé non plus par aucun autre contrepoids efficace, constitutionnel, social ou culturel. Il est évident qu'il est despotique. Mais en même temps, profite-t-il au peuple ? 2. - L A PRÉTENTION ET LA RÉALITÉ A. - Une nécessité opérationnelle pour un souci d'humanité.
ne
doit
pas
être
prise
L'Etat hydraulique est directorial et il est vrai que certaines de ses opérations profitent au peuple. Mais puisque ces opérations assurent aux souverains sécurité et prospérité, on ne peut guère les considérer comme inspirées
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par la seule bienveillance. Un pirate n'agit pas avec bienveillance lorsqu'il manoeuvre habilement son bateau on qu'il nourrit les esclaves qu'il a l'intention de vendre. Son comportement peut être temporairement bénéfique pour les personnes qui sont en son pouvoir ; mais tel n'est pas son but fondamental. Si on lui impose un choix, c'est son intérêt qu'il choisira, non celui des autres. b. - Le coefficient
de rationalité
de la société
hydraulique.
Sur le plan du pouvoir absolu, les représentants des régimes hydrauliques procèdent d'une manière analogue. Leur comportement peut dans une certaine mesure profiter aux personnes en leur pouvoir, et des conseillers ou des hommes d'Etat éclairés peuvent souligner l'intérêt qu'il y a à satisfaire le peuple (a) ; mais, pris en groupes, ils ne prennent en considération les besoins de leurs sujets que dans l'optique de leurs propres besoins et avantages. Dans ce but, ils doivent : 1° perpétuer l'économie agraire ; 2° ne pas augmenter le travail et les corvées à un point tel que les paysans découragés cessent de produire ; et 3° ne pas permettre aux luttes internes et externes de troubler la vie de la population. La troisième tâche — le maintien de la paix et de l'ordre — est un problème qui se pose aux gouvernements de toutes les sociétés. La première et la seconde tâche distinguent la civilisation hydraulique des autres civilisations agraires. La persistance du despotisme agraire dépend de l'exécution satisfaisante de ces trois fonctions. Elles constituent ce que l'on peut appeler le minimum rationnel du régime. Les sociétés dirigées par des conquérants dont les souverains sont imprégnés de traditions extérieures au monde hydraulique opèrent souvent au niveau ou audessous du niveau le plus bas de rationalité. Et les maîtres indigènes tombent souvent à ce niveau, aux périodes de déclin et de désintégration. Des mouvements puissants tendant vers un plus haut niveau de rationalité ont lieu particulièrement au début d'une dynastie indigène, mais peuvent également se produire au cours des périodes de croissance et de consolidation. La phase de formation d'une société dirigée par des conquérants est largement déterminée par la capacité des conquérants à s'identifier avec leur nouveau milieu institutionnel. Les Mongols étaient complètement étran(a) P o u r l'Inde, voir la Bhagavadgita, passim, et Manou, 1887 : 229397 sqq. P o u r la Chine, les sentences de Confucius et, surtout les plus importantes, celles de Mencius.
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DESPOTIQUE
ABSOLU
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gers aux traditions et aux mœurs des civilisations hydrauliques qu'ils dominaient. On dit que le fils de Gengis Khan, Ogotaï, aurait eu le projet de transformer les champs cultivés de la Chine en pâturages ; et il n'y renonça que parce que Yeh-lû Ch'u-t'sai le convainquit qu'il y avait dans l'ordre agraire de plus grandes possibilités d'impôts (1). Mais bien que les Mongols eussent conservé l'économie hydraulique dans leur nouveau royaume, ils restèrent indifférents à ses nécessités plus subtiles. Pratiquement, ils restèrent partout proches du minimum rationnel de la société hydraulique. Mahomet, qui vivait dans l'Arabie aride, comprenait certainement l'importance de l'irrigation, bien que dans ses paroles officielles il fasse rarement allusion à ce problème et que, quand il en parle, il ne mentionne, essentiellement, que l'irrigation restreinte (puits) (2). Ses successeurs maintinrent, restaurèrent et même créèrent de vigoureuses économies hydrauliques en Syrie, en Egypte, en Irak, dans le nord-ouest de l'Afrique, en Espagne et, pour une courte période, en Sicile. Les Mandchous étaient familiarisés avec l'agriculture d'irrigation avant même d'émigrer vers le sud et de passer la Grande Muraille pour conquérir la Chine (3). De ce point de vue, ils présentent quelque ressemblance avec les Incas qui pratiquèrent l'irrigation dans les hautes terres des Andes avant d'instaurer leur empire hydraulique (4). Lorsqu'ils succombèrent sous l'attaque des Espagnols, il est probable que leur gouvernement fonctionnait à un niveau proche du maximum rationnel. c. - Coefficient de rationalité,
mais pour qui ?
Mais peu importe qu'une société hydraulique fonctionne grossièrement ou de manière subtile, sa prétention à la bienveillance nous oblige à poser la question : cui bono ? Il est évident que les tâches opérationnelles peuvent être aménagées, soit d'une manière qui satisfasse les intérêts des souverains aux dépens des forces non gouvernementales de la société, soit d'une manière qui satisfasse les besoins du peuple et donne, si possible, quelques avantages au gouvernement. Des compromis fournissent un choix de solutions intermédiaires entre ces deux solutions extrêmes. D'une manière générale, on ne considère sérieusement ces trois possibilités que si les circonstances réelles permettent un choix authentique. Dans les domaines judiciairei de consommation et d'administration de la vie hydraulique, il en est bien ainsi. Mais dans tous ces
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ORIENTAL
domaines nous voyons les intérêts du peuple sacrifiés à ceux des souverains, qui opèrent au niveau optimum de rationalité. 3.
-
L E NIVEAU DES
OPTIMUM DE RATIONALITÉ
SOUVERAINS
PRÉVAUT
a. - Nécessité et choix dans la politique du régime hydraulique. Dans les provinces de la Chine ancienne, comme dans d'autres civilisations hydrauliques, les philosophes exposèrent, devant les représentants du pouvoir absolu, que le gouvernement peut choisir l'altruisme, l'équilibre, ou l'égoïsme brutal. Confucius rappelle que Yù, le fondateur légendaire de la dynastie protohistorique Hsia, se nourrissait frugalement, s'habillait pauvrement, habitait une maison modeste et consacrait toutes ses forces aux canaux d'irrigation. Ce grand héros culturel que Confucius considérait comme exemplaire (5) alliait un minimum d'exigence personnelle à un maximum de dévouement à la cause publique. A une époque plus tardive de l'histoire chinoise primitive, les rois vivaient très confortablement ; mais les meilleurs d'entre eux ont la réputation d'avoir recherché un équilibre entre l'intérêt de leurs sujets et leur intérêt propre. Le philosophe Mencius, analysant ce point, ne contestait pas le droit des souverains à construire de hauts édifices, des parcs et des lacs, en utilisant la corvée ; mais il demandait que le peuple soit admis à partager la jouissance de ces réalisations avec son souverain (6). Ainsi, les philosophes de la Chine antique étaient convaincus qu'il y avait d'authentiques possibilités d'action dans le cadre des besoins gouvernementaux. Sans exception cependant, les maîtres des Etats que nous avons évoqués satisfirent les besoins de construction, d'organisation et d'acquisition du royaume, en tenant surtout compte de leur propre avantage et bien peu de celui de leurs sujets. b. - L'optimum administratif des souverains. En sa phase primitive, le régime hydraulique devient plus fort et plus riche grâce au développement de son économie hydraulique. Mais à un certain niveau, le gouvernement peut obtenir des rentrées supplémentaires en intensifiant plutôt ses opérations d'acquisition que celles de production. C'est à ce niveau que les différentes combinaisons du pouvoir mènent à des optima administratifs différents.
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L'optimum administratif des souverains est atteint toutes les fois que le gouvernement reçoit un revenu maximum pour un minimum d'effort hydraulique. L'optimum administratif du peuple est atteint toutes les fois qu'un maximum d'ouvrages hydrauliques s'accomplit pour un minimum de dépense administrative. Les solutions intermédiaires comprennent l'obtention d'un revenu important mais non maximum, dont une bonne partie est employée à l'élaboration d'ouvrages hydrauliques importants mais non máxima. Les réponses des souverains à ces alternatives montrent clairement quel est l'effet du pouvoir absolu sur ceux qui en disposent. Au-delà de la zone du bénéfice stimulant, ils favorisent généralement les seules entreprises hydrauliques ayant une incidence favorable sur leur propre confort ; et toute leur ingéniosité s'emploie à développer de nouvelles méthodes d'exploitation fiscale. En résumé, ils ne recherchent pas l'optimum administratif du peuple, mais celui des souverains. c. - Le maximum de consommation des souverains. On peut aussi distinguer trois grandes possibilités dans le domaine de la consommation. Le maximum de consommation des souverains est atteint toutes les fois que les maîtres de l'Etat hydraulique s'attribuent un maximum de denrées qu'ils consomment avec un maximum d'ostentation («splendeur»). Le maximum de consommamation du peuple est atteint toutes les fois que les membres non gouvernementaux de la société reçoivent un maximum de denrées qu'ils peuvent consommer avec le degré d'ostentation de leur choix. Des solutions intermédiaires sont profitables aux représentants du gouvernement, sans cependant restreindre sérieusement la liberté de la consommation publique. Cette fois encore, les réponses à ces possibilités montrent quel est l'effet du pouvoir absolu sur ceux qui en disposent. La splendeur proverbiale du despote oriental, de même que la misère proverbiale de ses sujets, ont leurs racines dans une politique économique menée en vue d'un maximum de consommation non du peuple mais des dirigeants. Ce maximum a un aspect économique et un aspect légal. En concentrant le surplus national entre leurs propres mains, les dirigeants restreignent la quantité de denrées disponibles pour les consommateurs non gouvernementaux. En interdisant légalement l'usage général de denrées auxquelles s'attache un prestige, ils se réservent exclusivement toute consommation ostentatoire. Dans les
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civilisations hydrauliques simples, les deux buts peuvent être atteints sans difficulté. Des différenciations sociales croissantes compliquent la question, mais n'excluent pas une situation qui, pratiquement, aboutit à un maximum en faveur des dirigeants. Dans l'empire inca, les gens du peuple mangeaient frugalement et avaient peu d'occasions de s'enivrer (7). Les dirigeants mangeaient extrêmement bien et buvaient à l'excès (8). De plus, la disparité entre ces deux groupes était accentuée par des lois qui réservaient l'usage de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, des plumes de couleur et de la laine de vigogne aux membres de la classe dirigeante. Les gens du peuple pouvaient posséder quelques ornements modestes, mais même ceux-ci n'étaient autorisés qu'en des occasions bien définies (9). Des règlements de cet ordre sont aisés à appliquer quand la grande majorité du peuple se compose de paysans vivant dans des villages plus ou moins égalitaires et dirigés selon un plan gouvernemental. La création de nombreuses entreprises fondées sur la propriété implique le développement de formes de richesse non bureaucratiques, tant mobilières qu'immobilières ; et un tel développement inllue inévitablement sur le type de consommation. Même dans ces circonstances, la masse de la population rurale et urbaine continue à vivre pauvrement ; et la classe peu nombreuse des propriétaires non bureaucratiques voit sa fortune constamment menacée par la taxation et la confiscation (et, ultérieurement, morcelée par les lois de succession). Mais partout où les grandes affaires basées sur la propriété privée étaient devenues essentielles on n'a pas pu empêcher leurs entrepreneurs de profiter d'au moins une partie de la richesse qui en découlait. Ainsi, les lois qui réservaient certains types de vêtements ou d'autres denrées ostentatoires à la classe dirigeante, devinrent un moyen essentiel de placer les membres de la machine gouvernementale et du clergé de la religion dominante au-dessus des masses populaires. Dans la Chine traditionnelle, les fonctionnaires et les membres non fonctionnaires de la famille se distinguaient par leurs maisons, leur mobilier, leurs vêtements, leurs véhicules (10). Les Livres de la Loi hindous prescrivent avec une grande précision les vêtements, les ceintures, les bâtons, etc., que doivent porter les brahmanes, les kshatriyas, et les vaisyas (11). Dans le Proche-Orient, des caractéristiques vestimentaires distinguant les membres de la bureaucratie se trouvent attestés par des documents concernant l'Egypte pharaonique (12), la Syrie (13), Byzance (14), le
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califat arabe (15), les mameluks (16) et la Turquie ottomane (17). Dans les limites de ces réglementations, les gens du commun pouvaient — en théorie — jouir de leurs richesses. Mais ils cachaient toujours leurs possessions les plus précieuses et fréquemment leur crainte des confiscations était telle qu'ils évitaient toute ostentation. Les persécutions générales contre les marchands sous la dynastie Han en sa première période furent provoquées par un déploiement ostentatoire de luxe (18). Sous un gouvernement qui n'essaie nullement d'approcher le maximum de rationalité, les victimes potentielles des confiscations doivent agir avec des précautions extrêmes. Le médecin français Bernier qui vécut au Proche-Orient de 1655 à 1658, et passa ensuite près de dix années en Inde mongole, fut frappé par l'atmosphère de frustration dans laquelle vivaient les gens d'affaires en Asie. Une entreprise trouvait « peu d'encouragements dans ses activités commerciales », parce que des tyrans cupides possédaient « à la fois le désir et le pouvoir de priver tout homme des fruits de son industrie ». Et « une fois la richesse acquise, comme cela arrive parfois, son possesseur, loin de vivre dans un confort accru et de prendre une attitude indépendante, étudie les moyens de paraître indigent ; son costume, son habitation, ses meubles sont toujours aussi pauvres et il se garde par-dessus tout de se permettre les plaisirs de la table» (19), Il ne faut pas généraliser les observations de Bernier. Sous des souverains plus clairvoyants, les riches marchands de l'Asie vivaient dans le luxe, tant que leur comportement ne provoquait pas une catastrophe. Et même dans l'Inde d'Aurangzeb, quelques personnes riches protégées par le gouvernement, nous dit Bernier, « ne se soucient pas de contrefaire la pauvreté, mais jouissent du confort et du luxe de la vie » (20). Mais de telles exceptions ne contredisent pas la tendance fondamentale. Dans les civilisations hydrauliques, les riches gens du commun n'avaient pas droit à la sécurité de la propriété dont jouissaient les bourgeois de la fin du moyen âge ; et ils n'osaient pas se livrer à une consommation ostentatoire, comme le faisaient les commerçants médiévaux en dépit des nombreuses lois somptuaires auxquelles ils étaient soumis. Ce déploiement de luxe chez les représentants du gouvernement d'une part, et la prédominance d'une pauvreté réelle ou feinte de l'autre, montrent spectaculairement l'effet du pouvoir total sur le maximum de consommation dans la société hydraulique.
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d. - L'optimum judiciaire, des souverains. De la même façon, le domaine judiciaire se signale par des décisions unilatérales. Comme nous l'avons déjà expliqué, il n'y a pas de société sans normes standardisées ; et peu de civilisations agraires avancées restent sans lois écrites ou coditiées. C'est ainsi que leur contexte particulier et leur esprit distinguent les lois du despotisme hydraulique de celles des Etats à direction pluraliste. L'optimum judiciaire des souverains est atteint toutes les fois que les représentants du gouvernement exercent un maximum d'influence sur la formulation et l'application des lois de leur pays. L'optimum judiciaire du peuple est atteint toutes les fois que les éléments non gouvernementaux exercent une influence décisive. Dans les républiques démocratiques, le citoyen constitutionnellement qualifié peut collaborer à la formulation des lois. 11 peut exercer les fonctions de juge, comme dans la démocratie athénienne ou il peut, en qualité de juré, coopérer avec des juges élus, mais pourvus d'une formation professionnelle. Dans les deux cas, les forces non gouvernementales de la société, et non pas l'Etat despotique, ont la charge d'appliquer la loi. Des variantes intermédiaires ont pour caractéristiques une puissance gouvernementale accrue, mais non absolue, et un contrôle populaire proportionnellement réduit sur le pouvoir législatif et judiciaire. Il est évident que le premier type d'optimum judiciaire prévaut dans la société hydraulique. Et il est également évident que dans le domaine judiciaire, comme dans d'autres, les maîtres de l'Etat hydraulique recherchent le maximum de résultats (ordre interne) pour un minimum d'efforts et de dépenses gouvernementales. Us l'obtiennent non pas en cédant d'importantes fonctions judiciaires à des cenIres de pouvoir secondaires quasi indépendants, comme le firent les souverains de l'Europe féodale (b), mais en permettant à des groupes sans pouvoir politique, de traiter certaines de leurs affaires civiles ou en permettant aux magistrats de traiter les questions de droit en plus de leurs autres attributions, ou bien, là où l'existence de juges professionnels est de règle, en employant aussi peu que possible des juges à temps complet. De telles conditions excluent le développement de jurys indépendants. Elles défavorisent également les procédures judiciaires complexes. Et elles laissent peu de (b) L e s fonctionnaires q u i tiennent une terre et les collecteurs d ' i m p ô t s qui à l'occasion font fonction de juges, sont e n t i è r e m e n t ou partiellement i n t é g r é s à l'appareil bureaucratique. V o i r plus loin, chap. 8.
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place à l'exercice indépendant de la profession de juriste. A l'intérieur de ces limites, les juges d'une société hydraulique tranchent les litiges — beaucoup d'entre eux proviennent du conflit entre des intérêts de propriétaires — et dans des pays possédant une vie urbaine hautement commercialisée, ce champ d'action peut devenir très important (21). Cependant, même dans les conditions les plus rationnelles, les lois de tels pays expriment une situation sociale fondamentalement déséquilibrée. Même si elles protègent un homme du commun contre un autre, elles ne protègent pas les hommes du commun — en tant qu'individus ou en tant que groupe — contre l'absolutisme de l'Etat. Peu après les commentaires de Bernier, John Locke analysa le même phénomène ; et les exemples qu'il donne, empruntés à la Turquie ottomane, à Ceylan et à la Russie tsariste, montrent qu'il sait que la variante tyrannique de la procédure judiciaire que l'autocratie anglaise ne réussit pas à développer pleinement, ne connaissait pas d'obstacle sous le despotisme oriental. Locke insiste sur le fait que la présence de lois dans un régime despotique n'implique nullement que ces lois soient justes : « Si l'on demande quel recours, quelle protection il y a dans un tel Etat contre la violence et l'oppression de ce souverain absolu, c'est une question qu'on peut à peine poser. Ils sont prompts à vous dire que demander la sécurité, à soi seul, mérite la mort. Entre sujet et sujet, vous accorderont-ils, il faut des mesures, des lois et des juges pour la paix et la sûreté mutuelles. Mais pour le souverain, il devrait être absolu et il est au-dessus de telles circonstances ; parce qu'il a le pouvoir de faire plus de mal et de tort, le droit lui en appartient. Demander comment vous garder des atteintes ou des dommages qu'il pourrait causer, alors qu'ils seraient le fait de la main la plus forte, c'est déjà la voie de la faction et de la rébellion. Et quand les hommes, quittant l'état de nature, s'assemblèrent en sociétés, ils convinrent que tous sauf un seraient soumis à la contrainte des lois ; que celui-là garderait toute la liberté de l'état de nature, accrue par le pouvoir et transformée en licence à cause de l'impunité. C'est penser que les hommes sont si stupides qu'ils se gardent des dommages que pourraient leur causer les lynx et les renards, mais sont satisfaits et même pensent qu'il est plus sûr d'être dévoré par les lions» (22).
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« L E POUVOIR
ABSOLU
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CORROMPT
ABSOLUMENT »
Voilà une sentence amère. Au contraire des apologistes modernes des lois et des institutions totalitaires, Locke refuse de se fier à la bienveillance potentielle de l'autocrate : « Celui qui pense que le pouvoir absolu purifie le sang de l'homme et corrige la bassesse de sa nature n'a besoin que de lire l'histoire de ce siècle ou de tout autre pour être convaincu du contraire » (23 ). La version positive que donne Lord Acton de la thèse de Locke est bien connue : « Tout pouvoir tend à corrompre et le pouvoir absolu corrompt absolument» (24). Accepter cette idée ne signifie pas que l'on accepte la vision pessimiste de Locke quant à « la bassesse de la nature humaine ». L'homme agit, poussé par des motifs divers, qui, en des circonstances différentes, opèrent avec des forces différentes. L'égotisme, autant que le sens communautaire, cherche à s'exprimer ; et il dépend de l'héritage culturel et du contexte général que l'un ou l'autre domine. Un ordre gouvernemental — ou économique — menant au pouvoir absolu, encourage les détenteurs du pouvoir à satisfaire de manière absolue leurs intérêts privés, et leur en donne le moyen. Et c'est pour cette raison que le despotisme agraire, comme le despotisme industriel, corrompt absolument ceux qui se chauffent au soleil du pouvoir total. 5.
-
L'OPTIMUM
DE
PROPAGANDE
DES
SOUVERAINS
L'influence corruptrice est encore favorisée par un conditionnement unilatéral de l'opinion publique. On peut influencer l'opinion publique de différentes façons ; et ici comme ailleurs l'intérêt des dirigeants et l'intérêt du peuple divergent totalement. Cela devient évident dès que les virtualités essentielles se dessinent. L'optimum de propagande des dirigeants est atteint toutes les fois que les réalisations vraies ou supposées du gouvernement reçoivent un maximum de publicité sans critique, tandis que la vie, les souffrances et les idées du peuple reçoivent un minimum d'attention. L'optimum de propagande du peuple implique la présentation des échecs du gouvernement au même titre que ses réalisations. Les variantes intermédiaires favorisent le gouvernement sans empêcher les forces non gouvernementales de la société d'exposer leur propre cas. Une critique populaire indépendante diffère en qualité et en esprit des nombreuses critiques permanentes faites par les membres influents de la bureaucratie. La critique bureaucratique est vitale pour le fonctionnement adéquat
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d'une administration complexe, mais elle s'exprime soit derrière des portes closes, soit dans des publications accessibles à un nombre limité de personnes instruites, généralement membres du groupe dirigeant. Pour l'un et l'autre cas, les problèmes du peuple sont envisagés essentiellement du point de vue d'un intérêt gouvernemental plus ou moins rationnellement compris (c). Maniant le pouvoir total, les maîtres de l'Etat hydraulique peuvent facilement maintenir à son niveau optimum la propagande des souverains. Dans des conditions sociales non différenciées, la voix du gouvernement (fréquemment celle du souverain lui-même) noie toute critique, excepté celle qui se fait jour par le moyen inoffensif des contes et des chansons populaires. Des conditions plus différenciées fournissent des issues supplémentaires ; religions et philosophies secondaires, contes, romans et théâtre populaires. Mais ces moyens mêmes restent faibles. A la différence des écrivains indépendants, qui, dans les conditions de l'absolutisme occidental mettaient en cause non seulement les excès mais les fondements mêmes de l'ordre despotique, les critiques de la société hydraulique, dans presque tous les cas, se sont plaints des méfaits de fonctionnaires isolés ou des dommages causés par certains actes gouvernementaux spécifiques (d). A part celles des mystiques qui prêchent la retraite totale, ces critiques ont pour but final la régénération du système de pouvoir total dont ils ne mettent pas en doute qu'il soit le meilleur possible. 6.
-
L A DOUBLE FONCTION D U M Y T H E
a. - Il fait longé.
valoir
l'intérêt
d'un
DE L'ETAT-PROVIDENCB
régime
despotique
pro-
L'avantage du mythe de l'Etat-providence qui auréole le despotisme est double. En présentant le souverain et ses auxiliaires comme désireux d'atteindre l'optimum rationnel en faveur du peuple, ce mythe permet aux porte(cj Dans les sociétés étatiques totales d'aujourd'hui, la critique populaire dirigée par l'Etat sert à compléter et à dramatiser la critique gouvernementale des éléments douteux, en particulier dans les classes moyennes et inférieures de la bureaucratie. On a encouragé une critique de cet ordre dans de nombreuses sociétés hydrauliques. Les lettres à Staline diffèrent d'un point de vue technique mais non institutionnel des lettres et pétitions adressées dans lepassé aux despotes orientaux. (d) Souvent des fonctionnaires gouvernementaux mettent en accusation des collègues qui ont fait des erreurs ou des procédures administratives nocives plus durement que ne le font les personnes ne faisant pas partie du régime.
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parole officiels d'instruire et de discipliner les membres de leur propre groupe. Le détenteur du pouvoir qui opère au-dessous du minimum rationnel des souverains met en danger la sécurité de l'appareil gouvernemental, tandis que celui qui opère au-dessus de ce niveau assure la stabilité du régime. Il exploite son verger comme devrait le faire un jardinier intelligent (25). De plus, le souverain et ses hommes ne doivent pas affaiblir leur situation par de grossières négligences d'administration, une taxation excessive ou une injustice criante. Le mythe d'un despotisme altruiste (bienveillant) ne fait que dramatiser ces aspirations qui, consciemment ou inconsciemment, sont présentes à l'esprit de tous les membres intelligents de la classe au pouvoir. b. - 7/ affaiblit
l'opposition
potentielle.
Le mythe de l'Etat-providence fait plus d'effet sur les forces non gouvernementales de la société que sur les détenteurs du pouvoir. Le mythe admet que des souverains ou des fonctionnaires isolés puissent se montrer indignes, mais il dépeint l'ordre despotique comme fondamentalement bénéfique — pratiquement comme le seul système raisonnable et possible de gouvernement. Ainsi le sujet, amer, soumis de façon permanente à une telle propagande, ne peut guère lutter pour la création d'un ordre nouveau et moins despotique. Lui et ceux qui pensent comme lui peuvent se retirer dans les montagnes. Us peuvent tuer quelques fonctionnaires locaux. Ils peuvent vaincre les soldats du gouvernement. Ils peuvent même renverser une dynastie chancelante. Mais à la fin, ils ne feront que recréer — et regénérer — le despotisme agro-institutionnel dont ils auront éliminé les représentants incompétents. Les héros de la célèbre histoire de brigands chinois, le Shui-hi-Ch'uan, ne pouvaient imaginer rien de mieux que de recréer dans leur île rebelle une version en miniature de cette hiérarchie bureaucratique qu'ils combattaient si farouchement. c. - L'existence de bons souverains et de fonctionnaires justes ne suffit pas à renverser la tendance dominante.
Si l'homme était exclusivement égocentriste, le résultat de tout cela serait très simple. Et très triste. Mais l'homme est aussi doué d'un sens communautaire. Et ce trait de son caractère trovwe aussi son expression dans une société hydraulique. Naturellement, dans les conditions du despotisme agraire, il est difficile d'être un bon
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souverain ou un fonctionnaire juste. Mais ce n'est pas impossible. A travers le monde hydraulique, des souverains sérieux remplirent leurs devoirs administratifs et judiciaires avec conscience et des fonctionnaires probes luttèrent contre l'oppression fiscale et judiciaire. De courageux fonctionnaires tentèrent de promouvoir ce qu'ils considéraient comme une politique juste, quitte à s'opposer pour ce faire aux souhaits de leurs supérieurs puissants et, à l'occasion, à ceux de leur souverain lui-même. Mais ceux qui s'engagent dans cette voie entrent en conflit avec l'intérêt d'un groupe important, complaisant envers soi-même et intrigant ; et l'histoire montre que c'est à peine s'il se trouva une poignée de personnes douées (éthiquement « possédées » ) de cet esprit communautaire. De plus, même ce groupe pathétiquement réduit d'hommes « bons » ne se rendaient pas tout à fait compte de l'orientation réelle de cet optimum des souverains en faveur duquel ils militaient. Le gentleman bureaucrate de Confucius, le souverain idéal de la Bhagavadgifa, et l'homme d'Etat « juste » de la Rome antique et du MoyenOrient islamique essaient également d'être justes dans le cadre d'une société qui a accepté une fois pour toutes les idéaux despotiques en matière de pouvoir, de revenu pt de prestige. 7.
- L E DESPOTISME
HYDRAULIQUE CONTENU
.• F O R M E
PROVIDENTIELLE,
TYRANNIQUE
Ainsi, les despotes agro-institutionnels peuvent présenter leur régime comme un régime providentiel ; mais en fait, et même dans les circonstances les plus favorables, ils travaillent pour leur propre optimum de rationalité et non pour celui du peuple. Ils entreprennent des travaux hydrauliques qui doivent servir à leur puissance et à leur richesse. Et ils se taillent leur part, en qualité de maîtres fiscaux du surplus national et de consommateurs prestigieux. Staline prétend que dans un Etat socialiste, comprenons un Etat industriel dirigé par un appareil, la culture d'une minorité nationale est nationale dans la forme et socialiste dans le contenu (26). L'expérience prouve que la substance « socialiste » (lire : apparatchik) efface rapidement tous les éléments nationaux sauf les plus insignifiants. Un mécanisme analogue fonctionne dans l'Etat dirigé par un appareil de type agraire. Paraphrasant la formule de Staline et remplaçant mythe par réalité, nous pouvons dire avec véracité que le despotisme hydraulique est providentiel dans sa forme et tyrannique dans son contenu.
CHAPITRE V
TERREUR TOTALE, SOUMISSION TOTALE, SOLITUDE TOTALE A. — L'HOMME AUTONOME SOUS L E POUVOIR TOTAL L'homme n'est pas une fourmi. Ses efforts pour échapper à la liberté (1) le montrent attiré de façon ambivalente par ce qu'il abandonne de façon ambivalente. Le besoin d'agir de façon indépendante est un attribut essentiel de l'homo sapiens et un attribut d'une extrême complexité. Tous les éléments qui le composent n'ont pas une valeur sociale égale ; mais parmi eux se trouve l'impulsion la plus précieuse de l'homme : le besoin d'obéir à sa conscience, quels que puissent être les désavantages extérieurs qui en résulteront. Qu'advient-il du désir d'autonomie de l'homme dans les conditions du pouvoir total ? L'une des variantes du pouvoir total, le despotisme hydraulique, ne tolère aucune force politique si ce n'est la sienne. En ce sens, il réussit sur le plan institutionnel en arrêtant le développement de telles forces ; et il réussit sur le plan psychologique en décourageant l'aspiration de l'homme à une action politique indépendante. En dernière analyse, le gouvernement hydraulique est un gouvernement par intimidation. B. — L A TERREUR EST ESSENTIELLE A LA CONSERVATION DE L'OPTIMUM DE RATIONALITÉ DES SOUVERAINS 1.
- L A NÉCESSITÉ
L'homme n'est pas une fourmi. Pas davantage une pierre. Une politique qui entretient l'optimum de propagande du souverain sème la confusion dans l'esprit popu-
TERREUR,
S O U M I S S I O N , S O L I T U D E T O T A L E S (5,
B)
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laire, mais n'élimine jamais un sentiment de frustration et de mécontentement. Incontrôlés, ces sentiments peuvent amener à une rébellion. C'est pour maîtriser cette dangereuse tendance que le régime hydraulique a recours à l'intimidation. La terreur découle inévitablement de la résolution prise par les dirigeants de préserver leur propre optimum de rationalité et non celui du peuple. 2.
- RECONNAISSANCE
OFFICIELLE
DE
CETTE
NÉCESSITÉ
:
« L E C H A T I M E N T E S T ROI ! »
Nombreux sont les porte-parole du despotisme hydraulique qui ont insisté sur la nécessité de gouverner au moyen du châtiment. Une telle politique peut se justifier par l'argument que rares sont les innocents (1). Confucius préférait instruire plutôt que punir ; lui aussi pensait cependant qu'il faudrait cent ans de bon gouvernement « pour transformer ceux qui sont mauvais et violents et pour se passer de la peine capitale » (2). Ainsi, avec des arguments différents, le châtiment a-t-il été considéré comme un outil essentiel du gouvernement efficace. Le Livre des Lois de Manou pose le châtiment terrifiant comme fondement de la paix et de l'ordre intérieurs. Un châtiment qui — naturellement — doit être juste oblige chacun à se conduire selon l'ordre (3). Sans lui, les frontières des castes seraient franchies ; et tous les hommes se dresseraient les uns contre les autres. « Partout où passe le Châtiment de couleur noire et à l'œil rouge» (4), les sujets vivent en paix. «L'ordre est maintenu dans le monde entier par le châtiment»
(5).
Par le châtiment, le souverain protège le faible contre le fort, le sacrifice contre les déprédations animales, la propriété contre ses ennemis (non gouvernementaux) et il protège les classes sociales supérieures contre les menaces venues d'en bas. « Si le roi n'infligeait pas sans se lasser les châtiments à ceux qui méritent d'être punis, le plus fort ferait rôtir le plus faible comme poisson en broche ; le corbeau mangerait le pain du sacrifice et le chien lécherait les viandes du sacrifice, et les biens ne seraient plus protégés et les inférieurs (usurperaient la place) des supérieurs » (6). Ainsi « le châtiment seul gouverne toute chose créée, le châtiment seul protège les créatures, le châtiment veille sur elles, tandis qu'elles dorment» (7). En vérité, « le châtiment est... roi » (8). Les souverains de la Mésopotamie antique prétendaient tenir leur pouvoir du grand Enlil (9). Ce dieu terrifiant symbolise « la force, le pouvoir de plier à sa volonté. Les volontés contraires sont écrasées, battues et soumises» (10). Bien qu'il soit censé n'user de ce cruel
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L E DESPOTISME
ORIENTAL
pouvoir qu'à bon escient (11), « o n ne peut jamais se sentir en paix devant Enlil, mais on éprouve une obscure frayeur» (12). En ce cas, la promptitude du souverain à s'identifier avec Enlil ou avec des divinités de sa lignée, est profondément significative. Les rois sumériens s'identifiaient d'ordinaire directement avec Enlil (13). Les Babyloniens gardèrent cette idée fondamentale, mais en la modifiant. Hammourabi se décrivait comme « appelé » par Enlil ; et il désigne le fils d'Enlil, Sin, pour son père divin (14). Dans les deux cas, les souverains mésopotamiens insistaient sur cet attribut de terreur qui leur appartenait. La terreur inhérente au despotisme des pharaons est symbolisé par l'Uraeus, le serpent mortel lové sur le front du souverain et qui menace ses ennemis de destruction \ 15). Les actions du roi sont aussi comparées à celles de la déesse lionne qui inspire la terreur, Sekhmet (a). Le gouvernement chinois apprit à exprimer son besoin sous la forme rationnelle et morale du confucianisme. Mais le châtiment était l'arme primordiale des soi-disants Légalistes et des confucianistes influencés par les Légalistes, tels que par exemple, Hsùn Tsu. Et il demeura la pierre angulaire de la politique officielle, tout au long de la période impériale. Ce que nous appellerions ministère de la justice était connu en Chine traditionnelle sous le nom de ministère des châtiments. Le souverain islamique veillait à être à la fois respecté et craint (16). Les Mille et une Nuits qui représentent Haroun al-Rachid généralement accompagné de son exécuteur des hautes œuvres, dépeint une vérité historique en travesti. Le bourreau était un personnage-type de la cour des Abbassides. 3.
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MORPHOLOGIE
DE L A VIOLENCE
Naturellement, tous les gouvernements dignes de ce nom ont des moyens d'imposer leur volonté à leurs sujets et l'usage de la violence est du nombre. Mais chaque
(a) V o i r Breasted, 1927. I : 327, et 11 : 92, et I V : 166 ; E r m a n , 1923 : 78 sqq. ; et Wilson, 1950 : 11. Selon une l é g e n d e , Sekhmet se manifesta pour la p r e m i è r e fois pour é c r a s e r une conspiration. Q u a n d le dieu s u p r ê m e , R â , « v i t les choses que l ' h u m a n i t é complotait contre lui » il conjura une force p o u r é c r a s e r les conspirateurs. Alors « Sekhmet naquit ». R a p i d e m e n t , elle « v a i n q u i t l ' h u m a n i t é » et d é s i r e u s e de boire d u sang h u m a i n — ou ce qu'elle croyait ê t r e d u sang h u m a i n — « elle but et ce fut bon à son c œ u r » (Wilson, 1950 : 11). V o i r E r m a n , 1923 : 78 sqq.
TERREUR,
SOUMISSION,
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TOTALES
(5,
B)
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société se forge des procédés différents en vue d'intégrer (ou de fragmenter) la violence et de la contrôler (ou de ne pas la contrôler). a. - Des formes de la violence : intégration
ou dispersion.
Dans la Grèce antique, les hommes libres portaient ordinairement des armes —• selon Thucydide, « parce que leur foyer n'était pas défendu» (17). En d'autres termes, le gouvernement ne se réservait pas le monopole de l'emploi de la force. Avec le développement de la sécurité publique, cette coutume primitive disparut dans la la plupart des cités (18) ; mais les citoyens qui étaient des guerriers en puissance gardèrent leurs armes chez eux. Les documents picturaux représentant le début d'une campagne montrent « surtout la femme apportant de la maison les armes à l'homme qui part» (19). Dans l'Europe médiévale, les seigneurs féodaux semiindépendants animèrent, dès les origines, des centres secondaires importants d'action militaire, et avec le temps, de nombreuses villes se donnèrent une armée. Ces noyaux féodaux et urbains de vie politique et militaire étaient libres d'user de la violence, tant à l'intérieur de leur propre juridiction que les uns contre les autres. Le vassal qui apparaissait devant son suzerain l'épée au côté, exprime de façon frappante quelle sorte de violence, dispersée entre plusieurs et équilibrée, caractérisait la société féodale. La concentration de l'emploi légitime de la force entre les mains des représentants de l'Etat ne se produit pas seulement dans des conditions de pouvoir total. Des gouvernements constitutionnels modernes restreignent de plus en plus l'usage privé de la violence. Mais ils diffèrent des Etats directoriaux agraire et industriel en ceci que les dimensions, la qualité et l'emploi des forces coercitives (armée et police) dépendent de la décision des forces non gouvernementales de la société. Les expériences de la Grèce classique et de l'Occident moderne montrent qu'un pays peut rassembler de puissantes armées sans que ses citoyens en perdent le contrôle. b. - Violence contrôlée contre violence incontrôlée. La discipline de l'armée requiert une subordination inconditionnelle ; et le commandant en chef d'une armée bien coordonnée — ce que n'étaient pas les armées féodales — - exerce une autorité absolue dans les limites de sa juridiction. Cependant, dans un pays démocratique, il reste responsable devant les citoyens qui exercent un contrôle sur le gouvernement. Le commentaire du géné-
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ral Eisenhower sur la méthode soviétique d'attaque à travers des champs de mines, est un exemple des alternatives institutionnelles possibles. Dans « une déclaration réaliste » le maréchal Joukov expliqua au général américain : « Quand nous arrivons à un champ de mines, notre infanterie attaque exactement comme si les mines n'existaient pas. Les pertes dues aux mines, nous les considérons comme simplement égales à celles qu'auraient causées les mitrailleuses et l'artillerie si les Allemands avaient décidé de défendre cette zone en particulier avec de forts effectifs, au lieu de champs de mines ». Eisenhower ajoute sèchement : « J'imaginais ce qui arriverait à un général américain ou britannique s'il employait une telle tactique, j'imaginais encore ce qu'en diraient les hommes de nos divisions si nous avions tenté d'introduire ce mode d'action dans notre stratégie» (20). La méthode soviétique économise le matériel et le temps ; et elle sert parfaitement l'optimum tactique des dirigeants. Evidemment, cet optimum n'est réalisable que lorsque la violence organisée est maniée par les maîtres d'un Etat sans contrôle. La qualité sociale de la violence organisée, comme celle des autres fonctions gouvernementales, change selon le contexte général dans lequel elle se développe. C. — LA TERREUR DANS L E DESPOTISME HYDRAULIQUE Les sujets d'un Etat d'appareil agraire ont peu l'occasion de discuter le problème de la violence non contrôlée. On peut leur accorder la possession d'armes simples et de peu de portée, en particulier dans les villages où il faut se défendre des bandits. Mais l'emploi de la coercition à l'aide d'une armée organisée est le monopole exclusif et inconditionné des dirigeants absolutistes qui généralement n'accordent d'audience qu'à des hommes sans armes. Dans une société hydraulique, le monstre « de couleur noire et aux yeux rouges » n'est pas un chien de garde enchaîné par le peuple, mais un tigre libre de ses actions. 1.
- ASPECTS
MATÉRIELS
Comme le tigre, le détenteur du pouvoir doit disposer de moyens matériels avec lesquels il peut écraser ses victimes. Et le despote agro-institutionnel possède réellement de tels moyens. Il exerce un contrôle sans limite sur l'armée, la police, l'espionnage ; et il a à sa dispo-
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S O U M I S S I O N , S O L I T U D E T O T A L E S (5,
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sition des geôliers, des tortionnaires, des bourreaux et tous les moyens nécessaires pour capturer, réduire à l'impuissance, détruire un suspect. 2. —
a. -
ASPECTS P S Y C H O L O G I Q U E S
Impénétrabilité.
De plus, il peut employer ces moyens au maximum de leur efficacité psychologique. Partout, ceux qui détiennent un grand pouvoir économique ou politique aiment environner de mystère certains de leurs actes ; mais le mode d'action d'un gouvernement despotique est énigmatique en raison de la nature même du régime. Ne devant de compte qu'à eux-mêmes, les hommes de l'appareil ont tendance à traiter les questions, même insignifiantes, en secret ; et ils poussent à l'extrême l'art de la mystification lorsqu'ils veulent intimider et surprendre. L'impénétrabilité est l'une des armes essentielles de la terreur absolutiste. b. - Lénine lois ».
: « ... un pouvoir
qui n'est pas limité
par
des
Lénine définit ainsi la dictature du prolétariat — qu'il tenait pour l'essence même du régime soviétique —- < un pouvoir qui n'est pas limité par des lois» (1). Comme d'autres formules de Lénine, celle-ci allie une demi-vérité impressionnante à d'importantes contre-vérités. Tout d'abord, la dictature soviétique n'a jamais été sous le contrôle des ouvriers russes ; et il existe des preuves nombreuses de la connaissance qu'avait Lénine de ce fait. Deuxièmement, aucun régime, même dictatorial, n'opère sans règlements ou lois de quelque espèce que ce soit ; et cela aussi Lénine le savait. Avant qu'il ne prononce la déclaration citée ci-dessus, son gouvernement de dictature avait déjà promulgué de nombreux statuts et décrets révolutionnaires (2). Le droit du despote à interpréter, changer, transgresser des lois préalablement établies est un principe fondamental constitutionnel et légal du pouvoir absolu. La définition de Lénine éclaire avec une franchise brutale la faculté illimitée du dictateur de se servir des lois comme il l'entend. Dans le domaine de la terreur, il peut aller si loin qu'il devient difficile de distinguer entre terreur légale et terreur hors-la-loi. c. -
La terreur n'a pas toujours besoin d'un fondement légal Un chef ou un souverain ne transgresse pas nécessairement les lois de la communauté hydraulique quand lui"
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même commet — ou donne ordre de commettre — des actes d'une brutalité terrifiante. Dans les tribus hydrauliques restreintes, la cruauté autocratique n'est pas un problème parce que le chef, restant très proche de la tribu, ne peut pas se servir de son pouvoir au-delà de ses fonctions de direction. C'est le cas chez les Suk et leurs voisins hydrauliques et chez tous les Pueblos d'Amérique. Dans les tribus hydrauliques plus importantes, le chef peut chercher à consolider un pouvoir autocratique naissant en faisant régner une terreur spectaculaire. Un chef chagga, par exemple, peut commettre toute espèce de cruauté. On dit que Ndeserno arrachait les cœurs de ses victimes encore vivantes et les faisait rôtir pour ses enfants (3). Un chef qui se livrait à de telles atrocités était contemplé avec une appréhension grave, mais selon Gutmann, « cette cruauté exercée contre les individus ne nuisait pas à son prestige ». Au contraire, la terreur qu'elle inspirait consolidait le régime (4). La cruauté spectaculaire exercée par les chefs des îles Hawaï antiques peut fort bien avoir eu le même but (5) ; et les soi-disant « Textes Cannibales » de l'Ancien Empire indiquent une situation analogue dans l'Egypte préhistorique. L'un de ces textes, trouvé dans une pyramide, montre un souverain mort, tuant, disséquant et accommodant des êtres humains dans le royaume des morts, avec un plaisir gastronomique manifeste (6) ; et un autre le montre enlevant « les femmes à leurs maris toutes les fois qu'il le voulait et selon le désir de son cœur » (a). Dans les civilisations hydrauliques plus différenciées, il est moins nécessaire de renforcer la situation suprême du souverain par des actions spectaculaires d'une brutalité autocratique. Bien que de tels actes ne soient pas complètement absents, ils ne sont perpétrés que par des souverains excessivement cruels (et/ou dont le pouvoir est mal assuré) et par des chefs de dynastie qui opèrent au-dessous du niveau maximum de rationalité des dirigeants. Gaudefroy-Demombynes décrit la cruauté irrationnelle exercée par les califes abbassides comme suit : « Des exécutions improvisées, l'exposition de têtes faisaient partie de la vie quotidienne à la cour des Abbassides. Par exemple, sous le règne de El Mançour, quand un homme est convoqué d'urgence au palais par les gardes du calife, il sait qu'il a
(a) Sethe, P T , II : 354 sqq. L e s chefs chaggas semblent avoir d i s p o s é de l a m ê m e f a ç o n de toutes les filles et de toutes les femmes de leur royaume ( W i d e n m a n n , 1899 : 48 ; voir G u t m a n n , 1909 : 25).
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de grandes chances de ne pas revenir vivant. Il fait son testament, dit adieu à sa famille et prend son linceul sous son bras » (b). En de telles circonstances, le comportement terrifiant du souverain se situait plutôt au-dessus de la loi que contre elle. D'autre part, les fonctionnaires qui avaient recours à des brutalités extrêmes allaient souvent au-delà de l'interprétation la plus large possible de la loi. Ils pouvaient parfois avoir à en rendre compte. Mais bien des bureaucrates qui exercèrent une cruauté « illégale » ne furent critiqués qu'après leur mort. Des actes de terreur excessifs commis par l'autocrate et la bureaucratie sont une manifestation extrême du comportement humain sous un pouvoir total. Cependant, institutionnellement, ils sont probablement moins importants que les innombrables actes de terreur qui étaient perpétrés de manière routinière et dans le cadre souple d'une loi despotique. Ce fut cette terreur quotidienne dans les procédures administrative, fiscale et judiciaire qui firent désigner par certains observateurs le gouvernement despotique hydraulique sous le nom de « gouvernement par la trique ». 3.
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L E
« GOUVERNEMENT
PAR
LA TRIQUE »
a. - La terreur dans la procédure administrative. « Le langage du fouet » semble avoir été d'usage courant au cours des corvées d'Etat de la Sumer antique (7). Sous les Pharaons, tout administrateur pouvait recourir aux châtiments corporels (8). Les témoignages picturaux de l'Egypte ancienne montrent des hommes dirigeant toute espèce d'entreprise publique, le bâton à la main (9). A la fin du 19' siècle, quand les Anglais se mirent à abolir « le gouvernement par la trique », le fouet était encore le moyen standard pour assurer le succès de la corvée hydraulique (10). Les écrivains contemporains qui se laissent grandement impressionner par l'économie planifiée des Incas, feraient bien de se rappeler que le prince inca Garcilaso de la Vega, vantant les réalisations de ses ancêtres, acceptait l'idée que le seul moyen sûr de rendre le peuple industrieux était de le menacer du fouet (11). (b) G a u d e f r o y - D e m o m b y n e s , 1931 : 384. L ' a m i d'un calife abbasside qui allait à l a cour tous les vendredis fut « saisi d'une intense f r a y e u r » lorsqu'il fut c o n v o q u é u n autre jour. L ' a v a i t - o n c a l o m n i é ? A v a i t - o n d é c o u v e r t quelque d é f a i l l a n c e ? Son « angoisse et sa frayeur » s'accrurent jusqu'au m o m e n t o ù i l d é c o u v r i t à son immense soulagement que le s o u v e r a i n l u i demandait seulement de partager avec l u i une heure de loisir et de plaisir (Sauvaget, 1946 :
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b. - La terreur dans la procédure fiscale. Depuis le début de l'époque pharaonique, on combattait par la force les répugnances à payer les impôts. Une satire célèbre du Nouvel Empire dit que le paysan égyptien qui manquait à livrer son imposition en grains était «battu, lié et jeté dans le fossé» (12). Les irrégularités dans l'administration des biens nationaux et sacerdotaux appelaient également des châtiments corporels (13). La Loi sacrée de l'Islam interdisait la torture ; mais les fonctionnaires du fisc des califes trouvèrent apparemment impossible de remplir leur tâche sans avoir recours à la violence (14). Sous la dynastie des Abbassides, la torture servit à assurer la collecte de l'impôt jusqu'en l'an 800 ; et après un court répit de douze ans environ, elle reprit, aussi brutale que jamais. Les agents du gouvernement « battaient les gens, les emprisonnaient, suspendaient des hommes lourds par un bras si bien qu'ils en mouraient presque » (15). L'Arthashastra charge les juges de police et de tribunal de veiller à ce que les taxes rurales soient régulièrement payées et d'user de la force s'il était nécessaire (16). Le Code de la Loi de la Chine impériale prescrivait le fouet comme châtiment standard à employer avec les personnes qui ne remplissaient pas leurs obligations fiscales (17). c. - I.a terreur dans la procédure judiciaire. Le Code chinois étendait l'emploi de la violence audelà du système fiscal. Une résistance prolongée, l'impossibilité de payer pouvaient mener le contrevenant devant les juges ; et s'il était nécessaire, la torture fiscale pouvait être remplacée par la torture judiciaire. La torture judiciaire en vue d'extorquer un témoignage — et fréquemment aussi pour punir — était employée pratiquement dans toutes les civilisations hydrauliques. Dans l'Egypte pharaonique, le fouet était un auxiliaire normal de la procédure judiciaire (18). « Il a été examiné par les verges » est la formule habituelle dans le Nouvel Empire (19). Les sources indiennes, chinoises et Islamiques décrivent la terreur judiciaire avec une grande richesse de détails. L'Arthashastra déclare que « ceux dont la culpabilité est présumée certaine, seront soumis à la torture » (20). A l'exception des bramines (c), on pouvait (c) O n ne p o u v a i t les torturer pour obtenir u n t é m o i g n a g e ; mais, s'ils é t a i e n t coupables d'un crime t r è s grave, on p o u v a i t les marquer a u fer (Arthashastra, 1923 : 270).
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leur infliger « les six châtiments », les « sept sortes de flagellation », les « deux sortes de suspension par le haut» et le « tuyau d'eau » (21). En ce qui concerne les personnes « qui ont commis un délit grave », le livre célèbre est encore plus précis. On pouvait leur infliger les « neuf sortes de coups avec un bâton ; douze coups sur chaque mollet ; vingt-huit coups avec la branche d'un arbre (nakta-mala) ; trente-deux coups sur la paume de chaque main et sur la plante de chaque pied ; deux sur les phalanges, les mains étant jointes de façon à figurer un scorpion ; deux sortes de suspension la tête en bas (ullambane chale) ; la brûlure de l'une des jointures d'un doigt après que l'on ait fait boire à l'accusé du gruau de riz ; l'exposition de son corps à la chaleur pendant une journée, après qu'on lui ait fait boire de l'huile ; l'obligation de coucher sur l'herbe pendant une nuit en hiver. Telles sont les dix-huit sortes de torture... Chaque jour on peut employer une nouvelle espèce de torture» (22). Dans les cas particulièrement graves, tels qu'une tentative pour s'emparer du trésor royal, l'accusé pouvait être « soumis une ou plusieurs fois à l'une ou à toutes les espèces de torture citées» (23). Le Code des Lois chinois décrit un grand nombre d'instruments employés pour extorquer des témoignages (24) ; et les écrits d'administrateurs sincères discutent longuement des méthodes de torture, autorisées ou non (25). Malgré les prohibitions canoniques, les cours séculières des califes extorquaient les témoignages en employant « le fouet, le bout d'une corde, le bâton et la lanière sur le dos et sur le ventre, derrière la tête, sur les parties inférieures du corps, les pieds, les articulations et les muscles » (26). Des méthodes analogues semblent avoir persisté dans le Proche-Orient jusqu'à une époque récente. Dans l'Egypte du 19 siècle « la justice appliquée comme elle l'était, était un objet de terreur presque au même titre pour le témoin innocent que pour l'accusé contre qui le témoignage était porté » (27). e
d. - Pratiques analogues en Occident remarquables pour leur force momentanée et leurs limitations. Manifestement, la torture judiciaire est générale dans le monde hydraulique. Mais est-elle spécifique ? Après tout, la torture avait une place définie dans la législation romaine. Elle apparaît prééminente en Occident, à la fin
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de l'époque féodale et à l'époque post-féodale, dans le domaine de la procédure légale et de l'Inquisition. Et elle survit aujourd'hui dans le « troisième degré ». Tous ces phénomènes doivent être reconnus pour ce qu'ils sont. Us nous rappellent sévèrement que la nature humaine est la même partout et que l'homme succombe à l'influence corruptrice du pouvoir, toutes les fois que les circonstances le permettent. Heureusement, la forme des institutions occidentales empêcha de telles tendances de s'affirmer de façon durable. Mais l'importance qu'elles prirent à certaines époques, dans certains endroits, interdit de s'illusionner et de croire que ce qui s'est produit sous des gouvernements hydrauliques — et ce qui se produit aujourd'hui dans les Etats totalitaires — ne peut pas se produire ici. Les hommes libres indigènes de la Grèce antique et et de la Rome républicaine n'employaient pas la torture, administrative ou fiscale, contre leurs concitoyens — les citoyens n'étaient pas soumis à la corvée et ne payaient pas d'impôts importants — et « en principe » ils n'étaient pas soumis à la torture judiciaire (28). Leur ordre social était trop équilibré pour cela ; cependant pas assez équilibré pour exclure l'emploi d'une torture administrative et judiciaire à rencontre des étrangers et des éléments non libres de la société. En Grèce, la situation de la plupart des esclaves n'était « guère différente de celle des animaux domestiques » (29). Leurs maîtres étaient libres d'employer à leur égard des châtiments corporels (30) ; et les esclaves d'Etat, peu nombreux, employés dans les travaux publics, étaient dirigés par des contremaîtres qui, fréquemment esclaves eux-mêmes, « étaient réputés pour leur dureté » (31 ). En Grèce, les esclaves et les métèques étaient également soumis à la torture judiciaire (32). Dans la Rome républicaine, seuls les esclaves étaient ainsi traités (33). La cristallisation du pouvoir absolu sous l'empire priva les citoyens romains de la protection dont leurs ancêtres avaient joui, à l'égard des formes judiciaires et autres de terreur gouvernementale. La loi romaine, à la fin de l'empire romain et à l'époque byzantine, étendit l'application de la torture judiciaire à l'ensemble des personnes libres (34). Une transformation analogue eut lieu à la fin du moyen âge. La loi franque primitive (salique) ne permettait que la torture des personnes de statut servile (35). Des conflits entre hommes libres étaient réglés par une cour composée de pairs. Les conflits légaux graves se réglaient par l'ordalie ou par un combat judiciaire (36) ; et les bourgeois des cités médiévales qui à l'origine suivaient ces
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mêmes procédures, préférèrent bientôt des méthodes plus humaines et plus rationnelles pour décider de la culpabilité ou de l'innocence (37). L'introduction de la torture judiciaire — significativement étayée par des références à la loi romaine — coïncide avec la montée d'un pouvoir despotique et centralisé à l'échelon national ou provincial (38). La plupart des historiens soulignent que les procédures des cours absolutistes remplacèrent les méthodes féodales d'ordalie et de combat (d). Us mentionnent moins fréquemment le fait, également important, que la nouvelle torture judiciaire remplaça les importantes ébauches de procédure judiciaire rationnelle qui s'étaient développées dans des cités gouvernées par les bourgeois (e). Ces modifications de la procédure judiciaire furent certainement accélérées par l'Inquisition ; et qui étudie cette période est frappé par les tortures cruelles et complexes qui constituaient la question appliquée aux hérétiques. Cependant trois points attirent l'attention : d'abord, l'Eglise, qui s'appuyait sur le droit canon, ne recommandait pas à l'origine l'emploi de mesures extrêmes à l'égard des hérétiques (39). En second lieu la torture judiciaire fut probablement instaurée sur l'initiative d'agents séculiers (f). Troisièmement, les procédures qui s'appuyaient sur la torture étaient brutales également sous les gouvernements absolutistes d'Europe qui, après la Réforme, s'étaient dissociés de Rome (40). Sans aucun doute, la désintégration de la société médiévale stimula à la fois les tendances hérétiques et le désir fanatique de les extirper ; mais c'est seulement dans le cadre d'un pouvoir étatique absolu que ce désir prit la forme de l'Inquisition. Les limites de l'absolutisme occidental marquaient aussi le point au-delà duquel les représentants du pouvoir despotique ne pouvaient contraindre leurs propres sujets. Pendant un certain temps, ils purent employer la torture judiciaire en matière séculière et religieuse, mais la torture
(d) V o i r P e t i t - D e t a i l l i s , 1949 : 309 ; L e a , 1892 : 480, 487 s q q . , 500 s q q . , 505. L e a d é c r i t , assez en d é t a i l , ce a u ' i l appelle t l a r é s i s t a n c e de l a f é o d a l i t é » au d é v e l o p p e m e n t de l a torture judiciaire (1892 : 494 sqq.). V o i r aussi W i l l i a m s , 1911 : 72. (e) A u 1 4 « s i è c l e , en Italie, les c o m m u n a u t é s continuent à c o m b a t t r e l'usage croissant de l a torture (Lea, 1892 : 506 sqq.) ; et à L ù b e c k , é m i n e n t e c i t é franche allemande, les lois r é p r o u v a n t l'ordalie, le duel judiciaire et l a torture ne c é d è r e n t que lentement d e v a n t l a nouvelle l o i absolutiste (ibid. : 483). (f) L e a , 1908, I : 321 ; v o i r G u i r a u d , 1929 : 86. A u 1 2 « s i è c l e , longtemps avant l'instauration de l a torture judiciaire, des h é r é t i q u e s avaient é t é t o r t u r é s à mort ( H e l b i n g , 1926 : 106 sqq.).
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administrative et fiscale ne fut jamais employée contre l'ensemble de la population. Avec la montée de la société industrielle moderne, la torture judiciaire disparut des Etats européens et même de nos Etats du Sud dont l'économie est basée sur l'esclavage et la violence. A présent, l'opinion publique mène une croisade contre des actions de police telles que le « troisième degré ». Ces méthodes ne furent jamais légales ; et leur emploi illégal recule devant la vigilance et la force des organisations de citoyens à l'esprit civique. La Russie pré-mongole (« kievienne») garda plusieurs éléments de la loi byzantine, mais non l'usage du châtiment corporel. Ce procédé, comme la torture judiciaire, semble s'être développé en Russie seulement quand s'installa un despotisme de type oriental, et seulement après la période tartare (41 ). Des méthodes de « troisième degré » continuèrent d'être employées jusqu'aux dernières décades du régime tsariste (42) ; mais la torture qui permettait d'obtenir des témoignages fut abolie dès le début du 19 siècle, quand le développement des formes de vie industrielle fondées sur la propriété privée favorisèrent la limitation des nombreux traits absolutistes de la loi et de la société russes (g). Il fut réservé aux maîtres de l'appareil communiste de renverser ce courant d'humanisation et de réintroduire le châtiment corporal systématique et les tortures en vue d'obtenir des « confessions » (h). e
(g) L e a , 1892 : 581 ; W i l l i a m s , 1911 : 79. P o u r des cas plus tardifs, voir W i l l i a m s , loc cit., et Scott, 1943 : 264. Georges K e n n a n , q u i , à l a fin du 19* s i è c l e , é t u d i a l a vie des prisonniers politiques et des e x i l é s en S i b é r i e , attire l'attention sur les m é t h o d e s arbitraires e m p l o y é e s par la police tsariste : arrestations injustes et emprisonnements, b r u t a l i t é s et tortures ( K e n n a n , 1891, II : 52 sqq.). Ces m é t h o d e s é t a i e n t certainement brutales, mais l a force croissante de l'opinion publique les restreignit de plus en plus ; et une comparaison entre les conditions d é c r i t e s p a r K e n n a n et celles auxquelles sont r é d u i t s les prisonniers s o v i é t i q u e s d'aujourd'hui r é v è l e u n a b î m e de r é g r e s s i o n en m a t i è r e de p r o c é d u r e judiciaire. (h) L e s m é t h o d e s communistes en m a t i è r e de torture judiciaire varient selon 1 é p o q u e , le lieu, les circonstances, les buts ; mais en d é p i t de certaines i n n o v a t i o n s dans l ' a p p l i c a t i o n des m é t h o d e s psychologiques, o n ne peut g u è r e c o n s i d é r e r comme nouvelles les techniques les plus courantes. L a technique qui consiste à tenir quelqu'un é v e i l l é , torture b é n i g n e en apparence mais, en fait, le m o y e n le plus efficace pour briser une v o l o n t é au cours d'un interrogatoire, fit son a p p a r i t i o n dans l'arsenal de c r u a u t é c a l c u l é e des R o m a i n s sous le n o m de tormentum vigilise (Helbing, 1926 : 45). E l l e fut r é - « i n v e n t é e » en 1532 p a r H i p p o l y t u s de Marsilis (Williams, 1911 : 77). L a torture d u j e û n e é t a i t connue sous le n o m de tormentum famis ( H e l b i n g , 1926 : 45). Certaines m é t h o d e s communistes ressemblent à des m é t h o d e s e m p l o y é e s par l'Inquisition. P a r exemple, les passages brusques des bons aux mauvais traitements et inversement, et l a confrontation des confessions d u prisonnier avec celles, vraies o u fausses, des autres ( L e a , 1908 : 415 sqq.). Des m é t h o d e s plus brutales
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ASPECTS V A R I A B L E S DANS
a. - Développements
L E MONDE
C)
183
DE LA TERREUR
HYDRAULIQUE
relativement
bénins.
Dans différentes zones et à différents stades du monde hydraulique les méthodes de terreur furent différentes. Le gouvernement babylonien indigène, par exemple, opérait à un niveau proche du maximum de rationalité des souverains ; et les lois babyloniennes qui nous sont connues, mentionnent comme moyens d'établir la culpabilité ou l'innocence d'un suspect l'ordalie, le serment, les témoignages, mais non la torture (43). Naturellement, la torture judiciaire peut fort bien avoir été employée dans des cas touchant à la sécurité du régime (le Code ne mentionne pas les affaires de cette sorte) ; même pour des délits mineurs, lésant les intérêts du gouvernement, les châtiments étaient d'une brutalité terrifiante (i) ; et il n'y a guère de raison de supposer que le « langage du fouet », qui présidait à la corvée sumérienne, n'ait pas été employé par les maîtres-constructeurs et les maîtresirrigateurs babyloniens. Mais tandis que l'Etat babylonien, en dépit des conseils locaux d'administration, restait un régime absolutiste, il agissait, en matière judiciaire comme dans d'autres domaines, aussi rationnellement que l'on pouvait l'espérer de la part d'un système agro-institutionnel de pouvoir total. b. - Développements
moyens ou
excessifs.
Dans la plupart des civilisations hydrauliques, les dirigeants employèrent pleinement toutes les formes majeures de terreur, la forme administrative, la forme fiscale, la forme judiciaire. De cette manière, ils instaurèrent des types de procédure coutumière, qui furent ensuite codifiés. Ce degré moyen suffisait en général à satisfaire
et plus primitives, à commencer p a r le simple passage à tabac — d o n t l ' a n c ê t r e romain est : L e s verbera (Helbing, 1926 : 45) — donnent u n r é s u l t a t plus rapide que les m é t h o d e s plus « subtiles » d u tormentum vigilùe. Il semble que ces m é t h o d e s aient é t é largement e m p l o y é e s en temps de crise, par exemple au temps des grandes purges, de l a seconde guerre mondiale, et de l a p é r i o d e continuellement tendue q u i suivit cette guerre (voir B e c k et G o d i n , 1951 : 53 sqq., Weissberg, 1951 : 238 s q q . , 242, 246, 296 ; S L R U N , 1949 : 56, 67, 74 sqq.). Naturellement, plusieurs modes de torture s o v i é t i q u e s turent p r é figurés par I v a n I V et ses successeurs. (i) L e v o l de biens publics o u s a c r é s é t a i t p u n i de m o r t ( H a m m o u r a b i , sec. 6, 8. V o i r aussi la t r a d u c t i o n de M e e k , note 45).
184
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
les besoins du régime ; mais assez fréquemment, ceux qui les appliquèrent eurent recours à des méthodes d'une extrême brutalité, qui non seulement donnaient des résultats plus rapides, mais rapportaient aux fonctionnaires qui les employaient un surcroît de revenu. Comme nous l'avons déjà montré, ce ne fut pas le fait de tous les fonctionnaires ; et pour différentes raisons, des pratiques illicites extrêmes pouvaient être sanctionnées. Mais des excès « modérés » tendaient à rester impunis. Et du point de vue de l'homme du commun, l'appareil despotique restait puissant et irrationnel même s'il n'employait que des méthodes standard de torture. Il devenait terrifiant quand il épuisait son potentiel de terreur. D. —- SOUMISSION TOTALE 1.
-
LA
RÉPONSE
DE L'HOMME
A LA MENACE DE L A TERREUR
a. - Le postulat l'obéissance.
du sens commun
TOTALE
et la vertu du civisme :
Vivant sous la menace de la terreur totale, les membres d'une communanuté hydraulique sont obligés d'y conformer leur comportement. S'ils veulent survivre, ils doivent éviter d'attirer l'attention du monstre indomptable. Aux exigences de l'autorité totale, le bon sens recommande une seule réponse : l'obéissance. Et l'idéologie a stéréotypé ce que le bon sens ne faisait que conseiller. Sous un régime despotique, l'obéissance devient la base même du civisme. Naturellement toute vie en communauté requiert quelque coordination et subordination ; et l'aspiration à l'obéissance n'est jamais tout à fait absente. Mais dans les grandes sociétés agraires de l'Occident, l'obéissance est loin d'être une vertu majeure. Dans les cités démocratiques de la Grèce antique, on demandait au bon citoyen quatre qualités majeures : le courage militaire, la foi religieuse, la responsabilité civique, et un jugement équilibré (1). Avant la période démocratique, on prisait particulièrement la force physique et le courage (2). Mais ni à l'époque homérique, ni à l'époque classique, l'obéissance inconditionnelle ne passa pour une vertu chez un homme libre, excepté pendant son service dans l'armée. La soumission totale était le devoir — et le sort amer — de l'esclave. Le bon citoyen
TERREUR,
SOUMISSION,
SOLITUDE TOTALES
(5,
D)
185
agissait selon les lois de sa communauté ; mais aucune autorité politique absolue ne le contrôlait absolument. Et la loyauté que le chevalier médiéval devait à son suzerain ne devenait jamais soumission totale. Le contrat féodal l'obligeait à suivre son suzerain dans des circonstances limitées et codifiées. Parmi les vertus d'un bon chevalier figuraient d'abord l'habileté à monter à cheval, à manier les armes, le courage (3). L'obéissance inconditionnelle en était tout à fait exclue. Dans la société hydraulique, les rapports entre les membres ordinaires de la communauté et les dirigeants obéissaient à des lois très différentes. Déjà au niveau de la tribu on cherche à faire de la subordination un principe. Dans les pueblos américains, on enseignait systématiquement la soumission et une tendance au fatalisme (4). Chez les Chaggas, « le respect du chef est le premier devoir que les parents inculquent à leurs enfants» (5). Dans les civilisations hydrauliques où le pouvoir est centralisé, les détenteurs du pouvoir suprême sont moins près du peuple que dans la société pueblo, et ils sont moins limités par l'influence du clan que dans certains pueblos et chez les Chaggas. Les maîtres de l'appareil agraire sont plus exigeants que les chefs pueblos ; et les moyens dont ils disposent pour imposer leur volonté sont bien supérieurs aux modestes forces politiques des chefs chaggas. Thorkild Jacobsen, analysant la société et la religion dans la Mésopotamie antique, mentionne l'obéissance comme une vertu majeure. En Mésopotamie, une « bonne vie » était essentiellement une « vie d'obéissance» (6). A la différence des guerriers de l'Europe médiévale, qui combattaient souvent en petites bandes et étaient peu soucieux du chef hiérarchique, les Mésopotamiens avaient le sentiment que des « soldats sans roi sont comme des moutons sans leur berger », « des paysans sans bailli sont comme dans un champ sans laboureur », et « des ouvriers sans contremaître sont comme des eaux sans un maître des eaux et des canaux » (7). Ainsi, le sujet devait exécuter les ordres d'un contremaître, de son bailli, et — naturellement — de son loi. « Ces derniers peuvent et doivent réclamer une obéissance absolue» (8). Une soumission que l'on ne peut éviter doit être codifiée : « Le Mésopotamien est convaincu que les autorités ont toujours raison» (9). On trouve des concepts analogues dans l'Egypte des Pharaons. Un bateau doit avoir son commandant, une équipe son chef (10) ; et qui veut survivre — et réussir — doit s'adapter à cet édifice de subordination et de superobéissance : « Ploie le dos devant ton supérieur, celui 8
186
L E DESPOTISME
ORIENTAL
qui, du palais [le gouvernement] te surveille... L'opposition à un supérieur est chose pénible [à qui] vit aussi longtemps qu'il est soumis » (11). La loi de l'Inde hindoue prescrit d'être docile à l'autorité, tant religieuse que séculière. Ceux qui s'opposent aux ordres du roi s'exposent à « différentes sortes de châtiments capitaux» (12). Le Coran exhorte les fidèles à obéir non seulement à Allah et à son prophète, mais aussi à « ceux qui parmi vous détiennent l'autorité» (13). Dans les Etats absolutistes fondés par les Musulmans, ce passage fut invoqué pour insister sur l'importance essentielle de l'obéissance devant l'autorité gouvernementale (14). Confucius concevait une autorité qui réaliserait le maximum tiî ralionalité du souverain. Il voulait donc que chaque fonctionnaire restât juge du bien-fondé des actions du souverain ; et, en cas de conflit sérieux, il envisageait la démission possible d'un fonctionnaire de haut rang (15). Mais cependant, normalement, un fonctionnaire idéal se montrait obéissant à l'égard de son supérieur (16) ; et le respect des supérieurs était un devoir fondamental (17). Le vulgaire n'avait pas le choix. Puisqu'il ne pouvait pas comprendre les questions qui se posaient aux dirigeants, il fallait bien « l'obliger à suivre » ce que l'autorité et la clairvoyance supérieures avaient décidé (18). Dans la bonne société de Confucius, comme dans ses variantes indienne et du Proche-Orient, le bon sujet était le sujet obéissant. 2.
-
PRÉPARATION A L ' O B É I S S A N C E T O T A L E : U N E ÉDUCATION
DISCIPLINAIRE
Le bon sujet était aussi le fils obéissant. Pour Confucius, une éducation qui exige l'obéissance absolue aux parents et aux maîtres, formait la base idéale pour une obéissance absolue aux maîtres de la société. Il n'y a rien de strictement comparable en Europe médiévale. Le fils d'un chevalier féodal était soumis à une discipline sans merci. Dès son jeune âge, il devait s'entraîner à monter à cheval, attaché à la selle ; et pour l'endurcir davantage, on l'enterrait dans le crottin de cheval (19). Jurons et coups l'aidaient à grandir. Comparées trait à trait, il semble que l'éducation d'un jeune chevalier féodal ait été aussi dure, et même plus dure que celle d'un fils de fonctionnaire oriental. Et l'apprentissage d'un jeune artisan européen n'était pas non plus un lit de roses (20).
T E R R E U R , SOUMISSION, S O L I T U D E T O T A L E S (5, D )
187
Mais le comportement des jeunes bourgeois les jours de fête montre que la discipline à laquelle ils avaient été soumis en vue de leur éducation n'était pas un facteur d'inhibition profond (21), et celui des jeunes chevaliers restait également libre. Ces deux groupes faisaient leur apprentissage dans des conditions de relations contractuelles, et non d'autorité absolue, et acceptaient ces premières frustrations pour ce qu'elles étaient : des expériences éphémères. Mais des disciplines analogues — et même moins rudes — peuvent avoir pour effet une soumission totale. Dans la Mésopotamie ancienne, « l'individu se trouvait au centre de cercles d'autorité concentriques qui limitaient sa liberté d'action. Le plus proche et le plus étroit de ces cercles était constitué par les autorités de sa propre famille : père et mère, frère et sœur aînés» ( 2 2 ) . Et « l'obéissance aux aînés de sa propre famille n'est qu'un commencement. Au-delà du cercle de famille se trouvent d'autres cercles, d'autres autorités : l'Etat et la société ». Chacun de ces cercles, et tous à la fois « ont le droit et le devoir d'exiger une obéissance totale» ( 2 3 ) . La sagesse de l'ancienne Egypte lie explicitement l'obéissance domestique à l'Etat. Le fils docile « sera en faveur auprès des chefs, sa parole est mesurée selon ce qui lui a été inculqué» ( 2 4 ) . En Inde hindoue, l'exigence de subordination aux autorités religieuses et séculières se double d'une exigence de soumission dans le domaine de la vie personnelle. L'obéissance est particulièrement due « au maître, au père, à la mère, au frère aîné» ( 2 5 ) . Le Confucianisme décrit la piété filiale comme l'apprentissage par excellence de l'obéissance civique. « Peu nombreux sont ceux qui, en agissant bien envers leurs père et mère, sont enclins à s'opposer à leurs supérieurs. Et nul, s'il répugne à une désobéissance envers ses supérieurs ne se prêtera à une rébellion » ( 2 6 ) . 3.
- L E GRAND S Y M B O L E D E L A SOUMISSION T O T A L E LA
:
PROSTERNATION
L'éducation forme l'homme à l'obéissance inconditionnelle, quand l'autorité despotique l'exige. Elle lui enseigne aussi à accomplir des gestes de respect quand on exige de lui le symbole plutôt qu'une véritable soumission. Il est vrai que toutes les civilisations ont des façons d'exprimer le respect ; et bien des gestes indiquent la subordination ( 2 7 ) . Mais aucun symbole n'a exprimé la subordination totale de manière aussi frappante ni accompagné
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L E DESPOTISME
ORIENTAL
aussi constamment l'expansion du despotisme agraire, que la prosternation. Cette soumission totale se manifeste rituellement toutes les fois qu'un sujet appartenant à un Etat hydraulique approche son souverain ou tout autre représentant de l'autorité. Le sujet, sachant que la colère du maître peut l'anéantir, essaie de s'assurer ses bonnes grâces en se montrant humble ; et le détenteur du pouvoir n'est que trop disposé à codifier et à imposer ces symboles habituels d'humilité. L'inférieur peut signifier sa soumission en plaçant une main sur l'autre comme si elles étaient liées l'une à l'autre (28). Il peut lever ses mains ouvertes, se montrant ainsi volontairement désarmé (a). Ou, à l'extrême, tomber à quatre pattes comme un animal, frapper le sol de la tête, et baiser la poussière. Sous l'ombre du despotisme oriental, la prosternation est une forme frappante du salut adressé au souverain ou à d'autres personnes dont l'autorité est reconnue. Les détails varient ; parfois des symboles différents existent pour signifier le même respect. En général cependant, la prosternation est aussi caractéristique des sociétés hydrauliques qu'elle l'est peu des civilisations agraires évoluées de l'antiquité classique et du moyen âge européen. L'absence de prosternation dans les sociétés hydrauliques primitives indique les limites de l'autorité du chef dans des conditions tribales. Les Indiens pueblos tenaient leur cacique en haute estime ; mais rien ne témoigne de l'existence d'une soumission démonstrative semblable à celle qui s'exprimait ouvertement dans les civilisations hydrauliques supérieures du Mexique aztèque ou du Pérou inca. Les membres des tribus ohaggas acclament leur chef ; et ils font entendre un murmure respectueux quand il arrive ou quand il se lève (29). Mais apparemment leurs démonstrations de respect ne vont pas plus loin (30). Dans les civilisations hydrauliques étatisées et centralisées, on trouve presque partout la prosternation. Aux îles Hawaï, jadis, le pouvoir politique était assez terrifiant pour faire ramper les hommes du commun devant leurs supérieurs (b). Dans le Pérou inca, les plus hauts dignitaires n'approchaient leur souverain qu'à la manière des porteurs de tribut, c'est-à-dire le dos ployant sous un fardeau (31). Dans le Mexique pré-colombien, le respect
(a) O s t r u p , 1929 : 28 sqq. V o i r le moderne « h a u t les mains •. (b) F o r n a n d e r , H A F , V I : 12, 34 (prosternation religieuse), 26 (devant l'effigie royale) ; l a prosternation devant le souverain : Kepelino, 1932 : 12 ; A l e x a n d e r , 1899 : 26 s q q . ; B l a c k m a n , 1899 : 23.
TERREUR, SOUMISSION, SOLITUDE TOTALES (5, D)
189
suprême s'exprimait par la prosternation. Enseigné dans les « collèges » (32 ), cet exercice s'accomplissait devant les personnes royales, les dignitaires (33), et les personnages réputés divins (34). En Chine, la prosternation se pratiqua dès le début de la dynastie Tch'ou — c'est-à-dire pendant la période pré-impériale des provinces (35) ; et elle subsista au long de toutes les phases de l'histoire chinoise. L'épisode des envoyés européens, à qui on demanda de se prosterner devant l'empereur mandchou, révèle à la fois l'importance de cette coutume, et l'embarras qu'elle causa aux hôtes occidentaux. En Inde, à l'époque classique hindoue, on témoignait son respect en embrassant les pieds d'une personne ; et il semble que l'on n'ait approché le roi qu'en attitude de prière (36). On se prosternait devant les divinités et devant la jeune femme d'un maître (c). Cependant, à la fin de la période hindoue, le geste primitif de soumission totale s'accomplissait également devant le souverain (37). Sous la domination musulmane, le souverain (38) et les vénérables hindous (39) étaient également honorés de cette façon. On possède d'abondants documents sur la prosternation dans le Proche-Orient. Les chroniques de l'Egypte des Pharaons décrivent le pays entier « rampant sur le ventre » devant un représentant du roi (40 ). On voit des subordonnés fidèles ramper, baiser (ou humer) le sillage du monarque (41). Des documents picturaux indiquent que dans le Nouvel Empire, les hauts dignitaires employaient d'autres gestes de respect (42) ; mais les sources contemporaines ne mentionnent pas qu'ils aient cessé de se prosterner. Elles indiquent clairement que les inférieurs et les peuples soumis continuaient à se prosterner (43). Dans la Mésopotamie ancienne, on se prosternait devant les dieux, le souverain, et devant d'autres personnalités de distinction (44), et il en allait de même en Perse achéménide (45). Cet usage persista dans les empires hellénistiques des Séleucides (46) et des Ptolémées (47), et aussi en Perse sassanide (48). Cela devint le geste habituel de respect dans la Rome d'Orient au seuil de la période byzantine (49). Inutile de dire qu'il convenait admirablement ibien au climat social byzantin (50).
(c) Voir Manou, 1886 : 69. Dans le second cas, la prosternation avait manifestement pour but d'éviter le contact physique. Sur la prosternation religieuse, voir Jatakam, III : 284 ; IV : 231 ; V : 274 ; VI : 302.
190
L E DESPOTISME
ORIENTAL
A l'origine, les Musulmans ne se prosternaient que pou.- la prière. Plus tard, les Arabes «orientalisés », comme avant eux les Grecs, se prosternèrent aussi dans la vie civique (51). Dans la Turquie ottomane, cette pratique prévalut jusqu'à la fin du sultanat (d). Ainsi dans le monde hydraulique, la prosternation apparaît comme l'expression spécifique de la soumission et du respect. A l'occasion on a pu employer des gestes équivalents dans le même but ; et dans un certain nombre de cas, on voit la prosternation se répandre dans des pays qui n'étaient pas sous la domination de gouvernements despotiques de type oriental. Cependant l'histoire de la proskynesis en Europe médiévale montre combien il était difficile d'imposer cette salutation humiliante dans une société politiquement équilibrée. Quelques vestiges du cérémonial byzantin survécut dans l'Eglise occidentale ; mais les tentatives de certains souverains carolingiens qui voulaient les perpétuer en qualité de rituel séculier ne rencontrèrent aucun succès. En Sicile, sous Roger II et Frédéric II, la prosternation fit une brève apparition, sans doute sous l'influence des Byzantins (52) ou des Arabes qui précédèrent immédiatement les conquérants normands (53). Sans aucun doute, l'habitude rendait l'homme insensible à la signification humiliante de la prosternation, et des améliorations esthétiques en rendaient l'exécution plus plaisante. Mais quel qu'ait été le degré de rationalisation de la prosternation, elle resta à travers les siècles le symbole d'une soumission abjecte. Avec la torture administrative, fiscale et judiciaire, elle marqua d'un signe spécifique l'étendue — et le degré de puissance — du despotisme agraire. E. 1.
-
SOLITUDE TOTALE
LA SOLITUDE C R É É E PAR L A P E U R
La soumission ostentatoire et totale est la seule réponse prudente au pouvoir total. II est manifeste qu'un tel comportement n'est pas fait pour acquérir au sujet le respect de son supérieur ; mais un autre comportement provoque des catastrophes. Là où le pouvoir est polarisé, comme dans la société hydraulique, les relations humaines sont également polarisées. Ceux qui ne disposent d'aucun contrôle sur leur gouvernement ont raison de (d) Ostrup, 1929 : 32 ; Lane, 1898 : 211 (baiser les pieds en signe de soumission abjecte).
TERREUR,
SOUMISSION,
SOLITUDE
TOTALES
(5,
E)
191
craindre d'être écrasés dans un éventuel conflit avec leurs maîtres. Et le pouvoir formidable de l'appareil d'Etat peut détruire non seulement les forces extra-gouvernementales suspectes, mais aussi anéantir complètement les membres individuels du groupe au pouvoir, y compris le souverain lui-même. Bien des inquiétudes obscurcissent le chemin de la vie ; mais peut-être n'en est-il pas de plus cruelle que celie due à l'insécurité que crée un pouvoir total polarisé. a. - Le souverain
: Ne se fier à
personne.
Le souverain, étant le plus illustre, est le plus envié. Dans son entourage, il y a toujours ceux qui rêvent de le remplacer. Et puisqu'une substitution constitutionnelle et pacifique est hors de question, il ne reste qu'un seul moyen : l'élimination physique. Le souverain sage ne se fie donc à personne. Pour des raisons évidentes, les pensées intimes des souverains ont reçu peu de publicité. Mais un comportement manifeste et quelques sentences confirment notre supposition. Des papyrus égyptiens nous ont conservé ce que l'on croit être les conseils d'un pharaon à son fils. Ce message dit : « Tiens-toi à l'écart de ceux qui [te] sont subordonnés, de crainte qu'il n'arrive ce que nul n'avait prévu. Ne les approche pas dans ta solitude. N'abandonne pas ton cœur à un frère, n'aie aucun ami... [même]
quand
tu dors, que
ton cœur
soit gardé,
car
un
homme n'a pas d'ami au jour du malheur » (1). L'Arthashastra nomme les dangers qui entourent le souverain et analyse les différents moyens de les écarter. Sa résidence doit être sûre. Il doit prendre des mesures contre le poison (2). Il lui faut surveiller et contrôler tous les membres de son entourage. Le roi doit épier son premier ministre (3). Il doit se défier de ses proches amis (4), de ses femmes (5), de ses frères (6), et plus particulièrement encore de l'héritier probable. Selon une source fréquemment citée par les classiques du despotisme indien, « les princes, comme les crabes, ont une propension notoire à dévorer leurs pères» (7). Pour prévenir un tel accident, le manuel cite de nombreuses façons de se protéger de son fils (8). b. - Le fonctionnaire
: défiance
perpétuelle.
Le fonctionnaire ne vit pas non plus en sécurité. « Un homme sage aura pour première et constante préoccupation sa propre sécurité ; car la vie d'un homme
192
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
au service du roi peut se comparer à une vie dans le feu ; de même que le feu brûle une partie, ou l'ensemble d'un corps, le roi a le pouvoir de détruire ou de promouvoir l'ensemble de la famille » (9). Une variante persane insiste particulièrement sur le danger qui se dissimule derrière une apparence de sécurité et de succès dans la bureaucratie. «Si [le souverain] t'assure qu'auprès de lui tu es en parfaite sécurité, commence dès ce moment à te sentir dans l'insécurité ; si quelqu'un t'engraisse, attends-toi à ce que très rapidement il te sacrifie » (10). Et la méfiance perpétuelle n'est pas uniquement le lot de ceux qui occupent le sommet de la pyramide bureaucratique. Dans la Chine traditionnelle, comme dans d'autres civilisations hydrauliques, « les hauts fonctionnaires ne peuvent qu'être jaloux de ceux qui sont au-dessous d'eux, car c'est parmi eux qu'il faut craindre des rivaux. Les fonctionnaires inférieurs, d'autre part, ne craignent pas moins ceux qui sont au-dessus d'eux, car c'est de leur part qu'ils peuvent craindre leur renvoi à tout moment » (11). c. - L'homme du commun : l.a crainte d'être pris au piège. A l'homme du commun se posent des problèmes d'un tout autre ordre. Il n'est pas tourmenté par la crainte de chausse-trapes inhérentes au pouvoir autocratique ou bureaucratique, mais par la menace que ce pouvoir représente pour tous les sujets. Un régime qui opère sans contrôle dans le domaine de la taxation, de la corvée, de la jurisprudence, peut fort bien entraîner les sujets dans des situations dangereuses. Et la prudence leur conseille d'éviter les contacts superflus avec leur gouvernement. Smith attribue la méfiance réciproque qui, selon lui, règne en Chine traditionnelle, à la crainte du peuple d'être entraîné dans des difficultés (12). Dans Les Mille et une Nuits, un cadavre passe de porte en porte, parce que chaque habitant est convaincu que les autorités le tiendront pour responsable de la mort de l'inconnu. La répugnance fréquemment observée à porter secours à un étranger qui se noie s'explique par un raisonnement du même ordre : Si j'échoue à sauver ce pauvre diable, comment prouverai-je aux autorités que je n'ai pas prémédité sa mort ? Ceux qui s'éloignent alors qu'ils pourraient être utiles, ne sont pas différents des autres êtres humains, ni pires. Mais leur conduite indique que la participation volontaire aux affaires publiques, qu'une société ouverte encourage, est extrêmement périlleuse sous un régime de pouvoir total. La crainte de s'engager dans une affaire avec un
TERREUR,
SOUMISSION,
SOLITUDE TOTALES
(5,
E)
193
gouvernement incontrôlable, aux actions imprévisibles, incite le sujet prudent à se contenter de ses propres affaires, personnelles et professionnelles. Cette crainte le sépare effectivement des autres membres de la communauté plus vaste à laquelle il appartient aussi. 2.
-
LE
POTENTIEL
D'ALIÉNATION
DU
POUVOIR
TOTAL
Naturellement, la séparation n'est pas nécessairement une aliénation : un artisan dont les pères ont quitté leur communauté rurale peut se sentir différent des habitants de son village d'origine. Un intellectuel peut ne pas se sentir en accord avec ses compatriotes. En temps de crise, il peut même rejeter complètement un ordre social où il n'a apparemment aucune place. En de telles situations, il peut faire l'expérience de la solitude. Mais aussi longtemps qu'il peut communiquer avec ceux dont la pensée correspond à la sienne, son aliénation à l'égard de la société n'est que partielle. Cette aliénation partielle diffère profondément de l'aliénation totale. Ce n'est que lorsqu'une personne se croit abandonnée par tous ses semblables et qu'elle est incapable de se considérer comme une entité autonome et responsable, que l'on peut dire qu'elle fait l'expérience de l'aliénation totale. Sous la terreur d'un régime agraire semi-directorial, on peut connaître la solitude totale et non l'aliénation totale. Sous la terreur de l'Etat moderne totalitaire, on peut connaître l'aliénation totale. Un isolement prolongé et un lavage de cerveau peuvent transformer un homme à un point tel qu'il ne se rend même pas compte qu'on est en train de le déshumaniser. 3.
-
AMÉNAGEMENTS
QUOTIDIENS
II y avait bien des individus isolés parmi les hommes libres de la Grèce classique (a) ; de même dans les pays démocratiques d'aujourd'hui. Mais ces individus libres sont en général isolés parce qu'ils sont négligés, et non pas menacés par un pouvoir qui, toutes les fois qu'il le veut, peut réduire à rien la dignité de l'homme. Une personne isolée peut entretenir des relations avec des parents ou des amis ; elle peut surmonter son aliénation partielle et passive en élargissant le cercle de ses relations ou en trouvant de nouveaux moyens de s'intégrer à la société. L'homme qui vit sous un pouvoir total ne dispose pas d'un tel privilège. Incapable de s'opposer à de telles conditions, il se réfugie dans la résignation. Cherchant (a) L ' a l i é n a t i o n permanente et tragique de l'esclave est trop é v i d e n t e pour qu'on s'y attarde.
194
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
à éviter le pire, il doit être sans cesse prêt à lui faire face. La résignation a été l'attitude de bien des individus libres à différentes époques et dans différents secteurs de sociétés ouvertes ou semi-ouvertes. Mais avant l'avènement de l'Etat d'appareil industriel, c'était une attitude prédominante propre au monde du despotisme oriental. Il est significatif que le stoïcisme soit né dans l'antiquité au moment où la société équilibrée de la Grèce classique cédait devant le système hellénistique de pouvoir total instauré par Alexandre. 4.
-
SOLITUDE
TOTALE
A L'HEURE
DU
JUGEMENT
L'heure du jugement réalise ce que la vie quotidienne ne fait qu'esquisser. Les méthodes d'exécution capitale sont différentes dans un monde démocratique équilibré, et sous la domination d'un pouvoir total. Le libre citoyen d'une société ouverte peut craindre un sévère châtiment de la part d'un Etat dont il a violé les lois. Mais après son arrestation, il peut recevoir les visites et l'aide de ses amis et de son avocat. Il a le droit d'être jugé par un tribunal qui ne soit pas le jouet du gouvernement. De plus il peut nier sa culpabilité ; et le tribunal ne l'empêchera pas de persister dans ses dénégations, même après l'avoir condamné à mort. L'exécution le détruira physiquement, mais le gouvernement a ainsi montré que son autorité n'empêchera pas les amis de l'accusé d'exalter ses vertus, ou de proclamer leur foi en son innocence. La mort de Socrate est par bien des côtés exemplaire, mais caractéristique en particulier d'un aspect de la mort infligée comme châtiment dans une société ouverte. Condamné à mort pour avoir « corrompu » politiquement la jeunesse d'Athènes, on ne l'obligea pas à abjurer publiquement ses convictions. On ne le priva pas non plus de la compagnie et de l'admiration de ses amis. Cette épreuve, loin de l'aliéner, de l'éloigner de ses disciples, — ou de ses propres convictions — consolida les liens qui l'unissaient aux unes comme aux autres (b). Dans une société ouverte, un blâme du gouvernement peut laisser froid le citoyen attaqué ; mais sous le régime du pouvoir total, le déplaisir officiel peut entraîner un
(b) L a description que fait P l a t o n de l a mort de Socrate est p e u t - ê t r e un r é c i t embelli par des t é m o i n s pleins d'affection pour le philosophe. Cependant, o n l u i accorde g é n é r a l e m e n t une valeur de v é r a c i t é , et une chose au
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SOUMISSION,
SOLITUDE
TOTALES
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E)
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désastre. Le fonctionnaire et historien chinois Sseu-ma Tsien, ne fut pas accusé de haute trahison. Il osa seulement avoir sur un général vaincu une opinion différente de celle de son empereur, et il fut seulement condamné à la castration. Il survécut et décrivit dans une lettre extraordinaire l'isolement abject dont il souffrit au temps de cette épreuve. Selon la loi en vigueur sous la dynastie d'alors, celle des Han, le châtiment de Sseu-ma Tsien aurait pu être commué moyennant une somme d'argent ; et c'eût été possible, car il avait des amis riches et puissants. Mais nul n'osa lui venir en aide. Nul n'osa manifester de la sympathie à un homme qui avait irrité l'empereur. Sseu-ma Tsien écrit : « Mes amis ne me vinrent pas en aide. Ceux qui étaient mes proches et mes intimes ne dirent pas un seul mot en ma faveur» (c). Il fut donc conduit dans la chambre sombre et mutilé comme un animal. On n'a pas encore écrit la tragédie d'un Timon dans une Athènes bureaucratique. Mais le sort de Sseu-ma Tsien moins a p p a r a î t c'est que ceux m ê m e s q u i é t a i e n t a t t r i s t é s par le v e r d i c t le c o n s i d é r a i e n t comme l é g a l . L e g e ô l i e r a p p o r t a la coupe de c i g u ë , et Socrate, ayant é c o u t é ses conseils, p o r t a la coupe à ses l è v r e s et « sans r é t i c e n c e et sans tristesse, b u t le poison >. L e narrateur, chez P l a t o n , continue : E t j u s q u e - l à , l a p l u p a r t d'entre nous avaient contenu leur douleur ; mais alors, q u a n d nous le v î m e s boire, et q u a n d nous v î m e s qu'il avait fini la dose, nous ne p û m e s plus nous m a î t r i s e r , et m a l g r é moi, mes larmes coulaient, rapides ; si bien que je me couvris le visage, et pleurai sur m o i - m ê m e , car certainement je ne pleurais pas sur lui, mais sur le malheur de perdre un tel compagnon. E t je n ' é t a i s pas le premier, car C r i t o n , se sentant incapable de retenir ses larmes, s ' é t a i t l e v é et é l o i g n é , et je le suivis ; et à ce m o m e n t Appollodore, q u i pleurait depuis le d é b u t , laissa é c l a t e r un l o n g cri, qui nous fit perdre courage à tous. Socrate seul gardait son calme : Q u e l est ce c r i é t r a n g e ? dit-il. J ' a v a i s r e n v o y é les femmes surtout pour qu'elles ne nous d é r a n g e n t pas de cette f a ç o n , car j'ai entendu dire qu'un homme devrait mourir en paix. Calmez-vous donc et prenez patience. E n t e n d a n t cela, nous e û m e s honte et r e t î n m e s nos larmes ; et il marcha comme on le lui avait r e c o m m a n d é j u s q u ' a u moment o ù ses jambes fléchirent, et alors il se coucha sur le dos selon les conseils, et l'homme o u i l u i avait d o n n é le poison e x a m i n a i t de temps à autre ses pieds et ses jambes ; et a p r è s un certain temps, i l pressa fortement son pied, et lui demanda s'il le sentait ; et il dit : non ; puis sa jambe, puis plus haut, puis plus haut encore, et il nous m o n t r a que tout é t a i t froid et inerte. E t l u i - m ê m e s e t â t a et dit : Q u a n d le poison atteindra le coeur, ce sera l a fin. Il sentait le froid au bas-ventre, q u a n d il d é c o u v r i t son visage, car il s ' é t a i t couvert, et dit (ce furent ses d e r n i è r e s paroles) — i l d i t : C r i t o n , je dois u n c o q à A s k l é p i o s ; te souviendras-tu de payer cette dette ? L a dette sera p a y é e , dit C r i t o n ; y a-t-il autre chose ? Il n'y eut aucune r é p o n s e à cette question ; mais au bout d'une minute ou deux, on p e r ç u t u n mouvement, et ceux qui é t a i e n t l à d é c o u v r i r e n t son visage ; les y e u x é t a i e n t fixes, et C r i t o n l u i ferma la bouche et les yeux. Telle fut, E c h e c r a t e , la fin de notre a m i , que je peux avec justice appeler le plus sage, le plus juste et le meilleur des hommes que j'aie connus. (Phédan : 117a-118a]. (c) Han Shu 62. L a traduction que nous donnons de ce passage d i f f è r e uelque peu de celle de Chavannes qui a t r a d u i t l'ensemble de l a lettre (voir havannes, M H , I : C C X X X I I ) .
196
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
montre ce qui peut arriver à un homme qui, négligeant le principe fondamental de prudence bureaucratique (d), contredit le détenteur du pouvoir total. II montre aussi que ce qui est un comportement recommandé dans une société ouverte, est un signe de folie à l'ombre de la terreur totale. L'entourage de Sseu-ma Tsien étant ce qu'il était, son intervention en faveur d'un ami eût été une exception glorieuse ; l'abstention des amis n'était que tristement normale. Si l'on en jugeait par les critères d'une société ouverte, les souffrances de l'historien chinois nous apparaîtraient effroyables. Si l'on en juge selon les critères de son propre monde, il ne manqua pas de chance. Emasculé, il resta cependant vivant ; et n'ayant guère d'importance politique, il put poursuivre son travail historique. Il exprima même ses critiques sur le traitement dont il avait été l'objet, dans une lettre qui, cependant, fut soigneusement tenue secrète jusqu'à sa mort (13). Quand la persécution est totale, la victime de la terreur hydraulique peut y perdre non seulement ses amis, mais également sa réputation. Le vizir et écrivain persan Rashid-ad-Din fut accusé par des fonctionnaires rivaux, d'avoir empoisonné le père du jeune sultan. Le crime dont Rashid était accusé était aussi incompatible avec sa personnalité qu'avec ses intérêts les plus élémentaires. Rashid était l'historien d'Asie le plus remarquable de son époque, « l'auteur du célèbre code (Kanun) des lois de Ghazan, le vizir le plus éminent de la dynastie Ilkhan, et l'un des plus grands hommes que l'Orient ait connus » (14). Le souverain dont on l'accusait d'avoir provoqué la mort le tenait en si haute estime que l'on disait qu'il lui avait fait don d'une quantité d'or supérieure à celle qu'Alexandre avait donnée à Aristote (15). On disait même que les talents de Rashid-ad-Din étaient « aussi indispensables à l'Etat que le sel à la viande » (16). Il est difficile de comprendre pourquoi un homme tuerait son propre admirateur et protecteur généreux. Pourquoi détruirait-il volontairement la source de son pouvoir, de sa sécurité, de sa richesse ? Mais de telles considérations n'arrêtèrent pas la main des ennemis de Rashid. Ils le déclarèrent coupable. Ils exécutèrent son fils sous ses yeux. Ils coupèrent son propre corps en deux — certainement sans lui laisser la consolation de voir ses amis et ses parents. Ainsi Rashid mourut, seul, privé (d) Selon VArthashastra (1926 : 387) le fonctionnaire p r u d e n t é v i t e « c e u i qui ont perdu leur situation et la faveur ».
TERREUR,
SOUMISSION,
SOLITUDE
TOTALES
(5,
E)
197
d'honneur tant temporel que spirituel. Car à la fin on l'accusa aussi d'être un imposteur en matière religieuse (17). Mais quel qu'ait été le degré de cynisme des accusateurs de Rashid, au moins ils ne l'obligèrent pas à confesser publiquement les crimes dont on l'accusait. Au contraire, il semble avoir jusqu'au bout protesté de son innocence (18). Une telle tolérance ne se manifeste pas dans les grands procès politiques des Etats totalitaires modernes. La différence ne vient pas d'un manque d'efficacité terroriste de la part du despotisme hydraulique. Ceux qui sous les souverains hydrauliques présidaient à la torture auraient su briser toute volonté, et il est certain qu'ils auraient obtenu des confessions publiques s'ils l'avaient voulu. Mais les maîtres de l'ordre hydraulique n'avaient aucune raison de rendre leurs conflits publics dans les villages ou les cités de guildes où des démocraties au rabais semi-autonomes végétaient dans une atmosphère souspolitisée. Il n'y avait donc aucune raison pour encourager une de ces aliénations de soi, spectaculaires et explicites, qui sont devenues la spécialité des tribunaux « du Peuple » dans les Etats totalitaires. Les derniers moments du communiste soviétique Boukharine montrent comment, dans les conditions modernes, on peut amener une victime à collaborer à son propre avilissement. Lénine, dans son « Testament », avait écrit que Boukharine était « le plus grand et le plus précieux des théoriciens du Parti », qu'il « pouvait être considéré à juste titre comme le favori du Parti tout entier » (19). Mais le favori d'aujourd'hui est le monstre de demain. Arrêté et condamné à mort au cours de la grande purge de 1930, Boukharine perdit d'un jour à l'autre sa popularité et sa réputation. Vychinski, alors procureur de l'Etat, exprima l'opinion des leaders du Parti lorsqu'il appela Boukharine un « théoricien en citations » (20), un « damné bâtard de renard et de porc» (21) qu'il fallait ranger parmi les espions et les traîtres à «fusiller comme des chiens» (22). Et les services psychologiques du gouvernement soviétique préparèrent si bien l'accusé qu'il confessa publiquement et en détail des actes de trahison qu'il n'avait jamais pu commettre. Il est évident que l'isolement total, comme la terreur totale, a ses variantes.
CHAPITRE VI
ZONES CENTRALES, MARGINALES ET SUBMARGINALES DES SOCIÉTÉS HYDRAULIQUES A. — AU MILIEU DU VOYAGE, FAISONS L E POINT 1.
- QUELQUES
RÉSULTATS FONDAMENTAUX
Notre enquête nous a mené à plusieurs conclusions fondamentales. Tout d'abord, l'ordre institutionnel, la société hydraulique, ne s'expliquent pas seulement par des facteurs géographiques, technologiques et économiques. Si la réponse à un site naturel est un trait-clé, elle ne joue un rôle de formation d'une société hydraulique que dans des conditions de culture spécifiques. Et cette réponse implique des modifications organisationnelles plutôt que technologiques. En second lieu, certains traits de la société hydraulique apparaissent aussi dans d'autres régimes agraires. Mais la société hydraulique apparaît spécifiquement dans l'aspect particulier et la portée de deux de ses traits (organisation hydraulique et despotisme agrohydraulique). Et c'est la combinaison pratique de ces deux traits qui donne naissance à un ensemble de fonctionnement, un « complexe opérationnel » qui peut se perpétuer pendant des millénaires. L'historien de la liberté humaine doit affronter ce fait empirique fondamental : parmi les civilisations pré-industrielles évoluées, la civilisation hydraulique, la plus despotique de toutes, a survécu à toutes les autres. 2.
- TROIS P R O B L È M E S Q U I M É R I T E N T U N E É T U D E P L U S P O U S S É E
Pourquoi la société hydraulique fait-elle preuve d'une telle pérennité ? Est-ce à cause de son système étatique d'agriculture hydraulique ? Un partisan de l'interprétation
ZONES C E N T R A L E S , M A R G I N A L E S E T S U B M A R G I N A L E S (6,
B)
199
économique de l'histoire l'a pensé ; en fait, Marx lui-même a fait sienne cette théorie. Mais il faut remarquer que Marx et Engels considéraient le gouvernement tsariste de la Russie post-mongole comme un gouvernement despotique de style oriental (1), bien que tous deux aient certainement su que l'agriculture russe n'était pas hydraulique. La difficulté du déterminisme économique est ici manifeste ; et elle devient plus grande encore si nous considérons qu'outre la Russie tsariste, d'autres Etats agro-despotiques eurent les caractéristiques essentielles d'organisation et d'acquisition de la société hydraulique sans posséder pour autant une véritable économie hydraulique. Le fait que ces régimes sont aptes à se perpétuer signifie que l'ordre agro-directorial possède des traits de pouvoir et d'organisation qui ont un rôle décisif pour son développement. Cette question est d'une importance essentielle, non seulement en théorie et pour le passé, mais en politique et dans le présent. C'est pourquoi nous examinerons dans ce chapitre les particularités et les relations réciproques des zones centrales et marginales de la société hydraulique. Dans les chapitres qui suivront immédiatement, nous analyserons deux autres aspects de la question : dans le monde hydraulique, le pouvoir détermine à la fois la propriété privée et la nature de la classe dirigeante. 3.
-
PROBLÈMES
D E DENSITÉ
HYDRAULIQUE
Quel était le degré d'hydraulicité d'une société hydraulique ? Evidemment il y a des zones d'hydraulicité maxima, et d'autres qui, bien qu'hydrauliquement moins denses, peuvent cependant être considérées comme des sociétés hydrauliques au sens propre. Quel est le schéma institutionnel d'une société hydraulique marginale ? Et quel est le seuil au-delà duquel cette zone perd son identité sociale ? Y a-t-il une limite institutionnelle au-delà de laquelle les traits de la société hydraulique n'apparaissent plus que sporadiquement et sous une forme submarginale ? En présumant que de telles nuances d'intensité institutionnelle existent, sont-elles statiques et permanentes ? Ou bien des civilisations hydrauliques passent-elles de la zone marginale à la zone submarginale et inversement ? En fonction de ces questions, nous analyserons les zones centrales, les zones marginales et submarginales du monde hydraulique. B. — ZONES HYDRAULIQUES CENTRALES La qualité institutionnelle d'une zûUfe hyjdraujique_ varie selon son caractère de cohésion spatiale et la pqrtée
200
L E DESPOTISME ORIENTAL
économique et politique de son système hydraulique. Cette qualité peut encore être modifiée par l'importance relative d'un second élément majeur des opérations hydrauliques : le contrôle des eaux. 1.
- QUEL E S T L E D E G R É D E C O N T I N U I T É D U S Y S T È M E
HYDRAULIQUE
DANS
U N E ZONE
HYDRAULIQUE
DONNÉE ?
Le caractère de cohésion spatiale (et organisationnelle) d'une économie hydraulique donnée est essentiellement déterminé par la forme continue ou discontinue de ses ressources en eau. Un Etat hydraulique peut créer un système unique plus ou moins continu d'irrigation et de contrôle des eaux dans un site qui ne possède qu'une importante source d'humidité accessible. On trouve un tel développement dans les régions du type oasis, traversées par un fleuve qui reçoit l'essentiel de ses eaux d'une zone intérieure montagneuse, ou seulement ondulée, plus humide. Les Etats situés dans des vallées de l'ancien Pérou littoral gardèrent un système hydraulique constant. Dans l'Ancien Monde, le Sindh et la vallée du Nil sont les variantes classiques du même schéma. Si dans un site plus aride se trouvent plusieurs fleuves pas trop éloignés les uns des autres, les canaux qui en dérivent peuvent former un réseau hydraulique relativement continu. Il est rare cependant que des régions arides jouissent d'un tel privilège. La basse Mésopotamie est plus l'exception que la règle. Dans la plupart des cas, les fleuves d'un site potentiellement hydraulique sont trop éloignés les uns des autres pour qu'il soit possible de les faire communiquer au moyen de canaux. Par conséquent un Etat hydraulique possédant des cours d'eau multiples entretient généralement un système discontinu de digues et de canaux. Les individus dépendant d'une ressource en eau limitée et unique peuvent conserver une agriculture limitée de type tribal ou national pendant une longue période. Ce fut le cas de la région du Rio Grande, et à une échelle plus impressionnante, de l'Egypte des pharaons. Mais ces tribus hydrauliques indépendantes jouèrent dans l'histoire de l'humanité un rôle important ; et même des organisations nationales comme l'Egypte sortirent ultérieurement de leur isolement politique originel. La grande majorité des nations hydrauliques importantes et des empires hydrauliques comportaient des régions dépendant d'une ressource hydraulique unique ; cependant, pris dans son ensemble, le système hydraulique de ces unités politiques plus vastes a une forme nettement discontinue.
I
ZONES CENTRALES,
2.
-
QUELLE
MARGINALES
EST LA PORTÉE
D ' U N E ÉCONOMIE
E T SLBΣARGINALES
ÉCONOMIQUE
HYDRAULIQUE
ET
(6,
B)
201
POLITIQUE
DONNÉE ?
Puisque la plupart des civilisations hydrauliques étendues ont des systèmes hydrauliques discontinus, le manque de cohésion n'est évidemment pas un critère valable pour l'évaluation de la densité hydraulique. Il faut évaluer différemment la portée économique et politique d'un système hydraulique discontinu. Dans les zones arides, un système hydraulique discontinu n'apparaît qu'occasionnellement ; dans les zones semi-arides, c'est pratiquement la règle générale, au moins pour les sociétés qui ont dépassé le stade primitif. Comme nous l'avons déjà indiqué, les zones semi-arides qui ont suscité des développements hydrauliques sont nombreuses et vastes ; et parmi elles, la relation entre l'agriculture hydraulique et non hydraulique (petite irrigation et agriculture pluviale) varie énormément. On peut distinguer trois nuances principales dans ces relations : o
I ) La terre cultivée selon le mode hydraulique représente plus de la moitié des terres arables. Puisque l'agriculture hydraulique vise à obtenir des rendements qui, dans l'ensemble, atteignent ceux obtenus par la petite irrigation et qui dépassent nettement ceux obtenus par l'agriculture pluviale, on peut dire qu'une agriculture hydraulique qui couvre plus de 50 % de toute la terre arable est en position de supériorité économique absolue. C'est cette condition que l'on trouve le plus fréquemment dans les régions arides ; et fréquemment aussi, mais pas nécessairement, dans un système hydraulique continu. Chez la plupart des Pueblos du Rio Grande, la majeure partie de la terre est irriguée ; et la majeure partie de l'eau d'irrigation provient de canaux d'irrigation entretenus sur un plan communal. En Egypte, dès l'aube de l'histoire, la grande majorité des champs était irriguée avec les inondations ou par les canaux (1). Dans le delta, on peut obtenir une maigre récolte avec l'agriculture pluviale (a) ; et dans le pays entier, on peut arroser les légumes, les jardins et les vergers avec de l'eau de puits (2). Mais dans le cas des Pueblos du Rio Grande, ces formes (a) A p r è s avoir m e n t i o n n é l a culture de l'orge dans le delta d u N i l c o m m e un exemple d'agriculture pluviale proche d u m i n i m u m de rendement, 1'Agricultural Yearbook de 1941 conclut : « L a culture annuelle q u a n d il y a si peu d'eau n'est possible que l à o ù la distribution des pluies dans l ' a n n é e , et les autres conditions climatiques sont favorables, et l à o ù les chutes de pluie de deux ou de plusieurs a n n é e s peuvent ê t r e a c c u m u l é e s en vue d'une r é c o l t e unique » ( C M : 322).
202
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
complémentaires d'agriculture ne font pas concurrence à l'économie hydraulique dont la supériorité économique est écrasante. 2°) La terre cultivée selon le mode hydraulique, même quand elle représente en étendue la moitié à peine des terres arables arrive à rendre plus que l'autre partie de terre arable. Dans ce cas, on peut dire que l'agriculture hydraulique est en position de supériorité économique relative. A la veille de l'unification de la Chine, l'Etat de Ch'in améliora considérablement ses terres cultivables intérieures (à présent le Chen-Si), par la construction des ouvrages d'irrigation du Chêng Kuo ; et le Ch'in devint ainsi plus riche et plus puissant que tous les autres Etats-provinces. Au cours de la période suivante, ce qui avait été le Ch'in (b) représentait environ un tiers de la surface de l'empire, mais selon Pan Ku, comptait pour 60 % dans l'évaluation de ses ressources (3). Sseu-ma Tsien considérait l'ancienne province de Ch'in comme « dix fois plus riche que [le reste] de l'empire» (4). On ne peut vérifier ni l'une ni l'autre de ces évaluations, et il ne faudrait certainement pas les adopter à la lettre. Elles illustrent cependant ce que nous entendons par la supériorité économique relative d'un système de culture hydraulique vigoureux. 3°) La terre cultivée selon le mode hydraulique, même si elle est inférieure en surface et en rendement peut suffire à susciter des institutions despotiques dans le domaine de la corvée et du gouvernement. En ce cas, la zone plus vaste, non hydraulique, produit essentiellement des produits alimentaires, tandis que la zone hydraulique, plus restreinte, outre les produits alimentaires, crée le pouvoir, et un pouvoir suffisamment fort et suffisamment despotique pour contrôler les deux secteurs de la société agraire. Cela s'est évidemment produit dans de nombreuses régions semi-arides qui convenaient — dans les zones clés — aux opérations hydrauliques. Au cours de la période de formation de nombreuses grandes civilisations hydrauliques, le pouvoir despotique a certainement surgi à la faveur de telles conditions ; et cette institution s'est perpétuée jusqu'aux temps historiques. L'Assyrie et le Mexique appliquèrent des méthodes de direction des masses, qui n'étaient indispensables que dans des régions hydrauliques relativement restreintes, à de vastes zones de petite irri-
(b) En plus du système du Chêng Kuo, cette province comprenait entre autres régions, la classique plaine d irrigation de Sseu Tchouan.
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gation et de culture pluviale. Dans ces conditions, l'économie hydraulique, bien qu'elle ne domine ni en étendue ni en rendement, n'en occupe pas moins une situation de supériorité organisationnelle et politique. 3. DE
- QUELLE E S T L A P O R T É E D U SECOND É L É M E N T L'OPÉRATION
HYDRAULIQUE
:
L E CONTRÔLE
MAJEUR
DES EAUX ?
Là où le système hydraulique prévaut dans l'économie, les travaux hydrauliques de protection (si on les compare aux travaux de production) ont peu d'importance. Une agriculture hydraulique évoluée comporte un développement bureaucratique également avancé ; ainsi le régime despotique est convenablement assuré. Il en va autrement quand le système hydraulique, bien que suffisant pour assurer une suprématie politique, ne comporte que de modestes institutions bureaucratiques. Naturellement, l'entretien des grandes installations de contrôle des eaux exige toujours de grandes opérations de recrutement et de direction locale ; et cette nécessité renforce l'autorité quasi militaire du gouvernement administratif, dans des conditions d'hégémonie économique absolue ou relative. Mais le facteur de protection devient particulièrement important en l'absence d'une hégémonie économique. La lutte contre de grandes inondations désastreuses requiert une mobilisation gouvernementale des masses, supérieure à celle que nécessite, à elle seule, la production hydraulique. Et les mesures disciplinaires inhérentes aux entreprises hydrauliques de protection sont pour beaucoup dans la consolidation d'un pouvoir gouvernemental qui ne tire de ses réalisations agro-administratives qu'une autorité limitée. Dans la région lacustre du Mexique ancien, la lutte contre les inondations dévastatrices périodiques requérait des effectifs de corvée beaucoup plus importants que les travaux régionaux d'irrigation. On peut facilement imaginer l'importance de ce fait pour l'accroissement du pouvoir gouvernemental. 4.
- SOCIÉTÉS H Y D R A U L I Q U E S
C O N C E N T R É E S ou
SPORADIQUES
Notre analyse n'épuise pas toutes les possibilités morphologiques. Mais elle prouve une chose : les zones centrales du monde hydraulique présentent au moins deux variétés importantes de densité hydraulique. Certaines sont hydrauliquement concentrées, tandis que d'autres sont hydrauliquement sporadiques (5). On peut dire qu'une société hydraulique est « concentrée » quand son agriculture hydraulique occupe une position d'hégémonie économique absolue ou relative. On peut dire qu'elle est 16
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LE
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ORIENTAL
« sporadique » quand son agriculture hydraulique, sans posséder la supériorité économique, est suffisante pour assurer à ses dirigeants l'hégémonie organisationnelle et politique absolue. Cette distinction élémentaire peut être complétée par quelques divisions secondaires importantes. Une société hydraulique, dont l'agriculture hydraulique est économiquement dominante et distribuée topographiquement d'une manière continue, est une variété absolue de la catégorie concentrée (C 1). Une société hydraulique dont l'agriculture est économiquement dominante mais discontinue est une variante moins absolue de la même catégorie (C 2). Une distinction entre l'hégémonie économique absolue (a) et relative (r) nous permet de pousser cette différenciation plus loin (Ca 1 et Cr 1, Ca 2 et Cr 2). Une société hydraulique sporadique peut comprendre parmi les éléments qui la composent, de vastes unités qui, à l'intérieur de leurs limites propres, sont concentrées et qui dépassent même les limites d'une région unique. La portée hydraulique encore importante de ce type de société peut se représenter par le symbole « S 1 ». Une société hydraulique sporadique dont les unités hydrauliques les plus vastes ne possèdent pas l'hégémonie économique, même localement, représente le type de plus basse concentration hydraulique (S 2). Un autre facteur de différenciation, le développement relativement important des travaux hydrauliques de protection, peut s'exprimer au besoin par la formule « + prot. » Quelques exemples indiquent, à une échelle tribale ou nationale, les quatre catégories essentielles de concentration hydraulique : Concentration 1 : La plupart des Pueblos du Rio Grande, les petites cités de l'ancien Pérou littoral, l'Egypte des pharaons. 2 : Les cités de l'antique basse Mésopotamie, probablement l'Etat de Ch'in à la veille de l'empire chinois.
Concentration
1 : Les tribus chaggas, l'Assyrie antique, la vieille province chinoise de Ch'i (S 1 + prot.) et peutêtre Ch'u.
Sporadique
2 : Civilisations tribales : les Suk d'Afrique septentrionale, les Zuni du Nouveau Mexique. Civilisations étatiques centralisées : Hawaï indigène, plusieurs provinces du Mexique ancien (S 2 + prot.).
Sporadique
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5. - L E S G R A N D S E M P I R E S A G R O - D I R E C T O R I A U X S O N T GÉNÉRALEMENT DES SOCIÉTÉS HYDRAULIQUES SPORADIQUES
La domination d'une cité sur plusieurs cités conduit à la formation d'empires rudimentaires. Des formations de ce genre apparurent dans la basse Mésopotamie antique, sur la côte de l'ancien Pérou, dans la Chine des Tch'ou, dans l'Inde bouddhiste. Dans les deux premiers cas, les composants étaient du type hydraulique concentré ; et les unités quasi impériales étaient elles aussi hydrauliquement concentrées. D'ordinaire, cependant, une expansion militaire et politique aboutit à la création d'ensembles plus vastes et moins concentrés. Les grands empires hydrauliques eurent tendance à assimiler des provinces ou des nations de densités hydrauliques différentes. Ils constituèrent ainsi des sociétés hydrauliques sporadiques, avec des sous-zones hydrauliques concentrées. Les empires babylonien et assyrien, les grands empires de l'Inde, la Perse achéménide à l'apogée de son extension, le califat arabe, la Turquie ottomane, l'empire inca, et la fédération du Mexique aztèque — tous étaient des empires hydrauliques, et tous, sauf peut-être le Mexique, appartenaient à la catégorie S 1. Il n'y a pas d'étude systématique des mécanismes hydrauliques des grands empires agro-directoriaux. Une étude morphologique de Tordre hydraulique en Chine traditionnelle révèle plusieurs schémas de densité et des combinaisons super-régionales significatives (c). L'analyse attentive que donne Mez du pouvoir abbasside indique le nombre et la variété des grandes zones hydrauliques qui, pour des périodes plus ou moins longues, ont été sous la juridiction du califat de Bagdad : l'Egypte, l'Arabie du sud, la Babylonie, la Perse (le nord-est et le sud de la Transoxiane et l'Afghanistan) (6). Toutes ces zones posaient « d e grands problèmes d'irrigation» (7) et les sources arabes mentionnent les moyens technologiques et les effectifs de main-d'œuvre nécessaires pour les résoudre (8). 6. - DEGRÉS D E D E N S I T É H Y D R A U L I Q U E E T DEGRÉS D E DENSITÉ B U R E A U C R A T I Q U E
a. - Le principe. La densité bureaucratique d'une société agro-directoriale varie en fonction de sa densité hydraulique. Cette (c) Pour une analyse des différents caractères et des dimensions des provinces, et de leurs relations d'inter-iones, dans l'ordre hydraulique • spora. dique » de la Chine traditionnelle, voir Wittfogel, 1931 : 252-72.
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LE
DESPOTISME
ORIENTAL
corrélation est fonction de facteurs tels que la portée institutionnelle de grandes constructions non hydrauliques (les Pueblos zuni, les provinces de la Chine Tch'ou, l'empire romain) et les dimensions des organisations de communication et/ou militaires (l'Assyrie, la province de Ch'in, le Mexique aztèque). Mais de tels facteurs modifient sans l'effacer la relation fondamentale hydraulique-bureaucratique. L'Egypte des pharaons était bureaucratisée à l'extrême longtemps avant de se donner un fonctionnariat militaire cohérent. Et si Incas et Aztèques entretenaient de fortes organisations militaires, on ne peut douter que les premiers possédaient une bureaucratie administrative plus complète que les seconds. Au niveau de l'acquisition, les corrélations varient également. Naturellement, un despotisme agraire, quel que soit son degré d'intensité hydraulique, met particulièrement l'accent sur son droit à la taxation universelle. On trouve pourtant de grandes différences dans la manière d'exercer ce droit. Bien qu'une société hydraulique sporadique possédant un gouvernement fort puisse collecter un pourcentage du revenu théorique supérieur à celui que collecte une société hydraulique concentrée possédant un gouvernement faible, toutes conditions égales d'ailleurs, la bureaucratie plus complète d'un Etat super-directorial est à la longue mieux équipée pour traiter le problème de l'impôt que la bureaucratie moins complète d'un Etat directorial à un moindre degré. La collecte de l'excédent agricole était plus centralisée dans le Pérou inca que dans le Mexique aztèque, où les affaires locales, au lieu d'être à la charge des représentants du gouvernement, étaient laissées aux soins des calpulli. Dans les sociétés hydrauliques concentrées du Proche-Orient antique, l'essentiel de l'impôt semble avoir été collecté par des fonctionnaires gouvernementaux, bien que l'emploi d'intermédiaires soit attesté pour certaines périodes de l'Egypte pharaonique (9). Sous les influences grecque et romaine respectivement, l'impôt agricole fit son apparition dans le Proche-Orient hellénistique et romain (10) ; mais les régimes absolutistes affirmèrent bientôt leur pouvoir, d'abord en modifiant le système de taxation agricole, puis en le réduisant à des proportions insignifiantes (11). Des collecteurs d'impôts nommés par l'Etat (liturgiques), souvent des riches citadins, suppléèrent à la bureaucratie fiscale ; et de gros propriétaires fonciers (bureaucratiques) remplirent une fonction analogue, y trouvant à la fois plus d'avantages et moins de danger (12). L'empire romain, hydraulique sporadique, écarta ainsi les collecteurs indépendants de la Grèce antique et de la
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MARGINALES
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B)
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Rome républicaine sans revenir aux vieilles méthodes égyptiennes et babyloniennes de collection directe de l'impôt par la voie bureaucratique. Les maîtres arabes du Proche-Orient, dont le pouvoir s'appuyait sur des centres hydrauliques tels que Damas, le Caire et Bagdad, adoptèrent au contraire cette méthode. Sous les Ommeyades, le système fiscal bureaucratique prévalut ; et les collecteurs, les fermiers de l'impôt, que le gouvernement abbasside commença à employer, étaient encore étroitement intégrés dans l'ordre bureaucratique. En Mésopotamie, ils faisaient partie du fonctionnariat (13). En Chine, quelques collecteurs locaux n'étaient pas des fonctionnaires réguliers (14) ; mais les méthodes bureaucratiques semblent avoir prévalu à travers les siècles en ce qui concerne la collecte de l'impôt. b. - Modifications de la densité territoire hydraulique.
bureaucratique sur un
L'intégration de provinces non hydrauliques, ou à caractère hydraulique embryonnaire, dans une société hydraulique sporadique s'effectue en principe grâce au développement dans ces provinces d'un réseau bureaucratique. Cela se passa ainsi lorsque les anciens centres d'agriculture chinois conquirent certaines régions « barbares » du centre et du sud de la Chine. L'intégration d'une province hydraulique concentrée dans un empire hydraulique sporadique tend à avoir un effet opposé. Les souverains, habitués à opérer avec une administration moins concentrée, peuvent aussi réduire l'appareil bureaucratique de la zone hydraulique concentrée. C'est ce qui arriva dans la vallée du Nil lorsqu'elle devint une partie de l'empire romain. 7.
-
MAÎTRES
D E L A SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E D'ORGANISATION
S O U C I E U X ou
NON
HYDRAULIQUE
Un second facteur peut modifier le caractère de densité bureaucratique d'une société hydraulique donnée, ce sont les préoccupations (ou l'absence de préoccupations) des souverains en matière d'administration hydraulique. Comme nous l'avons indiqué plus haut, une société hydraulique peut descendre au-dessous de son niveau de rationalité si elle passe sous la domination de conquérants qui se soucient peu d'administration agricole, ou si ses maîtres indigènes ralentissent leurs efforts productifs. Les conquérants quand ils ne sont pas nés dans le monde hydraulique ne s'intéressent pas du tout à l'administration hydraulique. La décadence intérieure peut être due à une
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LE
DESPOTISME
ORIENTAL
diminution du revenu du gouvernement, à la suite d'un développement excessif des forces économiques privées, ou de la dégénérescence d'un groupe au pouvoir qui s'est engourdi dans le luxe consécutif à l'exercice du pouvoir total. La relation spatiale entre les zones essentielles du pouvoir politique et de l'économie hydraulique joue aussi un rôle. Les souverains peuvent établir leur capitale près des régions agricoles importantes et riches d'où peut découler un excédent de production ; ou bien ils peuvent l'établir à une distance considérable de ces régions. On allègue souvent des motifs de défense pour ce dernier choix, et c'est parfois la seule raison. Souvent, cependant, les souverains — et en particulier les conquérants — préférèrent situer leur capitale à une frontière non hydraulique, parce qu'ils avaient plus d'affinité avec les zones périphériques qu'avec les zones centrales du monde hydraulique. En Chine, les centres de direction politique et d'économie hydraulique coïncidèrent plus ou moins jusqu'au premier millénaire de notre ère, époque où la fertilité grandissante de la région du Yang-Tsé perdit son importance devant le besoin de défense de la zone vitale qu'était la frontière nord. A partir de ce moment, le siège du gouvernement central passa de l'une à l'autre région ; mais la région nord ne cessa jamais d'être dans une certaine mesure hydraulique, et les capitales septentrionales étaient reliées à la Chine centrale, région essentielle, productrice de riz, grâce à une technique ingénieuse et hydraulique, au moyen du Grand Canal. En Inde, la grande plaine du nord, qui était la zone agricole par excellence, était toute désignée pour devenir le siège de la capitale politique ; et c'est là que les maîtres musulmans de l'Inde, comme leurs prédécesseurs hindous, établirent leurs capitales. Mais ils se montrèrent moins soucieux d'administration hydraulique que ne l'avaient été les souverains indigènes précédents. S'ils ne négligèrent pas l'administration, s'ils créèrent et entretinrent de grands travaux d'irrigation, ils ne restaurèrent pourtant jamais la grandiose économie hydraulique qui semble avoir été florissante dans l'empire maurya. Le rôle qu'ils assignèrent aux « chefs » locaux et aux collecteurs d'impôts reflète une densité bureaucratique relativement faible dans l'Inde musulmane. Les empereurs romains du bas empire répondirent l'appel de l'Orient. Ils établirent cependant leur capitale, non dans l'une des grandes régions classiques de l'agriculture hydraulique (Egypte, Syrie ou Mésopotamie) mais en Hellespont, la classique zone frontière entre l'Orient et l'Occident non hydraulique. Et bien qu'une longue
ZONES
CENTRALES,
MARGINALES
E T SUBMARGINALES
(6,
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accoutumance au despotisme directorial les ait incités à bâtir sur une large échelle, ils se contentèrent d'administrer de loin leurs possessions hydrauliques. Extrêmement hardis dans leurs constructions non hydrauliques, (routes et murs-frontières), ils firent preuve de beaucoup moins d'initiative dans le domaine agro-directorial. Sans négliger les problèmes hydrauliques, ils cherchèrent à collecter un revenu rural aussi important que possible avec une bureaucratie aussi réduite que possible. Bien que souverains rationnels, ils ne réalisèrent pas le maximum de rationalité des régions hydrauliques dont ils étaient les maîtres. Les Romains, qui firent de Constantinople la capitale de leur empire, avaient derrière eux cinq cents ans d'expérience pratique de gouvernement hydraulique selon la version hellénistique. Les Turcs, qui avaient conquis Andrinople en 1360, Constantinople en 1453, l'Egypte en 1517, et la Mésopotamie en 1534, n'étaient pas non plus sans connaître des civilisations agraires évoluées de type hydraulique ; en fait, ils vivaient sur la frange du monde hydraulique depuis l'aube de l'histoire. Mais peut-être, en raison de leur origine pastorale, s'intéressaient-ils moins au développement de l'agriculture (15) qu'aux entreprises militaires ; et ils préférèrent étendre la zone marginale non hydraulique plutôt que de renforcer la zone centrale hydraulique. Il est vrai que les grands travaux d'irrigation de Mésopotamie étaient en ruine quand arrivèrent les Turcs ; mais l'histoire de la Chine et de l'Inde montre qu'un effort hydraulique peut restaurer rapidement ce que l'action anti-hydraulique a détruit. Les Turcs ne rompirent pas avec la tradition agro-directoriale en Egypte et en Syrie ; mais ils ne firent aucune reconstruction importante en Irak. En général, ils ne montrèrent guère de goût pour les travaux hydrauliques (16). En leur qualité de despotes orientaux organisateurs en matière de guerre, de paix et d'exploitation fiscale, ils remportèrent de grands succès ; et dans quelques centres administratifs majeurs, ils employèrent de nombreux fonctionnaires. Ils ne s'intéressaient pas à l'administration mais ils gouvernèrent cependant leur empire avec une bureaucratie professionnelle restreinte. 8.
-
PÉRIODES
D'AMÉNAGEMENT
AGRO-DIRECTORIAL,
DÉGÉNÉRESCENCE E T RESTAURATION
Naturellement, 1'« êthos » économique (la Wirtschaftsd'un groupe au pouvoir n'est pas immuable. En dépit de grandes différences d'assimilation culturelle et
gesinnung)
210
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
sociale, la même règle vaut aussi pour les envahisseurs pastoraux. Les conquérants tribaux de la Chine étaient en général désireux de conserver les traditions indigènes dans certains domaines de. la construction et ue l'administration non hydrauliques ; et nombre d'entre eux comprirent, au moins superficiellement, l'importance de l'agriculture d'irrigation. Sans doute aucun conquérant du nord n'eut-il autant que les Mandchous d'intérêt, et d'intérêt actif, pour l'agriculture hydraulique ; ils avaient pratiqué cette agriculture dans leur pays avant de conquérir la Chine (17). Dans le Proche-Orient, les Ommeyades, qui consolidèrent un régime de conquête établi par les premiers disciples du Prophète, se montrèrent aussi extraordinairement soucieux d'organisation hydraulique (18). Les conquérants pastoraux et semi-pastoraux qui s'intéressent aux travaux hydrauliques le font, en général, non au cours de la première période de leur conquête, mais plus tard ; et souvent ils deviennent paresseux et négligents dans ce domaine avant d'avoir épuisé leur potentiel de rationalité. Les souverains indigènes, d'autre part, se montrent généralement d'autant plus soucieux d'agriculture hydraulique que le régime est plus jeune, et accordent moins d'importance à l'administration quand leur pouvoir est consolidé. Dans l'un et l'autre cas, le déclin peut être retardé par des circonstances extérieures qui s'y opposent ; ou il peut être au contraire accéléré par l'expansion de forces économiques privées importantes, dont les représentants s'arrogent une part de plus en plus grande de l'excédent national (d). Quand une fraction de l'élite despotique (tout d'abord la cour et les groupes de fonctionnaires proches de la cour) cède à l'influence corruptrice du pouvoir total, une autre fraction (d'autres fonctionnaires, leurs parents et leurs amis qui font partie de « l'aristocratie rurale » bureaucratique) peuvent s'emparer du pouvoir. Le résultat de cette évolution peut être l'élimination des traits excessivement irrationnels au cours d'une sorte de révolution « régénératrice », une « catharsis ». Un développement de cet ordre ne change pas le caractère du despotisme hydraulique traditionnel ; il lui rend seulement sa vitalité. Les premiers souverains de nombre de dynasties égyptiennes, babyloniennes, chinoises, indiennes, islamiques et mexicaines, ont été loués pour leur
(d) P o u r un essai d'explication des grandes crises agraires et politiques dans l a s o c i é t é chinoise a u m o y e n de ce facteur social et d'autres, v o i r Wittfogel, 1927 : 303 s q q . , 323 sqq. ; ibid. 1935 : 53. V o i r Wittfogel et F ê n g , 1949 : 377. P o u r une analyse des crises agraires, trait g é n é r a l de la s o c i é t é orientale, v o i r Wittfogel, 1933 : 109 s q q .
ZONES C E N T R A L E S , M A R G I N A L E S E T S U B M A R G I N A L E S (6,
B)
211
vigueur et leur efficacité. Des révoltes régénératrices peuvent aussi se produire au cours de la phase plus tardive d'une dynastie ; et alors, comme au cours de la période de formation, on peut assister à des tentatives sérieuses en vue d'instaurer une administration hydraulique et fiscale rationnelle. Dans les deux cas, les éléments les plus clairvoyants et les moins corrompus de la bureaucratie au pouvoir démontrent qu'ils sont capables d'administrer le pays d'une manière plus efficace que leurs collègues et rivaux « corrompus ». 9.
- CAPACITÉ
DE SURVIVANCE
DES SOCIÉTÉS
AGRO-INSTITUTIONNELLES
HYDRAULIQUES
DÉCADENTES
Les mythes dominants du despotisme oriental attribuent à tout fondateur de dynastie des réalisations régénératrices ; mais un examen impartial des données conduit à une conclusion moins flatteuse. Dans des conditions qui ne permettent aucune critique indépendante ni aucune pression politique, les profits immédiats du pouvoir total exercent sur les maîtres de l'appareil absolutiste un attrait bien supérieur à celui des bénéfices potentiels — si égoïstement rationnels soient-ils — d'un effort administratif. Le goût de la facilité est donc un mobile qui a plus d'influence sur le comportement que le désir de maintenir le maximum de rationalité des souverains. Et cela vaut non seulement pour les souverains de la fin d'une dynastie, mais aussi pour les fondateurs. Ces fondateurs de dynastie, si énergiques soient-ils, sont généralement plus sensibles aux facilités de l'ancien régime qu'aux possibilités administratives du nouveau. L'ayant emporté sur la masse des fonctionaires civils et militaires, ils sont prompts à corriger les excès les plus flagrants en matière de taxation, de travail forcé, de juridiction, et ils entreprennent les travaux de construction et d'administration agraire les plus urgents ; mais ils n'ont ni les conceptions ni le personnel nécessaires pour élever le gouvernement hydraulique à un niveau nettement supérieur dans le domaine de l'administration hydraulique et fiscale. Parmi les nombreux changements de dynastie qui caractérisent l'histoire des civilisations agro-directoriales, des révolutions radicalement régénératrices sont probablement l'exception plus que la règle. Naturellement, la suspension de toutes les opérations hydrauliques paralyserait la vie agricole, et cela non seulement dans les régions arides, mais également dans bien des régions semi-arides. Par conséquent, même un gouvernement oriental témoignant de peu d'intérêt pour le système hydraulique consacrera une part de ses efforts à ses
212
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
devoirs administratifs. Il lui faut vivre, en quelque sorte, même s'il doit pour cela dépendre largement, et peu rationnellement, de groupes locaux. Au cours de la dernière phase de la domination byzantine sur l'Egypte, on dit que des propriétaires influents, dont la plupart étaient liés à la bureaucratie (19), ont entretenu les digues et et les canaux dans de nombreuses localités (20). Sur le plan hydraulique l'action du gouvernement se trouvaitelle limitée par de telles dispositions ? Il est difficile de l'apprécier. Cependant, même au cours de cette période critique, l'économie d'irrigation de l'Egypte fut suffisamment constante et efficace pour nourrir les populations et rapporter d'énormes revenus. Cette économie trouva en somme le moyen de se perpétuer. Quand les Arabes firent leur apparition en 639, ils trouvèrent dans la vallée du Nil une population d'environ sept millions (e) d'habitants, c'est-à-dire à peu près l'équivalent de la population qui vivait sous la domination ptolémaïque en Egypte. C. — LES ZONES MARGINALES DU MONDE HYDRAULIQUE Dans des sites arides ou semi-arides, des populations agraires sédentaires ne peuvent vivre de façon permanente et prospère que sur la base d'une économie hydraulique. Ce n'est que dans la zone périphérique, modérément humide, du inonde aride et semi-aride que la vie agraire n'est pas soumise à de telles conditions. Là, le despotisme oriental peut prévaloir, avec une indépendance partielle ou totale par rapport aux activités hydrauliques. 1.
-
S C H É M A S OPÉRATIONNELS E T DE DENSITÉ BUREAUCRATIQUE, VARIABLES DU
DANS
L E S ZONES
MONDE
MARGINALES
HYDRAULIQUE
Dans les zones centrales hydrauliques, les degrés de densité hydraulique fournissent la mesure de la densité institutionnelle. Dans les régions marginales, ce critère perd sa signification. Mais on détermine mieux les degrés d'intensité bureaucratique lorsqu'on essaie d'évaluer le développement relatif des moyens absolutistes employés dans les domaines de la construction (surtout non hydraulique), de l'organisation, et de l'acquisition. (e) P o u r le d é b u t de (6 000 000 plus les enfants l ' E g y p t e p t o l é m a ï q u e , voir J W II 16 : 16 (7 500 000) ;
l ' è r e arabe, v o i r J o h n s o n et West, 1949: 263 et les vieillards) ; voir M u n i e r , 1932 : 84. P o u r Diodore, I, sec. 31 (7 000 000) ; v o i r J o s è p h e , W i l c k e n , 1899, I : 489 sqq.
ZONES
CENTRALES,
MARGINALES
E T SUBMARGINALES
(6,
C)
213
Une comparaison entre le moyen empire byzantin et la Russie post-mongole révèle des différences significatives. Byzance entretint de considérables installations hydrauliques, surtout pour l'approvisionnement en eau potable (a) ; et ces installations n'ont pas d'équivalent en Russie moscovite. Les Russes de la période moscovite ne s'engagèrent pas non plus dans de vastes constructions non hydrauliques comme le firent les Byzantins. Les fondateurs de la Rome d'Orient reformèrent le réseau routier primitif (1) ; et leurs grandes routes étaient la base du système de communication byzantin (2), qui, d'une manière plus limitée, resta en usage même sous les Turcs (3). Les Byzantins firent également de grands travaux de défense. Ils protégèrent leurs frontières par une ligne de fortifications ; et là, comme dans le domaine des communications, ils employèrent à cette tâche une maind'œuvre fournie par la corvée (4). Après la victoire des Turcs seldjoukides à Manzikert (en 1071), l'Etat absolutiste fonctionnait toujours ; et la levée de la corvée de route existait encore au 12 siècle (5) ; mais le régime n'avait plus la vigueur des premiers temps. La grande route militaire, qui au cours des années précédentes avait connu des 'périodes d'abandon et de reconstruction, semble avoir été entretenue « jusqu'au 11° siècle » (6). Quand les Mongols établirent leur domination en Russie, ils ne construisirent pas un réseau serré de routes, ils ne construisirent pas de muraille frontière, ni de forteresses. Ils se contentèrent d'établir des méthodes organisationnelles et acquisitives de contrôle total. C'est dans ces deux domaines que Byzance et la Russie absolutiste agirent de façon analogue sinon identique. Les empereurs byzantins tenaient le registre de la richesse de leur pays au moyen de cadastres complexes (7). Ils avaient le monopole des communications rapides et des renseignements grâce à la poste d'Etat (8). Ils contrôlaient les deux grands secteurs de l'artisanat et du commerce, et cela également jusqu'au 11 siècle (9). Et ils entretinrent des armées ordonnées qui contrastaient avec les hordes de l'Europe féodale (10). Tous ces traits ont leurs analogues dans la Russie moscovite. L'Etat moscovite à son apogée recensait l'ensemble de la population dans des buts fiscaux et militaie
e
fa) B r é h i e r , 1950 : 90 s q q . P o u r une description de quelques-uns de ces ouvrages, voir l u t t e r , 1858 : 155, 160, 167, 202, 346, 378, 406, 496, 547. L a plupart des ouvrages hydrauliques locaux et r é g i o n a u x q u i existaient sous les Turcs remontent probablement à l a p é r i o d e b y z a n t i n e .
214
L E DESPOTISME
ORIENTAL
res (11) ; il faisait fonctionner un système «postal» (de relais) complexe (12) ; il tenait dans le commerce du pays une position clé (13) ; et il levait et dirigeait les armées de manière despotique (b). Au cours des périodes primitives de ces deux régions absolutistes, des terres publiques étaient attribuées à ceux qui servaient l'Etat. A Byzance, ce système apparaît à la veille de la conquête arabe, en un temps de troubles et d'invasions, et comme un moyen de défense contre les attaques des Perses. Cette institution, dont les origines remontent à la Rome primitive (14), et sous sa forme classique à Héraclius I" (610-641), prolonge celle qui existait dans l'Orient antique depuis le temps de Sumer et de Babylone, et qui prévalait également dans la Perse contemporaine (15). Selon le système des thèmes, chaque soldat byzantin recevait une ferme qui, comme son propre poste, était héréditaire et indivise (16). Cette version plébéienne d'un système absolutiste d'attributions de terres administratives fut en vigueur jusqu'au 11 siècle. Puis, après la défaite catastrophique de Manzikert, l'Etat plaça au centre de son système militaire et agricole réorganisé, les grands propriétaires qui, comme on avait développé une cavalerie lourde, devinrent plus utiles sur le plan militaire que les paysans des thèmes (c). Cette transformation s'accompagna de celle de l'ordre acquisitif. Depuis le 7 et jusqu'au II siècle, le gouvernement collecta l'essentiel des impôts en se servant de ses fonctionnaires. Les soldats des thèmes qui vivaient essentiellement du revenu de leurs terres ne constituaient pas un problème fiscal majeur (d). Les détenteurs des pronoia, unités foncières plus vastes, qui constituaient le noyau du système ultérieur d'exploitation administrative de la terre, fournissaient un contingent de soldats équipés d'armes lourdes, et collectaient les impôts chez les paysans des pronoia (17). En même temps que les fermiers de l'impôt (18) nouvellement installés, les pronoetes formaient un groupe de collecteurs d'impôts semi-fonctionnaires, plus e
e
a
(b) P o u r ce principe, voir Herberstein, N R , I : 95 s q q . ; pour son plein d é v e l o p p e m e n t , S t a d e n , 1930 : 58 ; voir K l u c h e v s k y , H R , II : 48, 111, 115. C o m m e nous le montrerons plus loin, toutes ces situations existaient avant I v a n III (1462-1505), dont le r è g n e m a r q u a l'effondrement d u i o u g tartare. (c) V o i r Ostrogorsky, 1940 : 262. Ostrogorsky d é c r i t l a d i f f é r e n c e d u point de vue militaire entre les deux groupes, que je lie ici aux deux types de terre publique. (d) V o i r Ostrogorsky, 1940 : 58. Selon les Tactica Leonis, semblent a v o i r p a y é quelques i m p ô t s mineurs (ibid. : 48).
X X 71, ils
ZONES C E N T R A L E S , M A R G I N A L E S E T S U B M A R G I N A L E S (6,
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215
indépendants à l'égard de l'Etat que ne l'étaient les membres de la bureaucratie fiscale régulière. Parallèlement, le développement russe présente des traits originaux. Les détenteurs de la terre publique, en Russie moscovite, les pomiechtchiki, dans la mesure où ils étaient tenus à un service militaire, servirent dès le début dans la cavalerie lourde et y restèrent en général ; à cause des frais que représentait leur équipement, on leur attribua généralement des terres plus étendues que n'en comportait une simple ferme. A l'intérieur de leur pomiestye, ils collectaient les impôts auprès des paysans. En conséquence, leur gouvernement comme le gouvernement de la Byzance tardive, ne collectait qu'une part de ses impôts en passant par des fonctionnaires professionnels du fisc. Les deux régimes employèrent des méthodes despotiques dans le domaine organisationnel et aoquisitif. Dans le domaine de la construction, de telles méthodes ne furent employées de façon extensive qu'à Byzance, et seulement au cours du moyen empire byzantin (jusqu'au 11 siècle). Il est intéressant de comparer la régression des opérations de construction à Byzance après Manzikert, et la régression de sa bureaucratie fiscale. Dans la Russie moscovite, dès le début, les activités de construction furent sans lien avec l'administration ; et le système fiscal, lui aussi fut, dès le début, caractérisé par un large secteur non bureaucratique. Ainsi, pour la zone marginale comme pour la région centrale de la société hydraulique, nous pouvons formuler la relation qui existe entre densité bureaucratique et densité opérationnelle. Cette relation peut être influencée par d'autres facteurs, et même très fortement. Mais l'expérience confirme ce que des considérations théoriques suggèrent : toutes conditions égales par ailleurs, la densité de la bureaucratie despotique tend à croître ou à décroître avec l'accroissement ou la régression de ses fonctions. e
2.
- IMPORTANCE
GRANDISSANTE
DE
LA
PROPRIÉTÉ
A Byzance et en Russie post-mongole, l'Etat contrôlait l'essentiel de la terre, soit fiscalement, soit administrativement, une grande part en étant attribuée en qualité de terre administrative aux soldats des thèmes, aux pronoetes et aux pomiechtchiki. Socialement et économiquement, les possesseurs de pronoia étaient plus puissants que les guerriers paysans plébéiens des thèmes ; mais ils ressemblaient davantage aux pomiechtchiki russes qu'aux seigneurs féodaux de l'Europe occidentale. Los pronoetes comme les pomiechtchiki livraient une part de leurs reve-
216
LE
DESPOTISME ORIENTAL
nus ruraux à l'Etat. Ils devaient également obéissance totale à leurs gouvernements respectifs. A tous deux manquait cette possibilité essentielle qui était le fait des propriétaires féodaux et post-féodaux — la possibilité d'organiser des associations politiques à l'échelon national, indépendantes (des états généraux : stande). Cependant, ces conditions ne prévalurent pas de façon immuable. Elles existaient encore à la fin de Byzance, jusqu'en 1204, l'année de la défaite complète de l'empire, qui fut remplacé par l'empire latin ; et elles subirent de grandes transformations au cours de la période finale de Byzance, qui s'acheva en 1453. En Russie, elles persistèrent jusqu'en 1762, date à laquelle les anciens pomiestye devinrent des propriétés privées. Au cours de la période tardive de Byzance et dans la Russie post-moscovite, la propriété et l'entreprise privées se consolidèrent considérablement. Devant ce fait, nous pouvons nous demander d'abord si ce développement est caractéristique des despodsmes agraires, et en second lieu, dans quelle mesure la croissance de la propriété privée est responsable des changements sociaux qui se produisirent à Byzance de 1261 à 1453 et en Russie de 1861 à 1917. A Byzance, la grande propriété foncière fut un facteur important même avant 1071 ; mais son importance s'accrût lorsqu'à la fin du 11" siècle et au début du 12*, les propriétaires pronoetes reçurent un surcroît de pouvoir économique et judiciaire. Après la chute de l'empire latin, les pronoetes, qui auparavant n'avaient détenu leurs terres que pour un temps limité, obtinrent « la propriété héréditaire et sans limite » de leurs possessions. Et ils obtinrent aussi des exemptions d'impôt très supérieures à ce qu'elles avaient été jusque-là (19). L'amoindrissement correspondant des revenus de l'empire fut un facteur décisif de l'affaiblissement de l'empire byzantin, qui se trouva par la suite incapable de résister aux Turcs. En Russie tsariste, les faits furent différents. Là, l'industrialisation fit des progrès sensibles au cours du 18" siècle et plus particulièrement du 19 siècle ; ce développement fut étroitement lié à l'extension de la propriété privée d'abord immobilière (la terre) et plus tard mobilière (le capital). e
3.
- CAPACITÉ DU
D E SURVIVANCE
INSTITUTIONNELLE
DESPOTISME ORIENTAL MARGINAL
Mais l'extension de la propriété privée n'amena pas dans la société byzantine une transformation semblable à celle qui se produisit en Europe occidentale. Et elle n
ZONES
CENTRALES,
MARGINALES
E T SUBMARGINALES
(6,
C)
217
permit pas non plus aux capitalistes en Russie, avant 1917, de prévaloir sur les hommes de l'appareil d'Etat. Pourquoi ? Les bénéficiaires du pouvoir total étaient-ils pleinement conscients du problème ? Et cherchaient-ils à isoler et à paralyser les représentants de la propriété privée ? Il est facile de comparer des camps bien séparés. Mais les conditions réelles étaient beaucoup plus complexes. A Byzance, dans la Russie tsariste, et dans la plupart des pays de despotisme oriental, les hommes de l'appareil étaient en général aussi des propriétaires. Par conséquent, le conflit entre les intérêts du régime absolutiste, et les intérêts de la propriété et de l'entreprise privée apparaissent aussi — et souvent d'abord — comme un conflit entre les différents membres de la même classe au pouvoir ou même comme un conflit entre les différents intérêts des individus membres de cette classe. Pourquoi, ces personnes — en tant que groupe et pour de longues périodes de temps — placent-elles leurs intérêts de fonctionnaires au-dessus de leurs intérêts économiques de propriétaires ? a. - Intérêts l'ordre
bureaucratiques despotique.
favorisant
la reproduction
de
Le fonctionnaire civil ou militaire du despotisme agraire fait partie d'une hiérarchie bureaucratique qui, prise dans son ensemble, jouit de plus de pouvoir, de revenu et de prestige qu'aucun autre groupe de la société. Naturellement le poste qu'il occupe aujourd'hui et celui qu'il espère occuper demain, présentent dans le même temps le double aspect de prospérité et de ruine ; il n'est donc jamais en sécurité. Cependant, sous le régime du pouvoir total, le propriétaire non plus n'est jamais en sécurité ; et les risques de la situation ne sont pas compensés par les satisfactions que donne la participation aux coups de dés et aux privilèges du pouvoir total. Ainsi les membres hors fonction de la classe bureaucratique eux-mêmes ne se dressent-ils pas contre les prinpes d'un régime absolutiste dont ils profiteront peut-être demain. Et les membres actifs de cette classe, devant le « grand conflit », s'accrochent agressivement aux privilèges du pouvoir bureaucratique, au revenu, au prestige dont ils jouissent aujourd'hui. Une interprétation étroite et trop simplifiée a obscurci la question en la formulant seulement en termes d'intérêts pour une seule personne, le souverain autocrate. Naturellement, le souverain tient à perpétuer son pouvoir absolu, mais en l'absence d'un appareil gouvernemental efficace, il ne peut atteindre ce but. Les rois de l'Europe 9
218
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
médiévale trouvaient au pouvoir absolu autant de douceur que leurs confrères byzantins, mais les derniers réussirent là où les premiers échouèrent, parce que la bureaucratie byzantine intégrée soutenait le système de pouvoir total en faveur à la fois du souverain et des hommes de l'appareil, tandis que les vassaux, pourvus de fiefs, des rois occidentaux ne préservaient et ne perpétuaient leurs privilèges qu'en veillant à ce que le pouvoir royal restât fragmentaire et contrôlé. Dans quelle mesure le caractère prééminent de l'armée dans certains pays agro-directoriaux peut-il être interprété comme un signe de décentralisation féodale ? Les fonctionnaires militaires sont autant les hommes de l'appareil d'Etat que leurs homologues civils ; et la démonstration la plus sûre que donnent les premiers siècles de l'empire romain s'applique précisément à ce fait. Car c'est justement au moment où l'autorité de l'armée devint prééminente que l'absolutisme romain atteignit sa maturité. La cristallisation du pouvoir despotique en Russie moscovite s'accompagna d'une intense activité bureaucratique ; mais l'immense majorité de ces nouveaux serviteurs de l'Etat maniaient l'épée et non la plume. Si à la fin de l'ère byzantine, les chefs du secteur militaire dans l'appareil d'Etat ont fait figure de chefs politiques éminents, ce fait reflète la pression croissante qu'exerçait l'agression étrangère. Mais il ne signifie pas que ces individus aient servi leur gouvernement d'une façon limitée et conditionnelle comme le faisaient les membres de la classe féodale des barons. b. - Fin de l'époque byzantine formation constructive.
: marasme plutôt
que trans-
Nous devons garder cela en mémoire quand nous essayons d'évaluer l'influence de la grande propriété sur la société à la fin de la période byzantine. La propriété foncière s'accrût au cours des premiers siècles du moyen empire byzantin ; cependant, la protection que l'Etat accordait à la petite propriété paysanne, et les confiscations périodiques des grands domaines (20) retardèrent notablement ce développement. Après 1071, le contrôle devint plus lâche, mais l'Etat tenait encore en main l'économie rurale du pays. A l'inverse de ce qui se produisit en Europe féodale, la conversion de l'institution publique du cadastre en institution privée « n'eut jamais lieu en Orient » (21). Et les pronoetes, quels que fussent les bénéfices personnels qu'ils en aient tirés, durent toujours verser au gouvernement une large part des impôts qu'ils collectaient (22). Après l'interlude de l'empire latin, l'Etat de Byzance ne regagna jamais son autorité première. Les propriétaires
r ZONES
CENTRALES,
MARGINALES
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(6,
C)
219
étaient désormais assez forts pour retenir une part plus large de l'excédent national, mais ils ne consolidèrent pas leur propre unité. Les grands propriétaires et les représentants de la fortune urbaine mobilière ne créèrent pas davantage des corporations à l'échelon national : des états généraux. La propriété privée s'accrût ; mais elle resta politiquement inorganisée. Contrairement à ce qui se passa en Occident, l'extension de la propriété privée à Byzance ne donna pas naissance à une société nouvelle. Elle ne parvint qu'à paralyser la société ancienne. c. - Extraordinaire capacité cratie tsariste.
de survivance
de
la
bureau-
Après 1204, l'empire latin remplaça temporairement le régime despotique traditionnel. Etait-il possible que l'absolutisme bureaucratique byzantin fût influencé par les institutions quasi féodales de l'empire latin (et des ennemis occidentaux de Constantinople en général) de manière assez sérieuse pour ne jamais plus être capable de reprendre sa forme originelle ? En d'autres termes, les propriétaires ruraux et urbains ne réussirent-ils à paralyser le gouvernement byzantin au cours des derniers siècles que grâce aux forces étrangères qui brisèrent les reins du pouvoir despotique ? En ce qui concerne cette question fondamentale, les expériences de la Russie tsariste sont éminemment instructives. La Russie post-mongole fut envahie à de nombreuses reprises ; mais avant la révolution démocratique de 1917, le gouvernement absolu ne fut jamais complètement brisé. L'industrialisation de la Russie fut fortement stimulée par le développement de l'Occident. L'argent étranger qui affluait vers les entreprises privées (capitalistes), donna au secteur privé une importance croissante. Les méthodes et les idées occidentales influèrent notablement sur la pensée et les réalisations russes. Mais toutes ces influences extérieures ne détruisirent pas le caractère absolutiste de l'Etat. Les relations entre la bureaucratie du tsar et les forces économiques privées — et plus tard aussi les travailleurs — continuèrent à être déterminées par les conditions qui étaient depuis longtemps celles de la société russe traditionnelle. Et ces relations étaient et restèrent des relations où la supériorité de la bureaucratie était absolue. Les maîtres de l'appareil d'Etat despotique répondirent à l'évolution de la situation historique par différentes attitudes, mais, jusqu'en 1917, ils ne renoncèrent pas à leur pouvoir absolu. Quand au début du 18* siècle, il devint
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manifeste que l'industrialisation était vitale pour la défense du pays, le gouvernement tsariste ne se contenta pas de surveiller et de réglementer quelques nouvelles industries, comme le firent les gouvernements de l'Europe occidentale. Mais il dirigea lui-même l'essentiel de l'industrie lourde et, de plus, une partie de l'industrie de transformation (e), employant probablement ainsi la plus grande partie des travailleurs, grâce au système du travail forcé (f). Le machinisme posa maints problèmes nouveaux dans le domaine agraire comme dans le domaine industriel. La bureaucratie dominante les résolut — maladroitement sans doute, mais avec succès dans la mesure où sa propre hégémonie fut préservée. Le régime tsariste émancipa les serfs, mais conserva sur les villages un contrôle étroit, les administrant selon un mode quasi oriental. Au cours des dernières décades du 19* siècle, le gouvernement russe, au moyen de taxes directes, et indirectes, semble avoir accaparé à peu près l'ensemble de la production agricole proprement dite des paysans — presque 50 % de leur revenu total (23). Et cette même bureaucratie, qui veillait si efficacement à ses propres possibilités d'acquisition, ne s'opposa pas à ce que l'aristocratie terrienne perdît une large part de ses domaines. Entre 1861 et 1914, la terre appartenant à ce groupe social diminua d'environ 40% (24). Et le programme de réforme de Stolypine, de 1906, a montré le fonctionnariat absolutiste infiniment plus soucieux de créer une classe de puissants propriétaires paysans (les Koulaks) que de protéger les prérogatives foncières des propriétaires ruraux qui étaient dans ses rangs.
(e) En 1743, i'Etat comptait environ 63 000 « âmes » mâles employées dans ses industries de > la zone des Montagnes » (Oural) et 87 000 « â m e s » dans l'industrie des potasses (Mavor, 1925, I : 441) plus un nombre inconnu de travailleurs employés hors de ces deux sphères principales de production gouvernementale, tandis que les ateliers et fabriques privées employaient environ 30 000 « âmes • mâles (travail forcé) (ibid. : 493). Sous Elisabeth (174162) le secteur de l'industrie d'Etat connut une régression temporaire {ibid. : 440 sqq.) mais reprit un élan impressionnant à la fin du siècle. Le quatrième recensement fait apparaître que pour 1781-83, environ 210 000 < âmes » étaient affectées aux industries de la « zone des Montagnes », industries d'Etat, et 54 000 « âmes » à l'industrie privée (£6í<¿. : 441). Un rapport un peu moins complet du Collège des manufactures note pour 1780, 51 000 « âmes » affectées à l'industrie privée de la « zone des Montagnes » et environ 24 000 « âmes • affectées hors de la région-clé de l'industrie russe, de « la zone des Montagnes • (ibid.,
493).
(f) L'industrie lourde formait le noyau principal de l'industrie d'Etat, et jusqu'au « début du 19 siècle, les mines de fer, et les fonderies employèrent uniquement une main-d'œuvre de corvée » (Mavor, 1925, I : 534). e
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Dans le secteur non agraire de l'économie, les aménagements furent également ingénieux. Le gouvernement encouragea l'entreprise capitaliste privée dans l'industrie et le commerce et —dans une moins large mesure — dans les communications et dans la banque. Mais au début du 20 siècle, il dirigeait l'essentiel des chemins de fer du pays ; il imposait son contrôle fiscal aux industries « monopolistes » importantes, et occupait une position-clé dans les investissements étrangers. Au moyen de garanties d'Etat, il influençait environ un tiers de l'industrie de transformation non monopolisée, et en 1914, non moins de 90 % de la première des industries lourdes, l'industrie d'extraction (25). e
Ces faits indiquent la position stratégique que le régime tsariste occupait dans l'économie de la Russie au début du 20 siècle. En accord avec la majorité des autres analystes, I'éminent économiste soviétique Lyachtchenko note que le système bancaire russe d'avant la révolution « différait sensiblement du système bancaire des pays capitalistes occidentaux... La banque d'Etat était la banque centrale de tout le système de crédit russe », et le directeur du crédit dans l'administration du Trésor «contrôlait tout l'appareil financier du pays » (26). II n'est pas nécessaire de fonder l'évaluation de l'ordre social russe sur le seul critère du contrôle financier ; mais il faut certainement noter qu'un seul bureau de l'appareil d'Etat tsariste contrôlait le système financier du pays tout entier. Si l'on considère d'autre part quel était le rôle de la bureaucratie tsariste dans la société rurale et urbaine, on ne peut guère faire autrement que de conclure qu'au début du 20" siècle, les hommes de l'appareil d'Etat étaient plus forts que la société (27). e
d. - La Turquie
ottomane.
Le développement de la Turquie ottomane emprunte des traits aux modèles byzantin et russe. L'empire turc ressemblait à Byzance, dont il recouvrait pour une large part le domaine, en ceci qu'à l'origine il comprenait aussi des zones classiques d'économie hydraulique ; et il ressemblait à la Russie tsariste, étant aussi profondément qu'elle influencé par la société industrielle de l'Europe moderne. Il différait de Byzance en ceci que la perte de ses provinces hydrauliques coïncida pratiquement avec le déclin de sa prééminence politique ; et il différait de la Russie en ceci que l'influence économique et culturelle
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grandissante de l'Occident industriel fut accompagnée et e.i partie précédée d'une tentative réussie d'empiétement sur la souveraineté turque. e. - Différentes
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phases finales d'évolution.
Dans ces trois pays, l'agression extérieure fut un facteur capital pour l'affaiblissement du régime despotique ; et cela confirme indirectement la capacité de survivance de l'ordre despotique oriental. Dans le cas de Byzance, il est difficile de savoir si le marasme final du régime despotique eut pour origine des facteurs externes ou internes — la conquête de 1204 ou une excessive extension de la propriété foncière. Ce qui est clair, c'est que les forces économiques privées montantes ne se dissocièrent pas de façon aiguë et constructive d'un Etat en déclin. Le choc venu de l'Occident fut assez fort pour paralyser le gouvernement despotique traditionnel, mais pas assez pour frayer la route à une société fondée sur la propriété privée (capitaliste) et équilibrée. Dans le cas de la Russie, l'absolutisme bureaucratique ne subit un coup mortel de l'extérieur qu'en 1917 seu\ement. Avant cette date, un despotisme oriental marginal s'adapta avec succès aux conditions d'une industrialisation en progrès. Le gouvernement tsariste fit de plus en plus de concessions à la propriété immobilière et mobilière ; et au cours de la dernière période de son existence, il permit même à un certain nombre d'organisations politiques d'opérer à l'échelon national (28). Mais en dépit de ces modifications, le régime bureaucratique se maintint jusqu'au début de l'année 1917. Dans le cas de la Turquie, les pouvoirs étrangers brisèrent l'indépendance ottomane par une série de guerres ; et bien que la Russie eût participé aux opérations militaires de la Turquie, ce fut l'influence européenne occidentale qui prévalut par la suite. Ce fut sous l'influence européenne occidentale que la Turquie entreprit d'importantes réformes constitutionnelles. A cause du peu d'importance de la propriété privée, tant en terre qu'en capital, les réformes turques furent au début encore plus superficielles que les réformes accomplies dans l'empire tsariste, malgré l'instauration d'un parlement en Turquie dès 1876-77. Mais la faiblesse des forces internes indépendantes était dans une certaine mesure compensée par le déclin continu de l'appareil d'Etat traditionnel, qui finalement s'effondra après les défaites subies au cours de la seconde guerre des Balkans et de la première guerre mondiale.
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AGRAIRES
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DES ÉLÉMENTS H Y D R A U L I Q U E S
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CONTENANT
IMPORTANTS
Parmi les despotismes agraires marginaux, la Russie moscovite et la Byzance du moyen empire, qui possèdent de nombreuses similitudes du point de vue de la civilisation, ont en commun un trait qui intéresse particulièrement notre enquête : ni dans l'une ni dans l'autre de ces deux civilisations les opérations hydrauliques n'ont joué un rôle important. D'autre part, les sociétés liao et maya, qui, en matière de civilisation avaient peu d'analogie, ont ceci de semblable que chez l'une comme chez l'autre, les caractères hydrauliques étaient très apparents. a. - L'empire liao. L'empire liao mérite à plus d'un titre une attention particulière. C'est l'une des rares sociétés de conquête d'Extrême-Orient dans laquelle les conquérants « barbares » (des pasteurs) — en l'occurence les Ch'i-tan — aient dominé une partie de la Chine, sans pour autant transférer leur centre politique de leurs pâturages d'Asie centrale vers les territoires conquis de la Chine (du nord). La dynastie Liao est la première des quatre grandes dynasties conquérantes de la Chine historique, les trois autres étant les dynasties Ts'in (Jurchen), Yuan (Mongols) et Ts'ing (Mandchous). Les institutions liao ont des homologues importants dans les dynasties Ts'in, Yuan, et Ts'ing, et, semble-t-il, également dans d'autres dynasties de conquête et d'infiltration en Chine et ailleurs (g). Au cours des deux cents ans que dura leur domination, les Ch'i-tan ne comprirent pas les véritables possibilités de l'agriculture chinoise. Au contraire, et semblables en cela aux autres « barbares » cavaliers, ils considérèrent avec quelque suspicion ces champs irrigués qui s'opposaient au libre passage de leur cavalerie (29). La plus grande partie de leurs territoires agraires avaient cependant une longue tradition hydraulique. On y avait creusé des canaux et endigué les rivières avant l'établissement du pouvoir liao dans la Chine du Nord et en Mandchourie (30) ; et les conquérants Gh'i-tan semblent avoir été fort désireux de préserver cet héritage hydraulique. Quand une inondation submergea trente villages (g) Cette étude fut facilitée par le fait que les sujets chinois de Liao à qui on apprenait l'histoire, se souvinrent des institutions liao mieux que les scribes de la plupart des autres sociétés de conquête d'Asie qui furent soumises à des conquérants pastoraux. Les raisons de ce phénomène sont analysées dans Wittfogel, 1949 : passirn.
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dans l'actuelle Ho-Pei, « un décret impérial prescrivit de draguer les vieux canaux» (31) ; et en 1074, quand des pluies excessives menacèrent les populations de la vallée du fleuve Liao, « le chancelier du nord [ordonna] une vaste mobilisation des hommes valides le long de la rivière, pour renforcer les digues ». Un fonctionnaire d'expérience prévint que de tels « grands travaux » ne seraient pas avantageux à ce moment-là et demanda que l'on arrêtât le travail de corvée en cours. « La cour impériale l'approuva et suspendit les travaux ». La suite des événements prouva d'une part la justesse du conseil du fonctionnaire — le fleuve ne causa aucun dommage — et de l'autre, l'ampleur et le poids de la corvée hydraulique : « Le long des rives du fleuve, le long de mille fi, il n'y avait pas une seule personne qui ne fût heureuse» (32). Le gouvernement liao était également bien équipé pour — et beaucoup plus enclin à — employer sa maind'œuvre à des constructions non hydrauliques. Les grandes routes furent entretenues et réparées (33) — une fois au moyen d'une énorme corvée qui groupa deux cent mille hommes (34) ; on construisit des lignes de fortifications le long de la frontière (35) ; et deux nouvelles capitales, de nombreux palais, des temples, des tombeaux furent construits au nord des anciens centres de la culture chinoise (36). Des descriptions littéraires et des découvertes archéologiques prouvent que la corvée liao était efficace du point de vue des souverains et accablante du point de vue du peuple (37). Les souverains liao qui étaient de grands constructeurs furent aussi de grands organisateurs. Leurs bureaux recensaient la population, en vue de la taxation, de la corvée, du service militaire (38). Leur système postal était à la fois complexe et rapide (39). Et leur armée était une machine de combat bien coordonnée. Nous avons de bonnes raisons de penser que Gengis Khan, en créant sa formidable organisation militaire, prit pour modèle le schéma liao (40). Ces constructions et cette organisation étaient complétées par des méthodes d'acquisition authentiquement hydrauliques. Il est vrai que certains territoires « confiés » ne livraient au gouvernement que leur redevance en vin (41) ; mais ces régions ne représentaient qu'une petite fraction du royaume (42) ; et par la suite, la plupart d'entre elles passèrent sous le contrôle complet de l'Etat (43). Dans la grande majorité de ses subdivisions administratives, l'Etat veilla particulièrement au paiement des taxes (44), de même qu'à l'accomplissement du service du travail et du service militaire. Des familles et des monastères puissants cherchèrent à obtenir pour leurs
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terres des dégrèvements, mais il est évident que le gouvernement ne lit aucune concession quant à son droit à les taxer (45). La crise finale du pouvoir liao présente tous les traits d'une crise dynastique sous un despotisme agraire typique. Ici, comme dans d'autres circonstances semblables, les propriétaires accrurent leur pouvoir d'acquisition (46), mais non leur force d'organisation. La chute de la dynastie ne fit naître aucun ordre fondé sur l'industrie privée. Au contraire, elle amena la restauration et la régénérescenec de l'ancienne société agro-directoriale. b. - La société maya. La civilisation maya présente des traits écologiques et culturels qui, en plusieurs domaines, sont uniques. Mais ces traits « uniques » recouvrent des conditions de construction, d'organisation et d'acquisition remarquablement semblables à celles des autres sociétés agro-directoriales marginales. Le pays maya antique s'étendait sur une vaste zone, comprenant la plus grande partie du Guatemala actuel, l'ouest de la république du Honduras, tout le Honduras britannique, et le Yucatan. Comme c'est le cas pour la plus grande partie de l'Amérique centrale, cette zone a une année pluviale nettement partagée. De mai à octobre les précipitations sont nombreuses et abondantes, tandis que durant le reste de l'année il y a peu de pluie. Cette dichotomie donna naissance à un développement hydraulique dans les territoires qui bordent le lac de Mexico et aussi dans les zones montagneuses du sud, entre autres les zones du Honduras et du Guatemala peuplées de Mayas. Cependant dans de larges zones du pays maya, des particularités géographiques donnèrent forme et limites à cette entreprise hydraulique. Presque toute la plaine basse du Yucatan et une grande partie des collines entre cette plaine et les montagnes sont formées de calcaire extrêmement poreux ; les précipitations s'y enfoncent rapidement à un niveau malaisé à atteindre. Un site qui exclut la formation de fleuves et de lacs est évidemment entièrement inadapté à l'agriculture. Pis encore, l'absence de réserves naturelles en eau potable, mis à part quelques trous d'eau ressemblant à des puits, est un sérieux obstacle à l'installation de colonies permanentes et peuplées. Pour fonder de telles colonies, il faut d'abord des efforts coordonnés, non pas pour l'irrigation mais pour recueillir et préserver l'eau de pluie. Nous pouvons donc nous attendre à trouver là certaines installations
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hydrauliques qui ne jouent qu'un rôle mineur dans d'autres sociétés agraires. Quand, en 1519, Cortez fit au Yucatan une brève visite, il nota l'existence de puits (pozos) et de réservoirs d'eau (albercas) dans les domaines résidentiels des «nobles» (47). Et en 1566, Landa, dans la première description systématique de la civilisation maya, montra à la fois les difficultés uniques que rencontra la société maya dans cette région, et comment le problème de l'humidité était résolu « soit par l'industrie, soit par la nature» (48). Il est significatif que Landa, comme les auteurs des Èelaciones de Yucatan (h), place les ressources dues à l'industrie humaine avant les ressources naturelles. Les installations destinées à fournir l'eau potable étaient 1°) des puits artificiels (pozos ou cenotes au premier sens du mot maya) (49), 2°) des citernes (chultuns) et 3°) des réservoirs creusés par l'homme (aguadas). Les Relaciones mentionnent des pozos artificiels partout en plaine (50) ; et les premiers observateurs comprirent parfaitement la difficulté qu'il y avait à creuser et entretenir de bons puits sans l'aide d'outils de métal (51). Même après l'introduction d'outils de fer, l'entretien et l'usage de ces puits creusés de main d'homme exigeaient souvent des actions en commun ingénieusement coordonnées (52). En certains cas, les méthodes employées étaient complexes « au-delà de toute imagination» (53), nécessitant la participation active de « la population d'une cité» (54). Mais si importants qu'aient été les cenotes, ils ne suffisaient pas en général à subvenir aux besoins en eau des populations nombreuses. Casares, ingénieur moderne du Yucatan, dit : « Si nous devions compter seulement sur les puits pour l'alimentation en eau, la plus grande partie de notre péninsule serait inhabitable » (55). Dans de telles conditions les citernes et aguadas du Yucatan devinrent d'une importance capitale. On a découvert en de nombreux endroits des constructions souterraines en forme de bouteille, avec des ouvertures circulaires, des chultuns. A Uxmal, Stephens en vit « tant, et en des endroits si inattendus qu'elles rendaient dangereuses les promenades hors des sentiers tracés, et jusqu'au dernier jour de notre séjour, nous en trouvâmes constamment de nouvelles» (56). Ces constructions semblent avoir été de « vastes réservoirs alimentant la cité en eau» (57). Alimentation partielle seulement.
h) R Y , I : 116, 144, 182, 206, 210, 221, 248, 266. A l'occasion, l'accent sera mis sur les pozos naturels (ibid. : 47, et p e u t - ê t r e 290).
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Outre les cenotes et les citernes (i), les Mayas construisaient d'autres réservoirs ou lacs, les aguadas. Même dans les régions de montagne où le terrain présentait des trous d'eau ou des cavités naturelles, des sartenejos, Casares considère les aguadas, naturelles ou artificielles, comme beaucoup plus importantes. Celles qui étaient faites de main d'homme étaient très diverses de formes comme de qualité : « Quelques-unes ont le fond fait de pierres, et parfois de peu de pierres, et il en existe de toutes tailles — ce sont de véritables ouvrages d'art — qui montrent l'ingéniosité et la compétence de leurs constructeurs » (58 ). Peu d'explorateurs ont recherché ces aguadas avec autant d'ardeur que ce pionnier de l'exploration que fut Stephens. Au premier abord, beaucoup semblaient naturelles (59), et les informateurs de Stephens étaient sûrs — et des recherches récentes ont prouvé qu'ils avaient raison (60) — que « des centaines étaient peut-être enfouies dans les bois, et qu'elles ont autrefois fourni cet élément de vie aux populations grouillantes du Yucatan » (61). Du point de vue de l'organisation hydraulique, on ne saurait guère surestimer l'importance de ce fait. Les cenotes exigeaient généralement les efforts en commun de petites communautés seulement ; et les citernes urbaines étaient probablement construites et entretenues par les équipes de travail qui « construisirent à leurs frais les maisons des seigneurs» (62). Mais dans le cas des aguadas, la coopération massive était indispensable. Au milieu du 19" siècle, un ranchero qui voulait faire nettoyer Yaguada proche de son domaine « demanda la participation des ranchos et haciendas à des lieues à la ronde et les ayant presque tous enrôlés pour ce travail, eut quinze cents indiens et quatre-vingts surveillants » (63). Ce travail très coordonné fut nécessaire pour curer une seule aguada en employant des instruments de fer. Dans les conditions de l'âge de pierre qui étaient celles des Mayas, le nettoyage et plus encore la construction d'une chaîne d'aguadas durent nécessiter d'immenses équipes de travail. Il faudra encore étudier ces installations avant qu'on puisse apprécier pleinement la portée institutionnelle des (i) Stephens p r é s u m e (1848, I : 232) que les a l i m e n t é en eau l a p o p u l a t i o n d'une c i t é en ruine Casares (1907 : 227j fait remarquer que ces citernes suffisante p o u r satisfaire les besoins en eau de l a
chultuns d ' U x m a l avaient — « a u moins en partie ». n'avaient pas une c a p a c i t é p l u p a r t des c i t é s antiques.
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cenotes, des citernes et des aguadas faits de main d'homme. Mais, si limitée soit-elle, notre connaissance actuelle nous permet d'établir que les opérations de construction des Mayas présupposent un secteur hydraulique non négligeable. On utilisait les aguadas non seulement en plaine mais également dans la zone montagneuse (64) où se trouvent quelques-uns des plus anciens centres de la civilisation maya (65). Et les canaux d'irrigation, les lacs artificiels et autres travaux hydrauliques d'un type familier ont été découverts dans la partie montagneuse du pays maya (j) et naturellement aussi dans la région des collines (k). On a souvent décrit les constructions extra-hydrauliques des Mayas. Les premiers témoignages espagnols soulignent la grandeur des « maisons » et des « édifices » que les habitants construisent pour leurs maîtres laïques et leur clergé (66) ; des ruines grandioses confirment ces témoignages anciens. Un réseau serré de grandes routes reliait entre elles nombre de cités, et comme les pyramides, les palais et les temples durent requérir d'énormes corvées (67). Pour certains types de corvée de construction, il n'existait pas d'équivalence (68) ; et une politique semblable semble avoir prévalu en ce qui concerne d'autres sortes de corvée, y compris la corvée agricole au bénéfice des «seigneurs» (69). Mais que les paiements en équivalence aient été uniformes ou non, il n'y a aucun doute que le peuple travaillait pour ses maîtres d'une manière
(j) Dans l'antique c i t é m a y a de Palenque, Stephens d é c o u v r i t les restes d'un c a n a l t a p i s s é de grandes pierres (Stephens, I T C A , II : 321 et 344). Blom t r o u v a un s y s t è m e complexe de drainage f en d'autres points de ces ruines » (Blom et L a Farge, T T , I : 189). Il remarqua aussi un s y s t è m e < assez perfect i o n n é » d'irrigation dans la r é g i o n d'Amatenango, Chiapas (ibid., II : 396) qui faisait autrefois partie de l'ancien empire m a y a . Plus à l'est, a u Guatemala, Stephens ( I T C A , I : 206) rencontra > un grand lac artificiel, fait à l'aide de barrages sur plusieurs cours d'eau ». U n canal au H o n d u r a s ,sans doute préhistorique, servit p e u t - ê t r e « à irriguer « n e grande partie de la plaine inférieure » p r è s d u lac Y o j a (Strong, Kidder et P a u l , 1938 : 101). (k) L a r é g i o n des collines, i n t e r m é d i a i r e entre la zone montagneuse et le n o r d d u Y u c a t a n , comprend des d é p r e s s i o n s ressemblant à des abreuvoirs, dont le fond argileux forme des « lacs, des plaines m a r é c a g e u s e s et des cours d'eau » ( L u n d e l l , 1937 : 7 ; R i c k e t s o n , 1937 ; Cooke, 1931 : 287), mais m ê m e l à , le terrain est en grande partie c o m p o s é d'un calcaire si poreux que les p r é c i p i t a t i o n s naturelles y disparaissent rapidement à u n n i v e a u inaccessible, c r é a n t une dangereuse p é n u r i e pendant trois ou quatre mois chaque a n n é e (Ricketson, 1937 : 10). Des chultuns en forme de bouteille « creuses dans le calcaire dur de toute la r é g i o n » ont p u servir de r é s e r v o i r s à eau, si leurs parois avaient é t é « rendues i m p e r m é a b l e s par un r e v ê t e m e n t » (ibid. : 9 sqq.). Une aeuada proche d ' U a x a c t u n est « s a n s aucun doute le reste d'un ancien r é s e r v o i r , et des fouilles d u fond mettraient certainement à jour le sol de pierre dont il a v a i t é t é p a v é » (Morley, 1933 : 139).
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coordonnée. Des hommes éminents, évidemment des fonctionnaires « qui savaient se faire obéir » (70), agissaient au nom du souverain. On peut évaluer le pouvoir du souverain, qui régnait soit sur une cité, soit sur un groupe de cités, d'après le fait que les fonctionnaires locaux ne prélevaient rien sur l'impôt qu'ils collectaient uniquement au profit du centre (m). Les «conseillers municipaux» qui aidaient le fonctionnaire local principal, avaient « la charge de certaines subdivisions de la ville, dont ils collectaient les impôts et réglaient les autres affaires municipales» (71). Selon une description régionale, les fonctionnaires de ces divisions municipales devaient «veiller au tribut et aux services (travail communal?) en temps convenable et assembler les habitants de leur division administrative pour des banquets et des fêtes aussi bien que pour la guerre» (72). En plus d'un grand nombre de fonctionnaires civils, qui utilisaient une écriture hiéroglyphique et qui, entre autres choses, tenaient le cadastre (73), on trouvait des fonctionnaires militaires, dont certains détenaient leur poste à vie, tandis que d'autres étaient nommés pour trois ans (74). C'étaient des hommes choisis, à qui incombait la plus lourde partie des combats, et qui recevaient une compensation spéciale, sorte de cadres des troupes, mais « d'autres hommes pouvaient aussi être appelés» (75). Les souverains déterminaient (et limitaient) la durée d'une campagne en tenant compte de considérations pratiques, la période d'octobre à janvier, morte saison en agriculture, et qui était considérée comme la meilleure saison pour engager des guerres (76). Dans le domaine de l'acquisition, le pouvoir du régime sur les sujets était également illimité ; et on ne peut guère douter que les souverains aient pleinement usé des possibilités qu'ils avaient. On a dit « que le tribut était léger» (77) ; et il est en effet possible que la taxe exigée de chaque individu ait été modeste. Mais il faut se rappeler que sous la domination inca et mexicaine, les paysans qui cultivaient la terre pour l'Etat et les temples ne payaient aucune taxe. Au contraire, les paysans mayas qui cultivaient les champs de leurs maîtres, livraient de plus « du maïs, des haricots, du chile, des volailles, du miel, de l'étoffe de coton, et du gibier» (78). Un compte rendu régional laisse entendre qu'un tel tribut était volontaire, mais un autre, qui concerne la même localité, note que qui ne paierait pas serait sacrifié aux dieux (79).
(m) L e s fonctionnaires locaux é t a i e n t à l a charge des paysans, q u i cultivaient leurs champs, entretenaient leurs maisons, et les servaient personnellement ( T o ï z e r , 1941 : 62 sqq., n. 292 ; R o y s , 1943 : 62).
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« SPORADIQUE
2 »
ou
« MARGINAL
1 » ?
Notre examen de Byzance et de la Russie, de l'empire liao et de la civilisation maya nous amène à différentes conclusions. La densité hydraulique des quatre ensembles diffère largement : elle est très basse ou proche de zéro dans les deux premiers cas, et relativement élevée dans les deux derniers. En fait, on peut facilement classer Liao et les Mayas dans les cas limites des sociétés hydrauliques sporadiques — ce sont des variantes de « Sporadique 2 », d'après nos symboles. Actuellement nous nous contenterons de les classer parmi les sociétés orientales marginales qui présentent d'importants éléments hydrauliques, « Marginales 1 » (M 1 ) à côté des « Marginales 2 » (M 2), ou sociétés orientales présentant peu ou pas d'éléments hydrauliques. Le fait que les catégories M 1 et S 2 sont très proches l'une de l'autre et M 1 et M 2 très éloignées est aussi significatif que le fait que toutes les variantes du type marginal utilisent les méthodes d'organisation et d'acquisition d'un Etat despotique. Ainsi quelle que soit leur qualité hydraulique marginale, leurs méthodes de contrôle social les place nettement dans le monde « oriental ». 6.
-
INSTITUTIONS M O R C E L A N T DOMINANTE
L E S SUCCESSIONS
SOUMISE
A
E T RELIGION
L'ETAT
Bien d'autres faits peuvent venir appuyer notre classification fondamentale. Mais nous ne ferons état ici que de deux critères particulièrement importants : le système morcelant les successions et la dépendance de l'autorité religieuse. Le code de Justinien — Novelle 118 — prescrit la division égale de la propriété entre les enfants d'une personne décédée. Cette loi, quelle qu'en soit l'origine, convient parfaitement aux besoins d'un despotisme oriental. En Russie, les conditions de la propriété changèrent autant que les schémas institutionnels dont elles faisaient partie. La terre votchina, forme pré-mongole de la puissante propriété noble n'était pas fragmentée ; et il en fut ainsi longtemps après que les nobles propriétaires de ces terres eurent été contraints de servir l'Etat. La terre pomiestye était une terre administrative. A l'origine elle se transmettait de père en fils (80) ; mais puisque tous les adultes mâles devaient le service civil et militaire, le domaine pomiestye fut finalement considéré comme un bien de famille, à diviser entre les différents héritiers du père (81). Quand l'importance croissante des armes à feu
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transforma l'aristocratique armée de cavalerie en armée plébéienne d'infanterie, on eut besoin de moins de nobles dans l'armée, et Pierre I", assimilant pomiestye et votchina, rendit héréditaire (82) l'usufruit de ce nouveau type de terre administrative. La loi de 1731 est une étape importante dans le processus qui devait faire des pomiestye des propriétés privées. A partir de cette date, la terre des pomiestye fut divisée entre tous les enfants, et, selon le Livre de la Loi, « également entre chacun d'entre eux » (83). En Europe occidentale, les nobles sortirent d'une période de service d'Etat contractuel et limité (féodal) avec des propriétés terriennes suffisamment consolidées au moyen du droit de primogéniture et de l'indivision. A l'inverse, et s'opposant également à la tradition indigène de la votchina, les nobles de la Russie tsariste sortirent d'une période de service d'Etat obligatoire et illimité avec une propriété foncière affaiblie par une loi de succession qui prescrivait la fragmentation. Dans la société liao la classe tribale dirigeante — excepté en matière de succession impériale — semble avoir rejeté le principe de primogéniture (84), préservant ainsi ses mores pastoraux, qui permettaient le partage des biens de famille entre tous les fils. Dans sa partie chinoise, le régime s'en tint soigneusement aux lois chinoises traditionnelles (85). De nombreux édits louent les sujets chinois qui se conforment à l'idéal familial chinois (86). Nous n'avons donc aucune raison de douter que le gouvernement chinois ait également respecté la loi chinoise fragmentant la succession. Une loi de succession fragmentée prévalait certainement aussi chez les Mayas. Landa dit : « Ces Indiens n'accordaient pas à leurs filles de partager l'héritage avec leurs frères, sauf par une bienveillance spéciale ; et en ce cas, ils leur donnaient une partie des biens, et les frères se partageaient le reste également, sauf celui qui avait le plus contribué à augmenter la propriété, et à qui ils donnaient l'équivalent » (87). A Byzance, l'Eglise, étant organisée sur un plan national dès le début, était bien préparée à une lutte pour son indépendance. Mais les souverains de la Rome d'Orient et de la première période byzantine traitaient de la religion comme d'une partie du jus publicum ; et même après les catastrophes du T siècle, le gouvernement byzantin put combattre les tentatives faites par l'Eglise pour conquérir son autonomie. Au 10' siècle, l'empereur jouait encore un rôle important dans le choix du Patriarche. Et en vertu de ses fonctions judiciaires, il pouvait aussi s'immiscer dans l'administration de l'Eglise (88).
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ORIENTAL
Il est significatif que l'Eglise soit devenue plus indépendante au cours de la dernière phase du moyen empire ; mais même à ce moment, un empereur pouvait forcer un Patriarche récalcitrant à abdiquer (n). Ce ne fut qu'après la période de l'empire latin que l'autorité ébranlée de fond en comble dut tolérer une Eglise quasi autonome (89). Dans la Russie tsariste, le régime bureaucratique manifesta son énorme vitalité par une victoire sur l'Eglise d'Orient, qui, après la chute de Byzance transféra son siège à Moscou, « la troisième Rome ». A la fin de la période mongole, l'Etat russe toujours plus puissant exerça une autorité croissante sur l'Eglise. Ivan III se saisit de la moitié de la terre des monastères de Novgorod ; Ivan IV, le Terrible, exigea plus de taxes et plus de services des terres d'église (90), et en 1649, un nouveau «ministère des monastères » resserra encore le contrôle de l'Etat sur l'Eglise (91). En 1721, Pierre 1" abolit le patriarcat et plaça l'Eglise sous l'autorité d'un organisme d'Etat, le saint-synode (92). Et quelques décades plus tard, en 1764, l'Etat confisqua la plus grande partie des terres d'église sans compensation, assignant seulement un huitième du revenu de la terre au clergé (93). Après ces mesures politiques, religieuses et économiques, « l'Eglise fit de plus en plus partie de la machine administrative d'Etat» (94). Dans la société liao, le problème d'une église indépendante ne se posa jamais. Les fonctionnaires du gouvernement, sous la direction de l'empereur, partageaient avec de nombreux shamans qui, comme les prêtres des temples bouddhistes, ne constituèrent jamais une organisation (une « église » ) indépendante et nationale, la présidence des cérémonies religieuses (95). Nous avons déjà mentionné les relations étroites unissant l'autorité séculière et religieuse chez les Mayas. On pense que le souverain d'une province, le halach ninic, remplissait certaines « fonctions religieuses limitées » (96) ; et certains prêtres pouvaient aussi être des chefs de guerre (97). Mais rien n'indique que les prêtres des grands temples se soient unis en une organisation, si ce n'est pour participer aux tâches gouvernementales. Scholes dit : « Dans bien des cas, les fonctions sacerdotales et les fonc(n) U n conflit s é r i e u x se terminait tout de m ê m e en faveur de l'Eglise, non parce que l'Eglise é t a i t une puissance forte et i n d é p e n d a n t e , mais parce que l a haute bureaucratie se tournait contre le souverain (Ostrogorsky, 1940 : 239 sqq.).
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tions politiques avaient été combinées de telle manière qu'il était difficile, sinon impossible de les distinguer » (98). 7.
-
LOCALISATION,
GENÈSE, E T VULNÉRABILITÉ
INSTITUTIONNELLE DES DESPOTISMES
AGRAIRES MARGINAUX
La période moyenne et finale de Byzance, l'empire liao, et la civilisation maya montrent certaines des différenciations institutionnelles qui peuvent se produire entre les régimes agro-despotiques. Une analyse d'autres civilisations de cette catégorie les différencierait plus encore. Les Indiens hopi de l'Arizona, par exemple, n'entreprennent que de modestes travaux hydrauliques — surtout le nettoyage printanier communal (99) — mais leurs constructions sont impressionnantes. Le Tibet eut à affronter certains travaux d'irrigation dans les vallées fluviales du haut plateau (100), mais ces travaux n'avaient sans doute pas une grande portée hydraulique. Cependant les « moines-fonctionnaires » (101) mirent en place une corvée bien organisée (102), ainsi qu'un système postal complexe et rapide (103). Les possesseurs de terres administratives servaient le gouvernement inconditionnellement en qualité de fonctionnaires réguliers (104) ; et l'appareil fiscal veillait à ce que personne n'échappât à l'impôt (105). > Les rois de l'Asie Mineure et certains souverains de provinces de la Chine primitive furent plus remarquables comme constructeurs et comme organisateurs que comme ingénieurs hydrauliciens. Mais une fois admis le dénominateur commun, il est facile de reconnaître que toutes ces civilisations sont des variantes du type marginal de la société hydraulique. Comment sont nées ces sociétés marginales ? Et dans quelle mesure étaient-elles ouvertes au changement ? Avant d'essayer de répondre à ces questions, nous devons étudier leur distribution relative — c'est-à-dire leur relation spatiale avec les grandes zones hydrauliques du monde. a. - Localisation. Prenant pour coordonnées les grandes zones hydrauliques du Vieux et du Nouveau Monde, nous découvrons que les développements marginaux, par exemple les provinces non hydrauliques de la Chine antique, se trouvent dispersés entre des zones nettement hydrauliques. Bien d'autres développements marginaux (les Pueblos hopi, les royaumes de l'Asie Mineure antique, Byzance au
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Moyen Empire, le Tibet, le Liao, les Mayas), apparaissent sur la périphérie géographique d'une zone hydraulique. Ce n'est pas le cas cependant pour la Russie qui n'avait pas de proches voisins hydrauliques lorsqu'au 13 siècle les Mongols commencèrent à y introduire des méthodes despotiques de gouvernement. Des cas comme celui de la Russie sont plutôt l'exception ; mais ils servent à démontrer que des despotismes agraires marginaux peuvent surgir à une grande distance du plus proche centre important de vie hydraulique. e
b. - Genèse. La distribution spatiale de la plupart des Etats agrodirectoriaux marginaux nous fournit de nombreuses indications sur leurs origines. Pour la plupart ils ne se formèrent pas plus tôt — et souvent se formèrent plus tard, le fait est vérifiable — que les civilisations hydrauliques les plus anciennes de la région. En certains cas, pour Byzance par exemple, le territoire marginal se dissocia d'un complexe hydraulique (sporadique) plus ancien. En d'autres, le territoire marginal était adjacent à une société hydraulique proprement dite ; et bien que l'inter-relation ne soit pas toujours attestée, il est vraisemblable que c'est le second type qui a stimulé le premier. Les modes de construction, d'organisation et d'acquition du centre hydraulique ont pu se communiquer directement aux régions non hydrauliques au cours de périodes de domination temporaire. Ou bien des souverains indigènes ont pu adopter certaines des techniques gouvernementales de leurs voisins hydrauliques, techniques avantageuses du point de vue du groupe dirigeant, et qui étaient faciles à imposer à une société privée de forces importantes, bien organisées et indépendantes dans les domaines économique, militaire et idéologique. Ou bien des experts en matière de gouvernement despotique et administratif ont pu quitter leur patrie hydraulique pour des territoires adjacents non hydrauliques, soit qu'ils aient fui leur pays, soit qu'ils aient été invités en qualité de maîtres ou d'associés du pouvoir dans la nouvelle patrie. Sur le plan institutionnel, la connaissance des techniques hydrauliques d'organisation et d'acquisition suffisait sans doute pour pousser une tribu non hydraulique peu coordonnée à se transformer en communauté non hydraulique mais administrée. Cela nous fait comprendre facilement que les Indiens hopi aient construit des villages forteresses semblables à ceux des tribus pueblos, authentiquement hydrauliques ; qu'ils aient, comme les habitants
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des autres pueblos, mis leurs équipes de travail sous la direction de dirigeants communaux ; et qu'ils aient cultivé les champs de leur chef suprême. Une combinaison de sociétés hydraulique centralisée et agro-directoriale marginale peut naître d'une racine tribale composite. En Chine préhistorique et protohistorique, une telle combinaison a pu être provoquée par des contacts culturels divers et prolongés : visites, alliances, relations commerciales et conquêtes. L'introduction d'institutions agro-directoriales marginales par des conquérants tribaux non agraires a pu se faire selon un autre modèle génétique. En ce cas, les conquérants emploient et répandent des méthodes de gouvernement hydraulique en matière d'organisation et d'acquisition, bien qu'eux-mêmes ne pratiquent pas l'agriculture dans des proportions appréciables, même sous sa forme non hydraulique. Et, étant nomades, ils peuvent répandre de telles méthodes loin des frontières politiques et culturelles de toute grande zone hydraulique. La conquête mongole en Russie confirme ces deux théories (o). Le pouvoir des Ch'i-tan différa, par le caractère comme par l'origine, de celui de la Horde d'Or. La plus grande partie des régions agricoles de l'empire liao avait auparavant fait partie du monde chinois antique, de type hydraulique sporadique ; les maîtres Ch'i-tan n'eurent pas de mal à maintenir l'administration absolutiste traditionnelle avec l'appui des fonctionnaires chinois, prêts à entrer en qualité de partenaires dans une alliance un peu malaisée, mais praticable. Comme les Mongols de la Horde d'Or, les hommes des tribus Ch'i-tan restèrent, dans leur ensemble, des pasteurs ; mais leur groupe dirigeant s'intégra étroitement au fonctionnariat despotique oriental, qui présidait à d'énormes constructions non hydrauliques et même à d'énormes travaux hydrauliques. Les sociétés agro-directoriales marginales analysées dans la présente enquête se sont formées selon des pro-
(o) E n cherchant à expliquer le d é v e l o p p e m e n t d u despotisme moscovite par une pression militaire e x t é r i e u r e , on aboutit g é n é r a l e m e n t à cette conclusion que la pression é t a i t e x e r c é e par les agresseurs nomades de l'est (voir Kluchevsky, H R , II : 319 sqq.). O n peut, bien s û r , imaginer q u ' u n gouvernement n o n « oriental » se soit i n s p i r é des techniques de p o u v o i r despotique, en particulier si le secteur non gouvernemental de la s o c i é t é n'a pas de i forces i d é o l o g i q u e s , é c o n o m i q u e s et militaires fortes, o r g a n i s é e s , i n d é p e n d a n t e s ». Cependant les nobles, p r o p r i é t a i r e s des votchina, bien aue p r i v é s d'organisations corporatives, n ' é t a i e n t pas sans puissance ; et les é v é n e m e n t s de la p é r i o d e mongole montrent que les Grands F r i n c e s de Moscou, qui entreprirent de soumettre les p r o p r i é t a i r e s , furent e u x - m ê m e s longtemps d o m i n é s directement p a r les Tatares.
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cessus différents ; mais toutes semblent être issues de sociétés hydrauliques, concentrées ou sporadiques quelquefois, une telle origine est certaine, quelquefois elle est probable. Est-ce cependant inévitablement et uniquement de cette façon que ces sociétés se sont formées ? Pas du tout. Il est tout à fait possible que quelques sociétés à direction agro-despotique se soient formées spontanément. Mais nous ne pouvons évidemment présumer un tel développement que si l'ordre despotique en question remplit les fonctions d'organisation et d'acquisition d'un gouvernement hydraulique et si, pour des raisons historiques et géographiques, une influence institutionnelle extérieure peut être rejetée, comme étant tout à fait improbable. Ayant reconnu la possibilité d'une origine indépendante, je dois ajouter que les cas de régimes agro-despotiques {selon les termes de notre étude), ayant une ascendance hydraulique certaine ou probable sont si nombreux que les cas d'une origine indépendante vériflable ne modifieront pas notre théorie fondamentale de façon importante. Pratiquement, tous les agro-despotismes historiquement importants qui ne remplissent aucune fonction hydraulique semblent avoir pour origine des sociétés hydrauliques préexistantes. c. - Vulnérabilité
institutionnelle.
Il semble qu'il leur ait fallu des liens directs ou indirects avec un centre agro-hydraulique pour que naissent pratiquement tous les despotismes agraires marginaux. Mais un lien continu n'est pas nécessaire à leur perpétuation. Ces despotismes agraires marginaux tendent à survivre, même à des crises internes sérieuses, sans l'aide d'une région hydraulique centrale. Ils sont cependant plus que les zones centrales susceptibles de perdre leur identité institutionnelle sous la pression de forces extérieures non hydrauliques. Il est évidemment très difficile de créer un contrepoids efficace à un appareil gouvernemental capable de réprimer, paralyser, fragmenter ces forces économiques, idéologiques et militaires qui permirent à l'Europe médiévale (féodale) de se transformer en société industrielle. Des crises politiques sérieuses se produisirent dans toutes les sociétés hydrauliques. Mais la façon dont les hommes de l'appareil les surmontèrent est la preuve de la capacité de survivance de leurs méthodes d'organisation et d'exploitation. Des politiciens actifs qui savaient où ils allaient ont tenté de rétablir le seul type éprouvé de gouvernement qui leur promît en même temps pouvoir total et privilège
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total. Et leur tentative de restauration fut grandement facilitée par l'inaptitude politique et organisationnelle de leurs rivaux non gouvernementaux. Parmi les grands propriétaires fonciers, même s'ils étaient nombreux, les éléments ayant l'ambition de jouer un rôle politique étaient beaucoup plus enclins à se saisir du pouvoir total qu'à le limiter. Et les représentants de la fortune mobilière (les capitalistes), même nombreux, étaient si accoutumés à penser en termes de pouvoir d'Etat fondé sur la propriété privée qu'ils se contentèrent de poursuivre leurs affaires sans chercher à s'emparer de ce pouvoir politique convoité de façon si caractéristique par la bourgeoisie différemment conditionnée d'Occident. Soumise à la pression de forces extérieures importantes et non hydrauliques, la zone hydraulique périphérique est évidemment plus vulnérable que la zone hydraulique centrale. Envahie par des tribus nomades, la Chine du Nord, région hydraulique, se divisa parfois en plusieurs provinces ; cependant, même quand les conquérants <• barbares » devinrent maîtres de ces provinces, elles gardèrent leurs structures traditionnelles de pouvoir agro-despotique. Au contraire, la société hydraulique marginale de l'Occident romain s'effondra sous des pressions tribales, et des formes non orientales de société et de gouvernement reparurent. De même si nous examinons le cas de Byzance à son déclin, il semble légitime de penser qu'un ordre plus intensément administratif (hydraulique) eût résisté à la conquête latine et n'eût pas cédé à des forces économiques privées à l'intérieur de ses propres frontières, jusqu'à se laisser paralyser par elles. La Russie moderne offre un exemple particulièrement probant. Ebranlée mais non point brisée par l'agression extérieure, la bureaucratie tsariste permit aux idées occidentales de se répandre et aux groupes et aux partis anti-autocratiques de se former, et ce processus transforma temporairement la Russie, en 1917, de société fortement centralisée en société décentralisée (à centres multiples) (p). D. — ZONE SUBMARGINALE DU MONDE HYDRAULIQUE 1.
-
L E
PHÉNOMÈNE
La coordination effective des méthodes absolutistes d'organisation et d'acquisition est la condition minima (p) P o u r une analyse chap. 10.
plus c o m p l è t e
de ce p h é n o m è n e , v o i r plus l o i n ,
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pour le maintien d'un authentique despotisme agraire. Au-delà de cette limite, nous trouvons des civilisations qui, en l'absence de cette combinaison, présentent quelques traits épars d'institutions gouvernementales hydrauliques. Les régions dans lesquelles se trouvent ces traits épars au sein d'autres ordres sociaux constituent la zone submarginale du monde hydraulique. 2.
- LES C A S
a. - La Grèce protohistorique. Un analyste des institutions de la Grèce protohistorique ne peut manquer d'être frappé par le caractère hydraulique de la Crète minoenne. Cette civilisation dut certainement son importance internationale à ses communications maritimes ; mais ce fait, une fois reconnu, il ne faut pas oublier que la proximité de la mer à elle seule n'explique pas tout. Ainsi, les anciens Cretois, comme les autres peuples de navigateurs, fondèrent leur thalassocratie sur des conditions internes spécifiques. Dans quelle mesure la technique égéenne consistant à « chercher l'eau par des moyens artificiels » et à utiliser canaux et digues au service d'une agriculture raffinée (1) fit-elle de la société minoenne une société hydraulique, c'est ce qui n'apparaît pas clairement. Mais il est évident par contre que les insulaires accomplirent des miracles dans le domaine du drainage et probablement aussi dans celui de l'adduction d'eau (2). Nous savons parfaitement que la Crète possédait tout un réseau de routes excellentes (3). Et nous avons de bonnes raisons pour penser que le surintendant des travaux publics occupait une situation éminente (4) dans l'administration complexe et centralisée du pays (5). L'écriture minoenne n'est pas encore déchiffrée, mais il est certain que le gouvernement en usait largement au service « de méthodes bureaucratiques d'enregistrement et de comptabilité qui, transmises de siècle en siècle, se perfectionnèrent sans cesse » (6). Ces faits et d'autres encore étayent la théorie d'une « civilisation minoenne essentiellement non européenne » (7). Et bien que les Minoens aient manifesté trop de particularités culturelles pour être désignés comme « orientaux » (8), ils étaient liés par « quelques liens manifestes et même étroits à l'Asie Mineure, la Syrie et l'Egypte» (9). Ehrenberg conclut que « l a vie de sultan des rois de Cnossos et de Phaestos et en particulier, leur cour, leurs fonctionnaires, leur économie, présentent des traits semblables à ceux de leurs homologues du Proche-
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Orient ; de même ils différaient absolument de ce qu'on trouve en Occident» (10). La civilisation proto-grecque de Mycènes, qui se développa alors que le pouvoir minoen déclinait, rend compte de développements quasi hydrauliques significatifs en Argolide et en Béotie, et aussi probablement en d'autres parties de l'Orient grec. Entre le milieu et la fin du second millénaire avant notre ère, les ingénieurs mycéniens exécutèrent de grands travaux de drainage autour du lac de Copais en Béotie ; et ils couvrirent l'Argolide d'un complexe réseau de routes (11 ). Leurs souverains vivaient dans d'énormes édifices semblables à des forteresses, et érigeaient des tombes monumentales (12). Bengtson compare leurs constructions aux « grandes créations de l'Orient antique, les pyramides et les ziqqurats » (13). Il est vrai que rien n'atteste l'existence d'une bureaucratie, et que l'usage de l'écriture primitive semble avoir été restreint (14). Mais en dépit de telles restrictions, Bengtson pense que « seul un pouvoir central fort put concevoir et réaliser ces travaux », qui, étant donné leurs dimensions, requirent selon toute probabilité les services d'une main-d'œuvre de corvée indigène à laquelle s'ajouta celle des esclaves capturés (a). De plus, on peut attribuer une origine orientale au culte des divinités chtoniennes et des étoiles que les Grecs de la période historique héritèrent de leurs ancêtres mycéniens, et c'est, en effet, à cause de ces cultes religieux qu'ils pratiquaient la prosternation (15). Mais quand les Grecs de l'époque classique refusèrent d'accomplir devant un despote oriental ce geste de soumission qu'ils jugeaient convenir à un dieu (16), ils prouvèrent que même si la Grèce mycénienne était marginalement hydraulique, la Grèce post-mycénienne appartenait à la zone submarginale du monde hydraulique. A l'époque classique, les édifices monumentaux de l'Argolide (17) avaient perdu leur signification depuis longtemps ; et la grandiose citétemple d'Athènes, l'Acropole, dont les origines remontent aux temps mycéniens (18), fut administrée par un gouvernement qui confiait même l'administration de ses travaux publics à des entrepreneurs privés (19). b. - Débuts
de
Rome.
On sait que les Etrusques, qui venaient apparemment de la zone hydraulique marginale d'Asie Mineure (20), (a) Bengtson, 1950 : 41. Bengtson mentionne les esclaves avant les travailleurs i n d i g è n e s de c o r v é e , mais i l indique que ces derniers é t a i e n t aussi nombreux que les premiers.
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avaient entrepris d'extraordinaires travaux de construction avant l'époque romaine. Leurs travaux hydrauliques dans la vallée du Pô sont impressionnants (21), et d'autres dans le centre de l'Italie, sont également dignes d'attention (22). Sous la domination étrusque, les Romains apprirent à construire des « ouvrages monumentaux » (23). Plus tard, mais avant de fonder leur première colonie sur le sol hellénistique ils commencèrent à construire des routes solides (24). Mais bien que de telles réalisations soient plus caractéristiques d'un ordre agraire hydraulique que d'un ordre pluvial, la Rome de cette époque était manifestement une variante aristocratique d'une société non orientale à centres multiples. c. - Le Japon. On a souvent négligé certains traits orientaux de la Grèce antique et de Rome. Au Japon ils ont été fréquemment surestimés, et cela pour une bonne raison. Le Japon fait partie du continent asiatique, et la civilisation japonaise a des traits communs avec celles de la Chine et de l'Inde. De plus, les Japonais ont élaboré l'un des systèmes d'irrigation les plus subtils que l'on ait jamais connus. Cependant la société japonaise ne fut jamais hydraulique, au sens où l'entend la présente enquête. Pourquoi l'économie japonaise fondée sur le riz ne reposait-elle pas sur de grands ouvrages hydrauliques dirigés par le gouvernement ? Tout spécialiste de géographie économique peut répondre à cette question. Les ressources en eau de ce pays ne nécessitent ni ne favorisent des travaux gouvernementaux importants. D'innombrables chaînes de montagnes fragmentent les grandes îles extrême-orientales ; et leur relief tourmenté encourage une irrigation fragmentée (hydro-agriculture) plutôt que coordonnée. Pour l'historien des institutions, Asakawa, les sites japonais ne permettait « aucune Bewâssenrungskultur extensive (*) 'à la façon de l'Egypte, de l'Asie occidentale ou de la Chine» (25). L'agriculture japonaise d'irrigation fut entreprise non pas par des dirigeants nationaux ou régionaux mais par des fonctionnaires locaux ; et les travaux hydrauliques n'eurent de l'importance qu'à l'échelon local et au cours de la première phase de la période historique. Les souverains du centre politique dominant effectuèrent assez tôt une unification politique de forme lâche, mais n'eurent pas à affronter des tâches hydrauliques (*) Culture h y d r a u l i q u e ( N . d . T . ) .
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requérant l'action coordonnée de grandes équipes de corvée. Et ils ne subirent pas la domination d'un Etat despotique oriental. Ils ne réussirent donc pas à créer une bureaucratie complète administrative et acquisitive capable de dominer les forces non gouvernementales de la société, comme le firent les hommes de l'appareil d'Etat sur le continent chinois. On tenta pour la première fois en 646 de créer au Japon un despotisme bureaucratique et centralisé et la réforme de Taikwa marque l'apogée spectaculaire de ce régime. D'après notre critère, on peut classer ainsi ses objectifs : I. - Construction
:
A. - Hydraulique. Un édit de 646 exigeait une procédure uniforme pour les digues et les canaux (26). B. - Non hydraulique. L'édit de réforme fondamentale ordonnait la création d'un réseau de routes pour la poste impériale. II. - Organisation
:
A. - La population devait être recensée périodiquement, et les registres du cens conservés. B. - Une corvée gouvernementale devait remplacer d'autres obligations locales plus anciennes (et quasi féodales). C- - Une poste d'Etat devait être organisée. III. - Acquisition
:
A. - Les paysans devaient être taxés sur la base de la terre que le gouvernement leur assignait. B. - Le service de la corvée d'Etat pouvait se commuer en paiement d'une taxe (27). C - Un certain nombre de fonctionnaires, en particulier les fonctionnaires locaux et les hauts dignitaires, devaient se contenter pour leur entretien, du revenu de terres qui bien souvent appartenaient déjà à ces nouveaux titulaires, mais qui seraient dorénavant exemptées de taxes. Comparé aux tentatives mérovingienne et carolingienne d'instauration d'un pouvoir absolu, le programme japonais de 646 était beaucoup plus oriental. On ne peut expliquer ce fait que par les contacts entre le Japon et la Chine T'ang. Durant des siècles, les Japonais avaient
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pratiqué l'agriculture d'irrigation (28) et leurs souverains avaiert entrepris des travaux de construction de type non hydraulique. Ainsi les efforts des souverains réformateurs qui voulaient imiter les empereurs chinois étaient-ils justifiés par les tendances indigènes qui étaient, même de façon rudimentaire, nettement hydrauliques. Mais ces tendances quasi orientales ne suffirent pas à donner forme à la société japonaise. Les innovations hydrauliques que suggérait la Réforme manquaient de ce dynamisme qui caractérisait des tentatives semblables dans les sociétés hydrauliques primitives. La Réforme favorisa l'exécution de « travaux publics ». Mais tandis que pour les nouvelles institutions japonaises on adoptait sans grand changement la structure de trois des six ministères de la Chine T'ang (taxation, guerre, justice) et qu'on apportait d'heureuses modifications à la structure de deux autres (personnel administratif et rite), le sixième ministère chinois (le ministère des travaux publics) ne trouva aucune équivalence dans ces nouvelles institutions (29). Cette omission n'était pas accidentelle. Un canal creusé en 656 apparut comme une pure « folie » et les esprits critiques le comparèrent à une colline colossale et inutile qui fut érigée au même moment (30). De plus, les décrets qui établissaient un service de travail universel, imposèrent beaucoup moins de jours de corvée que les règlements T'ang. Les clauses où l'on prévoyait la possibilité de transformer la corvée en impôt montrent que le gouvernement japonais s'intéressait davantage au revenu qu'au travail (31). L'attribution (et/ou réattribution) de terre exempte d'impôts aux fonctionnaires importants fut peut-être la plus grande concession du gouvernement de Réforme aux forces féodales de la société japonaise. Derrière la nouvelle façade bureaucratique une lutte féroce s'engageait pour étendre et confirmer les exemptions d'impôts. Et les représentants de ces forces centrifuges y réussirent si bien que les bénéficiaires devinrent plus tard des propriétaires héréditaires qui, comme leurs homologues européens, instaurèrent la succession unique (32). Au moment où le système de tenure changea, le cens universel disparut ; et les tentatives pour le rétablir furent sans succès (33). La taxation générale eut le même sort. En dépit de nombreux éléments caractéristiques de l'agriculture empruntés à la Chine, la société décentralisée et fondée sur la propriété privée, au cours du moyen âge japonais, ressemblait davantage à l'ordre féodal de la lointaine société européenne qu'au schéma hydraulique du proche empire chinois. Les poètes du Japon féodal, comme leurs confrères d'Europe féodale, chantèrent les exploits
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héroïques de guerriers solitaires, ou de groupes de guerriers. Mais les armées du Japon médiéval, assemblées sans ordre, ne stimulèrent guère la pensée stratégique ou tactique. Les écrivains japonais de cette période citaient les autorités chinoises, Sun Tzu par exemple ; mais le Japon féodal, comme l'Europe féodale ne fit pas progresser l'art de la guerre (b). Avant 1543, les armées japonaises « se composaient de petites bandes de soldats qui combattaient isolément plutôt que groupés en unités tactiques » (c). La concentration absolutiste du pouvoir gouvernemental, qui caractérisait la période Tokugawa (1603-1867), avait encore plus de points communs avec les formes occidentales d'absolutisme, tant en ses aspects économiques (le lent développement du capitalisme industriel et commercial fondé sur la propriété privée) qu'en ses limitations politiques. C'est au cours de cette période — exactement en 1726 — que fut effectué le « premier recensement approximativement exact» (34). C'est alors que le réseau routier connut une expansion vigoureuse (35) ; et c'est alors enfin que le gouvernement, ainsi que certains d'entre les seigneurs féodaux les plus éminents, entreprirent le creusement d'un certain nombre de canaux d'intérêt local (36). Mais, en dépit de ces entreprises et de quelques autres, — lesquelles, les travaux d'irrigation exceptés, trouvent en Europe absolutiste des homologues riches d'enseignement — le régime absolutiste du Japon ne fut pas assez fort pour imposer à l'empire entier son autorité acquisitive. Le revenu national étant de vingt-huit ou vingt-neuf millions de koku, les représentants du pouvoir suprême, les shogouns tokugawa et la cour, ne s'en octroyaient que huit millions à peu près, tandis que la plus grosse part, et de beaucoup, restait aux mains des grands vassaux
(b) L e lecteur se souviendra que le terme « art de l a guerre » d é s i g n e à la lois la pratique et la t h é o r i e de la s t r a t é g i e et de la tactique. U n e é t u d e r é c e n t e sur l'organisation militaire antique et m é d i é v a l e attribue « les origines d'un art de la guerre conscient » en E u r o p e p o s t - f é o d a l e , à Maurice de Nassau (Atkinson, 1910 : 599), q u i j o u a u n r ô l e d é c i s i f dans l a guerre pour l ' i n d é p e n dance des P a y s - B a s . (c) B r o w n , 1948 : 236 sqq. U n e collection de textes japonais anciens, Gunsfto liuiju, contient de nombreuses r é f é r e n c e s à Sun T z u et autres t h é o r i ciens de l'art militaire de cette é p o q u e . Mais l a t h é o r i e japonaise est « un m é l a n g e peu c o h é r e n t , q u i ne ressemble g u è r e à S u n T z u . . . Ce sujet se trouve t r a i t é pour l a p r e m i è r e fois de m a n i è r e m é t h o d i q u e dans u n ouvrage de T a k e d a Shingen (1521-1573) » (extrait d'une lettre d a t é e d u 16 f é v r i e r 1954, d u Dr Marius Jansen, de l ' U n i v e r s i t é de W a s h i n g t o n , Seattle, qui a é c l a i r c i ce point en collaboration avec son c o l l è g u e , le D r R i c h a r d N . Me K i n n o n ) .
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féodaux (37). L'absolutisme japonais imposa des limites étroites à la puissance des seigneurs féodaux. Mais jusqu'en 1867, il fut incapable de les éliminer. Mais en soulignant les similitudes qui existent entre la société japonaise traditionnelle et l'Occident féodal et post-féodal, il faut prendre garde de ne pas simplifier à l'excès. Le contenu oriental de bien des institutions et de bien des concepts japonais ne fait pas de doute. A la base, et sur un échelon local, l'agriculture japonaise d'irrigation requérait une coordination et une subordination quasi hydrauliques ; et l'obéissance totale imposée par les seigneurs féodaux est une exigence qui peut, en partie du moins, refléter des relations sociales quasi hydrauliques. Des rudiments de système postal ont pu exister avant la période tokugawa (38) ; et le symbole de la soumission totale, la prosternation, a survécu jusqu'aux temps modernes (d). Les membres du groupe dirigeant, bien que fortement imprégnés d'esprit militaire, restèrent fidèles à un confucianisme quelque peu adapté (39) ; et bien qu'ils eussent adopté des symboles phonétiques simplifiés, ils continuèrent à employer avec une réelle fierté l'écriture chinoise qui, de même que la conception confucéenne de l'honnête homme-bureaucrate, convenait mieux à un fonctionnariat civil lettré qu'à une chevalerie belliqueuse. En résumé : le Japon traditionnel était plus qu'une féodalité occidentale implantée dans une rizière. En même temps que cette société extrême-orientale donnait naissance à un véritable ordre féodal fondé sur la propriété privée, les nombreux éléments chinois sociaux et spirituels pour lesquels elle garda une prédilection montrent que, d'une manière submarginale, elle était liée aux types institutionnels du monde hydraulique. d. - Russie pré-mongole
(de Kiev).
La société russe d'avant la conquête mongole (123740) offre un autre aspect, tout aussi instructif, de la zone hydraulique submarginale. Au cours de la période kievienne et pré-kievienne, l'économie alimentaire du « Rus » comprenait aussi l'élevage (e) ; mais elle était essentiellement agricole (40). Dans les conditions d'une économie naturelle, l'agriculture favorisa le développement (d) Durant mon séjour au Japon, je vis nombre de professeurs d'université se saluer — avant un banquet officiel — par des prosternations. (e) La plus ancienne version connue de la loi russe, Russkaya Pravda, mentionne des délits à propos de boeufs, moutons, chèvres, chevaux, veaux et agneaux (Goetz, RR, I : 15 sqq.).
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d'une noblesse terrienne nombreuse, subordonnée de manière vague à des princes gouverneurs de provinces (f). Au-dessous de cette classe mais au-dessus des kholopi (41) quasi esclaves, vivait dans une relative aisance une classe de libres cultivateurs (42) ; et les citadins jouissaient d'une liberté plus grande encore. Leur « conseil », le veche pouvait prendre des initiatives politiques, non seulement dans la grande république septentrionale de Novgorod (43), mais encore dans des capitales comme Vladimer (44), et même Kiev (45). Avant la fondation de l'Etat de Kiev {circa 880) (g) des transactions légales pouvaient s'effectuer, sans l'intervention d'aucune autorité princière, entre les chefs des communautés rurales — et urbaines — lesquelles communautés, dans le code de lois russe le plus ancien que nous possédions sont appelées mir (h). Et même au cours de l'ère kievienne (circa 880-1169), le gouvernement, bien que considérablement plus fort qu'auparavant, était loin d'être absolutiste — il en était aussi éloigné que pouvait l'être un Etat féodal occidental à la même époque. Du point de vue institutionnel, la société kievienne appartenait de toute évidence au monde féodal et proto-féodal de l'Europe. Elle appartenait à ce monde, mais d'une façon qui requiert une étude particulière. Comme la société hydraulique, la société féodale possède une zone institutionnelle marginale ; et la société tribale russe qui se forma dans la zone périphérique orientale du monde féodal fut, pendant des siècles, et en particulier après 880 (46), sous la domination des Varègues (47), qui avaient pour origine — et eurent bien souvent pour allié — un pays nordique, la Scandinavie. Mais bien que Rurik ait autrefois reçu un fief de l'empereur franc (48), il n'imposa pas aux slaves orientaux le système de tenure en vigueur en Europe occidentale. Ses successeurs firent de même. Les membres de la suite princière, la drousina, et les nobles de souche locale, ignoraient le contrat féodal (49). La faculté qu'ils avaient de «s'écarter» (50) indique un type d'indépendance qui dans le régime féodal occidental
(f) Ce fait a é t é é t a b l i par les é t u d e s de P a v l o v - S i l v a n s k y , les p r e m i è r e s en date. P o u r un examen g é n é r a l de ses conclusions essentielles, v o i r B o r o s d i n , 1908 : 577. P o u r une é t u d e faite i n d é p e n d a m m e n t et aboutissant a u x m ê m e s conclusions en ce q u i concerne l a s o c i é t é russe p r i m i t i v e , v o i r H ô t z s c h , 1912 : 544. (g) V e r n a d s k y (1943 : 368) place l a c o n q u ê t e de K i e v par Oleg « entre 878 et 880 de notre è r e ( h y p o t h è s e , 878) ». (h) Russkaya Pravda, I ,17 = Goetz, R R , I : 8, 9. V o i r V e r n a d s k y , 1948 : 134. Dans l a t r o i s i è m e version de l a l o i , le terme p r i m i t i f de mir est r e m p l a c é par gorod, c i t é [Russkaya Pravda, III : 40 = Goetz, R R . I : 28, 29, v o i r 272 sqq.).
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était plus souvent l'exception que la règle (51). D'autre part, les prnees des différentes provinces vivaient, non du revenu des domaines royaux, comme il était d'usage dans la plupart des pays féodaux, mais d'un impôt général, de droits de péage, et d'amendes légales (52). La société kievienne ressemblait ainsi à l'ordre féodal de l'Occidental en ceci que les princes partageaient le droit de prendre des décisions politiques « avec l'assemblée populaire (veche) et le sénat (boyarskaya douma) » (53) ; et les nobles surent instaurer une forme de propriété foncière absolue que les seigneurs de l'Europe occidentale n'acquirent qu'à la fin du moyen âge. Comme dans l'Occident féodal, les cités — les plus importantes, du moins — et les nobles étaient exemptés de taxes (54). Mais cette convention très imprécise se combinait avec un système fiscal permettant au gouvernement de taxer la population rurale tout entière. Soumettre à l'impôt chaque foyer était un principe en vigueur à Byzance (55) ; et les Khazars semi-pastoraux l'appliquèrent à ces slaves orientaux qu'ils dominaient avant la victoire des Varègues. Les Varègues continuèrent la procédure fiscale des Khazars (56), et cela, avec des modifications, pendant toute la période kievienne (57). Ils adoptèrent aussi d'autres usages « asiatiques » des Khazars ou de tribus voisines des Khazars. Et pendant un certain temps, leurs chefs se nommèrent « khagans » (i) ; et avant leur conversion au christianisme, ils avaient, semble-t-il, de nombreuses concubines gardées dans des sortes de harems (j). L'influence directe de Byzance se fit sentir de bonne heure. Outre les nombreux éléments littéraires et artistiques, les Russes adoptèrent le christianisme oriental et la loi byzantine, qui tous deux influencèrent le climat politique de Kiev. Les prêtres byzantins (« grecs »), venant en Russie, y apportèrent des principes de domination et de subordination théocratiques. Accoutumés à se comporter en collaborateurs plutôt qu'en rivaux du pouvoir temporel, ils contribuèrent certainement à promouvoir la puissance du prince (k). L'introduction de la loi byzantine
(i) V e r n a d s k y (1043 : 282) p r é s u m e que ce titre fut e m p r u n t é aux Khazars. L e titre de khagan é t a i t p o r t é par « les premiers princes de K i e v ». A p r è s V l a d i m i r son fils Y a r o s l a v fut n o m m é ainsi par le m é t r o p o l i t e H i l a r i o n Ubid, : 370, et n. 302). (j) O n dit de V l a d i m i r qu'il avait e n v i r o n 800 concubines a v a n t sa conversion (Nestor, 1931 : 55). (k) Ce fait a é t é s o u l i g n é par nombre d'historiens. P l a t o n o v fait remarquer que « la conception c h r é t i e n n e et byzantine d'un prince de droit divin...
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renforça aussi l'autorité des souverains de Kiev. Dans la seconde version de la loi russe, influencée par Constantinople, le souverain et ses fonctionnaires apparaissent nettement comme les détenteurs de l'autorité judiciaire suprême (58). Mais la société kievienne n'acceptait pas in toto les notions du grand empire oriental en matière légale. Le code byzantin prescrivait un châtiment corporel pour le vol d'un cheval ; mais la loi russe révisée demande, comme dans sa version plus ancienne, une simple amende (59). En dépit de son grand prestige, la loi byzantine ne prévalut pas sur la conception kievienne qui s'opposait à ce qu'un homme libre fût frappé. 3.
-
COMMENTAIRE
Naturellement, les civilisations qui appartiennent à la zone marginale de la société hydraulique présentent un large éventail institutionnel ; et leurs structures fondamentales ne seront comprises que si elles sont d'abord étudiées dans leur contexte institutionnel originel. Cependant il ne faut pas négliger certaines qualités secondaires qui les lient au monde hydraulique : o
I ) Une civilisation qui a autrefois fait partie du monde hydraulique peut, dans une phase non hydraulique et plus tardive de son histoire, conserver des traces de cette condition précédente, qui, si elles ne sont pas nécessaires à cette nouvelle conformation, ne sont pas pourtant incompatibles avec elle. La Grèce post-mycénienne appartient à cette catégorie. 2°) L'adoption délibérée de traits «orientaux» bénéfiques explique un phénomène comme celui du Japon Taikwa et de la Russie kievienne. Un autre point qui vaut pour des sociétés hydrauliques marginales vaut aussi pour la zone submarginale.
s'oppose à l ' i d é e p a ï e n n e s e l d » laquelle le prince é t a i t un simple chef de droujina, et p o u v a i t ê t r e c h a s s é et t u é » (Platonov, 1925 : 40),. L ' a c a d é m i c i e n s o v i é tique G r e k o v cite dans sa t o t a l i t é ce passage de la Chronique de Nestor : « Dieu donne le p o u v o i r à qui lui p l a î t ; l ' E t r e s u p r ê m e d é s i g n e q u i il d é s i r e pour ê t r e c é s a r o u prince ». T o u t E t a t devrait avoir à sa t ê t e un c é s a r ou un prince, et le pouvoir d ' E t a t est d'origine divine — tels sont bien « les traits familiers de la conception byzantine d u pouvoir d ' E t a t ». Grekov souligne l'esprit autoritaire de cette Chronique c h r é t i e n n e : « Quiconque attaque l ' a u t o r i t é — selon cette conception — se montre l'ennemi de D i e u ». E t t le m é r i t e de Y a r o s l a v fut de restaurer une a u t o r i t é unique dans l ' E t a t » (Grekov, 1947 : 133 sqq.).
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Il ne serait pas juste de concevoir comme hydraulique subimrginale une société agraire présentant certains traits despotiques dans le domaine de l'organisation et de l'acquisition, mais qui d'autre part n'a aucun lien attesté avec le monde hydraulique. Des traits isolés relevant de l'Etat hydraulique, tels que la levée d'un impôt général ou d'un tribut, sont certainement apparus dans des civilisations qui n'avaient que peu ou pas de contacts avec ce monde. C'est évidemment ce qui se produisit pour un certain nombre de sociétés tribales ; et si nous ne connaissions pas l'origine asiatique des Khazars, nous serions peut-être tentés de classer leur système de collecte du tribut dans cette catégorie résiduelle et indépendante. C'est une analyse comparative qui en chaque cas particulier nous montrera s'il s'agit de tendances hydrauliques .submarginales ou d'une tendance indépendante. E. — SOCIÉTÉS QUI FRANCHISSENT LA FRONTIÈRE INSTITUTIONNELLE La zone submarginale du monde hydraulique ne se laisse pas réduire à une formule simple. Et elle n'est pas nécessairement immuable. Un certain nombre de civilisations appartenant à cette frange, et qui ont joué historiquement un rôle de premier plan, ont franchi la frontière institutionnelle et sont devenues, soit des sociétés hydrauliques marginales, soit de véritables sociétés hydrauliques. D'autres ont évolué dans la direction opposée. Les civilisations que nous avons examinées jusqu'à présent étaient essentiellement agraires. Le concept même d'économie hydraulique implique celui d'économie agricole. Mais l'histoire des Ch'i-tan, des Mongols et d'autres conquérants tribaux prouve que le despotisme oriental ne se limite pas aux sociétés agraires. Des peuples non agricoles peuvent aussi adopter et transmettre des techniques de gouvernement despotique ; et ils peuvent « orientaliser » des groupes non agriculteurs aussi bien que des groupes agriculteurs. L'importance de ce fait est évidente lorsqu'il s'agit de comprendre la nature des nombreuses sociétés despotiques de conquête, et la dynamique de la division institutionnelle. 1. ET
- DES
PEUPLES
NON AGRICULTEURS
TRANSMETTENT L E S MÉTHODES A U DESPOTISME
ADOPTENT
D E POUVOIR
PROPRES
AGRAIRE
Des peuplades vivant de l'exploitation des ressources naturelles — cueillette, chasse, pêche — ont habité à la
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lisière du monde hydraulique. Sur ce point la société marginale pueblo (1) et l'époque primitive de l'histoire aztèque constituent deux exemples riches d'enseignement. Mais aucun groupe primitif non agriculteur n'a joué un rôle aussi important que les pasteurs. Le Nouveau Monde manquait d'animaux de trait et de selle. Le Vieux Monde possédait différentes espèces de ces animaux. Leur domestication fut d'une grande utilité pour les agriculteurs, et surtout pour les pasteurs, qui, une fois inventée l'équitation, devinrent les égaux sur le plan militaire, et parfois les maîtres de vastes et riches communautés agricoles (2). a. - Le nomadisme pastoral n'implique pas nécessairement le despotisme agraire mais est compatible avec lui. Les pasteurs nomades complètent souvent leur économie d'élevage par l'agriculture (3). Cependant, tenus de mener plus loin leurs troupeaux, ils ne peuvent accorder une attention continue aux cultures qui entourent leurs campements. Leur mode de vie, la migration perpétuelle quelle qu'en soit la régulation, rend impossible la construction de ces ouvrages destinés au contrôle des eaux qui constituent la base même de l'agriculture hydraulique. Mais ce mode de vie ne les empêche pas d'adopter des méthodes orientales despotiques d'organisation et d'acquisition. Naturellement de telles méthodes ne naissent pas des besoins de la vie pastorale. Bien qu'un minimum de coordination et de subordination soit nécessaire au bon ordre des campements et des migrations, et bien que des habitudes de discipline soient extrêmement profitables tant à la chasse qu'à la guerre (4), ces méthodes n'aboutissent pas nécessairement à l'instauration d'un appareil politique plus puissant que toutes les forces non gouvernementales de la société. Des facteurs techniques (la nécessité périodique de disperser de nouveau hommes et troupeaux) et des facteurs sociaux (la résistance des membres libres des tribus à cette exigence de soumission totale) jouent dans l'autre sens. Même la soumission à un chef militaire puissant est essentiellement un geste librement consenti. Limitée dans le temps, et en l'absence d'institutions organisationnelles irréversibles, il est rare qu'une telle soumission remédie au manque de structure de la société tribale et lui fasse perdre son aspect sporadique (5). Le dirigeant et son entourage sont impatients de s'assurer un pouvoir total et permanent ; mais en général ils n'atteignent ce but qu'après avoir conquis ou s'être 10
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soumis à un pays hydraulique. Dans le second cas, les seigneurs suprêmes de l'Etat agraire peuvent étendre leurs propres types de contrôle politique (cens, corvée, taxation) aux populations pastorales soumises, dont les chefs deviennent alors les maîtres absolus et permanents des tribus. Dans le premier cas, le chef de tribu suprême (khan, khaghan, etc.), s'empare du mode de gouvernement des civilisations agro-directoriales qu'il vient de soumettre. Appuyé par les fonctionnaires indigènes qui perpétuent l'administration traditionnelle et par un groupe de partisans tribaux dont le nombre croît en fonction de son succès, il ne laisse à ses nobles rivaux que l'ombre de leur ancienne importance, quand il ne les anéantit pas purement et simplement. Dans l'un et l'autre cas, les membres des tribus peuvent perdre leur identité culturelle, et même éventuellement leur identité sociale et politique. Il en fut ainsi pour de nombreux groupes arabes sous le califat des Abbassides. Les tribus cependant, même ^soumises, ne renoncent pas facilement à leur ancien mode de vie ; et les conquérants tribaux ne sont pas si facilement absorbés que ne le veut la légende (6). En se soumettant à ces modifications nécessaires, les maîtres tribaux d'un empire hydraulique composite peuvent conserver leur identité sociale et culturelle ; et ils peuvent imposer ainsi leurs techniques de pouvoir nouvellement acquises à des contrées non hydrauliques éloignées. C'est ce qui se produisit lorsque les Mongols, après la conquête de la Chine du Nord, soumirent la Russie. La désintégration d'un empire hydraulique composite peut encore rendre l'autonomie à quelques-uns ou à la totalité de ses éléments tribaux ; et c'est alors qu'est mise à l'épreuve la capacité de survivance du despotisme dans les conditions du pastoralisme tribal. Il arrive parfois que le régime de despotisme se dissolve aussi complètement que l'empire où il s'était développé. Mais l'expérience historique montre que ceux qui bénéficiaient des avantages d'un gouvernement absolutiste conservèrent une situation privilégiée, au moins en partie, pendant quelque temps. Il est par conséquent évident que des méthodes despotiques en matière d'acquisition et d'organisation, si elles n'accompagnent pas nécessairement le nomadisme pastoral, ne sont nullement incompatibles avec celui-ci. b. - Fragilité du pouvoir despotique oriental à la lisière du monde hydraulique. Des études récentes ont fourni une riche moisson de faits concernant ces processus chez les tribus Ch'i-tan, lesquelles, de même que les conquérants liao, se rendirent
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pour quelques temps maîtresses de la région nord-est de la Chine. Plusieurs études ont éclairé des aspects analogues de l'histoire mongole ; et des études ultérieures des sociétés tribales de conquête du Proche-Orient, de la Perse, de l'Inde, et de l'Amérique pré-espagnole découvriront certainement de nombreuses autres variétés de cet important ordre institutionnel. Les connaissances que nous possédons nous permettent déjà de comparer les formes pastorale et agraire d'une société hydraulique marginale. La capacité de survivance d'un authentique despotisme est sans aucun doute bien supérieure dans un cadre agricole que dans un cadre tribal, pastoral ou nomade. L'économie de steppe change de forme sans cesse à cause de la dispersion des nomades, de leur isolement, ce qui explique les centres indépendants d'élevage et les centres militaires également indépendants. Cataclysmes naturels ou graves défaites militaires affaiblissent ou font disparaître un despotisme pastoral, aussi rapidement que les succès militaires et les conquêtes le font naître. L'essor et la chute météoriques de nombreux empires des steppes en Asie centrale et occidentale, ainsi que dans l'Europe du sud-est rendent manifeste la fragilité du despotisme pastoral. Les tribus « Noires » Ch'i-tan, qui menaient paître leurs troupeaux dans la Mongolie du nord, un siècle après la chute de l'empire liao, ne conservaient plus guère de traces de l'ordre politique coordonné que leurs ancêtres firent régner, tant en Extrême-Orient qu'au Turkestan (7). Après la chute de l'empire du Grand Khan, le pouvoir mongol ne fut plus que l'ombre de ce qu'il avait été, mais il ne disparut pas complètement. En 1640, les Mongols-Oirat étaient encore soumis à des lois qui, bien qu'infiniment plus clémentes que le Yasa (8) de Gengis Khan, imposaient encore aux hommes des tribus une participation à des corvées de portage (9) relativement lourdes. Manifestement la société mongole de l'époque post-impériale ne manquait pas entièrement de cohésion quand ses maîtres trouvèrent en soutenant l'ascension des Mandchous une occasion d'appuyer, de manière privilégiée, quoique secondaire, une nouvelle et ambitieuse tentative d'instauration d'un régime despotique, dans une zone marginale d'abord, dans une grande zone centrale ensuite, du monde hydraulique. 2.-
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Le passage des sociétés pastorales d'un ordre non hydraulique à un ordre hydraulique représente un chan-
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gement aussi bien sur le .plan géographique que sur le plan institutionnel. Au contraire, les sociétés agricoles ne changent pas de cadre géographique. Elles passent d'un ordre à l'autre sur un plan purement institutionnel. Une autre différence affecte le registre des possibilités de cette transformation. Les sociétés pastorales qui conservent leur identité économique peuvent passer de la zone marginale à la zone submarginale du monde hydraulique, et réciproquement. Mais les sociétés agricoles, à l'origine submarginale, si elles peuvent devenir hydrauliques-marginales ont aussi la possibilité de devenir des sociétés à fonctionnement hydraulique intégral, et vice-versa. De même que les sociétés pastorales, les sociétés agricoles changent le contenu ^de leurs institutions le plus souvent dans la zone géographiquement périphérique par rapport aux régions agro-directoriales ; car c'est là que se sont affrontées depuis des millénaires les forces du monde hydraulique et du monde non hydraulique. Les mutations sociales de la Grèce, de Rome, de l'Espagne et de la Russie sont toutes des épisodes de cette gigantesque interaction. a. - La Grèce. Partant d'une situation marginale ou submarginale, la Grèce mycénienne évolua vers un ordre social dans lequel les forces démocratiques et aristocratiques limitèrent les éventuelles tendances de l'Etat à exercer un pouvoir incontrôlé sur les forces non gouvernementales de la société. Les Grecs d'Homère, d'Hésiode, de Sophocle, se prosternaient devant certains de leurs dieux ; mais ils se refusèrent à reconnaître, dans le représentant suprême du pouvoir d'Etat, leur maître (despotes). Pendant des siècles, et malgré la proximité du monde hydraulique, les cités grecques d'Asie Mineure restèrent fidèles, à l'intérieur de leurs frontières, aux principes d'une société à centres multiples. Ce n'est qu'après les conquêtes d'Alexandre que les antiques libertés constitutionnelles commencèrent à reculer. Les souverains hellénistiques de l'Orient restreignirent l'indépendance politique de leurs propres peuples, tant en Asie que dans les cités métropolitaines. Avec l'aide de leurs auxiliaires grecs et macédoniens, ils eurent vite fait de revêtir les vêtements somptueux du pouvoir despotique oriental. L'empire romain à ses débuts, et Byzance, complétèrent ce que les dynasties hellénistiques avaient commencé. Les Grecs du Proche-Orient — et ceux de la mère patrie — s'intégrèrent à un empire hydraulique qui comprenait de vastes régions d'économie hydraulique sporadique (Syrie) ou concentrée (Egypte). Au cours du 7* siècle,
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cet empire passa à la zone marginale du monde hydraulique. Plus tard, les conquérants turcs en firent de nouveau une société hydraulique sporadique. Les Byzantins et les Grecs de Turquie n'étaient plus les Hellènes d'Hésiode, de Périclès ni d'Aristote. Si sur le plan ethnique cela reste une probabilité, sur celui des institutions, c'est une chose établie. Les descendants des Mycéniens qui, au cours de la période classique, créèrent pour les libres membres de leurs communautés un idéal de citoyenneté démocratique, furent les ancêtres des Grecs byzantins qui avec leur cérémonial compliqué firent du terme « byzantinisme » l'expression même de la soumission humaine totale, et ritualisée, au pouvoir total. b. - Rome.
1. - Développement d'une version hellénistique du despotisme oriental. En Grèce, le passage à des formes hydrauliques d'Etat et de société commença avec les conquêtes d'Alexandre. A Rome, l'instauration par Auguste d'un pouvoir monarchique absolu marque non pas le début, mais le stade déjà assez avancé d'une évolution en cours, depuis deux cents ans environ. Dans l'histoire institutionnelle de Rome, l'année 211 avant notre ère marque un tournant. C'est cette année-là que dans le royaume nouvellement soumis de Syracuse, les Romains « se trouvèrent pour la première fois en contact avec le système juridique subtil et complexe d'un Etat essentiellement agraire organisé selon les modèles égyptien et hellénistique» (10). La république italienne victorieuse fit de ce système, dit Lex Hieronica (*), «l'organisation de base de sa première économie de province » (11). Ce faisant, elle adopta un principe fondamental de gouvernement hellénistique, principe qui fait de l'Etat le détenteur du pouvoir absolu et le propriétaire de la totalité de la terre (12). En qualité de successeurs de Hieron, les conquérants romains firent de leur Etat, le populus romanus, le maître suprême de l'économie agricole sicilienne. Et ils firent de même dans les autres territoires de leur empire en expansion. Dans les régions de la Méditerranée orientale, cela n'apporta que peu de modifications à l'état de choses préexistant. Mais dans les régions occidentales où Rome étendit son empire, des conditions non hydrauliques préCi
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valaient. Il est par conséquent extrêmement important que les conquérants romains aient étendu « également à l'Occident» (13), avec les modifications nécessaires, le système hellénistique. Du point de vue romain, le principe hellénistique d'une taxation générale était « une innovation absolue ». Et cette innovation réussit parce qu'elle s'accompagna d'un recensement périodique complet. Selon un projet de Hieron que les Romains adoptèrent, « il était du devoir des magistrats des cités de faire chaque année le recensement de tous les fermiers relevant de leur administration... de noter à la fois la superficie totale... et la superficie réservée à chaque culture» (14). Ces développements à l'extérieur ne créèrent pas automatiquement un Etat plus fort que la société dans la mère patrie romaine ; mais la métropole subit des transformations internes qui affaiblirent de manière désastreuse l'aristocratique république traditionnelle. D'une part, des guerres de conquête sans fin enrichirent la classe sénatoriale des grands propriétaires, maîtres d'esclaves en nombre sans cesse grandissant ; d'autre part, ces guerres ruinèrent la classe paysanne. Cette paysannerie ruinée et les vétérans avides de terres constituèrent une base idéale pour la politique des popularcs et des généraux victorieux, qui n'hésitèrent pas à confisquer et à redistribuer les domaines de leurs anciens adversaires (15). Les guerres civiles accrurent également la vulnérabilité des riches hommes d'affaires, les équités, dont quelques-uns, devenus fermiers de l'impôt, publicani, avaient largement profité du développement de l'empire romain. Mais, la crise se poursuivant, les équités ne jouirent pas d'une plus grande sécurité pour leurs personnes et pour leurs biens que les membres de la classe sénatoriale. Il est évident que les transformations internes furent si étroitement liées à l'expansion territoriale qu'il serait vain de vouloir expliquer la chute de la république en ne tenant compte que des facteurs internes, ou que des facteurs externes. Les généraux qui dominèrent la scène politique, en particulier au 1 siècle avant notre ère, ne parvinrent au pouvoir que grâce à l'étendue et aux particularités des territoires qu'ils conquirent. C'est dans ces régions qu'ils trouvèrent les moyens matériels dont ils avaient besoin ; et c'est là qu'ils expérimentèrent l'efficacité des méthodes hellénistiques de gouvernement. Quelle fut la part de tel ou tel individu dans les transformations de la société romaine ? En ce qui concerne l'objet de notre étude, il suffira de noter deux faits : au temps de César, le Sénat avait déjà perdu son homogénéité sociale et son hégémonie politique incontestée ; et César qui, er
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comme d'autres grands généraux politiciens de cette période, donna des terres aux vétérans, s'opposa aux représentants de la classe sénatoriale en qualité « d'homme du peuple », de popularis. Là, comme ailleurs, le pouvoir absolu s'instaura grâce aux manœuvres de ceux qui utilisèrent des aspirations populaires pour promouvoir leurs propres buts politiques. Au moment de l'assassinat de César, la puissance économique la plus forte de Rome, la classe sénatoriale, avait été ébranlée à un point tel qu'Auguste, qui officiellement avait le contrôle d'un certain nombre de provinces « impériales » (parmi lesquelles les antiques régions hydrauliques d'Egypte et de Syrie), obtint également celui des provinces « sénatoriales » (16). A partir de 29 avant notre ère, les sénateurs qui représentaient auparavant le pouvoir effectif derrière l'administration, ne purent plus quitter l'Italie sans l'autorisation d'Auguste et « si l'objet de leur voyage était un séjour en Egypte, [la requête] était par principe refusée» (17). Au cours de la période qui suivit, la classe jadis dominante des sénateurs, aristocrates et propriétaires fonciers, fut remplacée de plus en plus par des hommes accédant au sénat pour services rendus à l'empereur. Et les représentants du capital mobilier et d'entreprise qui, en qualité de publicani, avaient collecté l'impôt et les redevances douanières pour le compte du gouvernement, et qui, en qualité d'entrepreneurs, avaient exécuté certains « travaux publics », furent spoliés par Pompée, affaiblis par César, soumis par Auguste (18). Par la suite ils perdirent toute importance (19). Ainsi, la métropole romaine qui, pour un temps, avait dominé un immense empire hellénistique hydraulique, sans être ellemême hydraulique (a), succomba aux lourds coups de boutoir que lui portèrent des influences qui tiraient, en dernière analyse, leurs forces de l'empire lui-même. Dans ce gigantesque processus de transformation, Auguste fut non seulement celui qui poussa dans la tombe les anciennes puissances sociales, mais encore le pionnier d'un système administratif modifié. En dépit d'une profonde loyauté envers les valeurs culturelles de Rome, le premier empereur (princeps) modela son Etat absolutiste
(a) N a t u r e l l e m e n t la m é t r o p o l e romaine n ' é t a i t nullement i m p e r m é a b l e aux courants venus de ses voisins orientaux. L'influence croissante de l a m é t h o d e de gouvernement h e l l é n i s t i q u e s'accompagna de m a n i è r e significative de l'influence croissante de la religion, de l'art, de la technologie, des coutumes orientaux. L e s p r o g r è s de la culture h e l l é n i s t i q u e orientale et les p a t h é t i q u e s r é s i s t a n c e s q u i l u i furent o p p o s é e s sont p a r m i les é l é m e n t s les plus riches de signification des 2 et 1 s i è c l e s a v a n t notre è r e (voir V o i g t , 1893 : passim). e
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non sur la Rome des premiers temps ni sur la Grèce classique — la Grèce ne lui eût d'ailleurs fourni que peu d'inspiration — mais sur l'Orient hellénistique (h). En jetant les bases d'un fonctionnariat rétribué (20), il fut à l'origine du développement de la bureaucratie qui prit rapidement de l'importance au cours du 1 siècle de notre ère (21). Sous la république on avait déjà employé des méthodes agro-directoriales d'acquisition et d'organisation dans les provinces ; mais à l'époque d'Auguste, elles furent élaborées et employées systématiquement. Les confiscations devinrent un élément normal de la vie économique et politique de l'empire. L'imposition générale s'appuya sur des recensements périodiques de la population, lesquels, sous Auguste devinrent simple routine administrative (22). Initiateur des grandes constructions non hydrauliques que le nom de Rome évoque encore pour nous, Auguste commença à mettre en place un réseau de routes authentiquement agro-directorial. Il créa la poste d'Etat, le cursus publicus, et avec une grande logique, y adjoignit un service de renseignement très complet (23). A ces innovations s'en ajoutèrent d'autres : l'emploi des anciens esclaves, les « affranchis », au service de l'Etat (24), l'utilisation des eunuques dans des fonctions politiques (25), le culte de l'empereur, et le déclin progressif de l'entreprise indépendante commerciale et industrielle. Bien avant la fin du 2 siècle de notre ère, c'est-àdire avant que Septime Sévère, au prix de massacres et de confiscations en masse n'eût fait du centre du pouvoir despotique le « possesseur de la plus grande partie de la bonne terre arable de l'empire» (26), l'ancienne société avait perdu son identité. La plus simple logique voulait que « l'empereur sémite », qui méprisait l'Italie et « parlait latin avec un accent punique» (27), exigeât d'être appelé dominus, « maître » (c). Donc, lorsque Dioclétien imposa une cour de type manifestement oriental, en fait, l'orientation de l'empire était déjà accomplie. Un éminent historien de l'écoer
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(b) A cette p é r i o d e , les hommes d ' E t a t romains c o m m e n c è r e n t « à chercher des m o d è l e s non à A t h è n e s o ù à Sparte mais dans l'empire perse et a u p r è s des monarchies h e l l é n i s t i q u e s q u i lui s u c c é d è r e n t » (Stevenson, 1934 : 183). (c) « T o u t se passait comme si l'esprit de l'Assyrie antique s ' é t a i t e m p a r é d u palais pour soumettre i'empire à la bureaucratie, sorte de pouvoir e x é c u t i f d'une a u t o r i t é divine transmise par succession dynastique. D a n s un tel syst è m e , il n'y avait pas place pour un S é n a t , ni pour le principe de d é l é g a t i o n par l ' E t a t ; et le p r o g r è s de cette notion de gouvernement a p p a r u t avec l'emploi de plus en plus g é n é r a l i s é d u titre de dominus pour d é s i g n e r 1 empereur » (Miller,
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nomie résume ainsi cette importante transformation : « Au cours du second et du troisième siècles... l'Etat (ou l'empereur) était non seulement le plus grand propriétaire foncier, mais aussi le plus riche possesseur de mines et de carrières, et devint avec le temps la première puissance industrielle» (28). De plus, « l e commerce — de gros ou de détail — passa progressivement sous le contrôle de l'Etat» (29) et « l e transport fut également dans une large mesure nationalisé» (30). Dans ce contexte économique à centre unique, « l'idée de l'omnipotence de l'Etat » trouva un terrain tout préparé. Elle se développa essentiellement « sous l'influence de théories de l'Etat, d'origines hellénistiques orientalisantes et autres ». Le total « remplacement d'un système économique par un autre, et la substitution d'une nouvelle civilisation et d'une nouvelle attitude devant la vie aux anciennes conceptions, exigèrent plus d'un siècle et demi. Vers la fin du troisième siècle, ce processus était achevé » (31). Une étude comparative de l'orientalisation de l'empire romain nous amène à quelques conclusions fondamentales : 1°) La signification institutionnelle de ce processus n'apparaît clairement que si l'étude qui en est faite se fonde sur la connaissance de la société hydraulique et du despotisme agro-directorial (oriental). 2° ) Hellénisation signifie orientalisation. L'hellénisation de Rome commença presque deux cents ans avant l'instauration de l'empire. 3°) En tant que type social, la Rome impériale ne doit pas être identifiée aux régimes absolutistes protoindustriels de l'Occident, mais aux grands systèmes absolutistes agro-directoriaux de l'Orient. 2.
La chute du despotisme agro-directorial dans l'Occident romain.
A la différence des souverains absolutistes de l'Europe post-médiévale, les administrateurs romains de l'Espagne, de la Gaule, de l'Allemagne occidentale et de l'Angleterre ne se heurtaient pas à des associations (états) organisées à l'échelon national et fondées sur la propriété privée. Et tout en préservant dans la mesure du possible le mode de direction politique et la culture indigènes, ils firent fonctionner l'appareil politique selon les grandes traditions du gouvernement agro-directorial. Comme ailleurs, ils
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créèrent d'énormes constructions non hydrauliques et en premier lieu des routes d'Etat et des fortifications aux frontières. Au moyen de la poste d'Etat, ils monopolisèrent les communications rapides. Et ils recensèrent et imposèrent les habitants des provinces occidentales à peu près de la même manière que ceux des provinces orientales (32). Chez les Ibères, les Celtes, les Germains, nulle aspiration innée à la liberté n'empêcha ces ancêtres de la moderne Europe occidentale d'accepter — sous la contrainte d'abord, ensuite par habitude — le joug d'un Etat qui ne donnait aux forces non gouvernementales de la société que peu de chances de collaborer à l'élaboration de leur propre destin politique et économique. Pendant plusieurs siècles, le despotisme oriental sous sa forme latino-hellénistique s'étendit des forêts d'Allemagne aux rives atlantiques de l'Espagne et de la Gaule, et jusqu'à la frontière sud de l'Ecosse. Ces institutions orientales ne disparurent pas lorsqu'au 4 siècle l'Occident romain devint pratiquement indépendant de l'Orient hydraulique. L'Etat despotique, qui n'avait toléré aucune classe économique forte et organisée — bien qu'il tolérât l'existence de vastes fortunes de toute espèce — se perpétua, alors même que son appareil directorial et bureaucratique était déjà décadent. En fait, jusqu'au bout, le gouvernement de l'Occident romain tint à conserver son pouvoir absolu. Sa dernière figure politique d'importance, Héraclius, exemple typique de chef d'Etat hydraulique, était un ennuque (33). De même que la Byzance tardive, l'Occident romain dut son déclin en grande partie à des facteurs extérieurs. La perte des revenus que rapportaient les riches provinces d'Orient affaiblit gravement la métropole romaine, au moment où elle se remettait mal de l'effondrement de son économie fondée sur l'esclavage. L'Orient, plus intensivement agricole, n'avait jamais eu comme l'Occident un besoin vital de main-d'œuvre servile. Et par conséquent, l'Occident souffrit durement du tarissement des sources de main-d'œuvre bon marché. L'impéritie politique de Rome apparut avec une évidence aveuglante au début du 5" siècle : Rome perdit la Gaule en 406, la Bretagne en 407, l'Espagne en 415, et l'Afrique en 429. Dans les limites de la métropole tronquée, les forces représentant la grande propriété foncière, et s'exprimant par le groupe sénatorial, prirent de l'importance. Cependant les nouveaux dirigeants de cette classe n'étaient pas en mesure d'instaurer un gouvernement de type non oriental. Ils n'atteignirent cet objectif que lorsqu'ils s'allièrent au roi germanique, Odoacre, qui, en e
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476, mit officiellement fin à l'absolutisme épuisé de l'Occident romain (34). c. - L'Europe
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1. - Tentatives malheureuses de gouvernement absolu. Certains symboles appartenant au gouvernement hydraulique, tels que l'obligation faite au vassal de baiser le pied de son suzerain, persistèrent pendant fort longtemps, plus longtemps même que la période mérovingienne (35) ; mais, dépourvus d'assises sociales, ils disparurent d'eux-mêmes. Et le développement politique, se détachant du modèle romain, aboutit au système de gouvernement proto-féodal décentralisé qui caractérise le moyen âge en sa première période (36). 2. - Le cas « sans équivalent » du Domesday Book (*). C'est en cette période, qu'on fait aller généralement jusqu'à la fin du 12 siècle (37) que fut établi, en 1086, le Domesday Book, registre des terres d'Angleterre, dont la rédaction fut ordonnée en 1085 par le roi normand Guillaume le Conquérant. Des historiens européens ont retrouvé les origines institutionnelles du Domesday tant en Angleterre (38) qu'en Normandie (39). Mais alors que ces origines sont absolument authentiques, elles n'expliquent cependant pas de façon satisfaisante le grand cadastre anglo-normand. Non seulement ce type de cadastre public était inconnu dans la région dont Guillaume et ses hommes étaient originaires (« La Normandie n'avait pas de Domesday ni de jugements ») (40), mais il était également inconnu en d'autres parties de l'Europe non orientale. Selon Maitland, cela représente « un exploit qui n'a pas d'équivalent dans l'histoire de l'Europe» (41). Qu'est-ce donc qui inspira cette œuvre sans équivalent ? La conquête, comme le suggère Maitland (42), n'est pas une explication satisfaisante, puisque l'Europe médiévale connut de nombreuses conquêtes, mais un seul Domesday Book. Les Normands de Normandie furent des pionniers. Ils n'instituèrent pas à notre connaissance un Domesday, mais ils colonisèrent sans aucun doute le nord de la France après conquête. Est-il possible qu'en 1085, les Normands aient été familiarisés avec des méthodes administratives qui leur étaient inconnues au 10° siècle et même dans la première partie du 11* siècle ? e
(*) Domesday ou Domesday Book : litt. Livre du Jugement Dernier (ainsi nommé parce que rien ne devait en être omis) (N. d. T.).
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Lorsqu'en 1066 les Normands conquirent l'Angleterre, certains de leurs compatriotes s'étaient déjà rendus maîtres du sud de l'Italie, région qui avait été régie de façon intermittente, jusqu'à cette date par l'administration byzantine ; et certains encore avaient pris pied en Sicile, région dominée par Byzance pendant trois cents ans, puis par les Sarrasins, dont l'absolutisme était le fruit d'un compromis entre les techniques arabe et byzantine. En ce qui concerne l'effet de cette expérience byzantino-sarrasine sur Guillaume et ses conseillers, nous n'avons pas de document décisif. Mais nous savons qu'en 1072 — c'est-à-dire treize ans avant que Guillaume n'ordonnât la descriptio de l'Angleterre — les Normands avaient conquis la capitale de la Sicile, Palerme, et la moitié nord de l'île. Et nous savons aussi que les rapports étaient fréquents (43) entre les Normands italo-siciliens et leurs cousins de Normandie et d'Angleterre, en particulier chez les nobles et le clergé, et que ce dernier s'occupait activement d'administration (44). Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si, s'appuyant sur la connaissance qu'il a de cette période, Haskins, le meilleur spécialiste anglais en matière de relations anglo-siciliennes au moyen âge, suggère « la possibilité d'une filiation entre les registres fiscaux, que le sud avait hérité de ses maîtres hyzantins et sarrasins, et le Domesday Book » (45). L'hypothèse de Haskins explique bien pourquoi un procédé typiquement hydraulique d'administration fiscale est apparu en Europe féodale. Elle rend également compte du fait que pendant des centaines d'années cet « exploit magnifique » soit resté sans équivalent dans ce domaine. Il est évident qu'un tel inventaire, systématique et fait à l'échelon national, avait aussi peu sa place en Europe médiévale qu'il était courant dans la zone du despotisme oriental. d. - L'Espagne. 1. - La conquête orientale. Mais ni l'échec des tentatives franques ni la singularité du Domesday anglais n'impliquent qu'après 476 la frontière institutionnelle délimitant les régions hydrauliques et non hydrauliques de l'Europe soit restée immuable. L'histoire de l'Italie du sud et de la Sicile avant la conquête normande révèle deux agents majeurs de l'expansion orientale : les Byzantins, qui tentèrent de perpétuer leur forme de gouvernement dans certaines des anciennes provinces romaines, et, beaucoup plus impor-
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tants, les Arabes qui, inspirés par une foi neuve et dynamique, et forts de nouvelles méthodes tactiques (46), imposèrent leur domination depuis les centres de la société hydraulique du Proche-Orient, en passant par le nord ouest de l'Afrique, l'Espagne et — temporairement — jusqu'en Sicile. Cette gigantesque éruption ressemble à la poussée de l'empire romain vers l'ouest en ceci que lui aussi avait répandu les types de gouvernement du despotisme oriental. Mais pour nombre de raisons, les effets institutionnels de la conquête islamique eurent une portée beaucoup plus vaste. Sous l'influence romaine, l'Europe occidentale adopta une forme de société orientale hydraulique de type sporadique sans, pour autant, adopter un mode hydraulique d'agriculture ; et plus tard elle passa dans la catégorie hydraulique submarginale ou absolument non hydraulique. Sous l'influence arabe, la transformation fut d'une portée bien plus considérable. Avant l'invasion arabe, la péninsule ibérique abritait une civilisation proto-féodale comportant une agriculture d'irrigation sur une petite échelle, mais probablement peu d'entreprises hydrauliques (d). Différant profondément en cela des Romains qui s'emparèrent de l'Europe occidentale, les conquérants arabes de l'Espagne connaissaient parfaitement l'agriculture hydraulique, et s'empressèrent dans leur nouvel habitat de mettre en œuvre des procédés qui s'étaient montrés extrêmement profitables dans leurs pays d'origine. Sous la domination musulmane « l'irrigation artificielle... fut améliorée et étendue... selon des modèles orientaux », et ces procédés comprenaient les méthodes de gouvernement : « sa direction était la prérogative de l'Etat» (47). Ainsi l'Espagne musulmane devint plus que marginalement orientale. Elle devint une véritable société hydraulique, administrée de façon despotique par des fonctionnaires nommés (48) et soumise à l'imposition selon des méthodes agro-directoriales de taxation. L'armée maure, qui de tribale qu'elle était devint bientôt «mercenaire» (49), était tout autant l'instrument de l'Etat que l'étaient ses homologues des califats ommeyade et abbasside. Un système proto-scientifique d'irrigation et de culture (50) eut pour complément des connaissances extraordinaire-
(d) H i r t h , 1928 : 57 sqq. ; H a l l , 1886 : 363, 365 : L é v i - P r o v e n ç a l , 1932 : 166 ; L a b o r d e , 1808 : 29, 107. L ' é t u d e de L a b o r d e insiste sur l'absence totale d ' i n t é r ê t p o u r l'agriculture des c o n q u é r a n t s goths en Espagne ( L a b o r d e . 1808 : 107).
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ment avancées dans les domaines typiquement hydrauques de l'astronomie et des mathématiques (51). L'Europe féodale contemporaine n'avait rien de comparable à lui opposer. Traduisant les impressions du grand géographe arabe, Ibn Hauqal, qui visita l'Espagne au 10" siècle, Dozy commente ainsi la capacité d'organisation de l'Etat musulman, dont la police, comme le mode hydraulique de culture, pénétra jusqu'au plus profond du pays : « L'étranger remarquait avec admiration les champs partout admirablement cultivés, et un système hydraulique ordonnancé selon une méthode si profondément scientifique qu'il créait la fertilité dans les sols apparemment les plus ingrats. Il s'émerveillait de l'ordre parfait qui, grâce à une police vigilante, régnait jusque dans les régions les moins accessibles » (52). Dans la seconde moitié du 14' siècle, la capitale de la Ligue hanséatique, Lùbeck, comptait 22 000 habitants (13), et Londres environ 35 000 (54). A l'apogée du califat occidental, la capitale maure, Cordoue, a pu abriter un million de personnes (55), et Séville, en 1248, en comptait plus de 300 000 (56). A la fin de la période musulmane, Grenade avait probablement une population au moins aussi nombreuse. L'Encyclopédie, of Islam estime le nombre des habitants de cette dernière belle capitale islamique en Espagne à « un demi-million» (57). Il n'est donc pas étonnant que l'Etat absolutiste, à l'apogée de sa prospérité, ait collecté des sommes extraordinaires (58). Et il n'est pas étonnant non plus que cet Etat, qui comme d'autres régimes hydrauliques employait nombre d'eunuques (59), ait brutalement éliminé les dignitaires tombés en disgrâce. Une fois ces malheureux éliminés, l'Etat était prompt à se saisir de leurs biens (60). 2. - La reconquête. e
La reconquista qui au 13 siècle restaura le pouvoir chrétien sur la plus grande partie de l'Espagne, transforma une grande civilisation hydraulique en société féodale tardive. Les spécialistes de l'histoire russe, qui considèrent le développement d'un Etat despotique oriental en Moscovie comme la conséquence d'une lutte armée contre de puissants ennemis asiatiques, feront bien de comparer l'histoire russe à celle de l'Espagne — et, sur ce point, à celle de l'Autriche. Commençons par ce dernier pays. Pendant des siècles, l'Autriche vécut sous la menace de l'un des plus grands empires orientaux connus dans l'histoire : la Turquie
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ottomane ; et de vastes zones de la Hongrie furent occupées par les Turcs pendant plus de cent cinquante ans. Mais la base même, politique et militaire, d'où devait partir la contre-attaque, l'Autriche, conserva son indépendance ; et la lutte prolongée que l'Autriche soutint contre son puissant ennemi oriental ne fit pas d'elle un Etat despotique de type oriental. Comme d'autres pays d'Europe, l'Autriche évolua dans le sens d'un absolutisme à l'occidentale : jusqu'au milieu du 18" siècle, le vote des Diètes autrichiennes (Landtag) en matière d'imposition et de levée des troupes était décisif (61), et même après 1740 les états jouèrent un rôle essentiel dans l'administration fiscale (62). La Hongrie s'acharna à conserver un gouvernement semi-autonome, dont le Landtag, composé d'une chambre haute (potentats cléricaux et laïques) et d'une chambre basse (petite noblesse et députés des villes), « exerça une grande influence sur l'administration du pays » (63). De même en Espagne, la région d'où partit la reconquête ne fut jamais orientalisée. Les princes des petits Etats du Nord qui avaient résisté à l'assaut des Arabes, devaient leur puissance militaire à l'appui des nobles, du clergé et des villes (64) ; et une fois passée la phase cruciale de la Reconquête, ces communautés, loin d'être politiquement écrasées, purent, grâce à leurs privilèges, conserver une existence semi-autonome (65). Comme ce fut le cas en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie et en Scandinavie au cours de la période féodale et postféodale, un gouvernement absolutiste se développa en Espagne (66). Ce gouvernement fut assez fort pour l'emporter sur les nobles, l'Eglise et les villes (67 ), mais il ne put supprimer le principe de l'indivision des terres aristocratiques (68) ni la semi-autonomie de l'Eglise ; et il ne réussit pas à briser la fierté et la dignité du peuple espagnol. Les Etats d'Aragon qui avaient fait de la reconnaissance de leurs privilèges la condition de leur hommage au roi («si no, no») répétèrent cette formule hardie en 1462 (69), c'est-à-dire plus d'un siècle après la reconquête de la plus grande partie de la péninsule. Et, malgré la disparition en 1665 des assemblées (cortes), qui étaient en Castille essentiellement l'émanation des libres municipalités, le régime absolutiste ne réussit pas à inspirer à ses sujets l'attitude de soumission qui est de règle sous un régime hydraulique. 1
Faire cette constatation n'est pas nier l'extraordinaire puissance de l'absolutisme espagnol. Ce phénomène s'explique au moins en partie par la nécessité de défendre
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la « frontière » de la Reconquête, nécessité qui favorisa l'accrc issement de l'autorité royale en Catalogne, en Navarre et en Aragon (70). Cependant la Wirtschaftsgesinnung <(*) des rois chrétiens peut avoir été plus décisive encore. Les régions du nord, bases de la Reconquête, étaient favorables à une économie pastorale ; et la demande en laine du marché européen — demande accrue à mesure que progressait la Reconquête (71) — poussa les rois espagnols à étendre arbitrairement l'élevage du mouton aux zones libérées de l'Espagne du centre et même à certaines parties du sud (72). Tandis que les rois accordaient toutes sortes de privilèges aux villes et aux nobles, ils instaurèrent un étroit contrôle fiscal et juridique des éleveurs de moutons qui, à partir du 13' siècle, furent rassemblés en une organisation particulière, la Mesta (73). En Espagne comme en Angleterre, les moutons « dévorèrent » les hommes. Mais à la différence de l'Angleterre, et presque dès le début, l'économie pastorale en expansion rapide fut d'un énorme profit pour les princes. Ce fut une source abondante de revenus pour l'Etat (74). Par la suite, les monarques considérèrent « l'exploitation et la conservation de l'activité pastorale... (comme) la ressource principale de ces royaumes » (75). L'amoindrissement de la population espagnole au 16' siècle fut souvent imputé aux immenses richesses que la Couronne tirait de son empire colonial (e). Cependant le dépeuplement des villages, certainement la cause majeure
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(e) S é v i l l e , qui en 1247, comptait plus de 300 000 habitants, en d é n o m brait au 1 6 s i è c l e , 200 000. Cordoue, q u i sous les califes, p o u v a i t abrite? un million de personnes, n'en avait plus alors que G0 000 (Laborde, 1808 : 9). L a population de Grenade passa de 500 000 habitants e n v i r o n à 80 000 (voir ci-dessus, et L a b o r d e , 1808 : 9). Ce d é p e u p l e m e n t fut en partie la c o n s é q u e n c e des destructions militaires ; mais il t'st aussi l'expression m a t é r i e l l e de la transformation de l'ordre rural. Certaines campagnes ne se remirent jamais de la peste et de la R e c o n q u ê t e ( K l e i n , 1920 : 337). D'autres furent l a i s s é e s en friche d u r a n t les 1 6 et 1 7 s i è c l e s (ibid. : 320, 342 sqq.) j u s q u ' à ce que les champs a u p a r a v a n t florissants fussent « f r a p p é s d u f l é a u de s t é r i l i t é » (Prescott, 1838, III : 461, n. 85), parce que l'on avait l a i s s é les moutons « vaguer à travers les campagnes et a n é a n t i r jusqu'aux derniers vestiges de culture encore existants « ( K l e i n , 1920 : 343). Les ruines que nous connaissons d'anciens centres de peuplement en Catalogne, A r a g o n , L é o n , Valence, Manche, Castille, etc., sont au nombre de 1 141, a u moins. L a r é g i o n d u G u a d a l q u i v i r a v a i t 1 200 villages sous les califes de Cordoue. E n 1800, i l n'y en avait plus que 200. Des 50 villages de M a l a g a , il ne restait plus que seize. U n e partie du d i o c è s e de Salamanque ne conservait que 333 de ses 748 villages tandis que des 127 villages q u i existaient p r è s des partidos de Banos pera del rey il ne restait plus que treize (Laborde, 1808 : 8). L e royaume de Grenade qui avant 1492 c o m p t a i t trois millions d'habitants n'avait plus en 1800, pour la province correspondant aux m ê m e s l i m i t e s g é o g r a p h i q u e s , que 661 000 habitants (ibid. : 9). e
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du dépeuplement des cités, ne s'explique pas ainsi de manière satisfaisante : l'afflux d'or et d'argent aurait plutôt dû permettre aux citadins enrichis d'acheter davantage de produits agricoles, et non moins. Selon toutes probabilités ce fut le remplacement d'une culture d'irrigation demandant une main-d'œuvre intensive, par l'élevage qui ne demande qu'une main-d'œuvre extensive qui fut à l'origine de ce déclin. Cette transformation, stimulée par une exportation de la laine en plein essor (f), amena la promulgation des Leyes de Toro, qui achevèrent de « faire passer la vie agricole à l'arrière-plan bien après la vie pastorale largement développée» (76), quatorze ans avant que Cortez ne conquît le Mexique vingt-huit ans avant que Pizarro ne prît Cuzco. Et cette transformation rend également compte de la considérable diminution de la population rurale indienne dans le Mexique d'après la conquête, au Yucatan et au Pérou (g). Dans la campagne espagnole, troupeaux et bergers parcouraient maintenant solitaires de vastes pâturages. C'est dans un tel paysage que Don Quichotte poussait sa rosse chancelante. Et dans les villes, aucun spectacle ne jouissait de plus de faveur que les courses de taureaux. A Valladolid, en 1527, Charles-Quint célébra la naissance de son fils, le futur Philippe II, en affrontant lui-même le taureau dans l'arène. e. - L'introduction du despotisme oriental en Russie. « Les Tatares n'avaient rien de commun avec les Maures. Lorsqu'ils conquirent la Russie, ils ne lui appor-
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(f) L'essor se p o u r s u i v i t j u s q u ' à la fin d u 1 6 s i è c l e ( K l e i n , 1920 : 37-48). (g) Les bateaux é t a i e n t petits, le fret c o û t e u x ; et l'on ne gagnait pas grand-chose à exporter des c é r é a l e s vers l ' E u r o p e . L'argent é t a i t la m a t i è r e d'exportation la plus p r i s é e ; mais on pouvait aussi faire de beaux b é n é f i c e s avec le commerce d u sucre, du cacao, des bois teints, des é t o f f e s teintes et des peaux ( H u m b o l d t , 1811, I V : 368 sqq.). E n quelques d é c a d e s , « les boeufs, les chevaux, les moutons et les porcs se m u l t i p l i è r e n t de m a n i è r e surprenante dans toutes les r é g i o n s de la Nouvelle E s p a g n e » (ibid., III : 224). E n 1570, quand A c o s t a a r r i v a en A m é r i q u e , un petit n o m b r e d'individus p o s s é d a i e n t 70 000 ou m ê m e 100 000 moutons (Acosta, 1894, 1 : 418 ; Obregon, 1928 : 151). Partout o ù l'accroissement d u cheptel ne fut pas r é g l e m e n t é , les troupeaux se d é v e l o p p è r e n t rapidement non seulement en A m é r i q u e centrale mais aussi dans le sud-ouest de l ' A m é r i q u e d u N o r d (Obregon, 1928 : 151), au P é r o u (voir M a r k h a m , 1892 : 163 ; voir aussi J u a n et U l l o a , 1806, I : 300, 318, et passim) et au Y u c a t a n (Shattuck, Redfield, et M a c K a y , 1933 : 15). D è s que Cortez eut f o n d é un E t a t princier en O a x a c a , il « i m p o r t a en grand nombre des m é r i n o s et autres e s p è c e s de b é t a i l , qui t r o u v è r e n t d'abondants p â t u r a g e s dans les campagnes a u x alentours de Tehuantepec » (Prescott, 1936 : 671). Logiquement, ce fut Cortez q u i dans le N o u v e a u Monde organisa une Mesta calquée sur le m o d è l e de la Mesta de Castine (Mendoza, 1854 : 225).
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tèrent ni l'algèbre ni Aristote ». Pouchkine avait sans cloute raison de regretter les conséquences culturelles négatives de la conquête tatare (h). Il aurait pu aller plus loin et souligner les désastreuses conséquences politiques de leur fabuleux triomphe militaire. Les Tatares, qui en 1240 avaient écrasé les Slaves d'Orient, tinrent leurs nouveaux sujets sous un contrôle si étroit qu'aucune puissance russe indépendante n'entreprit de les libérer. Mieux. Aucune force russe intérieure ne s'engagea dans une lutte ouverte et organisée contre la Horde. L'unique victoire militaire sur le Don, que remporta le Grand Duc de Moscovie, Dmitri, sur l'armée tatare en 1380, se retourna malheureusement contre les vainqueurs : les représailles qui suivirent découragèrent toute résistance armée pour une nouvelle période de cent années (i). Lorsqu'en 1480, Ivan III refusa de se reconnaître vassal des Tatares déjà alfaiblis, il évita cependant tout heurt militaire avec eux. Les Tatares, qui étaient encore capables d'opposer une armée aux troupes moscovites, ne marquèrent pas plus d'enthousiasme. L'indécision de part et d'autre produisit « un spectacle incroyable : celui de deux armées se fuyant l'une l'autre sans être pourchassées par quiconque ». Karamsin poursuit : « Ainsi se termina la dernière des invasions tatares » (j ). Ainsi prit fin la domination tatare sur la Russie. Elle avait duré presque deux cent cinquante ans ; et si le Grand Duché de Moscovie parvint à un rôle de premier plan au cours de cette période, ce ne fut pas en qualité de force indépendante, mais pour avoir été l'instrument du Khan. Ce fait n'est pas contesté. On ne conteste pas non plus que la Moscovie du 16" siècle n'est pas comparable à l'Occident absolutiste. On trouve cependant des divergences d'opinions fondamentales lorsqu'il s'agit de définir l'origine de l'absolutisme moscovite. Le pouvoir auto-
(h) L e n o m de « Tatares » d é s i g n a i t à l'origine les populations qui vivaient dans la r é g i o n orientale de l'Asie centrale (voir W i t t f o g e l et F ê n g , 1949 : 101 sqq.). A p r è s la grande expansion d u pouvoir mongol au 1 3 s i è c l e , le mot c o m m e n ç a à d é s i g n e r en E u r o p e occidentale ces Mongols et ces T u r c s qui, r é u n i s , formaient le n o y a u de la H o r d e d ' O r . Se joignant à des formations plus anciennes de T u r c s et de F i n n o i s , ces « Tatares » a d o p t è r e n t le T u r c , l a n ç u e qui é t a i t alors devenue le facteur ethnique et culturel p r i m o r d i a l de la r é g i o n occidentale d u monde mongol (Spuler, 1943 : 11 n.). Dans la p r é s e n t e é t u d e , les termes « T a t a r e » et « M o n g o l » sont e m p l o y é s i n d i f f é r e m m e n t pour d é s i g n e r les hommes de la H o r d e d ' O r . (i) A p r è s 1380, la p r i n c i p a u t é dominante, la Moscovie, « ne pensait pas dans l ' i m m é d i a t à combattre les Tatares » ( K l u c h e v s k y , Kurs, II : 20). (j) K a r a m s i n , H E R , V I : 195-6. e
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cratique d'Ivan sur la terre et le peuple était-il dû à des conditions externes, c'est-à-dire à la nécessité de défendre une frontière perpétuellement menacée ? Ou était-il essentiellement la conséquence de l'influence mongole ; les Mongols avaient en effet appliqué en Russie des méthodes de gouvernement despotique qu'eux-mêmes tenaient de différents pays hydrauliques d'Asie, en particulier de la Chine (j bis). Les historiens qui tiennent pour l'interprétation « externe » font appel à l'autorité du plus éminent des historiens russes contemporains, Kluchevsky. Je partage sans réserve l'estime que des érudits des opinions les plus diverses portent à Kluchevsky ; mais sa théorie sur la formation du despotisme moscovite me semble moins unilatérale qu'on ne la juge généralement. Il est vrai que Kluchevsky s'intéresse peu au joug tatare (k), et qu'il ne comprend qu'en partie le despotisme oriental (m). Mais il était trop grand érudit
(j bis) ( a j o u t é à l a t r o i s i è m e é d i t i o n ) . L e s Mongols é t a i e n t familiers des m é t h o d e s d'organisation et d'acquisition q u i é t a i e n t celles d u gouvernement chinois, lorsqu ils v a i n q u i r e n t la Russie (1237-40). Gengis K h a n c o n q u i t l a Chine au nord d u F l e u v e Jaune (1211-22) et le T u r k e s t a n (1219-20). A partir de 1215, i l eut pour premier conseiller un Chinois liao, Y e h - l û , Ch'u-ts'ai (Wittfogel et F ê n g , 1949 : 669 sq.) qui plus t a r d demeura au service de son fils O g o t a ï (1228-41). O g o t a ï a c h e v a l a c o n q u ê t e de l a Chine d u n o r d en 1234. E n 1240, les Mongols savaient faire fonctionner une poste d ' E t a t , et ils avaient o r g a n i s é dans le nord de l a Chine la collecte de l ' i m p ô t , le recensement, et la c o r v é e (Yûan-Shih, 2 : l b , 2a, 7a ; 121 : 9a ; 146 passim; 191 : 2a. V o i r aussi Hsin Yuan Shih, chap. 12 ; Yasa de Gengis K h a n et l'Histoire secrète des Mongols). A p a r t i r de 1240, C a r p i n i releva l'existence d'un poste d ' E t a t et les p r é l i m i n a i r e s d'un recensement dans l a Russie alors sous la d o m i n a t i o n mongole. E n 1253, le G r a n d K h a n , Mongke, o r d o n n a à un certain Pieh-erh-ke (Berke ?) d'effectuer un recensement en Russie [Yûan-Shih 3 : 4b). Selon des sources russes, ce recensement aurait é t é e f f e c t u é en 1257 et ces sources font é g a l e m e n t mention p o u r 1259 d'un Mongol c h a r g é d u recensement « B e r k a i » (Karamsin, H E R , I V : 91, 94 ; E . Bretschneider, Mediaeval Researches, L o n don, 1910, II : 80). L a j u r i d i c t i o n d u G r a n d K h a n sur la H o r d e d ' O r s ' e x e r ç a jusqu'en 1259 (Spuler, 1943 : 41 sq. et 252), c ' e s t - à - d i r e au cours de toute la p é r i o d e q u i v i t s'installer l a d o m i n a t i o n mongole. (k) F l o r i n s k y lui reproche de laisser entendre que pour é t u d i e r l'organisation politique de l a Russie d u nord-est, on « devrait m o m e n t a n é m e n t oublier... que la Russie fut conquise par les Tatares » (Florinsky, 1953, I : 78) ; et Vernadsky (1953 : 333 sqq.) fait r e m a r q u e r q u ' à part « quelques allusions en passant, à l'importance de l a politique des khans dans I unification de la Russie... [ K l u c h e v s k y ] s ' i n t é r e s s a peu a u x Mongols ». (m) K l u c h e v s k y n ' é t a i t g u è r e f a m i l i a r i s é avec les institutions de l a s o c i é t é orientale et avec telles de ses variantes, l a Chine traditionnelle p a r exemple. S i n o n , i l n ' e û t pas o p p o s é le s y s t è m e moscovite de classes, f o n d é sur le service d ' E t a t , et les conditions du despotisme orienta) ( K l u c h e v s k y , H R , III : 52). Dans un autre contexte, cependant, il r e l è v e des similitudes entre les m é t h o d e s moscovites d ' é l i m i n a t i o n des membres de la famille r e p r é sentant un danger possible, et les m é t h o d e s d u despotisme oriental en des situations analogues (ibid., II : 88). E t les descriptions qu'il fait d u service d'Etat et de l a tenure des terres en Russie post-mongole i n d i q u e n t clairement
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pour négliger les transformations institutionnelles capitales qui se produisirent dans l'Etat et la société russes, sous la domination tatare, et en raison directe de cette domination. Selon sa propre appréciation, ces transformations précédèrent nettement le développement de cette « frontière », à laquelle il attribue un rôle formateur si important. En fait, chez Kluchevsky, la thèse de la « frontière » concerne essentiellement la période post-tatare. Il décrit les transformations qu'entraîne le recrutement d'une « classe nombreuse de fonctionnaires militaires » comme étroitement liées à « l'expansion territoriale de l'empire », dont les nouvelles frontières avaient « placé l'Etat en contp.ct direct avec des ennemis extérieurs et étrangers à la Russie, par exemple les Suédois, les Lithuaniens, les Polonais et les Tatares. Ce contact direct avait fait de l'Etat une sorte de camp fortifié assiégé sur trois de ses côtés» (77). Il est évident que les Tatares dont parle Kluchevsky sont ceux qu'eut à affronter la Moscovie du 16° siècle, et la frontière qu'ils occupaient est une frontière du 16 siècle. Kluchevsky le dit expressément (78), et évoque à plusieurs reprises la période qui va de 1492 à 1595 (79). Tenant compte de ces faits, on ne peut s'empêcher de penser que la thèse de la « frontière » de Kluchevsky pose plus de questions qu'elle n'en résout. Pourquoi une Russie non orientale aurait-elle évolué vers un despotisme fondé sur un service d'Etat obligatoire, simplement parce que la Russie combattait des nations occidentales : la Suède, la Lithuanie, la Pologne ? Bien des gouvernements européens eurent à affronter des ennemis semblables sans pour autant adopter des modèles despotiques orientaux de contrôle de la terre et de ses habitants. Et pourquoi une Russie non orientale deviendrait-elle despotique à la mode orientale alors que ses ennemis n'étaient pas relativement supérieurs en force aux Turcs, que combattaient les Autrie
les a f f i n i t é s entre celle-ci et la T u r q u i e ottomane, et é g a l e m e n t l'Inde musulmane. L'analyse q u ' i l fait des efforts de Pierre en vue de d é v e l o p p e r l'industrie r e p r é s e n t e une c o n t r i b u t i o n essentielle à ce que nous savons de l a version russe d'un despotisme agro-bureaucratique. L'omnipotence de l ' E t a t , f o n d é e sur un service d ' E t a t obligatoire, et tendant à appliquer u n c o n t r ô l e s u p r ê m e à l a terre tout e n t i è r e , a é t é c o n s i d é r é e é g a l e m e n t comme un é l é m e n t - c l é par S u m n e r ; celui-ci pense q u ' à l'origine d u tsarisme, i l y a les • i d é e s et le rituel • de B y z a n c e et « l a p r é s e n c e et l ' e x p é r i e n c e des khans Tatares ». Approfondissant cette question, Sumner note que c'est sous l'influence de la Horde d ' O r p l u t ô t que de l a « lointaine administration byzantine • que le gouvernement et le s y s t è m e militaire moscovites prirent forme (Sumner, 1949 : 82 sq.).
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chiens et les Hongrois, ou aux Maures, contre lesquels les soldats espagnols de la Reconquête menaient une lutte à mort ? Ni la Hongrie, ni l'Autriche, ni l'Espagne n'adoptèrent le despotisme oriental en raison de leur « frontière » orientale. Nous sommes donc parfaitement en droit de poser la question : le dévelopemcnt moscovite du 16* siècle ne suivit-il pas cette direction parce que la Russie, avant cette période et en conséquence de la longue domination orientale qu'elle avait subie, s'était déjà, par ses institutions organisationnelles et acquisitives, engagée dans la voie de l'étatisme despotique, fondé sur le « service » d'Etat ? Le cadre de références que choisit Kluchevsky l'empêche de donner à ces questions une réponse cohérente. Mais il est frappant de constater combien son étude de la Russie des 13 , 14* et 15* siècles contribue à souligner la signification sociale et politique de la période tatare. C'est, selon Kluchevsky, au cours de cette période que les villes, qui avaient joué un rôle de premier plan dans la Russie kievienne (80), perdirent, à quelques exceptions près (Novgorod, Pskov), leur importance politique (81) ; au cours de cette période également que les princes de provinces et les boyards indépendants, après avoir connu une époque plus favorable, furent durement repris en main par les grands-ducs de Moscovie. Bien des princes devinrent les serviteurs de la Moscovie, dont, en 1500, les princes-fonctionnaires nouvellement créés, avaient -déjà « remplacé, sinon écrasé, l'ancienne classe moscovite des boyards sans titres » (82). Pourquoi en fut-il ainsi ? Pour expliquer le fait que les villes aient perdu leur force politique. Kluchevsky néglige délibérément les effets de la domination tatare (n), effets qui avaient été auparavant mis en lumière par Karamsin (o). e
(n) K l u c h e v s k y envisage ce d é v e l o p p e m e n t comme le r é s u l t a t de la colonisation de la Russie d u N o r d ( K l u c h e v s k y , H R , I . 269). - R u s • en effet, connut une expansion vers le nord, mais ce n'est l à que la m o i t i é de l'histoire. E n E u r o p e occidentale, bien des villes f o n d é e s par des princes ou des seigneurs f é o d a u x s ' é m a n c i p è r e n t . P o u r q u o i au 1 3 « et au 1 4 » s i è c l e en Russie l ' a u t o r i t é des Princes s ' a c c r û t - e l l e aux d é p e n s des villes ? E t pourquoi le veche cessa-t-il de fonctionner, m ê m e l à o û i l a v a i t p r é c é d e m m e n t p r é v a l u ? (<>) K a r a m s i n ( H E R , V : 451) attribue cette modification à l ' a u t o r i t é accrue que les princes r e ç u r e n t des Tatares. R é c e m m e n t , V e r n a d s k y r e m a r q u a q u ' à « la destruction de la p l u p a r t des c i t é s principales de la Russie de l'est au cours de l'invasion mongole » s u c c é d a une campagne politique aussi meurt r i è r e et p e u t - ê t r e plus efficace contre les villes, et que dans cette lutte, les princes et les boyards a p p o r t è r e n t leur appui à leurs m a î t r e s mongols. A u milieu d u 1 4 « s i è c l e , le veche « ne fonctionnait plus normalement dans la p l u p a r t des c i t é s russes de l'est et ne constituait plus un é l é m e n t de gouvernement • (Vernadsky, 1953 : 345).
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Celui-ci reconnaît par exemple que la proximité de la puissance tatare aida la Moscovie à imposer son autorité sur les boyards et sur les princes de provinces. Kluchevsky sait que, pendant plus de deux générations, les Tatares se servirent de l'organisation fiscale qu'ils avaient créée en Russie : « Après avoir conquis Rus, ce furent les Tatares eux-mêmes qui au début collectèrent le tribut qu'ils exigeaient» (83). Il sait aussi que Moscou vit s'accroître son pouvoir politique et juridique lorsqu'en 1328 le représentant moscovite du Khan reçut la charge de collecter le tribut : « Simple commissaire du Khan, chargé de collecter pour lui le tribut et de le lui remettre, le Prince de Moscou devint alors chef plénipotentiaire et arbitre des princes russes ». Plus tard cette charge confiée par le Khan prit la valeur d'un « puissant instrument d'unification politique des provinces russes » (84). Dans tous ces exemples, l'influence tatare est évidente. Elle devient encore plus frappante si nous reconnaissons le caractère bureaucratique des innovations qui accompagnèrent la transformation politique. Kluchevsky n'ignore pas que les méthodes de recensement des terres et des contribuables employées aux 16' et 17° siècles (85) existaient déjà à la fin du 15' siècle, et depuis longtemps (p). II sait aussi qu'après avoir conquis la Russie, les Tatares « au cours des trente-cinq premières années du Joug, procédèrent trois fois à un recensement, le chislo, du peuple russe tout entier, à l'exception du clergé, recensement dont furent chargés des chislenniki [recenseurs] envoyés par la Horde» (86). D'autres études ont contribué à éclairer l'organisation tatare originale (87), dont les buts peuvent avoir été militaires aussi bien que fiscaux (88). Vernadsky suggère que « c'est sur la base de ces modèles mongols que se développa, de la fin du IV au 76* siècle, le système de taxation et d'organisation militaire des grandsducs » (89). Sa conclusion complète ce que Kluchevsky avait
esquissé cinquante ans auparavant. Lorsqu'il décrit la poste d'Etat de Moscou au 16' siècle (90), Kluchevsky ne la relie pas expressément à des institutions plus anciennes. Mais son allusion au « Jamskoi prikaz, ou département des postes, qui était connu dès le début du 16* siècle» (91), est probablement une référence à Ivan III (92), c'est-à-dire à la fin de la période tatare. D'autres historiens ont rattaché le sytème postal,
(p) Kluchevsky, HR, III : 228. L'origine tatare du système moscovite de recensement a été mise en lumière, entre autres, par Milioukov (1898 : 128) et Kulisher (1925 : 404), lequel suppose non sans raison une influence chinoise plus lointaine.
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yam, que les Tatares entretinrent en Russie (93) à l'institution moscovite du même nom (q). Le développement du despotisme moscovite coïncide avec la montée d'un nouveau type de fonctionnaires civils et militaires qui, en qualité de possesseurs temporaires des terres de l'Etat (pomestye), étaient sans condition et sans limite à la disposition de leurs seigneurs suprêmes. A partir de la fin du 14" siècle, les grands-ducs de Moscovie commencèrent à réduire les princes des provinces au rang de fonctionnaires (94) ; et au 15" siècle, ils attribuèrent des terres administratives — qui auparavant n'étaient données qu'à des serviteurs non libres (95) — à des fonctionnaires libres également, surtout à des soldats, mais aussi à des fonctionnaires civils ( « d e cour») (96). Kluchevsky sait parfaitement que ce type de service obligatoire est entièrement différent des institutions d'Europe occidentale (97), il n'est donc pas étonnant que dans son analyse des principes légaux sur lesquels se fonde l'institution du pomestye il n'envisage que deux origines possibles, orientales toutes deux : Byzance et la Horde tatare. La première écartée, il ne reste que l'alternative tatare, préconisée par Gradovski. Selon cette théorie, « la conception du prince comme propriétaire suprême des terres, ne se forma qu'au cours de la période mongole. En qualité de dépositaires de l'autorité du Khan, les princes russes jouissaient dans leurs territoires de droits semblables à ceux dont jouissait le Khan lui-même dans tous les territoires qui étaient sous sa domination. Plus tard, les princes russes héritèrent de ces prérogatives d'Etat, dans leur totalité ; ce qui détruisit le régime naissant de la propriété privée foncière » (98 ). L'attitude ambiguë de Kluchevsky devant la question tatare se révèle ici de façon caractéristique : il ne formule pas la conclusion qui, du point de vue de ses propres prémisses serait la seule logique. Mais il n'hésite pas à mettre en lumière le développement rapide de l'institution du pomestye à la fin de la période tatare. Evidemment, « on peut trouver déjà, au cours de la seconde moitié du (q) B r i i c k n e r , 1896 : 521 s q q . ; M i l i o u k o v , 1898 : 81 ; Kulisher, 1925 : 405 ; G r e k o v , 1939 : 216 sqq. L e s termes a l t a ï q u e s yam, • poste » et jamchi, « m a î t r e de poste » (Spuler, 1943 : 412) e n t r è r e n t dans la langue russe sous l a forme jam et jamshchik (Briickner, 1896 : 503, 522). D u r a n t la p é r i o d e m o n gole « le jam é t a i t une taxe s p é c i a l e d e s t i n é e à l'entretien des relais • ( V e r n a d s k y , 1953 : 221). L o r s q u e , au d é b u t d u 1 6 ° s i è c l e , Herberstein e m p l o y a l a poste d ' E t a t moscovite, il se vit attribuer des c h e v a u x de relais « par le m a î t r e de poste, que dans leur langage ils appellent jamschnik [sic] ». Les relais é t a i e n t n o m m é s jama (Herberstein, N R , I : 108). A u 16" s i è c l e , la Chancellerie des postes s'appela d ' a b o r d jamskaja izba et plus t a r d , jamskoi prikaz (Staden, 1930 : 33, n. 4 ; v o i r 15, 59).
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15 siècle, des traces d'une distribution intensive et systématique des terres publiques dans l'institution du pomestye » (99). Les princes moscovites créèrent un très grand nombre de terres pomestye dans les territoires nouvellement conquis, celui de Novgorod par exemple ; mais au début du 16 siècle, on trouve aussi « un grand développement de la tenure de type pomestye » dans les régions voisines de Moscou (100). L'historien comparatiste de l'économie qu'est Kovalevsky attribue expressément une origine tatare à cette institution décisive : « C'est un fait qu'avant le 15* siècle, nous ne voyons nulle part un prince russe rétribuer des services, sauf par des distributions d'argent et d'objets faisant partie d'un butin de guerre, tandis que les attributions de tenures militaires, sous le nom de iktaa étaient une pratique connue du monde musulman tout entier, et en particulier des Tatares, des siècles avant son introduction en Moscovie. Ces considérations conduisirent l'auteur à conclure que cette institution s'instaura en Moscovie et dans les autres principautés russes à l'imitation des khanates tatares » (101). Vernadsky ne dit pas que le lien soit direct ; mais lui aussi appelle l'ère mongole la « période d'incubation » du système pomestye (102). Devant de tels faits, il est difficile de rejeter la conclusion de Vernadsky selon laquelle, au temps des Tatares, l'ancienne société libre kievienne fut « progressivement effritée, sans qu'au début la façade ne fût entamée », et que lorsque Ivan III rompit avec la Horde, « la nouvelle structure était pratiquement prête et l'ordre nouveau, celui d'une société fondée sur un service d'Etat obligatoire, apparut alors » (103). En effet il apparut. Et quelques décades après la mort d'Ivan, le despotisme s'était suffisamment affermi pour détruire brutalement la façade désuète. Le temps qui s'écoula entre l'incubation et la maturation reflète les intérêts contradictoires des Tatares qui avaient besoin d'un vassal moscovite assez fort pour exécuter la volonté du Khan, mais pas assez pour en secouer le joug. Sans prévoir les dernières conséquences de leur action, ils construisirent une bombe institutionnelle à retardement (r), qu'ils purent contrôler tant que dura leur domination, mais qui commença à exploser dès que le « Joug » s'effondra. Byzance exerça sur la Russie kievienne une profonde influence, essentiellement culturelle. Comme celle de la Chine sur le Japon, cette influence ne modifia guère les e
(r) V e r n a d s k y (1953 l'effet est d i f f é r é ».
: 335)
parle à juste titre d'une
« influence
dont
ZONES C E N T R A L E S , M A R G I N A L E S E T S U B M A R G I N A L E S (6
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conditions du pouvoir, des classes, de la propriété. L'influence de la Turquie ottomane sur la Russie du 16* siècle donna une impulsion supplémentaire à un régime qui était déjà despotique, de type oriental (104), mais ce ne fut pas à cette influence qu'il dut son existence. Des trois influences orientales essentielles qui s'exercèrent sur la Russie, seule fut décisive l'influence tatare : c'est elle qui détruisit la société kievienne non orientale et qui prépara les bases de l'Etat despotique de Moscovie et de la Russie post-moscovite. F. — STRUCTURE ET TRANSFORMATION DES SCHÉMAS DE DENSITÉ DU MONDE ORIENTAL Ainsi, la Grèce, Rome, l'Espagne et la Russie, tous ces pays franchirent la limite institutionnelle. En Grèce, à Rome et en Espagne, il y eut une oscillation constante de part et d'autre. En Russie tsariste, le mouvement inverse (de réaction contre un Etat despotique) faillit ramener le pays dans l'orbite occidentale. Les transformations qui se produisirent dans chacun de ces cas furent considérables ; mais leur caractère ne peut se comprendre si les structures institutionnelles qui subissent ces transformations ne sont pas clairement définies. C'est ce que notre analyse a tenté de faire. Envisageant à la fois la structure et ses modifications du point de vue de la variation en densité hydraulique et bureaucratique, nous pouvons en tirer les conclusions essentielles suivantes. 1.
a. - Subdivisions hydraulique.
des
-
STRUCTURE
types
de
densité
dans
la
société
Il y a deux sous-types de zones hydrauliques compactes : l'un qui comporte des systèmes hydrauliques continus et occupe une place prédominante dans l'économie du pays. Nous le nommerons, Concentré 1. L'autre qui comporte des systèmes hydrauliques prédominants dans l'économie mais discontinus (Concentré 2). Il y a deux soustypes de zones hydrauliques sporadiques : l'un qui comporte un système organisationnel à prédominance hydraulique, englobant des unités hydrauliques concentrées importantes (Sporadique 1 ), l'autre qui ne comporte pas de telles unités (Sporadique 2). Et il existe deux sous-types de société hydraulique marginale : l'un contient des éléments hydrauliques d'importance (Marginale 1), l'autre manque de tels éléments (Marginale 2). Un septième sous-type, le type
274
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
submarginal, se trouve à. la lisière du monde hydraulique, parce que les représentants de ce type utilisent d'importants éléments caractéristiques des méthodes de gouvernement despotique, oriental. b. - Fréquence
variable
de ces types.
Les sous-types de la société hydraulique présentant la plus forte densité hydraulique (Concentré 1 et 2), ne sont pas les plus fréquemment attestés. On ne peut pas dire non plus que les autres sous-types soient moins « avancés », si l'on veut exprimer par ce terme l'idée que plus tard et nécessairement les représentants de ces sous-types passeront dans la catégorie concentrée. Parmi les sociétés hydrauliques occupant une place éminente dans l'histoire, et particulièrement chez les plus étendues d'entre elles, le type concentré est plutôt l'exception que la règle. c. - Importance proprement
décroissante dite.
de
l'économie
hydraulique
L'importance décroissante de l'économie hydraulique proprement dite apparaît clairement lorsqu'on envisage le monde agro-directorial dans son ensemble spatial et temporel. Sans aucun doute, les représentants de ce monde hydraulique présentaient, au cours de leur période de formation et de leur phase première, une densité hydraulique supérieure à celle de leur évolution ultérieure et secondaire. Au cours de la période de formation, des communautés hydrauliques relativement restreintes se créèrent dans des sites arides et semi-arides. Et si notre hypothèse génétique est juste, nous pouvons dire avec certitude que si durant cette phase, un certain nombre de sociétés hydrauliques marginales se formèrent par diffusion, peu nombreuses furent celles qui eurent pour origine la désintégration d'unités plus vastes, hydrauliques sporadiques, qui étaient alors pratiquement inexistantes. Les sociétés hydrauliques marginales les plus nombreuses —• que ce soit en nombre absolu, ou relativement au nombre des sociétés hydrauliques proprement dites — apparurent donc, non pas au cours de la phase de formation, mais après. Cette particularité de développement s'accompagne d'une autre, qui, bien qu'indépendante de la première, en aggrave les effets. Pour des raisons qui, dans l'Ancien Monde, sont étroitement liées à l'expansion des conquêtes nomades et, de. façon générale, à un recul de l'agriculture hydraulique, les sociétés hydrauliques proprement dites tendent à réduire plutôt qu'à augmenter leur intensité hydraulique.
ZONES C E N T R A L E S ,
MARGINALES
E T SUBMARGINALES
(6
F)
275
Les schémas de densité spécifique de la société hydraulique et industrielle se développent de façon différente. Ceux qui représentent la société industrielle tendent à devenir plus industriels sans devenir nécessairement industriellement plus concentrés. Au contraire, les représentants de la société agro-directoriale semblent atteindre leur plus haut coefficient de densité hydraulique au cours d'une phase relativement primitive de leur développement. Ensuite, ils conservent ce coefficient, ou marquent une régression. Apparemment, prise dans son ensemble, la société agro-directoriale « évolue » non vers des niveaux plus élevés mais vers des niveaux inférieurs de densité hydraulique. 2.
-
POSSIBILITÉS
DE
TRANSFORMATION
SOCIALE
Notre analyse de la densité clarifie les notions de structure et de transformation. Elle clarifie aussi le processus de transformation — ou d'absence de transformation — non seulement à l'intérieur d'un même type social, mais aussi quand il y a passage d'un type social à un autre. 1°) La formation d'une société hydraulique a apparemment pour condition essentielle l'existence d'une économie hydraulique proprement dite. 2°) La perpétuation d'une société hydraulique est assurée par de nombreux facteurs, parmi lesquels l'entreprise hydraulique peut être de peu d'importance, excepté en des moments de crises causées par le choc d'importantes forces extérieures non hydrauliques. 3°) Dans une zone hydraulique donnée, de grands travaux hydrauliques de production et de protection, dirigés par le gouvernement, peuvent concerner une fraction seulement du territoire soumis à ce régime politique. La diffusion inégale des institutions d'un ordre social donné, qui caractérise le monde hydraulique, caractérise également la société industrielle moderne. Avant la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis étaient un cas exceptionnel de société industrielle. Mais à cette époque, environ 200 comtés seulement sur quelque 3 000 — c'est-à-dire à peu près 7 % étaient classés parmi les « comtés industriels » proprement dits (a).
(a) P o u r u n compte rendu d é t a i l l é de ce p h é n o m è n e , voir Tlie Structure of the American Economy, P t . I, Basic Characteristics (Washington, D C . National Resources C o m m i t t e e , 1939), p. 47.
276
LE DESPOTISME ORIENTAL
4°) L'histoire de la société hydraulique comporte d'innombrables rébellions et révolutions de palais. Mais, à notre connaissance, nulle part les forces intérieures n'ont réussi à transformer une société agro-directoriale en une société décentralisée de type occidental. 5") Plus spécifiquement : ni dans l'Ancien Monde ni dans le Nouveau, aucune grande civilisation hydraulique proprement dite ne s'est spontanément transformée en société industrielle, selon le processus qu'ont suivi, dans des conditions non hydrauliques, les pays de l'Occident post-médiéval. Dans les civilisations hydrauliques marginales de la Byzance tardive, le développement de la grande propriété privée n'a conduit qu'à la paralysie sociale. En Russie, après de rudes attaques de l'extérieur, les forces de la propriété privée (et les forces concommitantes, celles de la main-d'œuvre libre) l'emportèrent pour quelques mois en 1917 sur le système du pouvoir d'Etat despotique.
CHAPITRE VII
COMPLEXITÉ DE LA PROPRIÉTÉ DANS LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE QUELQUES EXEMPLES Toutes les sociétés hydrauliques ne contiennent pas nécessairement d'importantes forces d'appropriation indépendantes. Lorsque ces forces existent, elles semblent représenter un danger plus grand pour les zones hydrauliques marginales que pour les régions centrales, bien que dans ces dernières un développement puissant de la propriété privée rende plus aiguës les différenciations sociales et les crises politiques qui se produisent périodiquement. Par conséquent, une analyse des institutions de la société hydraulique devrait porter non seulement sur la densité de son appareil agro-directorial, mais également sur la complexité du développement de la propriété. Après avoir exploré les grands types de densité hydraulique et bureaucratique, nous allons maintenant examiner les types principaux de densité dans le domaine de la propriété et de l'entreprise privées, types qui apparaissent à l'ombre du despotisme agro-directorial A. — L E MODE DE RELATION HUMAINE APPELÉ « PROPRIÉTÉ » La propriété est le droit reconnu que possède un individu donné de disposer d'un objet donné. Comme les autres droits, le droit nommé propriété est plus qu'une relation entre une personne et un objet. Il implique des relations entre le propriétaire et d'autres individus qui, en raison de la prérogative du premier, sont eux-mêmes privés de la disposition de l'objet en question. Cette relation concerne également les représentants du gouvernement qui, d'une part, partagent les restrictions
278
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
que comporte la condition de non-propriétaire privé, et d'autre part sont directement intéressés à la perpétuation des lois en vigueur régissant la propriété. Ainsi, la propriété est non seulement une institution sociale et légale, mais encore un phénomène politique. Et les droits de la propriété privée dans des sociétés différentes, même s'ils revêtent des formes analogues, ne sont pas nécessairement identiques en substance. Une propriété privée forte (a) se développe dans un ordre social équilibré de telle façon que les propriétaires disposent de « leurs » objets avec un maximum de liberté. Une propriété faible se développe dans un ordre social privé de cet équilibre. Les chapitres précédents ont décrit les éléments caractéristiques de la société hydraulique qui, favorisant la puissance disproportionnée de l'Etat, tendent à affaiblir de manière disproportionnée la propriété privée. Naturellement, faiblesse ne signifie pas inexistence. La société hydraulique a produit de nombreuses formes de propriété privée qui, si l'on s'en tient aux apparences, trouvent leurs homologues dans d'autres sociétés. Certaines de ces formes présentent des degrés divers de développement dans les différentes sociétés hydrauliques, et ces distinctions se manifestent avec une telle évidence et une telle régularité, que nous pouvons établir plusieurs sous-types de complexe d'appropriation et d'organisation sociale. B. — OBJETS SUR LESQUELS S'EXERCENT LES DROITS DE PROPRIÉTÉ Les concepts de propriété mobilière et de propriété immobilière présentent des difficultés évidentes, mais, pour notre enquête, de grands avantages. La propriété immobilière (essentiellement la terre) constitue la base de l'entreprise privée dans la branche principale de l'économie hydraulique : l'agriculture ; et la propriété mobilière (outils, matériaux bruts, marchandise, argent) constitue la base de ses deux branches secondaires les plus importantes : l'industrie (artisanat) et le commerce. Les personnes peuvent également devenir l'objet d'une relation de propriété. Comme bien d'autres ensembles institutionnels, la société hydraulique connaît l'esclavage. Mais à la différence de la propriété mobilière et immobilière, (a) Sous une forme embryonnaire, le concept a d é j à é t é u t i l i s é p a r Sir Henry M a i n e dans son Village-Communities (Maine, N e w - Y o r k , 1889, 158 sa
LA PROPRIÉTÉ
DANS L A S O C I É T É
HYDRAULIQUE
(7,
D)
279
la possession d'esclaves, dans le cadre d'un despotisme agro-directorial, ne détermine pas de types spécifiques d'entreprise indépendante. Nous analyserons les particularités de ce type de possession dans le prochain chapitre, qui traite des classes. C. — L'ÉTENDUE POTENTIELLE DES DROITS DE PROPRIÉTÉ Le détenteur d'un bien privé de type fort peut disposer de ses possessions de différentes façons. Il peut faire de ses biens ce qu'il veut, aussi longtemps qu'il n'empiète pas sur les droits des autres membres de la communauté. II peut employer ses biens de manière active, soit dans le domaine économique (pour sa subsistance et pour faire des bénéfices matériels), soit dans le domaine de la coercition physique (pour promouvoir ses intérêts matériels ou politiques ou ceux de son groupe) ; il peut encore les employer de manière passive, en les consommant pour ses besoins et ses plaisirs (b). Il peut même à l'occasion décider de ne pas les employer du tout. Il peut faire d'un morceau de bois un arc pour la chasse et la guerre, ou une houe pour son jardin. Il peut consacrer son champ aux cultures de son choix, en faire un pâturage ou un terrain de chasse, il peut encore le laisser en friche. Lorsque le propriétaire de biens privés, de type fort, fait fructifier ses biens en les employant de manière active, soit tout seul, soit avec d'autres ou par l'entremise d'autres, il est libre de jouir des bénéfices ainsi obtenus. Il possède le veau aussi bien que la vache. Il est libre d'aliéner ses biens à son gré. Et il est libre de décider qui en héritera à sa mort. D. — TROIS GRANDS COMPLEXES DANS LES CIVILISATIONS HYDRAULIQUES 1.
-
LES
TYPES
D E PROPRIÉTÉS ET
SIMPLE,
SEMI-COMPLEXE
COMPLEXE
Le détenteur de biens de type faible est bien loin de pouvoir jouir de ces prérogatives mais le désir d'agir aussi librement qu'il est en son pouvoir ne disparaît pas pour autant. Il exerce des droits restreints sur ses biens mobiliers et immobiliers, passifs et actifs. Dans le domaine de la propriété mobilière active, les droits deviennent institutionnellement importants lorsque les détenteurs de (b) L a distinction entre p r o p r i é t é p r o d u c t i v e et p r o p r i é t é non productive est une l é g è r e variante é c o n o m i q u e — importante cependant — d'une plus grande dichotomie.
280
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
tels biens les consacrent, de façon indépendante et à titre professionnel, à l'industrie et au commerce. Ceux qui se vouent à l'artisanat ou au commerce font un pas décisif au moment où ils se consacrent à ces activités en professionnels, c'est-à-dire à plein temps. Cependant, une telle décision ne provoque aucun changement social important, tant que les artisans et commerçants de profession ne constituent qu'une subdivision de la classe des fonctionnaires gouvernementaux. Ce n'est que lorsqu'ils emploient leurs biens de manière à la fois professionnelle et indépendante que ces individus apparaissent comme formant une classe nouvelle. La différence ne réside pas dans un « mode de production » différent — il peut demeurer identique — mais dans la nouvelle situation politique (et sociale, déterminée politiquement) des producteurs et des commerçants. La terre est cultivée de manière professionnelle (c'està-dire par des paysans qui consacrent la majeure partie de leur temps à l'agriculture), dès que l'agriculture devient la base essentielle de subsistance. Et les éléments de propriété foncière privée (indépendante) apparaissent relativement tôt. Mais les propriétaires qui souvent ne sont pas eux-mêmes des cultivateurs ne peuvent pas, dans de nombreuses sociétés orientales, étendre la propriété agraire privée, la plus grande partie des terres étant, d'une manière ou d'une autre, soumise à la réglementation du gouvernement. C'est seulement lorsque la terre libre (non réglementée) devient le régime foncier prédominant, que la propriété privée (foncière) prend l'ampleur d'un phénomène social comparable au développement d'un artisanat et d'un commerce indépendants et prédominants. La propriété indépendante de type actif progresse de façon inégale dans ses secteurs mobilier et immobilier. Ces différences de développement sont suffisamment évidentes et régulières pour permettre de distinguer au moins trois grands complexes de propriété dans la société hydraulique : o
I ) Quand la propriété active indépendante joue un rôle subordonné, tant dans le domaine mobilier qu'immobilier, nous avons affaire à un type de propriété relativement simple. Appelons-le une société hydraulique simple. 2°) Quand la propriété active indépendante se développe et se consolide dans les domaines industriel et commercial mais non agricole, nous avons affaire à un type de propriété semi-complexe. Appelons-le société hydraulique semi-complexe. 3°) Quand la propriété active indépendante se développe et se consolide, dans le domaine de l'industrie, du
T
LA
PROPRIÉTÉ
DANS L A SOCIÉTÉ
H Y D R A U L I Q U E (7,
D)
281
commerce et aussi de l'agriculture, nous avons affaire au type de propriété le plus complexe que l'on puisse observer dans une société hydraulique. Appelons-le société hydraulique complexe. 2.
a. - « Simple
- REMARQUES
COMPLÉMENTAIRES
1 » et « Simple 2 ».
Jusqu'où peut s'étendre la propriété privée indépendante dans le commerce et dans l'industrie ? Et à quel moment la propriété foncière privée l'emporte-t-elle sur les autres régimes fonciers ? Nous essaierons de répondre à ces deux questions en analysant les caractéristiques des types semi-complexe et complexe de propriété orientale. Il faut cependant éclaircir d'abord une autre question. Existe-t-il dans la société hydraulique des conditions dans lesquelles artisans et commerçants professionnels ne soient pas représentés ou ne le soient pratiquement pas ? De telles conditions existent. Essentiellement chez les tribus TABLEAU
Les complexes de la propriété
Types de propriété
IV
dans la société hydraulique
(schéma)
Domaines où se développe la propriété Agriculture exercée
Industrie et commerce exercés
Sur la base de la propriété Surtout Profession- sur terres Principalement privée et à titre nellement principalement privées professionnel de façon indépendante 1
Simple : 1 2 Semi-complexe Complexe . . . .
X *
+ » X
+ + +
+ X +
X
+
Légende :
+ Caractéristique développée. — Caractéristique faible ou absente. Ce terme est expliqué dans le texte, chap. 7, E, 2. Le signe x indique un début de développement. Agriculteurs-artisans et producteurs-commerçants. 1
2 3
a !
282
L E DESPOTISME
ORIENTAL
hydrauliques, qui, pour cette raison et pour d'autres, constituent la variante la plus rudimentaire d'une société hydraulique simple. Nous distinguons le type tribal de société hydraulique simple, « Simple 1 », du type centralisé étatique de société hydraulique simple, « Simple 2 ». b. - Complexité
de la propriété
et densité hydraulique.
II est moins facile d'établir des corrélations entre, d'une part, les types de propriétés complexes, et, d'autre part, les types de densité hydraulique. La montée des classes et de l'entreprise, fondées sur la propriété privée, est due à plusieurs facteurs ; la densité hydraulique n'est qu'un de ces facteurs, et dans une zone donnée, elle tend à se transformer qualitativement selon un processus très lent, et seulement en fonction d'une transformation des relations de cette zone avec les autres. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas de corrélation significative entre la densité hydraulique et les complexes de la propriété. Des deux phases principales par lesquelles peut passer l'évolution de la propriété hydraulique, la première au moins — le passage d'un type simple à un type semi-complexe — peut être considérablement ralentie, sinon tout à fait arrêtée, dans une société dont l'ordre agraire sous-jacent est hydrauliquement concentré. De même que la corrélation entre le développement d'une société hydraulique simple centralisée étatique, et le progrès de l'industrie et du commerce, professionnels, cette corrélation s'éclaircira lorsque nous analyserons systématiquement les caractéristiques des types simple, semicomplexe et complexe de la propriété orientale. E. — ASPECTS SPÉCIFIQUES ET NON SPÉCIFIQUES DES CONDITIONS DE LA PROPRIÉTÉ DANS LES SOCIÉTÉS HYDRAULIQUES TRIBALES 1.
-
ASPECTS
NON
SPÉCIFIQUES
Les tribus agraires usent de leur propriété de différentes manières ; et cela est vrai tant pour les communautés hydrauliques que non hydrauliques (1). Dans les communautés agraires les plus simples, celles de Mélanésie, d'Amérique du Sud et d'Afrique «les biens mobiliers sont objets de propriété privée, mais non la terre » (2). On trouve des principes semblables dans d'importantes tribus du nord de l'Amérique (a) ; mais en Mélanésie et (a) Les Iroquois ont un proverbe : « L a terre, comme l'eau et le teu, ne peut ni s'acheter ni se vendre > (Lips, 1938 : 516).
LA PROPRIÉTÉ DANS LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE (7, E)
283
en Afrique occidentale est apparue une différenciation nouvelle. « En général, la terre était la propriété commune du village, mais en ce qui concerne la terre cultivée, on trouve l'embryon d'une propriété de gens, d'une propriété familiale ou individuelle» (3). Dans une certaine mesure, les régimes fonciers sont analogues chez les tribus hydrauliques. Chez les tribus plus restreintes d'Afrique equatoriale qui pratiquent l'irrigation, la terre s'achète et se vend. C'est le cas des Suk (4) et des Endo (5). Chez les En-Jemusi, elle était à l'origine « répartie par le chef », mais maintenant lorsqu'à la mort du père le morcellement a réduit un lot de terre en fragments trop restreints, les propriétaires peuvent compléter leur parcelle par des achats, comme chez les Suk ou, selon le régime plus ancien, ils peuvent recevoir du chef des parcelles complémentaires (6). Dans les pueblos américains, un régime communal a prévalu jusqu'aux temps modernes. Dans la région du Rio Grande, « la terre cultivable inutilisée revient à la ville pour être redistribuée par le chef de la cité [cacique] ou le gouverneur» (7). Chez les Hopi, qui appartiennent à la zone hydraulique marginale, un « régime foncier fondé sur le clan était partout en vigueur » (8) ; et le chef du village qui était « théoriquement le possesseur de toutes les terres du village » (9) faisait emploi de son autorité, « le plus souvent... pour régler des litiges dont la terre était l'objet» (10). Ainsi, dans les communautés qui pratiquent la petite exploitation agricole, tant hydraulique que non hydraulique, les régimes fonciers varient ; et la tendance à une direction communale est forte mais non universelle. On peut discerner des analogies dans le régime de la propriété mobilière. Les armes comme les outils employés pour la chasse et la cueillette sont en général la propriété individuelle des hommes des tribus hydrauliques ; mais ces objets sont si peu durables que leur possession éphémère ne suffit pas à créer des distinctions de classe, quelles que soient les méthodes de distribution. Dans de telles conditions, l'industrie et le commerce ne créent pas non plus de différenciations sociales importantes. C'est particulièrement évident pour le commerce. L'échange des biens privés se fait par des moyens privés ; cela ne requiert ni connaissances spéciales, ni activité à temps complet. Comme dans les communautés qui pratiquent la petite exploitation agricole non hydraulique, on trouve du commerce chez les tribus hydrauliques, mais pas de commerçants professionnels (h). (b) Chez les Indiens pueblos, le troc entre les d i f f é r e n t s villages ou avec des peuplades non pueblos est p r a t i q u é par des i n d i v i d u s (Parsons, 1939, I :
284
LE
2.
-
DESPOTISME
ASPECTS
ORIENTAL
SPÉCIFIQUES
Dans l'industrie, les conditions sont moins simples, Les artisanats fondés sur la propriété ont à l'origine pour fonction de pourvoir aux besoins personnels des fermiers ; et les hommes qui, possédant un talent particulier ou disposant de matériaux particuliers, produisent des marchandises destinées au troc, n'y consacrent qu'une partie de leur activité et restent avant tout des agriculteurs. Tel est le schéma qui prévaut chez les tribus non hydrauliques et hydrauliques, et ce schéma ne subit aucune modification fondamentale du fait de l'existence de quelques artisans professionnels, par exemple les forgerons (c). Les constructions sur une large échelle constituent un problème différent. Les communautés pratiquant la petite exploitation agricole non hydraulique, ne possèdent généralement pas le degré d'intégration organisationnelle nécessaire à l'exécution de telles entreprises ; et quelques tribus hydrauliques, les Suk et les Endo, par exemple, n'ont pas appliqué leurs méthodes organisationnelles de travail hydraulique à des objectifs non hydrauliques, alors que les Indiens pueblos d'Amérique l'ont fait au contraire avec un extraordinaire rendement ; la commune assurait l'approvisionnement en matériaux de construction. Le travail était accompli par la main-d'œuvre communale. De tels procédés ne favorisent pas l'industrie privée fondée sur la propriété, ni le développement d'une classe s'appuyant sur l'entreprise et la propriété industrielles privées. Au contraire, ils frayent la voie à des types d'opérations qui retardent la montée de forces économiques non gouvernementales, tant dans l'industrie que dans d'autres secteurs de la société. Dans le domaine des travaux hydrauliques, ces forces opposées à la propriété apparaissent régulièrement. Un paysan primitif, utilisant ses propres outils, cultive une terre qui peut être régie ou non par la commune, et la semence peut lui appartenir à lui personnellement ou à
35 ; B e a g l e h o l e , 1 9 3 7 : 81) o u p a r des g r o u p e s c o m m e r ç a n t s ( P a r s o n s , 1 9 3 9 , I : 34 sqq.}. I) e x i s t e des r a s s e m b l e m e n t s , s o r t e s de m a r c h é s , o r g a n i s é s d ' o r d i n a i r e p a r des f e m m e s ( B e a g l e h o l e , 1937 ; 82 s q q . ; P a r s o n s , 1 9 3 9 , I : 36 s q q . ) , et, s e m b l e - t - i l , s p o n t a n é m e n t ( B e a g l e h o l e , 1 9 3 7 : 81 s q q . ) . P o u r des c o n d i t i o n s p l u s a n c i e n n e s , v o i r E s p e j o , 1 9 1 6 : 133 ; B a n d e l i e r , F R . I : 1 0 1 , 1 6 3 ; P a r s o n s , 1 9 3 9 , I : 3 3 s q q . ; I l a c k o t t , 1 9 2 3 , I I : 23'», 2 3 6 , 2 4 0 , 2 4 2 s q q . ; p o u r des d é v e l o p p e m e n t s r é c e n t s , v o i r P a r s o n s , 1 9 3 9 , I : 34 s q q . P o u r les C h a g g a s , v o i r W i d e n m a n n , 1 8 9 9 : 69 ; G u t m a n n , 1926 : 4 2 5 , 4 3 1 . (c) B e e c h , 1911 : 1 8 . L e s p o t i e r s m e n t i o n n é s p a r B e e c h * ( p . 17)"ne c o n s a c r a i e n t s a n s a u c u n d o u t e q u ' u n e p a r t i e de l e u r t e m p s à l e u r a r t i s a n a t .
LA
PROPRIÉTÉ
DANS L A S O C I É T É
HYDRAULIQUE
(7,
E)
285
son groupe familial. Dans des conditions non hydrauliques, il n'y a rien de plus. Dans un cadre hydraulique, l'agriculture proprement dite suit un développement analogue, mais non les opérations « préparatoires ». Les outils sont propriété personnelle, mais les matériaux bruts destinés à la construction des installations hydrauliques (terre, pierre et peut-être bois) sont, soit propriété communale, — c'est-à-dire propriété de chacun et de tous — soit, s'ils se trouvent sur la terre appartenant à un individu, une famille ou un clan, récupérés par la communauté. Le produit des efforts coordonnés de la communauté, les rigoles ou les canaux, ne deviennent pas la propriété individuelle des fermiers ou des familles d'agriculteurs qui participent au travail de construction, mais, comme l'eau ainsi fournie aux champs individuels, ces ouvrages sont sous le contrôle ( « e n la possession») de l'organisme de gouvernement de la communauté (d). On discerne cette particularité du régime de la propriété dans les communautés de type hydraulique embryonnaire des Suk des montagnes, chez qui « les rigoles d'irrigation sont la propriété de la tribvi, non de l'individu» (11). Dans les villages d'irrigation des En-Jemusi, les rigoles d'irrigation sont aussi la propriété de la tribu (12) ; il en va de même pour les ouvrages d'irrigation plus vastes des Indiens pueblos qui sont l'œuvre de la communauté. Pour évaluer ces faits à leur juste valeur, rappelons que les communautés que nous avons examinées jusqu'à présent sont des sociétés restreintes fondées sur l'agriculture -— c'est-à-dire des communautés dont l'unité fondamentale d'activité tribale est presque toujours le village. Dans un cadre non hydraulique, le chef de ces petites unités n'exerce généralement pas son autorité sur ce qui est propriété communale sous gestion communale. Cette forme de propriété est par contre caractéristique du village hydraulique ; et dans la plupart des cas, ce bien commiin est administré par des chefs cérémoniels et/ou opérationnels (e).
(d) De petites rigoles r e q u é r a n t le t r a v a i l de quelques individus seulement ou d'un groupe f a m i l i a l restent la p r o p r i é t é de ceux qui les ont faites. (e) P o u r les Pueblos, la fonction de direction d u cacique et d u chef de guerre est bien é t a b l i e . Chez les S u k des montagnes, l a situation est moins claire. Beech (1911 : 15) admettait que l'on faisait appel à l a discipline c o m m u nale pour les t r a v a u x h y d r a u l i q u e s , mais i l ne constatait l a p r é s e n c e d'aucun chef s é c u l i e r , ni d'ailleurs d'aucun chef religieux, d'aucun
286
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
Cette forme de propriété a un autre aspect, déjà noté, mais qui, dans le contexte présent, prend un sens nouveau. Dans les petites sociétés agricoles non hydrauliques dont le chef exerce peu de fonctions de direction, la communauté ne cultive pas les terres de ce dernier. Chez les petites tribus hydrauliques, le chef, même lorsque sa fonction est ouvertement reconnue, ne jouit pas obligatoirement d'un tel avantage (f). Pourtant chez les Indiens pueblos, qui pour la plupart pratiquaient une agriculture hydraulique concentrée associée à de vastes constructions non hydrauliques, la communauté se chargeait de cultiver les terres du chef, même dans les villages ne comptant que quelques centaines d'habitants. Dans les grandes tribus hydrauliques, chez les Chaggas par exemple, on ne peut considérer l'institution des terres du chef comme spécifique, puisque de telles institutions existent dans de grandes communautés non hydrauliques. Mais chez les grandes tribus hydrauliques, les terres du chef tendent à prendre de vastes proportions ; et la culture de ces terres (ainsi que le travail dans les maisons du chef) n'est plus confiée à un nombre limité de domestiques, mais s'étend à tous les hommes valides de la tribu (g). Une autre particularité du régime de la propriété est absolument spécifique : les droits privilégiés du chef sur l'eau d'irrigation de la tribu (13). Cette extraordinaire concentration de la main-d'œuvre agricole et industrielle, de la terre et de l'eau, entre les
X I V n. 1) ; et pour en infirmer la v a l i d i t é , i l a l l è g u e les besoins militaires des tribus. Sans a u c u n doute, une direction militaire est n é c e s s a i r e dans presque toutes les tribus i n d é p e n d a n t e s , mais l'argument militaire d ' E l i o t vaudrait é g a l e m e n t pour les petites c o m m u n a u t é s agricoles non hydrauliques, dont les chefs ont plus qu'une « fonction purement r e p r é s e n t a t i v e » (Lips, 1938 : 515). Chez les Pueblos, l a direction de la tribu est explicitement l i é e à la direction des a c t i v i t é s communales, au premier rang desquelles se situent les t r a v a u x hydrauliques. G é n é r a l i s a n t les r é s e r v e s d ' E l i o t , nous s u g g é r o n t l'existence d'une a u t o r i t é o p é r a t i o n n e l l e en germe chez les S u k des montagnes, en particulier dans le domaine de la p r o p r i é t é la plus importante de la tribu : ses ouvrages hydrauliques. (f) L e chef occupe une situation remarquablement forte chez les E n Jemusi (Beech, 1911 : 37), mais rien n'atteste que des terres publiques aient é t é c u l t i v é e s à son profit. (g) L e chef chagga exige le t r a v a i l de c o r v é e des adultes m â l e s de l a t r i b u , des femmes et des adolescents m â l e s . Ces trois groupes travaillent pour le chef ; travail agricole : coupe d u bois (hommes), mise à feu (hommes), binage (femmes), arrosage a p r è s les semailles (hommes), sarclage et d é s h e r b a g e (femmes), irrigation (hommes), et moisson (femmes) ( G u t m a n n , 1926 : 376) ; t r a v a u x de c o n s t r u c t i o n : coupe et transport des bois de c o n s t r u c t i o n (hommes), construction p r o p r e m e n t dite (hommes), transports de lourdes charges de paille p o u r les toits (femmes), transport de m a t é r i a u x d e s t i n é s aux palissades, etc. (les g a r ç o n s ) (ibid : 368, 376).
LA P R O P R I É T É DANS L A S O C I É T É
HYDRAULIQUE
(7,
E)
287
mains du chef, ne favorise pas la propriété personnelle, familiale ou de clan (h). Elle ne favorise pas la situation sociale des artisans privés, qui dans les grandes tribus hydrauliques deviennent un peu plus nombreux (i). Pas davantage les marchands professionnels privés (j). Elle limite de façon spécifique l'expansion de la propriété privée dans cette branche secondaire importante de l'économie de subsistance : l'élevage. L'histoire tribale de nombre de civilisations européennes montre combien, dans une économie agraire, l'enrichissement au moyen de l'élevage est un facteur important pour la formation d'une classe sociale dirigeante. Dans l'est de l'Afrique, le cheptel est de même une richesse estimée ; et dans une communauté essentiellement pastorale, chez les Masai par exemple, c'est cette richesse, étalée à l'envi (14), qui classe socialement ses propriétaires (k). Il n'en était pas de même chez les Chaggas. Le bétail, dans les conditions spéciales qui sont celles de la région où vivaient les Chaggas, était surtout nourri à
(h) J u s q u ' à l ' é p o q u e coloniale, la plus grande partie de la terre chez les Chaggas é t a i t sous le c o n t r ô l e , d ' a b o r d des clans, puis, et de plus en plus, des chefs. Les clans c é d è r e n t au chef une partie de leur a u t o r i t é , d'abord sur les plantations de bananes, probablement les p r e m i è r e s terres qui furent c u l t i v é e s et requirent une irrigation ( G u t m a n n , 1926 : 303 ; D u n d a s , 1924 : 300 sqq.). Les champs de millet é l e u s i n e , q u i avaient toujours e x i g é une irrigation intensive « sont choisis et a t t r i b u é s par le chef l u i - m ê m e . De m ê m e pour les champs de m a ï s dans les plaines et cette a t t r i b u t i o n est l'une des charges importantes du chef » (ibid. : 301). P o u r des d é v e l o p p e m e n t s coloniaux r é c e n t s des terres à mais sous l ' a u t o r i t é d u chef, voir G u t m a n n , 1926 : 307. (i) Chez les Chaggas, de f a ç o n plus exclusive encore que chez les Pueblos, le commerce est entre les mains des femmes ( W i d e n m a n n , 1899 : 69 ; G u t mann, 1926 : 425). (j) Chez les Chaggas, les seuls artisans professionnels sont les forgerons et p e u t - ê t r e les tanneurs ( W i d e n m a n n , 1899 : 84 ; G u t m a n n , 1909 : 119 ; Dundas, 1924 : 270 sqq.). Les forgerons vivent dans des villages particuliers, et ils n ' é p o u s e n t que des femmes appartenant à des familles de forgerons (Widenmann, 1899 : 84 ; G u t m a n n , 1909 : 119 ; D u n d a s , 1924 : 271). (k) Merker, 1904 : 28. Chez les S u k pasteurs q u i « ont pour ceux-ci (les Suk agriculteurs (des montagnes)] un certain m é p r i s en raison de leur pauv r e t é » (Beech, 1911 : 15), l a richesse en b é t a i l semble d é c i d e r de la p r é é m i n e n c e au sein de la commune. U n certain K a r ô l , q u i avait l a r é p u t a t i o n d'être le « plus riche » des S u k (ibid. : 7, n. 1), acquit l a position politique l a plus é l e v é e que pouvaient l u i permettre les conditions i n d i f f é r e n c i é e s de sa tribu ; il devint « le conseiller le plus i m p o r t a n t de son groupe » (ibid.). Mais l ' a u t o r i t é d é c l a r é e des conseillers é t a i t e x t r ê m e m e n t faible ; et i l n'est pas a s s u r é que chez les S u k pasteurs aucun d'entre eux ait e x e r c é un p o u v o i r occulte s u p é r i e u r , puisque aucune entreprise communale connue ne fournissait l'occasion d exercer des m é t h o d e s de discipline a c c e p t é e s de f a ç o n g é n é r a l e . Ce n'est probablement pas par hasard que les S u k des montagnes, plus pauvres et constituant une s o c i é t é hydraulique embryonnaire, c o n d a m naient les personnes qui violaient les lois tribales avec plus de s é v é r i t é que les habitants des plaines, plus riches qu'eux : « Les peines sanctionnant les d é l i t s sont beaucoup plus s é v è r e s dans les montagnes que dans les plaines » (ibid. :
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l'étable (15) et augmentait de façon substantielle ; et certains membres de tribus possédaient jusqu'à quatrevingts têtes (16). Dans la société chagga, les possesseurs de grands troupeaux ne jouissaient pas nécessairement d'un statut social plus élevé, mais certainement d'avantages matériels plus grands. Le chef chagga, grâce à son pouvoir quasi despotique, trouvait facilement prétexte pour accuser de quelque méfait les propriétaires trop riches et confisquer tout ou partie de leurs troupeaux (17). Et les éleveurs chaggas au lieu de se vanter de l'accroissement de leurs troupeaux, devinrent de plus en plus craintifs et secrets. Une pratique plus ancienne, celle de confier les troupeaux à des membres pauvres de la tribu chargés de les nourrir en étable (18), devint un expédient commode pour dissimuler un bien précieux mais peu sûr. Les animaux étaient donc remis de nuit à leurs gardiens temporaires (19) ; et les fils des propriétaires, qui, à l'origine, jouaient dans ce transfert un rôle important (20), n'étaient parfois même plus informés du lieu où se trouvait le bétail. Dundas dit : « Si secret est le lieu où il garde ses troupeaux, qu'il ne le confie même pas à ses fils» (21). Cette coutume s'ancra à mesure que grandit le pouvoir des chefs, développement qui précède la domination coloniale. Cet état de fait s'aggrava encore lorsque, sous cette domination, le chef commença à lever un impôt général sur le bétail (22). Dans un tel cadre, la richesse privée n'est pas nécessairement, ni même essentiellement facteur de prééminence publique (m). Parmi les qualités qui, aux temps primitifs, étaient celles d'un chef, la richesse constituait un facteur souhaitable, mais non nécessaire ; et la richesse du chef s'accrût certainement, non en proportion de ce que celui-ci ou ses ancêtres possédaient à l'origine, mais en fonction de l'extension de son pouvoir agro-directorial et militaire.
(m) G u t m a n n (1909 : 7) dit que les riches membres de tribus peuvent soustraire aux pauvres de l'eau d'irrigation, mais dans une é l u d e u l t é r i e u r e )lus d é t a i l l é e i l d é c r i t comment se fait l'approvisionnement en eau de tous es membres d'une u n i t é hydraulique d o n n é e (1926 : 418) et avec quel sens de l ' é g a l i t é . 11 fait é g a l e m e n t allusion à certains • nobles » q u i , é v i d e m m e n t p o s s é d a i e n t du b é t a i l , et qui p a r t i c i p è r e n t au choix d'un chef (ibid. : 462). Mais il ne donne aucun d é t a i l sur cet incident qui date d u d é b u t d u 1 9 s i è c l e [ibid. : 461), c ' e s t - à - d i r e avant que l ' a u t o r i t é d u chef ne se soit a f f i r m é e totalement sur les affaires communales. E t les chefs de c l a n ne devaient pas leur r a n g à leur richesse. Cependant une fois choisis, certains d'entre eux avaient probablement des occasions d ' a m é l i o r e r leur situation é c o n o m i q u e (ibid. : 15). U n membre de clan devenait chef de c é r é m o n i e parce qu'il é t a i t le doyen m â l e de son groupe (ibid. : 13), et le chef politique « l'orateur », parvenait à ce rang, non en raison « de son â g e n i de sa richesse, mais de son h a b i l e t é politique » (ibid. : 14).
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Le chef choisit pour auxiliaires des hommes éminents dans leur village (23) ou — et de plus en plus — des hommes personnellement qualifiés pour leur fonction (24). Dans les deux cas, ce choix signifiait une notable amélioration des conditions matérielles pour les élus, car le chef fournissait à ses servants bétail et femmes (25). En fait, à ce que rapporte Merker, seuls les titulaires de fonctions gouvernementales étaient riches (26). 3.
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SIMPLE
1...
Il est évident que chez les tribus hydrauliques comme chez les tribus agraires non hydrauliques, la propriété privée se développe. Ces deux types de tribus connaissent des formes indifférenciées de propriété (comme dans l'artisanat et le commerce) et ont tendance à adopter des formes réglementées (comme dans l'agriculture, la propriété de la terre). En même temps, cependant, on peut noter des différences d'importance. Dans des conditions hydrauliques, une propriété de caractère politique apparaît dans de petites communautés hydrauliques concentrées (les terres du chef dans les villages pueblos). Dans les tribus de plus grande envergure, la propriété politique, s'étendant de manière unilatérale, retarde ou paralyse la propriété privée dans des sphères importantes de l'activité (l'élevage par exemple). Cette différence entre une accumulation unilatérale de la propriété dans les mains des autorités gouvernementales et les types pluralistes de développement de la propriété chez les tribus agraires non hydrauliques reflète parfaitement les différences de caractère et de poids des deux types d'autorité politique (n). Dans les tribus germaniques qu'observèrent César et Tacite, le chef, bien qu'occupant la situation de chef politique suprême incontesté, et consacrant normalement une grande partie de son temps à ses tâches gouvernementales, n'avait aucun pouvoir pour taxer ou limiter la richesse de ses nobles. Il n'exigeait pas non plus des membres de sa tribu la corvée de travail ni l'impôt ; une telle exigence eût été considérée comme une insulte par les membres de la tribu participant comme les nobles aux discussions publiques sur les affaires de leur groupe (27). (n) Comme nous l'avons vu plus haut, dans la plupart des communautés non hydrauliques, la coordination tribale a pour seul objet des opérations militaires ou des cérémonies, tandis que les chefs des tribus hydrauliques cumulent leurs attributions militaires ou/et religieuses, pleinement spécifiques, et des fonctions agro-directoriales.
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L E DESPOTISME ORIENTAL
Ainsi, dans les sociétés hydrauliques tribales, la propriété est simple, mais comporte une tendance spécifique à favoriser le développement d'une propriété politique prédominante, fondée sur le pouvoir. Cette tendance croît avec les dimensions de la communauté. Elle s'affirme de façon décisive dans les communautés hydrauliques de type simple qui ne sont plus dirigées par un gouvernement (tribal) primitif, mais par un Etat. F. — TYPES DE PROPRIÉTÉ DANS LES SOCIÉTÉS HYDRAULIQUES SIMPLES ÉTATIQUES CENTRALISÉES 1.
- ETAT
CONTRE
GOUVERNEMENT
PRIMITIF
On a considéré comme un aspect fondamental de la notion d'Etat le contrôle d'un territoire distinct. Cet aspect est en effet essentiel ; mais dans le contexte présent, il a peu de valeur, n'étant pas spécifique. (D'une façon générale, les gouvernements primitifs exigent aussi le contrôle de leurs territoires. Et ce critère de souveraineté ne signifie pas grand'chose. Les gouvernements primitifs cherchent aussi à établir leur souveraineté ; et, de même que les Etats, ils n'y réussissent pas toujours.) Les différences entre un gouvernement primitif et un Etat semblent de peu d'importance si nous bornons notre comparaison à des caractéristiques extérieures. Elles deviennent significatives si nous comparons les conditions intérieures. Les gouvernements primitifs sont entre les mains de non-professionnels, en général — c'est-à-dire dire de fonctionnaires qui consacrent la plus grande partie de leur temps non pas aux affaires civiles, militaires, religieuses, de la communauté, mais à leurs propres activités de chasse, de pêche, d'agriculture, ou de rapine. Les Etats sont dans l'ensemble entre les mains de professionnels — c'est-à-dire de fonctionnaires qui consacrent la plus grande partie de leur temps aux affaires « publiques ». Du point de vue des relations humaines, un Etat signifie : gouvernement par des professionnels. Certaines fonctions communales, telles que le maintien de l'ordre interne et l'organisation de la défense, sont vitales pour la perpétuation de tout type de société. Par conséquent, les activités politiques de l'homme sont aussi essentielles que celles par lesquelles il se procure la nourriture et un abri ; et la spécialisation professionnelle dans les fonctions de gouvernement est un aspect aussi important de la différenciation sociale que la professionnalisation des activités économiques et intellectuelles qui, dans des
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PROPRIÉTÉ
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conditions plus primitives, sont exercées par des personnes qui se livrent par ailleurs à une autre activité principale. Il va sans dire qu'un gouvernement proche du type étatique, avec ses fonctionnaires civils et militaires employés à plein temps, ses forces armées et sa police, peut consacrer beaucoup plus de temps et d'énergie aux fonctions administratives et coercitives que ne peut le faire un gouvernement primitif. C'est ce pouvoir potentiel de l'Etat qu'il importe de contrôler au moyen de forces non gouvernementales responsables et efficaces si l'on veut prévenir la montée d'un appareil d'Etat tout-puissant (et totalement corrompu). De nombreux marxistes, adoptant l'interprétation que donnent Marx et Engels de l'Etat occidental et oubliant qu'eux-mêmes ont insisté sur les particularités du despotisme oriental, ont décrit « l'Etat » comme une institution servant toujours les intérêts particuliers d'une classe dominante de possédants. Cette interprétation, qui aujourd'hui, dans sa version soviétique, fait partie d'un mythe politique extrêmement répandu — et extrêmement agissant — n'est pas exacte, même dans le cas des gouvernements parlementaires modernes, dont elle généralise le potentiel ploutocratique, et dont elle méconnaît les capacités d'évolution et de démocratisation. Cette interprétation ne s'applique pas non plus aux Etats occidentaux absolutistes et féodaux ni d'ailleurs aux Etats démocratiques de la Grèce antique. Et elle devient franchement absurde si on l'applique aux Etats d'appareil agraire ou industriel, dont la caractéristique est non pas une puissante influence des forces économiques non gouvernementales sur l'Etat, mais l'absence totale de toute influence de cet ordre. 2.
- ETAPES D E L A P R O F E S S I O N N A L I S A T I O N
DU GOUVERNEMENT
a. - La « chefferie » chez les Chaggas, et l'Etat aux Iles Hawaï à l'époque pré-coloniale. La différence entre gouvernement primitif et Etat apparaît clairement si nous comparons le chef unique d'un village pueblo, qui est à la charge de la communauté et lui consacre tout son temps, et les vastes états-majors de fonctionnaires gouvernementaux de l'Egypte des pharaons, de la Chine ou de la Turquie impériales. La prédominance presque totale des non-professionnels dans le premier cas est aussi manifeste que la participation presque exclusive des hommes de l'appareil professionnel dans le second. La différence est moins évidente, mais peut-être plus significative encore, si nous comparons les régimes
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des grandes tribus hydrauliques, des Chaggas par exemple, avec une civilisation hydraulique néolithique à un stade relativement primitif, celle des Iles Hawaï de l'époque pré-coloniale. Les actes d'absolutisme qu'il est loisible à un chef chagga d'accomplir sont impressionnants ; il tue (a), saisit le bétail (b) de ses sujets, et retient dans son palais autant de femmes qu'il veut (c). De plus, ce qui est plus important, il est commandant en chef des forces armées et de la main-d'œuvre de la tribu (d). Cependant, son savoirfaire quand il s'agit de régner sur l'existence de ses sujets se trouve arrêté par le fait qu'il ne dispose que d'un petit nombre de fonctionnaires à plein temps. Au premier rang de ceux-ci se trouve « un personnage que l'on peut nommer son premier ministre, et sur qui repose la plus grande partie des tâches executives» (1). Audessous de cette sorte de vizir tribal, on trouve des auxiliaires et des conseillers, akida (2), qui « reçoivent les ordres du chef et les transmettent au peuple par l'intermédiaire d'auxiliaires spéciaux, et en organisent et en surveillent l'exécution. Ces ordres ont trait, par exemple, à la construction et à l'entretien des canaux, au travail pour la personne du chef... au paiement des taxes et aux affaires religieuses» (3). Les akida, qui doivent passer un temps considérable dans le palais du chef (4), ont, semble-t-il, chacun un aide (5) ; mais là finit le fonctionnariat professionnel. Les chefs de clans peuvent assister le chef de leurs conseils (6), séjournant pour ce faire dans son palais, et l'essentiel de l'autorité locale demeure entre les mains des chefs de clans. Le sonneur de cor, chef réel de la corvée, est choisi par les membres de son clan et n'est que confirmé dans ses fonctions par le chef (7). Il ne s'agit évidemment pas là d'un fonctionnaire salarié à plein temps (8).
(a) P o u r montrer son loyalisme, un dignitaire chagga é t a i t p r ê t à b r û l e r sa s œ u r si son chef le lui ordonnait ( G u t m a n n , 1914 : 219). (b) O n dit qu'en guise de c h â t i m e n t pour un crime s u p p o s é le chef Mapfuluke s'empara d u b é t a i l de l'un de ses b e a u x - p è r e s . Plus t a r d , et de f a ç o n tout à fait inattendue, il en restitua une partie ( G u t m a n n , 1914 : 231). (c) G u t m a n n (1926 : 388 sqq.) cite un exemple o ù , d ' a p r è s ses estimations, le chef p o s s é d a plus de 5 % des filles issues de familles d u c o m m u n . Ces jeunes femmes é t a i e n t ensuite a t t r i b u é e s à ses é p o u s e s ; mais le chef conservait sur toutes ses droits sexuels : « A u c u n e fille n'arrivait vierge au mariage, le chef usait d'elles comme il l u i plaisait ». (d) L e chef chagga prend les d é c i s i o n s s u p r ê m e s en m a t i è r e de c o r v é e h y d r a u l i q u e et autres entreprises h y d r a u l i q u e s de grande envergure. A la guerre il commande aux hommes de la t r i b u ; il leur assigne leurs r é s i d e n c e s ; et i l fixe la date des semailles et de la moisson ( G u t m a n n , 1909 : 25).
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Le chef ne dispose pas non plus de gardes professionnels ni de policiers. Les guerriers qui protègent sa personne — et cela est particulièrement nécessaire la nuit — sont des membres ordinaires de la tribu qui rentrent chez eux une fois accompli leur tour de garde (9). Il arrive que l'on donne au chef suprême du gouvernement chagga le titre de «monarque» ou de « r o i » (e). Cependant la majorité des observateurs le désignent sous le nom de « chef » (10). Inversement, les anciens dirigeants des Iles Hawaï sont parfois appelés « chefs », mais les études plus érudites les nomment « rois ». Ces titres reflètent la conviction générale selon laquelle le dirigeant chagga préside un type de gouvernement plus primitif que celui de son homologue hawaïen. Cette opinion semble fondée. Dans le premier cas, nous avons affaire à un gouvernement primitif contenant les éléments d'un Etat embryonnaire, dans le second, il s'agit d'un Etat primitif mais véritable. Les rois d'Hawaï disposaient d'auxiliaires de haut rang formant un état-major beaucoup plus différencié que celui des chefs chaggas. Outre un conseiller en chef, les souverains hawaïens avaient un chef de guerre, un intendant en chef, un trésorier, et des « experts de la terre » (11). Rien n'indique que les chefs de clans aient eu des fonctions de conseillers, ni que les gardes n'aient accompli que des services partiels. Outre un « garde du corps », le chef avait à sa disposition un détachement d'hommes armés ayant à leur tête un bourreau — terroristes officiels toujours prêts à accuser, à arrêter, à tuer au nom du roi (12). Dans le gouvernement hawaïen, on trouvait des fonctionnaires professionnels en dehors même du sommet de la hiérarchie. Au-dessous des fonctionnaires de haut rang il y avait tout d'abord et par rang d'importance les konohiki. Alors que les akida passaient une grande partie de leur temps auprès de leur chef, les konohiki semblent avoir résidé et exercé leurs fonctions surtout dans la région relevant de leur juridiction, dirigeant les opérations gouvernementales de construction, d'acquisition et d'organisation. Ils recensaient la population (13) ; ils mobilisaient la corvée (14) ; ils dirigeaient les entreprises hydrauliques (15) ; ils surveillaient l'agriculture (16) ; ils collectaient l'impôt (17) ; ils en retenaient une partie pour leur
(e) G u t m a n n , 1909 « s y s t è m e monarchique
: 10 sqq. Lowie (1938 : 302) l'appelle le chef d'un >.
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usage et pour celui de leurs administrés, mais remettaient la p.'us grande partie aux autorités supérieures, et ultérieurement au roi (18). Manifestement, les konohiki et leurs auxiliaires étaient des fonctionnaires à plein temps, appointés par le gouvernement. Ils constituaient un réseau qui s'étendait sur le pays tout entier et y exerçaient des fonctions d'organisation et d'acquisition ; il est probable que c'est ce réseau qui, plus que toute autre institution politique, contribua à faire du gouvernement de l'ancienne société des Iles Hawaï un Etat hydraulique primitif, agro-bureaucratique. b. - Conséquences pour le régime de la propriété. Régnant sur un territoire beaucoup plus fertile et sur une population beaucoup plus nombreuse — le plus grand des royaumes hawïens comptait une population de cinq fois supérieure à celle de la tribu chagga la plus nombreuse (f ) — les souverains hawaïens se trouvaient dans une position plus favorable à l'instauration et au maintien d'un fonctionnariat permanent. Et ce fonctionnariat plus vaste leur permettait à son tour de contrôler plus étroitement les propriétés de leurs sujets. A Hawaï la juridiction du gouvernement sur la terre n'était limitée par aucun droit des clans, comme c'était le cas au contraire chez les Chaggas (19). Et le chef de clan ne servait pas d'intermédiaire entre les collecteurs officiels d'impôt et les contribuables, comme chez les Chaggas (20). En fait, le régime hawaïen fonctionnait si bien que les maîtres de l'appareil d'Etat étaient capables de drainer à leur profit plus de la
(f) A u 18" s i è c l e , environ 300 000 H a w a ï e n s é t a i e n t o r g a n i s é s en quelques royaumes, dont le plus grand, H a w a ï proprement dit, c o m p t a i t plus de 85 000 sujets ( L i n d , 1938 : 60). L e s chiffres c i t é s par L i n d concordent avec une estimation faite par E l l i s en 1826 ( Ë l l i s , 1826 : 8). Ellis pense que le total de 400 000 habitants a v a n c é par les premiers observateurs é t a i t « quelque peu s u p é r i e u r au total de la population du temps, bien que l'on trouve partout des traces de villages a b a n d o n n é s , de champs autrefois c u l t i v é s , maintenant en friche ». E n 1826, i l y a v a i t dans l'archipel 130 000 à 150 000 personnes (Ellis, 1826 : 8). F o r n a n d e r , bien qu'il cite des chiffres i n f é r i e u r s à ceux de Cook et de K i n g , ne v o i t « aucune raison valable pour supposer que la d é p o pulation ait é t é plus rapide et plus importante entre 1778 et 1832 — a n n é e o ù le premier recensement r é g u l i e r aboutit à u n d é n o m b r e m e n t approximativement exact de 130 000 — qu'entre 1832 et 1878, o ù le recensement fit appar a î t r e une population de 44 088 habitants seulement, sans compter les é t r a n g e r s » (Fornander, P R , II : 165). A u d é b u t du 1 9 s i è c l e , B a l i a v a i t une population d'environ 760 000 personnes, quelques-uns des royaumes majeurs de l'île c o m p t a n t plus de 100 000 habitants chacun (Lauts, 1848 : 104-5). L e s plus grandes tribus chaggas comptaient moins de 20 000, 10 000 ou 5 000 personnes respectivement ( G u t m a n n , 1926 : 1). e
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moitié de la production rurale. Selon une estimation, « les travailleurs du commun ne recevaient en moyenne pas plus d'un tiers du produit de leur industrie» (g). A une moindre échelle, la différence entre les deux formes de gouvernement apparaît aussi dans le domaine des échanges. La police des marchés chaggas était assurée par les femmes du chef et par des fonctionnaires locaux (21) ; mais une taxe de vente sur les produits agricoles et sur le sel était collectée par un membre d'un clan particulier (h). A Hawaï, on ne trouve pas trace d'une telle division de l'autorité. Les fonctionnaires qui sanctionnaient les transactions et qui taxaient les marchandises étaient chargés de l'octroi — on a donc affaire à des fonctionnaires gouvernementaux (22). Ainsi les rois d'Hawaï exerçaient sur la vie et les propriétés de leurs sujets un pouvoir beaucoup plus formidable que celui des chefs chaggas. La différence des formes extérieures du respect exprime bien la différence des degrés d'autocratisme des deux gouvernements. Nous l'avons déjà mentionné, les hommes des tribus chaggas tiennent leur chef en grande estime, mais à la différence des Hawaïens, ils n'accomplissent pas devant lui le geste classique de la soumission totale : la prosternation. 3. - TYPES S I M P L E S D E P R O P R I É T É D A N S L E S D O M A I N E S F O N C I E R , INDUSTRIEL E T COMMERCIAL
Dans les premières phases des sociétés hydrauliques étatiques centralisées, la propriété foncière privée n'est pas nécessairement inexistante ; cette forme de propriété remonte beaucoup plus haut dans le temps que ne le pensèrent les pionniers du 19' siècle. Mais la plus grande partie de la terre cultivable est soumise à des règlements ; il est donc exclu qu'elle devienne propriété privée, même lorsque la propriété indépendante s'est déjà notablement développée dans l'industrie et le commerce. Pour cette raison, nous analyserons plus tard les problèmes de la possession de la terre dans une société hydraulique. En ce qui concerne les types hydrauliques simples de propriété, il
(g) Alexander, 1899 : 28 n. B l a c k m a n (1889 : 26) p r é s e n t e cette estimation c o m m e « l'opinion d'observateurs scrupuleux ». (h) G u t m a n n , 1926 : 426 sqq. L e fonctionnaire de clan se saisit d'une p o i g n é e de marchandises taxables. Les femmes q u i font le commerce ont le droit de le frapper une fois à coups de pied ; mais elles ne peuvent l ' e m p ê c h e r de saisir le montant de la taxe, qui « sur un m a r c h é bien a c h a l a n d é peut se monter à des charges de bonne taille » (ibid. : 407).
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suffit de dire que, dans le cadre de ces types, les régimes de possession de la terre sont nombreux, mais que la terre soumise à réglementation l'emporte en proportion (et en général la différence est appréciable) sur la terre appartenant à des propriétaires privés (terre « l i b r e » ) . Il faut examiner tout de suite, par contre, l'artisanat et le commerce fondés sur des capitaux privés, et indépendants, car leur apparition produit, comme nous l'avons vu, une transformation des schémas de la propriété et de la société. Ce développement n'est nullement uniforme. Il progresse de façon différente dans les domaines suivants, dans : A. — L'industrie, selon qu'il s'agit : 1. - des industries d'extraction (mines, carrières, certaines formes de la production du sel) ; 2. - des industries de transformation. a. - La construction. /;. - Autres industries. B. — Le commerce, selon qu'il s'agit : 1. - du commerce extérieur ; 2. - du commerce intérieur, dont les objets sont : a. - les marchandises facilement contrôlables (sel, fer, thé, huile, vin, etc.) ; b. - les autres marchandises. Dans toutes les sociétés hydrauliques proprement dites et dans la plupart des sociétés hydrauliques marginales, le gouvernement a entrepris des constructions de grande envergure. Employant une main-d'œuvre imposante, l'Etat d'appareil agraire possède pour ainsi dire le monopole de la grande construction. Souvent il dirige aussi les opérations d'extraction qui fournissent les matériaux bruts pour les grandes constructions gouvernementales. D'autres industries d'extraction, extraction minière et production du sel, peuvent être, soit sous la direction immédiate du gouvernement, soit, et particulièrement dans le cas d'une économie monétaire, faire l'objet d'un monopole sous licence d'Etat. Ainsi les entreprises indépendantes ont peu de chance de se faire, sur la base des capitaux privés, une place prédominante dans le secteur le plus important de l'industrie hydraulique : la construction de grande envergure. Il en va de même dans le domaine de la grande industrie d'extraction. Ce n'est qu'en dehors du secteur de
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la construction, dans celui des industries de transformation, que l'artisanat libre, fondé sur des capitaux privés, a une chance de prendre quelque importance. Pratiquement, excepté la frappe de la monnaie, peu nombreuses sont les fabrications que l'Etat peut diriger directement : au nombre de celles-ci, la manufacture des armes et de quelques produits de luxe ; la plupart des autres artisanats sont entre les mains d'entrepreneurs privés et indépendants. Entreprise privée libre ne signifie pas nécessairement grande entreprise. Les grandes industries sont extrêmement vulnérables sur le plan fiscal, et, à l'exception d'entreprises protégées par le gouvernement, ne prospèrent guère sous le régime du pouvoir total. Les nombreuses petites industries qui se sont développées dans certaines sociétés hydrauliques ne se développaient généralement que dans des petits ateliers et ne se livraient qu'à des opérations limitées. Le développement du grand commerce privé peut être retardé dans des conditions de grande densité hydraulique et bureaucratique (concentration), mais il n'est pas arrêté par la prédominance directoriale de l'Etat, phénomène qui, dans le secteur des industries de construction, apparaît dans toutes les sociétés hydrauliques proprement dites, et également dans nombre de sociétés hydrauliques marginales. Au-dessus du niveau du producteur-marchand, les transactions commerciales peuvent s'opérer à des distances considérables entre des lieux séparés par des terres ou des mers. Ces conditions favorisent les opérations commerciales d'envergure, d'autant plus que la marchandise ainsi manipulée est moins mise en évidence, donc fiscalement moins vulnérable qu'une implantation industrielle fixe. Quand la loi de la rentabilité administrative décroissante incite un Etat à limiter ses propres opérations commerciales, on voit apparaître des marchands indépendants tant dans le commerce national que dans les relations commerciales avec l'étranger ; et les efforts que fait le gouvernement pour conserver un contrôle direct ou indirect sur les deux secteurs, à un stade donné de cette évolution, ou pour rétablir les contrôles qui existaient à un stade antérieur, se fondent généralement sur des considérations sans grande portée (i).
(i) C'est pourquoi la politique gouvernementale à cet é g a r d a tant v a r i é en Chine, aux Indes et dans le P r o c h e - O r i e n t . L'historien de l a Chine se rappellera les discussions qu'eurent les administrateurs H a n à propos de l a r é g l e mentation de la vente d u sel et d u fer. L e p r o b l è m e se posa d è s la p é r i o d e p r é -
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LE
DESPOTISME
ORIENTAL
La société hydraulique dépasse le stade des types simples de propriété, lorsque l'artisanat privé et indépendant devient prédominant dans les industries d'élaboration (excepté, naturellement, la grande construction) et quand les transactions des grands marchands indépendants atteignent ou dépassent en importance l'ensemble des opérations faites sous contrôle du gouvernement. L'absence presque totale de statistiques sur ce sujet nous oblige à adopter un critère assez approximatif. Dans certaines branches, les proportions relatives sont évidentes. Dans d'autres, nous pouvons au moins établir les tendances prédominantes. 4.
-
VARIANTES ET
a.
DES T Y P E S
D E SOCIÉTÉ
SIMPLES
DE
PROPRIÉTÉ
HYDRAULIQUES
Hawaï.
L'archipel hawaïen est si éloigné des régions plus méridionales du monde polynésien qu'après une période d'expéditions hardies « toutes relations avec les régions du sud semblent s'être interrompues, car rien n'atteste plus, ni dans les légendes anciennes, ni dans les chants, ni dans les généalogies couvrant cinq cents années, l'existence de tels échanges » (23). Quant aux relations entre les différents royaumes hawaïens, elles n'étaient pas suffisantes pour stimuler le développement du commerce au-delà du niveau du producteur-marchand (24). Le commerce intérieur consistait dans l'ensemble en un transfert des excédents ruraux, passant des mains des producteurs, paysans ou pêcheurs, à celles des représentants locaux ou centraux du gouvernement. Les échanges entre individus s'effectuaient sous forme soit de « dons » (25), soit de troc (26) ; et, dans un cas comme dans l'autre, sans l'intervention d'intermédiaires professionnels. Les marchés et les foires suffisaient amplement
H a n , et, selon les é p o q u e s , d i f f é r e n t e s solutions se p r o p o s è r e n t . L'histoire administrative de l'Inde si elle est moins d o c u m e n t é e que celle de l a Chine, laisse a p p a r a î t r e dans sa politique fiscale des fluctuations analogues. L'histoire d u commerce d ' E t a t et d u commerce p r i v é dans les grands pays hydrauliques d u Proche-Orient est encore à un stade é l é m e n t a i r e ; et quelques incursions, celle p a r exemple faite r é c e m m e n t par L e e m a n s , r é v è l e n t l'importance institutionnelle de ce p h é n o m è n e autant que les d i f f i c u l t é s que p r é s e n t e son investigation. Les d o n n é e s que nous p o s s é d o n s sur le Proche-Orient prouvent de nouveau q u ' à l'inverse des grands t r a v a u x hydrauliques et des grandes constructions n o n hydrauliques, le g r a n d commerce peut t r è s t ô t passer entre les mains de marchands p r i v é s et i n d é p e n d a n t s .
LA
PROPRIÉTÉ
DANS L A S O C I É T É
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à ces échanges. Les descriptions que fait Ellis de ce qui était alors considéré comme une foire célèbre ne comportent pas la moindre allusion à des marchands professionnels. Les seuls professionnels que remarqua cet observateur étaient les fonctionnaires du gouvernement qui surveillaient et taxaient les transactions entre les troqueurs (27). Quand, au début du 19 siècle, le contact avec le monde extérieur ouvrit un nouveau débouché pour le bois de santal, ce furent le roi et ses lieutenants, et non des marchands hawaïens privés et indépendants, qui prirent en main le commerce international qui en résulta (28). Si le commerce n'est pas développé, l'industrie ne se développe pas davantage et reste embryonnaire, et ce fait est à son tour en relation étroite avec la rareté des matériaux bruts utilisables. Les îles volcaniques d'Hawaï manquent de métaux ; et cette carence maintint les insulaires, aussi longtemps qu'ils furent isolés des civilisations techniquement plus avancées, à un niveau de vie néolithique relativement primitif. L'archipel possédait des plantes utiles (le taro et le cocotier par exemple) mais aucune des céréales majeures ; aucun animal de l'île n'était susceptible d'aider l'homme dans son labeur. La lave était la seule pierre utilisable. Dans ce cadre naturel et culturel, l'habileté technique à laquelle parvinrent les Hawaïens est admirable (29). Cependant même une grande ingéniosité ne pouvait entraîner qu'une modeste différenciation des industries. Des spécialistes construisaient des canaux (30) et des maisons (31), fabriquaient des filets, des lignes de pêche, de l'étoffe de tapa (32), et bien d'autres articles (33) ; cependant la situation économique et politique de ces artisans n'est pas très claire. Un certain nombre d'entre eux travaillaient peut-être pour leur propre compte (j). Mais ni la tradition hawaïenne, ni des observateurs anciens ne donnent à penser que l'importance de ces artisans privés ait pu se comparer à celle des artisans qui étaient au service du roi et de ses fonctionnaires. Le gouvernement, qui tenait sous son contrôle un pourcentage énorme de l'excédent du pays, pouvait aussi entretenir de nombreux artisans, poe lawelawe. Le poe lawelawe suprême était membre du gouvernement central (34). Il semble qu'il ait dirigé les activités industrielles entreprises au profit du gouvernement, et cela, manifestement, au moyen de la corvée. De plus, il avait la direction des nombreux e
(j) Certains corps de m é t i e r s avaient leurs p r o p r e s (Alexander, 1899 : 37, 62 s q q . ; B l a c k m a n n l 189
dieux.. (Da|r.Qns).
I vr;i-„J:', ld dD Pc;: 73505 p/v.
C3'«.
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L E DESPOTISME
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artisans attachés à la cour de façon permanente. Kepelino dit : « Dans l'habitation (35) du chef [du roi] il y avait de nombreux ouvriers, ou poe lawelawe, de toutes sortes ». Ainsi à Hawaï, les artisans professionnels apparaissaient de façon très significative comme des personnes qui, appointées par le gouvernement, travaillaient sous la direction de fonctionnaires du gouvernement pour le souverain et ses servants. Cette organisation, et l'absence totale de marchands indépendants professionnels, créa dans l'ancienne Hawaï une variante très rudimentaire des types simples de propriété et de société hydrauliques. b. - Le Pérou inca. Les maîtres de l'empire inca disposaient de ressources naturelles plus riches que celles de Hawaï, mais moindres que celles de l'Egypte, de la Mésopotamie, de la Chine ou des Indes. Les agriculteurs de la Cordillère des Andes n'entrèrent dans l'âge des métaux qu'à une date relativement tardive ; et même à ce moment-là ils ne travaillaient pas le fer. Ils ne domestiquaient pas non plus les animaux en vue de leur utilisation dans les travaux agricoles. Naturellement, dans les civilisations hydrauliques, l'absence d'animaux de trait se fait moins sentir dans les travaux des champs (k) que dans les transports, qui sont essentiels à l'expansion du contrôle politique et militaire, à la collecte des impôts, au développement du commerce. Mais comparé à l'âne, au mulet, au bœuf, au cheval, et au chameau, — principaux animaux de trait de l'Ancien Monde — le lama, utile pour sa laine, n'était qu'un piètre moyen de locomotion. L'absence de rivières navigables et un littoral déchiqueté découragèrent toute tentative de navigation, si ce n'est au moyen de radeaux primitifs ; et l'absence de voisins possédant une culture avancée découragea le commerce international de façon plus radicale que dans le cas de l'Egypte des pharaons.
(k) U n e é t u d e qui r e c o n n a î t le r ô l e essentiel des o p é r a t i o n s hydrauliques dans le d é v e l o p p e m e n t de l'agriculture ne peut se contenter de la typologie des é c o n o m i e s de subsistance de L o w i e , é t u d e par ailleurs riche en a p e r ç u s i n t é r e s s a n t s : « la chasse, l a culture au moyen de l a houe et d u plantoir, la culture comportant charrue et b é t a i l , et l ' é l e v a g e sans agriculture (nomadisme pastoral) » (Lowie 1938 : 283). L e P r o c h e - O r i e n t , les Indes et l a Chine comme l ' E u r o p e et le J a p o n employaient la charrue et les a n i m a u x de trait ; et il faut chercher ailleurs la raison des d i f f é r e n c e s entre les civilisations hydrauliques stationnaires et d'autres civilisations agraires q u i n ' é t a i e n t pas stationnaires ; i l semble que la p r é s e n c e o u l'absence d'agriculture h y d r a u l i q u e rendrait compte de ces d i f f é r e n c e s .
LA P R O P R I É T É
DANS L A SOCIÉTÉ
H Y D R A U L I Q U E (7,
TABLEAU
F)
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V
fadeurs stimulant le commerce et le cloisonnement régional du travai dans l'industrie
Civilisations hydrauliques
Pérou inca Egypte pharaonique (Ancien et Moyen Empires particulièrement) Provinces de la Chine Sumer
Voisins ayant une Rivières culture Animaux navigables avancée de trait et bateaux favorisant le commerce international (-) + (+) +
1
+ + +
(-) +
Légende :
+ Présent. — Absent. ( ) Développement limité. Le bœuf ne fut employé au labour qu'à la fin de la période Tch'ou. 1
Notre analyse a révélé un certain nombre de facteurs qui stimulent le commerce et la division régionale du travail dans l'industrie. Nous indiquons dans le tableau V le développement inégal de ces facteurs dans un certain nombre de civilisations hydrauliques majeures simples. Bien que ce ne soient nullement là les seuls traits constitutifs, ils contribuent à nous faire connaître le développement inégal du commerce dans ces civilisations. Dans la Cordillère des Andes, le transport fut de plus gêné par le relief désertique de grands fragments de la côte et par le relief escarpé des régions montagneuses occupant des positions stratégiques. Pour toutes ces raisons, toute communication effective et de longue distance s'effectuait essentiellement par terre et non par mer : et les routes construites et contrôlées par un Etat hydraulique tout-puissant avaient une importance vitale pour ces
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communications. Il y avait quelques marchands étrangers (36) ; et une partie du commerce du sel et du poisson relevé dans la zone de la frontière nord (37) était peutêtre aux mains de professionnels. Mais de tels développements étaient si périphériques et si peu importants que des historiens sérieux, Means par exemple, les ont délibérément laissés de côté. Dans le gouvernement de l'empire, des fonctionnaires dirigeaient le transport d'énormes quantités de marchandises — blé, haricots, coton, bois de construction, métaux, textiles, etc., — le long de la côte sur Valtiplano, et d'une région à l'autre ; et de petits producteurs-marchands échangeaient les produits par troc, à l'occasion des nombreuses foires qui avaient lieu régulièrement dans le pays tout entier (38). Mais rien n'atteste que des agents privés aient, en concurrence avec le gouvernement, entrepris des transports de longue distance et des distributions de marchandises. Il y avait un commerce, et au niveau local, un commerce actif. Mais il n'y avait pour ainsi dire aucun commerçant professionnel indépendant. Le domaine industriel de la vie inca était beaucoup plus différencié, mais le rôle des artisans privés restait insignifiant en comparaison de celui que jouaient les artisans employés par le gouvernement. Les mines étaient dirigées soit par les chefs locaux des anciens territoires indépendants, soit par les membres non locaux du fonctionnariat impérial (m). Dans les deux cas, elles étaient sous le contrôle de fonctionnaires professionnels qui, d'une façon ou d'une autre, faisaient partie de l'appareil suprême agro-directorial. Nous avons des renseignements très précis sur certains aspects des industries de transformation. Les grandes équipes de construction étaient dirigées par des fonctionnaires incas éminents ; et les schémas de travail d'Hawaï, de l'Egypte des pharaons et de la Chine primitive indiquent que là aussi, des fonctionnaires spéciaux ont pu avoir la charge de diriger les ouvriers permanents de l'Etat et ces artisans qui, pendant trois mois « au plus » (n), accomplissaient la corvée de travail dans les ateliers de l'Etat. Parmi les artisans permanents que le gouvernement faisait travailler, il semble qu'il y ait eu
(m) L ' e x t r a c t i o n locale de l'or, c o n f o r m é m e n t aux directives venues de Cuzco, est s i g n a l é e par Polo de Ondegando (1872 : 70 sqq.). V o i r Cieza, 1945 : 269 ; Sarmiento, 1906 : 100 ; Rowe, 1946 : 246 ; Garcilaso, 1945 I : 253 • Sancho de l a H o s , 1938 : 181. (n) Si la c o r v é e durait plus longtemps le laps de temps, fourni en plus, é t a i t d é d u i t de la c o r v é e l ' a n n é e suivante q u a n d i l é t a i t i m p o r t a n t (Garcilaso, 1945, I : 255).
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de nombreux orfèvres (39) ; et aussi quelques charpentiers (40). Il est fait aussi mention de tisserands, de cordonniers, d'équarrisseurs, de fabricants d'outils de cuivre, qui travaillaient à domicile une fois remplies les obligations de la corvée (41). La description de Garcilaso ne fait pas ressortir clairement si tous, ou la plupart de ces artisans travaillaient exclusivement dans leur spécialité, ou si certains —• ou même la plupart d'entre eux — étaient en même temps des fermiers. Si nous admettons que la plupart d'entre eux étaient des artisans professionnels, il il est encore plus remarquable que les récits anciens de la vie rurale et urbaine ne les mentionnent pas. C'est seulement en qualité d'ouvriers permanents de l'Etat ou de membres de la corvée industrielle que les artisans devinrent un trait caractéristique de la société inca. Les « vierges », que les fonctionnaires choisissaient parmi les belles jeunes filles de l'empire, fournirent au régime une main-d'œuvre unique et d'une utilité éminente. Les « élues » vivaient sous une stricte surveillance dans des maisons spéciales, où elles passaient la plus grande partie de leur temps à filer (42), à tisser, et à préparer des breuvages (o). Le souverain faisait entrer quelques-unes d'entre elles dans son harem : il donnait les autres à des dignitaires éminents. Mais il en demeurait toujours un grand nombre dans les « maisons ». Il y avait semble-t-il de nombreux établissements de ce genre dans l'empire inca : certains comptaient deux cents pensionnaires (43), celui de Caxa cinq cents (44), celui du Lac Titicaca un millier (45), et celui de Cuzco généralement plus de quinze cents (46). Economiquement, les «maisons» incas présentent une intéressante analogie avec les ateliers de textile des 17 et 18 siècles européens. Parmi ces derniers, peu employaient un personnel plus nombreux, encore e
e
(o) C P L N C : 309. Les deux Espagnols q u i fournirent à Sancho de l a Hos (1938 : 181) une description de p r e m i è r e main du temple d u lac T i t i c a c a mentionnent seulement l a p r é p a r a t i o n par les femmes d u v i n s a c r é , si le chroniqueur a r a p p o r t é f i d è l e m e n t leur r é c i t . Mais quelle que soit l'exactitude du r é c i t initial, i l semble i m p r o b a b l e que les mille femmes « é l u e s » d u T e m p l e du L a c n'aient fait rien d'autre que d u chicha toute l ' a n n é e , et p a r t i c u l i è r e m e n t dans la r é g i o n par excellence d ' é l e v a g e d u l a m a et de p r o d u c t i o n de la laine. Nos doutes se trouvent c o n f i r m é s p a r les commentaires de £ 1 Anonimo s u r l ' a c t i v i t é double des femmes de C a x a ( C P L N C 309) et par l a description que donne Garcilaso de l a m ê m e institution dans la capitale inca. Les vierges p r é p a r a i e n t certainement aussi le chicha et autres mets rituels, mais l e u r travail essentiel (el principal ejercicio) é t a i t la filature et le tissage (Garcilaso, 1945, I : 188 sqq.). Il existait bien d'autres maisons semblables dans le pays. Leurs pensionnaires avaient les m ê m e s a c t i v i t é s é c o n o m i q u e s . Elles « filaient et tissaient d ' é n o r m e s q u a n t i t é s d ' é t o f f e pour les Incas » [ibid. : 189).
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s'agissait-il d'un personnel généralement féminin, souvent employé une partie de l'année seulement (47). En dépit d'un développement technique non négligeable la société inca n'avait pas de classe capitaliste indépendante distincte. La terre attribuée à titre de sinécure à certains membres du groupe au pouvoir, ne constituait pas une pleine et entière propriété (48) ; et les entreprises professionnelles privées étaient pratiquement inexistantes dans le domaine des transports et du commerce, où, dans d'autres civilisations, les marchands s'étaient créé une place avantageuse et indépendante. Des artisans professionnels et libres existaient certainement, mais ils restaient insignifiants en tant que force sociale, même dans les industries d'élaboration, si on les compare aux nombreux artisans qui travaillaient de façon temporaire ou permanente dans les ateliers et les « maisons » du gouvernement. En dépit d'une faible, quoique intéressante minorité d'artisans privés, l'empire inca représente un type simple de propriété et de société hydrauliques. c. - L'Egypte des pharaons. Une rivière exceptionnellement propre à la navigation fournit aux maîtres de l'Egypte un excellent moyen de communication intérieure ; la navigation était déjà très perfectionnée à l'aube de l'histoire écrite. Mais les rares matériaux bruts existants ne nécessitaient pas un commerce extérieur régulier ; et il n'y avait pas non plus, pour stimuler de tels échanges, de pays voisins culturellement évolués. Les bateaux égyptiens et les bêtes de somme permettaient les contacts extérieurs, mais ces contacts restèrent intermittents — et essentiellement dirigés par le gouvernement — jusqu'à la fin du Moyen Empire. Pendant le Nouvel Empire, et en particulier pendant la période impériale, on vit apparaître des marchands privés. Mais souvent ils étaient attachés aux temples (49), et apparemment incapables de faire concurrence à l'Etat. Selon Kees, pendant une bonne partie du Nouvel Empire, le pharaon resta « l e seul grand marchand» (50). Sans aucun doute, des marchands étrangers faisaient du commerce en Egypte, mais les intermédiaires du pays avaient moins l'occasion de déployer leur activité dans le commerce intérieur que dans les échanges avec l'étranger (51). Sur les marchés locaux, les producteurs vendeurs échangeaient leurs produits directement, et principalement par des procédés de troc (52). Un fonctionnaire de marché du Nouvel Empire portait le titre significatif de « scribe du troc » (53 ).
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L'artisanat faisait une place plus grande à l'entreprise privée. Quelle que soit, selon les données des recensements de l'Ancien Empire, la proportion de l'artisanat à cette époque (p), le cas d'Hawaï et du Pérou inca montre que des artisans professionnels ont exercé leur activité dans des sociétés hydrauliques centralisées étatiques techniquement moins évoluées que celle de l'Ancien Empire. Et un certain nombre d'annales de l'Ancien et du Nouvel Empire font nettement allusion à des artisans privés (54). Ces artisans privés égyptiens ne formaient pas une catégorie aussi remarquable que celle de leurs collègues de l'empire inca ; mais, comme eux, ils subvenaient sans doute essentiellement aux besoins quotidiens des petits consommateurs (55). Egalaient-ils, en nombre au moins, les artisans qui, dans les industries de transformation, étaient employés de façon temporaire ou permanente par le gouvernement et les temples ? Même cela n'est pas certain. Sans aucun doute, par contre, ils avaient économiquement une importance bien moindre. Le gouvernement disposait de trois sortes d'entreprises industrielles : 1°) les opérations d'extraction et de transformation demandant beaucoup de main-d'œuvre, dont quelques éléments spécialisés, et une grande masse non spécialisée ; 2°) les entreprises de grande construction exigeant une collaboration entre main-d'œuvre spécialisée et non spécialisée ; et 3° ) les industries de transformation, accomplies dans l'ensemble par des artisans qualifiés rassemblés dans des ateliers grands ou petits. Dans ces trois secteurs, les artisans spécialisés, y compris des artistes d'une grande habileté (56), semblent avoir été dans une grande mesure des employés du gouvernement. Les « chefs de travaux » (57) exerçaient probablement sur eux une juridiction suprême. Dans l'industrie, ils travaillaient sous la direction de contremaîtres spécialement désignés (58). S'appuyant sur des documents soigneusement étudiés, Kees conclut que « la vie économique de l'Egypte [des pharaons] constituait un terrain peu propice à l'état d'artisan libre indépendant» (59). Il trouve le concept d'artisanat libre, excepté pour les producteurs qui restaient à un stade élémentaire et subvenaient à des besoins élémentaires, « mal adapté au schéma économique de l'Ancien Empire» (60). Après le Moyen Empire, sous lequel les cours de province devinrent des centres remarquables (p) Kees (1933 : 164 sqq.) h é s i t e à accepter l ' i n t e r p r é t a t i o n que donne Meyer de ces documents, à savoir qu'ils prouveraient l'existence d'artisans libres et de marchands i n d é p e n d a n t s .
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d'art et d'artisanat (61), le Nouvel Empire rassembla de plus en plus les artisans dans des ateliers dirigés par l'Etat et les soumit au contrôle rigide des magasins de l'Etat qui leur fournissaient les matériaux bruts (62). Des documents datant du Nouvel Empire montrent les artisans d'Etat avides de s'élever à de plus hauts emplois. Leurs contremaîtres se considéraient comme des membres distingués de la hiérarchie bureaucratique (63). Résumons : le pouvoir des pharaons était si omniprésent que l'artisanat privé et indépendant gagnait peu de terrain, et encore moins le commerce professionnel indépendant pendant la majeure partie de cette période. La prédominance du commerce d'Etat et l'importance de l'industrie à direction d'Etat, s'ajoutant à la prédominance de la propriété foncière réglementée par l'Etat, créèrent — et entretinrent — dans l'Egypte pharaonique une variante, historiquement et institutionnellement significative, du type simple de propriété et de société hydrauliques. d. - La Chine antique. Les inscriptions chinoises les plus archaïques, les textes d'augures de la dynastie Chang, mentionnent des séries de coquillages, qui étaient probablement employés comme monnaie d'échange. Mais ils ne font pas nettement mention de marchands professionnels. Et les marchands ne jouent pas non plus de rôle important dans les inscriptions et textes littéraires de la dynastie Tch'ou. Bien que la Chine primitive ait certainement connu un commerce, il semble n'y avoir eu que peu ou pas de commerçants professionnels. De grands marchands, ceux qui parcouraient le pays, sont mentionnés pour la première fois, au début de la dernière période Tch'ou, l'époque des « annales de printemps et d'automne» (721-481 avant notre ère). Mais les marchands les plus souvent mentionnés coopéraient si étroitement avec leurs maîtres qu'on peut les considérer comme directement attachés au gouvernement (64). Au cours de la dernière phase de la dynastie Tch'ou, à l'époque des royaumes combattants, l'importance des marchands indépendants s'accrût à un point tel, qu'au 4* siècle avant notre ère, la province de Ch'in prit des mesures pour lui imposer des limites (65). Lorsque Ch'in eut fondu « tout ce qui est sous le ciel » en un seul empire, le Grand Unificateur, Ch'in Shih Huang-ti, décima les rangs des marchands en imposant la garde de la frontière d'abord aux seuls marchands, ensuite à leurs fils et petits-fils (66).
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Ce procédé prouve à la fois l'importance économique et la faiblesse politique des commerçants professionnels non gouvernementaux à la fin de la période Tch'ou. Les premières chroniques chinoises ne parlent guère des commerçants professionnels mais sont plus loquaces à l'endroit des artisans. Les beaux objets de bronze de la période Chang et du début de la période Tch'ou révèlent un raffinement artisanal extraordinaire. Cependant, et à la différence de l'artisanat de l'Europe féodale, l'artisanat chinois se développa non pas dans de nombreux domaines féodaux isolés ou dans des villes dirigées par des guildes, mais plutôt dans de grands centres administratifs sous le contrôle du Fils du Ciel, des gouverneurs de provinces, ou de leurs fonctionnaires de haut rang. Des fonctionnaires artisans, les « cent artisans », sont mentionnés dans les textes littéraires aussi bien que dans les inscriptions sur bronze, les plus anciens (67). Apparemment les artisans du gouvernement exerçaient leur art sous la direction suprême du ministre des travaux, le ssn-kung (68), en compagnie du « peuple » qui, accomplissant la corvée de travail, constituait la main-d'œuvre non spécialisée des grandes constructions d'Etat. Les artisans attachés au gouvernement ont pu prévaloir jusqu'au temps des « Annales du printemps et de l'automne » (69) ; et c'est peut-être seulement au cours de la période ultérieure des royaumes combattants que les artisans privés prirent de plus en plus d'importance. Rien ne nous permet d'assurer que, sous la dynastie Tch'ou ou durant les premières dynasties impériales, les marchands ou les artisans privés se soient organisés en corporations professionnelles (guildes) (q). Le retard du développement à cet égard est surprenant si nous nous rappelons que l'artisanat et particulièrement le commerce privés étaient florissants à la fin de la période Tch'ou et après. Quelles que soient les raisons de cette anomalie, nous pouvons avancer l'hypothèse selon laquelle une société orientale simple prévalut dans la Chine ancienne jusqu'au début de la période Tch'ou (722 avant notre ère) et probablement encore aux premiers siècles de l'époque Tch'ou tardive.
(q) Les boutiques v e n d a n t la m ê m e marchandise é t a i e n t , semble-t-il, a s s e m b l é e s dans la m ê m e l o c a l i t é à partir de la fin de la p é r i o d e T c h ' o u ou a partir du d é b u t de la p é r i o d e H a n ( K a t o , 1936 : 79), et sans doute é g a l e m e n t avant cette é p o q u e . Mais « ce ne fut pas a v a n t la p é r i o d e Sui que le terme hang prit le sens c o m m u n é m e n t r é p a n d u de rue des boutiques faisant un m ê m e commerce » ; et ce fut seulement « à l a fin de la p é r i o d e T'ang, ou m ê m e plus tard, qu'ils [les marchands chinois] c o m m e n c è r e n t à s'organiser en v é r i t a b l e s associations de marchands » (ibid. : 83).
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c. - Sumer. L'origine des civilisations agraires de la Basse Mésopotamie se situe dans un cadre qui manque de certains matériaux industriels mais qui est favorable aux échanges in ter-régionaux. Le site alluvial, qui, à cause de ses fleuves bien alimentés offrait des possibilités idéales à un développement hydraulique, manquait de pierre, de bois, et de métaux. Cependant ces matériaux, essentiels au développement technique, militaire et politique, se trouvaient dans des régions adjacentes et il était très tentant de se les procurer en vertu de leur richesse et pour la sécurité et la puissance qu'ils apportaient. Les Hawaïens ne trouvèrent pas ailleurs les matériaux bruts qui manquaient dans leurs pays ; les Indiens des Andes et les Egyptiens primitifs édifièrent leurs civilisations urbaines principalement sur la base de leurs propres ressources. Les Sumériens créèrent une vie urbaine florissante, parce qu'ils réussirent à instaurer et à entretenir un système complexe de relations et d'échanges internationaux. Ces matériaux bruts indispensables, on peut les obtenir par la force organisée : la guerre. Mais ce n'est pas toujours le meilleur moyen, en particulier quand les réserves sont éloignées et dans les mains d'un pouvoir fort. Dans bien des cas, il fallut acquérir les marchandises souhaitées par des moyens pacifiques — c'est-à-dire, en premier lieu, par le commerce. Le commerce entre régions éloignées requiert Je concours de spécialistes des transports et de l'échange. En Basse Mésopotamie, les marchands firent de bonne heure leur apparition. Tandis que les commerçants jouaient, dans presque toutes les civilisations orientales simples un rôle insignifiant, ils occupent déjà une place importante dans les inscriptions sumériennes protohistoriques de Fara (70) ; dans les inscriptions plus tardives et plus détaillées, ils sont présentés comme des professionnels d'importance. Le développement des centres urbains, administratifs et religieux impliquait également une division assez avancée du travail industriel ; les inscriptions sumériennes contiennent maintes références aux artisans, exerçant professionnellement leur activité. Quel était le développement de la propriété et de l'entreprise privée-s dans l'ancienne Basse Mésopotamie ? Les recherches minutieuses de Deimel laissent supposer que dès l'aube de l'histoire (r), les cités-temples (r) Selon D e i m e l , a u temps o ù les textes de F a r a furent é c r i t s , les anciens S u m é r i e n s é t a i e n t a u t a n t dans l a d é p e n d a n c e des temples qu'ils le furent trois
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sumériennes faisaient sans doute encore moins de place aux artisans indépendants que les Iles Hawaï, le Pérou et l'Egypte des pharaons. Comme les autres membres de la communauté du temple, les artisans recevaient des terres (71), et comme eux aussi, ils devaient la corvée (72), qui, selon un essai d'estimation de Schneider, pouvait durer environ quatre mois par an (73). Un certain nombre d'artisans étaient employés de façon permanente dans les ateliers du temple (74), de même que certains esclaves (généralement des femmes) (75). Cependant, la majeure partie des artisans semblent avoir travaillé pour les temples selon un système de travail à façon : les magasins du temple leur fournissaient des matières premières qu'ils travaillaient à domicile pour un certain salaire (76). La situation de ces artisans n'était guère différente de celle de bien des artisans européens qui, durant les premiers siècles du capitalisme industriel, travaillèrent selon ce mode décentralisé pour leurs employeurs, commerçants ou industriels. Tous les artisans de la Mésopotamie primitive travaillaient-ils ainsi ? Quelques-uns d'entre eux exerçaient-ils leur profession au moins en partie de manière indépendante ? Il est plus facile de répondre à la seconde question qu'à la première. Le fait que tous les artisans (ou quelquesuns ?) offraient au temple certains « dons » (77) à allure de taxes s'explique mieux si l'on suppose qu'ils étaient à même de produire quelque peu pour leur propre compte (s). L'activité privée des marchands sumériens était, semble-t-il, beaucoup plus importante. Sans aucun doute, les marchands non plus n'étaient pas indépendants à l'égard des temples ou des cités. A eux aussi, on assignait des terres, mais beaucoup plus qu'aux artisans — autant, en fait, qu'aux fonctionaires ou officiers de rang moyen (t). ou quatre cents ans plus tard, q u a n d U r u k a g i n a r é g n a i t sur L n g a s h . • L a population servait encore le temple et en v i v a i t » (Deimel, 1924 a : 4'2). (s) A . Schneider suppose que les artisans q u i travaillaient à domicile pour les temples « à part ce travail, et p e u t - ê t r e d é j à contre r é m u n é r a t i o n , e x é c u t a i e n t aussi des commandes pour d'autres membres de la c o m m u n a u t é du temple » (1920 : 85). (t) Selon des inscriptions r e l e v é e s par Hussey, un damkar d u T e m p l e B a u recevait 19 gan de terre (Schneider, 1920 : 66). U n gan é t a i t plus qu'il n'en f a l l a i t p o u r l ' e n t r e t i e n d ' u n e p e r s o n n e et deux gan suffisaient pour une famille restreinte {ibid. : 35 sqq.). U n h a u t fonctionnaire d u temple m e n t i o n n é dans les documents de Hussey, recevait 34 gan (ibid. : 35). U n autre texte cite des chiffres beaucoup plus é l e v é s pour la terre a s s i g n é e à de hauts fonctionnaires : 90 gan et m ê m e 138,75 gan (ibid.). Des chefs de d é t a c h e m e n t s militaires et autres guerriers é m i n e n t s recevaient 23. 24, 26, et 18 gan, et u n fonctionnaire ergar d u temple, 17,75 gan (ibid. : 110 s q q ) . P a r m i les artisans,
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Ils pouvaient faire cultiver leurs champs par des fermiers, des journaliers ou des esclaves ; et leurs propriétés foncières, au lieu d'être un handicap à leurs activités commerciales, leur fournissaient probablement des ressources utiles à leurs affaires. En qualité de marchands, ils dépendaient soit de l'autorité suprême de la cité (78), soit d'un temple, autorité de seconde importance (79). Et la majeure partie de leur activité était évidemment consacrée au commerce pour le compte du « palais » ou du temple (80). Les grands marchands, gai damkar, et les marchands ordinaires, damkar, jouissaient dans leurs transactions d'une liberté considérable (81) ; et de plus on leur permettait de commercer pour leur propre compte. Ils pouvaient avoir des relations commerciales avec le souverain (82), la reine (83), les membres de la famille royale(u), et avec des personnes d'un rang moins élevé (84). Ils avaient toutes les occasions d'amasser des fortunes (85). Ainsi, à l'inverse des Iles Hawaï, de la Chine, et de l'Egypte des pharaons, Sumer connut très tôt le commerce privé. Et alors que les artisans autochtones, même employés à domicile, étaient étroitement liés à l'économie des temples, les marchands, qui n'étaient ni des fonctionnaires du commerce, ni des agents gouvernementaux, mais un compromis entre les deux, étaient beaucoup plus indépendants. Peu de sociétés hydrauliques simples évoluèrent aussi ouvertement vers un régime commercial indépendant et fondé sur les capitaux privés que Sumer dans l'antiquité. 5.
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ORIGINES D U
CAPITALISME
BUREAUCRATIQUE
Les grands marchands de Sumer, possesseurs de capitaux et en relations commerciales avec leur souverain, occupaient une situation très différente de celle des fonctionnaires des échanges et du commerce chez les pharaons. Les commis qui commerçaient avec le Pont (86), la Phénicie (87), la Mésopotamie (88), et Chypre (89), maniaient les fonds du gouvernement pour le compte du gouvernement. Ils effectuaient des échanges de marchandises sous forme de « cadeaux » diplomatiques, mais ils avaient l'habitude d'en évaluer les prix. Ils réclamaient des objets un charpentier recevait 1 gan, un fabricant de chars, de 1 à 2 gan, un tanneur 3 gan, les cuisiniers et les boulangers de 2,75 à 6 gan (ibid.). (u) Scholtz, 1934 : 59. L e s princes et les princesses employaient un certain nombre d'artisans, de serviteurs et d'esclaves (Deimel, 1929 : 126, 128 : ibid., 1931 : 110).
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précis (90), examinaient soigneusement les objets qui leur étaient offerts (91), protestaient contre les dons insuffisants (92), insistaient sur la nécessité d'une réciprocité (93). Ce n'est pas en tant qu'hommes d'affaires indépendants, mais en tant que serviteurs du roi qu'ils recevaient des cadeaux durant leurs expéditions ou à la fin de celles-ci. C'était donc des fonctionnaires négociant pour le gouvernement, peu différents du point de vue de leur situation, des membres d'une mission commerciale soviétique. A côté de ces fonctionnaires-commerçants, les commerçants attachés au gouvernement utilisaient leur propre capital en grande partie, ou exclusivement, au service de leurs souverains, lesquels — tout en mettant à leur disposition les occasions de commercer — pouvaient aussi leur en imposer les conditions (prix, profits). Pour employer une terminologie qui plaisait à l'origine aux communistes chinois mais qui maintenant les embarrasse, ces marchands étaient des « capitalistes bureaucratiques » (94). Dans un sens plus large, la désignation de « capitalistes bureaucratiques ». s'applique à différents groupes : 1") aux collecteurs d'impôts qui faisaient office d'agents fiscaux d'une bureaucratie régnante ; 2°) aux membres, actifs ou non, d'une telle bureaucratie, qui forts de leur situation politique s'engagent dans des entreprises privées, par exemple le commerce, le prêt d'argent, et le fermage de l'impôt ; 3° ) aux hommes d'affaires privés qui, en qualité d'agents commerciaux ou d'entrepreneurs, travaillent pour la bureaucratie dirigeante ; 4°) à certains hommes d'affaires privés qui, pour assurer le succès de leurs transactions, s'attachent à des membres individuels de la bureaucratie. Les capitalistes bureaucratiques sont donc des détenteurs de capitaux qui agissent comme agents commerciaux ou fiscaux pour un appareil d'Etat, qu'ils soient membres de la fonction publique, fonctionnaires de la religion dominante, ou ni l'un ni l'autre, mais seulement des hommes fortunés. Les chroniques de la Chine ancienne ne sont pas explicites sur le chapitre des fonctionnaires-commerçants, bien qu'il paraisse probable qu'au cours des périodes Chang, et Tch'ou à ses débuts, certains fonctionnaires des provinces anciennes aient rempli des fonctions commerciales. Ces mêmes chroniques nous renseignent mieux sur l'existence d'agents commerciaux attachés au gouvernement. Ces personnages constituent un élément assez important pour nous justifier d'avoir classé la Chine Tch'ou, jusqu'à l'époque des « annales de printemps et d'automne » dans la catégorie des sociétés orientales simples.
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En ce qui concerne le Pérou inca, le problème même ne se pose pas sérieusement. Il est possible que les fonctionnaires des régions frontières aient échangé des marchandises appartenant au gouvernement contre des marchandises produites à l'étranger ; et il est possible qu'une partie de ces transactions se soient passées sur un plan privé. Mais la société inca semble n'avoir guère eu besoin de fonctionnaires commerçants, et encore moins d'agents commerciaux attachés au gouvernement. Les inscriptions sumériennes mentionnent fréquemment le commerce extérieur (les échanges intérieurs se bornaient dans l'ensemble au troc) (95). Malheureusement les textes laissent bien des questions sans réponse. Par quel genre de transactions commerciales se traduisaient les nombreuses expéditions gouvernementales entreprises en vue d'acquérir de la pierre (96), du bois (97), du métal (98), du bitume (99) et autres produits ? Les marchands étaient-ils surtout des fonctionnaires commerçants ou bien des agents commerciaux du gouvernement ? Quelle que soit la réponse à ces questions, le caractère de la société sumérienne ancienne ne justifierait guère l'interprétation du terme « marchand » des inscriptions les plus anciennes jusqu'ici déchiffrées, comme signifiant entrepreneur indépendant. 6.
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L'ÉPONGE
HYDRAULIQUE
La plus grande partie des civilisations hydrauliques qui parvinrent à une différenciation poussée dans le domaine de la propriété, semblent avoir conservé à une époque plus ancienne des types simples de propriété. Dans certains cas, les Indes par exemple, des types simples de propriété et de société cédèrent assez rapidement la place à des conditions semi-complexes. En d'autres cas, en Egypte et en Basse Mésopotamie par exemple, les types simples persistèrent pendant des millénaires. Dans la région des Andes, ces types étaient (encore ou de nouveau ?) prédominants à l'arrivée des conquistadores. Ces variations de la persistance des types simples de propriété prennent une signification nouvelle dès qu'on les rapproche des variations de la densité hydraulique. Les centres hydrauliques du Pérou, de l'Egypte et de la Basse Mésopotamie donnèrent tous naissance à des ensembles d'agriculture hydraulique concentrée tandis que nombre de provinces de l'Inde et de la Chine, et, sous cet aspect, du Mexique, avaient des formes sporadiques ou marginales d'agriculture « orientale ». Nous ne citerons pas les îles Hawaï dans ce contexte, parce que dans cet archipel la perpétuation de types extrêmement simples
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de propriété orientale fut due de toute évidence à une extraordinaire rencontre de circonstances, internes et externes. Cependant, dans les premiers exemples, le contraste des types de densité hydraulique est trop frappant pour qu'on n'en tienne pas compte. Selon toute probabilité, les communautés hydrauliques indépendantes anciennes de la région des Andes pratiquaient un commerce extérieur et ce commerce primitif peut fort bien avoir été entre les mains non seulement de fonctionnaires-commerçants, mais aussi de marchands privés attachés au gouvernement, qui, dans une certaine mesure, ont fort bien pu agir pour leur propre compte. Mais l'histoire sumérienne démontre que les régimes hydrauliques forts peuvent maintenir tous les commerçants dans la dépendance du gouvernement même quand ils appartiennent à des cités isolées. Il n'est donc pas impossible que dans la région des Andes (comme à Sumer et en Egypte pharaonique, mais peut-être avec des oscillations plus marquées) aient prévalu, même avant les Incas, des conditions simples de pouvoir, de propriété et de classe. Au Pérou, ces conditions ont pu se perpétuer aussi longtemps que se maintinrent dans la région des civilisations hydrauliques et étatiques centralisées. En Egypte, elles survécurent à l'isolement relatif de la zone hydrauIiquement concentrée de la vallée du Nil. Et en Basse Mésopotamie elles persistaient même après que les régions centrales, hydrauliquement concentrées, ont été incorporées à des ensembles hydrauliques plus étendus et plus sporadiques. Leemans présume que se produisit un grand développement de la propriété et du commerce privés (100) lorsque le second empire sumérien aux temps de la 3* dynastie d'Ur, atteignit temporairement la Méditerranée et les frontières de l'Assyrie et de la Perse. Toujours selon Leemans, le commerce d'Etat l'emporta de nouveau sous le dernier souverain de Larsa, Rim-Sin (101), sous le roi babylonien Hammourabi (102), vainqueur du précédent, et pendant plus de quatre siècles, sous les Kassites (103). Dans ces sociétés hydrauliques concentrées, l'appareil bureaucratique « dense » fit office de puissante éponge hydraulique et sut absorber de façon efficace les fonctions vitales de l'industrie et du commerce, ce qui ne pouvait se faire dans les communautés hydrauliques moins concentrées, toutes conditions par ailleurs égales. G. —
TYPES SEMI-COMPLEXES DE PROPRIÉTÉ ET DE SOCIÉTÉ HYDRAULIQUES
Mais ces sociétés hydrauliques simples, concentrées et qui persistent ainsi, ne sont guère nombreuses. Dans 12
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bien des civilisations hydrauliques, l'Etat d'appareil agrodirectorial, tout en empêchant que la terre arable ne devienne propriété privée, entravait beaucoup moins le développement d'un artisanat et d'un commerce professionnels non gouvernementaux et à base de capitaux privés. 1. a. - L'Amérique
- CAS
centrale pré-coloniale.
La montée d'une classe d'artisans et de marchands professionnels indépendants dans le Mexique aztèque forme un contraste significatif avec les conditions du Pérou inca. L'absence complète de bêtes de trait handicapait les habitants d'Amérique centrale ; mais cette lacune était largement compensée par nombre d'autres avantages écologiques. Les conditions naturelles étaient beaucoup plus favorables aux relations inter-régionales ; des lacs et des fleuves navigables, un littoral étendu et accueillant favorisèrent le transport des marchandises par bateaux. Les Sumériens jouissaient d'avantages analogues ; et il n'y aurait rien d'étonnant à ce que, comme eux, les Aztèques et leurs prédécesseurs, les Toltèques, aient eu des marchands privés professionnels et aient pratiqué un commerce international extensif (1). Ces conditions favorisèrent également une différenciation technique et régionale du travail industriel. Mais ni les cités, ni les provinces plus vastes du Mexique pré-colonial n'atteignirent le degré de concentration hydraulique de leurs homologues sumériens. Ainsi, les artisans et les marchands professionnels mexicains ne dépendaient pas de la même façon de l'Etat hydraulique. Leur lot de terre était attribué par les calpulli, division locale et stratifiée qui possédait une autonomie partielle (2) ; et il semble que ni l'un ni l'autre groupe n'ait été astreint à une corvée de travail. Si l'on excepte les mentions de maisons, où des femmes étaient assemblées (a), les documents font rarement mention d'ateliers gouvernementaux (b). Selon Zurita, et d'autres sources anciennes, les (a) Selon T o r q u e m a d a , les maisons rassemblant des femmes, des • nonnes » é t a i e n t « t r è s r é p a n d u e s » j T o r q u e m a d a , 1943, 11 : 189, 191). Diaz, qui observa la s o c i é t é a z t è q u e traditionnelle a v a n t sa d é s i n t é g r a t i o n , affirme que ces « couvents » existaient dans nombre de pays de l ' A m é r i q u e centrale. A u M e x i q u e , il n'en connaissait qu'un seul, s i t u é dans la capitale (Diaz, 1944, I : 349 sqq.). (b) Diaz (1944, I : 346) fait mention de boulangeries d i r i g é e s par le gouvernement. Sahagun (1938, III : 75) mentionne des personnes qui fabriquaient des chaussures pour les nobles. L e travail dans les ateliers gouvernementaux, é t a i t - i l e x é c u t é par des servants q u i , é t a n t membres h é r é d i t a i r e s des calpulli, travaillaient exclusivement pour le souverain ? (Monzon, 1949 : 41). Est-ce l à ce que T o r q u e m a d a (1943, II : 488) a v a i t dans l'esprit lorsqu'il
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artisans ne devaient aucune corvée de travail, mais livraient une partie de leurs productions en guise de taxe (3). Mis à part le temps qu'ils passaient à cultiver leurs champs, les nombreux artisans mexicains (4) semblent avoir exercé leur talent pour leur propre compte, fabriquant des articles à vendre sur les marchés qui se tenaient dans les grandes communautés (5). Les petits commerçants étaient indépendants dans la mesure où ils n'avaient aucune importance économique (c). Mais les grands marchands qui présidaient aux échanges entre les provinces, les pochteca, étaient proches de l'appareil gouvernemental. Autorisés à louer leurs terres (6) et à payer un impôt à la place de la corvée (7), les pochteca pouvaient consacrer tout leur temps au commerce. Ils servaient au gouvernement de diplomates (8) et d'espions (9). A l'occasion, ils dirigeaient des campagnes militaires au service de leur souverain (10). Tezozomoc dit que les propres frères et oncles du roi étaient des pochteca
(11).
Ces grands marchands faisaient évidemment partie de la classe dirigeante (12). Mais ils n'étaient pas fonctionnaires-commerçants. Ils étaient riches et ils engageaient leurs propres capitaux, et semble-t-il, pour leur propre compte. Il arrivait aussi qu'ils fissent la collecte de l'impôt pour le gouvernement (13), et dans ce cas, ils devenaient des capitalistes bureaucratiques au sens étroit du terme. Ce n'était pourtant pas là une pratique universellement répandue ; nous savons en effet qu'en général l'impôt était levé par des fonctionnaires à plein temps. Les documents qui mentionnent que les pochteca mexicains et/ou leurs auxiliaires ont commercé surtout sur l'ordre des souverains et des temples, comme les damkar sumériens sont encore moins nombreux. Ainsi, si proches que les pochteca aient pu être, socialement et politiquement, des « seigneurs », professionnellement il ne semble pas qu'ils aient fait partie de l'appareil d'Etat. C'est pour cette raison, et en raison de l'indépendance des artisans, que nous considérons le Mexique aztèque comme une société hydraulique semi-complexe. Il n'est pas facile de définir la situation exacte des artisans mayas. Nous savons qu'ils recevaient des dit que certains t r a v a u x é t a i e n t e x é c u t é s par les artisans (pour les nobles) ? O u s agit-il l a de formes r é s i d u e l l e s d'une c o r v é e industrielle qui, bien qu'encore en vigueur, a v a i t c e s s é d'avoir une valeur institutionnelle ? (c) Ils faisaient a p p a r e m m e n t commerce de d e n r é e s , de tissus et de cacao, sur une é c h e l l e r é d u i t e , pour une c l i e n t è l e modeste (Sahagun, 1938, III : 40. 53, 77).
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champs, milpa (14), et, contrairement à ce qui se passait au Mexique aztèque, il semble qu'ils recevaient leurs lots, non de chefs de calpulli semi-autonomes, mais des représentants régionaux du gouvernement central (15). Parmi les gens du peuple qui construisirent des « maisons » pour les « seigneurs » il y avait peut-être des artisans ; mais les chroniques ne nous renseignent pas sur ce point. Elles sont encore moins explicites sur les ateliers dirigés par le gouvernement, qui devaient exister comme au Mexique. Mais comme au Mexique, les artisans mayas fabriquaient et commerçaient sans doute essentiellement pour leur propre compte (16). N'ayant pas un fonctionnariat agro-directorial développé, les souverains mayas n'entretinrent pas de commerce d'Etat complexe. Certains hommes « riches » faisaient partie de la classe gouvernante (17), mais il est douteux que les grands marchands mayas aient été, en tant que catégorie sociale, aussi proches des chefs séculiers et religieux que les pochteca. Selon Landa, les riches vivaient près des « seigneurs » et des prêtres, mais non dans le même quartier (18). Est-il possible que la cristallisation d'une classe de marchands professionnels non gouvernementaux et opérant sur la base de capitaux privés, ait été plus avancée dans les plaines du Yucatan, zone hydraulique marginale, qu'au Mexique, zone hydraulique centrale ? b. - Les Indes, la Chine, le
Proche-Orient.
Aux Indes, au cours de la plus grande partie de la période historique, prévalurent des types semi-complexes de propriété et de société hydrauliques. En Chine et dans le Proche-Orient, des types simples de propriété cédèrent la place à des formules plus complexes, et avec des résultats différents. La Chine connut un niveau social de type semi-complexe au moins deux fois, d'abord au cours des derniers siècles de la période Tch'ou puis de la fin du 5° siècle au 8* siècle de notre ère. Au Proche-Orient, des types complexes de propriété n'ont peut-être prévalu que durant une certaine phase de la domination romaine, tandis que des formules semi-complexes prévalurent tant avant qu'après cette période. Ainsi des formes diverses de propriété et de société hydrauliques semi-complexes prévalurent aux Indes presque depuis l'aube de l'histoire écrite jusqu'à la fin du 19* siècle, en Chine pendant environ cinq cents ans au total, au Proche-Orient pendant deux longues périodes couvrant deux mille ans ou plus.
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c. - Byzance et la Russie. La société byzantine ne manquait pas de marchands ni d'artisans. Le commerce byzantin était à la fois étendu et florissant dès le milieu et jusqu'à la fin du premier millénaire (19). Mais les artisans et marchands byzantins n'avaient plus la liberté d'action qui avait été celle de leurs prédécesseurs des cités grecques d'Asie mineure ou de Rome avant la victoire de l'absolutisme bureaucratique. Des restrictions d'ordre administratif et financier pesèrent sur les artisans et les commerçants jusqu'au 11" siècle (20), leur imposant une forme particulièrement limitée de propriété hydraulique de type semi-complexe. Dans la Russie post-mongole, la propriété foncière connut une évolution très inégale, et en ce qui concerne les paysans, très tardive. L'artisanat professionnel libre se remit lentement des retards occasionnés par le joug mongol. Le commerce offrait de plus grandes possibilités à ceux qui le contrôlaient et les maîtres de l'appareil d'Etat moscovite ne manquaient pas de le diriger directement par l'intermédiaire de fonctionnaires-commerçants ou indirectement par l'intermédiaire d'agents commerciaux. Dans le domaine du commerce intérieur, les fonctionnairescommerçants achetèrent d'abord la cire, le miel et autres denrées en « se les procurant à des prix réduits qu'ils fixaient eux-mêmes et en les revendant à des prix excessifs, soit à leurs propres marchands, soit à des marchands étrangers. S'ils refusent de les acheter, alors ils les y obligent» (21). Le gouvernement vendait aussi les marchandises qu'il recevait soit comme taxe, soit comme tribut et avec le même dédain visible pour l'acheteur, car ces marchandises étaient « imposées de force aux marchands qui devaient les acheter au prix fixé par l'empereur, qu'ils le voulussent ou non » (d). Les marchands étrangers devaient se plier aux réglementations du gouvernement. Une fois entrés dans l'empire russe, ils devaient faire examiner leurs marchandises par le fonctionnaire qui « leur assignait une valeur » (22) ; et il leur était interdit de commercer avec des personnes privées avant que le tsar n'ait choisi ce qui lui convenait (23). Mais l'Etat moscovite était incapable d'administrer sur une grande échelle la circulation des marchandises, comme le faisaient les gouvernements de l'Egypte des Pharaons ou du Pérou inca. Le tsar avait largement recours aux services d'un grand nombre de riches mar(d) L e gouvernement faisait des b é n é f i c e s p a r t i c u l i è r e m e n t i m p o r t a n t s sur le commerce quasi m o n o p o l i s é des fourrures, des grains et d u bois (Fletcher, 1856 : 57 sqq.).
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chands. les gosti. Ces capitalistes bureaucratiques, qui collectaient les taxes et les droits de douane pour le gouvernement (24), agissaient en tant que conseillers commerciaux et agents du tsar (25). A côté du commerce gouvernemental proprement dit, les transactions étaient effectuées entre autres par les pomi chtchiki. Ces détenteurs de terres administratives vendaient les excédents de grains et autres produits de leurs domaines pour leur propre compte (26), constituant ainsi une classe de capitalistes bureaucratiques sui generis. Les monastères, qui étaient liés et subordonnés à l'Etat, effectuaient aussi des transactions commerciales, assez souvent sur une grande échelle (27). Tout cela ne laissait guère de place au commerce professionnel indépendant. Les gosti et un petit nombre d'autres marchands privilégiés contrôlaient un vaste secteur du marché (28), en veillant à ce que « nulle part ne soit autorisé le libre commerce» (29). Telle était du moins l'opinion des marchands ordinaires dont le rôle était nettement subalterne et qui haïssaient cordialement les gosti (30). Les marchands privilégiés de l'époque moscovite pouvaient amasser de grandes richesses mais ni cette richesse, ni leur situation semi-officielle ne les protégeaient contre les confiscations éventuelles de la part de leurs maîtres despotiques. Fletcher rapporte le cas de trois frères qui avec une énergie et une audace extraordinaires créèrent une affaire commerciale qui leur rapportait « trois cent mille roubles en argent, sans parler des terres, du bétail et autres denrées ». Fletcher attribue ce succès initial en partie au fait que les frères vivaient à plus de dix-huit cents kilomètres de Moscou. Pendant un certain temps ils s'entendirent bien avec les autorités qui les chargèrent de l'application de certaines taxes douanières sur la frontière sibérienne. Le tsar « se contenta de faire appel à leur bourse jusqu'à ce qu'ils prissent pied en Sibérie ». Finalement, le gouvernement s'empara de leur fortune « par fragments, quelquefois de vingt mille roubles à la fois, quelquefois de plus ; jusqu'à ce qu'enfin leurs fils, actuellement en vie, soient bien dépouillés de leur fortune et ne possèdent plus qu'une petite partie de leur patrimoine ; le reste étant entré entièrement dans le trésor de l'empereur » (31 ). La propriété privée et l'entreprise à base de capitaux privés souffrirent immensément de cette politique brutale. Selon Fletcher, la grande oppression dont souffrent les pauvres gens du commun, < leur ôte tout courage pour continuer à commercer : car plus ils possèdent, plus ils mettent en danger non
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seulement leurs biens mais aussi leurs vies. Et s'ils possèdent la moindre chose, ils la cachent de leur mieux, parfois en l'apportant à des monastères, parfois en la dissimulant dans le sol et dans les bois, comme le font les hommes qui craignent une invasion étrangère... Je les ai vus quelquefois, alors qu'ils avaient découvert leurs trésors pour les compter... regarder encore derrière eux et vers chaque porte : comme des hommes pris de peur qui attendent d'être assaillis et surpris par quelque ennemi » (32). Dans de telles conditions, la plupart des gens du commun préféraient des satisfactions immédiates à des plans d'avenir : « Cela porte les gens (bien que par ailleurs ils soient endurcis à supporter tout labeur) à s'adonner à l'oisiveté et à la boisson : à ne vivre plus qu'au jour le jour» (33). Il est difficile de trouver une description plus colorée et plus déprimante de la situation de la propriété mobilière privée dans le cadre d'une société orientale semi-complexe paralysée. 2. ET
- LES R E P R É S E N T A N T S ACTIVE
DE L A PROPRIÉTÉ
POUVAIENT-ILS
SOCIÉTÉS
DEVENIR
HYDRAULIQUES
PRIVÉE
PUISSANTS
MOBILIÈRE DANS
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SEMI-COMPLEXES ?
Dans les sociétés hydrauliques semi-complexes, quel pouvoir pouvaient exercer les grands marchands, c'est-àdire les représentants les plus riches potentiellement de la propriété mobilière ? Leur est-il jamais possible de dominer ou de diriger un gouvernement absolutiste ? Des riches marchands peuvent certainement être influents au sein des gouvernements absolutistes ; il peut en être ainsi même dans les communautés qui contiennent des éléments de gouvernement hydraulique. Des éléments. Aussi longtemps que de tels gouvernements ne réduisent pas la propriété privée à un état d'impéritie légale et économique, les types de propriété et de pouvoir demeurent hydrauliquement submarginaux. Il en est toujours ainsi quand les intérêts de la propriété privée dominent la société ; et il en est ainsi même lorsqu'existent de grandes entreprises hydrauliques et/ou des mécanismes quasi orientaux de contrôle politique. La cité de Venise procéda à d'énormes travaux hydrauliques de protection ; mais Venise resta une république aristocratique non hydraulique où le grand capitalisme commercial parvint à un degré maximum de puissance et de sécurité. La société carthaginoise des 4* et 3" siècles ^vant notre ère comportait un certain nombre d'institutions orientales. Il est certain que les Carthaginois connaissaient la culture d'irrigation (34). Le gouvernement était assez puissant pour
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taxer les paysans lybiens de l'arrière-pays agraire (e). Au grand scandale de leurs ennemis romains, ils accomplissaient le geste symbolique de soumission totale, ia prosternation, non seulement devant leurs dieux « comme il est de coutume chez les autres hommes », mais aussi devant des hommes, leurs semblables (35). Mais comme nous l'avons vu pour le Japon, on peut relever aussi à la frange submarginale du monde hydraulique des techniques d'irrigation et le geste de prosternation ; et à Carthage, les intérêts commerciaux se plaçaient manifestement au premier plan (f), la fortune privée étant le moyen d'atteindre aux hautes charges politiques (g). D'après ce que nous savons actuellement, nous pouvons donc dire qu'au moins au temps d'Aristote, les riches marchands dominaient probablement la société carthaginoise et que des ensembles submarginaux analogues se créèrent sans doute en un certain nombre d'autres lieux, particulièrement — mais pas nécessairement — à la frange géographique du monde hydraulique. Dans les communautés indépendantes fondées sur le commerce, de riches marchands — qui peuvent être aussi de grands propriétaires fonciers — peuvent certainement atteindre à la prééminence sociale et politique. Mais tout en admettant cette possibilité, on doit se demander à quel degré de pouvoir peuvent atteindre les représentants de la propriété commerciale indépendante dans les sociétés orientales semi-complexes. a. - Développements divers. Dans des conditions de propriété semi-complexes, la plus grande partie de la terre cultivable n'est pas propriété privée ; les grands marchands doivent donc tirer leur pouvoir social essentiellement de leurs richesses mobilières. Souvent ils réunissaient des fortunes fabuleuses ; mais même sous le règne des despotes modérés, les rois de Babylone par exemple, la propriété commerciale demeurait généralement soumise à des lois de mor-
(e) Gsell p r é s u m e que normalement le gouvernement r é c l a m a i t en m a n i è r e de taxe 25 % des r é c o l t e s . P o l y b e (1. 72. 2) montre que dans des cas d'urgence, on p o u v a i t p r é l e v e r j u s q u ' à 50 % (Gsell, H A , II : 303). (f) Meyer ( G A , III : 644) appelle le gouvernement carthaginois une « autocratie commerciale ». (g) Aristote, Politique 2. 11. 1273 a. Aristote q u i constate q u ' à Carthage les plus grandes charges, celles des rois et des g é n é r a u x , s ' a c h è t e n t , c o n s i d è r e que c'est « une mauvaise chose ». « L a loi q u i autorise cet abus, place la richesse plus h a u t que l a v e r t u ». P o u r un d é v e l o p p e m e n t de ces points, voir Gsell, H A . II : 235 sqq.
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cellement par héritage, à une taxation complète et en ce qui concerne les transports, à des réglementations gouvernementales sur les bœufs, les chariots et les ouvriers (36). Nous l'avons déjà dit, mais l'importance de la question mérite qu'on le répète : les détenteurs de propriétés mobilières actives pouvaient s'organiser en corporations (guildes) et souvent c'est l'Etat lui-même qui les y obligeait ; mais ni les marchands, ni les guildes d'artisans n'étaient intégrés de manière à constituer des machines politiques indépendantes, ni sur une base locale, ni sur une base nationale. Les gentlemen-commerçants du Mexique aztèque semblent s'être contentés d'un rôle d'auxiliaires commerciaux auprès de leurs maîtres séculiers et religieux ; rien n'atteste une tentative de leur part pour dominer la société mexicaine. Les « riches » mayas dont les résidences étaient proches mais distinctes de celles des maîtres de l'Etat, opéraient à la limite extérieure du système de pouvoir. Des gens du commun « apparemment hommes de fortune et d'influence » parfois « s'insinuaient jusqu'à des postes politiques considérés comme au-dessus de leur place dans la société », mais « la hiérarchie officielle était de temps à autre purgée de ces prétendants et parvenus qui n'étaient pas versés dans la science occulte réservée à la classe supérieure » (37). Dans l'Ancien Monde, les sociétés hydrauliques marginales de Byzance et de la Russie différaient beaucoup de la société maya, mais leurs commerçants privés ne parvinrent pas non plus au pouvoir politique. A Byzance, les marchands, quelle que fût leur richesse individuelle, ne jouirent jamais de pleins droits politiques et sociaux avant le 11 siècle. Durant les phases finales de l'histoire de Byzance, les riches qui réussirent à paralyser l'appareil absolutiste n'étaient ni des marchands ni des artisans, mais des propriétaires ruraux. En Russie moscovite, les marchands n'étaient guère plus que des animaux domestiques ayant une utilité économique ; et les grands marchands chinois n'atteignirent pas davantage à la prééminence politique lorsque des types semi-complexes de propriété prévalurent à la fin de la période Tch'ou et au milieu du premier millénaire de notre ère. e
b. - L'Inde hindoue. Les développements correspondants dans l'Inde primitive sont particulièrement riches d'enseignement parce que la conquête aryenne fut le fait d'un groupe qui, tout en reconnaissant l'importance des canaux d'irrigation (38),
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fit une place privilégiée à l'élevage, au commerce et aux commerçants. Les Védas parlent des marchands avec respect (h). Dans un hymne de la Atharva-Veda-Samhita, les marchands en prière nomment le dieu Indra « le marchand par excellence» (39). Les grandes épopées composées beaucoup plus tard (40) confirment la situation relativement élevée et influente du marchand védique dans ce que Hopkins nomme « l'Etat aryen » (41 ). Cependant, il ne fait aucun doute que, « se distinguant des nobles et des prêtres », les marchands comme les paysans aryens appartenaient au «peuple» (42). Ainsi, quelle qu'ait pu être la situation sociale des gens du commun aryens, les Vaisyas, aux temps préhistoriques — aux temps védiques, ils étaient « opprimés par les princes ». C'est à ce moment-là — ou même plus tard au cours de la période bouddhique ultérieure (43) — que les associations professionnelles des marchands firent leur apparition (44). Naturellement, le développement de telles associations ne prouve rien quant à leur indépendance politique. Dans les sociétés orientales simples — et souvent aussi dans des conditions plus complexes — les corporations professionnelles sont pour le gouvernement des instruments utiles. Les épopées expriment l'intérêt du roi pour les marchands — particulièrement en temps de guerre et de crise ; mais l'importance politique essentielle des marchands pouvait fort bien provenir de leur qualité d'éventuels espions précieux, au service des pays ennemis (45). La prospérité du commerce et des commerçants au cours de la période bouddhique ne fait pas de doute ; et la prééminence sociale de grands marchands attachés au gouvernement, les setthi, ne fait pas de doute non plus. Cela ne justifie pourtant pas la théorie selon laquelle les marchands, en tant que classe, pouvaient dans les centres majeurs de ce qui était alors l'Inde hindoue influencer — ou diriger — normalement et de façon appréciable, les décisions politiques de leurs gouvernements respectifs. Ces gouvernements n'étaient pas nécessairement des monarchies. Dans la patrie du bouddhisme, l'Inde du nord-est, existaient plusieurs républiques dont le chef discutait des affaires publiques en de nombreuses assemblées piénières (46). Mais les marchands n'en faisaient pas partie. Le peu d'information que nous possédons sur huit des dix républiques relevées par C.A.F. RhysDavids (47) montre que toutes étaient dominées par les (h) Grassmann, R V , I : 197 ; II : 113 ; voir Banerjee, 1925 : 155. Moins e s t i m é bien q u ' é g a l e m e n t p r o s p è r e , é t a i t le p o n i , homme d'affaires qui cherchait à s'enrichir • soit par le commerce, soit par l'usure » (Banerjee, 1925 :
156).
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membres de la caste militaire des Kshatriyas (48). Le Bouddha considérait leurs assemblées comme une institution antique (49) ; et il se peut que les formes de la société aryenne (i) aient persisté un peu plus longtemps dans la zone nord-est où les opérations hydrauliques bien qu'extrêmement avantageuses n'étaient pas aussi essentielles que dans les parties occidentales et plus arides des plaines de l'Inde du nord (j). Cependant, l'agriculture d'irrigation et les entreprises hydrauliques n'étaient nullement inexistantes dans le nord-est (50) ; et les républiques aristocratiques évoluèrent nettement vers un pouvoir de type monarchique (51) ; cette évolution était déjà très avancée au temps du Bouddha (k), et gagna, après une période transitoire de troubles et de conquêtes, le cœur des terres aryennes (52). Dans la société indienne troublée et mouvante de cette importante période, de nombreux gouvernements utilisé-, rent les services d'un setthi. Apparemment homme de ressources (53), le setthi était souvent le conseiller et l'auxiliaire du dirigeant en matière économique (54). Ce n'était pas un fonctionnaire (55) ; sa charge était honorifique et héréditaire (56) ; en cas de vacance, le roi nommait à cette fonction (57). Le terme de setthi signifie « le meilleur, le chef » (58). Il était manifestement un « représentant de la classe commerçante» (59), mais il faut bien comprendre qu'il n'agissait pas en tant que porte-parole officiel d'un pouvoir organisé des marchands. Il ne semble pas davantage avoir été chargé normalement — ou essentiellement — des affaires des guildes. Son titre « peut sans doute impliquer une autorité sur quelque classe industrielle ou commerçante » (60) ; et un setthi célèbre que mentionnent les Jatakas exerçait apparemment « une certaine autorité sur les autres commerçants» (61). Mais cette autorité, si réelle fût-elle, émanait d'un groupe dont la réalité institutionnelle n'a pas encore été clairement établie. En Inde bouddhique et post-bouddique, il y avait certainement des corporations de marchands, mais C.A.F. Rhys-Davids met en garde contre une surestimation du degré d'organisation
(i) P o u r le r ô l e original d'une aristocratie militaire, voir H o p k i n s , 1888 73 ; K e i t h , 1922 : 98. (j) V o i r S t a m p , 1938 : 299 s q q . O l d e n h u r g (1915 : 284) regrette que les é t u d e s dont fut l'objet l'Inde v é d i q u e et b o u d d h i q u e aient n é g l i g é l a forte p r é d o m i n a n c e des brahmanes dans l'ouest et l ' e x t r ê m e s e n s i b i l i t é de l'est à ce qu'il y a d'anti-brahmanique dans le bouddhisme. (k) P o u r le c a r a c t è r e despotique de ces monarchies indiennes, voir L a w , 1941 : 169 s q q . V o i r F i c k , 1920 : 105 s q q .
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des marchands (62). Pour reprendre sa conclusion : « Nous n'avons... jusqu'à présent aucun document bouddhique ancien démontrant l'existence de corporations de même nature qu'une guilde ou que la Ligue hanséatique » (63). Tout cela n'exclut pas la prééminence politique des marchands dans quelque cité ou cité-Etat de type oriental submarginal de l'Inde classique ; mais la nécessité de contrôler très soigneusement les preuves d'une telle prééminence s'en trouve renforcée. Hopkins, le sanscritiste bien connu, cite une légende népalaise du 3 ou 4" siècle de notre ère qui fournit sur le pouvoir politique d'une guilde de marchands, des renseignements particulièrement précieux (m). A son avis, cette légende « rappelle que Thana fut gouverné par une puissante guilde de marchands » (64). Si cependant, nous nous référons au Bombay Gazetteer consulté par Hopkins (65), nous découvrons que ce qu'il prétend montrer est beaucoup plus limité : « Une puissante guilde de marchands dirigeait le commerce de la cité» (66). La cité en question est Sopara, l'une des nombreuses colonies situées sur la côte de Thana (67), au sud de la moderne Bombay. Si d'autre part nous examinons la légende elle-même, il apparaît que ces marchands, loin de dominer le gouvernement de la cité, n'en contrôlaient même pas le commerce. Un puissant marchand indépendant l'emporta à lui seul sur les « 500 » marchands qui tentaient de monopoliser le marché, et cela après que les deux parties adverses eurent été appelées à paraître devant le roi, lequel était manifestement maître absolu de la cité et des marchands (68). Le développement de l'Inde est à plus d'un titre riche d'enseignement. Les républiques Kshatriyas montrent que les régimes hydrauliques ne sont pas nécessairement monarchiques ; mais leurs phases finales soulignent aussi une tendance à la concentration du pouvoir qui est inhérente à de tels régimes. Le sort des marchands vaut également la peine d'être noté. Au cours de la période de formation de la société de conquête des Aryens, les commerçants jouirent d'un prestige social considérable. Leur situation se gâta par la suite et cela en dépit de l'étroite organisation qui était la leur. e
c. - La Mésopotamie antique. Les marchands furent-ils plus heureux en Basse Mésopotamie, berceau du commerce oriental en Asie Mineure ? (m) « L a l i t t é r a t u r e u l t é r i e u r e , j u s q u ' à notre temps, contient de nombreuses allusions à de tels corps c o n s t i t u é s , mais on n'en trouve aucune description c o m p l è t e » ( H o p k i n s , 1902 : 175).
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Les légendes sumériennes mentionnent des anciens et des sortes d'assemblées, que le roi légendaire Gilgamesh consultait avant de prendre des décisions (69). Que signifient ces légendes ? Boas a démontré de manière convaincante que les mythes contenaient autant de traits fictifs que de traits réels, et que les éléments réels peuvent être exagérés, et transformés en leur contraire (70). Il se peut qu'aient existé des assemblées proto-sumériennes analogues aux assemblées de guerriers des républiques de conquête aryennes du nord-est de l'Inde. Kramer tient pour assurée l'existence d'une aristocratie militaire durant la période préhistorique de la formation de Sumer (71 ). Mais quelle qu'ait été la valeur institutionnelle de ces assemblées légendaires, aucune collectivité de ce genre ne dominait les cités-Etats de Sumer lors de leur apparition dans l'histoire écrite. Citons Jacobsen : « Le développement politique, aux premiers temps de l'histoire, semble avoir été dominé par une seule idée-force : la concentration du pouvoir politique en un nombre de mains aussi petit que possible» (72). Dans chacune des cités mésopotamiennes primitives « un seul individu, le souverain, rassemblait entre ses mains les principaux pouvoirs politiques : législatif, judiciaire et exécutif» (73). Dans chacune de ces cités le roi dirigeait l'appareil étatique despotique par l'intermédiaire d'une bureaucratie séculière ou cléricale, « les administrateurs et penseurs de la cour et du temple » comme Kramer nomme le nouveau centre de la «caste dirigeante» (74). Fait significatif, il n'y a pas de traces d'assemblées — ou très peu — dans la société hydraulique simple qui est celle de Sumer à l'époque historique. Pour Babylone la situation est différente. Les inscriptions babylonniennes mentionnent des assemblées, les anciens, et — dans le même contexte — les marchands. Est-il possible que le développement du commerce babylonien ait aussi accru le pouvoir de ses représentants, les grands marchands ? Les comptoirs assyriens qui prospérèrent en Cappadoce durant la première partie du second millénaire avant notre ère, montrent ce qu'ont pu être l'expansion et les limites du pouvoir des marchands. Ces colonies assyriennes s'implantèrent dans une région qui, bien que manquant d'unité politique (75), comprenait un certain nombre de gouvernements de provinces. Les commerçants qui s'établissaient au loin dans le nord de leur patrie ne résidaient pas à l'intérieur des villes de Cappadoce. La partie fortifiée des villes était réservée à la population indigène et au palais du souverain (76). De plus les autorités locales (77) examinaient, à l'intérieur du palais, les marchandises dont disposait le marchand,
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et avaient en priorité des droits sur les denrées qu'ils voulaient vendre (78). La présence d'autorités locales ne veut pas dire que c'étaient des colonies indépendantes de la métropole assyrienne. C'est Assur qui, en dernier recours, tranchait les litiges et pouvait imposer les taxes (79) : « Les autorités d'Assur, et en dernier ressort le roi, se situaient donc au-dessus des autorités assyriennes dans les centres de commerce » (80). A l'intérieur de ce cadre général, les colonies traitaient de leurs problèmes judiciaires en « une assemblée de tous les colons» (81), le karum ; cette assemblée décidait également des autres problèmes communaux (82). Les membres de ces comptoirs assyriens jouissaient évidemment d'une autonomie plus grande que celle des marchands d'Assyrie et de Sumer, ou — après la période sumérienne — de Babylone ; mais ils ne dirigeaient pas les villes de Cappadoce, et n'étaient pas politiquement indépendants dans leur domaine propre. L'absolutisme babylonien, comme celui de Sumer, émanait d'une économie agro-directoriale concentrée ; et la propriété privée jouait probablement un rôle secondaire dans l'agriculture comme dans le commerce (n). En tout cas aucun analyste sérieux des institutions ne prétend que les assemblées, et parmi elles, les assemblées de marchands, aient contrôlé le gouvernement babylonien. Le roi et ses hommes dominaient l'administration, l'armée, et le système fiscal. Le roi était aussi le législateur. De plus, lui et ses fonctionnaires contrôlaient les rouages de l'appareil judiciaire. Au service du roi, les « juges du roi » exerçaient leur autorité selon «les lois du roi» (83). Mais les juges royaux, qui cumulaient souvent des attributions administratives, militaires et légales (84), confiaient les affaires locales en grande partie aux assemblées locales. Ces assemblées avaient d'abord des attributions léga-
(n) Probablement. Nous avons d é j à e x p o s é les justifications de la seconde partie de cette opinion ; nous exposerons les arguments en faveur de la prem i è r e dans notre analyse de l'extension de l a p r o p r i é t é f o n c i è r e p r i v é e . Le D r Isaac Mendelsohn, dans une communication personnelle et d ' a p r è s une é t u d e personnelle des inscriptions, pense que dans ces deux domaines de l ' é c o n o m i e babylonienne, l a p r o p r i é t é p r i v é e é t a i t plus é t e n d u e que celles de l ' E t a t et des temples r é u n i e s . Sans aucun doute, les faits appartiennent à l ' a p p r é c i a t i o n des s p é c i a l i s t e s de cette p é r i o d e ; et notre tentative de classification de la s o c i é t é babylonienne s'offre à toutes les rectifications que rendront possibles les recherches u l t é r i e u r e s . Mais si l'on admet pour la commod i t é de la discussion que le secteur de la p r o p r i é t é p r i v é e l'emportait sur le secteur public, il n'y a pas lieu cependant de modifier notre é v a l u a t i o n de la situation politique de subordination des marchands babyloniens. D a n s la m ê m e c o m m u n i c a t i o n personnelle, le D r Isaac Mendelsohn rejette une interp r é t a t i o n d é m o c r a t i q u e de la s o c i é t é babylonienne.
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les (85). Statuant sous le contrôle du roi, elles constituaient « une sorte de jury civil » (o). Les membres de ces assemblées étaient des « anciens », des « notables », des « marchands » (sous l'autorité d'un chef des marchands), et des «hommes de la porte» (86). Selon Cuq, ces termes désignent des groupes distincts qui agissaient soit séparément, soit ensemble (87). Que l'interprétation de Cuq soit juste ou non, et quelle que soit la signification des termes « anciens », « notables », ou « hommes de la porte », il nous suffit de savoir pour cette étude que les assemblées étaient essentiellement des corps judiciaires et que parmi leurs membres se trouvaient des marchands sous la direction d'un akil tamgari. Au début de Babylone, Vakil tamgari semble avoir dirigé le ministère du commerce ou le ministère des finances, et, en cette qualité, avoir été le chef de la bureaucratie fiscale (88). Il était à la tête des marchands ordinaires qui entreprenaient des expéditions commerciales « parfois exclusivement dans l'intérêt de la couronne» (p). C'était donc un fonctionnaire éminent, instrument du contrôle que le régime absolutiste exerçait sur les commerçants du pays. A l'occasion, une assemblée réglait les questions qui concernaient une ville tout entière ; et ses membres marchands participaient alors à des décisions d'une importance considérable. Cependant, puisqu'un gouverneur royal ou un préfet de la ville présidait l'assemblée, et que celle-ci fonctionnait essentiellement à la manière d'un jury civil, elle ne dirigeait certainement pas le gouvernement municipal ; et les marchands, placés sous l'autorité de Vakil tamgari, n'étaient pas libres de régenter, fût-ce dans leur propre domaine, le commerce du pays. d. - Conclusions. Il est facile de conclure. De puissants groupes de riches marchands peuvent accéder au contrôle du gouvernement de leur communauté ; et cela peut se produire même dans des communautés qui assument des fonctions hydrauliques
(o) C u q , 1929 : 361. Il arrivait qu'elles aient à juger de crimes politiques, mais dans le cas c i t é par Jacobsen, i l ne s'agit pas d'actions mais de mots seulement : « paroles s é d i t i e u s e s » (Jacobsen, 1943 : 164). (p) K r i i c k m a n n , 1932 : 446. L e chef des marchands du r o i , le rab tamgar ta $arri, m e n t i o n n é dans les inscriptions n é o - b a b y l o n i e n n e s , é t a i t - i l le successeur de Vakil tamgari ? Ses a c t i v i t é s ne sont pas clairement d é f i n i e s . E b e l i n g (1932 - 454) le place p a r m i les « hauts fonctionnaires », ajoutant qu'il « dirigeait probablement des transactions commerciales et m o n é t a i r e s p o u r le c o m p t e du roi. »
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importantes. Mais aussi loin que nous remontions, ces développements n'atteignirent jamais un stade tel que l'on puisse parler de gouvernement d'un pays hydraulique par les marchands. Les grands marchands de Venise opéraient dans un contexte social où les institutions hydrauliques demeuraient marginales. Et Carthage, bien que certainement plus hydraulique que Venise, a pu appartenir, soit dès le début, soit plus tard, à la zone submarginale du monde hydraulique. De nombreuses communautés du type de Carthage ou de Venise prospérèrent sur la frange géographique du monde hydraulique ; et il n'y a pas de raison pour que de telles communautés n'aient pas également constitué des enclaves hétérogènes indépendantes à l'intérieur de certaines zones du monde hydraulique. Nous ne rejetons donc pas la théorie de Max Weber selon laquelle des communautés commerciales indépendantes auraient prospéré en Inde bouddhique (89). Mais les arguments avancés ne sont pas convaincants ; et en de nombreux cas, un examen plus approfondi révèle que la situation des marchands était loin d'être politiquement dominante. Des recherches ultérieures sur le rôle des marchands dans les zones institutionnellement périphériques nous apporteront certainement de nouveaux éléments concernant les variantes institutionnelles dans les régions marginale et submarginale du monde hydraulique. Elles peuvent aussi éclairer les limitations de la propriété privée mobilière même dans les sociétés hydrauliques où le commerce fondé sur la propriété privée devint plus important que le commerce à direction gouvernementale, ou attaché au gouvernement. H. — TYPES COMPLEXES DE PROPRIÉTÉ DANS LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE 1.
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PROPRIÉTÉ
FONCIÈRE
H Y D R A U L I Q U E . PASSÉ
E T PRÉSENT
Les limitations de la propriété immobilière dans la société hydraulique sont également significatives — et également l'objet de malentendus. Les pionniers qui considérèrent l'Etat despotique comme le seul grand propriétaire, eurent tendance à négliger le problème de la propriété foncière privée dans son ensemble. Des analystes modernes ont noté combien le fait qu'il n'y eut pas de propriété foncière a paralysé l'Orient, mais ils considèrent comme un trait fondamental de la société hydraulique ce qui, en bien des cas, n'est que le trait d'une société hydraulique en transition. Et ils interprètent rapidement en termes d'institutions
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occidentales anciennes (féodales) ou modernes {capitalistes) ce qui est un développement spécifique de l'Orient (a). Nous développerons ce point en conclusion. Dans le présent contexte, nous nous occupons essentiellement des origines de la situation moderne : l'étendue et les particularités de la propriété foncière privée avant la dissolution de la société hydraulique. 2. ET
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TERRE
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SOUS
CONTRÔLE
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On n'envisagera correctement l'étendue et les particularités de la terre privée dans la société hydraulique qu'en gardant en mémoire l'étendue et les particularités du pouvoir d'Etat hydraulique. Dans la plupart des sociétés hydrauliques, le régime despotique imposait une limitation quantitative à la terre privée. Dans toutes les sociétés hydrauliques, le régime despotique limitait la libre disposition des terres privées qu'il tolérait. a. - Types de terres contrôlées par le gouvernement. Pour établir quelle est l'extension de la terre privée il faut déterminer l'extension de la terre sous contrôle gouvernemental. Celle-ci se ramène à trois types essentiels : 1°) la terre administrée par le gouvernement ; 2°) la terre sous réglementation gouvernementale ; 3°) la terre concédée par le gouvernement. Toute terre qui, selon un règlement gouvernemental, ne peut être aliénée par, ou au profit de propriétaires privés, répond à la définition de terre sous réglementation gouvernementale au sens large du terme, et dans ce sens toute terre gouvernementale est terre sous réglementation. En un sens plus restreint, le terme « terre sous réglementation » sera essentiellement appliqué à cette partie de la terre sous contrôle gouvernemental qui est administrée, non par le gouvernement mais par des possesseurs
(a) Ne mentionnons qu'une q u e s t i o n - c l é : la c r é a t i o n d'une terre paysanne p r i v é e par r é f o r m e agraire c o m p l è t e a une certaine signification q u a n d elle est le fait de forces s é p a r é e s dans une s o c i é t é p o s t - f é o d a l e ou industrielle relativement d é c e n t r a l i s é e , et une tout autre signification q u a n d elle est entreprise par les forces sous c o n t r ô l e gouvernemental d'un ordre hydraulique en d é s i n t é g r a t i o n , ou encore d'un E t a t totalitaire de type s o v i é t i q u e D e grandes transformations dans le s y s t è m e de p r o p r i é t é f o n c i è r e telles celles advenues dans le Japon moderne, en Russie sous les tsars ou sous le r é g i m e bolchevique, dans l'Inde de N e h r u , ou en Chine communiste, sont f r é q u e m m e n t t r a i t é e s comme si elles é t a i e n t de nature plus ou moins identique, alors qu'en leur substance sociologique, elles r e p r é s e n t e n t des p h é n o m è n e s e n t i è r e m e n t différents.
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qui travaillent pour le gouvernement, ou lui paient une taxe, ou encore lui louent la terre. Le terme « terre administrée par le gouvernement » s'appliquera à la terre cultivée sous la direction de fonctionnaires du gouvernement, et au profit immédiat et exclusif du gouvernement. Le terme de « terre concédée » s'appliquera à la terre temporairement ou définitivement assignée à des fonctionnaires (terre administrative), aux représentants de la religion dominante (terre sacrée ou terre du temple), ou à certaines personnes éminentes qui ne remplissent pas en échange une fonction séculière ou religieuse particulière (terre de sinécure). 1. - Terre administrée par le gouvernement. La terre « publique » administrée par le gouvernement n'a jamais représenté qu'une fraction mineure de l'ensemble des terres contrôlées puisque les paysans qui cultivaient les champs « publics » avaient besoin de terre également pour leur propre entretien. Au-dessus d'un certain niveau agronomique, et mis à part quelques régions d'importance stratégique, l'Etat hydraulique préférait percevoir une taxe foncière correspondant à des champs cultivés individuellement, plutôt que de récolter les produits des champs publics. La Chine impériale, bien que favorisant la propriété privée de la terre, entretint des colonies agricoles destinées à subvenir aux besoins de l'armée, surtout dans les régions frontières, mais parfois aussi dans des région? intérieures névralgiques : régions en cours de « pacification », ou le long de voies de communication vitales. La culture de ces colonies était faite par des soldats (en ce cas, on les appelait des « champs de garnison », t'un-t'ien) ou par des civils (en ce cas, elles portaient souvent le nom de « champs de campements », yin-t'ien). Il pouvait arriver que ces deux types de terre pris ensemble représentent jusqu'à un dixième de la terre cultivable totale, mais sous la plupart des dynasties, c'était une fraction beaucoup plus réduite. Outre les colonies militaires, on trouvait des domaines gouvernementaux réservés à des cultures particulières, à des parcs et à des jardins destinés au plaisir du souverain. Ces retraites cachées étaient souvent construites avec la participation de la main-d'œuvre de corvée, mais généralement entretenues par des cultivateurs de profession, des ouvriers du palais, et des esclaves (b) — elles étaient (b) Les jardins, les parcs impériaux et royaux ont été décrits par de nombreux auteurs. Pour la zone du Lac de Mexico, voir Ixtlilxcahitl, CH, I l :
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donc administrées par le gouvernement. Mais elles étaient remarquables en ce sens qu'elles n'avaient pas d'importance spatiale. C'étaient de petits îlots au milieu d'une mer de fermes paysannes, dont les occupants ou les propriétaires apportaient au gouvernement la contribution, non pas de leur travail, ni de champs publics, mais de leurs impôts. 2. - Terre sous réglementation gouvernementale. Le plus important des types de terre contrôlée par le gouvernement est peut-être aussi le plus difficile à définir : la terre paysanne qui n'est ni administrée par des fonctionnaires gouvernementaux, ni assignée à des groupes de bénéficiaires et qui n'est pas la propriété des paysans. On ne peut assimiler purement et simplement ce type de terre à la terre collective des communautés villageoises, puisque les paysans qui possèdent de la terre soumise à réglementation ne vivent pas nécessairement dans des communautés villageoises intégrées — c'est-à-dire dans des communautés qui distribuent et redistribuent la terre. Et toutes ces communautés rurales ne sont pas non plus nécessairement sous le contrôle du gouvernement. La terre paysanne sous réglementation est donc, selon les termes de notre enquête, une terre que son possesseur n'est pas libre d'aliéner à son gré. Souvent, et particulièrement lorsque la terre est périodiquement redistribuée, son possesseur peut la louer à d'autres villageois (c), mais il ne peut pas la vendre (d). En d'autres cas, il peut la vendre, mais seulement à d'autres villageois — c'est-àdire à d'autres paysans. A Byzance, des dispositions plus anciennes furent, en 922, remises en vigueur et renforcées par une loi qui permit aux paysans de vendre la terre aux personnes appartenant aux catégories suivantes, et dans l'ordre : 1°) à des parents co-possesseurs ; 2°) à d'autres possesseurs ; 3°) à des personnes dont la propriété était limitrophe de la propriété à vendre ; 4°) à des voisins qui partageaient les responsabilités fiscales du vendeur ; 5°) à d'autres voisins (1), Ces réglementations rendaient
209 sqq. ; p o u r l ' E g y p t e des Pharaons, E r m a n et R a n k e , 1923 : 206 s q q . ; pour l a M é s o p o t a m i e , Meissner, B A , I : 201, 292 ; Contenau, 1950 : 53 sqq. ; pour le P r o c h e - O r i e n t islamique, Mez, 1922 : 362 sqq. ; pour l'Espagne musulmane, L é v i - P r o v e n ç a l , 1932 : 233 ; p o u r l'Inde : Jatakam : passim, et S m i t h , 1920 : 402 sqq. ; p o u r la Chine T c h ' o u , Legge, C C , II : 127 sqq. (c) Il en é t a i t normalement ainsi dans les calpulli q u i composaient le Mexique a z t è q u e . V o i r Z u r i t a , 1941 : 88 ; M o n z o n , 1949 : 39. (d) P o u r une description c o m p l è t e de la c o m m u n a u t é rurale soumise à la r é g l e m e n t a t i o n en Russie tsariste, la obslichina ou mir, voir H a x t h a u s e n , SR, I : 129 et passim.
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impossible l'achat par un noble rural de terres paysannes, excepté dans un village où il possédait déjà une terre (2). Aussi longtemps qu'elles furent appliquées, ces lois protégèrent la terre paysanne et l'empêchèrent de devenir la proie de la grande propriété rurale en expansion. Les mêmes procédés furent employés en Inde hindoue (e) et musulmane. S'appuyant sur les pouvoirs d'Etat chargés d'appliquer la loi, les communautés rurales indiennes « protégeaient la petite culture contre l'invasion des intérêts capitalistes », et elles y parvenaient « en garantissant aux [villageois] les droits d'inaliénabilité, d'option et du premier occupant» (3). Les cas de Byzance et de l'Inde, auxquels pourraient s'ajouter des documents concernant d'autres civilisations, démontrent les effets négatifs de la réglementation des terres sur le développement de la propriété foncière privée. Partout où l'Etat despotique oriental tint à conserver le contrôle de la terre, la propriété foncière privée fut reléguée dans une situation secondaire, et assez fréquemment insignifiante. 3. - Terre concédée par le gouvernement. Le régime despotique, s'il est capable de réglementer l'ensemble ou une large partie de la terre, est également capable d'en attribuer des portions à des individus ou à des groupes d'individus. De telles attributions de terre peuvent servir différents buts, concerner une période plus ou moins longue ; généralement ces deux aspects de but et de durée sont liés. Les serviteurs du gouvernement peuvent détenir leur terre administrative à vie et même héréditairement. D'autres peuvent avoir une charge temporaire ; en ce cas ils ne disposent d'une terre administrative que pour une durée correspondante. Ceux qui servent à titre militaire sont particulièrement susceptibles de recevoir et de perdre leur terre administrative avec une égale soudaineté. Les concessions de terres aux serviteurs des dieux sont plus stables. Les organisations religieuses permanentes, les temples, les mosquées par exemple, peuvent presque toujours garder indéfiniment les terres reçues.
(e) V o i r A p p a d o r a i , 1936, I : 133 sqq. O n a c o n s i d é r é l ' i n a l i é n a b i l i t é comme un signe de p r o p r i é t é , tandis qu'elle peut i n d i q u e r simplement une forme souple de possession. E n ce qui concerne la terre de village, l ' i n t e r p r é tation de J o l l y (1896 : 94) tient compte à la fois des r è g l e m e n t s ( à l ' e x t é r i e u r ) et des conditions floues ( à l ' i n t é r i e u r ) . 11 pense « que g é n é r a l e m e n t les villages é t a i e n t i s o l é s d u monde e x t é r i e u r , mais q u ' à l ' i n t é r i e u r des villages pris individuellement, on t r o u v a i t un r é g i m e de p r o p r i é t é p r i v é e de la terre ».
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Les terres concédées à titre de sinécures le sont pour un grand nombre de motifs et à des personnes très différentes. Les bénéficiaires peuvent recevoir cette distinction en raison de leurs actions méritoires, ou simplement parce qu'ils sont parents, amis ou favoris du souverain (f). Dans tous ces cas, la terre est concédée sans condition. Le bénéficiaire n'est astreint à aucun service en contrepartie des revenus que lui rapporte la terre de sinécure. C'est également vrai pour ceux qui ont reçu des terres à titre de pension. Mais quel qu'en soit le bénéficiaire, le gouvernement reste maître de la terre assignée. La terre sacrée (terre des temples) est généralement surveillée et/ou administrée par des fonctionnaires gouvernementaux séculiers. Ce fait est avéré pour l'Egypte pharaonique (4), l'Egypte ptolémaïque (5), pour Babylone (6), et, naturellement, pour le Pérou précolonial et le Mexique. Dans le monde islamique, le contrôle direct ou indirect de l'Etat sur les différents types de propriété religieuse a subsisté, avec de nombreuses modifications de détail, jusqu'à une époque récente (7). Le contrôle des terres administratives est assuré par le contrôle opérationnel du gouvernement sur les détenteurs de terres. Un régime despotique de fonctionnement normal décide du sort des hommes qui le servent et fixe les terres qui leur sont concédées. Lorsqu'à la fin de la période Tch'ou, le chancelier de la province de Ch'in décida d'attribuer les charges selon le mérite et non selon la naissance (g), il ne rencontra guère de résistance importante ; et tout au long de la dernière période Tch'ou, la réduction du nombre de terres administratives concédées à des individus (8), fut acceptée avec la même soumission. Aucun groupe organisé de « barons » ne se dressa contre l'impérial unificateur de la Chine lorsque finalement il abolit dans son ensemble le système de la terre administrative. Et la décision d'Akbar de substituer en grande partie des salaires aux concessions de terres admi-
(f) V o i r Jatakam, I : 56 (terre a t t r i b u é e au barbier d u roi) ; II : 193 (à un B r a h m i n e ) , 270 ( à une princesse) ; 457 s q q . ( à une princesse.) ; I V : 116 (à un B r a h m i n e ) , 309 ( r é c o m p e n s e p o u r la d é c o u v e r t e d'une antilope p r é cieuse), 415 (à une princesse), 480 ( r é c o m p e n s e pour l ' i n t e r p r é t a t i o n d'un p o è m e favori) ; V : 21 ( r é c o m p e n s e pour un conseil judicieux), 35 ( à des a s c è t e s ) , 45 (à un chasseur), 374 (à u n chasseur) ; V I : 135 ( à un barbier), 355 (au f r è r e ou au fils d u roi), 422 ( à un setthi), 438 (à de bons conseillers), 447 (à un conseiller). V o i r ibid., I : 362 s q q . , 424, 462. (g) Shih Chi 68.4a ; D u y v e n d a k , 1928 : 15, 61. O n dit que les « nobles » dont il r é d u i s i t de plus en plus les p r é r o g a t i v e s (ibid. : 27 ; Shih Chi 68.8b) le h a ï s s a i e n t ( D u y v e n d a k , 1928 : 23 ; Shih Chi 68.6b), mais ses mesures n'en t r a î n è r e n t aucune r é v o l t e o r g a n i s é e des « barons •.
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nistratives (9) ne souleva pas plus d'opposition. Akbar alla plus loin, mais pas aussi loin que le sultan turc Soliman, qui démontra de façon spectaculaire qu'un despotisme fonctionnant bien pouvait abolir la terre administrative aussi facilement qu'il pouvait la créer (10). La terre de sinécure pouvait être donnée sans aucune limitation de temps. En ce cas, la possession de la terre pouvait prendre fin à la chute de la dynastie régnante. En Egypte pharaonique, cela semble avoir été la règle (11) ; et il n'est pas impossible que les dotations de terre au Pérou ancien eussent subi le même sort si le régime inca avait été remplacé par d'autres souverains indigènes. Souvent les terres de sinécure étaient censées subvenir aux besoins du bénéficiaire sa vie durant, mais il arrivait que la mort du donateur mît prématurément fin à la sinécure. Les assignations en terre des Iles Hawaï étaient, semble-t-il, soumises à ces conditions (12). b. - La terre
privée.
1. - Définitions. La terre qui est administrée par le gouvernement, réglementée par le gouvernement, ou concédée par le gouvernement, n'est évidemment pas la propriété de propriétaires fonciers privés ; et on ne peut pas la considérer comme telle, même dans le cas d'une possession prolongée. La permanence de la possession ne suffit pas (des fermiers héréditaires jouissent aussi de ce privilège) ; et le droit d'aliéner cette possession ne suffit pas (des détenteurs de terre réglementée sont parfois autorisés à l'aliéner à l'intérieur de leur propre groupe social). Ce n'est que lorsque le propriétaire a à la fois le droit de détenir sa terre indéfiniment et celui de l'aliéner au profit de personnes étrangères à son groupe, que nous pouvons parler de ce que l'on appelle, conformément à l'usage établi, la propriété foncière privée de plein droit. 2. - Origines. Les hommes du commun et les nobles, en Grèce primitive, en Allemagne, en Gaule et en Angleterre, possédaient leur terre, non en vertu de la décision d'un souverain autocratique, mais en raison des différenciations à l'intérieur d'une société tribale, qui créaient de multiples types de propriété privée et de direction politique. Dans la société hydraulique, c'était essentiellement le souverain et ses fonctionnaires qui établissaient la propriété foncière privée, en confiant à des possesseurs individuels ce qui
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avait été précédemment une terre sous contrôle gouvernemental. Les individus devenaient généralement propriétaires à la suite de dons ou de ventes. Des groupes entiers pouvaient devenir propriétaires fonciers par un décret gouvernemental. Une portion de terre ayant été reconnue propriété privée, elle pouvait, à l'intérieur de limites sociales imposées par le gouvernement, être transmise d'un propriétaire privé à un autre. Des conversions, sur une grande échelle, de terre réglementée en terre privée sont relativement rares dans l'histoire de la société orientale. Elles semblent ne s'être produites que là où le commerce et l'artisanat à base de capitaux privés étaient très développés. c. - Types de propriété
foncière.
1. - Propriété foncière paysanne. Que sont donc les propriétaires éventuels de la terre dans la société hydraulique ? Dans la société orientale comme dans les autres sociétés agraires, le personnage-clé dans l'économie fondamentale de subsistance est le paysan. Nous pouvons donc nous attendre à ce qu'il joue un rôle important dans le secteur en expansion de la propriété privée de la terre ; et c'est un fait qu'en Chine, l'instauration de la terre libre privée entraîna l'apparition d'une large classe de paysans propriétaires. 2. - Propriété foncière bureaucratique. Mais le développement chinois est une exception et non pas une règle. Dans la majorité des cas, ce n'est pas le propriétaire paysan mais le propriétaire non paysan qui apparaît le premier et qui s'affirme dans le secteur de la propriété foncière privée. Evidemment, plus la société hydraulique est complexe, plus les groupes sociaux qui aspirent à devenir propriétaires fonciers sont nombreux. Mais un groupe entre tous est remarquable : celui des fonctionnaires civils et militaires du gouvernement et leur entourage, l'aristocratie bureaucratique. Dans des conditions simples de propriété, peu d'autres groupes sont assez riches pour acheter de la terre. Et même là où existent de riches commerçants, la plus grande partie du surplus, par conséquent du pouvoir d'achat, reste entre les mains de la classe gouvernante. De plus c'est aux membres de la classe gouvernante que le souverain donne le plus volontiers des terres.
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La propriété foncière bureaucratique tend donc à apparaître dans tous les types de société hydraulique, quel que soit leur degré de complexité. Elle prévaut tout à fait dans les sociétés hydrauliques simples où la terre privée existe effectivement. Elle constitue un trait caractéristique dans nombre de sociétés hydrauliques semi-complexes. Et elle est essentielle dans les sociétés hydrauliques complexes où la terre sous forme de propriété privée, l'emporte en quantité sur la terre contrôlée par le gouvernement. Les documents sur la propriété foncière en Egypte pharaonique sont imprécis, même pour le Nouvel Empire (13). Quelques textes spécifiques font essentiellement allusion à des princes, des vizirs et autres membres de la classe dirigeante possédant une terre privée (14). Dans le Mexique aztèque, des terres privées étaient propriété des souverains, de leurs fonctionnaires et de quelques marchands (15). En Inde hindoue, les brahmanes ne vivaient pas, comme le clergé de nombreuses autres sociétés hydrauliques, du produit de vastes terres, possessions permanentes des temples. Par conséquent, en Inde hindoue, les terres concédées individuellement aux brahmanes avaient une fonction particulière et il n'est pas surprenant qu'elles aient été nombreuses. Nombre de ces concessions n'impliquent que le droit de détenir la terre, mais beaucoup de brahmanes semblent avoir joui d'une propriété de plein droit de la terre, au moins durant la dernière phase de la domination hindoue (16). En Egypte byzantine, les « puissants » qui possédaient de vastes domaines étaient le plus souvent des fonctionnaires (17) ; et ce schéma se reproduit durant la période islamique. Parmi les personnes qui à l'époque mameluk acquirent des terres privées, prédominaient les actuels ou les anciens possesseurs de terres administratives (18). En Turquie ottomane, certaines terres administratives devinrent la propriété de leurs anciens détenteurs (19). A Byzance, au cours du Moyen Empire, il fut pour un temps interdit aux fonctionnaires d'acheter de la terre, sans une autorisation spéciale de l'empereur, pendant la durée de leur fonction. Cette restriction retarda le développement de la propriété foncière bureaucratique, mais ne l'arrêta pas (20). En Russie tsariste, l'édit de 1762 fit des pomiechtchiki qui avaient été des détenteurs de terres administratives, des propriétaires fonciers. Dans la dernière période de la Chine impériale, il fut interdit aux fonctionnaires gouvernementaux d'acquérir des terres dans la région où ils exerçaient leurs fonctions (21). Aucun règlement ne concernait l'acquisition de terres hors de cette zone ; et les documents que nous possédons indiquent
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que parmi les propriétaires fonciers, les membres, en fonction ou non, de la classe gouvernementale occupaient une place éminente. 3. - Autres groupes sociaux. Naturellement, les membres d'autres groupes sociaux possédaient aussi de la terre s'ils en avaient les moyens et si on le leur permettait. Dans les sociétés hydrauliques semi-complexes et complexes, il est probable que les riches marchands particulièrement achetaient des terres ; et les renseignements que nous possédons sur le Mexique aztèque (22), sur l'Inde (23) et sur la Chine, montrent qu'ils ne s'en privèrent pas. De plus, les mesures appliquées par la dynastie Han révèlent à la fois combien ce type de propriété foncière savait se protéger et avec quelle brutalité la bureaucratie régnante pouvait le combattre (24). Naturellement, même des personnes de fortune modeste pouvaient acheter de la terre. Dans la Chine traditionnelle, des gens de tous niveaux possédaient de petits lopins de terre (25). 4. — Absentéisme des propriétaires (tendance générale). A l'occasion, un propriétaire non paysan, privé de son travail pour une raison ou pour une autre, pouvait pour subvenir à ses propres besoins, opérer un retour personnel à l'agriculture (h). Mais généralement, les propriétaires non paysans laissaient les tâches agricoles à des fermiers. Dans la plupart des cas, c'étaient des propriétaires absents. Dans l'Europe médiévale et post-médiévale, le fermage et l'absentéisme des propriétaires étaient également un phénomène général. Cependant de nombreux propriétaires administraient personnellement leurs vastes domaines (giïter) ou y déléguaient des intendants. La rareté du fermage pratiqué sur une vaste échelle dans la société hydraulique est due essentiellement au rendement élevé obtenu par des méthodes de travail intensif qui sont en partie requises et en partie stimulées par l'agriculture d'irrigation (26). Ces méthodes présentent des avantages immenses pour la petite agriculture paysanne à l'échelle familiale. Les avantages sont si frappants que le « génie économique » (Wirtschaftsgesinnung) de la société hydraulique répugnait aux méthodes extensives et « domaniales », même là où elles auraient pu être profitables. (h) P o u r les brahmanes qui cultivaient leurs terres avec ou sans l'aide d'ouvriers agricoles, voir Jatakam, II : 191 s q q . ; III : 179, 316 ; I V : 195, 334 sqq. ; V : 70.
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On comprend tout de suite l'importance de cette attitude pour une société hydraulique en transition. La consolidation de la propriété foncière en Europe post-féodale encouragea de nombreux possesseurs de fermes étendues à cultiver leurs terres de manière scientifique. Le développement récent de la propriété foncière dans bien des pays hydrauliques aiguisa le désir de possession des terres chez les propriétaires absents sans pour autant rationaliser la culture qui resta aux mains des fermiers. 5. - Absentéisme des propriétaires en Russie traditionnelle. Une variante intéressante de l'absentéisme des propriétaires apparut en Russie tsariste. Les pomiechtchiki de Russie moscovite et post-moscovite étaient si accaparés par leur service militaire ou civil qu'ils ne pouvaient guère consacrer d'attention à l'agriculture comme le faisaient au contraire les nobles ruraux d'Angleterre et d'Allemagne. Par conséquent, l'agriculture extensive et scientifique était extrêmement peu répandue dans l'aristocratie rurale en Russie avant 1762 et, malgré un certain développement, demeura une exception longtemps après cette date. Le baron Haxthausen qui fit en 1840 une enquête célèbre sur la Russie rurale, fut frappé par la différence entre l'aristocratie rurale en Russie et celle du reste de l'Europe. Bien qu'ignorant les particularités du despotisme oriental, il reconnut formellement que l'aristocratie terrienne en Russie souffrait de l'absence d'une tradition féodale : « La noblesse russe, grande-russienne, n'est pas actuellement une noblesse rurale [landadel] et ne l'a probablement jamais été ; elle ne possède pas de châteaux, elle n'a pas connu une période de chevalerie et de guerre [privée]. Ce fut toujours une noblesse de service qui a toujours vécu dans les cours des Grands Princes et des princes secondaires et dans les villes, accomplissant son service civil de cour ou militaire. Ceux qui parmi eux vivaient à la campagne pratiquaient paisiblement l'agriculture ; mais ils étaient soit insignifiants, soit inefficaces. Même aujourd'hui la majeure partie des nobles grands-russiens n'ont pas de résidence rurale, pas d'économie [domaniale] semblable à ce que nous voyons dans le reste de l'Europe. Toute la terre qui appartient aux nobles — terre cultivée, prairies, forêts — est laissée à la communauté rurale qui la cultive et paye au seigneur une redevance pour cette location. Même si le seigneur possède une maison
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de campagne dans laquelle il vit, il n'a pas cependant d'économie [domaniale] mais vit plutôt comme un rentier (*). La plupart des nobles ont des maisons de campagne, mais ils vivent en ville et ne visitent la maison de campagne que pour quelques semaines ou quelques mois. Telle est le bon vieux mode de vie à la russe de l'aristocratie» (27). Cet étrange détachement de la noblesse russe à l'égard de la terre qu'elle possédait et d'autre part la loi qui morcelait l'héritage l'empêchèrent de devenir une « véritable aristocratie rurale », comme celle que Haxthausen avait connue en Europe centrale et occidentale. « Je ne pense pas qu'en aucun autre grand pays d'Europe, la terre connaisse une stabilité moindre qu'en GrandeRussie » (28). C'est dans ce contexte qu'il faut replacer les deux grands changements agraires accomplis par la bureaucratie tsariste au cours de la seconde moitié du 19 siècle et au début du 20* : l'émancipation des serfs (en 1861) et la réforme de Stolypine (en 1908). Dans les deux cas la résistance opposée fut vive ; mais dans les deux cas ce furent des membres de la classe gouvernante — elle englobait l'ensemble des propriétaires fonciers —• qui prirent l'initiative de ces nouvelles mesures. e
6. - Cas limites de possession de la terre réglementée et de la terre privée. L'absentéisme des propriétaires est facile à constater, plus facile que l'exacte nature du régime de propriété d'un terrain donné. Comment distinguer « possession » et « propriété » dans les attributions de terre qui furent faites en Egypte ? Les documents omettent souvent de nous renseigner clairement sur ces points. Et même lorsqu'ils indiquent un droit de propriété —- comment ce droit était-il garanti ? Segré, comparant le développement de la propriété sous l'absolutisme oriental et dans la Grèce classique, conclut qu'« une propriété privée plus ou moins analogue au droit classique de propriété, ne pouvait pas exister aussi longtemps que le roi possédait le pouvoir de supprimer le droit à la terre ou aux libertés, ou encore de modifier à son gré les termes de ces droits» (29). On croyait la propriété brahmane à l'abri de toute confiscation. Ce qui n'empêcha pas des souverains hindous de saisir des terres brahmanes sous prétexte de « trahison », délit que les juges du roi n'avaient pas de (*)
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difficulté à établir quand besoin était (30). En Egypte pharaonique, la propriété foncière privée, plus étendue peut-être qu'en Inde hindoue, était tout aussi incertaine. En fait ce n'était « fondamentalement rien d'autre qu'un transfert exceptionnel des prérogatives royales, transfert qui en principe pouvait être révoqué à tout moment et qui l'était effectivement lorsqu'une nouvelle dynastie prenait le pouvoir » (31). En de tels cas, il est évidemment difficile de faire une distinction tranchée entre possession et propriété. Le droit d'aliéner une propriété privée ne s'est pas répandu de la même façon dans certaines sociétés hydrauliques, ce qui soulève une autre difficulté. Des propriétaires non paysans peuvent être libres d'acheter des terres à d'autres propriétaires, tandis que les paysans qui vivent dans un ordre rural réglementé ne possèdent pas un droit égal d'aliénation. Ces types mixtes peuvent créer un problème majeur de classification pour l'étude de la société hydraulique : lorsque par exemple, vers la fin de l'empire byzantin et en Russie après 1762, la terre tenue par les propriétaires fonciers, constitue une large proportion (peut-être plus de la moitié) de la terre cultivée. Quand il en est ainsi, nous pouvons parler d'un type de propriété et de société hydrauliques complexes en formation. d. - Ampleur de la propriété foncière privée pour différents sous-types de société hydraulique. Les catégories des propriétés gouvernementale et privée que nous avons analysées jusqu'à présent, nous permettent de dépasser notre hypothèse initiale et de montrer avec plus de précision et avec des preuves plus nombreuses la corrélation entre le développement des propriétés mobilière et immobilière privées dans différentes civilisations hydrauliques. La propriété privée se trouvait en germe, même dans les sociétés hydrauliques où l'industrie et le commerce à base de capitaux privés étaient insignifiants, mais elle n'atteignit jamais des proportions considérables. Cela confirme la validité de notre concept de type « simple » de propriété et de société hydrauliques. Dans les civilisations hydrauliques comportant un secteur appréciable de propriété et d'entreprise mobilières, la propriété foncière privée resta fréquemment un trait secondaire et parfois insignifiant. Ce qui confirme la validité de notre concept de types semi-complexes de propriété et de société hydrauliques, et confirme de plus notre hypothèse concernant la rareté relative de la formation complexe — formation dans laquelle la propriété immobilière privée est aussi avancée en agriculture que l'est, selon son mode particulier et
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et avec ses limitations particulières, la propriété mobilière dans l'industrie et le commerce. Sur la base de ces résultats, nous examinerons brièvement l'ampleur de la propriété foncière privée dans quelques-unes des civilisations hydrauliques majeures. Ce faisant, nous reviendrons sur certains documents d'une importance capitale déjà utilisés quand nous avons défini nos critères fondamentaux. Mais ils apparaissent maintenant dans un contexte nouveau, et dans de nombreux cas augmentés de données supplémentaires importantes. En accord avec les concepts précédemment établis, nous observerons une progression des conditions simples aux conditions semi-complexes, puis complexes de propriété et de société. 1. - Sociétés hydrauliques simples. Les îles Hawaï : les îles Hawaï ont certainement connu un type de possession privée de la terre. Mais il y a lieu de douter qu'ait existé une propriété de plein droit, puisque les « domaines » même des « chefs » de province les plus puissants, les gouverneurs, « revenaient au roi » après la mort de leur successeur et puisque « à l'avènement d'un nouveau roi... toutes les terres d'une île » étaient redistribuées (32). Le Pérou inca : comme nous l'avons vu ci-dessus, les terres de sinécure étaient détenues par des particuliers et pour une temps illimité, mais les détenteurs de ces terres n'avaient pas le droit de les aliéner. Ils n'en étaient donc pas les propriétaires, mais les occupants perpétuels. Sumer : à la fin de la période sumérienne, apparut une véritable propriété privée de la terre (33). Au contraire, les gouvernements des cités-temples antérieures semblent avoir exercé un strict contrôle sur la terre cultivable. Les documents jusqu'à présent déchiffrés ne révèlent l'existence d'aucune possession privée de terre semblable à celle attestée pour la société inca. L'Egypte pharaonique : outre la terre gouvernementale proprement dite et la terre concédée par le gouvernement (terre des temples et terre administrative), il existait des terres privées aliénables (34), mais le roi pouvait à tout moment annuler un droit de possession. D'une façon générale, la propriété foncière privée était plutôt l'exception que la règle (35). 2. - Sociétés hydrauliques semi-complexes. L'Inde : de nombreuses inscriptions témoignent, pour la dernière phase de l'Inde hindoue méridionale, de ce qui était
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déjà connu pour les périodes bouddhique et post-bouddhique '36), à savoir que « l a plupart des villages» étaient habités par des ryotwari (37) — c'est-à-dire par des paysans placés sous le contrôle direct de l'Etat. Cela implique que la propriété foncière privée n'a pu exister que dans une minorité (restreinte) de villages. La Mésopotamie : à la fin de la période sumérienne, et dans la société babylonienne, la propriété foncière privée apparaît clairement. Cette propriété devint-elle la forme prédominante de possession de la terre ? Si nous en avions la preuve, nous serions amenés à classer cette période, non dans la catégorie semi-complexe, mais dans la catégorie complexe. Les documents que nous possédons, cependant, semblent tout au plus indiquer un type de propriété semi-complexe. Tout au plus. Si le commerce d'Etat avait égalé ou dépassé le commerce privé durant une grande partie de la période babylonienne, nous nous trouverions devant une situation simple évoluée ou une situation semi-complexe en formation. Dans le monde sumérien — sous la troisième dynastie d'Ur — les textes font fréquemment mention de la propriété privée de champs aussi bien que de maisons et de jardins (38). Mais bien que les temples ne soient plus alors seuls à donner la terre en bail, ce sont eux qui sont encore le plus souvent mentionnés à ce propos (i). Pour Babylone, Meissner trouve que les terres les meilleures et les plus vastes étaient aux mains du gouvernement et des temples. « Ce qui restait de terre était propriété privée» (39). L'analyse que fait Schawe des conditions du fermage à cette époque, semble confirmer la théorie de Meissner : à Babylone, la terre était donnée en location « originellement par l'Etat et les temples, et ensuite, également par des personnes privées » (40). Cuq souligne la situation spécifique de la terre devenue privée à la suite d'un don royal (41 ). En même temps, il mentionne parmi les traits qui différencièrent la possession de la terre l'apparition (ou réapparition ?), sous les Kassites, de communautés qu'il caractérise comme tribales et fondées sur la parenté (42), mais qu'il compare aussi au mir russe (43) — c'est-à-dire à un type purement administratif de communauté rurale. Les unités rurales kassites sont encore mal connues dans leur détail (44),
(i) Schneider, 1920 : 58. Les nombreuses r é f é r e n c e s de H a c k m a n (1937 : 21 sqq.) aux champs, sont malheureusement souvent vagues q u a n t à leur r é g i m e de p r o p r i é t é .
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mais nous savons qu'elles s'articulaient avec l'appareil gouvernemental, à travers la personne de certains de leurs chefs et qu'elles réglementaient les possessions foncières de leurs membres, d'une manière assez peu différente de celle des calpulli mexicains et des ayllus incas. Au cours de la dernière phase de l'histoire babylonienne, les deux types de terre sous contrôle gouvernemental prévalaient encore — si l'état dans lequel les Perses trouvèrent la Mésopotamie peut servir d'indication pour la période néo-babylonienne. En Mésopotamie perse, il y avait : 1°) des terres d'Etat, en grande partie attribuées à des individus ; 2°) « de grandes étendues de terre » que possédaient des temples ; 3° ) des terres « prises en location par des individus ». Les deux premières catégories étaient évidemment très étendues : « Une grande partie de la terre étant en la possession de l'Etat et des temples, le nombre de transactions portant sur la terre est évidemment moindre que celui des autres ventes » (45). Là aussi, nous manquons de données statistiques, mais la citation cidessus suggère que le processus de « propriétisation » était plus avancé dans le domaine de la propriété mobilière qu'immobilière. La Perse : les Perses usèrent de la terre sous contrôle gouvernemental (et hors des cités grecques, cela représentait la quasi-totalité de la terre cultivée), à peu près comme les Babyloniens et les Sumériens l'avaient fait avant eux. Ils l'attribuaient à des membres de la Maison royale et à des amis du roi (certainement comme sinécure), h des fonctionnaires, à des soldats reclassés, à des personnes obligées d'approvisionner l'armée (en ce cas il s'agit évidemment de terre administrative) (46). Connaissant les conditions qui étaient celles de la terre administrative sous d'autres despotismes orientaux, nous n'avons aucune raison de douter que cette terre, comme la terre paysanne sous réglementation, ait été, comme l'affirme Rostovtzeff, terre d'Etat. La terre administrative perse n'était pas une institution féodale et elle ne suscita chez les Parthes aucun ordre féodal. Les grands possesseurs de terre parthes n'étaient pas des détenteurs de fiefs semi-autonomes consacrant la plus grande partie de leur temps à leurs affaires personnelles. Mais comme leurs prédécesseurs perses, c'étaient des fonctionnaires du gouvernement (j). (j) Christensen, 1933 : 307. Selon Christensen, le gouvernement parthe eut une forme « despotique » an moins aussi longtemps que la monarchie parthe fut unie (ibld.). L'ordre politique changea-t-il q u a n d la monarchie se d é s i n t é g r a en plusieurs royaumes ou provinces ? C'est bien s û r possible, mais nullement certain. Si l'on se r é f è r e à des cas semblables, il semble plus
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Les monarchies hellénistiques du Proche-Orient : la propriété foncière privée n'existait que dans les cités grecques (47), rares en Egypte, mais nombreuses en Asie mineure. Ces enclaves grecques exceptées, la terre était sous le contrôle du gouvernement et des temples attachés au gouvernement. Les souverains séleucides créèrent une grande étendue de terre privée au moyen de dons et de ventes (48) «à condition que le bénéficiaire joignît sa terre à quelque cité et en fît une terre de cité» (49) ; et naturellement, ils assignèrent des terres administratives à des soldats et probablement aussi à des fonctionnaires civils (50). Il ne semble pas que les rois de Pergame aient en rien porté atteinte au domaine royal. « Comme les Ptolémées, ils ont dû concéder à des fonctionnaires l'usage (précaire) de propriétés appartenant au domaine du roi » (51). En Egypte ptolémaïque « la terre privée signifiait à l'origine maison, jardins et vignes ; même la maison et le jardin d'un paysan royal étaient " privés ". Les Grecs l'appelaient parfois propriété mais c'était, comme toute autre forme ptolémaïque, non pas une propriété mais un usufruit ; en Egypte, mis à part les cités grecques, la propriété, ou le régime légal de toute terre, n'échappait jamais au roi » (52). C'est à la lumière de cette conclusion qu'il nous faut envisager l'existence de certaines terres à céréales « privées ». Rostovtzeff suggère l'existence de ce type de terre en Egypte pharaonique (53) ; et ce que nous savons de la période précédente confirme cette théorie. Cependant, nous devons nous rappeler d'abord l'instabilité qui au temps des pharaons caractérisait la propriété foncière en général et, en second lieu, l'emploi imprécis que faisaient les maîtres ptolémaïques (grecs) de l'Egypte, du terme « privé ». La terre « privée » dont les Ptolémées encouragèrent l'expansion était une « emphytéose réglementée » (54) — c'est-à-dire la location d'une « terre abandonnée » « pour une longue période (des centaines d'années) ou à perpétuité ». Les droits sur ce type de propriété étaient « transmissibles par aliénation ou succession et bénéficiaient, dans une certaine mesure, de la même protection que la pro-
probable que les royaumes parthes plus tardifs et plus restreints constituaient des E t a t s despotiques orientaux r é d u i t s , c o m p o r t a n t des familles dirigeantes qui d é t e n a i e n t de f a ç o n h é r é d i t a i r e des situations é m i n e n t e s au sein du gou. vernument, et p o s s é d a i e n t d'importantes é t e n d u e s de terre administrative.
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priété » (55). En développant l'emphytéose, les Ptolémées renforcèrent la tendance à la propriété foncière privée. Mais jusqu'à l'époque romaine cette tendance semble n'avoir pas dépassé une forme relativement forte de « possession foncière» (56). L'interlude romain : sous la domination romaine, la propriété privée se développa sur une grande échelle (57). Les raisons de cette évolution extraordinaire — et pourtant limitée — sont traitées plus loin, en relation avec l'analyse des types complexes de propriété. Le Proche-Orient islamique {les premiers siècles) : les conquérants arabes de l'Egypte et de la Syrie conservèrent la plupart des institutions byzantines (58), y compris les types de possession de la terre. Naturellement, de nombreux anciens possesseurs de domaines s'enfuirent (59) et ceux qui restèrent (60) perdirent leur droit de collecter les impôts pour le gouvernement (61). Concurremment, des Arabes éminents s'établirent sur les domaines privés à l'abandon et dans les anciens domaines d'Etat (62). Ces nouveaux possesseurs achetèrent et vendirent leurs terres et en firent un bien, qati'a (63), héréditaire (64). Mais le qati'a représentait une forme emphytéotique de possession (65) ; et il y a lieu de douter que les possesseurs aient pu étendre librement leur domaine en achetant dé la terre paysanne. Leurs prédécesseurs byzantins en étaient empêchés par la loi (66) ; et le nouvel Etat arabe était certainement aussi désireux que les fonctionnaires de l'Orient romain — et probablement plus capables — de protéger les villages réglementés. Apparemment, les possessions gati'a s'accrurent (67), mais demeurèrent aux mains d'un groupe limité de dirigeants. La masse des tribus arabes vivait en camps militaires (68) ; et ce ne fut qu'après plusieurs générations que les qati'a se répandirent dans les villages (69). II n'est pas nécessaire de suivre ici pas à pas le développement d'un nouveau système de propriété foncière dont les bénéficiaires étaient à la fois collecteurs d'impôts et possesseurs de terre administrative (70). Ce système apparaît comme un trait net et permanent de la société mameluk. La société mameluk : au début de la domination mameluk, pratiquement toute la terre cultivable d'Egypte était divisée en vingt-quatre unités, soit placées sous le contrôle direct du sultan, soit assignées en qualité de terre administrative (71). La terre privée, ou mulk, était «presque inexistante» (k). Son développement ultérieur se fit (k) P o l i a k , 1 9 3 9 : 36. P o l i a k p r é s u m e q u e les t e r r e s p r i v é e s é t a i e n t « n o m breuses » e n S y r i e a u d é b u t de l a d o m i n a t i o n m a m e l u k . 13
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« principalement » selon un processus complexe qui exigeai* d'un possesseur de terre administrative la restitution d'une partie de sa terre au Trésor, suivie de son rachat auprès du gouvernement, soit directement, soit par l'entremise d'un intermédiaire (72). Mais tandis que le mulk continua à s'accroître jusqu'à la fin de cette période, ce ne fut jamais que l'un des nombreux types de terre qu'un fonctionnaire (et généralement un fonctionnaire militaire) pouvait posséder. Outre sa terre administrative (iqtac) et son mulk, il pouvait aussi posséder une terre de pension (73) et pouvait aussi administrer un wakf fondé par lui (74) et qui vraisemblablement lui rapportait ainsi qu'à sa famille des revenus fixes, La Turquie ottomane : les sultans turcs établirent l'hégémonie de la terre d'Etat en abolissant officiellement la propriété privée pour l'ensemble de la terre (m). Il semble que, dès le début aient existé des « propriétaires fonciers proprement dits » (75) ; et des « notables » (a'yans) locaux acquirent le mulk peut-être grâce à des conversions de la terre administrative et autre (76). Mais jusqu'à la récente période de transition, la plus grande partie de la terre était sous le contrôle du gouvernement, qui en assignait une partie comme terre administrative ou wakf et taxait le reste par l'intermédiaire de ses fermiers de l'impôt (n). Les fermiers de l'impôt jouissaient de nombreuses prérogatives. Dans les provinces non arabes, ils pouvaient attribuer une ferme vacante (o) à un résident d'un autre village, mais « seulement après l'avoir offerte aux paysans du village auquel se rattachait la terre en question » (77). Dans les provinces arabes, leur situation au dix-huitième siècle était proche de celle des possesseurs de terre administrative militaire. En Egypte, ils reçurent un dixième de l'ensemble des terres des villages sous le nom de wasîya. Ils pouvaient vendre cette terre wasîya mais seulement à un autre fermier de l'impôt et à condition de remettre en même temps à l'acheteur une partie correspondante du secteur où ils exerçaient leur juridiction (78). Dans
(m) G i b b et Bowen, 1950 : 23G, 258. n. 4 ; voir P o l i a k , 1939 : 46. Cela concerne essentiellement la terre cultivable et les p â t u r a g e s . L e s fermes et les terres attenantes é t a i e n t toujours mulk ; et les vignes et vergers é t a i e n t g é n é r a l e m e n t a s s i m i l é s à la m ê m e c a t é g o r i e (Gibb et Bowen, 1950 : 236). (n) G i b b et Bowen, 1950 : 23?. Les auteurs citent un texte selon lequel « plus tard » les « Singhis » convertissaient c o u r a m m e n t l a terre d ' E t a t qu'ils p o s s é d a i e n t en p r o p r i é t é p r i v é e (ibid. : 188, n. 6). Malheureusement, la citation ne p r é c i s e ni la date a p p r o x i m a t i v e , ni l'ampleur de ce p h é n o m è n e . (o) Une ferme d o n t le p r o p r i é t a i r e mourait sans h é r i t i e r ( G i b b et Bowen, 1950 : 239).
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les provinces arabes, les fellahs pouvaient aliéner leur terre au profit « d'autres fellahs » (79). En ce qui concerne les territoires arabes, Gibb et Bowen affirment expressément que le responsable de la collecte de l'impôt « ne pouvait pas confisquer sa terre à un fellah, excepté pour non-payement de l'impôt» (80). Ainsi, tant dans les provinces non arabes que dans les provinces arabes, la majorité des paysans occupaient à titre héréditaire une terre soit assignée, soit réglementée par l'Etat (81). Les prérogatives des fermiers de l'impôt et des possesseurs de terres attribuées posent des problèmes importants ; mais tous se posent dans un contexte qui implique que le gouvernement a le contrôle de la terre. Etant donné que la terre ainsi réglementée représentait l'ensemble de la surface cultivée, nous pouvons dire que le Proche-Orient islamique jusqu'au 19 siècle était caractérisé par un type semi-complexe de propriété et de société orientales. La société maya : le système maya de possession de la terre n'apparaît pas clairement (82). Il existait probablement une propriété privée individuelle (83), mais la plus grande partie de la terre cultivable semble avoir été «collective» (réglementée) (84). Le Mexique pré-colonial : des sources anciennes concordantes montrent que l'ensemble -de la terre dans cette région comme au Yucatán et au Pérou, était sous contrôle gouvernemental. La grande majorité des paysans (et des citadins) étaient groupés en communautés réglementées (calpulli) (85). Mais il existait aussi certaines terres privées, les tierras proprias patrimoniales (86), cultivées par des mayeques (87), paysans attachés à la terre. Selon Zurita, la terre privée existait depuis longtemps (88). Avait-elle pour origine des dons ou des ventes ? Et comment ses possesseurs pouvaient-ils en disposer ? Des fonctionnaires locaux avaient le droit de vendre les terres des calpulli, quand à celles-ci n'étaient pas attachées des obligations ; et comme nous l'avons établi plus haut, les acquéreurs de ces terres — devenues aliénables — étaient soit des membres de familles dirigeantes, soit des «fonctionnaires ou des marchands» (89). Mais la plus grande partie de la terre calpulli était grevée d'importantes et permanentes obligations ; en effet, son revenu devait faire vivre soit les membres du calpulli eux-mêmes, soit les fonctionnaires du gouvernement local ou central ou encore des garnisons ou des temples (90). La quantité de terre cessible était donc restreinte (91). Nous ne savons pas exactement dans quelle proportion les tierras proprias patrimoniales avaient pour origine la vente de terres calpulli. Une partie, peut-être large, de e
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ces propriétés privées pouvait provenir de dons du souverain à des individus distingués. Au contraire des domaines allodiaux de l'Europe féodale, Ies tierras proprias patrimoniales restaient sous la juridiction du gouvernement (92) ; et à la différence des serfs des domaines allodiaux ou féodaux, les mayeques mexicains servaient le gouvernement « en temps de guerre ou de nécessité » (93). Cette formule permettait toutes les interprétations. Au Mexique aztèque comme dans d'autres sociétés hydrauliques, le gouvernement décidait unilatéralement des services exigés. L'intégrité des propriétés privées n'était pas protégée par le gouvernement puisque ce n'étaient pas des terres administratives. Et leurs propriétaires ne pouvaient pas en faire des terres inaliénables puisque ce n'étaient ni des domaines allodiaux ni des domaines féodaux : « No son de mayorazgo » (94). En fait si les terres privées du Mexique ancien ressemblaient aux sinécures des autres sociétés orientales, elles différaient totalement de la forte propriété foncière d'Europe féodale et post-féodale. Selon toute vraisemblance, elles occupaient une portion plus restreinte des terres cultivées que les terres privées de Babylone ou de la société islamique primitive. Selon une estimation, les possessions privées dans l'ancien Mexique étaient minimes (95). Selon une autre, au contraire, elles ont pu dépasser 10 % de la surface totale cultivée (p). 3. - Types complexes de propriété et de société hydrauliques. Nombreuses sont les sociétés orientales où la terre sous contrôle gouvernemental l'emportait en surface sur la terre privée. La terre privée était pratiquement inexistante dans les hautes civilisations d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale au moment de la conquête espagnole. Elle demeure un trait secondaire en Inde, à Sumer, à Babylone, en Perse, dans les monarchies hellénistiques du Proche-Orient et dans la société islamique. Durant les premières phases de la société chinoise étatique centralisée, elle semble avoir eu aussi peu d'importance qu'en Amérique précoloniale ; et quand la Chine, sous l'assaut des forces d'Asie centrale renonça temporairement aux formes libres de propriété foncière qui avaient prévalu à la fin de la période Tch'ou et au cours des dynasties impériales de Ts'in et (p) Ce chiffre fut s u g g é r é dans un m e m o r a n d u m sur le r é g i m e de possession des terres au Mexique p r é - c o l o n i a l , p r é p a r é pour la p r é s e n t e é t u d e par le D r P a u l Kirchhoff.
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Han, des types réglementés de possession de la terre l'emportèrent de nouveau. Ainsi, notre étude confirme-t-elle l'hypothèse que nous avons émise au début de notre analyse des régimes de possession de la terre hydraulique. Avant la période récente de désintégration et de transition institutionnelle, la terre privée a peut-être prévalu dans le Proche-Orient sous la domination romaine ; elle a certainement prévalu en Chine, de la fin du premier millénaire pré-chrétien jusqu'au 5" siècle de notre ère et, après trois siècles environ d'interruption, jusqu'à l'époque moderne. Le Proche-Orient romain : des pays classiquement hydrauliques, comme l'Egypte sous la domination romaine par exemple, ont-ils vraiment connu des types complexes de propriété ? Les conquérants y installèrent, en effet, un régime de propriété privée de la terre, selon les termes de la loi romaine régissant les provinces (96) ; et en Egypte byzantine, avant la conquête arabe, de vastes domaines étaient certainement en la possession des « puissants » les dynatoi. Mais quelle était l'ampleur de la propriété foncière au début de l'empire romain ? Et dans quelle mesure prévalut-elle au cours des 5" et 6* siècles ? Sous l'influence romaine, la terre privée se constitua au moyen de dons (97), de transferts de colonies militaires (terres administratives militaires) (98) et par la vente et l'attribution d'autres terres gouvernementales (99). On était bien loin des conditions hellénistiques. Mais même les historiens qui insistent sur les différences qualitatives (100) prennent soin d'en préciser les limitations quantitatives. La majeure partie de l'ancienne terre administrative militaire fut récupérée par le gouvernement immédiatement après la conquête (101) ; et des domaines privés temporairement créés par les dons et les ventes « la majeure partie » redevint bientôt propriété impériale (102). Ainsi, la « terre la meilleure continua-t-elle d'appartenir au domaine royal dans sa majorité et à porter le nom de terre royale » (q). Et puisque dans l'ensemble ce furent les plus vastes domaines que l'on confisqua, il semble que la terre privée ait essentiellement consisté en de petites
(q) Bell, 1948 : 73. L e s recherches de ces d e r n i è r e s dizaines d ' a n n é e s permettent à B e l l de confirmer ce que M o m m s e n avait a v a n c é en 1885, à s a v o i r que le domaine i m p é r i a l constituait « une partie c o n s i d é r a b l e de l a superficie totale à l ' é p o q u e romaine comme en un temps plus primitif » (Mommsen, 1921 : 573). J o h n s o n et W e s t (1949 : 22) mentionnent « l'accaparement de l a plus rande partie de l a terre arable au profit de la Couronne [romaine] » ; et ohnson (1951 : trouve « n é g l i g e a b l e . . . la q u a n t i t é de terre p r i v é e à l ' é p o q u e romaine ».
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propriétés. Cela est particulièrement vrai pour l'Egypte et pour l'Asie mineure. La proportion de grands domaines serait plus grande en Syrie et en Palestine (103). Il semble que la propriété foncière privée ait atteint une seconde apogée à la veille de la conquête arabe, particulièrement en Egypte byzantine. Quelles étaient les conditions réelles de possession de la terre en Egypte durant cette période ? Les paysans qui en raison des extrêmes exigences fiscales montraient de plus en plus de répugnance à cultiver la terre — nombre d'entre eux s'enfuirent de leur village — devinrent l'objet de complexes mesures de « réforme ». Le contrôle du gouvernement sous forme d'un fermage permanent et obligatoire (epibolè) se fit de plus en plus strict (104). De plus en plus, les paysans furent les possesseurs permanents d'une terre qu'il leur était interdit de quitter. En qualité de coloni ils étaient attachés à la terre qui, à partir de cette époque et dans les limites d'une communauté rurale sous stricte réglementation, devint leur possession «privée» (105). Des charges fiscales toujours aussi lourdes incitèrent de nombreux villages à se chercher des protecteurs « puissants », surtout des membres de la classe gouvernante, et à se placer sous la protection de l'Eglise (106). Ces personnages désignés jusqu'en 415 par le terme de patroni (107), n'exerçaient pas leur autorité partout — de nombreux villages restèrent directement subordonnés au fisc et à l'administration impériale (108). Et ces personnages n'intégrèrent pas non plus « leurs » paysans dans une économie de type domanial sur une vaste échelle (109) ; mais faute d'un meilleur terme, on nomme généralement leurs possessions des « domaines ». L'édit de 415, qui reconnaissait la situation des grands propriétaires fonciers, réaffirmait les droits du gouvernement sur la contribution fiscale et la corvée que les coloni possesseurs de terre avaient auparavant payée et accomplie (110). Les possesseurs de nouveaux domaines furent chargés de la collecte de l'impôt auprès de leurs coloni pour le compte du gouvernement. Mais bien que cette fonction concédât aux nouveaux propriétaires un grand pouvoir (111), l'Etat maintint ses droits fiscaux sans compromis : « le taux de l'impôt était le même pour tous» (112). Ainsi, les possesseurs de domaines ne possédaient aucune prérogative sur ce point capital de la fiscalité : « il n'y a aucune preuve que l'imposition ait été plus légère pour eux que pour d'autres» (r). e
(r) J o h n s o n et West, 1949 : 240. A u x 2» et 3 s i è c l e s , les collecteurs d ' i m p ô t semblent avoir é t é soit des groupes m u n i c i p a u x , soit des hommes
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Sous Justinien (c'est-à-dire en 538), le gouvernement byzantin exigeait de l'Egypte un impôt supérieur à celui qui est mentionné pour l'époque d'Auguste (113). Ce fait pose un certain nombre de questions non encore résolues (114). En ce qui nous concerne, il suffit de remarquer que le gouvernement byzantin était capable de taxer les paysans égyptiens avec autant de précision et d'efficacité que les Romains au temps de leur tout-puissant premier empereur. Naturellement il y avait en Egypte, à la fin de la période byzantine, de vastes propriétés foncières privées : les domaines. Ces domaines se formèrent sous un gouvernement bureaucratique ; ils étaient principalement entre les mains de propriétaires bureaucrates ; et ils étaient organisés d'une manière bureaucratique très caractéristique (s). Cela nous le savons. Nous ne savons pas cependant « si ces domaines d'Egypte étaient propriété privée ou cédés en bail par les autorités impériales et ecclésiastiques ou même par de petits fermiers» (115). Nous ne savons pas non plus si ces domaines, avant la conquête arabe, représentaient plus de la moitié de la terre cultivable. La
d'affaires à qui des fonctions fiscales é t a i e n t i m p o s é e s à titre de « liturgie ». Le gouvernement se servit de ces obligations liturgiques p o u r d é t r u i r e l a force é c o n o m i q u e des groupes f o n d é s sur l a p r o p r i é t é ( Wallace, 1938 : 347 sqq.) ; et il t r a n s f é r a les t â c h e s fiscales aux p r o p r i é t a i r e s fonciers bureaucrates q u i , é t a n t mieux o r g a n i s é s politiquement, r é u s s i r e n t l à o ù les entrepreneurs p r i v é s avaient é c h o u é . Mais ces p r o p r i é t a i r e s fonciers n ' é t a i e n t en a u c u n cas des seigneurs f é o d a u x capables de s'approprier l'ensemble de l ' e x c é d e n t r u r a l par eux c o l l e c t é . D u 4 au 6 ° s i è c l e , les collecteurs b y z a n t i n s r e ç u r e n t g é n é ralement une commission d'environ 2 % sur la collecte du b l é , 2,5 % sur l'orge et 5 % sur le v i n et le porc (Johnson et West, 1949 : 328, v o i r 290). Nous ne savons pas si ces pourcentages é t a i e n t é g a l e m e n t valables p o u r l'Egypte (ibid.) ; mais nous savons que le collecteur d ' i m p ô t é g y p t i e n a v a i t droit à une commission allant de un h u i t i è m e à u n d o u z i è m e de l ' i m p ô t c o l l e c t é en argent (ibid. : 268, 284), c ' e s t - à - d i r e , s ' é l e v a n t de 8 à 15 % . Des manipulations l u i permettaient de grossir sa p a r t j u s q u ' à 10 à 20 % de l ' i m p ô t en e s p è c e s (ibid. : 268, 284 sqq.). (s) Bell pense q u ' à la d i f f é r e n c e de la seigneurie f é o d a l e de l'Occident q u i « é t a i t une r é p l i q u e en miniature d u royaume auquel elle appartenait », le domaine en E g y p t e byzantine « é t a i t un m o d è l e r é d u i t de l'empire bureaucratique dont il faisait partie ; son organisation et sa h i é r a r c h i e de fonctionnaires é t a i e n t c a l q u é e s sur la bureaucratie i m p é r i a l e . E n fait, il est parfois impossible devant un p a p y r u s de cette é p o q u e , de d é c i d e r si les personnes dont on mentionne les titres, sont des fonctionnaires i m p é r i a u x ou les serviteurs d'une grande famille » (Bell, 1948 : 123 sqq.). Cet e m p i é t e m e n t r é c i p r o q u e des titres, loin d ' ê t r e accidentel, r e f l è t e un e m p i é t e m e n t des situations. L e s p r o p r i é t a i r e s de ces domaines é t a i e n t pour la p l u p a r t , sinon exclusivement, des membres actifs ou non de la classe gouvernante, qui m ê m e dans leur rôle de p r o p r i é t a i r e s fonciers faisaient office de semi-fonctionnaires : collecteurs d ' i m p ô t et chefs de c o r v é e h y d r a u l i q u e et non h y d r a u l i q u e . e
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loi interdisait au possesseur de domaine d'acheter de la terre paysanne à son gré, et selon Johnson (116), «rien ne prouve » que cette législation « ait jamais été lettre morte ». Le régime de possession foncière, même si celle-ci avait caractère de propriété, était légalement limité. La liberté des paysans, est-il besoin de le répéter, était encore plus strictement restreinte. Les données historiques que nous possédons donnent lieu de penser que dans des pays du Proche-Orient comme l'Egypte, la propriété privée ne prévalut pas au début de la période romaine, et ne laissent guère supposer que ce type de propriété se soit répandu plus tard de manière à instaurer, même temporairement, des types complexes de propriété et de société. La Chine : des chroniques historiques qui ne sont pas sujettes à caution rapportent qu'au 4" siècle avant notre ère, dans la province de Ch'in, le système qui réglementait les champs fut aboli, et qu'à partir de cette époque, on put acheter et vendre librement la terre (117). Les chroniques qui traitent des dynasties impériales de Ts'in et Han indiquent qu'après l'unification de la Chine, la propriété foncière privée prévalut de façon générale (118). Lorsqu'au premier siècle avant notre ère, les marchands accumulèrent des fortunes mobilières et immobilières importantes, le gouvernement prit une série de mesures fiscales radicales en vue de réduire leur richesse, et un édit de 119 avant notre ère leur interdit de posséder de la terre (119) ; mais cet édit ne concernait pas les transferts de terre entre les autres classes, et même dans le cas des marchands, il semble que l'édit n'ait été appliqué que de façon temporaire. Malheureusement, bien des aspects importants du développement agraire ne sont pas explicités par les sources historiques ; et cela est vrai aussi bien pour la première période, celle où les relations de propriété sont complexes, que pour l'ordre agraire réglementé qui fut institué ultérieurement au 5 siècle de notre ère, et dura jusqu'au milieu du 8* siècle. Cependant les renseignements que nous possédons suffisent à éclairer au moins les tendances dominantes de ces périodes (120). Au cours du dernier millénaire, les dynasties de conquête réservèrent des terres pour leurs guerriers tribaux et pour certains Chinois qui s'étaient joints aux armées conquérantes ; mais pour la masse des sujets chinois ils maintinrent le régime de la propriété privée. On a évalué que durant la dernière phase de la dynastie Ts'ing (mandchoue), la totalité de la terre militaire que possédaient les soldats mandchous, mongols et e
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chinois représentait environ 4 %, et la terre sous régime de propriété privée presque 93 % (t). Bien qu'avant cette phase, la terre non gouvernementale ait pu ne pas dépasser la moitié de la totalité des terres (121), et bien qu'une série de clauses légales aient accordé un droit d'option (en premier lieu) aux membres de la famille (122), il semble évident que la Chine alla plus loin qu'aucune grande civilisation orientale dans l'instauration et le maintien d'un régime de propriété privée. Les raisons d'un état de fait si exceptionnel ne sont pas claires. Mais certains traits sont significatifs. En Chine, les transformations critiques se produisirent après le milieu du premier millénaire avant notre ère, époque où plusieurs éléments importants pour l'agriculture apparurent simultanément : l'emploi des bœufs pour le labourage, l'emploi du fer, et la pratique de i'équitation. Nous hésitons à rejeter comme fortuite cette coïncidence. Aucun de ces éléments n'apparut dans les zones hydrauliques de l'Amérique pré-coloniale ; dans le Proche-Orient et aux Indes, ils apparurent séparément au cours d'un développement plus lent. Pour ces deux régions, le labourage à l'aide d'animaux de trait était connu dès le début de l'histoire écrite, tandis que l'emploi du fer se répandit plus tard, et I'équitation plus tard encore. Est-il possible que l'apparition simultanée de nouvelles techniques de production agricole, de la coercition militaire et de communications rapides (et la certitude que ces deux derniers éléments assuraient le maintien du contrôle gouvernemental) ait encouragé les maîtres de la société chinoise à expérimenter hardiment des formes extrêmement libres de propriété foncière ? Quelles qu'aient été les raisons de ce pas décisif, une fois accompli, il se trouva politiquement applicable, et rentable du point de vue agronomique et fiscal. Le développement chinois — qui requiert un examen plus approfondi — est remarquable non seulement par sa réussite, mais aussi par ses limites géographiques. Il semble en effet s'être étendu à certains des voisins méridionaux de la Chine, en particulier du Siam. Mais malgré de nombreux contacts culturels avec les pays
(t) l i u c k , 1937 : 193. Selon des estimations du D r l i u o k , l a terre p r i v é e r e p r é s e n t e r a i t 92,7 % de l'ensemble, la terre a s s i g n é e aux nobles mandchous réunie à la « terre de la couronne » r e p r é s e n t e r a i t 3,2 % et la « terre d u gouvernement » (terre r é s e r v é e à l'entretien des é c o l e s ou à u n usage religieux [culte d'Etat]) 4,1 % . Ces d o n n é e s sont a p p r o x i m a t i v e s . Elles ne tiennent pas compte des terres ancestrales p r i v é e s et des terres des temples, lesquelles, selon la m ê m e source, r e p r é s e n t e r a i e n t moins de 0,05 % .
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d'Asie plus éloignés, le système chinois de propriété privée ne dépassa pas les limites de son pays d'origine. 3. - Q U E L E S T L E D E G R É D E L I B E R T É D E L A P R O P R I É T É FONCIÈRE P R I V É E D A N S L A SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E ?
La propriété foncière privée existait donc dans plusieurs civilisations hydrauliques ; mais, mis à part une brève et récente période de transition, les terres privées, dans leur totalité, étaient inférieures en étendue aux terres publiques. Mieux encore. Là même où la propriété foncière privée prévalut on ne la laissa pas atteindre le niveau de liberté qui est possible dans une société non hydraulique à centres multiples. a. - Restrictions imposées despoiiquement privée, contre restrictions instaurées ment.
à la propriété démocratique-
Evidemment, en aucune société, un propriétaire ne dispose d'un droit absolu sur ce qui lui appartient. Même dans les conditions d'une propriété forte, le propriétaire de briques, s'il peut les vendre ou les conserver, ou les utiliser pour construire une maison, n'a pas le droit de les envoyer à la tête de son voisin. L'accent porté, dans la Rome primitive sur le droit souverain du propriétaire, s'il est significatif du point de vue fiscal, n'est pas socialement valable. Même fiscalement, le possesseur d'une propriété forte n'est pas nécessairement libre de toute obligation. Dans les plus libres des communautés, il faut entretenir un minimum de fonctionnaires publics, et dans ce cas, les citoyens peuvent se trouver dans l'obligation de prélever sur leur propriété pour répondre à cette nécessité. Des contributions prélevées sur la propriété privée, destinées à l'entretien du gouvernement, ne seront utilisées que dans le cas d'une nécessité absolue et justifiée, lorsque les forces de la société, fondées sur la propriété privée, sont capables de maintenir le gouvernement dans son rôle de serviteur public. De telles contributions iront croissant et seront dépensées plus librement là où un gouvernement imparfaitement contrôlé décide en partie de son propre budget. Elles seront imposées de façon unilatérale et avec pour but premier les intérêts des hommes au pouvoir lorsqu'un Etat plus fort que la société empêche les représentants de la propriété de protéger leurs intérêts. C'est dans des conditions du premier type que nous trouvons une propriété forte, et cependant jamais absolue. Et c'est dans les
LA
PROPRIÉTÉ
DANS L A S O C I É T É
HYDRAULIQUE
(7,
H)
355
conditions du troisième type que la propriété est faible. Dans la société hydraulique, la propriété mobilière, comme la propriété immobilière, reste faible même là où la propriété foncière privée l'emporte quantitativement sur la terre d'Etat. b. - Restrictions apportées à la liberté de jouir de la propriété, d'en user, de la transférer et de l'organiser. Le despotisme oriental restreint arbitrairement la liberté du propriétaire : celui-ci n'est pas libre de profiter de ses propriétés, de décider de leur emploi, d'en disposer librement (par testament), et de les protéger au moyen d'une organisation politique. Le gouvernement agro-directorial exige une taxe de tous les possesseurs de terre, soit pour son usage propre, soit pour celui de personnes ou d'institutions (temples, mosquées, églises) particulièrement privilégiées ; et il décide arbitrairement de l'impôt foncier, selon son propre critère de rationalité (celui du souverain). Le fermage peut stratifier le secteur de la propriété ; et le rapport variable des forces respectives des autorités centrales et locales peut modifier la distribution des revenus d'Etat à l'intérieur de l'ordre bureaucratique. Mais ni l'une ni l'autre de ces conditions n'affecte la disposition fondamentale selon laquelle les propriétaires et/ou les possesseurs de la terre doivent livrer une part importante de leur revenu aux représentants de l'Etat. Au premier degré, cette disposition vise à l'appropriation des fruits d'une propriété foncière mise en valeur. Indirectement, elle influence aussi (et limite) l'emploi virtuel d'une terre donnée. Le gouvernement fonde ses exigences fiscales sur l'évaluation de la récolte que l'occupant paysan (ou le propriétaire) peut en obtenir. Cela oblige l'agriculteur à cultiver dans son champ la variété standard, ou un équivalent acceptable. A l'occasion, et particulièrement dans des ordres agraires réglementés, le gouvernement peut prescrire expressément la culture de telles plantes ou de tels arbres (riz, blé, olives, chanvre, coton, mûriers) ; et dans ces cas, le propriétaire n'est absolument plus libre de décider de l'emploi de sa terre. Fréquemment cependant, le gouvernement se contente d'établir le montant de la taxe à payer. Dans un cas comme dans l'autre, le résultat est un type brutal d'économie planifiée, qui limite de façon appréciable la liberté de choix et d'action du cultivateur. Nous avons déjà analysé les restrictions apportées à la liberté de tester, et à la liberté de s'organiser en vue de la défense de la propriété. Les lois hydrauliques sur l'héritage morcellent la terre privée. L'impossibilité dans
356
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
laquelle se trouve le propriétaire foncier de consolider sa situation de propriétaire au moyen d'organisations indépendantes, nationales et politiquement efficaces, est aussi sensible dans les sociétés hydrauliques complexes et semicomplexes que dans les sociétés hydrauliques simples. Cela ne veut pas dire que la prédominance de la propriété foncière privée et l'expansion de ce régime de propriété dans les civilisations comme celle par exemple de la Chine traditionnelle, aient été sans incidence sociale. Au contraire. Mais l'expansion de la propriété foncière, qui modifia sensiblement les relations entre les fractions actives et non actives (aristocratie rurale) de la classe dirigeante, n'eut pas pour conséquence la consolidation de la propriété foncière ni la formation d'organisations indépendantes de propriétaires fonciers. Fiscalement, légalement, et politiquement parlant, la propriété foncière privée était aussi faible lors de l'effondrement final de la société chinoise traditionnelle qu'elle l'avait été à sa naissance. /. — L'EFFET DE LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE SUR LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE 1. DU
- L A PERPÉTUATION MAINTIEN
D E L A SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E
PAR L E GOUVERNEMENT
DE
SES
DÉPEND
RELATIONS
DE PROPRIÉTÉ
De cet ensemble de faits on peut tirer certaines conclusions générales. Tout d'abord, la société hydraulique, comme d'autres formations institutionnelles, connaît la propriété privée. L'existence humaine, considérée durant une certaine période de temps, est impossible sans la reconnaissance publique et la normalisation des relations entre les gens et les choses ou les services. Même un condamné possède ses vêtements durant le laps de temps où il les porte ; et nombre d'esclaves possédaient non seulement leurs vêtements, mais encore un certain nombre d'objets. Un serf possédait nombre de choses en plus de sa terre. Dans la plupart des cas la possession — et, naturellement la propriété — sont reconnues par la coutume. Là où existent des lois écrites, d'importantes formes de propriété peuvent être reconnues et réglementées par des statuts spéciaux. Cela est vrai pour toutes les sociétés, y compris pour celles qui sont soumises à un régime despotique. Les considérations de rationalité les plus élémentaires exigent que
LA P R O P R I É T É D A N S L A S O C I É T É H Y D R A U L I Q U E
(7, I)
357
même ceux qui élaborent — et modifient — les lois de façon unilatérale et despotique, fassent la preuve de leur légitimité en ne les modifiant pas arbitrairement. Plus un souverain observe strictement les lois qu'il a imposées à ses sujets, plus son coefficient de rationalité est élevé. Cela est valable également pour les réglementations de la propriété privée. Le despote oriental peut acheter et vendre la terre (1). Il peut employer des artisans qui fabriquent pour lui des objets, et il peut parfois les payer généreusement. Il peut aussi acheter directement aux marchands. Dans tous ces cas, il peut, mais pas nécessairement — fixer un prix bas. En Russie moscovite, il semble que c'ait été la règle (2), et en Inde hindoue, les marchands devaient accepter ie prix, quel qu'il soit, que l'intendant du roi jugeait convenable (3). Mais le fait que le souverain et ses fonctionnaires aient payé pour certaines marchandises et certains services n'efface pas le caractère despotique du régime. Cela montre seulement que de temps à autre, le régime despotique procédait selon les réglementations légales et économiques qu'il avait lui-même instaurées. Ce qui est vrai pour le despotisme oriental l'est aussi pour les appareils d'Etats modernes et industriels. Un observateur superficiel peut se contenter de l'existence de lois concernant la propriété. Mais aucun analyste réaliste ne jugera le gouvernement de Hitler démocratique parce qu'il disposa des biens juifs conformément aux lois de Nuremberg. Et il ne niera pas non plus le caractère absolutiste de l'Etat soviétique à ses débuts sous prétexte que l'Etat achetait à un prix fixé par le gouvernement les céréales produites individuellement par les paysans. 2. ET
- COMPLEXITÉ CROISSANTE DE L A PROPRIÉTÉ COMPLEXITÉ
CROISSANTE
D E L A SOCIÉTÉ
La propriété hydraulique est un trait essentiel de la société hydraulique qui se présente sous des formes diverses. La propriété privée peut prendre une ampleur considérable dans l'industrie et le commerce ; elle peut progresser, devenir même prépondérante, en agriculture. Les représentants des types de propriété complexe et semicomplexe peuvent entretenir entre eux et avec l'Etat des relations qui diffèrent sensiblement de celles qu'entretiennent les représentants de types simples de propriété. Ce fait nous permet de distinguer, sur la base de différents types de propriété, différents sous-types de cet ordre social général.
358 3.
LE
-
LA
PETITE
ÉCONOMIQUE
DESPOTISME
PROPRIÉTÉ
CONSIDÉRABLE
ORIENTAL
REPRÉSENTE
MAIS
UN
STIMULANT
NON U N POUVOIR
POLITIQUE
a. - Stimulants inhérents à la possession et à la propriété privées. Les avantages techniques qu'assurent des procédés propres à d'imposantes équipes de travail peuvent égaler ou dépasser ceux qu'obtiendra l'effort individuel ou le travail d'un petit groupe familial. Mais lorsque les avantages techniques sont insignifiants ou inexistants, l'incitation à l'action individuelle devient de plus en plus puissante. L'action individuelle ne se fonde pas nécessairement sur la propriété. L'occupant d'un lopin de terre peut n'en être que le possesseur, mais avant l'époque du machinisme, sa production dépasse probablement dans des conditions techniques comparables, celle du membre d'une équipe travaillant pour un salaire. Dans tout le monde hydraulique nous voyons donc les paysans travailler leur terre individuellement plutôt que collectivement ; et là où les animaux de trait accrurent les avantages de la culture individuelle, le travail paysan sur une petite échelle remplaça aussi le seul système logique d'agriculture collective, le système du champ public. Dans l'artisanat et le commerce, l'entreprise privée se fonde généralement sur la propriété privée. En agriculture la possession privée est d'ordinaire suffisante pour inciter le paysan à travailler avec le plus grand soin. Le fermage, comme la propriété privée paysanne, a créé une agriculture comparable pour l'intensité à l'horticulture. Le désir du fermier d'acquérir la propriété de sa terre est bien sûr extrêmement fort. Même dans les conditions fiscales les plus iniques, la plupart des propriétaires paysans s'accrochent à leur terre dans l'espoir que l'oppression fiscale déraisonnable va s'alléger avant qu'ils ne soient obligés d'abandonner leur propriété. L'artisanat privé fondé sur la propriété a créé nombre de ces beaux objets (tissus, objets de bois, de cuir, de métal) qui font la joie du spécialiste des civilisations hydrauliques ; et les paysans hydrauliques qui cultivaient leurs champs individuellement dépassaient en habileté et en productivité les serfs de l'Europe médiévale. Il en était ainsi même quand les paysans n'étaient que les occupants héréditaires d'une terre réglementée ; et à plus forte raison quand ils étaient fermiers ou propriétaires privés. Il n'est pas du tout invraisemblable que l'exceptionnelle
LA
PROPRIÉTÉ
DANS
L A SOCIÉTÉ
HYDRAULIQUE
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359
intensité de l'agriculture chinoise soit due au fait que la propriété paysanne privée a été ici plus répandue que dans toute autre grande civilisation hydraulique (a). b. - Une propriété au rabais. La petite propriété privée, à la fois possession et propriété, était importante dans les sociétés hydrauliques de type semi-complexe. Elle devint encore plus importante, et en particulier dans le domaine agraire, dans les sociétés orientales complexes. Dans l'un et l'autre cas, devint-elle une force politique importante ? Si on se place dans le cadre d'une société à centres multiples, fondée sur la propriété privée, la question est tout à fait logique. Des petits propriétaires (artisans et paysans) jouèrent dans la Grèce classique un rôle sans cesse croissant. Des artisans indépendants eurent aussi une situation eminente dans bien des cités corporatives de l'Europe médiévale ; et, unis aux paysans, ils constituèrent un élément de poids dans les gouvernements démocratiques de la Suisse. Dans un certain nombre d'Etats agraires des EtatsUnis qui ne sont pas envahis par les fermes géantes et la production extensive, le vote des fermiers est un facteur décisif. Bien qu'aujourd'hui les fermiers comptent pour moins de 15 % dans l'ensemble de la main-d'œuvre des Etats-Unis, ils sont mieux organisés que jamais, et ils représentent encore une force politique importante tant sur le plan régional que sur le plan national. Il n'est pas nécessaire ici de souligner l'importance politique des travailleurs — groupe dont la valeur économique essentielle réside dans sa capacité de travail. Les travailleurs libres devinrent une force politique en Grèce antique dans un certain nombre de cités, durant la dernière phase de leur indépendance. Organisés professionnellement et politiquement, les représentants de cette forme de pro-
(a) Les f é o d a u x possesseurs de terres au J a p o n n'entreprenaient pas de cultures de type d o m a n i a l sur une vaste é c h e l l e comme le faisaient leurs homologues e u r o p é e n s ; et les paysans japonais cultivaient leur terre individuellement et dans des conditions q u i ressemblaient davantage au fermage q u ' a u servage. S u r la base d'une é c o n o m i e d'irrigation e x t r ê m e m e n t r a f f i n é e , ils se l i v r è r e n t aussi à un type semi-horticole de culture. Ce p h é n o m è n e ne s'explique pas par le seul fait de la p r o x i m i t é g é o g r a p h i q u e . L e s Japonais n ' a d o p t è r e n t pas l'absolutisme bureaucratique semi-directorial de la Chine ; et ils n'emprunt è r e n t pas non plus à leurs voisins continentaux leur s y s t è m e de p r o p r i é t é f o n c i è r e p r i v é e . Mais dans le cadre d'un ensemble f é o d a l de relations sociales et de pouvoir, les nobles japonais s u s c i t è r e n t , autant que le permettait le type g é n é r a l de leur s o c i é t é , chez leurs paysans des aspirations vers la p r o p r i é t é .
3óO
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
priété individuelle ont, dans certains pays industriels, l'Australie, ia Suède, l'Angleterre, par exemple, assumé le pouvoir politique, même dans le domaine de l'économie nationale ; et dans bien d'autres, y compris les Etats-Unis, leur situation politique s'est rapidement améliorée. Les petits propriétaires et les travailleurs n'ont joué aucun rôle comparable dans le monde hydraulique. En ce qui concerne les travailleurs, le problème est simple. Personnellement libres, les ouvriers salariés ont existé dans nombre de civilisations hydrauliques (4). Les manœuvres n'avaient pas d'organisation la plupart du temps. Les travailleurs spécialisés étaient souvent organisés en groupements professionnels locaux et isolés. Mais même quand ils ne faisaient pas l'objet d'une surveillance stricte de la part du gouvernement, ils ne constituaient guère qu'un cas d'auto-gestion sans portée politique, une démocratie au rabais. Et les propriétaires paysans ? Qu'ils eussent la terre en possession ou en propriété, ils restèrent les représentants d'un type fragmentaire de propriété et d'entreprise. Tout au plus leur permit-on de traiter de leurs propres affaires locales dans le cadre de ce qui était la version rurale de la démocratie au rabais, la communauté de village. Du point de vue de la bureaucratie absolutiste, la propriété, tant celle des artisans que celle des paysans était une propriété au rabais, une propriété économiquement fragmentée et politiquement impuissante (b).
(b) L e s paysans c o n s t i t u è r e n t - i l s une menace é c o n o m i q u e et politique au cours de la p r e m i è r e p é r i o d e d u r é g i m e s o v i é t i q u e ? B i e n avant 1917, L é n i n e soulignait le danger que r e p r é s e n t a i t toute p r o p r i é t é p r i v é e (y compris la terre paysanne) pour un r é g i m e socialiste (voir L é n i n e , S, I X : 66-67, 213-14, et passim) ; et a p r è s que son parti eut é t a b l i son pouvoir dictatorial avec l'appui des paysans à q u i on avait « d o n n é » des terres, il resta d u m ê m e avis (ibid. : X X V I I : 303 sqq. ; X X X I : 483 sqq.). Il affirmait que l a p r o p r i é t é transforme les hommes en « b ê t e s sauvages » (ibid., X X X : 418) ; et i l appela les petits bourgeois et les petits paysans des r e c r é a t e u r s en puissance d u capitalisme, et par c o n s é q u e n t un danger permanent pour l ' E t a t s o v i é t i q u e (ibid., X X V I I : 303 sqq. ; X X X I : 483). E n 1918, puis en 1921, L é n i n e d é s i g n a ces petits bourgeois comme les « ennemis p r i n c i p a u x » de son r é g i m e (>!>i<¿., X X X I I : 339). A la veille d u premier plan quinquennal, Staline r é p é t a la formule de L é n i n e selon laquelle les petits producteurs sont « la d e r n i è r e classe capitaliste » (ibid., X X X I I : 460). Il souligna l a t h é o r i e selon laquelle cette classe « nourrit dans ses rangs des capitalistes, et ne peut s ' e m p ê c h e r d'en produire de f a ç o n constante et continue » (Staline, 1942 : 102). Rien ne montre que L é n i n e et Staline aient f o n d é leurs t h é o r i e s sur une é t u d e s é r i e u s e de l a situation des petits p r o p r i é t a i r e s paysans sous un pouvoir é t a t i q u e absolutiste. Les accusations pseudo-scientifiques de Staline, en 1928, ne servirent q u ' à p r é p a r e r la bureaucratie s o v i é t i q u e et le peuple s o v i é t i q u e à la l i q u i d a t i o n totale de la p r o p r i é t é paysanne p r i v é e .
LA P R O P R I É T É DANS L A SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E (7, 4. - L A P R O P R I É T É POLITIQUE
MÊME
COMMERCIALE
LORSQU'ON
EST
L U I LAISSE
SANS
I)
361
IMPORTANCE
TOUTE
LATITUDE
DE SE DÉVELOPPER
Dans certaines conditions, les représentants du despotisme oriental trouvèrent avantageux de laisser la majeure partie du commerce aux mains des hommes d'affaires privés. Dans ce cas, certains marchands devinrent fabuleusement riches et quelques-uns conquirent une situation sociale distinguée. Nous n'excluons pas l'éventualité d'une participation des grands marchands, en tant que groupe, au fonctionnement des gouvernements despotiques ; mais les documents que nous possédons n'attestent pas l'existence d'un tel développement comme un trait caractéristique, pour aucune grande société hydraulique semi-complexe ou complexe. A Babylone, en Inde bouddhique, en Amérique centrale précoloniale, au Proche-Orient islamique et en Chine impériale, la grande propriété marchande, même lorsqu'elle participait à des opérations d'envergure, resta sans portée politique. 5. - LA HICHESSE E T L E S P R O B L È M E S Q U ' E L L E A L'INTÉRIEUR
DE L A CLASSE
POSE
DIRIGEANTE
Des problèmes de propriété d'un genre très différent se posent à l'intérieur de la classe gouvernementale. Dans les sociétés hydrauliques simples, la presque totalité du surplus national est accaparé par le souverain et ses servants. Et même lorsque des groupes intermédiaires, celui des marchands par exemple, ont la faculté de retirer de leurs transactions un profit considérable, la classe gouvernante continue à monopoliser la plus grande partie de la richesse du pays. Les membres de la Cour et les fonctionnaires peuvent recevoir leur part de cette richesse, soit sous forme de terres assignées (terres administratives ou sinécures), soit sous forme de salaires (en nature ou en espèces). Dans les deux cas, le revenu se fonde sur le pouvoir que possède le gouvernement d'exercer son contrôle sur la terre et de taxer les gens. Et dans les deux cas, il devient propriété privée (bureaucratique). Les bénéficiaires peuvent le dépenser entièrement ; ou en mettre une partie de côté sous forme d'épargne ou sous forme d'investissements. Ces deux types d'emploi impliquent le problème de l'hédonisme bureaucratique ; le second pose, de plus, le problème de la propriété et du capitalisme bureaucratiques.
362
L E DESPOTISME
ORIENTAL
a. - Hédonisme bureaucratique. L'hédonisme bureaucratique peut se définir comme l'art de profiter de sa richesse sans s'attirer l'envie des hauts fonctionnaires ou la colère destructrice du despote (5). Cet hédonisme peut être rendu plus complexe quand il y a épargne et investissements. Mais si les membres de la classe dirigeante se montrent toujours avides de profiter de leurs richesses aussi longtemps que ces richesses leur procurent du plaisir, ce désir de jouissance prendra des formes différentes dans des circonstances différentes. Pourtant le désir de dépenser sa richesse suivant son bon plaisir et de mener bonne vie prévaut, même dans les sociétés hydrauliques complexes, partout où la possibilité de posséder de la terre encourage à l'économie et à l'épargne (c). Souvent, et particulièrement dans le cas de fonctionnaires très haut placés et perpétuellement menacés, les vizirs, les chanceliers, ou les « premiers ministres » par exemple, la joie de vivre •(* ) dans ces milieux de bureaucrates se manifeste de façon spectaculaire (6). b. - Propriété
et capitalisme bureaucratiques.
Même le fonctionnaire le plus amoureux du luxe cherche habituellement à mettre de côté une partie de son revenu. Après tout, rien ne l'assure qu'il conservera toujours sa charge ; il lui faudra toujours nourrir sa famille, donner une éducation à ses enfants en vue du plus enviable de tous les buts : une carrière gouvernementale. Donc le fonctionnaire prévoyant enfouit dans la terre des métaux précieux et des joyaux. Ou mieux encore il convertit sa fortune passive en richesse active. Il achète de la terre qu'il louera et/ou il emploie ses fonds avantageusement dans des entreprises gouvernementales (particulièrement la collecte de l'impôt) ; il se fait prêteur d'argent, ou associé dans une entreprise commerciale privée. Sur la base de la richesse qu'il a acquise en tant que bureaucrate, il devient propriétaire foncier bureaucrate et/ou capitaliste bureaucrate. Il y a naturellement d'autres propriétaires fonciers. Partout où la terre peut s'aliéner librement, de petits propriétaires se montrent avides d'en acquérir (7). Et il peut aussi se trouver des capitalistes non bureaucratiques. Mais puisque l'appareil d'Etat tout-puissant dépasse toutes (c) Les plaisirs que procuraient les richesses aux bureaucrates vers la fin de l ' é p o q u e i m p é r i a l e en Chine sont d é c r i t s en d é t a i l dans des romans comme Dream of the Red Chamber ( R ê v e de la Chambre Rouge). (*) E n f r a n ç a i s dans le texte (N. d. T.).
LA
PROPRIÉTÉ
DANS
L A SOCIÉTÉ
HYDRAULIQUE
(7,
I)
363
les autres forces de la société hydraulique dans l'acquisition du revenu, agricole ou non, les fonctionnaires sont largement représentés dans la catégorie des fermiers de l'impôt et, partout où la terre peut s'acheter, dans celle des propriétaires fonciers. Dans la Chine impériale, la prédominance de la propriété foncière privée permit aux fonctionnaires d'investir en terres une partie considérable de leur revenu. Une récente étude du fonctionnariat et de l'aristocratie bureaucratique en Chine au 19" siècle indique qu'à la fin de la dynastie Ts'ing, les fonctionnaires et les anciens fonctionnaires, les possesseurs de titres officiels et les mandarins de haut rang devaient se partager des revenus fonciers de la valeur de 165 millions de taels par an, et environ 81,5 millions de taels de revenus provenant d'entreprises. A la même époque, les titulaires de grades inférieurs avaient à se partager environ 55 millions venant de la première source et 40 millions de la deuxième (d). Ces chiffres montrent que le revenu, sous forme de traitement, des lettrés-fonctionnaires, allait pour la plus grande part aux hauts dignitaires de ce groupe, lequel était essentiellement bureaucratique (fonctionnaires actuels, anciens fonctionnaires, et quasi-fonctionnaires l'emportaient en nombre sur les mandarins de haut rang, dans la proportion de trois contre un) (e). Sous le despotisme oriental comme sous le despotisme occidental, propriété foncière et fonctionnariat sont des catégories qui empiètent l'une sur l'autre. Mais ces formations sociales en apparence analogues diffèrent profondément par leur contenu institutionnel. Les propriétaires bureaucrates de la société orientale tiraient essentielle-
(d) Ces faits, et bien d'autres de grande p o r t é e sont t i r é s d'une é t u d e t r è s c o m p l è t e sur 1' « aristocratie rurale » chinoise au 1 9 « s i è c l e , du D r C h a n g C h u n g Ji, de l ' U n i v e r s i t é de W a s h i n g t o n , Seattle, q u i a bien v o u l u en autoriser l a citation dans la p r é s e n t e é t u d e . L e s fonctionnaires et les l e t t r é s d i p l ô m é s sont c l a s s é s ensemble, parce que d u r a n t la d e r n i è r e phase de la Chine i m p é riale, ils constituaient une classe shên-shik (voir plus loin, chap. 8). L e u r s revenus t i r é s d'entreprises p r i v é e s avaient g é n é r a l e m e n t pour origine des banques locales, des boutiques de p r ê t s sur gages et le commerce d u sel (Chang, ( i l , P t . II). L ' é t u d e d u D r C h a n g montre que les shên-shih— «groupe privilégie p o s s é d a n t des c a p a c i t é s et des fonctions directoriales » — tiraient « de leurs " services d u gouvernement " " services professionnels " , et services aristocratiques " c u m u l é s » u n revenu s u p é r i e u r à leur revenu foncier ou à celui de leurs entreprises mercantiles (lettre d u D r C h a n g , 20 mars 1954). (e) A v a n t l a r é v o l t e des T a i p i n g s , « les fonctionnaires, officiers et t i t u laires de distinctions officielles » r é u n i s constituaient 67 % de la classe s u p é rieure ; a p r è s l a p é r i o d e des T a i p i n g s , l a proportion s ' é l e v a j u s q u ' à 75 % (Chang, C Q , P t . II).
364
L E DESPOTISME ORIENTAL
ment leur pouvoir politique du gouvernement absolutiste, auquel eux-mêmes ou des parents en fonction, prenaient activement part. Ce n'est qu'en qualité de fonctionnaires que les membres de l'aristocratie agro-bureaucratique étaient politiquement organisés. Les nobles propriétaires ruraux de l'Europe post-féodale ou du Japon n'avaient pas nécessairement une charge dans la fonction publique. Et ils n'avaient pas besoin d'un salaire gouvernemental pour reconstituer périodiquement leur propriété foncière, puisque leurs domaines étaient protégés du morcellement par le droit de primogeniture et le principe d'inaliénabilité. La propriété foncière, pour certains des membres de l'aristocratie bureaucratique (orientale), pouvait faciliter une carrière gouvernementale et renouveler l'accès au pouvoir ; mais la terre était essentiellement source de revenus. Au contraire, la terre, pour l'aristocratie féodale (occidentale) signifiait la perpétuation d'un pouvoir politique organisé, indépendant du pouvoir d'Etat et parfois en conflit ouvert avec lui. Outre une source de revenu, la terre féodale fut d'une manière remarquable et sans équivalent dans le cas de la propriété hydraulique (bureaucratique et autre), source de pouvoir. 6. - C O N C L U S I O N S Q U I P O S E N T D E N O U V E L L E S
QUESTIONS
a. - Propriété hydraulique : source de revenu contre source de pouvoir. Que la propriété hydraulique soit étendue ou restreinte, qu'elle appartienne ou non à un membre de la classe dirigeante, elle procure d'importants avantages. Mais elle ne procure pas à ses propriétaires le contrôle du pouvoir d'Etat au moyen d'une organisation et d'une action fondée sur la propriété privée. Dans tous les cas, elle n'est pas source de pouvoir mais source de revenu. b. - Importance — et limitations — de la propriété privée dans la différenciation des classes à l'intérieur de la société hydraulique. Il ne s'agit pas de nier l'importance de la propriété dans la différenciation des classes sociales. L'apparition de l'artisanat et du commerce fondés sur la propriété et l'expansion de la propriété foncière privée entraînent la création de nouveaux éléments sociaux, de groupes, de classes. Il est donc non seulement légitime mais encore
L
A
PROPRIÉTÉ
DANS L A SOCIÉTÉ
HYDRAULIQUE
(7,
I)
365
nécessaire de montrer comment les types de différenciation sociale sont en relation avec les types de propriété privée. Il apparaît vite cependant que dans la société hydraulique le problème de la différenciation sociale ne pose pas seulement le problème de la présence et de l'extension de la propriété privée. Une fois en place, la richesse bureaucratique est propriété privée, mais elle reste basée sur la propriété gouvernementale et sa distribution intra-bureaucratique repose sur des conditions politiques qui ne peuvent s'interpréter en termes de propriété privée.
1
CHAPITRE VIII
LES CLASSES DANS LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE A. — NÉCESSITÉ D'UNE NOUVELLE SOCIOLOGIE DE CLASSE L'analyse moderne des institutions est née dans une société modelée de façon décisive par les conditions de la propriété. Par conséquent, les grandes divisions de la société («ordres») (1) apparurent aux pionniers de la sociologie moderne des classes comme essentiellement déterminées par les grandes formes de propriété privée, et par des formes correspondantes de revenu. Selon Adam Smith, « le produit annuel total de la terre et du travail pour chaque pays, ...se divise naturellement... en trois parties ; la rente foncière, le salaire du travail, et les bénéfices du produit ; et cela constitue les ressources de trois ordres de gens différents ; ceux qui vivent de la rente foncière, ceux qui vivent d'un salaire, et ceux qui vivent des bénéfices. Ce sont là les trois grands ordres originels qui constituent toute société civilisée, et du produit de ces trois ordres viennent les ressources de tout autre ordre » (2). Les représentants du gouvernement vivent dans une certaine mesure des « fonds publics et des terres publiques » ; mais la plus grande partie de leurs dépenses restent à la charge des trois ordres majeurs qui livrent à l'Etat une partie de leur revenu sous forme de taxes (3). Selon cette théorie, les représentants du gouvernement constituent non pas un ordre majeur de la société, mais un ordre secondaire et dérivé. Et toutes les fois que se produit un conflit ayant la propriété pour objet, le gouvernement civil devient, entre les mains des classes possédantes, une arme contre les groupes économiquement défavorisés. Citons encore Smith : « Le gouvernement civil, dans la mesure où il a été institué pour assurer la sécurité de la
4
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CLASSES
DANS
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HYDRAULIQUE
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propriété, est en réalité l'institution chargée de la défense des riches contre les pauvres, ou de ceux qui possèdent quelque chose contre ceux qui ne possèdent rien du tout » (a). Cette définition, écrite en une période où les privilèges accordés à la propriété étaient illimités, représente une brutale interprétation économique de l'Etat. Elle ne tient pas compte du pouvoir conçu comme facteur indépendant, générateur d'une classe, ni de la prédominance socio-économique de l'Etat dans les civilisations hydrauliques que Smith connaissait bien (b). Les successeurs de Smith définirent plus clairement les particularités de la société asiatique ; mais eux aussi traitèrent « l'Asie » comme une catégorie résiduelle dans un système socio-économique qui considérait la propriété privée et le revenu qu'elle rapporte comme les facteurs décisifs de la formation des classes. En dépit de ses évidentes lacunes, le concept des classes qui se base sur la propriété fut un précieux stimulant pour les sciences sociales jusqu'au début du 20' siècle. Sans aucun doute, ce concept est essentiel à la compréhension des sociétés où prévaut une forte propriété privée indépendante ; et il reste important pour la compréhension de certains aspects secondaires des sociétés fondées sur le pouvoir. Mais il est insuffisant s'il est appliqué indistinctement aux formations appartenant au premier type. Et si l'on veut en faire l'explication fondamentale des formations du second type, il est tout à fait inadéquat. Le développement de gouvernements massifs dans de nombreux pays industriels et l'apparition d'Etats totalitaires en URSS et en Allemagne nous permettent de reconnaître dans le pouvoir d'Etat un élément déterminant de la structure des classes, tant pour notre époque que pour le passé. Cela nous permet aussi de reconnaître plus clairement qu'auparavant l'importance du pouvoir avec l'affermissement de la classe dirigeante dans la société hydraulique.
(a) S m i t h , 1937 : 674. S m i t h c o m p l è t e cette d é f i n i t i o n par une citation de ses « C o n f é r e n c e s » : « S'il n'y a pas p r o p r i é t é , il ne peut y avoir gouvernement, car le but m ê m e de celui-ci est de p r o t é g e r la richesse et de d é f e n d r e les riches contre les pauvres ». Il ajoute une r é f é r e n c e à L o c k e , Le Gouvernement Civil, sec. 94 : « L e gouvernement n'a d'autre destination que la protection de la p r o p r i é t é ». (b) S m i t h , 1937 : 789 sqq. A plusieurs reprises, S m i t h tente de r e m é d i e r à l'inconsistance de sa t h é o r i e en l a l i m i t a n t a u x s o c i é t é s « c i v i l i s é e s ». M a i s il ne fait pas l'effort d ' é t a b l i r un concept de classe qui r e f l è t e exactement l a situation s p é c i f i q u e de l ' E t a t et de ses r e p r é s e n t a n t s soit dans le monde oriental, soit dans le monde occidental.
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B. — STRUCTURE DES CLASSES DANS LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE
L E CRITÈRE-CLÉ
: L A RELATION AVEC L'APPAREIL
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Les pionniers d'une sociologie de classe qui se base sur la propriété concevaient l'Etat asiatique comme un gigantesque propriétaire foncier. Or dans la plupart des sociétés hydrauliques, la majeure partie de la terre est en effet soumise à réglementation ; et bien que le droit de propriété de l'Etat sur les champs réglementés se cache derrière des communautés rurales apparemment autonomes, il se manifeste, soit de façon négative quand le gouvernement interdit aux particuliers étrangers à la communauté d'acquérir des terres, soit de façon positive quand le gouvernement assigne ou vend des terres (ou des villages) à son gré. Cependant la formule classique se montre nettement insuffisante sur un point au moins : elle néglige J'eau d'irrigation, qui, dans une société hydraulique, est le grand facteur de la production. Les grandes ressources en eau sont-elles « propriété » de l'Etat despotique ? Telle fut la règle dans de nombreuses civilisations hydrauliques, mais non dans toutes. Je préfère considérer l'Etat comme exerçant un contrôle plutôt qu'un droit de propriété sur les « grandes » eaux du pays. On peut envisager la possession de la terre de la même façon. Certains Etats hydrauliques, la Chine impériale par exemple, tolérèrent la prééminence de l'appropriation privée de la terre pendant une longue période, mais déjà l'Etat restreignait les droits du propriétaire au moyen de taxations élevées, de lois imposant certaines cultures, et d'une loi sur la succession qui morcelait les terres. Ainsi l'Etat hydraulique qui possédait fréquemment la majeure partie de la terre cultivable, maintint généralement la propriété foncière privée dans une situation faible. Là aussi la notion de contrôle définit mieux le rôle effectif de l'Etat. Dans la société hydraulique, la principale et grande division en deux ordres, l'un de personnes supérieures et privilégiées, l'autre de personnes inférieures et défavorisées, apparaît en même temps que se développe un appareil d'Etat à la puissance hypertrophiée. Les maîtres et bénéficiaires de cet Etat, les souverains, constituent une classe différente, supérieure à la masse des plébéiens — de ceux qui, bien que personnellement libres, ne partagent pas les privilèges du pouvoir. Les hommes de l'appareil forment
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une classe dirigeante au sens le plus évident du terme ; et le reste de la population constitue la seconde grande classe, celle des gouvernés (a). A l'intérieur de la classe dirigeante, les individus et les groupes diffèrent grandement dans leurs aptitudes à prendre des décisions et à diriger le personnel. Dans l'administration civile, comme dans l'armée, les directives essentielles viennent du sommet de la hiérarchie. Mais dans l'une et l'autre également, les décisions de moyenne importance appartiennent aux grades moyens. Et les décisions concernant l'exécution finale des ordres, aux sousofficiers et aux simples soldats de la hiérarchie du pouvoir. De telles décisions peuvent sembler insignifiantes du point de vue du supérieur, mais être en fait d'une importance vitale pour le peuple puisque son existence en dépend. Le parallèle s'impose entre la classe inférieure de la hiérarchie de l'appareil et le petit homme d'affaires d'une société capitaliste. Un petit capitaliste a peu de prise sur les conditions de la production du marché, des finances, jusqu'au moment où il s'associe avec d'autres capitalistes, ses égaux ; mais, qu'il s'associe ou non, il est généralement libre de décider où il achètera, ce qu'il achètera et/ou ce qu'il produira. Et en fait, il prend toute une série de petites décisions concernant les affaires restreintes qui sont son monde à lui.-De même, des fonctionnaires moyens et même humbles font partie, au même titre que les dirigeants de premier plan, de l'appareil du pouvoir ; et à leur humble niveau, ils jouissent eux aussi des avantages dont l'autorité incontestée du régime est la source principale. En termes de revenu, les membres inférieurs de la hiérarchie d'Etat peuvent se comparer aux employés d'une entreprise capitaliste qui ne participent pas aux bénéfices réalisés grâce à eux. Une sociologie de classe qui se base sur la propriété les considérerait donc comme des plébéiens plutôt que comme des membres de la classe supérieure. Un tel mode de classement négligerait les relations humaines qui caractérisent d'ordinaire et de façon spécifique les opérations d'ordre bureaucratique. Ces opérations font du plus humble des représentants de l'appareil d'Etat un co-narticipant à l'exercice du pouvoir total. Alors que les employés d'une entreprise commerciale ou industrielle dépendent des conditions du marché qui établissent une égalité formelle, l'action du plus modeste des hommes de l'appareil repose (a) M a x W e b e r attira l'attention sur le fait que dans les conditions d'un p o u v o i r bureaucratique s u p r ê m e , la masse de la p o p u l a t i o n tout e n t i è r e est r é d u i t e au r a n g de « g o u v e r n é s », qui voient se dresser devant eux « un groupe dirigeant bureaucratiquement s t r a t i f i é » qui en r é a l i t é , et m ê m e formellement, peut occuper « une situation absolument autocratique » (Weber W G : 667 ; v o i r 669, 671).
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sur la coercition, c'est-à-dire sur une inégalité formelle. Une telle situation dans la hiérarchie du pouvoir fournit à certains des fonctionnaires inférieurs des occasions de s'enrichir personnellement ; et elle leur confère à tous un statut socio-politique spécifique. En qualité de représentant de l'Etat despotique, le dernier des fonctionnaires éveille chez le peuple méfiance et crainte. Ils occupent donc une situation sociale qui les place, en termes de prestige, de pouvoir, et parfois aussi de revenu, en dehors et de façon ambivalente au-dessus de la masse des gouvernés. Les indigènes d'un pays conquis considèrent l'armée d'occupation comme une entité ; bien qu'ils sachent parfaitement que le pouvoir dont dispose le simple soldat est extrêmement limité. De même, les sujets d'un despotisme hydraulique considèrent les hommes de l'appareil comme une entité, alors même qu'il est évident que les individus membres de cet appareil diffèrent infiniment en pouvoir, en richesse, et en situation sociale. 2.
- L E CONDITIONNEMENT M U L T I P L E DES SOUS-SECTIONS SOCIALES
La classe dirigeante se différencie dès le début des civilisations hydrauliques. La classe gouvernée est d'ordinaire indifférenciée dans les sociétés hydrauliques simples. Elle est toujours différenciée dans les sociétés hydrauliques semi-complexes et complexes. Les sous-sections des deux classes sont différemment conditionnées. A l'intérieur de la classe dirigeante, la place dans la hiérarchie du pouvoir est le premier facteur déterminant, et la richesse, si elle a parfois son importance, demeure secondaire. A l'intérieur de la classe gouvernée, le type et l'ampleur de la propriété active sont les premiers facteurs déterminants du statut social, tandis que les nuances de relation avec le gouvernement tendent, dans ce monde apolitique, à jouer un rôle mineur, ou à n'en jouer aucun. C. — LES SOUVERAINS 1. - L E S H O M M E S E T L ' A P P A R E I L
a. - La structure verticale fondamentale. La classe dirigeante de la société hydraulique est d'abord représentée par son noyau actif, les hommes de l'appareil. Pratiquement dans tous les pays hydrauliques, ces hommes ont à leur tête un chef, entouré d'une « cour »,
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qui surveille et dirige ses nombreux subalternes civils et militaires au moyen d'un corps de fonctionnaires responsables. Cette hiérarchie, qui comprend le souverain, les fonctionnaires responsables, et les subalternes, est fondamentale dans tous les régimes despotiques orientaux. Un développement horizontal, qui apparaît dans certaines conditions, complique la structure verticale fondamentale. 1. - Le souverain et sa cour. Les cruautés arbitraires du despote et ses générosités également arbitraires fournissent leurs thèmes à maintes chroniques. Ses cruautés arbitraires montrent que, sujet à des limitations physiques et intellectuelles évidentes, il peut cependant élever ou briser quiconque s'il le veut. Ses générosités arbitraires démontrent que malgré d'évidentes limitations d'ordre économique il peut se livrer au gaspillage, sans craindre le contrôle d'un mécanisme constitutionnel. La splendeur proverbiale des cours orientales est simplement l'expression économique du pouvoir despotique du souverain sur ses sujets. En sa personne, le souverain combine l'autorité executive suprême, et les nombreux symboles magiques et mythiques qui expriment les qualités terrifiantes (et soidisant bénéfiques) de l'appareil d'Etat dont il est le chef. En raison de sa jeunesse, de sa faiblesse ou de son incompétence, il peut avec un auxiliaire partager le privilège suprême d'agir : un régent, un vizir, un chancelier, ou un « premier ministre ». Mais la toute-puissance de ces hommes ne dure généralement pas longtemps. Elle revêt rarement les symboles de l'autorité suprême. Et elle s'évanouit dès que le souverain est assez fort pour assumer le pouvoir autocratique inhérent à son rang. L'importance unique des caprices et des actions du souverain donne une importance unique aux individus susceptibles de l'influencer. Auprès du vizir — et parfois plus influents que lui — les mieux placés sont les membres de l'entourage personnel du souverain : ses femmes et ses concubines, les membres de sa famille, ses courtisans, ses serviteurs et ses favoris. Dans des conditions d'autocratie despotique, n'importe lequel de ces personnages peut momentanément et de façon tout à fait irrationnelle exercer un pouvoir disproportionné. 2. - Les fonctionnaires titulaires. Quand nous parlons de fonctionnaires nous entendons des personnes à qui est assigné un type particulier de tâche relevant du gouvernement. Chez les peuples sédentaires, les devoirs péguliers que comporte une telle tâche
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tendent à situer le fonctionnaire physiquement et de façon permanente dans un « bureau ». Et généralement le titulaire d'un tel poste tient registre de ses opérations. Du point de vue linguistique, le vocable « bureaucratie » est une monstruosité (1). Mais sa richesse évocatrice a rendu le mot populaire, malgré la réprobation des puristes. Sémantiquement parlant, un bureaucrate est une personne qui « dirige au moyen de bureaux ». En un sens générique, le terme s'applique aussi à tout fonctionnaire qui emploie des procédés de secrétariat (« red tape») (*) pour retarder l'action, pour gonfler sa propre importance, ou pour rester oisif devant son travail. Staline critiqua la « bureaucratie », et s'en prit particulièrement à la « bureaucratie et aux ronds-de-cuir », aux fonctionnaires qui se livrent à « des bavardages inutiles sur la " direction en général " », « incorrigibles bureaucrates vissés à leurs chaises » (2). Certains de ces ronds-de-cuir peuvent être désagréables et gênants ; et même les gouvernements au service du pays, et soumis à un contrôle en sont parfois infestés. Mais une bureaucratie ne devient vraiment redoutable que lorsque ses bureaux sont les centres organisationnels d'un pouvoir brutal et absolu. Pour cette raison, l'effort de Staline pour dissimuler le Frankestein bureaucratique du régime soviétique derrière une façade semi-humoristique de « ronds-de-cuir » inefficaces n'est autre chose qu'une tentative maladroite de création de mythe totalitaire. Les fonctionnaires titulaires comprennent des civils et des militaires, ayant officiellement rang de fonctionnaires. Ils ne comprennent pas les subalternes bureaucratiques. Les fonctionnaires civils ressemblent à leurs collègues militaires en ceci que les uns et les autres détiennent des postes de commandement et peuvent prendre des décisions limitées à des stades intermédiaires, que les uns et les autres font partie de corps centralisés, que les uns et les autres servent le souverain inconditionnellement (et généralement à plein temps), et qu'ils sont appointés par le gouvernement, soit qu'ils reçoivent un salaire, soit qu'ils tirent un revenu des terres administratives reçues de l'Etat. Une armée est essentiellement un instrument de coercition, mais pas nécessairement une institution bureaucratique. Mais l'emploi d'une armée à direction centrale de type oriental implique une planification considérable, et celle-ci, dans les civilisations connaissant l'écriture, (*) « red tape » : terme p é j o r a t i f d é s i g n a n t la bureaucratie. L e meilleur é q u i v a l e n t f r a n ç a i s est « rond-de-cuir » ( N . d. T . ) .
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se fait d'ordinaire par l'entremise des bureaux. De nombreux officiers sont à la fois des soldats et des administrateurs ; mais souvent les fonctionnaires combattants forment en raison de leurs fonctions une classe différente de celle des fonctionnaires bureaucrates (Militarbeamte). En tout cas, les officiers ne sont pas des chevaliers féodaux mais des fonctionnaires du gouvernement, et en cette qualité font partie des fonctionnaires titulaires. 3. - Les subalternes. Les subalternes de la hiérarchie bureaucratique sont soit des scribes, soit des auxiliaires domestiques. Les scribes sont chargés du travail de secrétariat de la cour, du gouvernement central, et des bureaux provinciaux et locaux. Les domestiques auxiliaires sont des portiers, des coureurs, des serviteurs, des gardiens de prison, et, avec des attributions semi-militaires, des policiers. Dans tout despotisme agro-directorial important, les subalternes sont nombreux. Au cours de la dernière période de la Chine impériale, environ 40 000 fonctionnaires titulaires (civils) avaient à leur disposition plus de 1 200 000 secrétaires et plus de 500 000 coureurs — c'est-à-dire un total de plus de 1 700 000 subalternes, donc un peu plus de quarante subalternes pour chaque fonctionnaire proprement dit (3). b. - Développements horizontaux. Le réseau bureaucratique peut s'étendre sur un vaste territoire. Mais aussi longtemps que le pouvoir central nomme la plupart des fonctionnaires responsables et dirige les bureaux provinciaux, aucun problème particulier d'autorité horizontale ne se pose, même quand les fonctionnaires régionaux, pour des raisons de distance ou de commodité, jouissent d'une relative liberté dans la conduite des affaires de leur secteur. Max Weber fut frappé par la surveillance relativement lâche qu'exerçait le gouvernement central de la Chine impériale sur la bureaucratie provinciale (4) ; et en effet, en raison de la loi de rentabilité administrative décroissante, les fonctionnaires régionaux et locaux avaient une considérable liberté de décision dans les questions de détail. Mais comme le reconnut Weber lui-même, le gouvernement central nommait et mutait ces fonctionnaires à son gré ; et il décidait de leur action dans les grandes lignes (5). De temps à autre, bien sûr, l'autorité dynastique déclinait ; et quand la crise dynastique était grave, les
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grands fonctionnaires de province devenaient temporairement semi-autonomes, et même autonomes, maîtres des régions qu'ils administraient. Mais excepté ces périodes de crise, les plus distingués des dignitaires provinciaux n'étaient que des membres éminents de la bureaucratie créée par le pouvoir central et dirigée par lui. 1. - Les satrapes L'empire perse des Achéménides différait de l'empire chinois tant par ses origines que par ses structures. L'unification de la Chine fut préparée par des siècles de développement institutionnel ; et les centres de la culture chinoise étaient suffisamment peuplés et forts pour exercer assez facilement leur domination sur les régions colonisées éloignées. Au contraire, les Perses, en une seule génération, étendirent leur domination au-delà des confins de leur patrie, sur quatre vastes pays possédant chacun sa culture propre : la Médie (549), la Lydie (546), Babylone (538) et l'Egypte (525). Ils écartèrent les maisons régnantes clans ces quatre régions, et de plus, bouleversèrent la carte politique en découpant ces pays en un certain nombre de provinces, gouvernées chacune par un satrape (6). Le caractère hétérogène et la taille de leurs nouvelles acquisitions obligèrent les conquérants persans à donner à leurs satrapes une liberté exceptionnelle dans la conduite des affaires politiques. Un satrape conservait sa charge pendant une longue période ; parfois, son fils pouvait lui succéder (7). De plus, il nommait des sous-satrapes (8), et aussi, probablement, les fonctionnaires locaux, généralement des gens du pays (9). Il levait des troupes mercenaires et sa propre garde. Il commandait comme une milice les troupes levées dans ses territoires (10). Il administrait les impôts de sa province (11). Il entretenait des relations diplomatiques avec les Etats voisins (12). Et il pouvait organiser une expédition militaire contre un pays voisin — en général avec la permission du Grand Roi (13). Entouré de sa cour, il régnait avec une splendeur toute royale (14). Ce train quasi royal du satrape était vivement encouragé par le souverain perse (15), qui apparemment pensait que c'était là une bonne manière d'entretenir son prestige dans des régions lointaines. Cependant, sur plusieurs points essentiels, le Grand Roi exerçait sur ses satrapes un strict contrôle. Il apparaissait clairement qu'il était le maître, et les satrapes, des subordonnés qui lui devaient une obéissance absolue. Un système central de communications et de renseignements (16), des inspections par des fonctionnaires métro-
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politains (17), et le maintien de garnisons perses à des points stratégiques (18) empêchaient le satrape de parvenir à une indépendance militaire ou fiscale véritable. La taxation des satrapes se faisait selon des principes établis par une administration centrale, et comportait des obligations définies envers la capitale. « Le produit de l'impôt était envoyé à Suse chaque année par les satrapes ; l'excédent de l'impôt restait à la capitale, une fois payées les dépenses annuelles, et constituait, dans le trésor du roi, des fonds de réserve » (19). Le Grand Roi considérait son satrape non comme un vassal féodal, mais comme un grand commis de ses provinces. « Le roi est le maître de tous ses sujets, et le satrape est son représentant ; ils peuvent intervenir arbitrairement partout, non seulement lorsque c'est nécessaire à l'intérêt du royaume, mais lorsqu'il leur plaît » (20). L'empire perse était donc un « Etat bureaucratique » (ein Beamtenstaat) (21) ; et la liberté d'action administrative et militaire du satrape n'ébranlait nullement la structure fondamentale de la hiérarchie bureaucratique dont le satrape lui-même n'était qu'un rouage. 2. - Princes soumis, curacas, rajas. Un satrape pouvait être originaire de la région dont il avait la juridiction. Mais ce n'est pas une caractéristique constante. En Cilicie seulement le Grand Roi permit à un membre de l'ancienne maison régnante de devenir gouverneur de la province nouvellement créée (22). Les princes qui acceptaient de leur propre gré la souveraineté perse pouvaient généralement continuer de régner en qualité de vassaux. Comme les satrapes et les soussatrapes, ils devaient au Grand Roi le service armé et le tribut (23) ; mais il semble qu'ils aient joui d'une liberté politique et culturelle supérieure à celle d'autres souverains indigènes soumis à la domination de puissants empires hydrauliques. Les créateurs de l'empire inca permirent aux souverains qui s'étaient soumis volontairement de conserver leur situation officielle ; mais ces curacas étaient subordonnés aux gouverneurs incas (a). De plus, les objets du culte des plus hautes divinités de la région furent transférés à Cuzco ; et on imposa aux nouveaux sujets les traits essentiels de la religion inca (24). Les curacas servaient donc d'une part à préserver les apparences d'un gouver(a) E n g é n é r a l , leurs fils é t a i e n t e m m e n é s en otage à Cuzco, o ù on leur inculquait le mode de vie inca (Rowe, 1946 : 272).
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nement indigène, tandis que d'autre part ils faisaient pratiquement partie intégrante du fonctionnariat impérial (b). En Inde musulmane, un certain nombre de « chefs » indigènes, ou souverains (raias, rajas) furent également, quoique d'une façon un peu différente, intégrés au système de gouvernement. Un raja pouvait conserver de nombreux traits secondaires de son ancien pouvoir, s'il jurait une soumission politique (et fiscale) inconditionnelle à son nouveau suzerain. Moreland dit : « Sa situation [celle du chef] dépendait de sa loyauté, ce qui signifiait avant tout le ponctuel paiement du tribut» (25). Les rajas étaient plus ou moins libres de déterminer comment, dans leur région, serait levé le tribut (26). Au temps d'Akbar, les six provinces les plus anciennes, qui constituaient le noyau central de l'empire, étaient presque entièrement administrées par le gouvernement central, tandis que les provinces plus lointaines avaient un régime mixte, certaines étant gouvernées par des fonctionnaires nommés par le gouvernement central, certaines par des rajas (27). Les satrapes perses, les curacas inca, et les rajas de l'Inde musulmane constituent une série de variantes dans l'échelle de la subordination politique. Les relations entre un satrape ou un raja et son souverain n'avaient en aucun cas un caractère contractuel ; aussi bien en réalité qu'en théorie, le souverain exigeait la soumission totale. La situation de certains rajas comportait les éléments d'un contrat ; mais ces éléments existaient plus dans la pratique que dans la forme. Seules les régions rattachées de façon très lâche à la métropole obtenaient du suzerain despotique, sous l'apparence d'une alliance, un lien quasi contractuel. Le contraste est manifeste avec le type de subordination féodale. Sous un régime féodal la relation contractuelle est un trait fondamental ; et ce trait est au centre même de l'ordre féodal. Sous un despotisme hydraulique, la soumission totale est au cœur même du système bureaucratique et prévaut aussi dans ses ramifications horizontales. Ce n'est que dans la zone périphérique lâche qu'apparaissent des traits quasi contractuels (quasi féodaux). La sociologie du despotisme oriental relève des différences significatives entre un membre ordinaire de la (b) Ils é t a i e n t chefs de 10 000, 5 000, 1 000 ou 500 hommes c o r v é a b l e s . V o i r R o w e , 1946 : 263. L e s chefs de 100 hommes comptaient, semble-t-il, p a r m i les fonctionnaires titulaires de r a n g i n f é r i e u r . C o m m e les hauts fonctionnaires, ils avaient droit à la participation c é r é m o n i e l l e à l'agriculture ; mais essentiellement ils surveillaient et dirigeaient les chefs de dix hommes, qui, en q u a l i t é de c o n t r e m a î t r e s , travaillaient avec les paysans (Rowe, 1046 :
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bureaucratie rattachée directement au centre et un satrape {ou un curaca), ainsi qu'entre ces derniers dignitaires et un raja ou un allié ne reconnaissant qu'un lien de dépendance très lâche. Dans tous les cas, la force déterminante est l'appareil de l'Etat agraire ; mais le degré de dépendance crée des subdivisions spécifiques dans l'édifice du pouvoir despotique. 3. - Gradations du pouvoir dans les Etats totalitaires modernes. Les analystes de l'appareil des Etats modernes et industriels attachent également une grande importance aux différences entre les fonctionnaires de la métropole totalitaire et les chefs des pays satellites. Pour ces cas-là, il est essentiel de distinguer le rôle suprême de la métropole et les différenciations de structure qui caractérisent ses ramifications horizontales (c). Il est également essentiel de reconnaître la tendance vers une domination plus absolue dans les périodes de développement impérialiste et de coordination. L'allié quasi indépendant de la veille peut être l'allié subordonné d'aujourd'hui et le satellite sera le satrape ou le fonctionnaire, garçon de courses de demain. Dans la société hydraulique, cette tendance connaît en contrepartie des mouvements de régression qui peuvent aboutir au remplacement d'un régime despotique unifié par plusieurs systèmes analogues. L'Egypte pharaonique se décomposa temporairement en un certain nombre de provinces quasi indépendantes ; et la Chine après l'époque T'ang fut encore plus gravement démembrée. Mais dans ces deux cas, les nouvelles unités politiques conservèrent des méthodes despotiques de gouvernement, et le terme de « féodal » qui peut-être, avec une certaine licence (c) E n 1921, Staline c a r a c t é r i s a i t ainsi les gradations horizontales dans l ' U . R . S . S . nouvellement c r é é e : « L ' e x p é r i e n c e russe de d i f f é r e n t e s formes de f é d é r a t i o n , passant de la f é d é r a t i o n f o n d é e sur l'autonomie des Soviets (la R é p u b l i q u e K i r g h i z , la R é p u b l i q u e B a c h k i r , la R é p u b l i q u e Tatare, le G o r t s i , le Daghestan) à la f é d é r a t i o n f o n d é e sur u n t r a i t é r é g l a n t les relations avec les r é p u b l i q u e s s o v i é t i q u e s i n d é p e n d a n t e s (l'Ukraine, l'Azerbaidjan) en laissant une place à des phases i n t e r m é d i a i r e s (le T u r k e s t a n , la Russie blanche) a pleinement p r o u v é l ' e f f i c a c i t é et l a f l e x i b i l i t é de la f é d é r a t i o n comme forme g é n é r a l e de gouvernement pour los r é p u b l i q u e s s o v i é t i q u e s » (Staline, S, V : 22). Staline c o n s i d é r a i t cette soi-disant association volontaire comme un pas vers une future u n i t é « s u p r ê m e » ; et en fait, en ce qui concerne les r é p u b l i q u e s alors « autonomes » et « i n d é p e n d a n t e s », lui et ses camarades t r a v a i l l è r e n t dans ce but et avec s u c c è s : • Il faut absolument p r é s e r v e r dans l'avenir ce c a r a c t è r e de f é d é r a t i o n librement consentie, car seule une telle f é d é r a t i o n peut p r é p a r e r la transition vers ce rassemblement s u p r ê m e des travailleurs de tous les pays en un seul s y s t è m e é c o n o m i q u e universel, dont la n é c e s s i t é se fait de plus en plus sentir » (ibid. : 23).
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poétique, peut s'appliquer aux relations entre un centre affaibli et les subdivisions les plus vastes, devient absolument impropre à qualifier des subdivisions qui ne sont rien d'autre que des répliques détachées et en miniature du schéma despotique général. Le mécanisme de contrôle de l'appareil d'Etat moderne rend extrêmement difficile la séparation aussi longtemps que subsiste la métropole despotique. La défection de ia Yougoslavie de Tito est due à d'exceptionnelles circonstances géo-militaires (28). Manifestement les ramifications horizontales de l'appareil d'Etat moderne ne sont pas identiques — même si elles offrent avec elles d'instructives ressemblances — aux provinces des satrapes, des rajas, ou des alliés subordonnés, dans la société hydraulique. 2.
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Les hommes qui tiennent en main l'appareil de l'Etat despotique sont le noyau, non la totalité de la classe dirigeante. Il faut leur adjoindre un complément biosocial — leurs familles et leur proche entourage — et fréquemment aussi un complément de collaborateurs — personnes qui jouis-saient d'un statut semi, quasi, ou pré-officiel. a. - Appartenance à l'Etat, par liens de parenté. 1. - La maison royale. La polygamie était une institution reconnue dans la majorité des sociétés hydrauliques (d) ; et le souverain avait naturellement les meilleures occasions de la mettre personnellement en pratique. Sa nombreuse parenté (c'est-àdire les personnes qui ont avec lui des liens de consanguinité ou d'alliance) jouissaient généralement d'une situation sociale distinguée, et d'ordinaire aussi d'avantages matériels considérables. Il dépendait d'un certain nombre de circonstances que le souverain l'emploie dans le gouvernement, et qu'il l'emploie plus ou moins largement. Mais si elle y avait sa place, elle avait alors une excellente occasion de s'élever à des situations éminentes et puissantes. Dans l'empire inca, les descendants mâles des souverains s'organisaient en ayllus, qui allaient croissant à (d) E x c e p t i o n s i n t é r e s s a n t e s : Byzance et l a Russie c h r é t i e n n e s . L a monogamie q u i p r é v a l u t à Byzance et en Russie montre que cette forme de mariage, m a l g r é les restrictions qu'elle imposait au souverain, n ' é t a i t pas n é a n m o i n s incompatible avec les tendances politiques, é c o n o m i q u e s et sociales essentielles d u despotisme oriental.
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mesure que durait la dynastie. Les membres de ces ayllus « constituaient un utile cercle, une cour d'hommes de culture, formés à l'idéologie impériale, et ayant intérêt à sa perpétuation. Les empereurs choisissaient leurs grands administrateurs au sein de ce groupe toutes les fois que c'était possible» (29). Dans certaines dynasties chinoises, celle des Han par exemple, la famille consort jouait un rôle politique considérable ; et sous la dynastie de conquête Liao, les membres du clan consort, Hsiao, jouissaient apparemment de plus de confiance que ceux du clan impérial Yeh-lu (30). Que la parenté du souverain, parenté consanguine ou par alliance, ait ou non figuré nombreuse dans la hiérarchie bureaucratique, les membres de ces deux groupes formaient généralement une partie privilégiée de la classe dirigeante. 2. - L'aristocratie bureaucratique. A un niveau moins élevé, les familles des fonctionnaires responsables ont également leur importance. Comme les parents du souverain, mais pas tout à fait pour les mêmes raisons, les membres de ce que l'on peut appeler l'aristocratie bureaucratique n'avaient pas nécessairement une charge. Certains étaient trop jeunes, d'autres trop vieux, il y avait des inaptes, il y avait des femmes ; et quelquesuns de ceux qui possédaient les qualifications nécessaires, ne trouvaient pas place dans le gouvernement, d'abord parce qu'il y avait d'ordinaire plus de candidats que de postes, et en second lieu, parce que certains des postes vacants pouvaient aller à des nouveaux venus plutôt qu'à des fils de fonctionnaires. Le montant et la nature de la fortune familiale sont d'importants facteurs de différenciation. Une fortune mobilière passive (de l'or, des joyaux, etc.) diminue plus rapidement qu'une propriété rurale, qui, bien que morcelée par une égale division entre tous les héritiers, reste constante au cours de la vie du propriétaire, si les revenus qu'elle produit sont suffisants pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Les sociétés hydrauliques où la propriété foncière privée s'est réellement développée fournissent donc à l'aristocratie rurale bureaucratique les meilleures chances, même si elles diminuent de façon progressive, de vivre de la fortune amassée par la famille. Le proverbe chinois selon lequel une famille peut passer des haillons à l'opulence en trois générations et retourner aux haillons le temps des trois générations suivantes décrit bien cette fatale décadence des richesses qui distingue l'aristocratie bureaucratique dans la société hydraulique,
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de la noblesse féodale. Egalement importante est la rapidité avec laquelle un retour au service de l'Etat peut restaurer (ou accroître) la fortune de la famille. Sans aucun doute, si les membres d'une famille aristocratique appauvrie occupaient un poste pendant trois générations, la fortune de la famille (et ses propriétés foncières) devaient à la fin de cette période être considérables. Mais souvent, un seul personnage, servant le gouvernement même pendant un court laps de temps, pouvait rétablir la fortune de la famille entière. Pour quelqu'un que je connais personnellement, en Chine, trois ans d'exercice de la magistrature dans une province firent l'affaire. Un fait souligne l'importance politique de l'aristocratie bureaucratique : les membres de ce groupe sont fréquemment invités à remplir des fonctions auxiliaires dans l'administration, la justice ou le clergé. En Egypte, ou attribuait souvent des fonctions lucratives dans le service du temple aux enfants de notables (31). Dans les assemblées de justice de Babylone, certains « notables » étaient titulaires, d'autres avaient un statut qui les apparentait à l'aristocratie (32). Pour l'Inde bouddhique, Fick suppose l'existence d'une « aristocratie de la terre » faisant partie des gahapatis, les « propriétaires de maisons » (33). Selon lui, ces possesseurs de maisons n'étaient ni des guerriers, ni des Kshatriyas, ni des Brahmanes (34) ; ils ressemblaient plutôt à, ou se confondaient en partie avec une « noblesse propriétaire terrienne» (35). L'interprétation de Fick concernant les propriétaires de maisons est sujette à caution. Dutoit les considère comme membres du tiers ordre, les Vaisya (e).
(e) Jatakam, II : 143, n. 1 ; voir I V : 541, n. 1. A cette é p o q u e , les castes, jati, existaient d é j à . Mais les jati, q u i plus tard se m u l t i p l i è r e n t et atteignirent plusieurs milliers, ne sont pas identiques a u x quatre varna majeurs, les Kshatriyas, les Brahmanes, les V a i s y a s , et les Sudras. L ' e m p l o i d u mot varna (« coul e u r ») p o u r d é s i g n e r les quatre grandes divisions, remonte à l a p é r i o d e que couvre Je R i g v e d a — c ' e s t - à - d i r e l ' é p o q u e on les A r y e n s , gens « de couleur claire >, d o m i n è r e n t les D a y s u s i n d i g è n e s , « gens de couleur f o n c é e » (Rapson, 1922 : 54 ; v o i r aussi R e n o u , 1950 : 63). A p r è s cette p é r i o d e , le terme varna « d é s i g n e " u n ordre social " i n d é p e n d a m m e n t de toute v é r i t a b l e distinction de couleur » (Rapson, 1922 : 54), c ' e s t - à - d i r e « classe » ou « ordre ». S m i t h (1928 : 36), en accord avec S h a m a Sastri, s u g g è r e ces termes « ou u n terme é q u i v a l e n t ». V o i r é g a l e m e n t R h y s - D a v i d s , 1950 : 46. L e s r è g l e s des castes, jati, q u i concernent tout p a r t i c u l i è r e m e n t l'alimentation et le mariage, d o n n è r e n t une forme de plus en plus rigide aux quatre ordres, dont seul subsista en Inde j u s q u ' a u x temps modernes, l'ordre des Brahmanes : « J a m a i s quatre castes originelles n'ont e x i s t é nulle p a r t ni en aucun temps, et actuellement, les termes de K s h a t r i y a , V a i s y a et Sudra n'ont plus aucun sens p r é c i s en tant que classification de castes existantes. E n Inde d u n o r d , les noms de V a i s y a et S u d r a ne sont plus e m p l o y é s que dans des livres discutant le p r o b l è m e des
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Les textes que Fick a traduits montrent clairement que les Brahmanes pouvaient posséder des maisons (36) ; c'était même là une condition de rigueur lorsque, ayant terminé leur éducation, ils se mariaient et fondaient une famille (37). La classification de Fick semble pourtant valable sur ce point : un propriétaire ne jouissait d'aucun « privilège particulier» (38), et, lorsqu'il vivait essentiellement hors de ses terres, appartenait généralement à la petite noblesse — c'est-à-dire à une fraction de la classe dirigeante moins distinguée que celle des détenteurs de charges, les Kshatriyas, les Brahmanes, ou les Vaisyas. Mais les dons en terre allèrent d'abord à des laïques accomplissant un service, et à des Brahmanes (39) ; et les membres de ces groupes qui n'accomplissaient pas de service constituaient certainement une aristocratie bureaucratique ou religieuse. Et cela, qu'ils aient reçu une terre en dotation, héréditaire à vie, ou pas de dotation du tout (40). En Egypte byzantine, il semble que les parents d'éminents fonctionnaires aient été avides d'accéder à quelque charge quand l'occasion s'en présentait. Vivant dans leur domaine, ils accomplissaient toutes sortes de fonctions semi-officielles dans leur localité (41). L'Etat inca prit des mesures complexes pour subvenir aux besoins des dignitaires qui le servaient bien, et d'autres personnes de mérite. Les terres qui leur étaient assignées devaient généralement aussi profiter à leurs descendants (42). Ce qui laisse supposer l'existence, ici comme dans d'autres civilisations hydrauliques, d'une importante aristocratie bureaucratique dans la société inca. Dans le Mexique pré-colonial également, les terres de sinécure étaient attribuées pour une longue période de temps, non seulement à des membres de la maison royale, mais aussi à des familles de grands fonctionnaires (43). En Chine, certains individus parvenaient à un haut rang social parce qu'ils appartenaient à une famille de fonctionnaires déjà en place à la période Tch'ou ; et depuis la période T'ang au moins le degré de parenté étant dûment respecté, les parents de grands fonctionnaires jouissaient d'avantages légalement homologués (44). Ils constituaient donc une véritable aristocratie bureaucratique selon les termes de notre définition. p r é s é a n c e s de castes. Dans le sud, tous les H i n d o u s q u i ne sont pas B r a h m a n e s sont a p p e l é s S u d r a , tandis que les d é n o m i n a t i o n s de K s h a t r i y a et V a i s y a sont pratiquement inconnues » (Smith, 1928 : 35). L a consolidation, l'ascension sociale, et l a persistance des Brahmanes à travers l'Inde hindoue et m u l s u mane constituent un aspect essentiel de l'histoire longue et c o m p l i q u é e de la s o c i é t é indienne.
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D'une façon quelque peu différente, les écrivains occidentaux appliquèrent le terme d'« aristocratie » aux shênshih, les porteurs de ceintures, groupe qui recoupe en partie, mais ne s'identifie pas avec l'aristocratie bureaucratique de la présente étude. Pour autant que nous sachions, la désignation shên-shih ne figure que dans les documents officiels des dernières dynasties. Les listes de shên-shih comprenaient les indigènes d'une certaine région, qui étaient fonctionnaires ou ex-fonctionnaires, et, outre ceuxci, des personnes titulaires d'un grade obtenu par examen, en général, ou acheté, mais qui n'avaient pas encore de charge. Le système des examens ne fit que tardivement son apparition dans l'histoire chinoise ; et l'organisation des titulaires de grades obtenus par examen en un groupe social déterminé se fit plus tard encore. Mais quelle que soit la date initiale, l'orientation bureaucratique des shên-shih est nette. Comme nous l'avons déjà noté, le rang shên-shih se déterminait non en relation avec la terre, mais en relation avec l'administration gouvernementale (f). Les échelons supérieurs de la hiérarchie shên-shih
(f) D a n s une analyse de l'aristocratie chinoise p u b l i é e en 1946, H . T . Fei souligne à la fois son r é g i m e bureaucratique et son r é g i m e de p r o p r i é t é ; mais sur le premier point, il reste assez vague : « Ce n'est que lorsqu'un des membres de la famille [d'un p r o p r i é t a i r e rural] entre dans la classe des lettrés et dans l'administration que s'affermit leur situation dans l'aristocratie rurale • (Fei, 1946 : 11 ; c'est moi qui souligne). E n 1948, dans un livre qu'il é c r i v i t avant de se rallier au camp communiste, F e i d é f i n i t l'aristocratie, mentionne ses relations avec l'administration gouvernementale avant la p r o p r i é t é foncière : « L'aristocratie peut se composer d'anciens fonctionnaires, de parents de fonctionnaires, ou simplement de p r o p r i é t a i r e s instruits » (Fei, 1953 : 32). Pour a p p r é c i e r pleinement cette assertion de F e i , il faut se souvenir qu'il rejeta p é r e m p t o i r e m e n t pour la Chine l ' i d é e d'une p r o p r i é t é f o n c i è r e se p e r p é t u a n t i n d é f i n i m e n t . L a loi sur la succession dissolvait les plus grands domaines ; et le mode traditionnel d'acquisition de la terre é t a i t la fonction publique (voir F e i et C h a n g , 1945 : 302). Ce qui implique que la m a j o r i t é des p r o p r i é t a i r e s fonciers chinois, et en particulier les grands p r o p r i é t a i r e s instruits, é t a i e n t des p r o p r i é t a i r e s bureaucrates — c ' e s t - à - d i r e des membres typiques de l'aristocratie bureaucratique. E b e r h a r d , dans une d é f i n i t i o n r é c e n t e de l'aristocratie chinoise, mentioane la « p r o p r i é t é f o n c i è r e » en premier lieu ; i l revient sur cet aspect de p r o p r i é t a i r e , et le place a u premier rang, lorsqu'il d é c r i t « la classe aristocratique » comme c o m p o s é e de « p r o p r i é t a i r e s fonciers, de l e t t r é s et de politiciens r a s s e m b l é s en une seule et même classe » « les r e p r é s e n t a n t s des trois professions se trouvant g r o u p é s en une même famille » normalement ( E b e r h a r d , 1952 : 16 ; voir 14. Les italiques sont de l'auteur). E b e r h a r d « ne se sent pas c o m p é t e n t pour parler de l ' E g y p t e , de la M é s o p o t a m i e et de l'Inde » (ibid. : 35, n. 2) ; et il ne prend pas en c o n s i d é r a t i o n les conceptions de R ù s t o w concernant « le sultanat hellénistique-oriental » et l'esclavage bureaucratique d ' E t a t de la fin de l'Empire r o m a i n (Rustow, O G , II : 169, 187). M a n q u a n t des é l é m e n t s essentiels pour une é t u d e comparative d u gouvernement et de la p r o p r i é t é orientaux, il n ' a p e r ç o i t pas le c a r a c t è r e particulier (et la force) d u premier, et le c a r a c t è r e (et la faiblesse) d u second de ces é l é m e n t s .
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comprenaient les anciens fonctionnaires et les actuels, et les titulaires de hauts grades qui espéraient obtenir bientôt une charge. Beaucoup plus nombreux étaient les membres de shên-shih de gracies inférieurs, qui devaient attendre longtemps une charge. Cependant, comme les titulaires des grades supérieurs non encore au service du gouvernement, les membres des shên-shih inférieurs exerçaient toutes sortes de fonctions semi-officielles, par exemple la promotion de travaux publics locaux, de défense locale et de mesures de sécurité, la direction des entreprises de bienfaisance, et la collecte de taxes et redevances pour le compte du gouvernement (g). Et naturellement ils étalent toujours prêts à accepter un poste gouvernemental, qui, outre qu'il conférait une plus grande influence politique et sociale, était incomparablement plus rentable. Pour certaines sociétés hydrauliques, les documents que nous possédons ne nous permettent que de supposer l'existence d'une aristocratie bureaucratique ; pour d'autres, ils sont concluants. Mais même là où la documentation est peu abondante, on peut distinguer la présence de membres privilégiés de la maison régnante, et celle, moins évidente, d'une aristocratie bureaucratique privilégiée. Les fonctionnaires d'un certain rang étaient avides de partager les avantages de leur situation avec les membres de leur famille. Ce qu'ils firent, dans la mesure de leurs possibilités. 3. - La parenté des civils subalternes et des simples soldats. Il y a aussi la parenté des civils subalternes et des simples soldats. De la vie quotidienne de ce groupe nombreux, nous ne savons que peu de choses. Au 17" siècle en Chine, un gangster bureaucrate, Li San, fort de son expérience, de celles de son père et de son grand-père, tous employés du gouvernement, sut encaisser de fortes sommes qui lui permirent de vivre magnifiquement (45). Son succès, bien qu'exceptionnel et de courte durée, montre combien les parents intelligents et ambitieux de fonction-
(g) C h a n g (GI, P t . II). U n certain nombre de ces t â c h e s , par exemple la construction et l'entretien de routes locales, de c a n a u x d'irrigation et de digues le long des fleuves et l a collecte de taxes et de redevances pour le compte du gouvernement appartiennent à ce type d'entreprises i n t e r m é d i a i r e s q u i , dans la s o c i é t é h y d r a u l i q u e , t a n t ô t sont l'apanage de la bureaucratie, t a n t ô t sont l a i s s é e s aux soins de particuliers (voir Wittfogel, 1931 : 413 sqq., 445 sqq.). Ces particuliers sont surtout des membres de la classe dirigeante bureaucratique et leur fonction prend un c a r a c t è r e semi-officiel lorsqu'elle s'appuie sur l ' a u t o r i t é d u gouvernement pour la collecte des fonds et pour la mobilisation des hommes.
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naires civils subalternes, pouvaient tirer de profit de leur situation. Les familles des soldats de profession constituaient un groupe plus ou moins homogène. Certains des problèmes qu'elles posaient sont mentionnés dans le code d'Hammourabi (46), et une étude comparative des colons ptolémaïques et des soldats paysans des thèmes byzantins révélerait probablement des conditions semblables. La majorité des parents de ces civils subalternes et de ces militaires avaient une situation économique aussi modeste que celle de l'ensemble des artisans et des paysans. Mais politiquement et socialement, ils partageaient le prestige ambivalent des membres de ia famille en service. La situation sociale dont jouit le père, la femme ou le fils d'un policier dans un Etat policier donne quelque idée de la place qu'occupaient les parents de subalternes dans un Etat despotique oriental. b. - Appartenance à l'Etat fondée sur un statut semi, quasi, ou pré-officiel. Tous les parents des hommes de l'appareil ne partagent pas au même degré les privilèges sociaux de leur parent fonctionnaire. Un degré de parenté plus ou moins proche avec des fonctionnaires en activité et les particularités du régime prédominant de relations familiales déterminent la situation spécifique des bénéficiaires à l'intérieur de la classe dirigeante. Mais quelles que soient les variantes, cette situation, toutes conditions égales par ailleurs, est la conséquence du caractère d'éminence que l'appareil d'Etat confère à ses fonctionnaires. Cela vaut aussi, bien que de façon différente, pour les groupes qui jouissent d'un statut semi, quasi, ou préofficiel. Bien qu'ils ne soient pas à proprement parler fonctionnaires, les membres de tels groupes travaillent pour le gouvernement en qualité d'agents économiques ; ou bien ils reçoivent un statut officiel ou quasi officiel pour assurer magiquement, en qualité de fonctionnaires de la religion dominante, la sécurité du régime. 1. - Semi-fonctionnaires séculiers (agents commerciaux et fiscaux). Des personnes qui consacrent tout ou partie de leur temps au service du gouvernement, en qualité d'agents économiques (damkar, setthi), sont parfois classées parmi les fonctionnaires. En ce cas, leur statut n'est pas à ana-
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lyser. Souvent par contre les agents commerciaux ne sont pas classés ainsi ; et les agents fiscaux (fermiers de l'impôt) ne sont que rarement et même presque jamais considérés comme faisant partie de la hiérarchie bureaucratique. Mais bien que l'on refuse à ces hommes le rang de fonctionnaires, on leur reconnaît la qualité de serviteurs du gouvernement. Grâce à cette qualité, ils peuvent compter sur un appui, ils sont revêtus d'une autorité, parfois coercitive et, en rétribution de leur service, ils reçoivent des honoraires ou une commission. En Egypte ptolémaïque, les fermiers de l'impôt recevaient une commission de 5 % et plus tard de 10 % (47) ; à Byzance, de 1 %, 2,5 % ou 5 % (48) ; en Inde musulmane, cette commission allait jusqu'à 10 % (49). En Egypte ottomane, en plus d'un salaire en espèces, ils se voyaient assigner environ 10 % de la terre paysanne cultivable nommée voasîya (50). Naturellement les agents commerciaux et les fermiers de l'impôt pouvaient collecter et garder plus que la somme prescrite. Mais cette tendance qui était vigoureusement combattue par les souverains forts n'était pas particulière aux agents économiques et les fonctionnaires commerciaux ou fiscaux étaient tout aussi avides de collecter et de conserver plus que leur dû. Les agents commerciaux et fiscaux étaient des entrepreneurs privés en ceci que tous usaient de moyens privés et parfois dirigeaient des employés engagés par eux. Mais agissant pour le compte du gouvernement, ils jouissaient des avantages de l'autorité gouvernementale et au besoin pouvaient mobiliser le personnel du gouvernement pour imposer leur volonté. La population les respectait et les craignait, non en tant qu'individus privés, mais en tant que mandataires du pouvoir gouvernemental. Si ces personnes étaient des fonctionnaires ou des membres de l'aristocratie bureaucratique qui cherchaient à accroître leur richesse par des opérations semi-officielles, leur situation bureaucratique était établie a priori. De toute manière, la garantie gouvernementale donnée à leurs fonctions faisait d'eux des semi-officiels et les rangeait dans la classe dirigeante, même s'ils restaient dans la zone marginale de celle-ci. 2. - Quasi-fonctionnaires religieux (fonctionnaires de la religion dominante). Dans un chapitre précédent nous avons examiné les méthodes grâce auxquelles l'Etat agro-directorial s'assurait le concours de la religion dominante et de ses fonctionnaires. En Chine et au cours de la première période de
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l'Egypte pharaonique, les fonctionnaires gouvernementaux accomplissaient eux-mêmes une grande partie des tâches relevant du culte dominant. Dans d'autres civilisations, le gouvernement nommait les prêtres de la religion dominante, et du point de vue de l'administration, les traitait comme des fonctionnaires séculiers {Staatsbeamte) (51). Les fonctionnaires religieux de l'Islam vivaient en général de dotations (wakfs) qui restaient sous le contrôle plus ou moins direct du gouvernement (52). A cet égard, ils étaient plus étroitement tributaires de l'Etat que ne l'étaient les brahmanes de l'Inde hindoue, qui ne recevaient qu'exceptionnellement des terres en dotation. Dans les deux cas cependant, l'Etat imposait la loi sacrée de la religion dominante, ce qui conférait à ses fonctionnaires religieux une situation et une autorité quasi officielles. Naturellement, tout fonctionnaire religieux inspire aux croyants une sorte de crainte ; mais son prestige peut se trouver diminué ou accru par le cadre général dans lequel se situe son action. Le prêtre d'une religion secondaire ou défavorisée peut avoir quelque difficulté à imposer son autorité même parmi ses propres fidèles, qui se trouvent sans cesse exposés aux jugements de valeur malveillants d'un entourage hostile. Le prêtre d'une foi dominante ne se heurte pas à de telles difficultés. Au contraire. Le respect des souverains rehausse son prestige ; et il se trouve que ce prestige est en relation directe avec la puissance du gouvernement. Sous le despotisme hydraulique, les fonctionnaires de la religion dominante, même si ce ne sont pas des fonctionnaires appointés, se trouvent placés au niveau social de quasi-fonctionnaires. 3. - Personnes occupant une situation pré-officielle (étudiants et possesseurs de titres aspirant au fonctionnariat). Les complications de l'idéologie et de l'écriture, et la plupart des civilisations au-dessus du niveau tribal possédaient une écriture, tendaient à imposer au candidat fonctionnaire un long apprentissage ; ces candidats constituaient souvent un groupe défini. S'ils étaient acceptés dans des « collèges » ou dans des « universités » oflicielles ils étaient choisis avec soin, et en nombre restreint. Telle était la situation au Mexique aztèque et à Byzance, sous les Mameluks, en Turquie ottomane et au cours de certaines périodes de l'histoire chinoise, la période Han par exemple. Lorsque les étudiants dépendaient des temples et/ou avaient pour maîtres des prêtres, leur éducation n'était
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pas spécifiquement bureaucratique mais leur nombre était limité de la même manière. Là où des concours étaient ouverts au public en général, comme c'était le cas durant les deux dernières dynasties chinoises, les étudiants étaient nombreux, et les possesseurs de grades inférieurs également. Soumis à un long et intensif processus d'endoctrinement, les étudiants ont fort bien pu être plus sensibles au profit et à l'éminence que procurait la carrière bureaucratique, que les fonctionnaires en exercice. La conscience de classe en ce qui concerne les bureaucrates était encore renforcée si les possesseurs de grades étaient admis à remplir certaines fonctions semi-officielles. Les membres des shên-shih qui possédaient des grades mais pas encore de charge sont un exemple classique de groupe pré-bureaucratique. 4. - Note comparative U.R.S.S.).
(idéologues
professionnels
en
Dans la société hydraulique, les souverains touchaient rarement à la doctrine sacrée, même lorsqu'ils étaient grands-prêtres. En Union Soviétique, l'Eglise orthodoxe, bien qu'encore tolérée, n'est plus une foi dominante ; et lorsque les desseins soviétiques ouvertement exprimés se réaliseront, l'Eglise sera remplacée complètement par la doctrine de l'Etat laïque. Ceux qui sont normalement les gardiens de cette dernière sont les maîtres de l'Etat ; eux — et eux seuls — peuvent l'interpréter et la modifier. Les idéologues de premier plan du pays sont les membres de premier plan de la bureaucratie régnante ; et la plus grande partie des intellectuels professionnels sont, comme eux, des fonctionnaires d'Etat. Quelques artistes et écrivains remarquables peuvent créer sans appartenir au fonctionnariat. Mais ils suivent les directives d'Etat, ils exécutent des ordres d'Etat, ils sont payés comme des hauts fonctionnaires ; et puisqu'ils servent bien l'Etat et sans réserve, ils jouissent de prérogatives analogues. Pratiquement, ils ont un statut quasi officiel. Cette différence est importante. Tandis que dans la société hydraulique les idéologues (religieux) quasi officiels nombreux, et relativement libres en matière de doctrine sont des fonctionnaires, en U.R.S.S. les intellectuels quasi officiels sont peu nombreux et leur liberté en matière de doctrine est nulle. L'Etat directorial totalitaire est idéocratique. Le pouvoir dans un tel Etat inclut le contrôle des idées dans la société. L'idéologie est nationalisée aussi bien que les idéologues.
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c. - Subdivisée,
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mais encore une entité.
Notre enquête révèle que même dans les conditions les plus simples, la classe dominante dans la société hydraulique se divise en plusieurs sous-sections. Dans des conditions plus différenciées, elle tend à devenir une entité assez complexe. Dans quelle mesure les membres des différentes sous-sections ont-ils conscience de la particularité et de la supériorité de leur situation de classe ? La conscience de classe est probablement un facteur moins général — et certainement moins dynamique — que le marxisme ne voudrait le faire croire. Mais sans aucun doute, les maîtres de la société hydraulique qui jouissaient d'extraordinaires privilèges en matière de pouvoir, de revenus, de statut, formaient l'un des groupes possédant la plus forte conscience de classe qu'on connaisse dans l'histoire de l'humanité. Naturellement, leur conscience de classe ne s'exprimait pas toujours en images qui soulignaient leur dignité de fonctionnaires titulaires. Les serviteurs de la Turquie ottomane étaient fiers d'être les « esclaves » de leur sultan. L'honneur de la classe dirigeante, comme ils la concevaient, reposait sur le souverain autocratique. Les idéologues politiques de l'Inde hindoue exaltaient la prééminence du roi, protecteur suprême de la religion dominante. L'honneur de la classe dirigeante telle qu'ils la concevaient reposait sur ses prêtres conseillers. Les philosophes confucéens rendaient hommage à leur souverain absolu ; mais ils glorifiaient le lettré qui, grâce à l'éducation reçue allait sans doute devenir un aristocrate-bureaucrate. L'honneur de la classe dirigeante, telle qu'ils la concevaient, reposait sur ses fonctionnaires convenablement instruits. Le confucianisme expose l'aspect politico-social de la question avec une extraordinaire netteté. En désignant l'aristocrate lettré par le terme de chùn-tzu, Confucius insista sur la qualité politique de l'homme idéal à ses yeux. Le chùn-tzu possédait parfaitement les traditions culturelles du fonctionnariat héréditaire ( « n o b l e » ) , mais ses compétences avaient une portée essentiellement politique. Le mot chùn-tzu évoquait à l'origine l'idée de « chef », « homme dont la profession est de gouverner ». Après une formation convenable, le chùn-tzu était prêt à être « employé » en qualité de fonctionnaire gouvernemental (53). Il était prêt à gouverner les «petits hommes» ; la masse de la population. Le partage entre les deux groupes s'exprime par les termes chinois shih et min. Le shih comprend ces individus qui grâce à l'éducation qu'ils ont reçue en matière éthique,
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militaire et cérémonielle, sont aptes à gouverner et gouvernent lorsqu'ils y sont appelés. Le min c'est « le peuple », qui est gouverné par le souverain et les membres du s/un en fonction (h). Les compétences civiles et militaires ont été, selon les époques, diversement appréciées (i). Mais l'exaltation du shih persista jusqu'à la fin de l'ère impériale. Quels que soient les termes, la distinction shih-min se trouve dans toutes les sociétés hydrauliques. Dans toutes, les chefs, potentiels ou en fonction, ont profondément conscience de leur différence et de leur supériorité par rapport à la masse gouvernée — les gens du commun, le « peuple ». D. — LES GOUVERNÉS 1. - S U B D I V I S I O N S D U P E U P L E , PRIÉTÉ.
Q U I S E BASENT
SUR L A PRO-
Au-dessous des dirigeants, se trouve le vaste monde des gens du commun. Ses membres ont tous la même qualité négative : aucun ne participe aux affaires de l'appareil d'Etat. Ils ont aussi en partage une qualité positive : aucun d'eux n'est esclave. La tradition chinoise distingue trois groupes essentiels de gens du peuple : les paysans, les artisans et les marchands. Ils sont cités ici dans l'ordre de leur apparition sur la scène historique ; mais il est douteux que cet ordre historique ait été connu de ceux qui en établirent ainsi la liste. Plus probablement, ceux-ci se référèrent-ils à
(h) L'ouvrage Classic of History nomme souvent les fonctionnaires shih (Legge, C C , III : 275, 367, 369, 626) et de m ê m e les Odes (ibid., I V : 360, 409, 429 s q q . , 569). E n u n sens plus restreint, le terme shih é v o q u e des fonctionnaires de r a n g i n f é r i e u r (voir ibid,, I : 401). L e s shih sont f r é q u e m m e n t mentionnés comme des personnes d ' é d u c a t i o n a d é q u a t e , en particulier dans les é c r i t s c o n f u c é e n s (voir ibid., I : 168, 274, 276). C'est au service d u gouvernement qu'ils font la preuve d é c i s i v e de leur é d u c a t i o n {ibid., I : 271 s q q . , 339). L ' a m i t i é d'un shih est certainement à rechercher, m ê m e lorsqu'il n'est pas en fonction {ibid., I : 297). F r é q u e m m e n t , nous trouvons les shih en contact avec les min. L e s premiers servent avec é l é g a n c e a u temple r o y a l ancestral (ibid., I V : 569) o u à l a Cour, tandis que les seconds les regardent et les a d m i r e n t (ibid., I V : 409 sqq.). Les shih et les min constituent l a t o t a l i t é de l a population. Dans les p é r i o d e s t r o u b l é e s , les deux groupes souffrent d ' i n s t a b i l i t é (ibid., I V : 560). (i) Confucius s ' i n t é r e s s a i t a v a n t tout a u x c o m p é t e n c e s civiles des shih ; et c ' é t a i t l à de toute é v i d e n c e une i n n o v a t i o n par rapport à une tradition plus ancienne (voir Legge, C C , I : passim ; voir Wittfogel, 1935 : 49, n. 3).
390
L E DESPOTISME
ORIENTAL
l'importance économique relative, l'agriculture étant la racine (pên) et l'artisanat et le commerce, les branches (mo) de leur civilisation agraire (a). La racine et les branches correspondent aux deux formes fondamentales de propriété : immobilière et mobilière. Dans notre étude des types de complexité de la propriété, nous avons analysé de manière très détaillée (1) l'apparition, le développement et la situation sociale des trois groupes que nous venons de mentionner ; et il n'est pas nécessaire de répéter ici nos conclusions. Cependant, pour compléter l'enquête, il nous faut, parvenus à ce point, étudier la situation du groupe social le plus bas : les esclaves. Les esclaves ne jouèrent dans la société hydraulique qu'un rôle très limité. Pourquoi ? 2.
- L E S ESCLAVES
Le sol, l'eau et les plantes sont manipulées avec grand soin par les personnes qui profitent personnellement de leur peine : les membres paysans des communautés rurales, les propriétaires cultivateurs et les fermiers. Mais on ne peut pas attendre des soins semblables de la part d'esclaves absolus — c'est-à-dire de personnes qui outre qu'elles ne sont pas libres personnellement ne possèdent ni famille ni aucun bien. Cela vaut pour les conditions générales de la vie agricole et spécialement pour les zones où l'agronomie dépend en grande partie de la culture d'irrigation. L'agriculture hydraulique fondée sur l'irrigation employait peu la main-d'œuvre servile. A l'occasion, lorsque la facilité d'acquisition des esclaves incitait à les employer en agriculture (ou en artisanat), une telle maind'œuvre restait auxiliaire. Pour que le travail soit fait avec soin, on donnait en général aux esclaves une part des produits qu'ils obtenaient et parfois l'autorisation de se marier. Le coût de la surveillance interdisait l'emploi en masse d'esclaves pour les plus typiques des travaux publics de la société hydraulique : la construction et l'entretien des canaux, des digues, des routes, des murs. Ce n'est que dans les entreprises qui n'occupent qu'un espace restreint, les mines et les carrières, les constructions de palais et de temples et le transport d'objets volumineux, par exemple, que la main-d'œuvre servile est facile à surveiller, et par conséquent, avantageuse à employer (2). (a) L a classification chinoise qui place le shih par r a n g d'ordre ayant les paysans, les artisans et les marchands, ne r e c o n n a î t pas la q u a l i t é de classe aux personnes dont la situation repose essentiellement sur la p r o p r i é t é foncière privée.
r LES
CLASSES
DANS
L A SOCIÉTÉ
HYDRAULIQUE
(8,
D)
391
Cela explique pourquoi on trouve les esclaves d'Etat surtout à la Cour, employés dans des bureaux gouvernementaux, des ateliers, des mines, et dans certains types de construction. Cela explique aussi pourquoi les esclaves privés étaient surtout des domestiques de personnes riches qui pouvaient se permettre le luxe du gaspillage (3). Cela explique encore pourquoi certaines tentatives qui visaient à employer des esclaves à des tâches plus subtiles obligèrent leurs maîtres, le gouvernement ou les particuliers à trouver des stimulants efficaces et à remplacer l'esclavage total par un semi-esclavage. Une guerre victorieuse pouvait fournir des réserves appréciables d'esclaves. Et si les conquérants de régions agricoles se hâtaient généralement d'affecter la masse de leurs captifs paysans à l'agriculture, activité où ils serviraient le mieux leurs nouveaux maîtres, le gouvernement s'en réservait un certain nombre et d'autres encore étaient vendus à des particuliers. Les Aztèques qui étaient souvent en guerre avec leurs voisins n'avaient guère l'emploi de la main-d'œuvre servile dans leurs villages (calpulli), organisés sur une base collective. Mais en qualité de victimes dans les grands sacrifices cérémoniels d'Etat, de nombreux captifs servaient les buts d'une politique de terreur, moyen efficace pour conserver la cohésion de l'empire mexicain. En Mésopotamie, la guerre entre les Etats indépendants fournissait des occasions de se procurer des esclaves ; et à Babylone les esclaves étaient dans une certaine mesure employés dans l'agriculture et l'artisanat. Mais là aussi, le travail servile demeura un trait secondaire ; et il fut utilisé en général dans des conditions de semiesclavage : les esclaves pouvaient acquérir des biens et se marier (4). En Egypte pharaonique, l'esclavage semble n'avoir connu quelque extension qu'à l'époque du Nouvel Empire, lorsque de grandes guerres et des conquêtes firent affluer dans le pays une masse de main-d'œuvre étrangère non libre (5). Après avoir analysé l'histoire de la Mésopotamie et de l'Egypte dans leur ensemble, Westerman conclut que dans ces civilisations les esclaves étaient surtout employés comme domestiques (6) ; et Meyer, dans le tableau qu'il trace de l'esclavage au Proche-Orient, affirme que « l'esclavage ne jouait presque nulle part en Orient un rôle économique majeur» (7). L'étude récente de Mendelsohn sur l'esclavage dans l'Orient antique confirme les estimations plus anciennes. La main-d'œuvre esclave employée à l'agriculture « était de peu de poids. Dans l'ensemble, les esclaves assuraient surtout le service domestique» (8).
392
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
L'étude d'autres pays orientaux nous conduirait aux mêmes conclusions. Les esclaves étaient nombreux en Inde, en Chine et dans le monde islamique, mais dans aucune de ces grandes civilisations la main-d'œuvre servile n'a été employée dé façon prédominante dans l'agriculture ou dans l'artisanat (b). Certains esclaves et affranchis furent élevés à des situations éminentes par des despotes orientaux et d'autres se virent confiés par des maîtres privés d'importantes tâches de surveillance. Mais leurs carrières n'étaient pas représentatives des conditions de leur groupe. Si les esclaves domestiques dans la société hydraulique n'étaient pas dans l'ensemble, assimilables à des biens mobiliers (9), ils étaient personnellement non libres et restaient à la merci de leurs maîtres. Dans le cas des esclaves femmes, il était tacitement admis que leur maître était libre d'user d'elles. Dans une société qui polarisait l'autorité totale et la soumission totale, les individus privés de toute liberté personnelle avaient un sort peu enviable. Leur situation ne s'améliorait guère du fait que dans certaines civilisations hydrauliques et chez les familles riches ils pouvaient être nombreux. E. — .MODIFICATIONS DE LA STRUCTURE DE CLASSE QUI APPARAISSENT DANS LES SOCIÉTÉS DE CONQUÊTE L'esclavage affecte l'échelon inférieur de la société orientale, la conquête, l'échelon supérieur. En fait, la conquête peut transformer la structure traditionnelle d'une zone conquise si profondément que le terme de société de conquête pour désigner le résultat institutionnel s'en trouve justifié (1). La sociologie des conquêtes a mis l'accent sur les relations entre la conquête et les débuts des sociétés stratifiées (nous l'appellerons conquête primaire) ; et ce processus, bien que rarement signalé, mérite certainement qu'on s'y arrête. Mais la conquête peut accélérer la stratification de sociétés déjà stratifiées (nous (b) P o u r l'Inde, voir C . A . F . R l i y s - D a v i d s , 1922 : 205 ; Fie.k, 1920 : 306 sqq. A p p a d o r a i (1936, I : 317 sqq.) n ' é t a b l i t pas de relation entre ses d é c o u v e r t e s concernant l'emploi des esclaves en Inde du sud hindoue à l ' é p o q u e tardive et son analyse de l'agriculture et de l'industrie. Mais sa description de ces deux branches de l ' é c o n o m i e implique ce que le D r R h y s - D a v i d s a n o t é explicitement p o u r l'Inde bouddhique. Dans les deux domaines, le travail servile é t a i t insignifiant ( C . A . F . R h y s - D a v i d s , 1922 : 205). P o u r la s o c i é t é chinoise en g é n é r a l , voir Wittfogel, 1931 : 393 sqq. ; pour la p é r i o d e H a n , voir W i l b u r , 1943 : 174 s q q . , 195 sqq. P o u r la s o c i é t é abbasside, voir M e z , 1922 : 152 sqq. ; pour la Perse p r é - m o n g o l e , voir Spuler, 1952 : 439 sqq.
r L E S C L A S S E S DANS L A S O C I É T É H Y D R A U L I Q U E (8,
E)
393
l'appellerons conquête secondaire) ; et ce processus, plus souvent signalé, et généralement par des documents portant sur des évolutions plus récentes, mérite une attention plus particulière. 1. - C O N Q U Ê T E DONNANT L I E U A L A F O R M A T I O N D E S O C I É T É S STRATIFIÉES (CONQUÊTE P R I M A I R E )
La guerre entre des communautés politiquement indépendantes est aussi vieille que la vie humaine. Mais les méthodes destinées à soumettre une population donnée de façon permanente, ne se développaient que lorsque la sujétion permanente était à la fois possible et rentable. Cette virtualité fut-elle exploitée d'abord et dans tous les cas par les conquérants ? Ou les facilités de production croissantes provoquèrent-elles l'apparition d'un groupe dirigeant indigène, d'une noblesse tribale ou d'un fonctionnariat professionnel ? Lowie qui considère les « conditions internes » suffisantes « pour créer des classes héréditaires ou approximativement héréditaires» (2), évalue prudemment la portée respective de la différenciation interne et de la conquête en déclarant que les deux facteurs « ne sont pas nécessairement incompatibles » (3). Un développement essentiellement endogène est signalé dans un certain nombre de cas (4), mais il semble hors de doute qu'en d'autres cas la conquête créa une stratification sociale avancée et très souvent intensifia et accéléra une différenciation endogène naissante. Une conquête de cet ordre — conquête primaire — se produisit apparemment dans le monde hydraulique entier, dans la Grèce antique et à Rome, au Japon et en Europe médiévale. C'est un facteur général, mais non spécifique qui ne peut donc servir d'explication aux différents types de pouvoir, de propriété et de classe qui caractérisaient ces civilisations (a). (a) P o u r l'histoire des relations entre la c o n q u ê t e et l a formation d'une structure de classe, voir R ü s t o w , O G , I : 84 sqq. Ce p h é n o m è n e a é t é é t u d i é s y s t é m a t i q u e m e n t d u point de vue sociologique par G u m p l o w i c z (1905 : 190 sqq., 195 sqq.) et Oppenheimer (1919 : 32 s q q . | ; tous deux soutinrent l a thèse selon laquelle la d i f f é r e n c i a t i o n des classes a g é n é r a l e m e n t la c o n q u ê t e pour origine. Les anthropologues M a c L e o d (1924 : passim) et L o w i e (1927 : »3 sqq.) ont c o m b a t t u cette t h è s e à l'aide d'arguments convaincants. Sans tenir compte de ces arguments, R ü s t o w ( O G , I : 66 s q q . , 74 s q q . , 95 sqq.) accepte dans l'ensemble la t h è s e plus ancienne de la c o n q u ê t e ; mais il a d m e t la p o s s i b i l i t é de d i f f é r e n c i a t i o n s sociales r é s u l t a n t d'un d é v e l o p p e m e n t interne pacifique ( O G , I : 88 sqq., 90 sqq.) et il r e c o n n a î t que les s o c i é t é s c r é é e s par l a c o n q u ê t e ont des structures d i f f é r e n t e s . B i e n q u ' i l s u g g è r e pour ces s o c i é t é s les termes « " m é d i é v a l e s " ou " f é o d a l e s " au sens le plus large » ( O G , I : 79),
394 2.
-
LE
L A
POUSSÉE
CONQUÊTE
DESPOTISME
PROVOQUE
DES SOCIÉTÉS
ORIENTAL
UNE
STRATIFIÉES
DIFFÉRENCIATION (CONQUÊTE
PLUS
SECONDAIRE)
Une conquête secondaire ne crée pas nécessairement une société de conquête. La majorité des membres du groupe conquérant peuvent rester dans leur patrie ; et leurs chefs peuvent se contenter d'exercer un contrôle lointain soit par l'entremise de leurs nationaux qui occupent alors la position de caste supérieure, soit en utilisant des collaborateurs indigènes, soit en postant des garnisons aux points stratégiques. Le gouvernement des provinces au moyen des satrapes, des curacas ou des rajas est généralement un phénomène tardif de la conquête militaire ; et il comprend d'importantes gradations horizontales du pouvoir. Mais l'ordre institutionnel qui en résulte n'est pas une société de conquête, au sens de la présente étude. Je n'emploie le terme société de conquête que lorsque les conquérants fixent leur résidence dans les territoires qu'ils ont pris, quand ils n'exterminent ni ne chassent la population indigène et quand ils sont suffisamment nombreux pour imposer un corps gouvernemental étranger, cohérent et distinct, extérieur et supérieur, à leurs nouveaux sujets. Les sociétés de conquête à l'état naissant se sont formées à la suite de conquêtes primaires. Les sociétés de conquête pleinement développées se sont créées dans de nombreux pays et dans des circonstances diverses. Les causes de leur essor furent évidemment l'attrait exercé par le pays, objet de conquête, la force militaire et la mobilité des conquérants. Les civilisations agricoles (et particulièrement les « riches » économies hydrauliques)
il note que ce terme de « f é o d a l » au « sens politique é t r o i t » convient essentiellement à l ' E u r o p e m é d i é v a l e ( O G , I : 312), q u ' à R o m e la classe dominante é t a i t c o n s t i t u é e d'une grande aristocratie paysanne ( O G , II : 166), et qu'en E g y p t e , d è s l'aube de l'histoire, une é c o n o m i e p l a n i f i é e c o n d a m n a la masse de la population à un « esclavage d ' E t a t » ( O G , II : 187). E t a n t d o n n é cette controverse, i l est dommage q u ' E b e r h a r d , qui i admet la t h é o r i e de A . R û s t o w sur le facteur pouvoir, qui c r é e des s o c i é t é s f é o d a l e s par super-stratification » (Eberhard, 1952 : 3) et qui c o n s i d è r e que l'ensemble des i d é e s de R u s t o w est « j u s q u ' à p r é s e n t , la t h é o r i e la plus c o m p l è t e sur les origines de la f é o d a l i t é » (ibid.) n'initie pas ses lecteurs à la d i v e r s i t é structurale des s o c i é t é s f é o d a l e s de R u s t o w . E b e r h a r d ne voit « aucune d i f f é r e n c e essentielle entre le f é o d a l i s m e oriental et le f é o d a l i s m e occidental » (ibid. : 2). Mais il suffit de comparer le s y s t è m e f é o d a l d ' E b e r h a r d « f o n d é essentiellement sur l a terre tenue en fief p a r le vassal a (ibid. : 1) avec l a r é a l i t é orientale et le concept riistowien du « f é o d a l i s m e spirituel » en E g y p t e , pays g o u v e r n é par un c l e r g é et p r a t i q u a n t un esclavage d ' E t a t p l a n i f i é ( O G , II : 17, 31, 187), pour comprendre l ' i n a d é q u a t i o n de la t h é o r i e d ' E b e r h a r d , tant d u point de vue des faits institutionnels que de celui de l ' a u t o r i t é dont il se r é c l a m e , le D r Rustow.
L E S C L A S S E S DANS L A SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E (8, E)
395
étaient des objectifs éminemment désirables ; et jusqu'aux temps modernes, de puissantes tribus nomades (surtout les tribus de pasteurs qui montaient à cheval et employaient la selle et l'étrier), s'en emparèrent avec le plus grand succès (5). 3.
- MODIFICATIONS DES CLASSES
sous L E S
DYNASTIES
H Y D R A U L I Q U E S D E CONQUÊTE a. - Les Chinois rants.
n'ont pas toujours
assimilé
leurs
conqué-
L'histoire de grands peuples possédant une culture vivace, comme les Chinois, montre avec quelle rapidité les conquérants « barbares » adoptèrent de nombreux traits du mode de vie des peuples conquis. Une généralisation hâtive de ce fait culturel donna naissance à cette légende très répandue : les Chinois assimilent « toujours » leurs conquérants. Mais la réalité contredit cette légende. Loin de renoncer à leurs privilèges de pouvoir, de prestige et de profit, les conquérants cherchèrent toujours à les perpétuer par toutes sortes de procédés politiques, militaires et légaux. Et toutes les fois qu'ils jugèrent utile de le faire, ils perpétuèrent aussi des traits particuliers de leur propre tradition culturelle. Une analyse comparative montre qu'aucune des quatre grandes dynasties de conquête en Chine ne confirme le mythe de l'absorption, pas même la dernière. Les Mandchous avaient déjà avant la conquête adopté de nombreuses coutumes chinoises (6) ; mais dans leur cas, comme dans d'autres, des différences fondamentales de statut politique et social persistèrent jusqu'au bout (b). b. - Méthodes rants.
pour
préserver
l'hégémonie
des
conqué-
Les raisons en sont faciles à comprendre. Les conquérants « barbares » se reposaient pour de nombreux détails de l'administration civile sur des experts et des bureaucrates indigènes. Mais ils préservaient leur hégémonie poli-
(b) Dans des conditions de c o n q u ê t e , la transformation culturelle est é t r o i t e m e n t l i é e à la transformation politique. N o s conclusions concernant l a Chine sont par c o n s é q u e n t significatives pour les s o c i é t é s de c o n q u ê t e en g é n é ral : « U n e assimilation culturelle c o m p l è t e ne se produisit é v i d e m m e n t que lorsque la disparition d'une s é g r é g a t i o n sociale permit la disparition de l a s é g r é g a t i o n culturelle — c ' e s t - à - d i r e a p r è s la fin de la p é r i o d e de c o n q u ê t e > (Wittfogel, 1949 : 15).
396
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
tique, sociale et économique en plaçant leurs nationaux à des postes supérieurs au fonctionnariat indigène, en concentrant leurs guerriers de tribus en cadres spéciaux, camps, ordus (hordes), ou étendards, en interdisant les mariages mixtes avec la population soumise et en préservant leur religion tribale, même quand pour des raisons de prestige, le souverain et ses lieutenants célébraient les grandes cérémonies indigènes (c). Les guerriers arabes, appui militaire essentiel de la dynastie Ommeyade, perdirent leur prééminence sociale à la chute de cette dynastie (d), exactement comme en Chine, les Ch'i-tan, Jurchen, Mongols et Mandchous perdirent leur situation privilégiée quand leurs respectives dynasties de conquête (Liao, Ts'in, Yuan, et Ts'ing) prirent fin. c. - Dédoublement
des classes.
Les sociétés de conquête tendent donc à opérer un curieux dédoublement des couches sociales. D'une manière générale, une classe supérieure exogène (noblesse) vient s'ajouter à une bureaucratie indigène ; et les guerriers tribaux se distinguent en tant que classe des subalternes plébéiens de la hiérarchie politique. Les étendards, camps, ou ordus nouvellement organisés remplacent les anciennes troupes régulières et prennent définitivement rang d'élite par rapport aux troupes indigènes que le régime décide de maintenir. F. — NOMBREUX ANTAGONISMES SOCIAUX MAIS PEU DE LUTTES DES CLASSES Les représentants de l'Etat despotique tiennent naturellement une grande place dans toute étude des structures des classes ; et cela, non pas parce que les hommes de l'appareil constituent la masse de la population — ce n'est certainement pas le cas — mais parce que le pouvoir d'Etat, plus que tout autre facteur, décide du sort des membres de la classe dirigeante comme de celui du peuple. Cela apparaît avec évidence si nous considérons les trois grandes formes d'antagonismes sociaux qui se révè(c) Ce fut le cas par exemple des M a n d c h o u s dont les empereurs c é l é braient les sacrifices chinois traditionnels, tandis qu'en p r i v é , dans leurs palais, ils continuaient à c é l é b r e r le culte de leurs dieux t r i b a u x (Wittfogel 1949 : 14). (d) Wellhausen, 1927 : 557. L e s O m m e y a d e s ne conquirent pas le ProcheOrient mais ils c o n s o l i d è r e n t les c o n q u ê t e s accomplies sous les premiers califes.
L E S C L A S S E S DANS L A S O C I É T É H Y D R A U L I Q U E (8,
F)
397
lent dans la société hydraulique : antagonismes entre les membres des différentes subdivisions de plébéiens, antagonismes entre le peuple et l'Etat et antagonismes entre les membres des différentes subdivisions de l'appareil gouvernemental. 1.
- ANTAGONISME
SOCIAL
E T L U T T E DES CLASSES
Antagonisme social et lutte des classes sont deux choses différentes. Un conflit peut être considéré comme social lorsqu'il engage des membres de différents groupes sociaux et lorsqu'il est suscité essentiellement par la situation sociale de ces membres. Mais un conflit social limité à quelques personnes, ne peut raisonnablement s'appeler lutte des classes. Le terme de « classe » évoque un groupe — d'ordinaire un groupe assez nombreux — d'individus socialement homogènes ; et un conflit social prend le caractère de conflit de classe seulement quand ceux qui y prennent part représentent une fraction appréciable et représentative d'un tel groupe. La lutte des classes implique une action de masse. Une telle lutte peut atteindre un point tel qu'elle mette en question les conditions sociales et politiques existantes. Marx, qui peut-être plus que tout autre sociologue du 19" siècle a étudié les classes, souligna cet aspect de la question : « toute lutte des classes est une lutte politique » (1). 2. - L E P O U V O I R
TOTAL
PARALYSE
LA LUTTE
DES CLASSES
Tout cela est très important pour la compréhension de la société hydraulique. Un despotisme agraire assez fort pour interdire toute organisation politique indépendante, n'éprouve pas la nécessité de tolérer l'action de masse pour liquider les conflits sociaux. Les hommes de l'appareil contrôlent aisément les variantes laïques et religieuses de la démocratie au rabais. Il se défie de tout rassemblement de mécontents, et il se hâte en général de briser les mouvements de masse à leurs débuts. Vers le milieu de la dynastie Ts'ing, en 1746, un certain nombre de fermiers foukienais réclamèrent collectivement un ajustement de leur loyer. Ce n'était apparemment qu'une discussion entre deux groupes de personnes privées, mais les fonctionnaires locaux intervinrent rapidement, arrêtèrent et punirent les meneurs (2). Un édit ultérieur blâma les fonctionnaires de la province pour avoir laissé des « gens stupides s'assembler et violer la loi » (3).
398
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
Une analyse Han de l'entreprise d'Etat et de l'entreprise privée dans les manufactures de sel et de fer déconseille aux entreprises privées d'employer plus de mille ouvriers, car un tel rassemblement de main-d'œuvre constituait un champ offert à l'action subversive (4). A la fin de la période impériale, un édit rappela solennellement qu'il « y avait toujours eu une loi promulguée par cette dynastie même interdisant les sociétés et associations de toute espèce» (5) Cette déclaration est significative, tant par son hostilité aux associations populaires que par son indifférence à l'égard des corporations existantes de marchands et de commerçants. Le gouvernement ne comptait même pas ces organisations au nombre des sociétés et associations ayant une importance politique. Une telle attitude excluait l'action de masse politique (lutte des classes) du nombre des formes légitimes de protestation sociale. Et elle l'excluait même à l'intérieur de la classe dirigeante. Les conflits entre membres des différentes subdivisions de cette classe prenaient souvent une couleur politique parce qu'ils mettaient en jeu des aspirations rivales des privilèges fondés sur le pouvoir ; mais ils allaient rarement jusqu'à l'action de masse politique et ouverte. L'histoire de la société hydraulique suggère que la lutte des classes, loin d'être un mal chronique de l'humanité tout entière, est le luxe des sociétés ouvertes à centres multiples.
DES
G. — ANTAGONISMES ENTRE MEMBRES DIFFÉRENTES SUBDIVISIONS DU PEUPLE
Dans les sociétés hydrauliques simples, les paysans constituent presque la totalité des « gouvernés » et ils sont encore dans les sociétés hydrauliques semi-complexes et complexes le groupement populaire le plus important. Quelles sont les occasions de conflit social entre eux et les autres groupes ? Les paysans pauvres (les fermiers) pouvaient s'opposer aux paysans riches (les propriétaires prospères), aux marchands ou aux usuriers. Mais les risques de tels conflits sont restreints dans les communautés rurales réglementées qui constituent la plus grande partie des sociétés hydrauliques. Car dans ces communautés, le fermage est soit inexistant, soit marginal ; et les différences économiques entre les différentes familles paysannes sont minimes puisqu'elles se trouvent dans des situations analogues. En outre l'économie en ce qui concerne le niveau moyen des commu-
LES
CLASSES
DANS
L A SOCIÉTÉ
HYDRAULIQUE
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nautés rurales n'est pas susceptible de s'accommoder à des circonstances nouvelles et cet état de choses restreint les possibilités de transaction — et les risques de conflit — entre les paysans et les autres sections du peuple : les artisans, les commerçants, et/ou les usuriers (a). Les conflits ruraux se multiplièrent à mesure que s'étendit la propriété foncière privée. En Russie tsariste, de grandes révoltes de paysans s'allumèrent au 18" siècle, quand les pomiechtchiki devinrent propriétaires de leurs anciennes terres administratives et que les paysans, sur la foi des bruits qui couraient, espérèrent devenir propriétaires de la terre qu'ils cultivaient (1). La réforme de la terre pomiechtchiki en 1762 fut suivie de sérieux trou-
fa) W . C . S m i t h , dans son article « Lower-classes Uprisings in the M u g h a l Empire », ne dit rien des conflits sociaux entre les d i f f é r e n t e s classes d u peuple. Plusieurs fois, i l mentionne des « p r o p r i é t a i r e s » e n g a g é s dans des conflits de classe contre les paysans. Mais dans un cas i l suppose seulement l'existence de telles personnes (1946 : 28) ; dans les autres cas, il emploie le mot « p r o p r i é taires » comme é q u i v a l e n t de zamindars (ibid. : 27, 30). J u s q u ' a u 1 8 s i è c l e , les zamindars é t a i e n t essentiellement des rajas tributaires (Moreland, 1929 : 279) ; et la « noblesse » selon S m i t h , accaparait « e n v i r o n un tiers de la production agricole d u pays », « sous forme de " taxes " o u " revenus " » (1946 : 23). C ' e s t - à - d i r e que ces « nobles » é t a i e n t de v é r i t a b l e s fonctionnaires gouvernementaux qui v i v a i e n t du revenu gouvernemental. Ce type social est e n t i è rement d i f f é r e n t d u s y s t è m e de possession de l a terre en E u r o p e f é o d a l e ; et il est regrettable que S m i t h q u i le savait (1946a : 308), ait cependant e m p l o y é pour les conditions indiennes, le terme de « f é o d a l i s m e » (ibid.). Les paysans p a r t i c i p è r e n t a p p a r e m m e n t à d i f f é r e n t e s sortes de r é b e l l i o n , mais celles dans lesquelles on r e c o n n a î t nettement des p r o b l è m e s sociaux semblent a v o i r eu pour origine principalement des conflits fiscaux. C o m m e on peut s'y attendre dans un pays g o u v e r n é par des souverains appartenant à une foi é t r a n g è r e , les conflits religieux se m ê l è r e n t f r é q u e m m e n t a u x conflits l a ï q u e s ; et en de n o m b r e u x cas, les conflits religieux fournirent probablement aux conflits l a ï q u e s l'occasion de s'exprimer et avec plus d ' i n t e n s i t é (voir Smith, 1946 : 27 sqq.). Mais nous n'avons aucune raison de douter que certains conflits é a i e n t é t é authentiquement —- o u essentiellement — religieux. E n 1672, les membres d'une petite secte se h e u r t è r e n t aux a u t o r i t é s , battirent l a police locale et plusieurs contingents de troupes r é g u l i è r e s et c o n s e r v è r e n t temporairement le p o u v o i r dans la ville de N a r n a w l . S m i t h qui v o i t dans cet é p i s o d e une « lutte des classes d é s e s p é r é e » [ibid. : 29), oublie d'indiquer le mobile extra-religieux qui justifierait une telle classification. Il y a v a i t aussi des conflits sur des questions purement nationales o u provinciales. L a r é b e l l i o n des P a t h a n que S m i t h nomme « le m o u v e m e n t p o p u laire p e u t - ê t r e le plus formidable » de la p é r i o d e mongole, ne fut qu'une r é s i s tance p r o l o n g é e et dramatique de la p a r t de fières tribus f r o n t a l i è r e s « à l a domination de l ' E t a t mongol qu'on tentait de [leur] imposer » (ibid. : 33, 34). E t dans l a r é g i o n de K i s h t w a r , il a p p a r a î t clairement que ce fut un groupe semii n d é p e n d a n t de dirigeants locaux qui c o m b a t t i t les incursions des Mongols. Les protagonistes de la r é b e l l i o n de K i s h t w a r , les zamindars locaux d é f e n d i r e n t la cause de leur prince qui plus tard r e t r o u v a son trdne. Le fait que les « classes i n f é r i e u r e s » aient aussi « c o m b a t t u et souffert » et que les ryots et les habitants du Cachemire proche se soient « plaints » de la d u r e t é d u chef m o n g o l (ibid. • 27) n'est g u è r e une raison suffisante p o u r classer.eotto affaire pairui Ivs t r 8 T t ) l - ~ tes des classes i n f é r i e u r e s » de cette é p o q u e . I n : n ) i n T > <'~'~M I C e
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bles parmi les paysans (2) ; le point culminant en fut la grande rébellion menée par Pougatchev (1772-75) (3). Nous possédons d'abondants documents sur les conflits nés des prêts usuraires de grain ou d'argent, des fermages abusifs en Egypte ptolémaïque ou romaine, en Chine traditionnelle et naturellement dans de nombreuses sociétés hydrauliques en transition. Des études récentes ont dirigé toute l'attention sur ces conflits autour de la propriété et ont par conséquent négligé les extraordinaires forces de pouvoir et de propriété relevant de la bureaucratie qui sont sous-jacentes et qui compliquent les tensions entre les différents groupes de gens du peuple pauvres et riches. Mais même si de telles études prouvent une grande méconnaissance du caractère de la société hydraulique, elles nous fournissent de précieux documents sur les conflits nés de la propriété ; et elles nous dispensent de répéter ce que les auteurs ont dit avec érudition, sinon impartialité sur ce sujet. Le développement de la propriété et de l'entreprise privées dans l'artisanat et le commerce créa les conditions qui entraînèrent des conflits sociaux de toutes sortes entre citadins. En Europe médiévale, de tels conflits prirent une ampleur considérable. Il arriva assez souvent que les mouvements sociaux atteignirent les proportions d'une lutte de masse (et des classes), et, dans certaines villes, les marchands se trouvèrent obligés de partager la direction politique avec les artisans, tandis que dans d'autres, les corporations artisanales, à la faveur de ces luttes, s'assurèrent l'hégémonie (4). Le contraste est frappant avec le monde hydraulique. Bien que les corporations de la société hydraulique aient une histoire beaucoup plus longue que celle de leurs homologues occidentales, elles se sont rarement, jamais peutêtre, engagées dans une action militante et politique qui ait une importance comparable (b).
(b) V o i r ci-dessus, chap. 4. Les marchands K a r i m i de l ' E g y p t e mameluk a m a s s è r e n t de grandes fortunes g r â c e au commerce international des é p i c e s et aux banques ; et leur commerce, avec des pays tels que le Y é m e n , peut à l'occasion avoir i n f l u e n c é l a politique é t r a n g è r e du gouvernement mameluk, qui en tirait de grands profits. Mais en d é p i t de leur importance é c o n o m i q u e , les marchands K a r i m i n'atteignirent jamais à une situation politique i n d é p e n dante comparable à celle des marchands de l'Europe f é o d a l e qui appartenaient à des guildes. V o i r Fischel, 1937 : 72 sqq., 76 sqq., 80 sqq. ; voir Becker, IS, I : 186, 214.
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H. — L E « PEUPLE » CONTRE LES HOMMES DE L'APPAREIL La disproportion entre l'intensité de l'antagonisme social et la fréquence des luttes des classes devient frappante si nous considérons les relations entre les deux classes principales de la société hydraulique : le « peuple » et les nommes de l'appareil. Dans le cours normal des événements, le peuple pâtit périodiquement des exigences des représentants de l'Etat despotique. Ceux qui sont opprimés ou exploités n'osent généralement pas résister ouvertement ; et bien souvent, ils n'osent pas même résister en secret. Le souci proverbial des sujets orientaux d'éviter toute espèce de contact avec les organismes redoutables du gouvernement, souligne leur résignation à la défaite dans un conflit où ils n'osent même pas s'engager. Il n'est cependant pas toujours possible de l'éviter. L'homme du peuple peut ne pas porter plainte devant un juge ou un magistrat ; mais souvent, il doit accomplir la corvée et toujours payer un impôt. Il peut ressentir amèrement cette double exigence, mais étant démuni de tout moyen constitutionnel de défense, il feint de se soumettre de bon gré. Mais derrière cette façade, il combattra les hommes de l'appareil avec toutes les armes de la résistance indirecte et de l'inertie. Durant la corvée de travail, il travaillera avec toute la lenteur que permet le contrôle du surveillant (ou le bâton ou le fouet) (1). En payant l'impôt, il cherchera à dissimuler certaines de ses possessions. Et assez fréquemment, il ne remettra sa taxe qu'après avoir été durement battu. Les écrivains de l'Egypte pharaonique ont décrit sous forme de satire cet aspect de la bataille de la taxe foncière (2). Et un récit du 19" siècle montre que l'attitude du paysan égyptien en cette matière reste inchangée : « Tous les fcllâhîn sont fiers d'avoir reçu le fouet pour n'avoir pas payé leurs contributions, et on les entend souvent se vanter du nombre de coups qu'ils ont endurés avant de remettre leur argent » (a). Quand la taxation devient accablante, le paysan peut réduire la surface qu'il cultive (3), et si les exigences excessives se poursuivent, il peut pour se soustraire au
(a) L a n e , 1898 : 143 sqq. L a n e ajoute : « A m m i e n Marcellin d é c r i t exactement de la m ê m e f a ç o n le c a r a c t è r e des E g y p t i e n s de son temps ». A m m i e n v i v a i t au 4 s i è c l e de notre è r e . e
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fisc (b) abandonner complètement ses champs. Il peut errer désespéré, chercher du travail ailleurs, devenir rebelle ou bandit (c). Comme nous l'avons déjà montré, les conflits ouverts entre les paysans et le gouvernement étaient rares lorsque la possession de la terre était réglementée ; et même en Chine impériale, ils ne prirent des proportions considérables qu'au cours des périodes de désintégration qui annonçaient la chute d'une dynastie. Les conflits entre les plébéiens citadins (ou groupes de plébéiens) et le gouvernement se produisaient dans un contexte différent. Ceux-ci aussi se produisaient fréquemment pour des raisons fiscales ; et le caractère administratif (et militaire) de la plupart des villes hydrauliques empêchait généralement les citadins mécontents d'avoir recours à la rébellion armée. Les marchands ou artisans individuels se défendaient comme ils pouvaient contre les réglementations restrictives et l'exploitation fiscale ; et les corporations d'artisans et de marchands dirigées par des fonctionnaires soit appointés, soit contrôlés par le gouvernement, faisaient assez fréquemment appel aux autorités pour l'ajustement d'exigences excessives. Il arri-
(b) Le fondateur de la dynastie mongole, Baber, é t a i t e x a s p é r é par les paysans indiens q u i , en typiques d é s e r t e u r s d u fisc, se cachaient dans les bois et « se fiant à leur situation inexpugnable, menaient souvent une existence de rebelles, refusant de payer leurs i m p ô t s » (voir Baber, 1921 : 208). (c) L'historiographie chinoise relate de n o m b r e u x cas de cet ordre (voir Wittfogel et F ê n g , 1949 : 420). U n incident de la dynastie M i n g est à plusieurs é g a r d s riche d'enseignement. E n t r e 1436 et 1448, un fermier, T ê n g Mao-ch'i, devint p a r m i les villageois dont on dit qu'il les faisait « travailler pour lui », un notable. Il gagna encore en prestige en dirigeant un m o u v e m e n t qui poussait les fermiers à ne pas faire le p r é s e n t h a b i t u e l à leur p r o p r i é t a i r e a u moment de payer leur loyer. Les p r o p r i é t a i r e s s ' a d r e s s è r e n t au magistrat local et il se peut bien que quelques-uns d'entre eux aient é t é membres de la Cour ou du fonctionnariat p u i s q u au temps des M i n g ces groupes s ' a p p r o p r i è r e n t largement la terre paysanne. E n tout cas, le magistrat e n v o y a des troupes ; mais T ê n g les battit avec une a r m é e rebelle qui c o m p t a i t plusieurs dizaines de milliers d'hommes. B i e n t ô t son p o u v o i r s ' é t e n d i t sur v i n g t c o m t é s et des gens q u i avaient fui l'oppression « insupportable » d'un fonctionnaire « cupide et cruel » se joignirent à lui. L ' é v o l u t i o n de ce m o u v e m e n t r é v é l a que le motif majeur de leurs r é c r i m i n a t i o n s é t a i t une c o r v é e de t r a v a i l excessive. A p r è s plusieurs s u c c è s militaires, les reoelles furent vaincus ; et T ê n g et un certain nombre de ses partisans furent d é c a p i t é s (Ming Shih 165.5ab). U n é p i s o d e qui se situe vers le milieu de la lutte c a r a c t é r i s e à l a fois la force d u gouvernement et les objectifs l i m i t é s de la r é v o l t e . O n dit que les rebelles n é g o c i a n t avec un fonctionnaire courageux, auraient d e m a n d é seulement la vie sauve et l'exemption de c o r v é e « pour trois ans ». Si on leur accordait ces conditions, ils d é p o s e r a i e n t les armes et redeviendraient « de bonnes gens » (Ming Shih, 165.5a-b). A la fin de la dynastie, le gouvernement e û t sans doute é t é plus p r ê t à un compromis et les rebelles moins soucieux de se soumettre. D u r a n t la d e r n i è r e phase de l a p é r i o d e M i n g , des rebelles se l e v è r e n t partout ; et les n o m b r e u x conflits locaux se fondirent en une bataille finale pour le renversement de la dynastie.
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vait que les artisans cessent leur travail et que les marchands ferment boutique (4) ; et à l'occasion, la foule pouvait susciter des rixes (d). Il entrait dans les attributions des fonctionnaires gouvernementaux, chargés de maintenir le minimum de rationalité des souverains, de tenir compte de tels avertissements. Et c'est ce qu'ils faisaient souvent, mais plus volontiers quand des intérêts privés et non des intérêts d'Etat étaient en jeu (5), et cette indulgence momentanée ne les empêchait pas d'exercer leur autorité pleinement avec toute la force coercitive nécessaire quand l'affaire était importante — par exemple quand il s'agissait d'artisans et d'ouvriers corvéables (6), et de particuliers dont ils convoitaient la richesse. Dans la plupart des cas, l'artisan ou le marchand qui éveillait la cupidité d'un fonctionnaire, titulaire ou subalterne, manœuvrait avec prudence. S'il le pouvait, il se sortait de ce pas en payant. Il est évident qu'un mensonge opportun ou un pot-de-vin bien placé ne sont pas exactement ce que l'on appelle les armes d'une guerre de libération. Et une série ininterrompue de petits conflits
(d) P o u r l ' E g y p t e m a m e l u k , v o i r P o l i a k , 1934 : 267 sqq. Les membres de la secte indienne qui en 1672 se r é v o l t a i e n t , sont d é c r i t s comme « o r f è v r e s , charpentiers, balayeurs, tanneurs et autres hommes ignobles » (gens d u peuple ?). Certains d'entre eux é t a i e n t , semble-t-il, des agriculteurs ( E l l i o t et Dowson, 1877 : 185, 294). S m i t h (1946 : 29) s u g g è r e que les membres des sectes urbaines é t a i e n t des artisans ou des c o m m e r ç a n t s pauvres : « des petits c o m m e r ç a n t s et artisans, les uns comme les autres p r o l é t a i r e s d é p o u r v u s de p r o p r i é t é p r i v é e , ou p o s s é d a n t de minuscules biens professionnels ». Sa seconde source mentionne un commerce « sur une t r è s petite é c h e l l e » ; ou selon une autre traduction « leur commerce a pour base un t r è s petit capital » (ibid. : 29 sqq.). E n Inde musulmane comme ailleurs, les gens q u i ne p o s s é d a i e n t rien p a r t i c i p è r e n t certainement à des r é v o l t e s urbaines ; mais en ce cas, les documents c i t é s indiquent p l u t ô t des artisans p r o p r i é t a i r e s de leurs moyens de production que des é l é m e n t s p r o l é t a r i e n s . Une autre insurrection de cette p é r i o d e est encore plus loin d ' ê t r e prol é t a r i e n n e . Selon S m i t h (ibid. : 25 sqq.), l a ville de P a t n a fut prise en 1610 « par une foule p r o l é t a r i e n n e » dont le h é r o s s'identifiait « au h é r o s populaire Khusraw ». A p r è s le s u c c è s de ce coup « de n o m b r e u x membres de la classe i n f é r i e u r e se r a n g è r e n t à ses c o t é s . Ces p r o l é t a i r e s c o n s t i t u è r e n t m ê m e entre eux une petite a r m é e qu'ils furent assez fous pour opposer à l ' a r m é e de la classe s u p é r i e u r e conduite par le gouverneur i r r i t é ». Ce r é c i t diffère beaucoup des faits contenus dans les sources m ê m e s de S m i t h . Le h é r o s populaire K h u s raw é t a i t le fils a î n é de l'empereur, q u i fut fait prisonnier a p r è s a v o i r t e n t é avec une a r m é e de s'emparer d u t r ô n e (Jahangir, 1909 : 56-68). K h u s r a w s ' é t a i t surtout a p p u y é sur les membres de l ' a r m é e i m p é r i a l e (ibid. : 52, 55, 58) ; et pendant un certain temps ses chances de s u c c è s avaient é t é c o n s i d é r a b l e s (ibid. : 58). 11 n'est donc pas é t o n n a n t que l'imposteur ait t r o u v é des partisans parmi « nombre de soldats et de cavaliers ». Ce furent ces soldats — et non pas une « masse p r o l é t a r i e n n e » — q u i s ' e m p a r è r e n t de P a t n a et de son fort (ibid. : 174) ; et rien n'atteste que les « m i s é r a b l e s » q u i se joignirent plus tard à la r é b e l l i o n (ibid. : 174), aient é t é eux aussi des p r o l é t a i r e s . J a h a n g i r applique le terme de « m i s é r a b l e s » à tous les rebelles, y compris les personnes d u plus haut r a n g politique et social (ibid. : 55, 65, 123).
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entre le chasseur bureaucratique et son gibier petit bourgeois et capitaliste montre de façon évidente que dans cette chasse, les plébéiens citadins pouvaient survivre mais qu'ils ne pouvaient pas gagner. L'Etat traditionnel chinois laissait plus de liberté à la propriété privée que les régimes absolutistes de la plupart des autres civilisations hydrauliques ; mais à son ombre l'entreprise capitaliste était aussi handicapée qu'ailleurs. Un édit de l'éphémère gouvernement réformiste de 1898 (*) en impute la faute aux fonctionnaires, en particulier — et avec quelque hypocrisie — aux fonctionnaires subalternes. Quand une firme est en difficulté « les exigences et les extorsions des fonctionnaires subalternes deviennent invariablement si énormes et exorbitantes que les marchands se découragent et n'osent pas se lancer dans les entreprises commerciales, si bien que le commerce stagne » (7). Les conflits latents entre les esclaves d'Etat et leurs maîtres bureaucratiques étaient nombreux mais passaient généralement inaperçus. Comme les esclaves domestiques qui appartenaient à des maîtres privés, les malheureux serfs du gouvernement essayaient d'améliorer leur sort en employant la ruse et la dissimulation ; et les uns comme les autres étaient employés soit seuls, soit en petits groupes, ce qui leur laissait peu d'occasions de révoltes en masse (* *). La guerre des esclaves qui commença dans le sud de la Mésopotamie en 869 tira sa force initiale de la masse inhabituelle d'esclaves que des entreprises privées, particulièrement vastes (8) employaient à la production du sel à l'est de Basra. Les dimensions de ces entreprises en firent un terrain idéal pour l'action de masse. La révolte qui dura environ quatorze ans dut pour beaucoup son succès temporaire au fait qu'au cours de ces années l'Etat abbasside fut ébranlé par des guerres civiles entre certains généraux et hauts fonctionnaires des provinces et entre ces deux groupes et le califat (9). /. — CONFLITS SOCIAUX A L'INTÉRIEUR DE LA CLASSE DIRIGEANTE Hormis les révoltes, qui, parfois, et particulièrement dans les sociétés hydrauliques où la propriété foncière privée était fortement développée, dressaient les paysans contre l'autorité du fonctionnariat, seuls les conflits (*) Il s'agit de la tentative connue sous le nom des « cent jours » de KangY e o u - W e l (nom d u ministre r é f o r m a t e u r ) (N. d. T . ) . (**) E n f r a n ç a i s dans le texte (N. d. T . ) .
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sociaux internes de la classe dirigeante avaient une couleur nettement politique. Les rébellions militaires de membres de la famille régnante ou de généraux, de gouverneurs ambitieux contre un souverain faible étaient d'ordinaire des conflits entre personnes occupant des postes différents à l'intérieur de la hiérarchie du pouvoir. Mais elles n'éclataient que sporadiquement et à de longs intervalles ; et lorsqu'elles éclataient ce n'était guère qu'une épreuve de force militaire entre deux ou plusieurs provinces ou régions indépendantes. Beaucoup plus fréquents et beaucoup plus difficiles à distinguer sont les conflits voilés entre des fonctionnaires titulaires et des bureaucrates subalternes, entre différents groupes de fonctionnaires éminents, entre les fonctionnaires et l'aristocratie bureaucratique, entre des fonctionnaires titulaires et le despote et son entourage personnel, la Cour. Ces conflits avaient en général pour enjeu le pouvoir ou l'influence politique et si la plupart d'entre eux ne concernaient que quelques individus, certains par contre avaient pour enjeu les privilèges de groupes de subdivisions ou de couches plus vastes à l'intérieur de l'ordre bureaucratique. Mais si de tels conflits pouvaient mettre en jeu les intérêts d'un nombre considérable de personnes, il leur manquait la cohésion, l'organisation qui caractérisaient les grands mouvements sociaux de l'Occident antique, médiéval et moderne. 1. - F O N C T I O N N A I R E S T I T U L A I R E S C O N T R E S U B A L T E R N E S
En gros, les fonctionnaires éminents décident des actions de leurs subalternes, secrétaires et serviteurs. Mais il arrive souvent que se pose un problème administratif (ou fiscal ou policier) qui doit se résoudre à l'avantage soit des fonctionnaires titulaires, soit des subalternes. Des situations ambivalentes de cet ordre sont inhérentes à toutes les organisations dont les fonctions se répartissent verticalement. Mais dans le cadre hydraulique, ces situations entraînaient des conséquences particulièrement graves parce que les actions des apparatchiki n'étaient soumises à aucun contrôle de la part de forces extérieures efficaces et parce que les individus qui prenaient part au conflit disposaient des ressources d'un appareil d'Etat d'une puissance unique. Les fonctionnaires titulaires comme les subalternes aspiraient à exercer le maximum de contrôle sur des détails de procédure et de personnel, en partie par simple goût du pouvoir et en partie pour s'attribuer une part plus grande du revenu gouvernemental. La situation proprement
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dite n'était pas le principal objectif, bien que les subalternes, en accroissant leur pouvoir, accrussent aussi leur prestige social. Un examen critique du gouvernement chinois sous les Mandchous indique que les subalternes accaparèrent pendant quelque temps quelque 30 % du revenu gouvernemental (1). Cette estimation étant faite par un membre du haut fonctionnariat (2) elle peut être exagérée, mais elle indique l'ampleur du problème économique qui s'exprime par une lutte au jour le jour entre les fonctionnaires aristocrates et leurs auxiliaires plébéiens. Dans cette lutte, les subalternes pouvaient tirer avantage de leurs connaissances approfondies des affaires locales, de leur familiarité avec la routine de bureau et du contrôle matériel qu'ils possédaient sur l'exécution finale de l'ensemble du travail administratif. Les fonctionnaires pouvaient tirer avantage des différentes méthodes de surveillance, du contrôle qu'ils avaient sur l'embauche et le licenciement du personnel, et dans les cas graves, du pouvoir d'appliquer toute espèce de châtiment. Un document chinois officiel datant de 1899 révèle comment, dans la guérilla opposant les fonctionnaires titulaires aux subalternes, certains fonctionnaires pouvaient se trouver dans la dépendance de scribes bien placés : « Dans toutes les questions de promotion, mutations, nominations, mérite ou démérite, de taxes et de jugements, les fonctionnaires provinciaux recherchaient des protections en achetant les employés subalternes des différents ministères. Et les fonctionnaires chargés de remettre l'impôt, le cuivre, les teintures au gouvernement central, étaient particulièrement harcelés par leurs demandes. Entre le jour où ils rendaient les comptes et le jour où on leur en donnait reçu, les employés trouvaient de multiples prétextes pour se livrer à des extorsions. Les sommes qu'ils demandaient pouvaient atteindre des centaines et des milliers de taels. Ces faits étaient connus du " ministère des dépenses " et les sommes étaient collectées sans précaution ni mystère » (3). Les courriers exerçaient leur pouvoir sur un plan différent et naturellement avec d'autres méthodes. Ils veillaient à l'accès aux édifices gouvernementaux ; ils arrêtaient les gens et gardaient les prisons. Ils pouvaient donc adoucir le sort du prisonnier ou l'aggraver ; ils décidaient avec quelle rigueur serait appliquée une sentence de fouet ; ils pouvaient accuser le prisonnier d'avoir opposé une résistance à son arrestation (4). On comprend quel pouvoir et quels profits matériels sont inhérents à de telles situations. Les fonctionnaires éminents qui voulaient conserver le contrôle d'une foule de subalternes bien protégés, met-
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taient en jeu tous les moyens administratifs et disciplinaires dont ils disposaient. Les fonctionnaires de la Chine Ts'ing tentèrent de limiter en durée les fonctions de leurs subalternes. Mais pour qu'un tel contrôle assure aux hauts fonctionnaires, une prise plus forte sur leurs subordonnés il leur fallait [parfois] déployer une expérience et une habileté considérable. Les subalternes qui abusaient de leur pouvoir au détriment manifeste du gouvernement étaient passibles de sévères châtiments. Cet aspect de la question apparaît très clairement dans VArthashastra, dans les règlements dynastiques de la Chine, et autres manuels de gouvernement agro-directorial. Pour les scribes et les courriers malhonnêtes ou qui pratiquaient des extorsions, le dernier code de la Chine impériale prévoyait des peines qui allaient de l'amende à l'exil à vie et à l'exécution par strangulation. La jurisprudence en cette matière montre que les hauts fonctionnaires n'hésitèrent pas à frapper lorsqu'ils le jugèrent nécessaire (5). Dans cette lutte entre fonctionnaires et subalternes, ces derniers ne pouvaient jamais être tout à fait réduits. Mais ils ne pouvaient pas non plus renverser la structure de l'appareil bureaucratique, qui permettait aux fonctionnaires titulaires de sortir de la lutte à la longue, non pas en vainqueurs absolus, mais en détenteurs de l'autorité supérieure légale en matière administrative et économique. 2. - C O M P É T I T I O N
a. - Différents rentes.
BUREAUCRATIQUE
types de compétition
dans des sociétés diffé-
La concurrence sur le marché n'est que l'une des "nombreuses formes de compétition. Et les sociétés hydrauliques et féodales diffèrent du capitalisme non parce que la compétition y est inconnue, mais parce qu'elle y revêt des formes différentes. Dans le monde médiéval occidental, le servage exclut les occasions de concurrence dans la plupart des villages, tandis que la rivalité entre chevaliers féodaux était ouverte et violente, l'enjeu étant la terre et la gloire. Les corporations réglementaient sévèrement la concurrence dans l'artisanat, mais non dans le grand commerce international. (6). Les villages réglementés de la société orientale avaient peu d'occasions de rivaliser dans le domaine économique. En Chine traditionnelle, le développement de la propriété paysanne privée encouragea la concurrence économique,
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sans, bien entendu, rendre capitaliste pour autant l'agriculture chinoise. D a n s tous les types de s o c i é t é hydraulique les membres de la classe dirigeante ont r i v a l i s é pour s'assurer le pouvoir, le prestige, l'argent ; et cela est vrai non seulement pour les hauts fonctionnaires, mais aussi, toutes proportions g a r d é e s , pour les subalternes de la bureaucratie. A l ' i n t é r i e u r du s y s t è m e capitaliste nous trouvons la r i v a l i t é au niveau de l'employeur comme au niveau de l ' e m p l o y é . Mais alors que l'extension de ce s y s t è m e accroît la q u a l i t é des marchandises et le nombre des personnes i n t é r e s s é e s , avec le d é v e l o p p e m e n t des corporations et des syndicats, elle r é d u i t le nombre des occasions de concurrence et de marchandage. De plus, les c o n t r ô l e s légaux tendent à restreindre les m é t h o d e s de lutte et de c o m p é t i tion ; cette lutte est plus violente dans la phase initiale que dans les phases plus tardives de l ' é c o n o m i e capitaliste. L a d i f f é r e n c e entre les trois types de r i v a l i t é appar a î t aussi dans la d i f f é r e n c e de leurs r é s u l t a t s . L e chevalier m é d i é v a l q u i commet une faute d é c i s i v e dans une c o m p é tition (sur le c h a m p de bataille) peut la payer de sa vie, mais ses biens et son honneur restent g é n é r a l e m e n t intacts. L ' h o m m e d'affaires moderne q u i commet une faute i r r é p a r a b l e dans une c o m p é t i t i o n (sur le m a r c h é ) , peut perdre sa fortune, mais son honneur en est rarement terni, et il n'y risque certainement pas sa vie. L e fonctionnaire d'un despotisme agraire q u i commet une faute i r r é p a r a b l e dans une c o m p é t i t i o n (une intrigue de bureau ou de Cour) y perdra probablement son honneur, sa fortune et sa vie. L à o ù le pouvoir est f r a g m e n t é et équil i b r é , le c h â t i m e n t qui punit une faute capitale est l i m i t é . Dans les conditions du pouvoir total, i l est total.
b. - La compétition bureaucratique dans la société hydraulique. Toutes les organisations bureaucratiques ont certains traits techniques en c o m m u n ; et certaines m é t h o d e s de compétition intra-bureaucratique apparaissent partout dans les bureaucraties q u i servent l'Etat, le c o n t r ô l e n t , ou le dirigent. Il est par c o n s é q u e n t encore plus n é c e s s a i r e de r e c o n n a î t r e , d e r r i è r e les arbres connus, le type de forêt dont ils font partie (a).
(a) L e s p r i n c i p e s u n i v e r s e l s de l ' a r t de l a g u e r r e se r e t r o u v e n t d a n s les e n t r e p r i s e s m i l i t a i r e s de l ' E u r o p e f é o d a l e c o m m e d a n s l e s s o c i é t é s h y d r a u l i q u e s e t i n d u s t r i e l l e s m o d e r n e s . M a i s q u i a é t u d i é les d i f f é r e n c i a t i o n s i n s t i t u t i o n n e l l e s , ne s ' a p p u i e r a p a s s u r c e t a r g u m e n t p o u r n i e r l e s p a r t i c u l a r i t é s d'organ i s a t i o n e t de p r o c é d u r e q u i d i s t i n g u e n t ces t r o i s t y p e s les u n s des autres.
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Les fonctionnaires de l'absolutisme occidental ont en commun avec l'absolutisme oriental les occasions d'ascension et de chute météoriques ; mais dans l'absolutisme occidental il y a d'autres moyens d'ascension sociale que la bureaucratie. Et les fonctionnaires d'une société moderne ouverte ont acquis légalement des droits qui garantissent au vaincu d'un conflit intra-bureaucratique qu'il n'a rien à craindre de plus grave que de se voir frustré d'une promotion. Dans les conditions du pouvoir total, la vie bureaucratique est compétitive autant que dangereuse. Une étude statistique sur les fonctionnaires de la première dynastie durable de la Chine impériale, la dynastie Han, montre que parmi ceux dont les carrières sont connues avec quelque détail (7), 21 % environ furent à un moment ou à un autre emprisonnés pour des fautes commises au cours de leur carrière officielle, et environ 35 % moururent de mort violente hors du champ de bataille. Plus de 12 % furent assassinés ou moururent des suites des tortures subies en prison, 14 % furent exécutés, et 9 % se suicidèrent (b). 3. - FONCTIONNAIRES CIVILS CONTRE FONCTIONNAIRES MILITAIRES
Il y a compétition dans la bureaucratie non seulement entre les membres du même bureau ou de la même unité administrative mais aussi entre les membres des différentes branches de l'appareil d'Etat. Parmi ces branches, l'armée pose évidemment des problèmes particuliers. a. - L'autocrate
et
l'armée.
L'armée, qui est l'organisme institutionnel de coercition, joue un rôle variable selon les phases de la société hydraulique. Durant la période de formation, le chef militaire suprême peut également assumer le contrôle de e
(b) Une é t u d e de la Chine à la fin d u 1 9 s i è c l e indique q u ' à l a fin de l a p é r i o d e i m p é r i a l e , la c a r r i è r e d'un fonctionnaire é t a i t encore h é r i s s é e de dangers, bien q u ' à de n o m b r e u x é g a r d s , le c a r a c t è r e de ces dangers ait c h a n g é . S'appuyant sur le Tung-hua-lu, le D r H e l l m u t W i l h e l m suppose qu'entre 1821 et 1895 « presque tous les hauts fonctionnaires avaient é t é punis a u moins une fois dans leur c a r r i è r e ». Des c h â t i m e n t s e x t r ê m e m e n t s é v è r e s é t a i e n t p r o n o n c é s dans e n v i r o n 22 % des cas é v o q u é s devant l'empereur ( e x é c u t i o n , bannissement, esclavage, c h â t i m e n t corporel ou emprisonnement), le renvoi dans 42 % des cas, et des c h â t i m e n t s plus l é g e r s ( r é p r i m a n d e s , a m e n d e s , T t / o u mutations) dans le reste des cas. Cette é t u d e , qui concerne les cas des fonctionnaires mandchous e t chinois, a é t é faite sous la direction d u D r W i l h e l m , à l ' U n i v e r s i t é de W a s h i n g t o n , Seatle, p a r Cecil C o d y , R o b e r t Crawford, Chen-i W a n g et L i n c o l n W o n g .
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la nouvelle économie politique, puisque le poste qu'il occupe dans l'organisation et la police du pays le prépare de façon unique à diriger l'appareil agro-directorial en formation. Une fois mis en place, l'appareil politique suprême tend à l'emporter sur toutes les différentes branches ; en effet, les chefs de cet appareil, détenant le contrôle du personnel et des communications, ont accès à toutes les subdivisions qui, quels que soient leur importance économique et leur potentiel coercitif, restent fragmentées, et donc stratégiquement inférieures au centre qui en assure la coordination. Pour compléter la thèse que nous avons déjà énoncée, nous pouvons dire : ce n'est pas le technicien, ni le directeur hydraulique, ni le chef de la police, mais le maître de l'appareil politique omniprésent qui exerce une autorité suprême sur les techniciens, les directeurs, les chefs de police, les généraux, dont l'autorité est fragmentaire. Ce n'est qu'au cours des périodes de désintégration politique et de guerre civile, qu'un général énergique s'emparera du pouvoir pour l'ensemble du pays ; ou bien, un groupe de généraux simultanément, dans des provinces séparées, deviendront chefs politiques et militaires : des généraux bureaucrates. Le despote agro-directorial est généralement très conscient de ce pouvoir potentiel inhérent aux forces armées ; et il prend donc les mesures nécessaires pour les garder en main. S'il reste le maître suprême de l'armée, c'est d'abord parce que c'est lui qui prend les décisions capitales concernant son organisation, son personnel, et (souvent aussi) ses fournitures, et en second lieu, parce qu'il dirige l'appareil centralisé des communications et des renseignements. Des avantages socio-stratégiques du même ordre existent et sont l'apanage des maîtres politiques de l'appareil d'un Etat moderne et industriel. Ils expliquent en grande partie pourquoi, dans les années 1930, Staline a pu liquider les chefs mécontents de l'armée soviétique, deux chefs successifs du GPU, et pourquoi, en 1944, le centre national-socialiste l'emporta sur les généraux qui cherchèrent à renverser Hitler. b. - Fonctionnaires civils contre fonctionnaires militaires. Les fonctionnaires militaires, comme leurs collègues civils, font partie du fonctionnariat général, et assez souvent les charges de ces deux groupes se recoupent. Lorsque les mêmes hauts fonctionnaires (gouverneur, satrape, etc.) cumulent des fonctions civiles et militaires essentielles, les conflits entre fonctionnaires militaires et civils ne se produisent qu'à des niveaux inférieurs de l'auto-
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rite. Souvent, pourtant, les deux sphères d'action appartiennent à des groupes distincts ; et alors, ces conflits se produisent au sommet de la hiérarchie. En dehors de ces périodes de formation, de déclin, et de crise, les chefs militaires du monde hydraulique ont l'occasion d'établir des positions fortes en vertu de leurs conditions respectives : 1") dans toutes les zones — centrales ou marginales — qui, se trouvant placées entre deux voisins forts, ont besoin, pour des raisons internationales, d'une protection forte ; 2°) dans des zones marginales, où l'armée a de l'importance puisque la bureaucratie directoriale y est peu développée ; 3°) dans les sociétés de conquête, où l'armée est un facteur essentiel, non seulement de l'instauration du régime, mais de sa perpétuation. Un certain nombre d'Etats de l'Inde bouddhique entrent dans la première catégorie, l'empire byzantin aux époques moyenne et tardive et la Russie post-mongole dans la seconde, et bien des sociétés de conquête dans la troisième. Il est facile d'étudier la lutte entre les fonctionnariats civil et militaire dans plusieurs civilisations hydrauliques. En Egypte pharaonique, les fonctionnaires qui se spécialisaient dans l'art militaire proprement dit (officiers de «front») furent, au cours de longues périodes, subordonnés aux administrateurs militaires — c'est-à-dire aux fonctionnaires qui tenaient les registres militaires et organisaient l'intendance et l'équipement de l'armée (8). Mais dans un autre contexte, les officiers de front pouvaient l'emporter en influence sur les membres de l'administration civile. Le roi plaçait certains d'entre eux à d'importants postes gouvernementaux, où, en qualité à'homines novi socialement inférieurs, ils servaient les intérêts du roi menacés par les ambitions des hauts fonctionnaires civils (9). Sous les mameluks, les officiers militaires, exclusivement mameluks, restèrent distincts de, et supérieurs à la bureaucratie indigène. Ils pouvaient — et ne s'en privèrent pas — exproprier, emprisonner, et exécuter les fonctionnaires civils lorsque ceux-ci menaçaient d'empiéter sur leur autorité (10). Au cours de la dernière période do la république romaine, des généraux victorieux s'élevèrent jusqu'au sommet de la hiérarchie politique ; et sous l'empire, l'armée joua pendant des siècles un rôle sinon constant du moins toujours prépondérant (11). Ostrogorsky considère que « la lutte entre les forces concurrentes de l'aristocratie civile métropolitaine et de l'aristocratie militaire provinciale » représente la constante fondamentale de la société byzantine (12). Ce jugement devient clair si nous nous rappelons que l'aristocratie
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civile byzantine était un Beamtenadel, une aristocratie de fonctionnaires ( 1 3 ) , et que ces deux groupes rivalisaient dans le cadre d'un Beamtenstaat, d'un Etat bureaucratique, qui « était en constante expansion, et qui, en qualité de classe dirigeante, avait des exigences de plus en plus grandes » ( 1 4 ) . Les luttes intra-gouvernementales dans la Chine T'ang et dans les périodes comparables de l'histoire des autres civilisations hydrauliques, étaient pour la plus grande partie des luttes entre les branches civile et militaire de la haute administration. 4.
- L E S BUREAUCRATES E N EXERCICE
CONTRE
L'ARISTOCRATIE BUREAUCRATIQUE
Les conflits entre les fonctionnaires en activité et les membres de l'aristocratie bureaucratique ressemblent aux luttes intra-bureaucratiques en ceci qu'eux aussi ont fréquemment des liens avec les intrigues et les machinations de coteries rivales à la Cour. Cependant ils s'en distinguent par d'importantes particularités. Les bureaucrates en exercice manient le pouvoir ; les membres de l'aristocratie bureaucratique exercent une influence. Les fonctionnaires en activité ont d'excellentes occasions d'accumuler des richesses ; les rentiers bureaucratiques ont de bonnes chances de préserver, au moins pendant la durée de leur existence, la fortune qu'ils ont. Ces différences de situation expliquent dans une large mesure les conflits entre les membres des deux groupes. Si les individus en conflit sont du même rang, alors, toutes conditions égales par ailleurs, le pouvoir l'emportera sur l'influence et l'homme actif sur le rentier. Il arrivait pourtant assez fréquemment qu'un fonctionnaire local de rang mineur se trouvât apposé à des membres de l'aristocratie, capables de l'emporter parce qu'appartenant à une famille bureaucratiquement puissante. L'étude des familles puissantes dans la société hydraulique (15) fait apparaître le rôle décisif que joue le pouvoir dans cette société, dans la distrihution des situations sociales, de l'influence, du revenu. Un conflit entre l'aristocratie et la bureaucratie peut ne concerner qu'un seul membre de l'aristocratie, une personne qui, par exemple, cherche, au moyen d'influences à obtenir un dégrèvement d'impôts ou une attribution supplémentaire de terre. A l'occasion, ce conflit peut intéresser l'ensemble des membres d'une aristocratie locale, s'ils cherchent à diriger la politique locale dans le sens de leurs intérêts. Des membres de l'aristocratie peuvent
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défendre (et en réalité représenter) le maximum de rationalité du souverain ; et ils peuvent en pratique amener le peuple à s'opposer aux fonctionnaires locaux. Pour appuyer leurs intérêts au niveau local, ils peuvent mémo faire appel à des personnages appartenant au sommet de la hiérarchie. Dans la province d'An-Houei, après la rébellion des Taipings, des membres de l'aristocratie, alliés à d'autres propriétaires, furent capables, un certain temps, de « soustraire annuellement au gouvernement une grande partie des revenus dus au titre de la taxe foncière ». Les fonctionnaires locaux tolérèrent pendant un certain temps une telle situation parce qu'ils craignaient, en exigeant le paiement total des taxes, de déclencher de la part du peuple « poussé par l'aristocratie », une rébellion contre le magistrat nouvellement arrivé. Plus tard pourtant, quelques membres de la bureaucratie, qui n'avaient pas cédé à l'intimidation, suggérèrent le rétablissement du cadastre détruit et celui du contrôle gouvernemental sur le revenu (16). A l'inverse, plusieurs membres de l'aristocratie, dans une certaine région de la province de Tche-Kiang, se déclarèrent mécontents des « extorsions » du magistrat du, district. Ils se plaignirent à ses supérieurs, demandant son renvoi (17). Un décret impérial du 14 avril 1890 déplorait « l'habitude commune à l'aristocratie et aux lettrés de se mêler des affaires publiques, et même de faire parfois pression sur les autorités ». Les personnalités mises en cause justifièrent leurs actions en affirmant qu'elles contribuaient au bien public. Selon la version officielle au contraire, ces actions «avaient des buts égoïstes» (18). La publication de l'édit montre que les fonctionnaires locaux, momentanément dans une situation difficile, reprirent ensuite, avec l'aide du gouvernement central, l'avantage sur l'aristocratie. Dans les périodes de décadence politique, l'aristocratie s'affirme de différentes façons, mais d'ordinaire les fonctionnaires d'un régime fort exigent l'obéissance à leurs réquisitions. C'est ce qui se produisit à Byzance durant la première période et la période moyenne, et en Russie au 19* siècle, où les négociations concernant l'émancipation des serfs révélèrent les forces relatives de la fraction bureaucratique et de la fraction formée par les propriétaires (aristocratie) de la noblesse dirigeante. En théorie, les propriétaires fonciers (faisant partie de la bureaucratie), ou l'Etat absolutiste et ses fonctionnaires, ou les paysans, auraient dû être les principaux bénéficiaires de l'édit d'émancipation de 1861. En fait le gouvernement décida de manière
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unilatérale que la « Commission de l'Edit » serait composée de fonctionnaires des différents départements qui auraient à régler les affaires paysannes, et auxquels seraient adjoints un certain nombre de propriétaires expérimentés» (19). Les termes de l'émancipation furent donc « arrêtés par voie de discussion à l'échelon bureaucratique» (20) ; et les propriétaires fonciers appartenant à la bureaucratie ainsi que les fonctionnaires présentèrent leurs arguments respectifs, qui étaient fondés « non sur un quelconque idéal, mais sur les besoins reconnus soit des propriétaires soit de l'Etat » (21 ). L'aspect bureaucratique des intérêts fonciers des nobles s'exprima en la personne de celui qui prit la direction de la Commission, le comte Panine. Panine possédait des domaines énormes et 21 000 serfs, mais jouait également un rôle éminent dans les affaires juridiques du gouvernement. Pressuré par le tsar et ses auxiliaires, Panine subordonna en fait les aspirations de la noblesse en tant que classe possédante aux intérêts bureaucratiques de cette même classe (22). Les relations entre les bureaucrates en exercice et l'aristocratie bureaucratique vivant à la manière des rentiers rappellent les types de conflit qui éclatent dans les grandes sociétés du monde industriel moderne. Les actionnaires d'une compagnie, qui n'en sont pas des membres actifs, ont le droit, à l'assemblée annuelle, de faire des critiques, et même de blâmer la gestion de la compagnie. Mais une telle participation occasionnelle et facultative est bien loin d'être un contrôle effectif. Satisfaits de leurs dividendes, la majorité des actionnaires se contentent de laisser la direction effective aux administrateurs et aux agents d'exécution. Ces fonctionnaires exercent un pouvoir absolu dans le domaine des décisions à prendre et de la direction du personnel ; et même si à l'origine ils ne sont pas riches, ces fonctionnaires ont des occasions incomparablement supérieures à celles des actionnaires d'améliorer leur situation matérielle (23). Alors que les actionnaires des sociétés ont le droit de s'assembler, d'en appeler à l'opinion publique, et d'avoir recours à l'action légale, les membres de l'aristocratie hydraulique, même s'ils possédaient de grandes étendues de terres, ne pouvaient ni s'organiser ni se rassembler librement. Le droit à l'action organisée était réservé aux hommes de l'appareil qui, détenant le contrôle de tout l'excédent du pays et le monopole du pouvoir coercitif, n'avaient aucun mal à faire triompher les intérêts bureaucratiques aux dépens des intérêts de propriétaires de la classe dirigeante. Et ils le faisaient même si, comme le comte Panine, ils étaient à la fois fonctionnaires et grands propriétaires.
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Ainsi les conflits entre l'aristocratie bureaucratique et les hauts fonctionnaires mettent une fois encore en relief la situation unique et forte dont jouissaient les hommes de l'appareil d'Etat dans la société hydraulique. 5. - CONFLITS ENTRE L E S AUTOCRATES E T L E S AUTRES MEMBRES DE LA CLASSE
DIRIGEANTE
On a comparé l'autocrate au soleil générateur de vie, aux animaux sauvages, aux forces impitoyables de l'éclair, de la tempête et de l'inondation. Pour ses sujets, il est effectivement tout cela, et ceux d'entre eux qui agissent en son nom cherchent tout à la fois à exécuter sa volonté et à l'influencer. Mais le maître d'un instrument est aussi son serviteur. L'autocrate dépend sur le plan pratique des personnes qui exécutent ses ordres. L'histoire des cours orientales cite de nombreux cas où l'on a tenté d'influencer l'autocrate, de nombreux cas également où le souverain s'est efforcé de prévaloir contre toutes les forces bureaucratiques tant individuelles que collectives. Les conflits qui en résultent sont nombreux. Si l'on considère les relations d'antagonisme de l'autocrate avec sa parenté d'une part, et avec les grands fonctionnaires de l'autre, nous pouvons distinguer plusieurs types de conflit et aussi plusieurs procédés principaux adoptés par les adversaires en vue de la promotion de leurs buts respectifs. a. - Conflits entre l'autocrate
et sa parenté.
1. - La famille directe. Les parents du souverain (leur degré de parenté dépend du type familial qui prévaut dans le pays) sont toujours prêts à user de leur situation socialement privilégiée, dans des buts politiques. Nommer un successeur hors de la tradition établie ou destituer un souverain alors qu'il est encore en vie est une aventure risquée ; mais de telles tentatives ont fréquemment eu lieu, et parfois avec succès. De sérieux problèmes peuvent se poser même quand la tradition établie est respectée. Comment un autocrate surveille-t-il son héritier ? Comment surveille-t-il ses parents ? Les empereurs Han accordaient beaucoup de terres mais peu de pouvoir. Une telle politique ne peut éliminer tous les conflits, mais les réduit de façon appréciable, tout à l'avantage de l'autocrate.
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2. - La famille par alliance. Les autres parents du souverain constituent également un problème ambivalent. Ils parviennent à l'éminence politique parce qu'une femme membre de ce clan devient la femme du souverain. Leur intérêt est donc lié à la personne du souverain, qui de son côté peut leur faire plus de crédit qu'aux membres de sa propre famille. Les souverains Han ont presque systématiquement écarté leurs parents directs de toute charge, mais de nombreux membres de la famille de l'impératrice obtinrent de hautes situations dans la bureaucratie. Les empereurs Liao furent plus judicieux mais eux aussi choisirent parmi leurs parents par alliance quand des postes-clés étaient vacants (24). Naturellement une telle politique a ses dangers. La parenté par alliance, si elle manie un grand pouvoir, peut réduire un souverain à l'état de fantoche durant sa vie. Ou après sa mort, ils peuvent installer sur le trône un enfant et en profiter pour régner sous son nom. Durant une grande partie de la dynastie Liao, l'empire fut entre les mains d'impératrices douairières (25). Quel contrôle un autocrate exerce-t-il sur sa famille par alliance ? Le contrôle que représente en politique l'emploi des ennuques tend à diminuer l'influence des femmes du souverain, et les mesures destinées à protéger l'héritier ont aussi leurs avantages évidents. Le souverain Toba alla jusqu'au bout : il tua sa femme après qu'elle lui eut donné un héritier (26). Mais des procédés si radicaux restaient l'exception. Plus souvent, au lieu de tuer la mère de son fils (ou de ses fris), le souverain peuplait son harem d'esclaves. Leurs familles étaient généralement gens de peu, et bien que certains d'entre eux se soient parfois élevés à une situation éminente, ils constituaient une menace beaucoup moins grave, en tant que groupe, que des familles nobles à la situation déjà bien établie. Plusieurs empereurs chinois étaient fils d'anciennes « chanteuses » (27), et la majorité des califes (c) et des sultans turcs avaient pour mères d'anciennes esclaves (28). Les problèmes posés par la famille par alliance sont spécifiquement différents de ceux posés par la famille directe. Pour les seconds, le souverain pouvait réduire les motifs d'hostilité ; pour les premiers, il pouvait, dans les meilleures conditions, supprimer tout à fait le problème.
(c) Tous les califes abbasides, à l'exception de trois, eurent des mères esclaves (Goldziher, 1889 : 124 ; voir Mez, 1922 : 140, et Kremier, C G O , I : 393).
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h. - Conflits entre l'autocrate et tes fonctionnaires éminents. 1. - De nouveau le problème de l'autocratie. L'effort que fait le despote pour contrôler sa parenté n'est que l'aspect particulier d'un effort général pour contrôler l'ensemble de ses servants. Ni l'un ni l'autre ne signifient absence d'autorité autocratique. D'autre part, un souverain qui réunit entre ses mains « le pouvoir total de prendre toutes les décisions essentielles » (29) n'est nullement au-dessus ni au-delà de l'influence de ceux qui le servent. Et puisque les intérêts de la bureaucratie demandent fréquemment telle décision alors que les intérêts du souverain en exigent une autre, il y a largement place pour les conflits. Est-il nécessaire de dire que plus le souverain préside lui-même au choix de ses fonctionnaires civils et militaires, et plus il contrôle les détails de l'exécution, plus complètement il l'emportera. Le fait que le souverain, en temps de paix ou de guerre, puisse pratiquer une politique irrationnelle, même si elle met en danger l'existence de l'Etat, montre à quel point sa seule personne concentre tout le pouvoir. Le fait que ses décisions les plus minimes puissent gravement menacer le prestige, le revenu et la sécurité de ses fonctionnaires souligne la sensibilité politique unique de la classe dirigeante dans les conditions du pouvoir total. 2. - Les relations humaines (sociales) s'expriment à travers les institutions. Le despote instaure des contrôles horizontaux en attribuant une autorité égale à deux ou plusieurs fonctionnaires. Il veille au fonctionnement des contrôles verticaux par de multiples procédés de renseignement et de surveillance. Et il fait la preuve de son pouvoir suprême en employant des méthodes brutales de discipline et de châtiment. Il est ainsi capable de faire échec aux tentatives de ses hauts fonctionnaires lorsque ceux-ci cherchent à gagner en influence (conseillers et mémorialistes), en liberté (fonctionnaires exécutants et juges), en richesse (manipulateurs des fonds publics), en avantages collectifs (bénéficiaires de privilèges héréditaires). Les institutions qui normalisent ces contrôles ne sont pas seulement organisationnelles et techniques, comme certains observateurs l'ont cru. Elles traduisent plutôt les relations humaines (sociales) entre deux subdivisions capitales et antagonistes de la classe dirigeante.
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Ces relations favorisent toujours les intérêts du despote, et cela même quand les fonctionnaires jouissent de privilèges héréditaires. Et il en est ainsi plus particulièrement encore quand le souverain nomme ses fonctionnaires sans avoir à tenir compte d'une bureaucratie de droit (noble). 6.
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MÉTHODES SUR
AUTOCRATIQUES
L E PERSONNEL
DE
CONTRÔLE
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a. - Le contrôle du souverain sur un fonctionnariat héréditaire (noblesse bureaucratique). Les membres des familles où le fonctionnariat est héréditaire (nobles) possèdent d'ordinaire un droit héréditaire à une charge officielle, mais non pas nécessairement à un poste déterminé, ni à un poste correspondant à un certain rang. Si un fonctionnaire héréditaire commet des erreurs graves ou s'il se montre déloyal, le souverain peut annuler le privilège familial et de plus, réduire à l'esclavage ou faire exécuter le coupable (30). Le souverain, qui est tenu à certaines obligations à l'égard du groupe au sein duquel il choisit ses fonctionaires, réaffirme cependant son pouvoir en nommant ou en licenciant les membres de ce groupe à son gré. b. - Les moyens dont dispose le souverain pour limiter ou détruire l'hérédité des charges des hauts fonctionnaires. Mais « le despotisme lui-même connaît des variantes » (31). Le despote peut porter atteinte à l'homogénéité de la classe des hauts fonctionnaires en nommant des fonctionnaires étrangers à cette classe ; il peut placer des hommes d'humble origine au-dessus des fonctionnaires venus de la noblesse bureaucratique ; il peut accorder la prééminence aux prêtres, aux nobles « barbares », aux eunuques, à des fonctionnaires esclaves. Dans la main du souverain, de tels procédés peuvent devenir les armes par lesquelles il affirme son pouvoir autocratique, et brise la volonté et les intrigues incessantes des hauts fonctionnaires. 1. - Les prêtres. Introduire des religieux professionnels comme fonctionnaires dans le gouvernement était un bon moyen pour dissoudre l'homogénéité du fonctionnariat. Sous les Mayas, il semble que les prêtres aient été normalement employés comme fonctionnaires (32). En Inde, la préémi-
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nence des « chefs-guerriers », les Kshatriyas, fut ébranlée par la nomination de Brahmanes à des postes gouvernementaux (33) et par l'institution de la purohita. Le prêtre de la maison royale, qui était le principal conseiller du roi, le poussait certainement à choisir des prêtres pour pourvoir les postes vacants de fonctionnaires, toutes les fois que les circonstances le permettaient. Même les souverains musulmans de l'Inde choisissaient habituellement «un Brahmane pour secrétaire d'Etat» (34). La prééminence des prêtres parmi les conseillers du roi explique probablement dans une large mesure pourquoi en Inde, tant hindoue que musulmane, les eunuques eurent peu l'occasion de parvenir aux situations de hauts conseillers qui furent leur apanage dans les autres civilisations orientales. 2. - Le peuple (observations générales). Les fonctionnaires professionnels de la religion dominante étaient des membres de la classe dirigeante ; et le souverain en les employant — ou sa parenté, soit directe, soit par alliance — faisait ainsi équilibre à la tendance de la bureaucratie à devenir une caste, sans pour autant faire appel aux ressources « populaires ». Dans un sens plus large, « le peuple » comprenait la plèbe et les esclaves. Mais il est caractéristique de la mobilité sociale sous le despotisme agro-directorial que dans un régime de ce type on nommait plus systématiquement à des postes politiques clés, des esclaves (et des eunuques) que des plébéiens. Les fonctionnaires héréditaires et les prêtres qui occupaient des postes gouvernementaux mettaient l'accent sur les compétences et la préparation nécessaires à l'exécution de leurs tâches bureaucratiques ; et leur souverain n'avait guère de raisons de simplifier les conditions requises qui, du point de vue de l'efficacité et du prestige, semblaient extrêmement satisfaisantes. Ces conditions constituaient un sérieux obstacle à l'accession des plébéiens à des postes (gouvernementaux. En Inde, les Sudras, en tant que groupe, n'avaient pas le droit d'étudier les livres sacrés (35) ; les Vaisyas, par contre, le pouvaient (36). Mais combien d'entre eux parvenaient à une éducation aussi complète que celle d'un Brahmane ou d'un Kshatriya ? Chez les Mayas, de riches plébéiens occupaient des situations gouvernementales, mais, comme nous l'avons déjà noté, la hiérarchie officielle était de temps à autre purgée de ceux qui « n'étaient pas versés dans le savoir occulte de la classe supérieure» (37).
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Confucius acceptait des plébéiens parmi ses disciples (d), mais comme leurs collègues nobles, ces plébéiens devaient être intimement familiarisés avec les classiques et le cérémonial laïque et religieux avant de pouvoir être « utilisés » et mis en fonction. 3. - Les plébéiens : effets sociaux et limitations du système chinois d'examens. On a souvent cru que le système chinois d'examens était une institution qui, tout au long de la période impériale, ouv/ait aux plébéiens l'accès à la fonction publique. Puisque la participation aux examens avait lieu non sur une invitation venue d'en haut, mais sur demande adressée par le candidat, il peut en effet sembler que la bureaucratie chinoise ait été, à cette époque, largement recrutée dans les rangs du « peuple ». Le système chinois des examens permettait effectivement à un certain nombre de plébéiens qualifiés d'accéder à la bureaucratie ; mais ses résultats sociaux étaient beaucoup plus modestes que la légende populaire ne voudrait nous le faire croire. Que se passait-il en réalité ? La question est suffisamment importante, si l'on veut comprendre la mobilité sociale dans la société hydraulique, pour justifier une brève étude des buts — et des limites — du système chinois d'examens. Notons tout d'abord que le système chinois fournit au gouvernement absolutiste des candidats à la fonction publique durant une période brève, et relativement tardive. Au temps des Tch'ou, et probablement aussi sous les Chang, la plupart des fonctionnaires avaient une charge parce que leurs pères l'avaient remplie avant eux. Durant la dynastie Han (de 206 avant J.^C. à 220 après J.-C.) l'accès à la carrière gouvernementale dépendait essentiellement d'une nomination par l'empereur ou par un fonctionnaire recruteur ; en outre, les pères fonctionnaires pouvaient recommander leurs fils. Cette méthode de «recommander son fils» (jên-tzu) (38) favorisait le maintien héréditaire de certaines familles dans l'administration, tandis que la nomination favorisait, d'une manière plus générale, la formation d'une caste de hauts fonctionnaires. Une étude des documents biographiques inclus dans l'histoire dynastique de la période Han apporte des renseignements essentiels sur les effets de cette procédure, qui n'est qu'une variante
(d) De l ' u n , T z u - k u n g , on sait que c ' é t a i t un homme d'affaires [Sltih Chi, 129.5a : voir Legge, C C , I : 144, 212). P o u r la situation é m i n e n t e de T z u kung p a r m i les disciples de Confucius, voir Creel, 1949 : 66 sqq.
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bureaucratique du principe aristocratique de cooptation (39). D'après cette source, parmi les fonctionnaires dont l'origine sociale est connue, la proportion des plébéiens ne dépassait pas 8 %, les autres étant des parents de l'empereur (généralement, de sa famille par alliance), des membres de familles nobles, ou — et dans la majorité des cas •— des parents de fonctionnaires (40). La période de troubles qui se prolongea jusqu'en 589 de notre ère, modifia les types plus anciens de gouvernement. Bien que les guerres et les conquêtes eussent fourni aux hommes nouveaux des occasions d'ascension sociale, quelques familles seulement réussirent à s'assurer une situation stable dans l'appareil d'Etat. Avec l'infiltration d'éléments venus du nord de la Chine et les dynasties de conquête de même origine (41), des nobles d'Asie centrale s'imposèrent ; et dans le sud, des « familles héréditaires » d'origine indigène (shih chia) l'emportèrent de la même façon. Les biographies de la dynastie méridionale Ts'in (216-419) indiquent qu'environ 9,5 % des fonctionnaires dont l'origine sociale est connue étaient des plébéiens (e). Ce système très discuté des examens ne fut instauré qu'au temps de l'empire réunifié par la brève dynastie Sui (581-618). Il fut développé et complété par la dynastie suivante T'ang — c'est-à-dire qu'il ne fut créé qu'environ mille sept cents ans après les débuts de la dynastie Tch'ou et huit cents ans après le début de l'ère impériale. Et même, pendant la première moitié de ses treize cents ans d'existence, son influence sur la composition sociale de la
le) En 1935-30, à P é k i n , j ' a i d i r i g é une e n q u ê t e sur lus origines sociales des fonctionnaires qui paraissent dans les sections biographiques des chroniques officielles de plusieurs dynasties i m p é r i a l e s . E n 1938, je r é s u m a i comme suit les r é s u l t a t s d'une analyse p r é l i m i n a i r e de nos d é c o u v e r t e s : « Il a p u y a v o i r un apport en " sang frais " de la part de la classe i n f é r i e u r e de la s o c i é t é g r â c e au s y s t è m e d'examens ; mais dans l'ensemble, l'administration dirigeante se p e r p é t u a i t à la m a n i è r e d'une caste sans sortir de ses propres cadres sociaux. Le s y s t è m e chinois d'examens avait une fonction t r è s d é f i n i e ; mais comme en ce qui concerne la famille, cette fonction n'est nullement ce que la l é g e n d e populaire a v o u l u en faire j u s q u ' à p r é s e n t . » (Wittfogel, 1938a : 11 sqq.). A partir de 1939, le Chinese History Project, N e w - Y o r k , a e x a m i n é plusieurs aspects d u fonctionnariat chinois, y compris le s y s t è m e yin. Il a e x a m i n é en d é t a i l le choix des fonctionnaires dans la dynastie L i a o (Wittfogel et F ê n g , 1949 : 450 sqq.) ; il a beaucoup a m é l i o r é une analyse statistique plus ancienne des biographies de la dynastie H a n . P o u r plusieurs raisons, i l n'a pas é t é possible j u s q u ' à p r é s e n t de p r o c é d e r à une é t u d e aussi p o u s s é e des biographies des autres grandes dynasties ; mais puisque le p r o b l è m e de la m o b i l i t é est t r è s i m p o r t a n t , il me semble juste de p r é s e n t e r ci-dessus quelques-uns des r é s u l t a t s de m a p r e m i è r e e n q u ê t e - p i l o t e , en m ê m e temps que quelques-uns de nos r é s u l t a t s plus r é c e n t s .
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bureaucratie impériale fut sérieusement entravée par une discrimination sociale institutionalisée, par des droits héréditaires à des charges bureaucratiques (le privilège y in) et sous les dynasties de conquête, par la prééminence politique des nobles appartenant à la nation des maîtres (barbares). Le système chinois d'examens fut instauré, non grâce à une poussée des forces démocratiques mais de façon unilatérale, par un souverain despotique. Les hauts fonctionnaires collaborèrent certainement au plan originel ; et ils le complétèrent après sa mise en vigueur. Toute personne remplissant les conditions de l'examen pouvait prendre l'initiative de faire acte de candidature ; et c'est déjà une importante modification apportée au système plus ancien de nomination. Cependant, même selon le système d'examens, l'empereur et ses fonctionnaires décidaient en dernier ressort qui ils emploieraient et de quelle manière. Le gouvernement décidait à l'avance combien de diplômes seraient accordés ; et même les titulaires du grade le plus important, le chin-shih, n'étaient à l'origine nommés à un poste qu'après avoir passé une sorte d'examen d'aptitude au fonctionnariat (42). L'importance attachée à une éducation classique approfondie donnait aux membres des familles de fonctionnaires — et naturellement aussi aux membres de la famille royale — un énorme avantage culturel et social. Cet avantage était encore accru par des mesures qui d'une part restreignaient l'accès des plébéiens à l'administration et qui, d'autre part, accordaient aux parents des hauts et moyens fonctionnaires des droits officialisés à une charge administrative. Les statuts Sui qui instaurèrent le système d'examens excluaient expressément de l'administration « les artisans et les marchands ». Une semblable politique de discrimination prévalut sous les T'ang, et, avec certaines modifications, également sous les Song (43). Puisque le commerce plus que toute autre activité professionnelle, fournissait aux plébéiens des occasions d'acquérir fortune et éducation, cette discrimination, en excluant les marchands, écartait précisément du gouvernement les plébéiens les mieux préparés pour participer à ces examens (f).
(f) Sous l a dynastie Song, les personnes qui donnaient d u grain en temps de famine pouvaient obtenir des situations gouvernementales. Cette politique qui constituait un achat indirect des charges donna à certains marchands une chance d'entrer au service de l ' E t a t . Mais « elle semble n'avoir é t é e m p l o y é e q u ' à l'occasion d'une n é c e s s i t é p a r t i c u l i è r e • ( K r a c k e , 1953 : 76).
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De plus, ces mêmes statuts accordaient à la bureaucratie des avantages accrus. En raison de leur situation gouvernementale, les hauts et moyens fonctionnaires recevaient le privilège « préférentiel » (yin) qui permettait à un ou plusieurs de leurs fils (g) d'entrer dans l'administration sans examen (44). Ce privilège, qui rétablissait sous une nouvelle forme des prérogatives traditionnelles, apparut sous les dynasties Sui et T'ang — c'est-à-dire dès le début du système d'examens. Le système yin subit des modifications considérables au cours de la période Song, mais il continua à jouer un rôle important (45) ainsi que sous les deux premières des quatre grandes dynasties de conquête, Liao et Ts'in (46). Les Mongols se méfiaient beaucoup de leurs sujets chinois. Us préféraient donc nommer leurs fonctionnaires chinois selon un autre mode de sélection. Durant la plus grande partie de leur domination, les Mongols suspendirent les examens ; et quand plus tard les examens furent rétablis, le nombre de diplômés chin-shih demeura ridiculement bas : « en moyenne, pas plus de soixante-dix au total (y compris un certain nombre de " barbares ") » (47). Us limitèrent également le nombre de fils et petits-fils yin à un seul, contre dix ou vingt bénéficiaires sous la domination Song, et six sous la domination Ts'in. Mais ils favorisèrent les bénéficiaires du privilège yin en leur permettant l'accès au cinquième rang de la hiérarchie bureaucratique, c'està-dire à un rang supérieur à celui accordé à l'époque des T'ang (h). Les empereurs Ming et Ts'ing limitèrent à l'extrême la prérogative yin. Us ne l'accordèrent plus qu'aux descendants des hauts fonctionnaires; et ses bénéficiaires ne pouvaient atteindre à de hautes situations que s'ils avaient passé des examens (48). Le rôle des titulaires du grade chin shih révéla l'une des raisons d'être essentielle du système d'examens. La nécessité d'une connaissance approfondie des classiques
(g) L e n o m b r e c h a n g e a s e l o n l e s p é r i o d e s . (h) W i t t f o g e l e t Fèng, 1 9 4 9 : 459, 4 6 3 . E n m ê m e t e m p s « les M o n g o l s é l e v è r e n t le n i v e a u de l ' e n t r é e d a n s l a h i é r a r c h i e officielle p o u r les c a n d i d a t s ym d u s e p t i è m e a u c i n q u i è m e r a n g ». A l ' o r i g i n e , le fils yin d o n t le p è r e o c c u p a i t l ' u n des t r o i s r a n g s les p l u s é l e v é s , p o u v a i t c o m m e n c e r s a c a r r i è r e d a n s le s e p t i è m e r a n g e t les fils yin d o n t le p è r e o c c u p a i t u n p o s t e d u q u a t r i è m e a u c i n q u i è m e r a n g p o u v a i e n t a c c é d e r a u h u i t i è m e r a n g t a n d i s que les t i t u l a i r e s d u d i p l ô m e d ' e x c e l l e n c e chin shih ne p o u v a i e n t ê t r e c a n d i d a t s q u ' à des p o s t e s d u r a n g le p l u s b a s , le n e u v i è m e . L e s f o n c t i o n n a i r e s yin p o u v a i e n t a c c é d e r a u x s i t u a t i o n s l e s p l u s é l e v é e s , y c o m p r i s c e l l e de p r e m i e r m i n i s t r e ; e t s i a u t e m p s des T ' a n g ce p o s t e s u p r ê m e a p p a r t e n a i t d a n s l a p l u p a r t des c a s à des h o m m e s p o u r v u s d u d i p l ô m e chin shih, i l s e m b l e q u e de n o m b r e u x fils yin, a i e n t a c c é d é à des p o s t e s des c a d r e s m o y e n s ' e t s u p é r i e u r s [ibid. : 4 5 8 ) .
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chinois était un prétexte pour inculquer aux étudiants la philosophie sociale de la bureaucratie régnante et les grandes traditions de son mode de gouvernement semidirectorial et absolutiste. Ainsi ce système d'examens étaitil un excellent moyen pour endoctriner les plébéiens ambitieux et pour soumettre les fils doués des familles de fonctionnaires et d'aristocratie bureaucratique à un entraînement idéologique et professionnel extrêmement complet. Les examens furent ouverts aux plébéiens, durant les six cents premières années, avec d'importantes restrictions et, durant les six cents dernières années, sans restriction. Mais combien de plébéiens s'élevèrent réellement de cette façon à une situation officielle dans le gouvernement de la Chine impériale ? Ici encore, les biographies qui apparaissent dans chacune dos histoires dynastiques officielles nous fournissent des renseignements qui, bien que sélectifs, sont d'une valeur inestimable. Les biographies sont nombreuses, plus nombreuses qu'en aucune autre collection analogue de documents dans aucune autre civilisation agraire ; ce sont essentiellement des biographies de hauts et moyens fonctionnaires, choisis non en raison de leur rang, mais en raison de l'œuvre accomplie. Notre enquête préliminaire en vue de déterminer les origines sociales des fonctionnaires sous les dynasties impériales les plus importantes, indique que durant la période T'ang (618-907), environ 83 % des fonctionnaires dont on connaît les origines appartenaient à la classe supérieure : environ 70 % provenaient de familles de fonctionnaires et 13 % de la famille régnante ou d'autres familles nobles. Presque 7 % étaient des « barbares » (la maison régnante T'ang était au moins en partie d'origine turque). Et moins de 10 % étaient des plébéiens. Les chiffres correspondants pour la dynastie Song (960-1279) indiquent une proportion minimum de 85 % de fonctionnaires ayant pour origine les classes supérieures de la société ; 72 % provenaient de familles de fonctionnaires et 13 % de la famille royale. Environ 15 % étaient des plébéiens. Notre examen des biographies de la dynastie mongole (1234-1368) indique qu'environ 85 % des fonctionnaires que l'on peut situer socialement appartenaient à la classe supérieure : 74 % descendaient de familles de fonctionnaires et 11 % de la maison régnante. Environ 15 % étaient des plébéiens. Les souverains indigènes de la dynastie Ming ne tenaient nullement à rétablir les privilèges pré-mongols de la bureaucratie. Ils contrôlaient de haut les fonctionnaires par l'intermédiaire d'eunuques affectés à des tâches poli-
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tiques. Et ils facilitèrent l'accès des plébéiens au service de l'Etat en limitant le privilège yin et en abolissant la discrimination qui jusque-là, sous les gouvernements Sui, T'ang et Song, avaient écarté les artisans et les marchands. Sous la dynastie Ming, 77 % des fonctionnaires socialement identifiables, provenaient de la classe supérieure ; 63 % provenaient de familles de fonctionnaires, 14 % appartenaient à la famille régnante. Et environ 23 % provenaient de familles plébéiennes. Les souverains mandchous ne tenaient pas plus que leurs prédécesseurs Ming à favoriser la tendance de la bureaucratie à devenir une caste. Ils contrôlaient de haut leurs fonctionnaires chinois par l'entremise de nobles des tribus dont la situation politique était garantie par des prérogatives héréditaires. Et ils favorisèrent l'accès des plébéiens aux examens et à l'administration, comme l'avaient fait les souverains Ming, en limitant le privilège yin et en abolissant la discrimination à l'égard des artisans et des marchands. Ils se montrèrent particulièrement favorables à l'achat des diplômes pour empêcher les schên shih (fonctionnaires et diplômés) de devenir un corps socialement homogène. Un édit impérial de 1727 adresse une critique acerbe aux nombreuses personnes entrées suj examen dans l'administration. « Si la carrière officielle était entièrement réservée à ceux qui sont entrés sur examen, ils ne sauraient que s'unir étroitement et travailler pour des intérêts privés contre le bien public. C'est un grand mal pour l'intérêt public et pour les nécessités du peuple. Le système d'achat des charges doit par conséquent être élargi » (49). Selon une analyse récente des origines sociales des candidats chin shih, le pourcentage des candidats dont les ancêtres n'étaient ni fonctionnaires, ni diplômés augmenta dans de larges proportions au cours du 19* siècle (i). Et une étude du shên shih au 19 siècle révèle que les personnes qui entrèrent dans ce groupe non sur examen mais par l'achat d'un diplôme constituaient environ 32 % de la « petite aristocratie » au cours de la première moitié du siècle et environ 36 % après 1854 (j). e
(i) V o i r l ' é t u d e i n é d i l e sur le fonctionnariat T s ' i n g entreprise par le Dr C. K . Y a n g pour le Modem Chinese History Project, Far Eastern and Russian Isntitute of the University of Washington, Seattle. (j) C h a n g , C G . P o u r plus de p r é c i s i o n sur la situation d u Shên fin de la dynastie Ts'ing, voir ci-dessus, chap. 7.
shih à la
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Les résultats de notre analyse sont confirmés pour la période Song par deux listes de diplômés chin shih, concernant respectivement les années 1148 et 1256, qui, bien qu'incomplètes, quant aux origines sociales (k), contribuent à éclairer notre sujet. En admettant qu'au cours de cette période de trente ans, de 1142 à 1171, environ 4 500 personnes (m) passèrent les examens, que toutes ces personnes et un nombre égal, qui « entrèrent probablement dans l'administration par d'autres moyens» (50), accédèrent à des situations gouvernementales, qu'au moins la moitié des diplômés chin shih, parents de l'empereur, fonctionnaires en exercice ou membres de l'aristocratie bureaucratique, appartenaient à la classe dirigeante (n), et que la durée moyenne d'une carrière administrative était d'environ vingt ans (o), nous trouvons parmi les trente
(k) P o u r les d é t a i l s concernant ces deux listes, v o i r K r a c k e , 1947 : 107 sqq. L a seconde liste a des lacunes é v i d e n t e s (ibid. : 113) et toutes deux comme les biographies dynastiques, ne contiennent que des faits choisis concernant les origines administratives des protagonistes. D a n s cette é t u d e minutieuse des origines, K r a c k e ne tint compte que des parents en ligne directe j u s q u ' à l ' a r r i è r e - g r a n d - p è r e compris (ibid. : 115). Cependant, ces individus mis à part, la liste de 1256 mentionne r é g u l i è r e m e n t les f r è r e s de « d i p l ô m é s », e u x - m ê m e s d i p l ô m é s ou fonctionnaires. D e u x fonctionnaires dont aucun a n c ê t r e direct n'appartenait à la fonction publique, avaient respectivement cinq |69a) et sept (66a) f r è r e s fonctionnaires. E t les deux listes font mention des f r è r e s , oncles, grands-oncles et t r i s a ï e u l s toutes les fois que ceux-ci é t a i e n t chefs de famille. A la d i f f é r e n c e de K r a c k e , nous c o n s i d é r o n s les d i p l ô m é s a y a n t une telle p a r e n t é comme appartenant à une famille administrative : par c o n s é q u e n t , nous ajouterons seize cas pour 1148 et v i n g t cas pour 1256 au nombre des d i p l ô m é s qu'il donne comme provenant de familles qui font d é j à partie de l'administration. Cela é l è v e le pourcentage des d i p l ô m é s dont on sait qu'ils sont n é s dans des familles de fonctionnaires de 43,7 à 49,5 % dans le premier cas, et de 42,1 à 45,6 % dans le second. (m) Le chiffre exact, selon K r a c k e (1947 : 120), est de 4 428. (n) D a n s son é t u d e de 1947, le D r K r a c k e é t a b l i t une distinction essentielle entre d i p l ô m é s ayant ou n'ayant pas des origines dans des familles de fonctionnaires. II est donc probable que nos chiffres seront un peu s u p é r i e u r s aux siens. T o u s les d i p l ô m é s de l ' a n n é e 1148, membres de la famille i m p é r i a l e Chao, figurent sur l a liste Song p a r m i ceux dont les parents avaient une charge officielle ; et le D r K r a c k e les fait entrer dans cette c a t é g o r i e . Mais sur la liste de 1256, seuls figurent les noms des d i p l ô m é s Chao au nombre de vingt-sept. Le D r K r a c k e , fidèle à la classification,.ne les inclut pas ; fidèle à l a n ô t r e , nous le faisons. N o u s arrivons ainsi au chiffre de 50,3 % des d i p l ô m é s de 1256 appartenant à la classe dirigeante. Compte tenu d u c a r a c t è r e l i m i t é des renseignements que fournissent ces deux listes sur les origines des fonctionnaires, notre estimation p r é c é d e n t e : « au moins la m o i t i é des d i p l ô m é s chin shih appartenaient à la classe dirigeante » est t r è s certainement au-dessous de la v é r i t é . Je voudrais profiter de cette occasion pour remercier M . F a n g ChaoY i n g d'avoir a t t i r é mon attention sur les membres de la famille i m p é r i a l e figurant sur les listes et le Professeur T u n g - t s u C h u qui a p r o c é d é à unp r é v i s i o n scrupuleuse des renseignements à c a r a c t è r e social fournis par les deux listes Song. (o) L e D r K r a c k e admet que les fonctionnaires (civils) « servaient pendant une moyenne de trente ans chacun (les candidats aux examens é t a i e n t des hommes de v i n g t à cinquante ans) » (Kracke, 1947 : 120). Ce dernier fait indique qu'une partie des candidats conservaient leur é n e r g i e physique et
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trois mille fonctionnaires civils et militaires (p) un total de 9 % dont l'origine était peut-être plébéienne. Ces chiffres sont bien inférieurs aux 15 % avancés par notre analyse plus ancienne. Pour retrouver ce chiffre, il faudrait admettre que l'empereur Song ait nommé plus du nombre suggéré ci-dessus de plébéiens non diplômés. De nombreux détails de ce système chinois d'examens nécessitent des éclaircissements, mais ceci au moins semble certain : si les empereurs Sui et T'ang instituèrent le système d'examens au moins en partie pour modifier la composition sociale du haut fonctionnariat, alors il faut constater que ce système n'atteignit pas le but proposé. Les examens fournirent au noyau ambitieux de la classe dirigeante un entraînement intellectuel et doctrinal particulièrement intensif ; et ils apportèrent une quantité variable de « sang frais » à la haute administration. Mais ils ne supprimèrent pas la tendance qui poussait ce groupe à devenir une caste politico-sociale. 4. - Les eunuques : le principe. Il y avait une méthode très différente pour assurer l'emprise autocratique du souverain sur ses fonctionnaires,
intellectuelle a u - d e l à de la cinquantaine ; mais i l ne nous apprend rien sur les conditions politiques qui d é t e r m i n e n t et a b r è g e n t une c a r r i è r e officielle sous le despotisme oriental. Ne disposant pas des p r é c i e u s e s statistiques Song. j'aurai recours aux documents biographiques de la p é r i o d e H a n qui ont é t é a n a l y s é s en d é t a i l p a r le Chinese History Project. P a r m i les fonctionnaires H a n sur lesquels nous p o s s é d o n s de tels renseignements, 45 % environ firent dans l'administration un s é j o u r i n f é r i e u r à d i x a n n é e s et plus de 18 % un s é j o u r de dix à dix-neuf a n n é e s . Ce q u i s u g g è r e une d u r é e moyenne de c a r r i è r e ne d é p a s s a n t pas dix ans. A la fin de la dynastie septentrionale Song, en 1119, le p r i v i l è g e Yin fut temporairement mais s é v è r e m e n t l i m i t é , a c c o r d é aux seuls fonctionnaires civils et militaires dont la c a r r i è r e avait d é p a s s é respectivement une d u r é e de quatorze et dix-neuf a n n é e s (Wên-hsien T'ung-kao, 34 : 325) Ces indications de d u r é e n ' é t a i e n t sans doute c o n s i d é r é e s ni comme excessivement courtes (sinon cette mesure n ' e û t g u è r e eu de valeur limitative), ni excessivement longues (elle e û t é t é é q u i v a l e n t e à une abolition pure et simple). E n a d m e t t a n t que la d u r é e de c a r r i è r e moyenne au temps des Song ait é t é nettement plus longue qu'au temps de la dynastie H a n et un peu plus longue é g a l e m e n t que celle m e n t i o n n é e pour 1119, i l semble que l'estimation moyenne de v i n g t a n n é e s soit raisonnable. (p) L a tradition chinoise range les fonctionnaires civils et militaires dans la m ê m e c a t é g o r i e de fonctionnaires gouvernementaux (po kuan) ; et durant toute la p é r i o d e i m p é r i a l e , des fonctionnaires civils r e ç u r e n t f r é q u e m ment des charges militaires et les fonctionnaires militaires, des postes civils. P o u r Song, v o i r K r a c k e , 1953 : 56. S i nous admettons pour l a c o m m o d i t é de la discussion une d u r é e moyenne de c a r r i è r e de trente ans (estimation t r è s e x a g é r é e selon nos documents), et si nous ne c o n s i d é r o n s que les fonctionnaires civils (selon K r a c k e , e n v i r o n onze mille personnes), nous constatons que les p l é b é i e n s d i p l ô m é s pouvaient constituer 20,4 % d u fonctionnariat civil. U n e
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c'était l'emploi des castrats — des eunuques employés en politique. La castration fut probablement pratiquée d'abord sur de grands animaux domestiques. En Amérique ancienne, où de tels animaux n'existaient pas, on ne trouve pas non plus d'eunuques. Dans le Proche-Orient, il est fait mention d'animaux châtrés dès le milieu du deuxième millénaire avant notre ère, et peut-être même avant (q). La castration d'hommes en manière de châtiment est une pratique qui, en Assyrie, date de la seconde moitié du second millénaire. Mais l'emploi d'eunuques en politique apparaît dans les documents du Proche-Orient et de la Chine à partir seulement du premier millénaire avant notre ère (r). Selon toute vraisemblance, les eunuques furent employés comme gardiens des harems, avant de devenir des fonctionnaires politiques. Il est facile de comprendre qu'un souverain, qui dans son enfance a connu des eunuques serviteurs personnels de sa mère, sera enclin à leur accorder sa confiance en qualité de conseillers, quand il accédera lui-même au pouvoir et devra affronter une bureaucratie complexe et étrangère. Ayant subi la castration, adultes (donc en général pour un délit), ou enfants (cela en général après avoir été vendus par des parents pauvres), les
d u r é e moyenne de c a r r i è r e de vingt a n n é e s r é d u i r a i t ce chiffre a 13,R %. Notre calcul s'appuie sur « le nombre total de fonctionnaires rSong] civils pt militaires » de C h i n Ytt-fu, r a p p o r t é par K r a r k o dans l ' a v a n t - d e r n i è r e note de son é t u d e ( K r a c k e , 1947 : 122, n. 31). fq) O n a p e n s é que certains passages des Textes ¡1rs Pyramides se rapportaient p e u t - ê t r e à la castration ; mais le Dictionnaire de Berlin et des é g y p t o logues é m i n e n t s , par exemple Sethe. ont s o u l i g n é le c a r a c t è r e p r o b l é m a t i q u e d'une telle i n t e r p r é t a t i o n fSethe, P T , III : 213, 215, 216 ; W b , I V : 43, 264 ; V : 410). L ' a p p r é c i a t i o n de ces auteurs qui font a u t o r i t é devrait s'appliquer é g a l e m e n t au passage 1462c (voir Mercer, 1952, II : 323 ; III : 712 sqq.). Les inscriptions qui font, mention de b œ u f s dans le tribut v e r s é par la Syrie (Breasted, 1927, II : 191, 199, 203) datent d u pharaon T o u t m è s III (15 s i è c l e ) . A i n s i , au milieu du second m i l l é n a i r e avant notre è r e , la castration d'animaux é t a i t connue en E g y p t e , mais aucun t é m o i g n a g e sur n'atteste l'existence de la castration chez les hommes. e
(r) Meissner ( B A , I : 120) n'est pas certain que les girsequm du Code d ' H a m m o u r a b i (Secs. 187, 192, 193) aient é t é des eunuques. L e Code punit de mort l ' a d u l t è r e ( H a m m o u r a b i , secs. 129, 130), tandis que les lois assyriennes du M o y e n E m p i r e p r é v o i e n t la castration pour ce d é l i t et autres crimes sexuels (Meek, 1951 : 181). Les tables sur lesquelles ces lois sont inscrites datent du 1 2 s i è c l e a v a n t notre è r e , mais les lois_ e l l e s - m ê m e s « peuvent remonter au 1 5 s i è c l e » (ibid. : 180). Des r é f é r e n c e s assyriennes à ce qui semble être des eunuques e m p l o y é s en politique, se trouvent dans des inscriptions datant du r è g n e d ' A d a d - N i n a r i II (911-891 avant notre è r e ) et Sargon II (724-705 avant noire è r e ) ( L n c k e n b i l l . A R . I : 11 ; et en ce qui concerne les r e p r é s e n t a t i o n s picturales d'hommes imberbes, Meissner ( B A , I : '¡11) nous p r é v i e n t qu'il ne s'agit pas l à n é c e s s a i r e m e n t d'eunuques. e
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eunuques, à la différence des fonctionnaires réguliers, ne venaient pas de familles eminentes. Dépourvus de racines sociales, ils devaient tout ce qu'ils possédaient et tout ce qu'ils étaient à leur souverain ; et leur dévouement tout animal envers lui résultait aussi logiquement de leur situation que leur méfiance ou leur hostilité ouverte à l'égard des membres réguliers du fonctionnariat. Les Perses achéménides, qui employaient exclusivement des eunuques pour les charges politiques (51), dirent à leurs visiteurs grecs que de telles personnes étaient les plus fidèles serviteurs qu'un souverain puisse trouver (52). Les despotes orientaux aimaient employer des eunuques dans bien des secteurs semi-personnels et semi-politiques de la vie de Cour et au gouvernement proprement dit. Souvent, les eunuques se voyaient confier des tâches confidentielles concernant les renseignements. Assez fréquemment, ils étaient responsables de la sécurité personnelle de leur souverain (en qualité de chefs de sa garde) ; et ils furent même parfois placés à la tête d'importantes armées ou flottes, ou se virent confier le Trésor royal. De telles dispositions se montraient hautement satisfaisantes puisque, bien que mutilés dans leur corps et dans leur principe vital (53) les eunuques conservaient leurs facultés intellectuelles et leurs dispositions pour l'action. On attribue à l'un d'entre eux, Ts'ai Lun, l'invention du papier (54) ; et le plus grand historien chinois Sseu-ma Ts'ien acheva son grand ouvrage historique après avoir subi la castration. Les généraux et les amiraux eunuques semblent ne l'avoir cédé ni en adresse ni en hardiesse à ceux qui n'avaient pas été emascules. Dans le domaine politique, il arriva que la ruse des eunuques confondît les vétérans de l'intrigue de Cour. C'est dans ce domaine qu'ils étaient le plus redoutés, car c'est là qu'ils approchaient de plus près les centres nerveux du pouvoir despotique. 5.
Les eunuques : quelques faits historiques.
Comme nous l'avons vu, la castration des hommes comme institution semble inconnue en Amérique ancienne. Les eunuques étaient employés comme domestiques dans bien des zones majeures de la société orientale du Vieux Monde. L'emploi d'eunuques en politique connut un faible développement en Inde hindoue où un clergé extrêmement influent fournissait le contingent le plus important de candidats non Kshatriyas aux postes gouvernementaux. En Chine et au Proche-Orient, les eunuques constituèrent
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temporairement une arme formidable dans la main de l'autocratie pour la surveillance et le contrôle du fonctionnariat titulaire. En Chine, les eunuques firent leur apparition en qualité de conseillers politiques et de chefs d'armée durant la seconde moitié de la période Tch'ou — c'est-à-dire >à une époque où les hauts fonctionnaires constituaient encore une bureaucratie héréditaire (noble) (55). Le fondateur de l'empire, Ch'in Shin Huang-ti, vers la fin de sa vie, fit de l'eunuque Chao Kao son compagnon le plus intime. Après la mort de l'empereur, Chao Kao réussit à éliminer le Grand Chancelier Li Ssu et de nombreux autres fonctionnaires éminents. Et telle était la puissance de cet eunuque qu'après avoir acculé au suicide le second empereur, ce fut lui et non un haut fonctionnaire qui choisit le nouvel empereur (56). Les premiers souverains de la longue dynastie impériale Han employèrent tôt des eunuques pour maintenir leur pouvoir autocratique. Sous l'impératrice douairière Lu (188-180 avant notre ère), l'eunuque Chang Shih-Ch'ing avait la haute main sur les édits et les commandements (57). Sous l'empereur Wên (180-157), deux eunuques bénéficièrent d'une faveur considérable (58). L'empereur Wi (141-87) confiait les affaires politiques à ses eunuques quand il se retirait dans son harem (59), et deux eunuques, Hung Kung et Shih Hsien jouèrent un rôle éminent dans le gouvernement de l'empereur Yuan (48-33 avant notre ère) (60). Sous ces souverains du début de l'époque Han, certains eunuques détinrent un pouvoir considérable à titre personnel. Au cours de la période Han tardive (25-220 de notre ère) les eunuques constituèrent un groupe puissant. Leur influence s*accrû"t de façon appréciable durant la seconde moitié du premier siècle de notre ère, et au cours du deuxième siècle ils rassemblaient entre leurs mains « les royaumes et la noblesse, et en leur bouche étaient les décrets du ciel» (61). En qualité d'instrument de l'empereur, de ses femmes ou de sa famille par alliance, ils exercèrent temporairement un contrôle pratiquement illimité sur la bureaucratie (62). Des institutions analogues caractérisèrent également les dynasties «typiquement» chinoises (63), T'ang et Ming. La prééminence des eunuques en politique au temps des T'ang coïncide de façon significative avec l'institution du système d'examens et, au temps des Ming, avec les restrictions apportées aux prérogatives yin. Sous les empereurs Ming, les ennuques furent charges de missions spé-
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ciales de surveillance des fonctionnaires métropolitains et des plébéiens (s). L'ennuque Liu Chin, le plus célèbre des « Huit Tigres [ eunuques J » persécuta systématiquement ses adversaires bureaucratiques et il se montra également impitoyable avec les membres de l'aristocratie bureaucratique (64). Si Liu fut par la suite exécuté, les eunuques restèrent puissants jusqu'à ce que la dynastie succombât sous les coups conjugués des rebelles chinois et des envahisseurs mandchous. Les empereurs Song utilisèrent moins les eunuques en politique que ne l'avaient fait les souverains Han, T'ang et Ming ; mais au début du 12 siècle, l'eunuque T'ung Kuan s'éleva au plus haut rang militaire et devint chef du conseil suprême de défense de l'empire. En Asie Mineure, les eunuques prirent une importance particulière sous les Achéménides. Ils perdirent de leur influence sous les monarques hellénistiques, mais en reprirent de nouveau à mesure que l'empire romain s'orientalisa. Rompant avec les coutumes plus anciennes, les empereurs Claude, Néron, Vitellius et Titus admirent les eunuques dans leur entourage proche. Deux d'entre eux eurent une influence considérable sur Claude: c'étaient Posides et Halotus ; et Néron qui « épousa » l'eunuque Spores, plaça l'eunuque Pelago à la tête d'un escadron de tueurs (65). Sous Elagabal et Gordien, les eunuques devinrent un trait permanent de l'administration (66). Dioclétien leur donna une place éminente dans la nouvelle hiérarchie de sa Cour (67). Des dix-huit rangs que comptait l'administration byzantine, les eunuques pouvaient accéder à huit, parmi lesquels celui, respectable, de patrice ; et les patriciens eunuques avaient la préséance sur les patriciens ordinaires (68). Runciman dit de l'emploi des eunuques que c'était là « la grande arme de Byzance contre les tendances féodales à la concentration du pouvoir entre les mains d'une noblesse héréditaire, tendance qui fut la cause de tant de troubles en Occident» (69). Puisque l'emploi des eunuques était déjà une institution à Byzance au 4 siècle, il n'a pu être instauré comme une arme destinée à combattre une tendance au féodalisme ; ce n'était certainement pas un problème alors pour le régime bureaucratique de l'Orient romain et même en Occident le problème ne se posa que e
e
(s) L'ascension des eunuques a u temps des M i n g c o m m e n ç a peu a p r è s la fondation de la dynastie (1638). L e s eunuques se virent confier l a d é f e n s e de la f r o n t i è r e n o r d en 1403, et en 1406, l'eunuque C h ê n g H o c o m m a n d a l a grande flotte i m p é r i a l e q u i v i s i t a l'Inde, l'Arabie et l'est de l'Afrique.
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plusieurs siècles plus tard. La notion selon laquelle les eunuques « constituaient pour l'empereur une classe gouvernante en laquelle il pouvait avoir confiance » (70) touche de plus près au fond du problème. Comme ailleurs, les eunuques employés en politique à Byzance formaient un groupe de contrôle absolument sûr au sein de la bureaucratie. Et le système fonctionnait si bien que Byzance devint un « paradis de l'eunuque » (71). Parmi les généraux eunuques, citons les remarquables Narsès, Salomon (72) et Nicephores Ouranos (73), parmi les amiraux eunuques, Eustathias Cyminealas (74) et Nicetas qui commanda la flotte byzantine dans la bataille pour la Sicile en 963 (75). Après la catastrophe militaire et politique de Manzikert, ce fut un eunuque, Nicephore le Logothète qui « dirigea la réforme de l'armée » (76). « Aucune charge laïque ou religieuse, si haute soit-elle — à la seule exception de la dignité impériale — qui leur soit interdite par principe » (77). «Une large proportion des Patriarches de Constantinople était des eunuques» (78). Parfois, les eunuques exerçaient sur le souverain un pouvoir illimité. Constance II (t 361 de notre ère) était si entièrement sous la domination de l'eunuque Eusebe que l'historien Ammien Marcellin disait en se moquant : « A vrai dire, Constance avait beaucoup d'influence sur lui » (t). L'emploi des eunuques en politique devint courant pendant et après le califat des Abbassides dans les capitales politiques musulmanes. A partir du 9 siècle, les califes placèrent des eunuques aux postes importants de la Cour, de l'armée et de la flotte. Le maréchal abbasside Munis, le général samanide Fa'ig et l'amiral Thamil, étaient des eunuques. Un fait illustre l'importance des charges militaires auxquelles pouvaient accéder les eunuques : lorsque la flotte de Bagdad et la flotte égyptienne fatimide s'affrontèrent en 979, les deux flottes étaient commandées par des amiraux eunuques (79). e
6. - Les agents personnels du despote ne formaient pas le noyau d'un parti en formation. Dans les conditions d'une industrialisation en progrès et de liens étroits entre les différentes sections de la société et la direction centrale, une super-organisation omniprésente, comme le parti d'Etat fasciste ou communiste (80), constitue un moyen unique d'affirmer et de perpétuer un pouvoir total autocratique. (t) A m m i e n Marcellin, 18.4.3 : « E ù s e b i . . . a p u d q u e m — debeat — m u l t a Constantius potuit. •
si vere dici
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Le despotisme oriental n'avait pas besoin d'une telle super-organisation. Les communautés paysannes ou urbaines compartimentées ainsi que les fonctionnaires isolés à qui manquaient les moyens modernes de communication et les liaisons nécessaires à d'éventuelles conspirations, étaient surveillés assez efficacement par les moyens normaux du contrôle social et des services de renseignement, par les « hommes » du souverain et par des sections spécialisées de son fonctionnariat, les eunuques par exemple. Le service des renseignements surveillait les centres vitaux, administratifs et militaires, du pays, les eunuques, surtout la Cour, et souvent aussi, la capitale. Il est intéressant de noter que les eunuques ne constituaient pas un groupe numériquement très important. Dans beaucoup de sociétés hydrauliques, un nombre limité d'agents personnels suffisaient pour assurer la position autocratique du souverain. 7. - Les nobles des tribus dans les dynasties de conquête. Dans beaucoup de sociétés orientales, mais non dans toutes. Ne mentionnons qu'une exception : même dans les sociétés hydrauliques de l'ancien Monde où existaient des eunuques, leur emploi en politique ne prit jamais une grande importance dans les sociétés de conquête. Nous avons déjà parlé du rôle particulier que jouaient dans les sociétés de conquête orientales les nobles et les plébéiens appartenant à la nation conquérante. Les plébéiens étrangers constituaient un instrument de coercition idéal, et les nobles étrangers, formant une classe supérieure à la bureaucratie indigène, formaient une élite sociale dont le rang et la sécurité dépendaient de leur loyauté envers le souverain et de leur aptitude à exercer leur autorité sur les fonctionnaires indigènes. Les nobles étrangers constituaient les cadres supérieurs des armées et dirigeaient habituellement les bureaux civils importants. C'étaient des agents politiques qui, aussi fidèlement que des eunuques, veillaient aux intérêts de la dynastie conquérante — qui en fait se confondaient avec les leurs. Pourquoi les califes ommeyades utilisaient-ils peu les eunuques à des charges politiques ? On a tenté d'expliquer ce phénomène intéressant par la religion (81). Mais l'histoire abbasside montre que les difficultés théologiques ne constituaient pas un obstacle majeur à la volonté du souverain. Plus probablement, les Ommeyades, dynastie de conquête, trouvèrent-ils plus commode d'appuyer leur pouvoir autocratique essentiellement sur leurs compatriotes arabes, nobles ou plébéiens. Les maîtres Ch'i-tan de l'empire liao établirent leur
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domination sur le nord-est de la Chine sans déchaîner un antagonisme excessif entre vainqueurs pasteurs et sujets sédentaires. Cependant, ils se réservèrent prudemment les situations clefs du pouvoir et l'empereur garda personnellement en main les communications stratégiques et le commandement suprême (82). Le seul Chinois de haut rang qui ait joui d'une confiance totale (en raison de son exploit dans la guerre contre l'empire Song, ne déplaça pas le centre de l'autorité vers le secteur chinois du gouvernement. Au contraire, il reçut un nom de clan Ch'i-tan, symbole de son admission dans les rangs de la noblesse « barbare » des conquérants. Lorsque le dernier empereur liao, aux abois, et déjà privé d'une grande partie de son royaume, offrit le commandement des débris de son armée de l'est à un Chinois, l'homme qu'il avait choisi refusa, rappelant à juste titre et avec amertume que « sous l'ancien système, les Chinois n'avaient pas accès aux grades importants de l'armée et de l'Etat... » (83). Et il est vrai que sous l'ancien système la majeure partie des décisions, tant d'ordre militaire que civil, appartenaient au souverain étranger et à ses nobles « barbares ». Il n'est donc pas étonnant que « les eunuques... soient restés en marge de la société liao... aucun eunuque liao mentionné dans les chroniques n'eut jamais une influence politique réelle» (84). Dans la dynastie mandchoue aussi, la présence de nobles mandchous rendait superflu l'emploi d'eunuques. La révolte des Taipings (1850-1863) affaiblit sans la détruire l'hégémonie des aristocrates des tribus et la brève tentative de 1898 en vue de moderniser le gouvernement, entreprise par des réformateurs chinois sous un empereur mandchou hérétique, fut écrasée par l'impératrice douairière. Dans son premier édit de restauration, elle nomma à des postes gouvernementaux, fait significatif, un certain nombre de Mandchous (85). Donc même les Mandchous, qui avaient assimilé la culture chinoise plus qu'aucune des trois précédentes dynasties de conquête, préféraient s'appuyer sur des nobles « barbares » plutôt que sur des eunuques. Ces nobles furent bien près de constituer un « quasi-parti » plus que ne le fut jamais aucune fraction dominante de la classe dirigeante dans la société hydraulique (u). (u) L e s eunuques furent temporairement e m p l o y é s à des fins politiques sous l'empereur S h i h - t s u (f 1661) ( H u m m e l , E C C P , 1 : 256 sqq.). Mais cette pratique cessa brusquement et ne r é a p p a r u t g u è r e que sous ' T s e y - H i , d e r n i è r e i m p é r a t r i c e d o u a i r i è r e (Voir H u m m e l , E C C P , I : 296 ; II : 724 ; v o i r é g a l e m e n t I : 298). E t p o u r t a n t ce n'est pas en utilisant davantage les eunuques que cette femme extraordinaire, despote e l l e - m ê m e , chercha à affermir son pouvoir, mais en restaurant le c o n t r ô l e m a n d c h o u sur le fonctionnariat chinois.
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8. - Les esclaves. Dans les sociétés qui ne se forment pas à partir d'une conquête, les eunuques sont une arme redoutable au service d'une politique autocratique. Cependant, les esclaves (ou ex-esclaves) peuvent servir de la même façon, puisqu'eux aussi sont socialement sans racines. Et ils peuvent servir l'autocrate avec plus d'efficacité encore : étant physiquement normaux, ils sont plus propres à représenter partout l'autorité du despote. Certains empereurs romains des débuts de l'empire employèrent des affranchis (libertini) à d'importantes fonctions politiques (86), mais les empereurs plus tardifs préférèrent les eunuques qui, à la différence des esclaves, étaient traditionnellement associés au pouvoir dans le despotisme oriental. L'emploi d'esclaves en qualité de serviteurs du souverain était plus fréquent dans le Proche-Orient islamique où les fluctuations rapides de la guerre et des rectifications politiques incitaient fortement à l'emploi de soldats mercenaires. A la différence des Ommeyades qui appuyaient essentiellement leur régime de conquête sur les membres des tribus, les Abbassides se fièrent de plus en plus aux mercenaires. Plus tard, ils achetèrent des esclaves turcs, en particulier pour la garde du corps du calife. Les souverains samanides et seldjoukides de Perse suivirent l'exemple abbasside (87). Dans l'empire mameluk, une élite étrangère de guerriers affranchis perpétuaient leur caste en plaçant systématiquement aux postes vacants des esclaves achetés à l'étranger. A leur entrée dans la carrière publique, ces esclaves étaient solennellement affranchis ; mais socialement c'était un groupe qui restait isolé (88). En Turquie ottomane, les garçons livrés en tribut et les personnes d'origine servile recevaient une éducation destinée à faire d'eux des cadres militaires ou de hauts administrateurs. On stimulait l'ambition de ces « esclaves » fonctionnaires turcs : gains substantiels, honneurs, occasions d'avancement, et parfois, l'occasion de se marier. Il n'y avait pas d'esclaves domestiques, mais d'ex-esclaves hautement privilégiés, s'ils n'étaient pas entièrement libérés. Mais même en qualité d'ex-esclaves, ils restaient étroitement attachés au souverain (v). Jouissant d'une situation plus favorable que celle de la majorité de la population libre, ils considéraient comme un honneur d'être la propriété personnelle du souverain. (v) Le mot turc kul comme le mot arabe rnamluk
signifie « esclave ».
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Mais les avantages dont ils profitaient ne pouvaient que masquer la précarité fondamentale de leur situation —• c'étaient essentiellement des déracinés. Il est vrai qu'à l'apogée de leur carrière, ils pouvaient partager avec certains membres de leur parenté honneurs et richesse, mais c'était plus souvent l'exception que la règle. De toute manière, — et ceci convenait également au souverain — cette parenté favorisée était presque toujours d'humble origine ; elle ne pouvait donc pas se lier avec une ambitieuse aristocratie bureaucratique qui se perpétuait à la manière d'une caste (nobles). Leur déracinement était encore aggravé quand le souverain choisissait ses fonctionnaires esclaves parmi les enfants de non-croyants, en particulier parmi les enfants de chrétiens. Naturellement ceux-ci recevaient une éducation musulmane complète, mais cette éducation particulière creusait encore le fossé entre eux et les croyants des classes supérieures dont ils étaient déjà séparés par leur origine. Les conséquences sociales du système de fonctionnaires esclaves apparurent avec une netteté exemplaire en Turquie. A l'apogée du pouvoir ottoman, les fonctionnaires administratifs et militaires ne constituèrent pas un fonctionnariat héréditaire (89) et ils empêchèrent les chefs héréditaires de la milice montée qui vivaient de leurs terres administratives (khasscs, ziamets, et timars) (90) d'accéder à des postes autres que secondaires ou subordonnés. Dans ce contexte, les eunuques n'étaient pas entièrement absents de la politique (w), mais ils ne servaient qu'à renforcer un édifice autocratique qui consistait essentiellement en un « gouvernement par une classe d'esclaves » (91). Les fonctionnaires du gouvernement étaient si parfaitement disciplinés et, même dans le secteur civil, si bien intégrés, que Machiavel ne vit aucune chance de renverser le régime turc par une alliance avec des opposants (aujourd'hui nous dirions une cinquième colonne), comme il était possible de le faire dans la France féodale. En effet « dans les royaumes gouvernés comme celui de la France... il est facile de s'introduire en gagnant quelques barons du royaume, car il y a toujours des mécontents et
(w) Dans l'empire mameluk, les eunuques é t a i e n t c h a r g é s de l ' é d u c a t i o n des mameluks ( A y a l o n , 1951 : 14 sqq.). Les sultans turcs firent d u Grand E u n u q u e B l a n c le chef de l'Ecole d u Palais, é c o l e des chefs militaires et administratifs de l ' E t a t (Miller, 1941 : 64, 88), U n autre E u n u q u e B l a n c é m i n e n t gardait le t r é s o r p r i v é d u sultan (Miller, 1941 : 38). Le g r a n d E u n u q u e Blanc c h a r g é de l'Ecole et d u H a r e m , g r a n d - m a î t r e des c é r é m o n i e s , é t a i t é g a l e m e n t l'agent secret d u sultan (Miller, 1941 : 88).
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des gens qui désirent des changements. Ceux-ci peuvent pour les raisons que j'ai dites, vous ouvrir la voie et faciliter la victoire» (92). Il n'en était pas de même chez les Turcs. « Parce que étant tous esclaves et dépendants, il sera plus difficile de les corrompre, et même s'ils étaient corrompus, il y aurait peu à en espérer, car ils seraient incapables d'entraîner le peuple avec eux, pour les raisons déjà dites. Donc, qui attaque le Turc, doit se préparer à affronter ses forces unies et doit compter davantage sur sa propre force que sur les désordres chez l'ennemi » (93). Ce qui nous paraît surprenant, si nous examinons la lutte entre le souverain suprême et ses servants, ce n'est pas tant le fait que les fonctionnaires turcs aient acquis très tard le privilège de l'hérédité ou de la semi-hérédité des charges (94), que le fait que, pendant très longtemps, le sultan ait pu faire obstacle à cette évolution grâce à une classe de « fonctionnaires-esclaves » socialement privés de racines (x) (*). 7.
L E S FONCTIONNAIRES
« RÉGULIERS » ,
L E S GROUPES
DE
CONTRÔLE E T L E P E U P L E
Les fonctionnaires esclaves constituaient l'un des instruments les plus efficaces que le souverain d'un Etat hydraulique pût forger à son usage. Des eunuques occupant des charges politiques ou la noblesse des tribus de conquérants pouvaient surveiller, affaiblir ou limiter le fonctionnariat « régulier » mais les fonctionnaires esclaves pouvaient le remplacer. En dépit de différences flagrantes, les groupes se ressemblaient de façon significative. Tous
(x) Le m a î t r e autocratique du la nouvelle s o c i é t é d i v i s é e en classes en U . K . S . S . exerce un c o n t r ô l e s u p r ê m e sur les hauts fonctionnaires de Vapparaicltiki au m o y e n de d i f f é r e n t e s m é t h o d e s p a r m i lesquelles une purge p é r i o d i q u e des groupes é t a b l i s de fonctionnaires (la « vieille garde », les « vieux cadres ») et l'introduction de gens d u peuple convenant techniquement et politiquement à ces fonctions. D u point de vue de l'autocrate s u p r ê m e , l a f i d é l i t é des fonctionnaires est d'autant plus a s s u r é e qu'ils sont moins l i é s à un groupe de prestige qui conserve des é l é m e n t s de c o h é s i o n sociale. L a grande purge des a n n é e s trente l i q u i d a l a m a j o r i t é des vieux-bolcheviks et les purges u l t é r i e u r e s é l i m i n è r e n t bien d'autres personnes é m i n e n t e s dans le P a r t i , le gouvernement et l ' a r m é e . V y c h i n s k i q u i fut menchevik j u s q u ' a u d é b u t d u r é g i m e é t a i t l'homme qu'il fallait p o u r la p e r s é c u t i o n des v i e u x - b o l c h e v i k s . A u c u n lien de c a m a r a derie ne m o d é r a i t ses attaques ; et son h é t é r o d o x i e p a s s é e le rendait partic u l i è r e m e n t v u l n é r a b l e — et p a r t i c u l i è r e m e n t anxieux de plaire à la direction s u p r ê m e du Parti. (*) Il faudrait cependant noter que l'Allemagne f é o d a l e a c o n n u , avec le d é v e l o p p e m e n t de l a « m i n i s t é r i a l i t é » une classe de fonctionnaires-esclaves, dont certains portaient le titre c a r a c t é r i s t i q u e de « chevaliers-serfs » ( N . d. T . ) .
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trois constituaient un groupe de contrôle qui du point de vue de l'autocrate était manifestement plus efficace que celui des plébéiens qui avaient pu eux aussi être associés au fonctionnariat. Les prêtres, qui en Amérique ancienne, en Inde et ailleurs occupèrent d'importantes situations gouvernementales, eurent probablement une fonction analogue. Les fonctionnaires réguliers étaient loin du peuple et au-dessus de lui. Mais les membres des groupes de contrôle qui étaient particulièrement proches du despote, étaient eux aussi particulièrement éloignés du peuple. Un fonctionnaire régulier, à l'esprit bienveillant, ou un membre de l'aristocratie bureaucratique pouvaient entretenir avec la population locale des relations quasi patriarcales. C'était beaucoup moins probable dans le cas de fonctionnaires prêtres, de fonctionnaires esclaves, de nobles étrangers ou d'eunuques. — PROMOTION SOCIALE Les carrières politiques des eunuques, des esclaves, des ex-esclaves et des plébéiens dans la société hydraulique ont encore une autre signification. Elles démontrent que la mobilité sociale (verticale) signifie une chose dans les sociétés ouvertes et équilibrées et quelque chose de tout différent dans les sociétés qui se développent à l'ombre du pouvoir total. Et toute analyse de ce phénomène ne sera satisfaisante que dans la mesure où les faits sont placés dans leur contexte institutionnel spécifique. 1.
-
RÉSERVOIRS
E T SOURCES
DE L A PROMOTION
PRINCIPALES
SOCIALE
Dans les sociétés ouvertes et fondées sur la propriété privée, un plébéien peut s'élever au-dessus de sa condition originelle, soit par ses succès politiques, soit par ses succès économiques. Les membres de la classe supérieure peuvent tenter d'entraver cette ascension, mais ne peuvent l'interdire. Ils peuvent rejeter le parvenu ou le nouveau riche (*) à titre personnel, mais d'ordinaire les enfants ou les petits-enfants du nouveau venu réussissent à se faire adopter. Tel était également le processus général dans les cités démocratiques de la Grèce antique et ce pro(•) E n f r a n ç a i s
dans le texte ( N . d. T . ) .
LES
CLASSES
DANS
L A SOCIÉTÉ
HYDRAULIQUE
(8,
J)
439
cessus est de plus en plus typique des nations industrielles modernes, telles que l'Angleterre, la Scandinavie, l'Australie et les Etats-Unis. Ce type de mobilité sociale démocratique et spontanée diffère fondamentalement des types de mobilité sociale qui caractérisent la société hydraulique. Dans la société hydraulique, les hommes d'origine modeste qui entraient dans la classe dirigeante, appartenaient rarement à la catégorie des plébéiens libres et éminents. En Chine, le nombre de ceux qui pouvaient accéder à un diplôme de haut grade était soigneusement limité ; et même cette forme chinoise n'était nullement typique de la majorité des civilisations orientales. En général, un plébéien énergique n'avait guère de chances de devenir membre de la classe dirigeante. Les eunuques, les affranchis et les esclaves qui accédaient à la prééminence politique étaient d'une origine inférieure à celle des libres plébéiens. Et cela était vrai aussi pour les femmes esclaves qui, dans le harem du souverain, pouvaient devenir mères de futurs souverains. Les membres de ce groupe parvenaient à des situations eminentes, non pas en franchissant les limites de la fortune et du pouvoir établi par leurs propres efforts, mais parce que leur souverain était assez fort pour choisir qui il voulait et pour placer la personne de son choix où il lui plaisait. Ce qu'il y avait de mobilité verticale dans la société hydraulique était le résultat d'une manipulation faite au sommet. Naturellement, il y a dans un comportement passif des éléments actifs, de même qu'il y a dans un comportement actif des éléments passifs (a). Mais cela n'infirme pas la conclusion selon laquelle sous le despotisme oriental la mobilité sociale était essentiellement un processus passif. On peut dire naturellement que dans certaines sociétés complexes et semi-complexes orientales quelques plébéiens d'origine pauvre et humble ont fait fortune et se sont distingués à l'intérieur de leur propre classe, en se faisant une situation selon une méthode qui caractérise d'ordinaire les sociétés ouvertes fondées sur la propriété. C'est vrai. Cependant, dans bien des sociétés hydrauliques, de tels processus sont absolument inconnus et là où ils existent ils n'entraînent pas l'accession à la classe dirigeante.
(a) V o i r Wittfogel, 1932 : 474 sqq. Cette é t u d e tente de d é f i n i r l'influence potentielle d'un objet sur les o p é r a t i o n s auxquelles il est soumis.
440
L E DESPOTISME ORIENTAL 2.
- L E S CRITÈRES DE LA PROMOTION SOCIALE (APTITUDES « PLUS »...)
Le pouvoir total procède à des promotions prudentes discriminatoires. Et il ne le fait que lorsqu'il peut attendre des promus l'accomplissement de quelque fonction nécessaire à l'Etat. Dans un tel processus, le candidat doit posséder des aptitudes « plus »... Quel est ce « plus » ? Certains des élus peuvent posséder des talents remarquables ; et cela est certainement souhaitable. Mais tous doivent posséder les vertus clefs du totalitarisme : la docilité totale et le zèle. Cette qualification peut s'exprimer soit d'une manière idéologique ou cérémonielle subtile (c'était le cas en Chine confucéenne et en Inde hindoue), soit pragmatique et directe (dans de nombreuses autres civilisations hydrauliques). Mais en substance elle est partout la même ; et les détenteurs du pouvoir total suprême se seraient considérés comme fous s'ils n'avaient pas insisté sur une qualification qui de leur point de vue était vitale. 3.
- PROMOTION SOCIALE DANS U N E PLANTATION EMPLOYANT DES ESCLAVES
La mobilité sociale dans la société hydraulique n'est pas identique à la mobilité sociale dans une plantation employant des esclaves. Cependant certains traits de cette dernière institution ne sont pas sans intérêt pour une comparaison avec la première. Un planteur peut élever le plus humble de ses esclaves au rang de contremaître ou de domestique personnel mais la conscience de cette possibilité n'encourage pas chez les autres esclaves un esprit d'indépendance. Au contraire. Le fait que la promotion soit offerte essentiellement à ceux qui se soumettent sans condition tend à inciter la majorité opportuniste des esclaves à des attitudes de servilité spectaculaire. K. — LA CLASSE DIRIGEANTE SOUS UN RÉGIME DE POUVOIR TOTAL — UNE BUREAUCRATIE QUI DÉTIENT L E MONOPOLE 1.
- LA
CLASSE DIRIGEANTE DANS LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE E T L E S CLASSES SUPÉRIEURES DANS L E S AUTRES SOCIÉTÉS STRATIFIÉES
D'un autre point de vue encore, la mobilité sociale particulière à la société hydraulique révèle une classe dirigeante d'un caractère particulier. Pratiquement, cette classe dirigeante est une classe fermée. Ce n'est que par la volonté
I
L E S CLASSES DANS LA SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E (8,
K)
441
de ses représentants officiels que les membres des classes inférieures peuvent y être incorporés. A cet égard, elle ressemble à la noblesse féodale et se différencie des classes supérieures d'une société moderne industrielle fondée sur la propriété. Les particularités de la variante hydraulique d'une classe dirigeante fermée viennent essentiellement de l'organisation de celle-ci. Le noyau actif de la classe dirigeante dans la société hydraulique est un corps cohérent et strict ; à cet égard, il diffère non seulement de la bourgeoisie moderne mais également de la noblesse féodale. Même dans le cas où des monopoles d'entreprises coordonnent entre eux les éléments éminents de la haute bourgeoisie (*) nous ne trouvons pas de classe d'affaires organisée, possédant sa propre hiérarchie et sa forme, à la manière des vassaux des pays féodaux. L'unité organisationnelle des seigneurs féodaux atteignit son apogée lorsqu'ils s'associèrent pour des actions militaires communes (nationales) ; mais la portée de ces actions comme le contrôle disciplinaire exercé par le chef suprême étaient très limités. En règle générale, les seigneurs s'occupaient de manière indépendante de leurs propres affaires, militaires, économiques et sociales. Les servants du despotisme hydraulique étaient organisés en un « appareil » hautement centralisé et fonctionnant de manière permanente. A la différence de la haute bourgeoisie, qui n'avait pas de chef reconnu, et à la différence aussi des seigneurs féodaux dont le chef reconnu était le premier parmi des égaux dans un ordre très nettement décentralisé, les hommes de l'appareil d'Etat hydraulique considéraient leur souverain comme le chef suprême qui décidait toujours et de façon inconditionnelle de leurs situations et de leurs tâches. Avant l'avènement de l'appareil d'Etat moderne et industriel, les hommes du gouvernement hydraulique étaient les seuls exemples importants d'une classe dirigeante dont le centre opérationnel ait fonctionné de manière permanente comme une entité organisée, centralisée, et semi-militaire. 2. - D E S CORPS CONSTITUÉS E T AUTORITAIRES N'EXERCENT PAS NÉCESSAIREMENT L E POUVOIR TOTAL
Même une classe autoritaire extrêmement puissante ne peut s'imposer totalement tant que des forces antagonistes importantes exercent sur elle une influence visant à la limiter ou à la contrôler. Tant dans l'Athènes de (*)
E n français
dans le texte
(N.
d.
T.). 16
442
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
Périclès que dans la démocratie industrielle moderne, l'armés est une organisation autoritaire ; ses chefs exigent, et ont les moyens d'imposer, une obéissance inconditionnelle. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'armée est subordonnée aux décisions d'un corps politique suprême et démocratiquement constitué. Aucune société n'est totalement dépourvue de fractions autoritaires, mais dans une société démocratique ces fractions peuvent être surveillées et contrôlées. Il est essentiel de connaître ce fait si l'on veut évaluer correctement les effets (et les limitations) des formations autoritaires dans les « grandes affaires », la « grande classe laborieuse (Big Labor) » et le « grand gouvernement » qui apparaissent dans les civilisations modernes fondées sur la propriété. Les gouvernements absolutistes européens de l'époque féodale tardive et post-tardive devaient affronter des forces aussi importantes que la noblesse organisée, l'Eglise, les corporations et les classes moyennes capitalistes montantes. Ces gouvernements étaient autoritaires et ils soutinrent une dure lutte pour conserver l'exclusivité (la totalité) du pouvoir. Mais dans l'ensemble, ils échouèrent parce qu'ils étaient incapables de s'assurer le monopole de la direction sociale. 3.
-
LE
MONOPOLE D'UNE EN
MATIÈRE
PART, L A COMPÉTITION D'AUTRE DE DIRECTION
PART
SOCIALE
La direction sociale peut appartenir à différents groupes ou classes qui, de plusieurs manières, s'équilibrent. Ou bien elle peut être exercée comme un monopole par un seul groupe ou une seule classe. Naturellement un groupe qui détient le monopole du pouvoir a un comportement différent de celui d'un groupe qui en dépit de sa supériorité en force ne peut écraser ses rivaux. En Europe et au Japon post-féodaux, le pouvoir d'Etat et la propriété active (d'entreprise) donnèrent naissance à plusieurs classes supérieures ; et aucune classe ne réussit à s'assurer la prééminence exclusive (totale). Plus récemment, les propriétaires de terre et de capital ont vu s'opposer à eux des rivaux d'un type nouveau : les propriétaires d'une richesse d'un genre spécial, le travail. Aujourd'hui, le travail conteste ouvertement la possession du pouvoir politique et social aux anciennes classes privilégiées. Dans la société hydraulique, l'évolution suivit un cours différent. Là, la montée des classes possédantes — artisans, marchands et propriétaires fonciers — n'entraîna pas la montée de classes privilégiées rivales. Dans les sociétés hydrauliques complexes et semi-complexes, les fonction-
LES
CLASSES
DANS
LA
SOCIÉTÉ
HYDRAULIQUE
(8,
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443
naires titulaires acceptèrent comme inévitable, et dans une certaine mesure souhaitable, la présence d'hommes riches détachés par le gouvernement. Mais même quand ces hommes furent assez nombreux pour constituer une classe, ils ne rivalisèrent pas avec l'aristocratie bureaucratique pour s'assurer la direction sociale et politique. Us ne rivalisèrent pas parce qu'ils n'avaient aucune occasion de s'engager dans une lutte politique de quelque envergure. Ni au départ, ni plus tard, ces possesseurs de petite ou de grande propriété ne réussirent à coordonner leurs forces au point de constituer une organisation rivale, nationale et politiquement efficace. Selon toute probabilité, les hommes de l'appareil n'avaient pas nettement conscience de la menace que pourrait constituer une organisation rivale. La plupart des sociétés hydrauliques se constituèrent avant, et loin des sociétés agraires équilibrées de la Grèce antique, de Rome, de l'Europe médiévale et du Japon. Et dans la plupart des sociétés hydrauliques simples, les groupes qui possédaient des propriétés indépendantes étaient trop faibles pour faire prévaloir leur volonté politique dans des assemblées générales politiques ou dans des corporations du genre des états. Des traditions tribales démocratiques — là où elles existaient — furent apparemment abandonnées, soit avant, soit au moment où elles devenaient une menace sérieuse pour les maîtres du régime agro-directorial. C'est ce qui a pu se produire dans la société protosumérienne, mais même dans ce cas les témoignages sont rares. En général les représentants des jeunes Etats despotiques semblent avoir maintenu les possesseurs de propriétés privées mobilière ou immobilière dans un état de dispersion politique, ayant parfois recours dans ce but à la violence, mais plus souvent sans avoir à exercer d'effort politique ou physique déplaisant. A la fin de l'époque médiévale et à l'époque postmédiévale, les Etats despotiques orientaux du ProcheOrient et de la Russie coexistaient avec des Etats du type européen caractérisés par des organisations politiques multiples. Mais à l'exception de la Russie post-moscovite et de la Turquie du 19 siècle, rien ne prouve que ces pays orientaux proches aient consciemment imité le modèle occidental. Les Croisés chrétiens affaiblirent le pouvoir absolutiste de la Byzance tardive mais la classe des propriétaires fut incapable de créer des corporations indépendantes et efficaces, féodales ou bourgeoises. En Turquie et en Russie, de multiples organisations politiques apparurent mais seulement lorsque la révolution industrielle et les assauts des pouvoirs occidentaux créèrent une situation nationale et internationale entièrement neuve. F
444 4.
L E DESPOTISME ORIENTAL
- L E MONOPOLE DE LA DIRECTION SOCIALE DEVIENT DANS LE
DESPOTISME
ORIENTAL
BUREAUCRATIQUE
LE
MONOPOLE
DE
L'ORGANISATION
( « B U R E A U C R A T I E DE M O N O P O L E » )
La libre concurrence implique la libre organisation ; et elle implique la liberté, quand les conditions s'y prêtent, d'employer des procédés bureaucratiques en vue de développer et de perpétuer des liens organisationnels. Les organisations de barons et de bourgeois du monde féodal se contentaient d'employer les moyens bureaucratiques à une échelle modeste. Mais l'histoire de l'Eglise médiévale montre qu'à cette époque une organisation puissante non gouvernementale pouvait, si besoin était, mettre en place d'imposantes structures bureaucratiques. Dans les pays modernes d'Europe centrale et occidentale, en Amérique, en Australie et au Japon, de nombreuses bureaucraties plus vastes ou plus restreintes existent, indépendantes du gouvernement et extérieures à lui. Des propriétaires fonciers aristocrates, là où ils survivent, peuvent employer des procédés bureaucratiques pour protéger leurs intérêts. Les marchands, les industriels, et les banquiers dirigent de grandes entreprises en se servant d'une organisation de type bureaucratique ; et lorsqu'ils poursuivent de vastes buts politiques, ils créent ou apportent leur appui à des lobbies ou à des partis organisés selon un mode bureaucratique. Les fermiers eux-mêmes ont de plus en plus recours à une action par des méthodes bureaucratiques coordonnées. Et les syndicats et les partis de travailleurs sont parvenus à une situation politique et économique éminente, grâce à l'emploi de méthodes bureaucratiques qui ont permis de mettre en œuvre le potentiel organisationnel inhérent à la concentration des travailleurs dans les grandes entreprises. De tous ces développements, le plus étudié par certains analystes a été l'expansion de grandes entreprises commerciales devenues des monopoles géants ; ces analystes l'ont considérée comme un trait si caractéristique de notre époque qu'ils ont décidé de nommer celle-ci une période de « capitalisme de monopole ». Le concept de « capitalisme de monopole » stimule autant qu'il égare, mais ses insuffisances mêmes nous aident à accorder l'importance qu'il convient aux particularités de la bureaucratie de monopole orientale. Les entreprises géantes modernes sont effectivement formidables, tant en dimension qu'en influence ; et il est vrai qu'elles ont écrasé ou absorbé bien des rivaux moyens ou petits. Mais ce n'est que rarement qu'elles ont pu empêcher d'autres géants d'opérer dans des branches différentes de l'écono-
LES
CLASSES
DANS
LA SOCIÉTÉ
HYDRAULIQUE
(8,
K)
445
iie et elles n'ont jamais pu entraver la montée de grands rivaux sociaux tels que le « grand gouvernement » et la «grande classe laborieuse». « L e capitalisme de monopole » est une appellation erronée pour une formation institutionnelle dans laquelle des forces sociales multiples ayant chacune tendance à devenir un monopole, s'équilibrent de manière à empêcher la dictature de l'une quelconque d'entre elles. Un appareil d'Etat total ne connaît pas de tels obstacles. Les maîtres de la société hydraulique ne tolèrent pas de rivaux organisés selon un mode bureaucratique. Ils s'assurent la direction exclusive au moyen d'un monopole constant et brutal de la bureaucratie. n
CHAPITRE IX
SUCCÈS ET DÉCLIN DE LA THÉORIE DU MODE ASIATIQUE DE PRODUCTION Voilà la société hydraulique telle que notre étude nous la fait découvrir. Cette société a persisté au cours des millénaires — en fait jusqu'à ce qu'elle subisse les assauts de l'Occident industriel et commercial en plein essor. Puis, des réactions en chaîne se déclenchèrent, donnant à l'ordre ancien nouvelle forme et nouvelle direction. Notre analyse de la société hydraulique traditionnelle nous permet-elle de comprendre ces développements récents ? Arrivé à ce point, le lecteur qui nous a jusqu'à présent suivi peut souhaiter poser quelques questions. Nous pouvons dire que le concept de société hydraulique semble avoir été éminemment fécond pour l'étude du passé. Est-il aussi utile pour estimer le présent et l'avenir ? L'interprétation « féodale » des conditions orientales n'est-elle pas tout aussi adéquate ? Elle implique sans aucun doute une condamnation énergique d'un héritage mauvais — et elle est déjà largement employée à l'Est comme à l'Ouest. Cela est possible. Cependant, dans notre contexte, le caractère énergique ou communément répandu d'une théorie ne peut guère être un critère décisif. L'histoire de la démagogie sociale et raciale nous apprend que des slogans faux pervertissent les actions et la pensée de l'homme — de façon d'autant plus désastreuse qu'ils sont répétés plus souvent et avec plus d'insistance. Si nous assimilons l'Orient à l'Europe féodale, nous perdons de vue les différences fondamentales. Et si nous oublions l'existence des grandes sociétés non occidentales, nous courons le danger d'abandonner la liberté du choix historique, paralysés que nous sommes par la fiction d'un développement uni-linéaire et irrésistible. Un tel danger ne vient pas des travaux des adeptes d'une ligne unique dont les erreurs sont facilement repérables. C'est essentiellement le produit du marxisme-léni-
2 000 AVANT JÉSUS-CHRIST Sociétés hydrauliques. Sociétés hydrauliques à leur d é b u t .
1 000 AVANT JÉSUS-CHRIST S o c i é t é s hydrauliques. Sociétés hydrauliques à leur d é b u t . Sociétés paysannes, de guerriers et de commerçants.
500 AVANT JÉSUS-CHRIST
200 APRÈS JÉSUS-CHRIST
¡¡§¡§1 Sociétés hydrauliques. lHI
Sociétés hydrauliques à leur d é b u t .
[[[ïïj]
Sociétés proto-féodales et proto-hydrauliques (mixtes).
1 0 0 0 APRÈS JÉSUS-CHRIST IHH
Sociétés hydrauliques.
0H3
Sociétés féodales.
L E MODE ASIATIQUE DE PRODUCTION
(9,
A)
447
nismc contemporain qui combine les moyens idéologiques avec les moyens politiques pour éliminer à la fois la théorie de la société orientale et le concept d'un développement multi-linéaire. Si elle n'est pas identifiée, cette force marxiste-léniniste peut bloquer l'analyse de la société hydraulique en transition — non par une discussion ouverte, mais en créant une atmosphère paralysante d'équivoque et de défiance. Si elle est, au contraire, convenablement identifiée, elle donnera une nouvelle impulsion à l'étude des faits — et des virtualités — d'un monde multiforme et en transformation. A. — LES THÉORICIENS ANCIENS ET MODERNES D'UN DÉVELOPPEMENT UNI-LINÉAIRE NÉGLIGENT LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE 1.
e
- L E S THÉORICIENS UNI-LINÉAIRES DU 19
SIÈCLE
e
Les théoriciens uni-linéaires du 19 siècle négligeaient la société hydraulique, non parce qu'ils refusaient d'envisager la réalité du despotisme bureaucratique, mais parce qu'ils subissaient l'influence des conséquences extraordinaires de la révolution industrielle. Généralisant à l'excès l'expérience d'un monde occidental en transformation rapide, ils postulèrent naïvement une évolution sociale suivant une ligne simple, unique et progressive. L'homme semblait se diriger de façon irrésistible vers la liberté (Hegel), vers une harmonie universelle (Fourier), vers une société juste et rationnelle (Comte), vers le bonheur universel (Spencer). Les archéologues commençaient à distinguer une échelle des « âges » fondée sur l'usage de la terre, du bronze et du fer ; et les ethnologues classaient des traits choisis de la vie primitive en « stades » consécutifs. En définissant le « paléolithique » et le « néolithique » comme des précurseurs de * l'âge du métal », Lubbock compléta en 1865 ce que Thomson avait commencé en 1836. Et en 1877, Morgan formula sa progression typologique fréquemment citée : ancien âge de pierre (état sauvage), nouvel âge de pierre (état barbare) et âge du fer (civilisation). 2.
- L E S CRITIQUES NÉGATIVES
Il faut louer les évolutionnistes du 19" siècle qui se sont efforcés de dégager des courants turbulents de l'histoire, une structure et une évolution ordonnée. Mais on ne peut pas dire que leur œuvre soit satisfaisante, car ils ne purent tracer, pour les civilisations les plus évo-
448
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
luées, une ligne unique de progrès, qu'en négligeant le destm de plus d'une moitié de la population du globe. Et les critiques qui furent ultérieurement lancées contre eux ne comblèrent pas cette lacune car celles-ci aussi négligèrent la stagnation du monde hydraulique. Une masse de documents anthropologiques et archéologiques permit à des savants tels que Boas de démontrer que les théoriciens du 19 siècle « commirent une erreur en adoptant la théorie d'une évolution unique et uni-linéaire » (1). Mais en même temps qu'apparurent ces connaissances nouvelles, on se refusa obstinément à exploiter les faits de l'histoire institutionnelle occidentale et orientale pour en tirer un nouveau schéma multi-linéaire de développement. Boas dit : « Les lois du développement, sauf dans leur forme la plus généralisée, sont impossibles à établir et le cours détaillé de l'évolution est impossible à prédire. Tout ce que nous pouvons faire est observer et juger au jour le jour de ce que nous faisons par ce que nous avons appris et nous diriger en conséquence» (2). Il est vrai que même ce jugement prudent suggère un certain « cours d'évolution ». Mais au lieu de tenter d'en déterminer le caractère, Boas se contenta d'une estimation impressionniste « au jour le jour » de l'expérience humaine. e
3.
-
UN
VIDE
THÉORIQUE
Les arguments de Boas exercèrent une grande influence aussi bien à l'intérieur de sa spécialité qu'au dehors. Et sa conception du non-développement gagna de nombreux partisans parmi les sociologues au début du 20° siècle. Un sociologue compétent, devant cet agnosticisme, aurait vite compris le vide théorique qui en est la conséquence. Et il aurait pu prédire que de grands conflits et de grandes crises susciteraient de nouvelles questions et plus tard de nouvelles réponses. Spengler fondait si évidemment son concept des civilisations séparées, qui mûrissent et déclinent comme des organismes vivants, sur des prémisses biologiques et non historiques qu'il ne pouvait satisfaire des sociologues. Pour des raisons différentes, la tentative de Toynbee échoua aussi. Historien de profession, Toynbee envisageait le destin humain sous l'angle de l'histoire. Mais son analyse fut handicapée par l'absence de concepts majeurs nets. Une attention exagérée prêtée aux détails l'empêchait de discerner les grands schémas de l'évolution sociale. Une attention exagérée donnée aux particularités des « sociétés » individuelles l'empêchait de reconnaître les dénominateurs institutionnels communs qui obligent à classer ces sociétés dans des unités plus larges. Dans le
T
L E MODE ASIATIQUE DE PRODUCTION (9,
A)
449
domaine de la taxonomie, le partisan de « l'émicttement » a autant de chances de se tromper que le partisan des méthodes de classement en gros (3). Les arbres passionnants qui peuplent le paysage de Toynbee (a) ne révèlent pas le caractère des forêts dont ils font partie. 4. - EXPANSION
DE LA NOUVELLE THÉORIE « MARXISTE-LÉNINISTE »
UNI-LINÉAIRE
Mais le besoin de nouvelles perspectives historiques se fit sentir avant l'apparition du Study of History (*) de Toynbee. Les bouleversements économiques et politiques qui commencèrent à l'époque de la Crise firent paraître les spéculations romantiques de Spengler aussi peu réalistes que les découvertes d'une sociologie livrée aux excès de la méthodologie, de la compartimentation et de l'évaluation quantitative. Impressionnés par la brutalité directe avec laquelle le marxisme-léninisme analysait les conflits brûlants du jour, de nombreux écrivains adoptèrent d'importants éléments du schéma soviétique de développement social, en même temps que l'explication marxiste-léniniste du capitalisme et de l'impérialisme. Us n'hésitèrent pas à appeler « féodales » les institutions traditionnelles de la Chine, de l'Inde et du Proche-Orient. Us assimilèrent les institutions de la Russie post-mongole à la féodalité occidentale. Ils furent convaincus aussi que la Russie communiste — et récemment la Chine continentale — avaient atteint un niveau supérieur de développement socialiste et protosocialiste parce qu'elles avaient vaincu à la fois la « féodalité » et le capitalisme. 5. - NÉCESSITÉ D'UN RÉEXAMEN DES THÉORIES D E M A R X , D'ENGELS E T DE LÉNINE SUR L E « SYSTÈME ASIATIQUE » E T L E DESPOTISME ORIENTAL
Devant ces faits, aucun historien de la société hydraulique, s'il est sérieux, ne niera la nécessité de réviser la conception du « système asiatique », du despotisme oriental et du développement social selon Marx, Engels et Lénine. Un tel examen est manifestement nécessaire du point de vue (a) Ajoutons que ce paysage é t a i t , à plus d'un titre, riche de suggestions. C e u x - l à m ê m e s qui trouvent les principales conclusions des é t u d e s historicosociales de Toynbee contestables d u point de vue intellectuel et moralement paralysantes, r e c o n n a î t r o n t qu'il a t e n t é de d é g a g e r la structure et la progression de la vie des « s o c i é t é s .. (*) Titre d u grand ouvrage de Toynbee (N. d. T . ) .
450
L E DESPOTISME ORIENTAL
de notre étude. Or, c'est dramatique, parce que Marx, Engels et Lénine, avant Octobre, admettaient le concept asiatique, celui-là même que les grands-prêtres de l'idéologie marxiste-léniniste rejettent aujourd'hui. B. — MARX, ENGELS, LÉNINE ADOPTENT L E CONCEPT ASIATIQUE 1. - MARX D'ACCORD AVEC SES PRÉDÉCESSEURS CLASSIQUES SUR LA QUESTION DE LA STRUCTURE INSTITUTIONNELLE E T DU STADE DE DÉVELOPPEMENT DE L ' O R I E N T (A)
Le concept marxien de la société asiatique s'appuyait en grande partie sur les théories des économistes classiques : Richard Jones et John Stuart Mill ; ceux-ci à leur tour avaient développé et généralisé les conceptions d'Adam Smith et de James Mill. Adam Smith nota des similitudes entre l'entreprise hydraulique en Chine et « en plusieurs autres gouvernements d'Asie » ; et il approfondit particulièrement le pouvoir d'acquisition des souverains en Chine, en Egypte antique et en Inde (1). James Mill considérait le « modèle asiatique de gouvernement » comme un type institutionnel général (2) ; et il refusait les analogies forcées avec la féodalité européenne (3). Richard Jones dessina une esquisse générale de la société asiatique en 1831 (4), alors que Marx avait treize ans. Et John Stuart Mill plaça cette société dans un système de comparaisons, en 1848 (5), alors que les auteurs du Manifeste communiste, malgré une allusion à « l'Orient» (6) ne se montraient nullement conscients de l'existence d'une société spécifiquement asiatique. Ce ne fut qu'après avoir repris son étude des économistes classiques à Londres (b) que Marx devint l'adepte convaincu du concept « asiatique ».
(a) Les é c r i v a i n s marxistes ont rarement pris la peine de rechercher les sources d u concept asiatique chez M a r x (voir K a u t s k y , note à P l é k h a n o v , 1891 : 447 ; K a u t s k y , 1929, II : 209 sqq. ; et P l é k h a n o v , F P M : 40, 50). J ' a i , dans des é c r i t s plus anciens, s u g g é r é que le g é o g r a p h e R i t t e r et Hegel avaient p e u t - ê t r e i n f l u e n c é M a r x (Wittfogel, 1929 : 492-496 ; ibid., 1931a : 354) ; mais je n'avais pas à cette é p o q u e compris que fondamentalement M a r x s'appuyait sur les é c o n o m i s t e s classiques. (b) A L o n d r e s , M a r x reprit ses é t u d e s é c o n o m i q u e s et sociologiques : il lut Principes d'Economie politique, de M i l l (à partir de septembre 1850), Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations, de S m i t h (mars 1851), Introductory Lectures [on political Economy] de Jones (juin 1851), Conquest of Mexico et Conquest of Peru, de Prescott ( a o û t 1851), Voyages, de Bernier (mai-juin 1853), History of British India de James M i l l (probablement — m e n t i o n n é le 7 juillet 1853) ( K M C L : 96, 103, 107, 110, 139 ; voir aussi M E G A , III, P t . 1 : 133 ; M a r x , N Y D T , 7 juillet 1853).
L E MODE ASIATIQUE DE PRODUCTION (9,
B)
451
De 1853 jusqu'à sa mort, Marx défendit le concept asiatique ainsi que la nomenclature asiatique des économistes précédents. En plus de la formule « despotisme oriental » il employa pour désigner l'ensemble de l'ordre institutionnel le terme de « société orientale », employé par John Stuart Mill (7) et aussi (avec une visible prédilection), le terme de «société asiatique» employé par Richard Jones (8). L'intérêt spécifique qu'il éprouvait pour l'aspect économique de la société asiatique s'exprime par les termes de « système asiatique », de propriété foncière (9), de « mode asiatique de production » spécifique (10) et, plus concis, de «production asiatique» (11). A partir de 1850, la notion d'une société asiatique spécifique frappa Marx avec la force d'une découverte. Abandonnant temporairement la politique de parti, il s'appliqua intensément à l'étude du capitalisme industriel conçu comme un phénomène socio-économique et historique distinct. Ses écrits de cette période — entre autres la première esquisse du Capital qui date de 1857-58 (c) — le montrent extrêmement stimulé par le concept asiatique. Dans cette première ébauche, comme dans la version finale de son magnum opus, il établit une comparaison sytématique entre certains traits institutionnels des trois grandes formes de société agraire (« Asie », antiquité classique, féodalité), et de la société industrielle moderne (12). 2. - INTERPRÉTATION PAR MARX DE L'INDE, DE LA C H I N E E T DE LA R U S S I E POST-MONGOLE, SELON L E CONCEPT ASIATIQUE
Il n'est pas nécessaire dans le contexte présent d'examiner tous les aspects des théories de Marx concernant la société asiatique. Il suffit pour notre sujet de souligner son interprétation asiatique de trois pays qui sont revenus aujourd'hui au premier plan de la scène politique mondiale : l'Inde, la Chine et la Russie.
(c) Dans sa forme originale, cette é b a u c h e fut p u b l i é e pour la p r e m i è r e fois en deux volumes, respectivement en 1939 et 1941. M a r x en r é é c r i t et en publie une partie en 1859, sous le titre Contribution à la critique de l'Economie politique. Dans sa p r é f a c e à ce dernier ouvrage, il é n o n ç a sa t h é o r i e , la plus s y s t é m a t i q u e , sur les structures sociales et leurs modifications, t h é o r i e qui se termine par l ' é n u m é r a t i o n des quatre grands ordres s o c i o - é c o n o m i q u e s : modes de production asiatique, antique, f é o d a l , et capitaliste. A partir de l ' é t é de 1863, M a r x reprit et r é o r g a n i s a son é b a u c h e p r e m i è r e , et en fit ce qu'il appela Le Capital (voir Grossmann, 1929 : 310 sqq.). L'histoire des t h é o r i e s annexes, que M a r x avait eu l'intention de publier comme q u a t r i è m e volume d u Capital (ibid. : 311), fut plus tard p u b l i é e en un volume s é p a r é sous le titre Théories sur', a plus-value.
452 a. - L'Inde
LE
(« société
DESPOTISME
asiatique
ORIENTAL
»...)
Dans deux articles publiés par le New York Daily en 1853 (d), Marx analyse le caractère de la société asiatique et les possibilités de sa dissolution progressive. Dans ces articles, il cite l'Inde comme représentative de « la vieille société asiatique » et les Hindous comme ayant certaines institutions essentielles en commun avec « tous les peuples orientaux ». Il avance l'argument selon lequel « les conditions de climat et de sol » font de «l'irrigation artificielle, au moyen de canaux et de travaux hydrauliques, la base de l'agriculture orientale ». Et il note que le contrôle de l'eau « en Orient où la civilisation était trop primitive et les territoires trop vastes pour permettre une coopération spontanée rendait nécessaire l'intervention d'un pouvoir gouvernemental centralisateur ». Ce fut donc le besoin de travaux hydrauliques dirigés par le gouvernement qui, selon Marx, provoqua la naissance de l'Etat asiatique. Et la « dispersion » du « peuple oriental », sa répartition en villages « autonomes » (cumulant la petite agriculture et l'artisanat domestique) qui permirent la perpétuation séculaire de l'Etat asiatique (13). En fait, la seconde assertion demande à être nuancée. Idéologiqucment, c'est la plus fertile en développements. Ce n'est qu'en gardant en mémoire la théorie de Marx sur le rôle des villages orientaux « dispersés » que nous pouvons comprendre complètement la définition du despotisme oriental selon Marx lui-même, aussi bien que selon Engels et Lénine. Tribune
b. - La Chine (« ...production asiatique » privée de la terre paysanne).
et
possession
Vivant en Angleterre, où il passa la plus grande partie de sa vie d'adulte, Marx s'intéressa plus aux conditions de l'Inde qu'à celles de la Chine. Mais à partir de 1850, il considéra que la Chine, comme l'Inde, était caractérisée par des institutions « asiatiques » (14) et il trouva que « la structure économique de la société chinoise reposait sur une combinaison de petite agriculture et d'industrie domestique» (1859) (15). Dans le troisième volume du Capital, analysant la pression que le commerce anglais exerçait sur l'Inde et sur la Chine, il insista de nouveau sur (d) M a r x , N Y D T , 25 juin et 8 a o û t 1853. Dans sa correspondance avec Engels, M a r x a v a i t p r é c i s é dans une grande mesure son concept d'une s o c i é t é « asiatique » ou « orientale » (voir M E G A , III, P t . 1 : 445 s q q . , 470 sqq. et surtout 475 s q q . , 480 sqq. et 486 sqq.).
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ce point. Mais il fit aussi état de l'absence d'un système communal de possession de la terre dans la Chine contemporaine. En Inde et en Chine « le mode fondamental de production est déterminé par l'unité de la petite agriculture et de l'industrie domestique ; à ces deux éléments s'ajoute en Inde un type de communauté rurale fondée sur la propriété communale et qui, soit dit en passant, constituait aussi le type originel en Chine ». Et observant la lente dissolution de l'économie rurale autonome en Inde contemporaine (où la Grande-Bretagne intervient directement), et la dissolution plus lente de cette économie en Chine (« à laquelle aucun pouvoir politique direct ne contribue»), il conclut que « à la différence du commerce anglais, le commerce russe laisse intactes les bases de la production asiatique » (16). Dès 1850, Marx avait conscience du fait que la « Couronne » chinoise permettait à la plupart des paysans de « tenir leurs terres, qui sont très limitées, en pleine propriété » (17). Et le passage du Capital que nous venons de citer montre clairement que, selon lui, la disparition de la « propriété foncière communale » en Chine n'avait en aucune manière miné « les fondations économiques de la production asiatique ». c. - La Russie {«.despotisme
oriental»...
perpétué).
Pour autant que je sache, la Russie fut d'abord qualifiée de pays « semi-asiatique » dans un article signé par Marx, mais écrit par Engels et qui parut dans le New York Daily Tribune le 18 avril 1853 (18). Le 5 août 1853, et cette fois dans un article vraiment de lui, Marx opposa certains développements « semi-orientaux » de la Russie tsariste à des faits « tout à fait orientaux » advenus en Chine. Dès le départ, le terme « semi-asiatique », appliqué par Marx et Engels à la Russie, ne se réfère pas à la situation géographique de ce pays, mais à ses « traditions et institutions, caractère et conditions» (19). Les articles de 1853 n'analysaient pas en détail les particularités institutionnelles de la Russie. Cependant, en 1881, Marx mentionne les villages isolés de la Russie et le caractère fortement centralisé d'un despotisme qui, sur cette base, s'était développé partout (20). Peu avant, Engels avait insisté sur ce point. L'interprétation marxienne de la Russie fut alors diffusée sous forme de deux formules dues à Engels, postérieures à 1870. Voici la première, qui date de 1875 : « Un isolement si total des communautés [rurales] individuelles les unes par rapport aux autres, crée dans l'ensemble du pays des intérêts identiques — ce qui n'a rien à voir avec des intérêts communs ; c'est là le
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fondement naturel du despotisme oriental, et de l'Inde à la Russie, cette forme sociale, partout où elle prévaut, a toujours engendré le despotisme et a toujours trouvé en lui son complément. Non seulement l'Etat russe en général, mais même, dans sa forme spécifique, le despotisme du tsar, loin d'être une forme idéale, est le produit nécessaire et logique des conditions sociales russes » (21). La seconde, qui se trouve dans sa critique de Dùhring, exprime plus brièvement la même idée : « Les communes anciennes, là où elles ont subsisté, forment depuis des milliers d'années, la base de la forme d'Etat la plus barbare, le despotisme oriental de l'Inde à la Russie» (22). Combien de temps dura ce despotisme oriental russe ? Marx insiste sur le fait que Pierre le Grand, loin de l'abolir, le «généralisa» (23). Et il attendait de l'émancipation des serfs le renforcement du régime absolutiste, parce qu'alors se trouveraient détruits à la fois le pouvoir des nobles sur les serfs et le gouvernement autonome des communautés rurales (24). Marx n'expliqua pas comment, en Russie moderne, le capitalisme pouvait se développer sous une domination orientale. Cette lacune est parmi les principaux reproches que l'on peut faire à son analyse des schémas marginaux et de transition de la société hydraulique. Mais étant donné la manière dont il envisage la situation du capitalisme en Orient (25), c'est avec logique qu'en 1881 il considère que le capitalisme moderne quasi occidental de la Russie agit à la manière d'une force intermédiaire et dévastatrice (26). 3.
- MARX M E T E N GARDE CONTRE U N E CONFUSION ENTRE L'ORDRE AGRAIRE CONTRÔLÉ PAR L ' E T A T E N ASIE, E T L'ESCLAVAGE OU L E SERVAGE
Revenant sur les problèmes généraux du mode asiatique de production, nous pouvons dire : peu importe ce que Marx pensait de la nature exacte de la propriété foncière en Orient, il était parfaitement conscient qu'il ne s'agissait pas là d'une féodalité. En 1853, quand Engels remarqua « que les Orientaux ne faisaient aucun progrès dans la voie de la propriété foncière (e), fût-elle de type féodal », Marx le mit en garde contre une conclusion trop hâtive quant à l'absence de propriété privée en •Orient (27). Mais alors que dans une certaine mesure il (e) Engels veut dire p r o p r i é t é f o n c i è r e p r i v é e , ainsi qu'il a p p a r a î t dans la lettre p r é c é d e n t e de M a r x q u i , adoptant la t h é o r i e de Bernier, parle express é m e n t de Privatgrundeigentum ( M E G A , III, P t . 1 : 477).
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tenait pour indéniable la possession privée de la terre en Inde (28), et que plus tard il l'admit aussi pour la Chine, il ne qualifia pas leur système de possession de la terre de « féodal ». Simplifiant à l'excès un type complexe de relations de propriété, Marx découvrit cependant un principe fondamental lorsqu'il nota que dans le « système asiatique » l'Etat était « l e véritable propriétaire de la terre» (29). Plus tard, il nuança cette conception première. Dans le troisième volume du Capital, il explique que dans le système asiatique il n'existait « aucune propriété privée de la terre, mais une possession et un usage du sol, tant privés que communaux » (30). Cette position conduisit Marx à stigmatiser la confusion entre la possession de la terre égypto-asiatique et les systèmes fondés sur le servage et l'esclavage, comme étant la pire erreur possible dans l'analyse des modes de fermage de la terre (31). Et cela lui évita de considérer les zumindur indiens comme une variante des propriétaires fonciers féodaux d'Europe. Il les classa parmi les « collecteurs d'impôts indigènes ». Et il tourna en dérision le fait qu'on ait tenté d'assimiler les propriétaires fonciers — zamindar, créés par les Anglais à l'aristocratie rurale anglaise : « le zamindar était une bien curieuse sorte de propriétaire foncier anglais, qui ne recevait qu'un dizième du revenu du fermage, tandis qu'il devait en remettre les neuf dixièmes au gouvernement » (f). 4. - « ESCLAVAGE GÉNÉRALISÉ »
Donc, en « Orient » l'Etat exerçait une puissance suprême tant sur le travail que sur les propriétés de ses sujets. Marx analysa la position du despote comme étant celle du véritable et visible coordinateur du travail de la population pour les ouvrages hydrauliques et autres entreprises communales (32) ; et il considérait le paysan possesseur individuel d'une terre comme « a u fond (*) la propriété, l'esclave » du chef de la communauté orientale (33). Avec logique, il parla de «l'esclavage généralisé de l'Orient» (34). A l'opposé de l'esclavage privé de l'antiquité classique, type dont il comprenait l'insignifiance en Orient (35), et à l'opposé des types décen(f) M a r x , N Y D T , 5 a o û t 1853. P o u r des raisons qui seront e x a m i n é e s plus loin, l ' é d i t i o n communiste indienne de K a r l M a r x .- Articles on India ( c i t é e ici : M a r x 1951), qui ajoutait des commentaires « f é o d a u x » aux t h é o r i e s asiatiques de M a r x , ne contient ni cet article, ni celui d u 1 juin 1858, sur le s y s t è m e rural indien. (•) E n f r a n ç a i s dans le texte ( N . d. T . ) .
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tralisés de contrôle féodal qu'il comprenait également (36), la relation telle que Marx l'envisageait entre le despotisme oriental et la classe la plus importante de la population était de l'ordre de l'esclavage (d'Etat) généralisé (g). 5.
- PENDANT
DE NOMBREUSES ANNÉES, LÉNINE ÉGALEMENT L E CONCEPT ASIATIQUE
ADMIT
Il est difficile de concilier ces conceptions avec l'interprétation « féodale » de l'Orient, professée aujourd'hui par des personnes qui se disent « marxistes ». Il est même difficile de soutenir une telle interprétation au nom du léninisme. D'abord marxiste orthodoxe, Lénine professa la notion d'un « système asiatique » spécifique pendant une vingtaine d'années, c'est-à-dire, pour être précis, de 1894 à 1914. a. - Le « despotisme asiatique », un ensemble de traits « aux caractéristiques économiques, politiques et sociologiques spécifiques ». Le jeune Lénine entra dans le mouvement socialdémocrate en 1893. Ayant minutieusement étudié les écrits de Marx et Engels, il adopta en 1894 le « mode asiatique de production » comme l'une des quatre formations économiques majeures et antagonistes de la société (37). Dans son premier livre important, Le développement du capitalisme en Russie, publié en 1899, il commença à désigner les conditions asiatiques de son pays par le terme de aziachtchina (38), le «système asiatique». Et il qualifia le contrôle tsariste de la terre et des paysans de «forme fiscale de propriété foncière» (39). En 1900, il qualifia le gouvernement de la Chine traditionnelle d'« asiatique » (40) ; il rejeta comme pharisaïque » l'assimilation des institutions européennes aux institutions asiatiques (41). En 1902, il nota le caractère écrasant de l'oppression asiatique (42). En 1905, il dénonça « l'héritage maudit du servage de Y aziachtchina et le traitement honteux auquel on soumet l'homme» (43), et il opposa
(g) D a n s une remarque elliptique faite en 1887: E n g e l s dit que « l'oppression de classe » tant dans l ' a n t i q u i t é asiatique que dans l ' a n t i q u i t é classique, prit la forme de « l'esclavage ». Puisque Engels, comme M a r x , reconnaissait l'insignifiance de l'esclavage p r i v é en Orient (voir plus loin), il faisait é v i d e m m e n t a i n s i allusion à « l'esclavage g é n é r a l i s é « d u d e s p o t i s m e o r i e n t a l . Sa t h é o r i e selon laquelle, dans les deux cas, l'esclavage signifiait « moins l'expropriation des masses que l ' a p p r o p r i a t i o n des personnes » (Engels, 1887, : III), s'appiique bien à l'Orient, mais non à l ' a n t i q u i t é classique.
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le développement retardataire du « capitalisme asiatique » au vaste et rapide développement du capitalisme européen (44). En 1906 et 1907, il engagea une discussion passionnée avec Plékhanov, au cours de laquelle apparaît la conscience qu'il a de la réalité du système asiatique et de ses conséquences pour une Russie « semi-asiatique » (45). En 1911, il souligna de nouveau la spécificité du « système oriental », du « système asiatique » et la stagnation de l'Orient (46). En 1912, au moment de la révolution chinoise, il reconnut la qualité « asiatique » de la Chine traditionnelle et parla de la «Chine asiatique» (47), et du président « asiatique » de la Chine (48). En 1914, dans une discussion avec Rosa Luxembourg, il définit le « despotisme asiatique » comme un « ensemble de traits » aux « caractéristiques économiques, politiques et sociologiques » spécifiques et il porta son extrême stabilité au compte de « traits précapitalistes absolument patriarcaux et d'un développement insignifiant de la production de consommation et de la différenciation des classes » (49). En automne de cette même année, il écrivit un article sur Marx pour YEncyclopedia Granat, et dans cet article énuméra une fois de plus les quatre formations socio-économiques majeures selon Marx, « les modes de production asiatique, antique, féodal, et bourgeois moderne» (50). De 1894 à 1914, Lénine fit donc siens les traits fondamentaux du concept marxien de la société asiatique, du mode asiatique de production, et du despotisme oriental. b. - Lénine approfondit l'interprétation Russie tsariste faite par Marx.
semi-asiatique de la
Lénine aborda le problème asiatique d'une façon plus large et le serra de plus près que ne l'avait fait Marx. Ce dernier définit les particularités des sociétés pré-capitalistes afin de parvenir à une compréhension plus profonde de la société capitaliste ; et son analyse du mode asiatique de production était tout d'abord destinée à servir ce but. Mais il n'utilisa le concept asiatique ni pour analyser ni pour influencer son milieu socio-politique. Lénine ne s'intéressait pas autant à l'histoire générale comparée. Vivant dans une société que Marx avait qualifiée de semi-asiatique, et luttant contre un Etat que Marx avait qualifié de despotique selon le mode oriental, Lénine avait un intérêt vital à appliquer le concept asiatique à son milieu immédiat. La plupart de ses références à des conditions « asiatiques » appartiennent à la Russie. Suivant Marx et Engels, Lénine qualifia la société
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russe de « semi-asiatique » (51) et le régime tsariste de « despotisme oriental ». Les socialistes occidentaux haïssaient Bismarck en raison de ses mesures anti-socialistes ; et certains socialistes russes, tels Riazanov, identifiaient l'absolutisme russe et l'absolutisme prussien (h). Mais Lénine considérait l'Etat répressif de Bismarck comme un « pygmée » en comparaison de l'absolutisme russe, qu'il qualifia, se rappelant sans doute l'expression employée par Marx à i'égard du despotisme tatare (52), de «monstre» (53). c. - Lénine tient le terme de « féodal » pour impropre lorsqu'il est appliqué à la Russie traditionnelle. Lénine souligne qu'il acceptait le concept asiatique de deux façons: positivement, lorsqu'il adopta des termes tels que aziachtchina et «asiatique» et négativement lorsqu'il se montre opposé à l'application du terme « féodal » à la Russie traditionnelle. Les paysans russes vivaient dans des conditions de krepostnichestvo, littéralement « attachement » (i) ; et Lénine désigna par ce terme le système de possession de la terre. Nous le traduisons par « servage ». Lénine affirma sa position en 1902, lorsqu'il reprocha à la première ébauche de programme du parti socialdémocrate russe d'embrouiller « presque intentionnellement » le problème en attribuant à la Russie médiévale une « période féodale ». Remarquant que la propriété du terme « féodalité » appliqué au moyen âge russe était contestée, il le déclara « moins applicable à la Russie qu'à tout autre pays» (54). En 1905, de nouveau, parlant de la Russie, il recommanda l'emploi du terme krepostnichestvo au lieu de celui de feodalism (55). En 1911, il s'excuse d'avoir employé le terme «féodal» dans un contexte russe, puisque ce n'est qu'une « expression générale européenne pas tout à fait exacte» (56). (h) L ' é r u d i t R i a z a n o v , qui p e u t - ê t r e plus que tout autre socialiste russe contribua à taire c o n n a î t r e aux marxistes occidentaux les t h é o r i e s asiatiques de M a r x concernant la Russie, s u g g è r e une i n t e r p r é t a t i o n occidentale de la Russie historique. R i a z a n o v e x p l i q u a la m o n t é e de l'autocratie moscovite comme une r é p o n s e s p o n t a n é e au « danger tatare », comparable à la r é p o n s e autrichienne au « danger turc ». L'analogie est manifestement e r r o n é e puisque les Autrichiens ne v é c u r e n t jamais sous un « joug » turc. Mais R i a z a n o v en fit le p o i n t de d é p a r t d'un p a r a l l è l e entre absolutisme russe et absolutisme autrichien et il identifia l'absolutisme prussien et la Russie tsariste (Riazanov, 1909 : 28). (i) Les lecteurs q u i ne sont pas f a m i l i a r i s é s avec la langue russe feront bien de ne pas se fier a u x traductions communistes officielles des ceuvres de L é n i n e et de Stalinp. Le terme de krepostnichestvo y est r e n d u par « f é o d a l ». N é g l i g e a n t une distinction que pendant des a n n é e s L é n i n e jugea essentielle, ils d é n a t u r e n t l a conception qu'il eut pendant ces a n n é e s - l à de l a s o c i é t é russe.
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C. — L E RECUL DEVANT LA VÉRITÉ Tout cela signifie-t-il que Marx, Engels, et Lénine adhérèrent pleinement et sans défaillance à la théorie classique de la société asiatique ? Nullement. Plusieurs fois, Lénine fut près de renoncer à sa position première concernant la théorie asiatique, et en 1916 il l'abandonna définitivement. Mais cette tendance rétrograde est antérieure à Lénine lui-même. Il est significatif que le premier marxiste qui accepta le concept d'une société asiatique fut aussi le premier qui le détériora : ce fut Marx luimême. Il est significatif aussi qu'il l'ait détérioré en renonçant à la notion d'une classe dirigeante bureaucratique. 1. - MARX a. - Marx
« mystifie » le caractère
de la classe
dirigeante.
Cherchant à définir la domination de classe, Marx, comme Adam Smith et ses successeurs, posa la question suivante : Qui détient les moyens de production essentiels et le « surplus » qu'ils fournissent ? Et il découvrit que ces avantages étaient à la disposition des « propriétaires d'esclaves » dans l'antiquité, des « seigneurs féodaux » dans la société féodale, des « capitalistes » dans la société industrielle moderne, et du « souverain » ou de « l'Etat » dans la société asiatique (1). Ainsi, pour les trois types de société fondée sur la propriété privée que comportait son schéma, Marx établit que la classe dirigeante était la bénéficiaire des privilèges économiques, tandis que dans la société orientale sous domination d'un gouvernement, il se contenta de nommer un seul bénéficiaire, le souverain ou une abstraction institutionnelle, « l'Etat ». C'était là une formulation étrange pour un homme qui d'ordinaire était soucieux de définir les classes sociales et qui dénonçait comme une « réification » mystifiante l'emploi de notions telles que « les avantages » et « l'Etat » aussi longtemps que les relations humaines (de classes) sous-jacentes restaient non explicitées (a). (a) Lorsque M a r x analysa le c a r a c t è r e « f é t i c h i s t e » de la notion « d ' a v a n tages », i l ne fit que s t é r é o t y p e r des notions f o r m u l é e s par ses p r é d é c e s s e u r s classiques. Il l'admit de mauvaise g r â c e dans le premier volume d u Capital (I : 47 n.). Il fut plus g é n é r e u x dans le t r o i s i è m e volume lorsqu'il d é c l a r a que la d é n o n c i a t i o n de la fausse « personnification des choses et de l a r é i f i c a t i o n des relations de p r o d u c t i o n » é t a i t « le plus grand m é r i t e de l ' é c o n o m i e classique » (Marx, D K , III, P t . 2 : 366).
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Peut-être peut-on objecter que Marx ne voyait personne qui, dans la société asiatique, partageât le surplus avec le souverain ? Une telle allégation ne tient pas. Marx avait étudié à fond les Principes d'Economie politique de John Stuart Mill (2), dans lesquels, outre les membres de la maison royale et les favorites, se trouvaient énumérés parmi les bénéficiaires du revenu de l'Etat asiatique « les différents fonctionnaires du gouvernement» (3). Et dans son étude historique des Théories sur la plus-value il avait inclus Verbatim l'assertion de Jones selon laquelle « la plusvalue provenant de la terre, les seuls revenus d'importance, excepté ceux des paysans, étaient (en Asie, et plus particulièrement en Inde) répartis par l'Etat et ses fonctionnaires y (4) ; il connaissait aussi cette remarque de Bernier indiquant qu'en Inde les revenus d'Etat servaient à l'entretien d'un grand nombre d'hommes en service (5). L'intérêt de Marx pour le problème des classes, les données dont il disposait, et son refus de mystifier les relations sociales indiquent une conclusion et une seule. Tout cela suggère que de son point de vue, Marx aurait dû désigner comme classe dirigeante dans le despotisme oriental la bureaucratie. Mais il ne le fit pas. Au lieu de clarifier le caractère de la classe dirigeante dans la société orientale, il l'obscurcit davantage. Si l'on en juge par les résultats obtenus par Bernier, Jones et Mill, la mystification (réification) qu'opère Marx sur le caractère de la classe dirigeante dans la société orientale fut un pas en arrière. b. - Nouveaux reculs. Marx accomplit ce pas en arrière au cours des années 1850, au moment même où il acceptait le concept classique de la société asiatique. Au cours des années 1860 et 1870, il recula plus encore. Une comparaison entre le premier volume du Capital et ses écrits de 1853 et 1857-58 le montre, dans les années antérieures, plus soucieux de préciser l'aspect hydraulique du despotisme oriental. Les nombreux passages du Capital et des Théories sur la plusvalue, où un parallèle est établi entre les conditions orientales et antiques, féodales et/ou capitalistes, révèlent à la fois la détermination de Marx, au cours d'une période tardive, de considérer la société asiatique comme une formation institutionnelle spécifique, et sa répugnance à analyser l'aspect directorial du despotisme oriental (6). Dans ses œuvres tardives, il insista sur l'aspect technique des grands ouvrages hydrauliques (7), alors qu'auparavant il en avait souligné le contexte politique. Il traita aussi tout ensemble du contrôle de l'eau « en Egypte, en Lombardie, en Hollande, etc..» (8), alors qu'il avait,
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auparavant, établi une distinction entre les gouvernements centralisés et despotiques d'Orient et les « associations volontaires » fondées sur l'entreprise privée, qui se créèrent en Flandre et en Italie (9). Il mentionnait maintenant la fonction agro-hydraulique d'un seul Etat, celui de l'Inde (10), tandis qu'auparavant il avait attribué cette « fonction économique » à « tous les gouvernements asiatiques » (11). Un passage fréquemment cité, dans le premier volume du Capital, semble aborder de front le problème de la classe dirigeante dans la société orientale. Mais en fait, le problème est éludé et ce passage introduit ce qui, du point de vue même de Marx, est une bien étrange déterminante de la domination économique. A la formule « la régulation de l'eau en Egypte » on trouve annexée la note suivante : « La nécessité de calculer les mouvements périodiques du Nil créa l'astronomie égyptienne, et avec elle la promotion de la caste des prêtres au rang de maîtres de l'agriculture ». En faisant de l'astronomie la base de la direction économique, Marx renonça à son critère habituel : le contrôle des moyens de production. Et il rendit la question encore plus confuse en mettant l'accent sur le statut héréditaire («caste») des dirigeants plutôt que sur la classe à laquelle ils appartenaient (b). De plus dans le troisième volume du Capital il affirma que « dans les Etats despotiques la tâche de surveillance suprême et d'intervention dans tous les domaines qui est celle du gouvernement » porte tout à la fois « sur l'exécution des tâches communes qui découlent de la nature même de toutes [sic] les communautés politiques et sur les fonctions spécifiques que provoquent les antagonismes entre le gouvernement et l'ensemble du peuple» (12). De la sorte, Marx dissimule les fonctions directoriales spécifiques de l'Etat despotique oriental, qui, au cours des années 1850, l'avaient tant passionné. 2. - ENGELS
a. - Société asiatique — Oui ! (Attitude fondamentale de Engels). On connaît peu les régressions que fit Marx dans l'analyse de la société asiatique. On a fait au contraire une large publicité à celles de Engels. Et, en fait, de fréquentes (b) M a r x , D K , I : 478, n. 5. L a phrase est suivie d'une citation d u Discours sur les révolutions du globe, de C u v i e r , q u i lie l a n é c e s s i t é d'une astronomie à la crue annuelle d u N i l , et a u x t r a v a u x agricoles [saisonniers] des E g y p t i e n s .
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citations de certains passages de son ouvrage L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, ont fait méconnaître le fait que de 1853 jusqu'à sa mort, en 1895, Engels admit, pour l'essentiel, la théorie de la société orientale. Nous avons déjà noté que Engels joua tôt un rôle important, que ce fut lui qui aida Marx à clarifier sa compréhension de l'aspect hydraulique de l'Orient et de la validité d'une interprétation « asiatique » de l'Inde et de la Russie (c). Dans sa critique des thèses d'Eugen Dùhring (YAnti-Diïhring) il alla plus loin que Marx, et suggéra que l'exécution d'importantes « fonctions socioadministratives » (13) pouvait amener la formation d'une « classe dirigeante ». Et il insista en notant que chacun des nombreux « gouvernements despotiques qui se créèrent et se défirent en Inde et en Perse... savait parfaitement qu'il était avant tout un entrepreneur unique et total [Ge.samtunternehmerin] de l'irrigation dans les vallées des fleuves, irrigation sans laquelle aucune agriculture n'est possible » (14). Dans sa critique de Duhring comme dans son ouvrage sur la famille, Engels compare « l'esclavage domestique » de l'Orient à « l'esclavage de la main-d'œuvre » de l'antiquité (15). Et dans un passage qu'il inséra dans le troisième volume du Capital, publié en 1894, onze ans après la mort de Marx, il montra les paysans de l'Inde et de la Russie écrasés par l'impitoyable « pressoir à impôts de leurs gouvernements despotiques » (16). b. - Société asiatique — oui et non !
{L'Anti-Dùhring).
Cette tendance dominante fut interrompue à deux reprises — une fois avec YAnti-Dùhring, l'autre avec L'Origine de la famille, de la propriété privée, et de l'Etat. (c) V o i r ci-dessus. Puisque ni M a r x ni Engels n'avaient e x p l i q u é comment, sous l'influence d u capitalisme é t r a n g e r , u n gouvernement despotique de style orienta! p o u v a i t encourager des formes capitalistes modernes d'entreprise p r i v é e , Engels introduisait un concept nouveau lorsqu'en 1894 il appela la nouvelle bourgeoisie russe une force dominante ( M a r x et Engels, 1952 : 240). Il n'approfondit pas cette question, et ne tenta pas de concilier cette notion avec sa propre position, datant de quatre ans plus t ô t , sur l ' i n c o m p a t i b i l i t é d u despotisme oriental et d u capitalisme : « L a d o m i n a t i o n turque, comme toute autre d o m i n a t i o n orientale, est incompatible avec l ' é c o n o m i e capitaliste : la plus-value e x t o r q u é e n'est nullement à l'abri des mains cupides des satrapes et des pachas. I l manque l a condition fondamentale, indispensable à l'acquisition bourgeoise : la s é c u r i t é de la personne et de la p r o p r i é t é d u m a r c h a n d » (Marx et Engels, 1952 : 40). L'assertion d'Engels en 1894 contredit é g a l e m e n t ce passage i n t e r c a l é dans Le Capital, III, o ù i l d é c r i t le gouvernement despotique de la Russie comme le grand exploiteur de la paysannerie (Marx, D K , III, P t . 2 : 259 sqq.). Mais les d i f f é r e n t e s a p p r é c i a t i o n s é m i s e s par Engels sur l a Russie d ' a p r è s l ' E m a n c i p a t i o n i m p l i q u e n t toutes, avec plus ou moins de force, que le despotisme tsariste é t a i t toujours u n complexe o p é r a t i o n n e l .
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Dans VAnti-Dùhring, Engels suggère une origine double pour l'Etat et pour la classe dirigeante sur laquelle il s'appuie. Dans le premier cas, ces deux forces se créèrent en raison d'un excès de pouvoir politique, dans le second en raison du développement de la propriété privée et de la production fondée sur la propriété privée. Le premier phénomène entraîna le développement d'importantes fonctions socio-administratives, et la faculté pour les membres du gouvernement de se mettre au-dessus de tout contrôle, au point que l'ancien « serviteur » de la société devint son « maître » (17). Dans ce contexte, Engels mentionna « un despote oriental, un satrape, le prince tribal grec, le chef d'un clan celtique, etc. ». Les deux exemples occidentaux qu'il choisit rappellent les théories de Marx sur une domination de la société fondée sur une fonction politico-militaire (18). Selon Marx, ce type de domination le céda bientôt à un autre type fondé sur la propriété privée et le travail lié à la propriété privée (main-d'œuvre esclave et serve) (19). Ce n'est que dans la forme orientale du despotisme que la domination sociale fondée sur la fonction publique se répandit largement et de façon durable. Bien qu'Engels ait noté à deux reprises, dans VAntiDùhring l'énorme pouvoir de survivance du despotisme oriental (« des milliers d'années ») (20), il n'approfondit pas la question à ces deux occasions. Mais il mit bien au premier rang le despote oriental ; et plus tard, à propos des régimes despotiques de la Perse et de l'Inde, il mentionna bien comme spécifique leur fonction « socio-administrative » : leur « premier devoir était l'entretien général de l'irrigation au long des vallées» (21). Engels nota même que la domination fondée sur la fonction socio-administrative rassemblait les « individus dirigeants en une seule classe dirigeante» (22). Jusque-là la thèse d'Engels, si elle manquait de nuances, était scientifiquement juste, et fidèle à la version marxienne du concept classique de société orientale. Egalement juste, et concordant avec les notions correspondantes chez Smith, Mill, et Marx, est sa théorie de la seconde origine des classes et de l'Etat (23) : l'accroissement du secteur de production employant des esclaves, et de la propriété privée en esclaves, entraîna le développement d'une classe dirigeante fondée sur la propriété privée ; et ce développement prépara la voie à une évolution qui, à travers la Grèce classique et l'empire romain, mena jusqu'à l'Europe moderne (24). Et il entraîna aussi la montée d'un type d'Etat qui, en raison d'irréconciliables contradictions dans la nouvelle économie fondée sur la propriété privée, fut utilisé par les classes possédantes pour la protection de leur situation privilégiée (25).
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Il n'est pas nécessaire de faire ici la critique des premières idées sur la relation entre propriété et gouvernement que Marx partageait avec John Locke, Adam Smith, et d'autres (26). Dans le présent contexte, ce qui nous intéresse, c'est qu'Engels, dans la première partie de VAnti-Dùhring, ait indiqué deux types de développement social (« à côté de cette origine de classe [socioadministrative] on en trouvait une autre») (27), et que dans la deuxième partie du même ouvrage, il ait brusquement abandonné cette notion d'un développement multi-linéaire. II n'y est plus question, en effet, que d'un Etat et d'une domination de classe résultant exclusivement d'antagonismes fondés sur des conditions de la propriété privée. Et il poussa à l'extrême cette analyse partiale en ne mentionnant que trois sociétés de classes, respectivement fondées sur l'esclavage, le servage, et le travail salarié (28). c. - Société asiatique — Non ! (L'Origine de la famille, de la propriété privée, et de l'Etat). Dans le livre fréquemment d'Engels sur la famille, ouvrage qui concilie les idées fondamentales contenues dans VAncient Society de Morgan et certaines notions marxiennes, la société asiatique a entièremnet disparu en tant qu'ordre social majeur. Ici, Engels analyse l'origine de l'Etat comme s'il n'avait jamais entendu parler de l'Etat « socio-administratif » on général, et du despotisme oriental en particulier. Cette omission ne peut être attribuée à un manque d'intérêt pour les sociétés de type « barbare », car Engels a au contraire étudié les conditions de « barbarie » (d)
(d) M a r x et Engels a d o p t è r e n t les termes de « barbarie » et de « civilisation » non dans le sens que leur donnait A d a m S m i t h , mais selon Fourier (voir S m i t h , 1937 : 666, 669, surtout 735). E n 1846, Engels e x p r i m a son approbation à l ' é g a r d de la typologie des quatre stades de d é v e l o p p e m e n t selon Fourier ; l ' é t a t sauvage, le patriarcat, la barbarie et la civilisation ( M E G A , I, 4 : 413 et 430). Il se montra encore enthousiaste à l ' é g a r d de cette typologie dans son Anti-Dûkring (Engels, 1935 : 269). M ê m e en 1884, lorsqu'il a d o p t a le s c h é m a d ' é v o l u t i o n de Morgan, Engels se r é f è r e encore à « la brillante critique de la civilisation que l'on trouve partout dans l ' œ u v r e de Charles F o u r i e r • ; et il c o m m e n t a le fait que Fourier, comme Morgan, c o n s i d é r a i t la p r o p r i é t é f o n c i è r e p r i v é e comme un t r a i t - c l é de la « civilisation • (Engels, 1921 : 187, n.). Sous l'influence de Morgan, Marx et Engels m o d i f i è r e n t ces c a t é g o r i e s , mais n'y r e n o n c è r e n t pas. C'est dans cet esprit que Engels en 1848, parla des pays « semi-barbares » comme l'Inde et la Chine ( M E G A , I, 6 : 506), que Marx, au cours des a n n é e s cinquante parla d u « barbarisme » de la Chine et de l'empereur de Chine • semi-barbare » (Marx, 1951a : 48, 50, 55) et de l a « constitution [chinoise] patriarcale » (ibid. : 56). Dans le m ê m e temps, M a r x parla de la
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en Grèce antique, à Rome, dans le moyen âge celtique et germanique (29). On ne peut l'attribuer non plus à une négligence systématique des questions ayant trait à l'Orient. Bien que moins rigoureux en cette matière que Morgan (30) (Engels, prétextant le manque de «place», s'abstint de traiter de l'histoire des peuples « asiatiques ») (31), il mentionna cependant l'Asie, les Asiatiques et les institutions orientales (32) ; et comme nous l'avons déjà remarqué, il opposa « l'esclavage domestique » de l'Orient à « l'esclavage de la main-d'œuvre » de l'antiquité (33). Mais ne s'intéressant pas à ce qu'il avait précédemment nommé la « nouvelle division du travail » — division qui, née de la division naturelle du travail dans une communauté (e), entraînait le développement de gouvernements « fonctionnels » et de classes dominantes s'appuyant sur le pouvoir — et ne se souciant pas davantage de ce que lui-même et Marx avaient écrit concernant la qualité exploitatricc du despotisme oriental, Engels affirma catégoriquement que « la première grande division du travail fut l'origine de la première grande division de la société en deux classes : maîtres et esclaves, exploiteurs et exploités » (34). La société fondée sur l'esclavage était gouvernée par un Etat de propriétaires d'esclaves, exactement comme les types féodaux et capitalistes de société étaient respectivement gouvernés par des Etats de nobles féodaux et de capitalistes (35). Dans toutes ces sociétés, la domination économique engendra la domination politique (36). Et la domination économique, comme le souligne Engels, impliquait la propriété privée des principaux moyens de production (37). La domination sociale et l'exploitation étaient étroitement liées à la propriété privée. Il ne fut plus fait mention des maîtres despotiques de l'Etat fonctionnel, dont auparavant Engels avait si êloquemment décrit les méthodes brutales d'exploitation. « Avec l'esclavage qui se développa pleinement en même temps que la civilisation, se produisit la première grande division de la société en une classe exploitante et une classe exploitée. Cette cassure dura pendant toute la période de civilisation. L'esclavage est la première forme d'exploitation, forme spécifique au monde antiPerse et de la T u r q u i e « barbares » (ibid. : 47), des « c o m m u n a u t é s semi-barbares, s e m i - c i v i l i s é e s » de l'Inde (Marx, N Y D T , 25 juin 1853), d u « barbarisme » de l'Orient (ibid., 12 avril 1853), et d u souverain « barbare » de Russie (Marx et Engels, 1920, I : 251). (e) Engels, 1935 : 165. Dans le m ê m e ouvrage, Engels m e n t i o n n a la « division primitive d u travail dans l'agriculture familiale » (ibid. : 183). M a r x ( D K , I : 44 et 316) c o n s i d é r a i t la division d u t r a v a i l selon le sexe et l ' â g e comme l a division primitive d u t r a v a i l .
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que ; le servage, au moyen âge, et le travail salarié moderne lui succédèrent. Voilà les trois grandes formes de servitude, caractéristiques des trois grandes époques de la civilisation » (38). Les références à la « civilisation » ne corrigent pas cette notion d'un type de développement uni-linéaire, imposée par les phrases citées ci-dessus. Mais elles montrent que Engels est conscient de ce qu'il fait — mieux encore : de ce qu'il cache. Selon la terminologie de Engels, la « civilisation » s'identifie avec la domination de la propriété privée. Par la phrase circonstantielle qui accompagne son assertion, il admet implicitement que dans son énoncé n'était pas inclus le monde « barbare » du despotisme oriental. d. - Tendances rétrogrades progressiste.
dans une position soi-disant
1. - Marx défend l'objectivité scientifique contre toute autre considération. Tout cela ne fait pas un tableau flatteur. Les promoteurs du socialisme scientifique qui prétendaient fonder leur politique pratique sur la théorie du développement social la plus avancée, firent plus de mal que de bien à la cause de la vérité, lorsqu'ils se trouvèrent confrontés avec la manifestation historiquement la plus importante du pouvoir total. Pourquoi ? Marx avait-il pour la vérité scientifique si peu de respect, qu'il la falsifiât si aisément ? Ce n'était certainement pas le cas. Le soin qu'il mit à étayer de documents ses propres théories économiques et la minutie avec laquelle il présenta les théories adverses, montrent qu'il remplissait parfaitement les obligations qu'impose l'étude scientifique. Et Marx lui-même s'explique sur ce point. Analysant l'attitude scientifique de Malthus et de Ricardo, il condamna tous ceux qui renoncèrent à la vérité scientifique et à l'intérêt de l'humanité en général en faveur d'intérêts particuliers quels qu'ils fussent. Un savant, selon lui, devait rechercher la vérité en considération des nécessités immanentes de la science, sans se préoccuper des répercussions sur une classe sociale en particulier : capitalistes, propriétaires fonciers ou ouvriers. Marx loua Ricardo d'avoir adopté cette attitude (39), dont il dit que c'était « non seulement la seule scientifiquement honnête, mais aussi la seule scientifiquement nécessaire» (40). Pour les mêmes raisons, il condamna comme « vil » qui subordonnait l'objectivité scientifique à des buts étrangers à la science : « un homme qui essaie de falsifier la science
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pour la concilier avec une position qui n'a pas pour seuls buts les intérêts propres à la science si regrettables soientils, mais d'autres intérêts, extérieurs, étrangers, [cet hommej je le dis "vil" (gemein) » (f).
Marx était absolument logique lorsqu'il déclara que refuser de fausser la science pour la concilier avec les intérêts d'une classe quelle qu'elle soit, était « stoïque, objectif, scientifique» (41). Il était aussi absolument logique lorsqu'il conclut sur une note qui, du point de vue du militant marxiste-léniniste, a un accent humanitaire hérétique : « Autant que faire se peut sans pécher contre la science, Ricardo reste toujours un philanthrope, comme il le fut toujours dans sa vie pratique » (42). Et il fut également logique lorsqu'il déclara que la conduite inverse était un « crime contre la science » (43). 2. - Le « crime contre la science » de Marx et Engels. Formant contraste avec ces principes énoncés en fortes paroles, les mouvements rétrogrades de Marx dans l'analyse qu'il fait de la société asiatique, prennent une signification particulière. Le concept de despotisme oriental contenait évidemment des éléments qui paralysaient sa recherche de la vérité. En qualité de membre d'un groupe dont le but était d'établir un Etat total, directorial et dictatorial, prêt à faire usage de « mesures despotiques » (44) pour accomplir son plan socialiste, Marx ne pouvait pas ne pas reconnaître l'existence de quelques similitudes troublantes entre le despotisme oriental et l'Etat selon son propre programme. L'économiste classique John Stuart Mill, qui, dans ses Principes d'Economie politique, analysa l'Etat oriental, mit en garde dans le même livre contre un Etat intervenant dans tous les domaines, contre les dangers d'un despotisme s'appuyant sur une élite intellectuelle (« le gouvernement des moutons par leur berger, mais abstraction faite du puissant intérêt qu'a le berger à la prospérité de son troupeau»), contre «l'esclavage politique» (45), et contre une «bureaucratie dominante» (46). Ces exhortations académiques incitèrent-elles Marx vers les années cinquante à dissimuler l'aspect bureaucratique du despotisme oriental ? Cela, nous ne le savons pas. Mais nous savons qu'au cours des années soixante et soixante-dix des écrivains anarchistes adressèrent aux principes marxiens (f) M a r x , T M W , II, P t . 1 : 312 sqq. Dans ce texte, le mot allemand gemein comme le mot anglais de m ê m e racine « mean », é v o q u e les nuances de « tortueux » et de « m i s é r a b l e », [« mean » a é t é traduit ici par « v i l » ( N . d. T . ) ] .
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du socialisme d'Etat des critiques beaucoup moins académiques. En 1864, Proudhon caractérisa le communisme centraliste comme suit : « une démocratie compacte qui en apparence se fonde sur la dictature des masses, mais au sein de laquelle les masses ont à peine le pouvoir qu'il faut pour concilier la servitude généralisée avec les règles et les principes suivants adaptés du vieil absolutisme : indivisibilité du pouvoir public, centralisation totale, destruction systématique de toute pensée individuelle, coopérative ou régionale (une telle pensée étant considérée comme dangereuse), police sur le modèle de l'Inquisition » (f bis). Quand Marx écrivit la version finale du premier volume du Capital, il était en conflit ouvert avec les Proudhoniens (47). Et à partir de la fin des années 60, tant luimême qu'Engels furent manifestement troublés par la déclaration des Bakounistcs selon laquelle le socialisme d'Etat entraînerait inévitablement la domination despotique d'une minorité privilégiée sur le reste de la population, travailleurs compris (48). En 1873, Bakounine poursuivit son attaque dans son livre Etatisme et Anarchisme, soulignant le fait que l'Etat socialiste tel que l'envisageait Marx, « engendre le despotisme d'une part et l'esclavage de l'autre» (49). La théorie marxiste «est un mensonge, derrière lequel se dissimule le despotisme d'une minorité gouvernante, un mensonge qui est d'autant plus dangereux qu'il apparaît comme l'expression ostensible de la volonté du peuple» (50). Les solutions politiques qu'offraient les anarchistes étaient sans aucun doute utopiques. Mais leur critique allait plus loin, et porta, si l'on en juge par l'interprétation marxienne de la Commune de Paris (interprétation qui, selon les anarchistes représentait un renversement comique de sa position primitive) (51), et par le mystère dont en 1875 Marx et Engels enveloppèrent leurs théories sur le socialisme d'Etat et la dictature du prolétariat (52). Sur son exemplaire de Etatisme et Anarchisme, Marx fit d'importantes notations mais il ne répondit jamais publiquement aux arguments mordants de Bakounine. C'est au cours des années qui suivirent la parution du livre de Bakounine qu'Engels apporta le plus de confusion à la question du despotisme oriental. C'est au cours des années quatre-vingt-dix qu'il fit cette addition au troisième volume du Capital, addition qui a trait aux régiIf bis) P r o u d h o n , 187.'!, v o l . V I . P o u r une analyse de la position de Troudhon, v o i r B u b e r , l'J58, 30 sqq.
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mes despotiques exploiteurs de la Russie et de l'Inde (53) —alors que, selon Engels lui-même, il n'était plus gêné par les anarchistes (g). 3. - De l'utopismc progressiste à l'utopisme réactionnaire. Les auteurs du Manifeste communiste accusèrent les socialistes « utopistes » de donner une « description fantaisiste de la société de l'avenir» (54). Mais Marx et Engels firent exactement de même lorsqu'ils dépeignirent leur Etat socialiste. Les pères du « socialisme scientifique » qui analysèrent de façon peut-être imparfaite mais cependant réaliste les problèmes de l'économie capitaliste, ne firent aucun effort comparable pour analyser le problème de l'Etat dictatorial et fonctionnel, dont ils tentaient d'instaurer une variante socialiste. Substituant des « superstitions fanatiques » (55) à une enquête scientifique, ils commirent l'erreur même dont ils avaient âprement accusé les premiers utopistes. Et ils subirent le même sort. Les théories utopistes qui, de l'avis de Marx et Engels, avaient à l'origine une valeur progressiste («révolutionnaire»), perdirent « toute valeur pratique et toute justification théorique » lorsqu'apparurent de nouvelles forces sociales progressistes. Elles allaient « à l'inverse du développement historique ». Plus tard, elles devinrent franchement « réactionnaires » (56). Dans des circonstances différentes et d'une façon plus destructrice encore, les socialistes d'Etat utopistes bouclèrent aussi la boucle. Leur approche économique et fonctionnelle de l'histoire stimula les sciences sociales dès les 19' et 20 siècles. Et leur critique sociale stimula la lutte contre les conditions monstrueuses qui caractérisèrent les premières phases du système industriel moderne (57). Mais l'orientation primitive perdit sa qualité progressiste à mesure que la réalisation devint plus proche. Sur le plan théorique, son potentiel réactionnaire se manifesta tôt dans l'attitude rétrograde qui fut celle de Marx et d'Engels à l'égard de la variante asiatique du despotisme directorial et bureaucratique. Sur le plan pratique, ce potentiel réactionnaire se manifesta à une échelle colossale lorsque neuf mois après la chute de l'Etat d'appareil semi-directorial du tsarisme, la révolution bolchevique preñara la montée de l'Etat d'appareil directorial total de l'U.R.S.S. e
(g) P o u r une estimation plus tardive de la critique de l'anarchisme par Engels, jugement p o r t é alors que cette critique é t a i t d é p a s s é e , v o i r sa p r é f a c e à La critique du programme de Gotha, p u b l i é e en 1891 : « ces c o n s i d é r a t i o n s n'existent plus » (Marx, 1935 : 41). 17
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a. - Lénine mutile davantage encore la version du concept asiatique déjà mutilée par Marx.
1. - Il laisse constamment de côté l'appareil directorial du despotisme oriental. Les facteurs qui déformèrent de plus en plus les théories de Marx et d'Engels sur le despotisme oriental produisirent dans le cas de Lénine des résultats rétrogrades. Durant les vingt premières années de sa carrière politique, Lénine avait d'une manière générale adopté la version marxienne du concept classique de société asiatique, mais dès le début son attitude fut étrangement sélective. Il ne mentionna jamais les fonctions directoriales du despotisme oriental, bien qu'il connût certainement les passages d'Engels se rapportant à cette question dans YAnti-Diihring (qu'il cita fréquemment) et bien que depuis 1913, il se fût familiarisé avec la correspondance de Marx et d'Engels où cette fonction est précisément analysée. Et sa répugnance à étudier l'aspect fonctionnel du despotisme asiatique ne se trouva pas amoindrie par le fait que Kautsky, dont il admirait le marxisme « orthodoxe », et Plékhanov, qu'il considérait comme une autorité en matière de philosophie marxiste, même après leur rupture politique, aient tous deux souligné cet aspect. Lénine ferma donc les yeux, non seulement sur des réalités capitales en Asie traditionnelle, mais encore sur des traits essentiels du régime tsariste dont il pouvait observer de près les activités directoriales. Dans son Développement du capitalisme en Russie (1899), il accomplit cet extraordinaire tour de force de décrire le développement d'une industrie fondée sur la propriété privée dans sa propre patrie, sans indiquer les proportions prises par des travaux sous direction de l'Etat qui, pendant près de deux cents ans avaient dominé la grande industrie russe et qui, avec des modifications significatives, avaient encore une extrême importance. En négligeant le rôle directorial du despotisme tsariste, Lénine falsifia gravement l'image de l'ordre économique de la Russie. En sous-estimant son rôle d'exploitation, il falsifia plus encore cette image. En 1894, Engels nota l'effet écrasant de la taxation sur les paysans russes. Et quelques années plus tard, Nicolai-on et Milioukov montrèrent que le gouvernement, par des taxes directes — et indirectes — privait les paysans russes d'environ 50 % de leur revenu (58). Bien qu'il ait longuement traité de l'ouvrage de Nicolai-on, Lénine, ne dit rien des taxes indirectes, qui étaient lourdes et nombreuses, et ce procédé
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le mena à cette conclusion problématique, que dans le groupe paysan, sur lequel il possédait des données détaillées, les taxes absorbaient environ 15 % seulement, soit « un septième en gros, des dépenses » (59). 2. - Une présentation peu claire de la classe dirigeante russe. La façon dont Lénine analyse la classe dirigeante sous le despotisme oriental, n'est pas plus satisfaisante. Les rétractations de Marx sur ce point, bien que d'une énorme importance pour l'interprétation du despotisme directorial en général, n'influèrent pas gravement sur son analyse de la société occidentale moderne, et c'était là après tout son sujet principal. D'autre part, l'analyse que fit Lénine de la classe dirigeante dans le despotisme oriental n'était à aucun degré académique. Elle avait trait à la société même qu'il tentait de renouveler. S'il est vrai, comme l'affirme Lénine, que le tsarisme était une variante du despotisme oriental et si, dans un despotisme oriental, la propriété foncière avait pour origine une forme non féodale de dépendance à l'égard de l'Etat, on pouvait attendre de Lénine une analyse de la société tsariste qui la montrât contrôlée non par des propriétaires fonciers féodaux ou post-féodaux, mais par des bureaucrates ; et si telle était son opinion, on pouvait s'attendre à ce qu'il la formulât. S'il ne pensait pas ainsi, on pouvait s'attendre à ce qu'il donnât des raisons de poids pour le rejet de cette théorie. Il ne fit ni l'un ni l'autre. Il décrivit la classe dirigeante russe, tantôt d'une façon, tantôt d'une autre. Tantôt il parla d'une « dictature de la bureaucratie » (60), et dépeignit les fonctionnaires dressés « au-dessus du peuple muet, comme une forêt sombre» (61). Tantôt il déclara que le gouvernement tsariste avait des tendances « bourgeoises » (62) et qu'il était asservi aux « grands capitalistes et aux nobles» (63). Plus souvent, il le montra dominé par les nobles propriétaires fonciers (64). b. - La vérité adaptée par un stratège du pouvoir. Devant de telles contradictions, nous pouvons nous demander comment un chef révolutionnaire, ayant des idées si confuses sur la classe dirigeante a jamais pu s'emparer du pouvoir. Mais il nous suffit de nous rappeler l'interprétation erronée des conditions allemandes par Hitler et ses victoires écrasantes sur ses adversaires internationaux pour comprendre que d'immenses triomphes politiques peuvent se remporter sur la base d'idées qui ne sont tout au plus qu'à demi rationnelles.
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L'insistance de Lénine sur la nécessité d'une vérité objective et absolue (65) ne l'empêcha pas d'exiger des écrivains et des artistes socialistes qu'ils suivent une ligne partisane, partinost (66). Tout au long de sa carrière, il agit ainsi, même s'il lui fallait renoncer aux règles les plus élémentaires de l'exactitude scientifique (67). Il est certain que les contradictions de Lénine dans l'analyse de la classe dirigeante russe n'avaient aucune justification scientifique. Et ses acrobaties verbales au cours du débat de Stockholm sur la restauration asiatique en Russie et après ce débat, préfigurent sa propension ultérieure à camoufler la vérité (h). c. - La menace de la Restauration asiatique (1906-7). Pendant les travaux préliminaires au Congrès de Stockholm du Parti social-démocrate russe en 1906, Plékhanov, parlant en faveur des mencheviks, mit en question le plan de Lénine pour la nationalisation de la terre. Tant au cours du débat au Congrès même que dans ses allocutions ultérieures, Lénine se montra sérieusement ébranlé par les arguments de Plékhanov, lequel rappelant l'héritage asiatique de la Russie, mettait en garde contre une éventuelle restauration du système asiatique. Il est facile d'énoncer les raisons des appréhensions de Plékhanov. Encouragé par les expériences de 1905, Lénine croyait que le Parti social-démocrate serait en mesure de s'emparer du pouvoir s'il pouvait rallier à la classes ouvrière, restreinte en Russie, la classe numériquement forte des paysans. Pour gagner l'appui de ces derniers, il suggéra la nationalisation de la terre dans le programme révolutionnaire. Plékhanov dénonça l'idée d'une prise du pouvoir par les socialistes comme prématurée, et le plan de nationalisation des terres comme réactionnaire. Une telle politique, au lieu de détacher de l'Etat la terre et ses cultivateurs, laisserait « intacte cette survivance du vieil ordre semi-asiatique » et en faciliterait par conséquent la restauration (68). Telle était la perspective historique redoutée que Lénine nomma alternativement « la restauration du mode asiatique de production» (69), «la restauration de notre vieil ordre "semi-asiatique"» (70), la restauration de la «nationalisation semi-asiatique» russe (71), « l a restauration de l'ordre semi-asiatique» (72), « l e retour à Yaziachtchina
» (73)
et la restauration "asiatique"» de
la Russie (74). (h) Plékhanov, en 1906, compara Lénine à un juriste brillant qui, pour étayer une cause spécieuse, jongle avec la logique [Proiokoly, 115).
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Plékhanov, développant sa théorie, adopta l'idée de Marx et d'Engels selon laquelle, sous la domination mongole, la Russie devint semi-asiatique et le resta en dépit d'importantes modifications, même après l'Emancipation (75). Il nota que plus tard [en 1762] les pomiechlchiki devinrent propriétaires de leurs anciennes terres administratives et ne furent plus tenus de servir le gouvernement, alors que les paysans se voyaient encore attribuer leurs terres [par l'Etat et les pomiechtchiki]. Ressentant durement l'injustice de cette situation, les paysans voulaient le rétablissement du vieux système de contrôle de l'Etat sur la terre. Plékhanov, qui reconnaissait l'aspect révolutionnaire de cette position, en craignait en même temps les conséquences, qu'il considérait comme réactionnaires. Au moyen d'une restauration du vieil ordre économique et gouvernemental de la Russie « la marche de l'histoire russe serait puissamment, très puissamment renversée» (76). Invoquant l'exemple de l'homme d'Etat chinois Wang An-shih qui cherchait, disait-on, à faire de l'Etat le propriétaire de la totalité de la terre et des fonctionnaires, les directeurs de l'ensemble de la production (i), Plékhanov déclarait : « Nous n'attendons que des catastrophes des projets des Wang An-shih russes et nous employons tous nos efforts à rendre de tels projets économiquement et politiquement impraticables» (77). «Nous ne voulons pas de kitaichtchina » — pas de système chinois (78). Gardant toutes ces expériences présentes à l'esprit, Plékhanov combattit le programme léninien d'instauration d'un gouvernement dictatorial s'appuyant sur une petite minorité prolétarienne qui ne pourrait guère s'opposer à une éventuelle restauration. Il conseilla la municipalisation de la terre, mesure qui accorderait aux « organismes de gouvernement autonomes... la possession de la terre » et ainsi «créerait un rempart contre la réaction» (79). Le « rempart » de la municipalisation aurait-il été assez fort pour faire échec au pouvoir infiniment supérieur du nouvel Etat que Lénine avait l'intention de créer ? Cela semble peu vraisemblable. Aurait-il été assez fort pour contrôler une variante de la vieille bureaucratie despotique en laquelle Plékhanov voyait, semble-t-il, la bénéficiaire d'une éventuelle restauration à venir ? Ce n'est pas tout à fait aussi invraisemblable que Lénine le fit croire. Mais, quel qu'eût pu être l'effet de la municipalisation, Plékhanov se sentait certainement en terrain sûr (i) P l é k h a n o v reprit l'argument tel qu'il é t a i t p r é s e n t é par Reclus (1882 : 577 sqq.). P o u r une estimation historiquement plus correcte des buts de W a n g A n - s h i h , v o i r W i l l i a m s o n , W A S , II : 163 sqq.
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lorsqu'il démontra l'existence d'un héritage asiatique de la Russie et lorsqu'il insista sur « la nécessité d'éliminer cette base économique qui a rendu notre peuple de plus en plus proche des asiatiques » (80). Cette formule implique ce que Plékhanov dit explicitement au cours du même débat, et en accord avec les théories de Marx et d'Engels, à savoir qu'en Russie, le despotisme oriental, bien que très affaibli, persista encore après l'Emancipation. Et il tirait simplement la conclusion logique de ces prémisses, lorsqu'il prévint que le déclin de cette révolution souhaitée amènerait une restauration asiatique. Le poids des arguments de Plékhanov explique le fait que Lénine s'y référa à plusieurs reprises, au Congrès do Stockholm, dans une Lettre aux ouvriers de Pétersbnurg, ultérieure, dans un long opuscule sur le programme agraire du Parti, publié en 1907, et dans un résumé de cet opuscule rédigé pour un journal socialiste polonais. Manifestement, ses propres perspectives révolutionnaires étaient mises; en question par cette interprétation asiatique de la société russe qui jusqu'à présent avait eu pour lui la valeur d'un dogme marxiste. Mais bien que Lénine fût gravement troublé par ce fait, il ne pouvait pas, dans le climat d'alors du marxisme russe, renoncer au concept asiatique. En dépit de son refus violent des arguments de Plékhanov, il reconnut la réalité de l'héritage asiatique de la Russie lorsqu'il exigea « la distinction entre la restauration de notre vieil ordre semi-asiatique, et la restauration qui eut lieu en France sur la base du capitalisme» (81). Il la reconnut aussi lorsqu'il nota que la « coque » du vieil ordre était « encore solide dans la réforme paysanne » et que même après les années 80, le développement bourgeois en Russie rurale n'avança que «très lentement» (82). Et il la reconnut encore quand il affirma que la nationalisation de la terre aurait pour effet « d'éliminer les fondations économiques de Vaziachtchina beaucoup plus radicalement » que la municipalisation (83). Ces assertions sont importantes. Elles deviennent encore plus importantes si nous nous rappelons la conviction de Lénine selon laquelle en raison du retard de la Russie, une révolution proto-socialiste y rencontrerait un échec certain si elle ne s'appuyait pas sur une révolution socialiste en un ou plusieurs des pays industriellement avancés de l'Occident. « La seule garantie contre la restauration est la révolution socialiste en Occident» (84). Dans le contexte des assertions que nous venons de citer, la restauration russe redoutée ne pouvait être qu'une restauration asiatique. Plékhanov, en accord avec les doctrines socialistes qui étaient celles de Lénine lui-même, condamna le plan
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de Lénine conçu pour s'emparer du pouvoir, le qualifiant d'« utopique », et cita la remarque de Napoléon : Un général qui compte sur la coïncidence de toutes les conditions favorables est un mauvais général (85). Mais Lénine était décidé à faire le Grand Pari. Et c'est pour cette raison que durant le congrès de Stockholm et immédiatement après, il minimisa et dissimula l'héritage asiatique de la Russie. Dans son discours de clôture de Stockholm, et dans le résumé qu'il tira de son opuscule, publié par le journal polonais, il analysa le problème de la restauration sans faire allusion à la possibilité d'une restauration asiatique. Dans sa Lettre aux ouvriers de Pétersbourg, il mentionna la question mais il en amoindrit la portée en décrivant ce mode de production en Russie comme un phénomène appartenant au passé. Si la restauration redoutée se produisait, ce ne serait pas une restauration du mode asiatique de production, ni même une restauration d'un type appartenant au 19 siècle. Car « en Russie, depuis la seconde moitié du 19" siècle, le mode capitaliste de production est devenu le plus fort, et au 20 siècle, absolument prédominant» (86). Si nous nous rappelons la remarque de Lénine datant de 1905 — à savoir que jusqu'à présent la Russie n'avait connu qu'un développement capitaliste « asiatique » restreint — cette assertion semble fantastique, et, dans son opuscule de 1907, il ne la répéta pas. En fait, comme nous l'avons déjà noté, il reconnut là que l'agriculture russe se développait selon le mode bourgeois, « très lentement ». Et cette assertion selon laquelle le « système médiéval de propriété foncière » opposait des obstacles au développement de la bourgeoisie rurale en Russie, explique ce qu'il avait dans l'esprit quand il dit qu'il fallait encore procéder à l'élimination des fondements de Yaziachtchina. Un dirigeant qui, en une même année, traite les données d'un problème capital de quatre façons différentes (par omission, ambiguïté, déni puis reconnaissance de leur importance), ne semble guère sûr de la voie à suivre. A partir de Stockholm, Lénine évita de plus en plus le terme « asiatique » et cela même lorsqu'il traitait d'institutions asiatiques (87). De plus en plus, il employa pour désigner l'héritage « asiatique » les termes « médiéval », « patriarcal », ou « pré-capitaliste ». Et bien qu'il parlât encore de «servage» russe (krepostnichestvo), il parla de plus en plus de la « féodalité » de la Russie (j). e
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(j) L é n i n e e m p l o y a le terme de « f é o d a l i t é d ' E t a t » pour le s y s t è m e de terre asiatique, dans son opuscule de 1907, citant P i é k h a n o v , et « plus t a r d
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d. - Autres hésitations
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(1907-14).
En dépit de ses hésitations, Lénine s'en tint fermement à un concept pour lequel apparemment il ne voyait pas de substitut. A l'automne de 1910, il se rapprocha encore de Plékhanov (88), et en janvier 1911, il témoigna de sa fidélité aux théories asiatiques en parlant de la Russie telle qu'elle apparaît dans les écrits de Tolstoï, comme d'un pays où « le système oriental, le système asiatique » prévalut jusqu'en 1905, cette année ayant marqué le début du déclin de la «stagnation asiatique» (k). En 1912, il analysa la Chine traditionnelle en termes « asiatiques » (89) ; et en 1914, il parla du despotisme asiatique de la Russie comme d'une réalité vivante (90). e. - Renversement complet (1916-19). 1. - L'impérialisme de Lénine (1916). La première guerre mondiale mit brusquement fin à la fidélité de Lénine au concept asiatique. En octobre 1914, il exprima l'espoir que la guerre permettrait aux socialistes radicaux d'entreprendre une complète révolution politique et sociale (91). Et en 1915, il était convaincu qu'un cataclysme gigantesque se préparait (92). Pour préparer ses partisans à leur rôle révolutionnaire hardi, il écrivit deux petits livres qui témoignent d'un changement capital dans ses opinions socio-historiques : L'Impérialisme : Stade suprême du Capitalisme, en 1916, et L'Etat et la Révolution, en 1917.
aussi » M a r t y n o v , p a r m i ceux qui e m p l o y è r e n t cette formule ( L é n i n e , S, X I I I : 301). M a r t y n o v dit en effet à S t o c k h o l m « notre f é o d a l i t é est une f é o d a l i t é d ' E t a t » (Protokoly, 90), mais je n'ai t r o u v é aucune phrase semblable dans les discours de P l é k h a n o v . E n outre, m ê m e si P l é k h a n o v a e m p l o y é à l'occasion cette formule, durant toute l ' a n n é e 1906, il r é p é t a que l ' h é r i t a g e institutionnel de l a Russie n ' é t a i t pas f é o d a l mais semi-asiatique (voir surtout Protokoly, 116). (k) L é n i n e , S. X V I I : 31. Ce classement par p é r i o d e apparut de nouveau dans un article de Z i n o v i e v de 1916, alors q u il é t a i t un proche collaborateur de L é n i n e ; i l é c r i v i t que l'analyse faite par Engels dans sa vieillesse é t a i t g é n é r a l e m e n t a p p r o u v é e par les socialistes russes (Zinoviev, 1919 : 46). L a r é v o l u t i o n de 1905, ajouta-t-il, fut le d é b u t d'une situation nouvelle. L a m o n t é e d'un p r o l é t a r i a t politiquement conscient et l ' é v o l u t i o n pro-tsariste de la bourgeoisie (ibid. : 46 sqq., 49, 60, 70 sqq.) « t r a n s f o r m è r e n t la structure tout e n t i è r e de la Russie, l a force relative des d i f f é r e n t e s classes » (ibid. : 69). L'autocratie tsariste d u t affronter u n n o u v e l e n n e m i ; mais Z i n o v i e v ne nie pas q u ' i l en é t a i t d é j à ainsi en 1916.
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Dans L'Impérialisme, Lénine décrivit le capitalisme comme un système « monopoliste » et impérialiste qui, sa condition stérile et stationnaire le révélait, était parvenu au terme de sa route historique. Et, en accord avec Hilferding, il considéra le « capital financier » comme le maître du système de crédit d'un pays moderne, et par conséquent, le maître aussi de son économie. Le pas qui, semble-t-il, aurait dû suivre logiquement, était la démonstration de la validité de ces théories non seulement pour l'Europe occidentale et l'Amérique mais aussi pour la Russie, objet principal de ses réflexions théoriques et politiques. Dans le cas de la Russie, une telle démonstration aurait été aussi simple qu'instructive, car on savait généralement que le gouvernement tsariste conservait le contrôle suprême du système russe de crédit. L'interprétation « asiatique » de la société russe indiquait que cette condition conférait à la bureaucratie tsariste le contrôle suprême de l'économie du pays. Lénine reconnut la prémice mais esquiva la conclusion. Il fit allusion à la position clé du gouvernement tsariste en matière financière (93) ; mais il le fit sans insister et sans en exposer les implications économiques, comme il l'avait fait pour l'Occident dominé par la propriété privée. N'ayant pas mis en lumière les fonctions directoriales de l'État russe pour le passé, il ne le fit pas davantage pour le présent. Il dissimula ainsi un trait institutionnel qui pouvait faire ressortir le lien entre le présent et le passé « semi-asiatique ». 2. - L'Etat et la Révolution (1917). L'Etat et la Révolution aggrava encore la supercherie. Dans ce traité, Lénine expliqua la nécessité de remplacer l'Etat existant, qui était dominé par la classe dirigeante, par un Etat d'un type nouveau qui, comme la Commune de Paris, serait contrôlé à la base. Il appuya cette décision significative, non sur un examen des faits de l'histoire, mais sur la position de Marx sur cette question. Pour renforcer ce rôle de restaurateur de l'orthodoxie marxiste dont il se targuait, Lénine promit de rétablir dans leur « totalité » les théories de Marx et d'Engels sur l'Etat. Dans ce but, « il faut publier tous les passages, ou tout au moins les plus décisifs, des œuvres de Marx et d'Engels qui traitent de l'Etat, aussi complètement que possible» (94). Un lecteur qui s'intéresse à certaines idées d'un certain auteur voudra connaître d'abord l'œuvre majeure de cet auteur si ses idées s'y trouvent exprimées, et ensuite ses autres écrits, se rapportant à la même question.
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Comment Lénine procéda-t-il dans L'Etat et la Révolution ? Comme il le disait lui-même en 1907, il restait, à la révolution russe à venir, à éliminer les fondations économiques du despotisme oriental. Et comme il le disait en 1912, l'année 1905 ne fut que « le début de la fin » des conditions « orientales » stagnantes de la Russie. Et encore en 1914, il considérait « l e système d'Etat de la Russie» contemporain comme caractérisé par un « ensemble de traits dont la totalité constitue le concept de " despotisme asiatique " ». Ainsi, en 1916-17, quand Lénine promit de publier toutes les observations importantes de Marx et d'Engels sur l'Etat, nous pouvions nous attendre à ce qu'il donnât, avec les théories de Marx sur la propriété, base de l'Etat, ses propres idées sur ces bases fonctionnelles et sur le système d'Etat russe qui s'y appuie. Il semblait évident qu'il citerait Le Capital, oeuvre majeure de Marx, qui contient de nombreuses et importantes références à l'Etat asiatique ainsi que ceux de ses autres écrits qui traitaient du même sujet. Et naturellement, nous pouvions supposer aussi qu'il citerait les écrits d'Engels et, en particulier, ses conclusions de 1875 concernant le despotisme oriental en Russie. Mais Lénine n'en fit rien. Dans le livre qui prétendait présenter tout ce qui chez Marx a trait à l'Etat, Le Capital n'est même pas mentionné. Et toutes les autres analyses de Marx et d'Engels sur l'Etat fonctionnel en général et sur le despotisme oriental de la Russie en particulier sont également escamotées. En fait, la théorie d'un Etat despotique fonctionnel selon Marx et Engels disparaît complètement. La seule sorte d'Etat que Lénine mentionne est la variante fondée sur la propriété privée, selon Marx et Engels : l'Etat non oriental. Logique dans son choix, Lénine cite quelques idées ayant trait aux trois ordres sociaux, fondés sur la propriété privée, du schéma marxiste : l'antiquité, la féodalité et le capitalisme. Et ses idées, il les trouva exprimées non chez Marx, mais dans les versions tardives de VAntiDùhring d'Engels et dans la partie la plus faible des écrits socio-historiques d'Engels : L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat (95). 3. - Conférence de Lénine sur l'Etat (1919). En 1916, alors que Lénine classait ses notes pour L'Etat et la Révolution, l'absolutisme russe, bien qu'affaibli, persistait encore. Lorsqu'il termina le livre en 1917, le gouvernement tsariste était tombé ; les bolcheviks essayaient de mettre en pratique le programme de Lénine
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de 1905-6, y compris cette nationalisation de la terre qui, selon Plékhanov, ouvrait les portes à une restauration asiatique. Donc Lénine égara ses lecteurs sur les questions-clefs de la révolution dont il était lui-même le promoteur. Et il continua immédiatement après la révolution d'Octobre et plus tard, alors que les bolcheviks consolidaient leur pouvoir directorial et exclusif. Ce renversement idéologique trouve son apogée dans la conférence « sur l'Etat » faite le 11 juillet 1919. Dans L'Etat et la Révolution Lénine ne citait pas Le Capital ; mais il citait au moins certains des écrits secondaires de Marx. Dans sa conférence « sur l'Etat », il ne prononce ni le nom de Marx, ni le mot « marxisme ». Par contre, il cite Engels comme unique autorité en matière de « socialisme contemporain ». Et il recommande Engels, moins pour ses nombreux aperçus sur l'Etat asiatique ou sur le despotisme oriental en Russie, ou pour son Anti Dùhring, que pour avoir en 1884 fait connaître Morgan. Lénine dit : « Je suis sûr que, en ce qui concerne la question de l'Etat, vous vous familiarisez avec l'œuvre d'Engels, L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat. C'est l'un des ouvrages fondamentaux du socialisme contemporain (m) ; on peut en adopter chaque phrase en toute confiance» (96). Mais bien que Lénine ait recommandé chaque phrase de ce livre dont il fait une autorité incontestable, il en a déformé quelques idées maîtresses. Deux exemples intéressent particulièrement notre étude ; tous deux concernent la portée de l'esclavage, et tous deux tendent à renforcer la théorie d'un développement social selon un processus uni-linéaire. Comme nous l'avons dit plus haut, Engels indiqua dans son livre sur la famille que l'esclavage n'était pas un élément essentiel de la production, que ce soit en « Orient » ou en Europe médiévale (l'Orient ne connaissait que « l'esclavage domestique » et les tribus germaniques évitant le « marécage » de l'esclavage passèrent directement de la société primitive de la « g e n s » au servage féodal). Lénine cependant écarta ces importantes distinctions et définit la « société possédant des esclaves » comme une phase de développement virtuellement universelle. « Par cette [phase] passèrent toutes les nations actuellement civilisées d'Europe — l'esclavage régna il y a deux mille ans. La grande majorité des peuples des autres parties du monde passèrent également par cette phase» (97). Et (m) Notons que L é n i n e n'a pas e m p l o y é la formule : socialisme • scientifique », q u i qualifie habituellement le socialisme marxiste.
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un ordre fondé sur la propriété privée, et soi-disant général, menait nécessairement à l'ordre suivant : la société esclavagiste conduit à la société pratiquant le servage ; celle-là mène au capitalisme ; et le capitalisme au socialisme (98). Ce schéma uni-linéaire de développement ne laissait aucune place à une société asiatique et à une restauration asiatique. Il démontrait plutôt « scientifiquement » que la révolution bolchevique, en écrasant les forces mauvaises de la propriété privée, ouvrait l'accès au stade suivant et inévitable du progrès humain : le socialisme. f. - Dernière période de Lénine : le spectre de l'aziachlchina reparaît. Si Lénine avait complètement renoncé à ses convictions premières, notre relation du grand mythe s'arrêterait là. Mais Lénine était un « socialiste subjectif ». Et bien que le régime dont il fut le chef dès le début, eût peu de ressemblance avec le gouvernement proto-socialiste que Marx et lui-même avaient esquissé avant la révolution d'Octobre, il continua à réaffirmer ses anciennes convictions. Donc, s'il trahit pour le pouvoir ses principes socialistes, on ne peut douter que ce ne fût avec mauvaise conscience. Et on ne peut douter non plus de son malaise à devoir brouiller les pistes sur la question asiatique. Dans L'Etat et la Révolution Lénine reconnut implicitement l'existence du despotisme oriental, le système « barbare » décisif d'oppression et d'exploitation, par l'emploi de la phrase « en période civilisée » (99) pour situer dans le temps ses appréciations sur l'Etat fondé sur la propriété privée. Cette clause de style était insuffisante pour combattre la confusion créée par la théorie essentielle, mais elle montre Lénine conscient de son « crime contre la science ». Dans sa conférence « sur l'Etat » Lénine employa le terme de « servage » (krepostnichestvo) là où Engels avait employé celui de « féodalité ». Et il conclut comme suit son analyse de l'Etat s'appuyant sur le servage : « C'était l'Etat de servage, qui, en Russie par exemple, ou dans les pays asiatiques tout à fait retardataires (sovershenno) (n), où le servage prévaut encore aujourd'hui — il prit des formes différentes — fut tantôt républicain, tantôt monarchique» (100). Lénine n'avait pas encore oublié que les « pays asiatiques » avaient une (n) troubles troubles 5 août
L a formule de L é n i n e rappelle la distinction faite par M a r x entre les « tout à fait » orientaux en Chine dans les a n n é e s cinquante, ot les « semi-orientaux » f o m e n t é s par l a Russie tsariste (Marx, N Y D T , 1853).
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forme particulière de servage. Et il faisait encore la distinction entre les pays asiatiques « tout à fait » retardataires et les autres pays (semi-retardataires, semi-asiatiques ?), parmi lesquels il classait la Russie. Là encore, il admit plusieurs points d'importance mais aussi il camoufla ces concessions si habilement qu'on les découvre à peine. Si l'on en juge du point de vue des prémisses léniniennes, la prise du pouvoir par les bolcheviks en automne de 1' année 1917 avait peu de chances de marquer le début d'un développement proto-socialiste, puis socialiste. Car, selon l'avis de Lénine lui-même, seules les garanties internes « relatives » que donnait un Etat du type de la Commune (pas de bureaucratie, pas de police, pas d'armée permanente) pouvaient faire obstacle à la restauration redoutée, si le nouveau régime obtenait l'appui d'une révolution dans l'un des pays occidentaux industriellement développés. Lénine fut donc enthousiasmé à la nouvelle de la révolution qui éclata en Allemagne en novembre 1918. Mais l'assassinat des deux chefs communistes allemands Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg, le 15 janvier 1919, fut une sinistre démonstration de la faiblesse des forces révolutionnaires occidentales, dont il avait escompté l'aide. Lénine fut profondément ébranlé. Cinq jours plus tard, dans un étrange discours devant le second Congrès syndical pan-russe, il exalta l'œuvre de la révolution bolchevique. La révolution française, sous sa forme pure, fit-il remarquer, n'a duré qu'une année — mais elle accomplit de grandes choses. La révolution bolchevique, pendant le même laps de temps, fit bien plus encore (101). Son discours décousu cachait pourtant à peine sa crainte que la révolution bolchevique, comme la révolution française avant elle, n'aboutît à une restauration. Nous ne savons pas exactement à quel genre de restauration Lénine pensait alors, mais nous savons que le 21 avril 1921 — immédiatement après la révolte de Cronstadt — il attira l'attention sur le péril anti-socialiste et anti-prolétarien que représentait la nouvelle bureaucratie soviétique. Cette bureaucratie n'était pas une force bourgeoise, mais quelque chose de pire. L'échelle comparative des ordres sociaux selon Lénine nous fait comprendre ce qu'il avait alors dans l'esprit : « Le capitalisme est un mal par rapport au socialisme. Le capitalisme est un bien par rapport au moyen âge, par rapport à la bureaucratie qu'engendre l'éparpillement de petits producteurs » (102). Ce jugement de Lénine peut surprendre ceux qui ne sont pas familiarisés avec la définition marxiste du despotisme oriental. Mais l'initié se souviendra de la théorie de Marx et d'Engels, selon laquelle dos communautés rurales
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autonomes, dispersées et isolées, constituent le fondement naturel et solide du despotisme oriental (103). Et il se souviendra du jugement de Lénine en 1914, selon lequel le « développement insignifiant de la production de consommation » était la cause économique de la grande stabilité du despotisme asiatique (104). Quelques paragraphes plus loin, comme pour ne laisser aucun doute sur ce qu'il voulait démontrer, Lénine poussa plus loin encore la description de la nouvelle bureaucratie soviétique. A sa propre question, « quelles sont les racines économiques de la bureaucratie ? », il répondit : « Il y a deux racines principales : d'une part, la bourgeoisie développée a besoin d'un appareil bureaucratique, en premier lieu d'un appareil militaire, en second lieu d'un appareil judiciaire... Cela, nous ne l'avons pas. Notre bureaucratie a une autre source économique : c'est le caractère fragmentaire et dispersé de la petite production, la pauvreté, le manque de culture, l'absence de routes, l'analphabétisme, l'absence d'échanges entre l'agriculture et l'industrie qui n'ont entre elles ni liens ni interaction» (105). Il est vrai que Lénine enveloppa le phénomène qu'il décrivait. Mais les détails qu'il mentionnait insistaient tous sur la dispersion et l'isolement des villages que gouvernait le nouveau régime. En langue d'Esope (o), il exprimait évidemment sa crainte d'une restauration asiatique en cours et d'un nouveau type de despotisme oriental en formation. Il n'est pas étonnant qu'à la fin de sa carrière politique Lénine ait à plusieurs reprises qualifié l'héritage institutionnel de la Russie de « bureaucratique » et « asiatique ». Il nota que la société russe « n'était pas encore sortie » de son incurie « semi-asiatique » en matière de culture (106). Il fit remarquer que les paysans russes faisaient du commerce à la manière « asiatique » qu'il opposa à la manière «européenne» (107). Et il reprocha au régime soviétique d'être incapable de « se passer des types particulièrement grossiers de culture pré-bourgeoise, c'est-à-dire, de la culture bureaucratique ou culture de servage » (108). La culture de servage — et non pas la culture féodale. Et peu avant la maladie qui l'écarta tout à fait de l'arène politique, il alla jusqu'à dire que l'appareil
(o) A u d é b u t , L é n i n e usait de l a langue d ' i Esope » (d'esclave) pour parler à ceux q u i é t a i e n t o p p r i m é s par le gouvernement, de telle f a ç o n que les m a î t r e s ne comprennent pas ce qu'il disait (voir L é n i n e , S, X X I I : 175). Maintenant, en q u a l i t é de chef de l a nouvelle classe dirigeante, i l se servait du m ê m e p r o c é d é , p o u r cacher a u x sujets le sens de ses paroles.
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soviétique était « dans une large mesure, la survivance de l'ancien appareil... On l'a seulement un peu repeint en surface » (p). 4.
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Comme le premier empereur romain Auguste, le père fondateur de l'Union Soviétique, Lénine, défendit en paroles ce qu'il détruisait en réalité. Mais les mots aussi ont leur histoire, et sous un régime qui coule ses idées dans un cadre rigide, les paroles des doctrinaires officiels ne sont pas facilement rejetées. Et ce n'est pas par hasard qu'en U.R.S.S. on continua à défendre ouvertement le concept d'une société asiatique aussi longtemps que des « socialistes subjectifs» (membres de la «vieille garde») combattirent ouvertement la montée de la nouvelle bureaucratie totalitaire. Et ce n'est pas par hasard que Staline, qui hérita de l'appareil d'Etat de Lénine et le développa, recueillit et développa également l'aptitude de Lénine à détruire des vérités gênantes, même quand ces vérités émanaient de Marx et d'Engels — ou de Lénine lui-même. a. - La vieille garde proteste. En 1925, Riazanov, qui était alors directeur de l'Institut Marx-Engels, publia un article, « Théories de Marx sur l'Inde et la Chine », qui rassemblait les idées de Marx sur la société asiatique et sur le mode asiatique de production (109). Au cours de la même année, le grand économiste Varga déclara que les travaux hydrauliques de production et de protection, dirigés par le gouvernement, constituaient la base de la société chinoise et que les administrateurs lettrés, les literati, et non pas les représentants de la propriété privée, les propriétaires fonciers par exemple, constituaient la classe dirigeante en Chine (110). En 1928, Le Programme de l Internationale communiste, ébauché sous la direction de Boukharine, découvrit que dans l'économie des pays coloniaux et semicoloniaux « des relations médiévales de type féodal, ou des relations du type " mode asiatique de production " prévalaient » ; et Varga, dans un article de Bolchevik, organe théorique du parti communiste de l'U.R.S.S., définit de nouveau la Chine traditionnelle comme une société asiatique et montra que dans cette société les paysans, (p) L é n i n e , S, X X X I I I : 4 4 0 ; voir L é n i n e , S W , I X : 3 8 2 . V o i r aussi L é n i n e , S , X X X I I I : 404 (« Nous avons encore l'ancien appareil ») et 434 (« Notre appareil... est dans son ensemble l ' h é r i t a g e de l ' é p o q u e p r é c é d e n t e »).
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tant propriétaires que fermiers, occupaient une position très différente de celle des serfs dans les sociétés féodales (111). En 1930, il reprocha publiquement au fonctionnaire du Komintern, Yolk, et aux rédacteurs des Problemy Kitaia (Problèmes chinois), qui partageaient son opinion, de qualifier le mode asiatique de production de variante asiatique du mode féodal de production ; si Marx avait été de cet avis, «il l'aurait dit» (112). La modification que suggérait Yolk n'impliquait pas moins qu'une « révision du marxisme ». Varga demanda donc que le problème en litige fût l'objet d'une discussion organisée. Cette discussion eut lieu en effet à Leningrad, en février 1931 — c'est-à-dire peu après la collectivisation forcée qui renforça énormément la position des nouveaux apparatchiki dirigés par Staline, mais avant les purges qui décimèrent brutalement la vieille garde. La date explique pourquoi Riazanov, Varga, Boukharine et Madyar (le plus important des jeunes partisans du concept asiatique), ne furent pas invités à la discussion. Et elle explique aussi pourquoi ceux qui qualifièrent de « féodales » les grandes civilisations d'Asie agirent avec une certaine retenue lorsqu'ils attaquèrent les partisans de la « théorie du mode asiatique de production ». b. - Une critique mitigée de la théorie de la société orientale. 1. - La discussion de Leningrad (1931). Politiquement parlant, les partisans de l'interprétation « féodale » de la société orientale occupaient une position de force car, depuis 1926, Staline avait à de nombreuses reprises qualifié l'ordre agraire chinois de «féodal» (113). Mais les assertions de Staline concernant les conditions féodales de la Chine avaient été plus apodictiques que convaincantes. Il n'avait pas démontré ses théories en chant des faits connus concernant l'économie et la société chinoises. Il n'avait pas non plus montré comment interpréter les argumentations de Marx, Engels et Lénine sur le système asiatique et le mode asiatique de production. Cette absence de ligne directrice se reflète dans les théories officielles du Komintern sur la Chine, l'Inde et les autres pays asiatiques. Et elle explique la prudence avec laquelle ceux qui appuyèrent la théorie « féodale » de Staline intervinrent dans la discussion de Leningrad. Il n'était pas facile de soutenir une ligne qui était celle du Parti mais hérissée de sérieuses difficultés doctrinales. Mais au cours de la conférence de Leningrad, quelques points au moins apparurent clairement.
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1°) Les adversaires du concept asiatique rejetaient comme non marxiste l'idée qu'une bureaucratie fonctionnelle pouvait devenir la classe dominante (114). 2°) Ils rejetèrent l'interprétation asiatico bureaucratique de la « noblesse rurale » chinoise (q). 3° ) Ils alléguèrent que la théorie du mode asiatique de production mettait en péril l'œuvre de l'Internationale communiste dans les pays coloniaux et semi-coloniaux d'Asie (r). Les tenants de l'interprétation féodale de l'Orient étayèrent leur position en invoquant les passages d'Engels et de Lénine qui passaient sous silence la société asiatique. Les défenseurs de la théorie du mode asiatique de production pour leur part citèrent les passages de Marx, Engels et Lénine favorables à leur thèse. Mais ils ne mentionnèrent pas l'interprétation orientale de la Russie selon Marx et Engels ; et ils préférèrent ne pas parler du concept léninien de Yaziachtchina et des commentaires de Lénine sur la possibilité d'une restauration asiatique. Dans cette bataille de citations, les tenants de la théorie « asiatique » ne se tirèrent pas trop mal d'affaire. Les porte-parole du Parti qui, avant la conférence s'étaient certainement concertés avec le Politburo, n'avaient visiblement pas d'instructions sur la façon d'interpréter le concept marxien d'un mode asiatique de production tel que Marx le présente dans la Préface à la Critique de l'économie politique. Ainsi Godes et Yolk, qui osèrent se dissocier de la clause « asiatique » du programme du Komintern (115), citèrent fidèlement la célèbre thèse de Marx (s).
(q) D A S P : 68, voir 181. C'est à ce propos que je fus p a r t i c u l i è r e m e n t en butte à la critique pour avoir s o u l i g n é la q u a l i t é « asiatique » de la noblesse rurale chinoise. E t telle é t a i t effectivement mon opinion, q u a n d je d é c r i v i s le groupe en question comme l'aile non active de la classe dirigeante b u r e a u cratique (Wittfogel, 1031 : 730). P o u r un commentaire plus approfondi de ma p r e m i è r e t h é o r i e sur cette question, voir ci-dessus chap. 8, C , 2, a. (r) Godes a l l é g u a que l ' i d é e de « t ' e x c e p t i o n n a i i t é » (le c a r a c t è r e non occidental) de l'Orient contenue dans la t h é o r i e de la s o c i é t é asiatique, tendait à encourager certains nationalistes d'Asie à rejeter l ' a u t o r i t é doctrinale des communistes et que l ' i d é e d'une Asie stagnante offrait au capitalisme e u r o p é e n la p o s s i b i l i t é d'un rôle > messianique » ( D A S P : 34). Cet argument du « messianisme » fut s u g g é r é par l'analyse que lit M a r x d u r ô l e de l'Angleterre en Inde. L'attitude de M a r x embarrassa c o n s i d é r a b l e m e n t le K o m i n t e r n , comme le montre le d é b a t p a s s i o n n é sur les p r o b l è m e s de « l'industrialisation » et de la « d é c o l o n i s a t i o n » des pays coloniaux et semi-coloniaux (voir Jnprecor, 1928 : 1225 s q q . , 1247 s q q . , 1276, 1312, 1320 sqq., 1350, 1352 s q q . , 1365, 1395 s q q . . 1402, 1 4 0 Î s q q . , 1409 s q q . , 1412 s q q . , 1421 s q q . , 1424, 1425, 1471 sqq.). sur
(s) Y o l k en m i n i m i s a l'importance ( D A S P : 71), mais Godes le c r i t i q u a ce point (ibid. : 164 sqq.).
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Leur incertitude doctrinale s'exprima aussi à travers leur comportement politique. Dès le début, Yolk avait affirmé : « Je veux vous mettre en garde contre cette théorie. Ce qui est important c'est de le démasquer politiquement et non pas d'établir la " pure vérité " sur l'existence ou la non-existence du " mode asiatique de production " ». Mais son mépris pour cette simple apparence d'objectivité scientifique était aussi prématuré qu'imprudent. Godes reprit plus habilement cette déclaration de Yolk (116), et les comptes rendus officiels ne donnèrent qu'une version mutilée de sa formulation originale (t). De plus, tandis que Godes et Yolk adressaient une réprimande à certains membres du camp « anti-féodal » les accusant de tendances « trotskystes » (117), Godes mit en garde contre une accusation de trotskysme adressée indistinctement à tous les membres du groupe (118). Cette réserve n'était certainement pas due au fait que Trotsky n'avait jamais invoqué le concept asiatique dans sa lutte contre Staline (u). Une telle contingence n'aurait jamais arrêté un propagandiste bolchevique. Mais si les « féodalistes » avaient dénoncé comme trotskystes le camp « asiatique » tout entier, ils auraient ainsi donné à la discussion une finalité dont à ce moment-là les maîtres stratèges de l'idéologie ne voulaient sans doute pas. Même le rude Yolk ne put se dispenser de dire que les tenants du concept asiatique ne répétaient pas des théories bourgeoises. Il déclara seulement qu'objectivement « leurs positions erronées reflètent des influences étrangères» (119). Donc, l'orthodoxie politique des partisans de la théorie du mode asiatique de production n'était pas mise en question. Leur hérésie était mineure et ne les privait pas de leur réputation de bons communistes. (t) D A S P : 59. D a n s le compte rendu i m p r i m é de la c o n f é r e n c e de Leningrad, Y o l k souligne seulement l'importance politique de la t h é o r i e asiatique. Heureusement cependant les r é d a c t e u r s ne lirent q u ' i n c o m p l è t e m e n t leur t r a v a i l . Ils reproduisirent non seulement la version revue par Godes de la d é c l a r a t i o n de Y o l k , q u i montre que Y o l k avait s o u l e v é la question de la v é r i t é , mais encore dans le discours d'un autre participant au C o n g r è s , ils r a p p o r t e n t une citation des paroles exactes de Y o l k (ibid. : 89). (u) D a n s les chapitres d'introduction à ses livres sur les r é v o l u t i o n s russes de 1905 et 1917, T r o t s k y exposa b r i è v e m e n t la q u a l i t é directoriale et d'exploitation d u r é g i m e tsariste, lequel à son avis, é t a i t voisin d u « despotisme asiatique » ( T r o t s k y , 1923 : 18 sqq. ; ibid., 1931 : 18 sqq.). Mais dans les a n n é e s v i n g t et trente, i l n'analysa pas la s o c i é t é chinoise en termes « asiatiques », et fl n'usa pas d u c r i t è r e de despotisme oriental lorsqu'il fit la critique du despotisme bureaucratique de Staline. E n 1938, T r o t s k y r é d i g e a un e x p o s é des i d é e s de M a r x telles qu'il les entendait. Dans son analyse des types de relations sociales, i l n'en mentionna que trois — l'esclavage, la f é o d a l i t é et le capitalisme ( T r o t s k y , 1939 : 8) — exactement comme Staline le faisait la même a n n é e et comme l'avait fait L é n i n e en 1919.
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2. - Importance de la discussion de 1931. Du point de vue des résultats immédiats, la conférence de Leningrad ne fut pas décisive. Du point de vue des spécialistes de la sociologie de la connaissance, elle fut du plus haut intérêt. Car cette conférence fut la seule, autant que je sache, où des idéologues soviétiques aient analysé les implications politiques de la théorie de la société asiatique, du moins avec quelque franchise. Deux faits soulignent son caractère unique : à la différence des autres discussions sur des problèmes sujets à controverses — qu'ils soient économiques, littéraires ou biologiques — la conférence de Leningrad ne bénéficia pas de la publicité de la presse communiste internationale, et les problèmes posés ne furent pas ensuite repris par des discussions dans les partis communistes hors d'U.R.S.S. Résumons brièvement ces questions : la théorie de la société asiatique mettait en danger la domination communiste en Asie puisqu'elle montrait l'Occident « capitaliste » capable d'une action non seulement d'oppression, mais aussi constructive. Elle compromettait aussi la domination communiste parce qu'elle permettait aux chefs nationalistes d'Asie de rejeter la tutelle de la doctrine moscovite. Et enfin elle contrecarrait la tentative communiste de mettre arbitrairement l'accent sur des problèmes de propriété, sérieux mais secondaires, et ainsi, de dissimuler le problème primordial de la domination par la classe bureaucratique et de l'esclavage d'Etat généralisé. La nature délicate de ces questions rendait nécessaires des procédures prudentes. Mais la direction suprême du communisme mondial savait que, quels que soient les délais le concept d'Etat bureaucratico-directorial de type « asiatique » devrait finalement s'effacer. c. - Le crépuscule
idéologique.
L'érosion idéologique de la théorie du mode asiatique de production se fit de façon inégale. Les communistes chinois rejetèrent le concept d'un mode asiatique de production, s'appliquant à la Chine traditionnelle, avant la conférence de Leningrad. Ils prirent cette décision en 1928, à leur sixième Congrès national (tenu à Moscou) et l'exprimèrent dans une résolution sur les relations agraires et la lutte pour la terre en Chine, résolution dont la formulation les montrait plus pressés d'adopter les théories « féodales » de Staline que de rendre justice aux études « asiatiques » de Marx sur la Chine (v). Il est (v) D a n s son é t u d e sur M a o T s é - t o u n g , B . Schwartz fit mention de deux d é c i s i o n s t h é o r i q u e s d u S i x i è m e C o n g r è s d u parti communiste chinois, l'une
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vrai que la première version de cette résolution avait utilisé le concept d'un mode asiatique de production (120). Mais cette tentative pathétique — probablement menée par Ch'u Ch'iu-pai (121) et qui n'aboutit pas — ne servit qu'à souligner l'absence d'une sérieuse tradition marxiste dans le mouvement communiste chinois. Dans d'autres parties du monde marxiste-léniniste, l'idée d'une société asiatique survécut dans un crépuscule idéologique qui persista jusqu'à la parution du Matérialisme dialectique et historique de Staline, en 1938 et dans certains pays anglo-saxons plus tard encore. Il serait intéressant de montrer comment au cours des années trente les écrivains soviétiques essayèrent de trouver une explication « féodale » à des phénomènes dont ils savaient que Marx les considérait comme des expressions du mode asiatique de production. Notons les efforts de Prigozhin (1934) (w), Grinevitch (1936 (x) et Struve (1938) (y). Il serait intéressant de montrer comment, au sein même du Komintern, on pouvait encore utiliser le concept asiatique. Remarquons l'article « Inondations catastrophiques en Chine » de Madyar, dans l'organe du Komintern, Courrier International, publié le 3 septembre 1931 (z) et l'éloge par Fox en 1935 de « la brillante maîtrise du ... problème indien » qu'avait Marx, dans le même journal (a). Il serait intéressant de montrer com-
se p r o n o n ç a n t contre la t h é o r i e trotskyste q u i souligne l'importance des relations capitalistes dans les villages chinois, 1 autre rejetant l ' i n t e r p r é t a t i o n de la s o c i é t é chinoise comme une s o c i é t é asiatique (Schwartz, 1951 : 122 sqq.). Il est regrettable que A Documentary History of Chinese Communism (1952) p u b l i é par S c h w a r t z en collaboration avec J o h n K . F a i r b a n k et C . Brandt, n'ait fourni à ses lecteurs aucun renseignement sur ce dernier point. Selon cette History « la seule i n n o v a t i o n dans le domaine " t h é o r i q u e " » fut « une estim a t i o n nouvelle de la situation r é v o l u t i o n n a i r e » (Brandt, Schwartz et Fairb a n k , 1952 : 125). Cette omission est d'autant plus regrettable que quelques a n n é e s seulement a u p a r a v a n t le D r F a i r b a n k , dans son livre The United States and China, avait c o n s a c r é un chapitre entier à l'analyse de • la Chine, s o c i é t é orientale > ( F a i r b a n k , 1948 : 53-8). (w) P r i g o z h i n i n t e r p r é t a le mode asiatique de p r o d u c t i o n comme un type particulier de f é o d a l i t é et il parla d u « soi-disant mode asiatique de p r o d u c t i o n » (Prigozhin, 1934 : 80, 86). (x) V o i r La Grande Encyclopédie Soviétique, 1936, X X X I I : < Chine » (surtout p p . 538, 530), o ù G r i n e v i t c h parle de la t f é o d a l i t é bureaucratique » et d u • despotisme bureaucratique » de la Chine i m p é r i a l e . (y) V o i r les d i x points d u raisonnement de Struve sur le mode asiatique de p r o d u c t i o n : Struve, 1940 ( l ° é d . 1938 ): 22. (z) Se dissimulant d e r r i è r e un mince voile Je verbiage « f é o d a l • (« le d é m e m b r e m e n t f é o d a l » de la Chine), M a d y a r souligna « l ' é n o r m e importance » des t r a v a u x hydrauliques et la fonction d'organisation acquise g r â c e à eux par « le despotisme oriental des classes dirigeantes chinoises » [Inprecor, 1931 : 865). (a) Inprecor, 1935 : 1336. F o x , q u i en 1930 avait p u b l i é u n i m p o r t a n t ensemble de textes de M a r x sur le mode asiatique de p r o d u c t i o n (Letopis r
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ment le marxisme anglais, tel qu'il est exposé dans A Handbook of Marxism de Burns répandit l'interprétation hydraulique de l'Orient. Notons l'accent qui est mis sur les particularités directoriales et despotiques des « sociétés orientales » dans Man Makes Himself de Gordon Childe (b). Il serait intéressant de montrer comment aux Etats-Unis certains écrivains qui s'appuyèrent sur le concept asiatico-hydraulique de Marx influencèrent des spécialistes non marxistes de l'Orient. Notons l'influence exercée par l'ouvrage de Chi Ch'ao-ting, Key Economie Areas in Chinese History, as Revealed in the Development of Public Works for Water-Control, et celle que j'ai exercée moi-même sur Owen Lattimore (c). Mais ce livre n'a pas la prétention d'étudier en détail ce développement sous tous ses nombreux aspects. Il nous suffit d'établir qu'au cours des années 1930, et particulièrement dans le monde anglo-saxon, le marxisme, sous la forme qui a fait le plus d'adeptes, a maintenu et répandu une conception asiatico-hydraulique des civilisations orientales. d. - Staline « édite » Marx. Si une telle conception fut un stimulant pour nombre de sociologues, du point de vue de la nouvelle bureaucratie totalitaire de la Russie elle représentait une charge de dynamite. Staline en avait probablement senti le danger
Marksizma, 1930, X I I I : 3-29), a t t i r a l'attention sur les t h é o r i e s de M a r x concernant l'Inde, dans la critique qu'il fit de A Handbook of Marxism. C'est par un curieux hasard — si c'est un hasard — que ce Handbook, qui rassemblait cinquante-deux é c r i t s de M a r x , Engels et Staline et q u i fut d i f f u s é a u x U . S . A . aussi bien qu'en G r a n d e - B r e t a g n e , reprenait deux articles essentiels de M a r x sur l'Inde, mais pas la c o n f é r e n c e de L é n i n e « sur l ' E t a t ». (b) Childe reconnut dans ce livre l'importance du « concept r é a l i s t e de l'histoire » de M a r x . E t bien que sa notion d'une « r é v o l u t i o n urbaine » soit une d é t é r i o r a t i o n des i d é e s de M a r x et Engels (originellement d ' A d a m Smith) sur la s é p a r a t i o n de la ville et d u village et bien que sa notion de la « croissance interrompue » des s o c i é t é s orientales (Childe, 1952 : 181, 186) manque d u caract è r e incisif des conclusions de Jones, M i l l et M a r x sur le m ê m e p h é n o m è n e , l'accent qu'il porte sur l'importance capitale des o p é r a t i o n s hydrauliques dans le d é v e l o p p e m e n t des s o c i é t é s orientales en E g y p t e , en M é s o p o t a m i e et en Inde primitive est nettement conforme au concept asiatique classique. (c) D a n s son ouvrage Inner Asían Fronliers o) China ( t e r m i n é en 1939), L a t t i m o r e r a p p o r t a que le premier livre de C h i Ch'ao-ting lui avait fait comprendre « l'importance de l'irrigation et d u transport pyr canaux dans l'histoire chinoise » ( L a t t i m o r e , 1940 : X X I ) . Dans le m ê m e ouvrage, il dit que l'ancienne f é o d a l i t é de la Chine a é t é il y a plus de deux m i l l é n a i r e s r e m p l a c é e par « un empire a d m i n i s t r é bureaucratiquement » (ibid. : 369 sqq., 375 sqq. ; voir 368 sqq., 373) ; et il ajoute que • les facteurs premiers » de cette transformation ont é t é t c l a s s é s de f a ç o n magistrale par Wittfogel » (ibid. : 370).
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dès la fin de la décade 1920-30, mais il sentait probablement aussi combien il était difficile d'abandonner l'une des idées clefs de Marx, idée à laquelle tenaient encore de vieux-bolcheviks respectés. Le fait suivant est révélateur : c'est seulement après les grandes purges (1935-38) qui liquidèrent la masse de ces traditionalistes, que Staline osa toucher au jugement décisif de Marx sur le mode asiatique de production. Mais Staline lui-même n'était-il pas un vieux-bolchevik ? C'est un fait que Staline avait été formé à l'école du marxisme orthodoxe. En 1913, il décrivit la Russie de 1830 comme un pays dominé par « un régime politique et social grossièrement asiatique » et il parla de la Russie contemporaine comme d'un «pays semi-asiatique» (122). Mais Staline écrivit ces lignes sous l'influence de Lénine (123). Et si parfois il employait le terme « asiatique » pour désigner certains traits de l'oppression dont souffrait sa patrie caucasienne, la Géorgie (124), il y a lieu de douter qu'il ait jamais accordé grande attention à la théorie marxienne de la société asiatique. Durant le congrès du Parti à Stockholm, en 1906, Staline surpassa Lénine dans son plaidoyer en faveur d'un transfert «noir» (*) de la terre privée aux paysans (125) ; mais l'éventualité d'une restauration asiatique qui préoccupait à un tel point Lénine et Plékhanov ne suscita chez lui aucun commentaire. Dans sa première présentation populaire du marxisme, en 1906-7, il mentionna parmi les types de société au-dessus du niveau du communisme primitif, le patriarcat et le patriarcat-esclavage, « le servage » et le capitalisme (126). Après 1925, Staline commença à insister sur le caractère « féodal » de l'ordre agraire chinois. En 1926, il parla des « survivances féodales médiévales» de la Chine (127), et en 1927, il développa la formule standard « survivance féodale » (128) par des références aux « formes d'exploitation et d'oppression médiévales-féodales » (129) et à « l'appareil bureaucratico-féodal » (130) de la Chine. Il n'y a guère de raison de penser qu'une première adhésion pleine et entière au concept asiatique aurait empêché Staline de le rejeter par la suite. Mais l'absence d'une forte conviction « asiatique » permit certainement à
(') L e Tcherny Peredel (partage noir ou partage g é n é r a l ) é t a i t un des deux groupes issus de la scission de l'organisation r é v o l u t i o n n a i r e • Zemlja y volja » (terre et l i b e r t é ) ; il s'oppose au groupe terroriste de la « v o l o n t é du peuple » et r é c l a m e le p a r t a g é des terres. Le parti s o c i a l - d é m o c r a t e russe est pour une part issu du • partage noir » ( N . d. T . ) .
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Staline d'imposer plus aisément sa théorie « féodale », de même que son absence de subtilité en général lui permit de poursuivre ses buts sans se soucier de constance. Comme nous l'avons vu plus haut, Engels, dans ses énoncés non asiatiques les plus sujets à caution, n'avait pas pas contesté l'importance socio-évolutive du facteur écologique que Marx et lui-même avaient mis en valeur dans leurs précédentes analyses de la société asiatique. Et ni Engels ni Lénine ne s'étaient écartés de la liste marxienne des quatre modes de production antagonistes, telle que Marx la dresse dans sa célèbre Préface. Staline fit l'un et l'autre. Il rejeta le « milieu géographique » comme « cause déterminante du développement social, car ce qui reste pratiquement inaltéré au cours de dizaines de milliers d'années ne peut pas être la cause essentielle d'une évolution » (d). Et au lieu de passer sous silence la déclaration-programme de Marx, comme d'autres l'avaient fait, il l'invoqua sans vergogne et la mutila. Ayant présenté pontificalement son schéma de développement uni-linéaire qui ne comprenait que trois types de société divisée en classes (l'un fondé sur l'esclavage, l'autre féodal et le troisième capitaliste), il loua de long en large la « brillante formulation de l'essence du matérialisme historique faite par Marx en 1859 dans la Préface historique à son ouvrage célèbre, Critique de l'économie politique ». Et il cita le passage « historique » mot pour mot — mais s'arrêta juste avant la phrase contenant l'énoncé par Marx du mode asiatique de production (131). Staline démontra ainsi à tous ceux que cela intéressait que Marx, lui aussi, pouvait être « édité » s'il était nécessaire, modo tatarico — à la hache. e. - Réaction
à retardement
dans
le monde
anglo-saxon.
Le juge suprême de la doctrine marxiste-léniniste s'était prononcé — le concept asiatique ne devait plus
(d) Staline, 1939 : il8 sqq. En rejetant le milieu et l'accroissement de l a population comme facteurs d é t e r m i n a n t s , Staline suivait é t r o i t e m e n t l'argumentation de B o u k h a r i n e (Boukharine, 1934 . 121, 124), lequel peu avant son e x é c u t i o n en 1938 a v a i t é t é p u b l i q u e m e n t r i d i c u l i s é par V y c h i n s k i , qui le n o m m a i t « t h é o r i c i e n en citations » (voir ci-dessus, chap. 5, E , 4). Dans le chap. 1 de la p r é s e n t e é t u d e , j ' a i n o t é que l a t h é o r i e marxienne de l a relation entre l'homme et la nature sous-estimait le facteur culturel, mais qu'en d é p i t de cette l i m i t a t i o n le concept m a r x i e n d u c a r a c t è r e historiquement m o u v a n t de la nature est t r è s é l o i g n é de la conception statique de B o u k h a r i n e , conception a d o p t é e par Staline. Il est é v i d e n t que L é n i n e et P l é k h a n o v é t a i e n t plus proches de la position de M a r x que de celle de Boukharine (voir W i t t f o g e l , 1929 : 504-21 et 698-724).
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gêner les fidèles. Le Short Course fut édité en de nombreuses langues étrangères au printemps de 1939 (e), à un moment où le monde vivait dans la peur d'une catastrophe imminente. A partir de septembre 1939, la guerre qui s'étendait empêcha les stratèges politiques de l'Union soviétique de mettre l'accent sur des questions doctrinales. En fait, au cours de ces années-là, ils firent d'importantes concessions idéologiques aux peuples de l'U.R.S.S., comme aux démocraties occidentales. Ces circonstances expliquent pourquoi en 1940 le théoricien marxiste-léniniste le plus important de Grande-Bretagne, R.P. Dutt, dans son ouvrage India To-day et dans l'introduction qu'il fit aux Articles on India, de Karl Marx, exposa avec enthousiasme les théories de Marx sur la société asiatique en général et sur la société indienne en particulier (f). Elles expliquent aussi dans une large mesure pourquoi en 1942 Childe, dans une autre étude générale socio-historique, What Happened in History (*). poussa son analyse des particularités des « sociétés orientales » plus loin encore qu'il ne l'avait fait en 1936 (132). Dans sa seconde étude, il nota que les âges de bronze et de fer donnèrent naissance à quatre ordres institutionnels distincts : les sociétés agraires fondées sur l'irrigation, dont le surplus « était concentré entre les mains d'un cercle relativement étroit de prêtres et de fonctionnaires » ; les civilisations classiques gréco-romaines dans lesquelles les premiers artisans et producteurs furent par la suite réduits à la pauvreté ou à l'esclavage ; la féodalité européenne ; et le monde moderne «capitalisme bourgeois» (133). Du point de vue de la sémantique, ces quatre ordres sont identiques aux quatre grandes formations sociales antagonistes selon Marx. f. - Déroute de la célèbre théorie du mode asiatique de production. Une fois la guerre finie, ce clair-obscur idéologique prit fin lui aussi. Dutt qui, quelques années auparavant, (e) E n U . R . S . S . , l ' œ u v r e c o m m e n ç a à p a r a î t r e sous forme de feuilleton, à l'automne de 1938 (voir Inprecor, 1938 : 1067, 1108, 1132, 1157, 1197). (f) D u t t d i t que les articles de M a r x de 1853 a y a n t trait à cette question sont « p a r m i les plus f é c o n d s de ses é c r i t s et constituent le point de d é p a r t de l a p e n s é e moderne sur cette question » (Dutt, 1940 : 93). Les t h é o r i e s de M a r x sur l'Asie q u i pendant un d e m i - s i é c l e furent presque i g n o r é e s , commencent • à exercer une influence croissante sur la discussion des questions indiennes. A u j o u r d ' h u i l a recherche historique moderne confirme toujours plus largement les grandes lignes de l'approche » marxienne [ibid. : 92. V o i r D u t t , 1951 ( é c r i t en 1940) : passim]. U n é l o g i e u x c o n d e n s é de Indian To-day par T . A . Bisson, c o m p r e n a n t l a t h è s e « asiatique » de M a r x , p a r u t dans Amerasia, I V , n ° 9, 1940. (*) T r a d u i t en f r a n ç a i s sous le titre Le'Mouvement de l'histoire, A r t h a u d ( N . d. T . ) .
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avait chaleureusement recommandé l'application de la théorie du mode asiatique de production à l'analyse scientifique de l'Inde et de la Chine, ne parla plus de cette théorie qu'il avait autrefois trouvée si efficace (g). Chi Ch'ao-ting perdit lui aussi l'intérêt qu'il avait auparavant éprouvé pour la thèse hydraulico-bureaucratique, base de son étude sur les Zones économiques clés de la Chine. Il ne développa sa précédente thèse « asiatique » ni en qualité d'employé du gouvernement nationaliste chinois, ni en qualité de haut fonctionnaire du régime communiste chinois. Et Lattimore qui, durant les années trente, avait été si profondément influencé par les théories hydraulico-bureaucratiques de Chi Ch'ao-ting et par les miennes et qui, en 1944, pensait encore que les termes « semi-féodal » et « survivances féodales » employés sans précision introduisent dans le domaine scientifique une confusion, employa vers la fin de la décade 1940-1950 le terme « féodal » pour caractériser les sociétés traditionnelles de l'Asie (h).
(g) E n 1942, D u t t soutenait encore sa p r e m i è r e t h è s e , mais d'une f a ç o n moins absolue [ D u t t , 1943 ( é d . angl. 1942) : 38 s q q . , 43, 71, 73 s q q . , 76 s q q . , 87). Il cessa de la soutenir a p r è s la fin de la guerre. Si D u t t faisait encore à l'occasion allusion aux é c r i t s de M a r x sur l'Inde (Labour Monthly, XXXII, 1950 : 43 ; X X X V , 1953 : 105), le lecteur ne peut tirer aucune conclusion « asiatique » de ses observations vagues. C o n s i d é r é s i s o l é m e n t , les jugements é p a r s de D u t t sur les conditions » f é o d a l e s » de l'Inde (ibid. : X X V I I I , 1946 321 ; X X I X , 1947 : 211) ne c r é e n t p e u t - ê t r e pas une image non « asiatique » nouvelle. Cependant D u t t glorifia dans Staline le grand marxiste, le t h é o r i c i e n et l'auteur de la Brève Leçon (ibid., X X X I , 1949 : 357) ; il loua scrupuleusement l'esquisse historique g r o s s i è r e m e n t u n i - l i n é a i r e de S. A . Dange, India, ¡rom Primitive Commvnism to Slavery (ibid., X X X I I , 1950 : 41 sqq.) ; et il publia dans sa revue et in extenso l'analyse s o v i é t i q u e de 1952 sur les pays orientaux, qui insistait p a r t i c u l i è r e m e n t sur les « survivances f é o d a l e s » et le c a r a c t è r e « f é o d a l » ou « s e m i - f é o d a l » de l'Inde rurale (ibid., X X X V , 1953 : 40, 41, 44, 84, 86). T o u t cela r é u n i favorisa sans aucun doute l ' i n t e r p r é t a t i o n f é o d a l e de l'Inde traditionnelle. (h) E n 1936, L a t t i m o r e , alors r é d a c t e u r en chef d u Pacific Aflairs, p u b l i a une bibliographie d u Mouvement Soviétique Chinois, p r é p a r é e par le concile a m é r i c a i n de l'Institut des relations pacifiques. Les auteurs de cette bibliographie p r é s e n t a i e n t la t h é o r i e qui « qualifie l ' é c o n o m i e chinoise de " semif é o d a l e " « comme « le point de vue a d o p t é par les documents officiels de l'Internationale communiste et le P a r t i communiste de la Chine » ; mais ils i n d i q u è r e n t aussi que M a d y a r , q u i d é f e n d a i t l ' i d é e d'un « mode asiatique de production », s'il é t a i t officiellement c r i t i q u é pour sa position, n'en e x e r ç a i t pas moins en U . R . S . S . une « influence c o n s i d é r a b l e . . . dans ce domaine » (Pacific Affairs, I X , 1936 : 421 sqq.). Comme nous l'avons d é j à n o t é , L a t t i m o r e , dans son ouvrage Inner Asian Frontiers oj China (1940), soutint l ' i n t e r p r é t a t i o n « bureaucratique » contre l ' i n t e r p r é t a t i o n « f é o d a l e » de la s o c i é t é de la Chine i m p é r i a l e . E t en mars 1944, il classait encore le concept des « survivances f é o d a l e s » selon Staline p a r m i les • t h è s e s communistes exemplaires » q u ' u n « é c r i v a i n communiste a... le devoir de soutenir » lorsqu'il analyse la s o c i é t é chinoise (Lattimore, 1944 : 83). E x a -
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Le cas de Childe est différent. Childe qui, dès les années trente, adhérait pleinement à l'interprétation marxienne de l'histoire, et qui, vers 1940, commença à invoquer l'autorité sociologique de Staline (134), pour, en 1951, saluer en Staline, « le premier marxiste de notre temps » (135), élabora un schéma de références qui rend tout à fait compréhensibles ses récentes conversions idéologiques. Ayant auparavant parlé de quatre grands types de société divisée en classes, Childe n'en mentionnait plus que trois en 1951 : classique, médiéval et moderne (i). Et, ayant auparavant établi que « prêtres et fonctionnaires » accaparaient l'excédent de la production en Orient, Childe, en 1953, attribua cette fonction — prérogative de la classe dirigeante — au « roi divin et à une très petite classe de nobles propriétaires fonciers» (136). Dans la nouvelle formulation, Childe négligea les fonctions bureaucratiques, qu'il avait nettement reconnues auparavant, et il mit l'accent sur la propriété privée. Derrière le rideau de fer, cet abandon forcé de la théorie de la société asiatique fut un épisode de la tragédie intellectuelle dont la portée et l'intensité sont difficilement perceptibles à un étranger. Le regret exprimé en 1942, que « depuis longtemps » les jeunes orientalistes soviétiques se soient trop intéressés au problème du caractère socio-économique de l'Orient — un aspect de ce problème étant « le soi-disant mode asiatique de production » (137) -— est révélateur d'une tendance qui évidemment per-
m i n a n t un certain nombre d ' é t u d e s s o v i é t i q u e s r é c e n t e s sur l a Chine, il se d é c l a r a adversaire d'une « insistance sur l ' i d é e de " f é o d a l i t é " p o s t é r i e u r e m e n t à l'ère c h r é t i e n n e » (ibid. : 87) dans le cas de la Chine, et il affirma que « les d o n n é e s sociales sont rendues quelque peu confuses par l'emploi i n d i s c r i m i n é de termes tels que " s e m i - f é o d a l " et " survivances f é o d a l e s " » (ibid. : 85, 87). E n 1948, des membres d'un groupe de chercheurs d i r i g é par Lattimore p u b l i è rent une monographie d u S i n - k i a n g qui parlait des conditions typiquement hydrauliques de cette r é g i o n en termes de « f é o d a l i t é » : « les relations agraires s e m i - f é o d a l e s », « le s y s t è m e purement f é o d a l d u p a s s é », « les survivances de p r o p r i é t é f é o d a l e » (Far Eastern Survey, 10 mars 1948 : 62 sqq.). E t en 1949, L a t t i m o r e l u i - m ê m e parla de la « tenure f é o d a l e des terres » e n Asie (Lattimore, 1949 : 67). Naturellement, L a t t i m o r e a le droit de se ranger à telle t h é o r i e socio-historique qui lui p l a î t , et d'en changer lorsqu'il le juge bon. Mais si l'on se rappelle des assertions p r é c é d e n t e s concernant le c a r a c t è r e politique opportuniste et scientifiquement condamnable de l ' i n t e r p r é t a t i o n f é o d a l e de la Chine, o n peut l é g i t i m e m e n t l u i demander d'expliquer sa position r é c e n t e , à la l u m i è r e de ses d é c l a r a t i o n s plus anciennes. (i) D a n s son é t u d e de 1951, Childe p r é t e n d i t que M a r x avait d é v e l o p p é ses concepts socio-historiques à partir « de d o n n é e s historiques fournies par des s o c i é t é s c i v i l i s é e s — classiques, m é d i é v a l e s , et modernes » (Childe, 1951 : 10). E m p l o y a n t le terme « c i v i l i s é », comme Engels et L é n i n e l'avaient e m p l o y é dans des circonstances analogues, Childe n é g l i g e a la s o c i é t é orientale « barbare >, q u i certainement i n f l u e n ç a la p e n s é e socio-historique de M a r x — et qui se t r o u v a i t ê t r e aussi un p r o b l è m e majeur dans l ' é t u d e de Childe.
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sista après cette année-là. En 1950, un rapport officiel sur de récentes études soviétiques sur l'Orient, mentionnait parmi les remarquables réussites dans ce domaine < l'abandon de la fameuse théorie du " mode asiatique de production " » (138). D. — LES TROIS FAÇONS D'ÉTOUFFER LA THÉORIE DU MODE ASIATIQUE DE PRODUCTION Le déclin de la théorie du mode asiatique de production fut aussi extraordinaire que son succès. En 1748, Montesquieu ouvrit une ère de recherche qui comptait le despotisme oriental parmi les problèmes importants. En 1848, John Stuart Mill s'inspirant des premiers économistes classiques forgea un nouveau concept de la société orientale. Et vers 1850 Marx, cherchant à dessiner le développement social futur au moyen de la connaissance de l'évolution passée, ajouta la notion d'un mode de production asiatique spécifique. Pourtant, ce nouvel adepte du concept asiatique se trouva vite embarrassé par les conséquences bureaucraticodirectoriales de cette thèse. Son ami Engels s'en trouva lui aussi de plus en plus gêné. Et ces mêmes conséquences furent la cause d'une totale retraite idéologique dans le mouvement qui, sous le drapeau du marxisme-léninisme, entreprit d'instaurer un Etat « socialiste » totalitaire. Ce qui cent ans auparavant était apparu comme une notion éminemment féconde et avait été pour un temps un concept marxiste admis devint la « soi-disant » et plus tard la « fameuse » théorie du mode asiatique de production. L'étouffement idéologique qui s'ensuivit revêtit trois formes essentielles. Avoué et officiel, dans le tiers communiste du monde. Dissimulé et limité dans la plupart des sociétés industrielles fondées sur la propriété privée. A peine camouflé, il triomphe de façon inquiétante dans de nombreux pays non communistes de l'Orient. Cette troisième forme retiendra notre attention lorsque nous analyserons les aspects institutionnels et idéologiques de la société hydraulique en transition. La première forme est très largement hors de la portée de notre influence. Il s'agit là d'un élément de l'étouffement intellectuel général, conséquence du pouvoir directorial total ; et ce ne sont pas des modifications de détail qui l'allégeront. On a tenté à différentes reprises de faire mieux que le Engels de 1884, le Lénine de 1919 et le Staline de 1939. Tous soutiendront le régime directorial total auquel ils doivent leur position et tous seront en proie aux mêmes
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contradictions. Mais même déchiré, un bâillon peut réduire au silence une victime sans défense. Parallèlement ce bâillon officiel suffit à paralyser idéologiquement les peuples de derrière le rideau de fer. Les conditions que j'ai citées en second lieu sont celles qui nous touchent de plus près. Dans les sociétés industrielles fondées sur la propriété privée, certains éléments du schéma soviétique de développement se sont largement répandus, mais le schéma dans son ensemble est combiné de telle façon qu'il suffit généralement de le reconnaître pour le rejeter. En un tel cas, une analyse critique est d'un intérêt vital. Qu'il s'agisse du traitement rationnel des grandes théories ou du contrôle des eaux, l'action protectrice et l'action productive sont inséparables.
CHAPITRE X
LA SOCIÉTÉ ORIENTALE EN TRANSITION La reconnaissance du caractère spécifique de la société hydraulique est la pierre d'achoppement décisive pour la thèse du développement uni-linéaire. C'est un point crucial dans la formulation d'un schéma multi-linéaire d'évolution sociale. Et c'est là le point de départ de toute analyse institutionnelle des modifications récentes en Orient. Les nombreux chercheurs qui, examinant les civilisations orientales, les ont trouvées différentes en substance des sociétés féodales ont souvent négligé de tirer dans le domaine du développement les conséquences que suggèrent leurs recherches. D'autres, usant de la méthode comparative, conçurent la société hydraulique comme une partie d'un schéma multi-linéaire de développement. John Stuart Mill est le premier chez qui cette notion soit discernable (1). Les observations de Max Weber en la matière, si elles ne sont jamais intégrées dans un système, embrassent l'ensemble de la perspective, et frayent la voie nouvelle. L'usage que fit Childe des idées de Marx apporta plus de confusion que de clarté dans ces concepts qui chez lui ne sont pas explicites. Mais même dans la version de Childe, ils se montrent particulièrement féconds. Et le chaud accueil qui leur fut fait prouve la nécessité d'approfondir notre connaissance de la structure sociale, quant à la fonction sociale ( « t y p e » ) et quant à la transformation sociale (« développement »). Un tel état de fait donne une valeur toute particulière aux récentes recherches entreprises en vue d'établir des normes d'évolution par des archéologues (a) tels que J.O. Brew (2), et G.R. Willey (3), et aux travaux non moins (a) Steward, 1949 : 2 sqq. ; ibid., 1953 : 318 sqq. ; ibid., 1955 : 1 s q q . Willey (1953 : 378) mentionne p a r m i les chercheurs dans le domaine d u • p a r a l l é l i s m e de d é v e l o p p e m e n t », et met sur le m ê m e plan : W . C . Bennet, R . L a r c o Hoyle, W . D . Strong, J . B i r d , P . A r m i l l a s , et l u i - m ê m e (nous pourrions ajouter D . Collier, R . A d a m s et A . P a l e r m ) . Il cite à part Stewart parce que celui-ci est l'auteur d'une « é t u d e comparative à l ' é c h e l l e de l'univers ».
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récents de philosophes comme J.S. Huxley (4), d'ethnologues comme J.H. Steward, travaux qui ont pour but d'élaborer les principes d'un développement multilinéaire. Ayant moi-même utilisé, et approfondi, au cours de la présente étude le concept de développement multilinéaire, je voudrais en souligner brièvement les aspects essentiels, afin de mieux définir la position et les perspectives d'une société hydraulique en transition. A.
— LES NOTIONS FONDAMENTALES DE TYPE SOCIAL E T DE DÉVELOPPEMENT SOCIAL 1.
a. - Eléments spécifiques.
- TYPES
essentiels
SOCIAUX
de la société,
spécifiques
et
non
La société se transforme selon des lois perceptibles. Cette théorie implique l'existence d'entités sociales dont la structure et les modifications soient discernables. C'est sur cette théorie que se fonde la présente étude. Elle est conforme pour l'essentiel au principe de John Stuart Mill de 1'« uniformité de coexistence » (5) qui pose en postulat l'existence d'une relation définissable entre les aspects essentiels de la société. Elle n'accepte pas, par contre, le postulat de la nécessité de la coexistence. Parmi les traits idéologiques, techniques, organisationnels et sociaux qui apparaissent dans toute société, certains sont essentiels au bon fonctionnement de cette société, d'autres ne le sont pas. Parmi les traits essentiels, certains sont spécifiques, d'autres non. D'autres enfin ne sont ni spécifiques ni essentiels. Le despotisme agro-directorial est essentiel à la société hydraulique, et pour autant que nous sachions, spécifique. Le système féodal de l'asservissement limité et conditionnel (sans obéissance inconditionnelle), du vasselage (sans bureaucratie), et du fief (sans terre administrative) est essentiel aux sociétés médiévales d'Europe et du Japon. Il se trouve si rarement ailleurs qu'on peut le considérer comme spécifique de ces sociétés. La main-d'œuvre de corvée est un élément essentiel des sociétés hydrauliques et féodales et le servage (l'attachement du paysan à sa terre ou à son village) est essentiel aux sociétés fondées sur l'existence d'hilotes (6) de la Grèce antique, à la société féodale et à la plupart des
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sociétés orientales simples et semi-complexes. Ce qui revient à dire que ces deux institutions sont essentielles à plus d'un type de société, et ne sont spécifiques d'aucun. De grands travaux d'irrigation et de contrôle des eaux, dirigés par le gouvernement, sont probablement essentiels à toutes les sociétés hydrauliques primitives, et ils restent essentiels aux zones centrales des sociétés hydrauliques secondaires. Mais ils ne sont spécifiques ni des unes ni des autres. Il y a eu des installations hydrauliques dans la Grèce antique et à Rome, et des entreprises hydrauliques de différents types apparaissent aussi dans les sociétés occidentales post-féodales. L'esclavage a pu être essentiel pour l'agriculture à Rome à la fin de la période républicaine et au début de l'empire. Il était compatible avec nombre d'autres sociétés, mais ne leur était pas essentiel. D'innombrables éléments qui relèvent de la technologie, de la coutume, de l'art, et de la croyance se trouvent largement répandus sans être ni essentiels ni spécifiques pour les conditions de pouvoir, de classes, et de propriété, — c'est-à-dire pour les relations essentielles à toute société. Ces éléments peuvent avoir une fonction avant tout culturelle, la vie humaine s'organisant non seulement en « complexes opérationnels » {going concerna) sociaux, mais aussi culturels (7) ; et leurs relations réciproques à l'intérieur d'un ordre social spécifique peuvent leur donner leur apparence particulière. Mais, étant compatibles avec plusieurs types de société, ils jouissent d'une certaine autonomie. Comme exemple de ce fait, citons la facilité avec laquelle certains éléments de la culture chinoise — l'écriture, le Confucianisme, l'architecture — se répandirent au Japon, et la constance avec laquelle au contraire les modèles bureaucratiques chinois de pouvoir, de propriété, de classes furent rejetés par la société japonaise. Un échange semblable d'éléments privés de signification sociale caractérisèrent les relations entre la Grèce classique et l'Asie mineure, entre la Russie de Kiev et Byzance, entre l'Espagne chrétienne et l'Espagne musulmane, et entre l'Europe non hydraulique et le monde hydraulique en général. Si l'on compare la Suisse allemande et l'Allemagne d'Hitler, on constate que des civilisations peuvent avoir en commun bien des traits technologiques, artistiques et littéraires, et rester cependant, du point de vue de la structure sociale, des mondes tout à fait séparés. Reconnaître ces faits devrait amener à corriger l'idée d'une « relation nécessaire entre tous les aspects possibles d'un môme organisme social» (b). (b) Comte, favorablement c i t é par M i l l , 1947 : 5d97TTOir 6"0"0 (c'est m o i - a u i r souligne). P o u r une version uniquement é c o n o m i q u e de m ê m e thèse r Vivr"-
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Il est donc évident que les traits culturels distincts d'une civilisation n'en révèlent pas clairement et sûrement la structure sociale spécifique. Et cette structure n'est pas nécessairement mise en évidence par l'identification de traits institutionnels uniques, essentiels et spécifiques. La présence de traits spécifiques est plus souvent l'exception que la règle. D'ordinaire, un élément essentiel devient spécifique en raison de la place qu'il occupe, ou du type de formation dans lequel il apparaît. La corvée ne se limite pas aux sociétés hydrauliques ; le travail forcé exigé de groupes non serviles apparaît aussi dans d'autres types de société. Elle est spécifique des civilisations agrohydrauliques, en ceci que, contrairement à ce qui se passe dans la féodalité, la corvée est imposée à la masse de la population par l'Etat. Mais, spécifiques ou non, les traits essentiels ne sont généralement pas nombreux. Et ils ne se retrouvent pas en de nombreuses combinaisons. C'est un fait historique fondamental que les institutions clés du pouvoir, de la propriété et des relations sociales n'ont constitué qu'un nombre limité de sociétés aux complexes opérationnels effectifs. La société hydraulique est un complexe opérationnel de ce genre. L'ampleur que ce type de société a acquise et son pouvoir de persistance lui ont valu une place éminente dans l'histoire de l'humanité. Ce n'est pourtant que l'un des nombreux types de société stratifiée qui apparurent avant l'avènement du monde industriel moderne. Un bref examen de ces autres types nous aidera à définir avec plus de précision les caractéristiques de la société hydraulique. b. - Les sociétés
stratifiées
pré-industrielles.
1. - La société pastorale. Les sociétés hydrauliques étatiques centralisées ont peut-être précédé toutes les autres sociétés stratifiées ; mais selon toutes probabilités, les premières sociétés hydrauliques durent vite affronter des groupes de population qui cumulaient l'agriculture non hydraulique et le grand élevage, sociétés dominées par des castes aristocratiques tribales. Les conquérants aryens de l'Inde appartenaient, semble-t-il, à ce groupe de semi-pasteurs (8). Mais ce ne fut qu'après la première grande révolution, l'introduction de l'équitation, l'utilisation du cheval et du chameau, que l'homme s'ouvrit un libre accès à la steppe,
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et put fonder de puissantes sociétés basées sur l'élevage. Influant sur leurs voisins, hydrauliques ou non, et influencés par eux, les pasteurs appartenant à des sociétés stratifiées (c) affectèrent profondément le cours de l'histoire, et subsistèrent surtout en Asie intérieure, jusqu'aux temps modernes (d). 2. - Quelques types de société antique. Les civilisations supérieures de la Grèce et de Rome, qui existèrent côte à côte avec l'Orient immuable pendant près d'un millénaire, n'étaient ni des sociétés hydrauliques ni des sociétés féodales. Et on ne peut les assimiler à un seul grand type de structure sociale formée par une maind'œuvre servile et plus tard ruinée par elle. Une classe supérieure bien intégrée imposa durablement sa domination en Crète, à Sparte, en Thessalie et aussi, dans des conditions différentes, à Rome, tandis que dans les cités grecques de type athénien, des classes aris-
(e) Nous ne pouvons ici analyser les é v e n t u e l s sous-types des s o c i é t é s pastorales s t r a t i f i é e s . E n mettant en l u m i è r e les p a r t i c u l a r i t é s sociales d u « pastoralisme de petits troupeaux », tel q u ' i l é t a i t p r a t i q u é par les Juifs primitifs, M a x W e b e r (Weber, R S , I I I : 44 sqq.) indique qu'il peut exister au moins une subdivision. (d) P o u r q u o i M a r x dans sa liste des « p é r i o d e s de p r o g r è s d u s y s t è m e é c o nomique de la s o c i é t é » a-t-il omis les s o c i é t é s pastorales h i é r a r c h i s é e s dont parle M i l l ? ( V o i r M a r x , 1921 : L V I . ) Lorsque M a r x , en 1857-58, é c r i v i t l a p r e m i è r e version de son œ u v r e principale, i l pensait que les deux d e r n i è r e s des quatre grandes formations qu'il mentionne é t a i e n t l i é e s entre elles p a r une relation historique é v o l u t i v e , tandis qu'il c o n s i d é r a i t la gamme e n t i è r e de ses quatre ordres comme m a r q u a n t un p r o g r è s d u seul point de vue typologique. Les types de s o c i é t é selon M a r x rappellent les « mondes » de H e g e l q u i sont autant de stades d'un p r o g r è s non pas historique et m a r q u a n t une v é r i t a b l e é v o l u t i o n , mais typologique, c ' e s t - à - d i r e selon qu'ils r e p r é s e n t e n t u n d e g r é plus ou moins haut de l i b e r t é . L e s formations sociales selon M a r x d i f f è r e n t en raison d u d e g r é de p r o p r i é t é p r i v é e q u i les c a r a c t é r i s e . L a s o c i é t é asiatique conserva le type c o m m u n a l de p r o p r i é t é des s o c i é t é s primitives (Marx, 1939 : 376 sqq., 380, 383), c ' e s t - à - d i r e que la p r o p r i é t é p r i v é e en tant que moyen de production n'y jouait pratiquement a u c u n r ô l e . L e s s o c i é t é s de la G r è c e antique et de R o m e firent les premiers grands efforts p o u r é t a b l i r une p r o p r i é t é p r i v é e , mais c o n s e r v è r e n t une partie de la terre sous forme de « p r o p r i é t é c o m m u n a l e . . . p r o p r i é t é d ' E t a t , ager publicus » (ibid. : 379 sq., 380, 382). L a s o c i é t é m é d i é v a l e (« f é o d a l e ») restreignit plus encore la p r o p r i é t é communale (ibid. : 380 s q q . , 399 sqq.). D a n s la s o c i é t é « bourgeoise » moderne, la p r o p r i é t é p r i v é e des moyens de production p r é v a u t absolument (ibid. : 375, 402 sqq.). L e fameux s c h é m a de M a r x ne tint pas compte d u fait — M a r x en prit connaissance plus t a r d (voir M a r x , D K , III, P t . I : 318) — que certaines s o c i é t é s asiatiques comme la Chine abolirent le s y s t è m e de p r o p r i é t é co.nmunale de la terre. De plus l'analyse de l a p r o p r i é t é p r i v é e « antique » et f é o d a l e est e x t r ê m e m e n t f o r c é e . L ' a d j o n c t i o n d'un type s u p p l é m e n t a i r e s t r a t i f i é et f o n d é sur la p r o p r i é t é , à savoir la s o c i é t é pastorale, aurait r e n d u sa typologie encore plus artificielle. 18
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tocratiques n'ayant entre elles que de vagues liens d'association perdirent leur suprématie politique. A Sparte, des serfs autochtones cultivaient les champs au profit de leurs maîtres étrangers, et les libres paysans de Rome furent par la suite, dans une large mesure, remplacés par des esclaves. Au contraire, dans les cités de type athénien, l'agriculture resta en majeure partie entre les mains des paysans libres et c'est surtout dans l'industrie urbaine (9), qu'il y eut un accroissement de la main-d'œuvre servile. Sans essayer de démêler tous les fils de cet écheveau institutionnel, nous pouvons probablement dire sans erreur qu'avant la diffusion de l'hellénisme, les civilisations de la Grèce et de Rome — et ajoutons celles d'Espagne et de France — englobaient plus d'un type de structure sociale. Parmi ces différents types, celui de Sparte fondé sur une classe d'hilotes se distingue tant pour la stabilité de son schéma général que pour l'importance infime qu'y avait la main-d'œuvre esclave (10). 3. - La société féodale. Les sociétés antiques de la Grèce et de Rome, quelle qu'ait été leur forme originelle, s'orientalisèrent plus tard. Il n'en alla pas de même pour les sociétés agraires d'Europe et du Japon. En fait, dans ces dernières, se développèrent des relations féodales spécifiques qui, sur le plan agraire, restèrent sans égales pour la pluralité de leurs centres et leur faculté de croissance. Ce fut cet ordre féodal qui donna naissance à un absolutisme chancelant et à centres multiples, puis à la société industrielle à centres multiples et fondée sur la propriété privée. Les similitudes entre les civilisations d'Europe et du Japon sont flagrantes. Dans l'un et l'autre cas ont existé, en même temps qu'un souverain et au-dessous de lui, de nombreux seigneurs (vassaux) qui ne devaient qu'un service limité et conditionnel, et n'étaient pas membres d'un appareil bureaucratique. Mais ces deux ensembles institutionnels n'étaient pas identiques. A l'ouest du continent eurasien, l'agriculture, fondée sur les précipitations naturelles, était extensive et produisit une économie domaniale qui, à son tour, donna naissance à des centres d'agriculture sur une vaste échelle. Il n'y avait, de plus, rien de comparable à l'Eglise indépendante et aux cités corporatives d'Europe. Nous trouvons ainsi au Japon et en Europe, au cours du haut moyen âge, une forme simple de société féodale dans laquelle le souverain partageait le pouvoir social avec ses vassaux exclusivement. En Europe, cette forme
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simple en engendra une plus complexe dans laquelle le souverain devait compter avec un clergé puissant et un grand nombre d'organisations de bourgeois. Ces deux variantes n'épuisent pas la gamme des soustypes de société féodale. En Suède médiévale et dans la Russie de Kiev, les relations sociales essentielles telles qu'elles s'expriment dans l'investiture féodale et la donation de fiefs semblent n'avoir jamais connu un plein développement. Nous pouvons donc les considérer comme appartenant à un troisième sous-type : la société féodale « marginale ». 4. - La société hydraulique est peu maniable. La société hydraulique surpasse toutes les autres sociétés pré-industrielles hiérarchisées par la durée, l'étendue et le nombre des sujets. Cela peut dans une large mesure expliquer le grand nombre de ses sous-types. D'un point de vue taxonomique, la société hydraulique est un géant difficile à manier. Ne devrions-nous pas traiter certains de ses sous-types les plus importants comme de grandes formations sociales mais de second plan ? Nous aurions raison d'en décider ainsi si nous nous trouvions devant des différences de structure fondamentales dans le domaine des relations sociales et du mode de direction. Mais il n'existe pas de telles différences puisque dans tous les sous-groupes connus du monde hydraulique prévalent un despotisme agro-directorial et une bureaucratie de monopole. Par conséquent, toute « fragmentation » arbitraire dissimulerait un fait socio-historique capital, à savoir que la société hydraulique n'a aucune commune mesure, ni en dimension, ni en diversité institutionnelle, avec les autres sociétés agraires. Les classificateurs en biologie, devant des problèmes analogues, refusèrent « de diviser un genre important, simplement parce qu'il contient un plus grand nombre d'espèces que les autres genres et peut sembler " disproportionné " » ou « peu maniable ». Sachant que le monde biologique est caractérisée par l'inégalité, ils sentent qu'une «classification [scientifique] devrait refléter fidèlement cette inégalité » (11). 5. - Sociétés pré-industrielles hiérarchisées résiduelles. Le problème des résidus de classification, autre problème pour les biologistes, est également intéressant pour notre enquête. « On estime que moins de 2 % du nombre total des espèces d'oiseaux du monde entier restent encore inconnus » (12). Cet optimum n'est atteint que pour « quelques espèces de mammifères, papillons, scarabées, moî'us-
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ques, etc.» (13). La plupart des biologistes considèrent leurs investigations comme bien avancées lorsqu'ils peuvent définir, dans le champ de leur recherche, les lignes essentielles de la structure (système) et des transformations (évolution). Si nous prenons les civilisations pré-industrielles hiérarchisées dans leur ensemble, combien de sociétés spécifiques peut-on discerner ? Si nous admettons que l'antiquité grecque et romaine comprenait au moins deux types, nous arrivons à un minimum de cinq formations différentes. Et nous avons toutes les raisons de croire qu'il y en a d'autres encore. Il faudrait examiner les régions extra-hydrauliques de la Méditerranée « classique » et préclassique. De même pour certaines zones négligées d'Asie, des îles du Pacifique et d'Amérique. Mais, tout en accordant toute l'importance qu'elles méritent à d'éventuelles découvertes, il faut se garder de surestimer leur signification historique. Les documents concernant le passé et les observations actuelles indiquent qu'au-dessus du niveau de la vie tribale primitive et audessous du niveau de la société industrielle moderne, la grande majorité des êtres humains ont vécu dans des contextes institutionnels déjà connus — des sociétés pastorales stratifiées, des sociétés hydrauliques, des sociétés non féodales fondées sur une classe d'hilotes, de paysans libres ou d'esclaves, ou, enfin, des sociétés féodales. 2.
- TRANSFORMATION DESENSEMBLES
SOCIAUX
a. - Les formes. Le destin de ces différents types de société est à plus d'un titre riche d'enseignement. Comme nous l'avons montré plus haut, les sociétés pastorales stratifiées sont passées par différents états. Certaines ont pratiqué l'agriculture, occasionnellement ; d'autres sont devenues essentiellement agricoles. Telle a bien pu être l'origine des premières aristocraties grecques tribales, et telle fut certainement la base de la société tribale germanique. D'autres groupes d'éleveurs se trouvèrent en contact avec des civilisations hydrauliques. Certains se fondirent complètement avec elles, d'autres, après une période de conquête ou de soumission, se retirèrent dans la steppe. Certains, sans passer par un interlude « oriental », persistèrent à vivre dans leurs pâturages semi-arides, à un stade stationnaire de développement, jusqu'à ce que, sous l'influence des sociétés modernes voisines, ils commencent à perdre leur identité institutionnelle.
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Les sociétés agraires supérieures de la Grèce antique et de Rome attaquèrent le inonde oriental. Mais si leurs conquêtes apportèrent des avantages matériels à un grand nombre de leurs citoyens et un grand accroissement de pouvoir à un petit nombre d'entre eux, elles firent ces acquisitions au prix d'une orientalisation généralisée. Cette transformation est un exemple frappant de modification par « altération » (sous l'influence d'éléments externes) s'opposant à une modification par « développement » (sous l'influence d'éléments internes) (14). La société féodale était assez forte pour résister à la société hydraulique. Elle était suffisamment ouverte pour entreprendre des activités de commerce et d'industrie. Parmi les civilisations supérieures, c'est un cas exceptionnel de développement social. La société hydraulique est un cas exceptionnel de stagnation sociale. Ayant probablement des origines diverses (15), et là où se trouvaient des circonstances favorables, créant des schémas semi-complexes et complexes de propriété et de hiérarchisation sociale, la société hydraulique n'abandonna jamais ses structures fondamentales, si ce n'est sous la pression de forces externes. b. - Les valeurs. Ces faits prouvent que la morphologie des transformations sociales est complexe. Ils prouvent aussi qu'au-delà des problèmes de la forme se dissimulent les problèmes de valeur essentiels que l'optimisme à l'égard du développement — naïf ou motivé politiquement — ne peut ou ne veut pas voir. La transformation sociale n'est pas identique au développement. Le développement, c'est-à-dire la modification effectuée par des éléments essentiellement internes, n'est qu'une forme de changement social. Egalement importante est la modification par altération, c'est-à-dire la transformation due essentiellement à des forces externes. De plus, ni le développement ni l'altération ne marquent nécessairement un progrès : ni l'un ni l'autre n'améliorent nécessairement la condition de l'homme. Le contrôle de l'homme sur la nature est un facteur d'une importance immense pour la civilisation ; mais si l'on cherche un critère de progrès, il faut envisager, en même temps que ce facteur, les relations de l'homme avec ses semblables, et ses relations avec ses propres convictions (séculières et religieuses). Ces trois types de relation sont étroitement liés, et il peut arriver que deux d'entre eux se heurtent au lieu de se compléter. Le penseur de bonne volonté peut être effrayé par de tels conflits. Le réaliste, qui accepte la tragédie comme
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un élément inévitable de la vie, admettra la possibilité de développements de valeur différente dans des circonstances historiques différentes. Il comprendra qu'un progrès simultané dans ces trois types de relation est un phénomène moins fréquent que ne le voudrait la légende, et que, du point de vue des valeurs humaines, un développement peut marquer un progrès, un simple changement, ou une régression sans équivoque. Pour le technologue, la formation de l'absolutisme occidental et les débuts de l'industrialisme sembleront un progrès spectaculaire. A nos yeux, ce développement détruisit probablement autant de valeurs qu'il en créa. Pour l'apologiste de la domination soviétique, l'altération qui prépara l'avènement du despotisme moscovite apparaîtra comme essentiellement progressiste (16). En termes de valeurs humaines, ce fut nettement une régression. Le processus qui fait passer une société donnée d'une catégorie dans une autre peut être considéré comme une transformation sociale primaire. Un tel phénomène se produit évidemment rarement. Une transformation sociale secondaire peut aboutir à la création d'un nouveau soustype de la même catégorie générale ; les transformations peuvent aussi suivre un cycle amenant en son temps la restauration de l'ordre ou du sous-ordre originel. Elles peuvent — mais non pas nécessairement — avoir l'effet d'une catharsis (régénération). Tel fut le cas pour certains changements dynastiques et pour de nombreuses réformes institutionnelles. Toutes les formations institutionnelles connaissent des restaurations. Celles-ci sont particulièrement fréquentes dans des sociétés qui se perpétuent durant de longues périodes. Au-dessus du niveau des civilisations primitives, la société hydraulique offre donc les occasions les plus riches en enseignement pour l'étude de la stagnation sociale et des transformations cycliques. B. — LA SOCIÉTÉ HYDRAULIQUE EN TRANSITION 1.
- QUATRE ASPECTS D E L A CONTINUITÉ
ORGANIQUE
DE L A SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E
a. - Le potentiel de développement
institutionnel et culturel.
Les noyaux du pouvoir dans la société hydraulique surpassèrent ceux de toutes les autres communautés agraires par leur aptitude à soumettre et à diriger des zones étendues. Après une période de « formation » locale, et là où les circonstances le permettaient, ces noyaux contrô-
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lèrent des territoires de la taille d'une province ou d'un pays. Dans des conditions particulièrement favorables un « épanouissement » à l'échelle d'une province fut suivi d'une expansion «impériale» et d'une «fusion» (a). La société hydraulique se perpétua durant des millénaires et par conséquent eut des occasions uniques d'épuiser le potentiel créateur de chacune- de ces situations. L'histoire de la culture des civilisations hydrauliques montre à quel degré de réalisation parvinrent ces virtualités. Le développement quantitatif d'une unité socio-culturelle n'entraîne pas pourtant nécessairement un développement institutionnel et culturel correspondant. Un échange d'influences, même sporadiques, entre de nombreuses unités indépendantes, se montre plus stimulant que l'isolement, que ce soit dans une île ou dans une oasis. Un tel échange est plus stimulant aussi que la fusion impériale qui tend à confier l'initiative des expériences et des transformations à un centre unique. Cela explique que les civilisations hydrauliques les plus importantes ont généralement atteint l'apogée de leur faculté créatrice au moment où elles faisaient partie d'un groupe de provinces aux relations peu étroites. Pratiquement, toutes les grandes théories chinoises sur la «voie» (tao), sur la société, le gouvernement, les relations humaines, l'art de la guerre et l'historiographie prirent forme durant la période classique des provinces et au début de l'époque impériale. L'instauration du système des examens, la re-formulation, enrichie de psychologie, du confucianisme, suivit la réunification de l'empire, le transfert du centre économique vers la vallée du Yang-tse et la construction d'un Nil artificiel, le Grand Canal (1). D'autres transformations d'importance se produisirent à des époques plus tardives de la Chine impériale dans le domaine du théâtre et du roman populaire ; mais elles étaient dues à une influence nouvelle, la domination complète de la Chine par deux dynasties de conquête « barbares ». Et aucune de ces transformations n'ébranla les assises confucéennes de la pensée chinoise. L'apogée de la puissance créatrice en Inde se situe d'une façon analogue. La religion, le mode de gouvernement, et l'institution de la famille naquirent et mûrirent, (a) V o i r Wittfogel, 1955 : 47 sqq. Los termes de « formation », « é p a n o u i s sement » et « empire » sont d'un usage r é c e n t pour d é s i g n e r des « p é r i o d e s » dans le d é v e l o p p e m e n t des s o c i é t é s (« des types de culture »). Une p é r i o d e « de formation » à une é c h e l l e locale peut ê t r e suivie d'une p é r i o d e d' « é p a nouissement » ou d'une p é r i o d e « classique » ( d é v e l o p p e m e n t et m a t u r a t i o n à une é c h e l l e r é g i o n a l e ou provinciale) et plus tard d'une p é r i o d e d'expansion inter-provinciale : « empire » ou « fusion » (voir Steward, 1949 • 7 sqq - ibid. 1953 : 323).
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DESPOTISME
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parvinrent à leur perfection classique soit à l'époque où l'Inde était encore une mosaïque d'Etats indépendants, soit au cours de la première phase de l'unification impériale. Les sociétés de conquête du Proche-Orient, soumises à la domination arabe, connurent au début des formes quasi impériales. Là, la plupart des grandes théories, qu'il s'agisse des lois, du mode de gouvernement, ou de la condition des hommes, trouvèrent leur expression au cours des phases initiales de la société islamique. b. - Stagnation, répétition
et régression.
Dans les limites d'un cadre donné, le processus de transformation créatrice ne peut se poursuivre indéfiniment. Le potentiel de développement d'une société dépend de son contexte naturel et culturel, mais à mesure que les possibilités de développement et de différenciation se réalisent, le processus créateur tend à perdre de sa puissance. La maturation devient une stagnation. Et à mesure que passe le temps, la stagnation se transforme en répétition stéréotypée puis en pure et simple régression. Les conquêtes et annexions de territoires sont favorables à une expansion de la culture. Mais les transformations ultérieures ne provoquent pas nécessairement un renouvellement des types de société et de culture. Ceux-ci, plus tard, passeront également de la stagnation à la répétition puis à la régression. La tendance à la répétition et à la régression peut se combiner — et tel fut le cas dans les sociétés orientales de conquête de l'Ancien Monde — avec un déclin de la densité hydraulique ainsi que de la marge de liberté personnelle. En termes d'activité directoriale, de liberté personnelle et de pouvoir créateur culturel, la plupart des sociétés hydrauliques « impériales » tardives marquaient probablement une régression par rapport au temps des provinces indépendantes et aux débuts de 1'« empire ». c. - Le pouvoir de survivance de la société hydraulique. Mais en dépit du déclin institutionnel ou culturel, en dépit des régénérations et retours à des conditions « classiques » plus anciennes, la société hydraulique demeurait, institutionnellement, identique. Elle continuait, sous l'autorité d'une bureaucratie de monopole, à mobiliser toutes les énergies techniques et intellectuelles, en vue de sa propre perpétuation. Ses fonctionnaires étaient fréquemment savants et habiles. Ses paysans cultivaient la terre avec plus de soin que les serfs d'Europe n'en apportaient
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à leurs travaux (b) ; et ses artisans travaillaient avec d'infinis raffinements. Tous ces groupes répondaient à des stimulations diverses, mais ne réclamaient ni indépendance politique ni gouvernement populaire. Et les éléments irrationnels du despotisme hydraulique n'entravaient en rien la perpétuation d'une bureaucratie de monopole à caractère de caste. Si l'on prend pour critère l'intérêt du peuple, un appareil d'Etat peut souffrir d'un excès d'organisation dans le domaine économique. Il peut être aussi défendu à l'excès, d'un point de vue militaire. Et les maîtres de l'Etat peuvent s'entourer d'une protection policière excessive. Mais aussi longtemps que le régime assure le minimum de rationalité de ses maîtres il demeurera un ensemble opérationnel efficace. Et il se défendra contre les sociétés ouvertes possédant un coefficient de rationalité bien supérieur, aussi longtemps que ses forces armées seront capables de tenir tête à celles des adversaires. d. - Les transformations sociales dues à une influence étrangère. Nous avons déjà exposé l'une des conséquences de ce fait pour le développement de la société hydraulique. Puisque la bureaucratie agraire de monopole empêchait la société hydraulique de suivre un développement qui l'aurait transformée en un type de société à centres multiples, il est évident que si une telle transformation se produisait ce ne pourrait être que sous l'influence directe ou indirecte de forces extérieures. L'Occident romain succomba sous des invasions de tribus venues du Nord, et l'Espagne musulmane sous l'assaut des guerriers féodaux de la péninsule ibérique. Dans l'un et l'autre cas, des crises internes facilitèrent la victoire des envahisseurs sur le plan institutionnel. A Byzance, les agresseurs européens, qui étaient assez puissants pour renverser le régime absolutiste décadent, étaient trop faibles pour instaurer un ordre décentralisé s'appuyant sur un cadre cohérent de barons, de puissantes cités corporatives, avec une Eglise indépendante, tels qu'il en existait alors dans leurs patries féodales. Il fallut une assimilation par la société hydraulique des forces externes non hydrauliques pour qu'une telle transformation radicale s'accomplît. (b) L'agriculture japonaise, f o n d é e sur l'irrigation restreinte, et s'inspirant de l'exemple chinois, fut, au cours de la phase f é o d a l e , aussi intensive que l'agriculture chinoise.
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LE
2.
-
DES
TYPES
DESPOTISME ORIENTAL
RÉCENTS
D'INFLUENCE
EXTÉRIEURE
Est-ce le poids de l'Occident commercial et industriel qui accomplit cette transformation ? John Stuart Mill était persuadé qu'il en serait ainsi. Les « nations civilisées [industrielles] » (2) amèneraient « tous les autres pays » à suivre la voie qu'elles-mêmes avaient suivie (3) dans le développement de la technologie, de la prospérité matérielle, de la sécurité des personnes, et de la coopération librement consentie (4). Marx croyait aussi que dans des pays coloniaux tels que l'Inde, « l'Angleterre avait à remplir une double mission... l'une destructrice, l'autre régénératrice — l'anéantissement de l'antique société asiatique, et la création des bases matérielles pour une société de type occidental en Asie» (5). Et tout en pensant que les Indiens recueilleraient « les fruits de ces nouveaux éléments de la société » après leur libération qui serait la conséquence de la prise du pouvoir par les ouvriers en Angleterre, ou qu'ils obtiendraient grâce à leurs propres efforts (6), Marx parla avec enthousiasme des traits, empruntés à l'Occident, nouvellement introduits, et il mentionna tout particulièrement l'unité politique, les communications modernes (le télégraphe, les chemins de fer, les bateaux à vapeur), une armée de type occidental, une presse libre, la propriété foncière privée (c), et une classe de fonctionnaires modernes (7). II était encore plus optimiste quant à l'avenir de la Russie tsariste. Très conscient de l'héritage oriental de la Russie, il n'en croyait pas moins à la possibilité pour elle de passer « le seuil du système capitaliste » pour ensuite « subir les lois implacables de ce système, comme toutes les autres nations occidentales» (8). Mill et Marx se faisaient là les interprètes de l'opinion de nombre de leurs contemporains. Mais ils ne savaient évidemment pas à quel point ils se montraient prophètes. Autant que je sache, Mill n'approfondit pas par la suite son jugement de 1848 ; et Marx, qui en 1850 présentait comme un fait accompli (*) la désintégration du vieil ordre rural indien, due à la Grande-Bretagne, et qui voyait là «l'unique révolution sociale connue en Asie» (9), nota dans le troisième volume du Capital, que cette désintégration s'accomplissait « très lentement (nur sehr allmahlich) » (10). Il est vrai qu'entre temps, bien des changements s'étaient produits tant en Occident qu'en Orient, (c) M a r x qualifia d' « abominables » les r é g i m e s fonciers zamindar et riotivar c r é é s par les Anglais ; mais il les salua cependant comme « deux formes distinctes de p r o p r i é t é f o n c i è r e p r i v é e — objet des aspirations de la s o c i é t é asiatique » (Marx, N Y D T , 8 a o û t 1853). (*) E n f r a n ç a i s dans le texte (N. d. T . ) .
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et qu'on avait entendu bien des théories sur l'Orient « en transformation » (et tout autant d'ailleurs sur l'Orient « immobile » ). Les interprétations controuvées que l'Internationale communiste donne des faits ne prouvent pas que l'on puisse se passer d'une véritable analyse scientifique. Celle-ci est au contraire très nécessaire, puisque les problèmes sont à la fois complexes et d'une très grande importance. a. - Types d'influence réciproque. Tout d'abord, les développements actuels du monde hydraulique ne suivent pas une ligne unique. Différents types de relation mutuelle avec l'Occident et les conditions différentes tant du côté de qui exerce l'influence que du côté de qui la subit modifient le résultat. Ainsi, selon l'importance des contacts culturels, des agressions militaires et du contrôle politique, nous pourrons définir au moins quatre types de relation entre l'Occident commercial et industriel et les différentes nations du monde oriental. Type I : Distance et indépendance (exemple : la Thaïlande) (d). La Thaïlande ne subit, de la part de l'Occident que quelques défaites militaires d'importance secondaire ; et il n'y eut guère d'intervention occidentale indirecte, et aucune intervention directe dans les affaires intérieures du pays. Et jusqu'à une époque récente il n'exista guère en Thaïlande de contact avec l'Occident. La Thaïlande resta donc une société hydraulique indépendante et plus ou moins à l'écart, libre d'adopter ou d'écarter les institutions et la culture occidentales. Type II : Proximité et indépendance (exemple le plus représentatif : la Russie). La Russie était géographiquement et culturellement proche de l'Europe occidentale. Mais à la différence de la Turquie ottomane, sa politique ne subissait pas l'influence décisive des « conseils » étrangers ; et à la différence de la Chine, ses principales villes ne furent pas contraintes de tolérer des colonies étrangères sur leurs territoires. Trois désastres militaires — la guerre de Crimée, la guerre contre le Japon et la première guerre mondiale — ébranlèrent fortement la Russie, mais ne la placèrent pas dans une position coloniale ou « semi-coloniale ». On trouve là la combinaison d'un minimum d'intervention étrangère directe avec un maximum d'influence pacifique. (d) L e « S i a m », a n t é r i e u r e m e n t
à
1939.
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DESPOTISME
ORIENTAL
Type III : Dépendance complète et simple (exemples les plus remarquables : le Mexique, le Pérou, l'Indonésie et l'Inde). Tous ces pays subirent une défaite militaire totale, qui les plaça dans une position de soumission politique totale à l'Occident (colonisation). Type IV : Dépendance limitée et multiple (la Turquie ottomane et la Chine par exemple). Ces deux pays, au cours de guerres contre l'Occident, subirent de lourdes défaites militaires, et tous deux durent accepter l'intervention politique et économique de différentes puissances étrangères. Mais les gouvernements turcs et chinois conservèrent leur armée, et tout en subissant de fortes contraintes extérieures, continuèrent à décider de leur politique. b. - Les pays qui exercent une influence. Sur le plan culturel, l'influence ne saurait être unilatérale. Au 19° et au début du 20" siècle, la littérature russe exerça sur le monde occidental une puissante fascination. Et bien avant Tourgueniev, Dostoïcvsky et Tolstoï, l'architecture et la poésie islamiques, la philososophie hindoue et chinoise furent pour le lointain Occident objets d'admiration et d'étude. Au contraire, dans le domaine de la technologie, du gouvernement, de la propriété, des classes, les influences s'exercent essentiellement dans une direction, et ce sont surtout les sociétés hydrauliques qui reçoivent. Mais ces influences ne furent ni constantes ni statiques. Au 16° siècle, lorsque les Espagnols s'emparèrent des « Amériques » l'Europe avait à peine dépassé le mode de vie féodal, et les gouvernements absolutistes s'affermissaient dans le continent tout entier. Au 17" siècle, lorsque les Hollandais et les Anglais étendirent leur domination au sud de l'Asie, les élites capitalistes commençaient à prendre une importance sociale dans quelques pays économiquement évolués. Mais ce ne fut qu'aux 18 et 19' siècles que la nouvelle classe moyenne bourgeoise dans son ensemble accéda à la prééminence politico-sociale et que le gouvernement représentatif l'emporta dans le monde occidental.. Cette chronologie, nécessairement simplifiée, jette quelque lumière sur l'histoire coloniale des trois zones majeures de la société hydraulique. La conquête des Amériques fut organisée non par des marchands-aventuriers agissant pour leur propre compte mais par un gouvernement absolutiste, dont le pouvoir était encore accru par la guerre menée contre les Maures et par le contrôle fiscal gouvernemental sur l'économie pastorale espagnole. La colonisation de l'Indonésie et de l'Inde fut le fait de petits l
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groupes d'hommes d'affaires privilégiés, et leurs Compagnies des Indes orientales, subventionnées par le gouvernement, presque des entreprises gouvernementales, ressemblaient davantage à un véritable capitalisme de monopole que des entreprises plus récentes que l'on a depuis désignées par ce vocable. La Compagnie des Indes orientales hollandaises fut dissoute en 1798 ; et la politique coloniale hollandaise devint plus libérale après les révolutions de 1848, qui, dans une certaine mesure, déplacèrent le centre de gravité également dans la société hollandaise (11). La Compagnie britannique des Indes orientales perdit son monopole en Inde, en 1813 (après les guerres napoléoniennes) et son monopole du commerce chinois en 1833 (après la loi de réforme). L'empire espagnol en Amérique prit fin avant que le développement constitutionnel du 19 siècle n'atteignît la péninsule ibérique. Il faut pourtant noter que dans Ja dernière phase de l'absolutisme espagnol, particulièrement pendant le règne de Charles III (1759-88), l'entreprise privée, sous forme de Compagnies, inexistantes jusque-là en Espagne, reçut un certain encouragement (12). Dans tous ces cas, la pression de l'Occident sur la civilisation hydraulique traditionnelle se fit sentir sous forme de domination coloniale directe. Dans d'autres cas, différentes puissances commerciales et industrielles entrèrent en compétition pour acquérir le contrôle d'un territoire oriental qui éveillait leurs ambitions économiques. Dans de telles conditions, les relations entre les conditions variables du camp industriel d'une part, et de l'autre la forme et le poids de l'intervention, sont complexes. Cependant on peut déterminer certaines relations de cause à effet. Ce ne fut qu'après la révolution industrielle que l'Occident fut en mesure d'imposer son influence au lointain empire chinois ; et ce ne fut qu'après la seconde moitié du 19° siècle que les conseillers occidentaux suggérèrent sérieusement la création de gouvernements constitutionnels et représentatifs en Turquie et en Chine. e
c. - Les différences minées.
institutionnelles dans les sociétés exa-
Comme nous l'avons démontré tout au long de notre enquête, les conditions furent extrêmement variables dans les pays hydrauliques. Au Mexique, les entreprises étaient du type « sporadique 2 » (13). En Turquie, la métropole perdit progressivement le contrôle de ses provinces hydrauliques. La Russie kievienne ne possédait pas d'entreprises hydrauli-
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ques ; et le Joug tatare ne changea rien à ce point de vue. Au Pérou pré-colonial et au Siam, il n'y avait pas de commerce privé important ; en Indonésie et en Turquie ottomane, il était très limité. En Russie moscovite, les hommes d'affaires autres que les capitalistes bureaucrates étaient étroitement surveillés. Au Mexique aztèque, le commerce indépendant était florissant, et en Chine il connaissait un large développement. Dans certains de ces pays existaient des groupes d'un certain poids qui, à l'occasion, auraient pu constituer une classe moyenne de type moderne. Et dans certains existaient également des formes de propriété foncière privée qui, sous l'impulsion de la société industrielle fondée sur la propriété privée, auraient pu former la base d'une société moderne décentralisée. Comment et dans quelle mesure ces possibilités se sont-elles réalisées ?
3.
-
LES RÉSULTATS
SOCIAUX
Si l'on veut se faire une idée des résultats de l'influence occidentale récente, il n'est pas nécessaire de traiter longuement de la Thaïlande (e). Il suffit de dire qu'en dépit d'un certain nombre d'innovations techniques et politiques, la Thaïlande indépendante et isolée n'a jusqu'à présent donné naissance ni à une bourgeoisie indigène (f) ni à un système de gouvernement authentiquement représentatif. a. - La Russie. Comme la Thaïlande, la Russie conserva sa liberté politique, mais subit des revers militaires beaucoup plus graves. Comme les mandarins chinois, les maîtres de la société russe souffrirent de la défaite de leurs armées, mais, étant plus proches de l'Occident, ils comprirent plus rapidement les bases institutionnelles et culturelles de la force militaire et technique de leur ennemi. Ils favorisèrent donc le développement de formes fortes de propriété, d'entreprise privée, de débat public et de gouvernement local autonome. Ils introduisirent ces institutions parci(e) P o u r des raisons é v i d e n t e s , nous devons, dans le contexte actuel, laisser de c ô t é l'analyse d u d é v e l o p p e m e n t d u J a p o n . N ' a y a n t jamais é t é hydraulique, le Japon passa rapidement d'un ordre f é o d a l « simple » à un type de s o c i é t é industrielle moderne à centres multiples. (f) L a c o m m u n a u t é marchande chinoise, qui p r é s e n t e plusieurs des traits d'une bourgeoisie naissante, est exclue de plus en plus de la vie é c o n o m i q u e de l a T h a ï l a n d e . Si l'orientation actuelle n'est pas m o d i f i é e , ce groupe sera p r i v é de tout r ô l e dans une é v o l u t i o n pour laquelle il est d'autre part bien préparé.
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monicuscmcnt -— non pour qu'elles prévalent, mais parce qu'il les jugeaient nécessaires et contrôlables de manière durable. Nous avons déjà analysé les lacunes dans l'émancipation des serfs (14). Les zemstuos, gouvernements locaux autonomes et élus, furent étroitement limités dans leur action, après une brève période d'expansion (1864-66) (15). Mais même ainsi mutilés, ils avaient encore un pouvoir bien supérieur à celui des démocraties au rabais du despotisme hydraulique. Le comte Witte avait absolument raison d'affirmer que l'autocratie et les zemstuos ne pouvaient guère coexister longtemps (g). Bien sûr, la bureaucratie absolutiste conservait le pouvoir suprême. Mais son prestige était affaibli par la guerre contre les Turcs de 1877-78 (16), et profondément ébranlé par les désastres de la guerre russo-japonaise de 1904-1905. Le contrôle d'Etat et une taxation écrasante furent un dur handicap pour le développement d'une économie moderne (17). Mais la propriété privée s'affermissait, .et l'entreprise privée, qui avait déjà pris une certaine ampleur dans un certain nombre d'industries légères avant le milieu du 19° siècle (18), marquait sur plusieurs fronts un vigoureux progrès. De 1893 à 1908, les investissements furent de 2 695 millions de roubles russes contre 874 millions de roubles représentant le capital étranger (19). En 1916-17, le capital étranger sous le contrôle du gouvernement prévalait, ou presque, dans les industries minières ; mais le capital russe atteignait à une puissance équivalente ou supérieure dans la plupart des autres branches de l'industrie. Dans l'industrie chimique, il représentait un pourcentage de 50 % de l'ensemble du capital, dans les fonderies et les industries de transformation, de 58 %, dans les bois, de 63 % et dans les textiles de 72 % (20). La banque d'Etat restait maîtresse du système de crédit ; mais de nombreuses banques privées se créèrent alors. Et le total des capitaux et des dépôts dans les banques privées s'accrût de 1 289 millions de roubles en 1909 à 3 375 millions de roubles en 1913 (21). Cette expansion de l'économie russe moderne se fit, non pas au moyen du travail forcé et d'une terreur policière organisée, mais avec la collaboration d'une classe de travailleurs de plus en plus libres et dans une atmosphère (g) F l o r i n s k y , 1953, II : 900 ; v o i r M a v o r , 1928 : 30. L e tsar Nicolas II avait donc raison de reprocher durement aux r e p r é s e n t a n t s des zemstvos de caresser « le rêve insensé de... partager la conduite des affaires i n t é r i e u r e s • (voir Birkett, 1918 : 488 s q q ) .
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de recul constant du despotisme. Voyons par exemple l'industrie lourde : au cours des deux décades qui précédèrent la première guerre mondiale, « la production de charbon de l'Empire russe quadrupla, et même sextupla si l'on exclut du compte la Pologne » (22). De 1893 à 1913, la production en cuivre « se trouva presque multipliée par neuf» (23). Entre 1890 et 1913, la production de fer sextupla ; dans les centres industriels essentiels de la Russie du sud, cette même production augmenta dans des proportions « d e un à vingt» (24). Voyons aussi l'industrie légère : en 1913, les filatures de coton « étaient deux fois et demie plus nombreuses, la quantité de coton brut employée trois fois plus importante, et le fil produit deux fois et demie plus abondant qu'en 1890 » (25). La première révolution russe amena de profondes transformations politiques. Le manifeste du tsar, d'octobre 1905, bien qu'il défendît encore le principe du pouvoir absolu, admettait un important contrôle constitutionnel. Max Weber, qui avait conscience dans le développement de la Russie d'une absence des phases décisives selon le processus occidental (26), et qui mit en lumière l'esprit « asiatique » ou « mongol » qui était celui du régime tsariste (h), jugea comme un progrès énorme l'instauration d'une constitution si limitée fût-elle (i). Et en fait un certain nombre de nouveautés introduites alors constituaient un sérieux risque pour l'ancienne société à centre unique : un parlement qui pouvait discuter le budget et critiquer publiquement le gouvernement, des partis politiques qui pouvaient faire appel à la population, une presse presque libre dans son expression (27), un système d'instruction qui devait rapidement étendre son action (j), des
(li) W e b e r parla de la « fourberie et de la ruse mongoles » de ia bureaucratie tsariste (Weber, 1906 : 249) et de la v é r i t a b l e « fourberie mongole » du r é g i m e (ibid. : 394). Il reprocha à la police tsariste d'employer « les moyens les plus r o u é s appartenant à la fourberie asiatique la plus r u s é e » (ibid. : 396). (i) W e b e r e m p l o y a le terme de « speudo-constitution » q u i n ' é t a i t pas tout à fait a p p r o p r i é (Weber, 1906 : 249). (j) C o m m e d'autres nations à leur e n t r é e dans l'ère industrielle, la Russie donna une i m p u l s i o n vigoureuse à l'instruction g é n é r a l e . E n 1874, dans l ' a r m é e , sur cent recrues, 21,4 % savaient lire ; en 1894, 37,8 % ; en 1904, 55,5 % ; et en 1914, 67,8 % . E n 1918, p a r m i les ouvriers d'industrie, â g é s de vingt ou moins de v i n g t ans, 77,1 % savaient lire ; p a r m i ceux de trente à trente-cinq ans 64,8 % ; et p a r m i ceux de plus de cinquante ans, 43,4 % (Timasheff, 1946 : 35). Le t a u x é l e v é d ' a l p h a b é t i s m e chez les jeunes ouvriers r e f l è t e l'instauration, par l a loi de 1903, de l'enseignement primaire g é n é r a l . Selon les termes de cette loi, tous les enfants auraient d ù ê t r e s c o l a r i s é s en 1922 (Florinsky, 1953, II : 1237). F l o r i n s k y d é c l a r e que le p r o g r è s fut moins rapide q u ' o n ne l'avait e s p é r é ; mais lui aussi trouve imposantes « la modernisation et l'expansion du s y s t è m e d'enseignement » (ibid. : 1232, 1237). Selon les d e r n i è r e s estimations p r é - r é v o l u t i o n n a i r e s , 78 % des Russes auraient d û savoir lire à la fin de 1930
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gens du peuple libres d'organiser en coopératives plus de dix millions de personnes (28), et des ouvriers et employés ayant accès aux fonds d'assurance-maladie, bien que l'association en syndicats fût encore illégale (29). Après 1905, les forces anti-absolutistes russes n'étaient pas encore assez puissantes pour établir à elles seules une société ouverte décentralisée. Mais lorsque la première guerre mondiale paralysa l'armée tsariste, ces forces suffirent à instaurer au printemps de 1917 un gouvernement authentiquement anti-absolutiste et démocratique, encore que de courte durée. b. - Les pays hydrauliques colonisés. L'expérience russe prouve que même dans un pays indépendant, gouverné par une bureaucratie despotique, si les conditions internationales sont favorables, les germes d'une société décentralisée peuvent se développer rapidement. Tel ne fut pas le cas des régions hydrauliques qui, en qualité de colonies, furent soumises à la domination des puissances occidentales. Les colons espagnols, hollandais et anglais, et également portugais et français (mais nous laisserons de côté les entreprises de ces derniers), ne cherchèrent pas à moderniser leurs possessions orientales. Selon la logique propre à leurs intérêts particuliers, ils n'introduisirent les institutions occidentales que d'une manière sélective et limitée. Il est facile d'en trouver les raisons. Les zones majeures de la civilisation hydraulique, de population dense et situées pour la plupart dans des régions tropicales et subtropicales, ne se prêtaient guère à une immigration en masse des Européens. Par conséquent, les conquérants se contentèrent en général d'installer dans leurs colonies hydrauliques un appareil administratif puissant, et de faire les aménagements publics et privés nécessaires à une exploitation économique. Les Espagnols prirent ce parti-là dans les zones agro-directoriales d'Amérique (k). Les Hollandais en Indonésie et les Britanniques en Inde firent de même. Il en (TimashelT, l'J46 : 34, 313). L a guerre et la r é v o l u t i o n r e t a r d è r e n t l ' e x é c u t i o n de ce plan, mais la politique qui suivit a c c é l é r a quelque peu les choses. Le recensement s o v i é t i q u e de 1939 é t a b l i t que le taux d ' a l p h a b é t i s a t i o n atteignait à ce moment 81,1 % (ibid. : 314). (k) E g a l e m e n t dans les zones non hydrauliques. L a concentration d'un pouvoir c e n t r a l i s é et l ' e x c è s de puissance de l ' E t a t dans les s o c i é t é s coloniales de ces r é g i o n s sont cause de la p r é é m i n e n c e permanente d'une bureaucratie gouvernementale et de l'extraordinaire emprise de sa branche coercitive, l'armée.
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résulta un système de relations humaines qui, bien que différent de la société hydraulique traditionnelle, était également fort loin d'être une réplique de l'Espagne, de la Hollande ou de l'Angleterre. Que les colons aient maintenu sous une forme atrophiée l'ordre rural traditionnel comme firent les Espagnols au Pérou et au Mexique, qu'ils l'aient laissé presque intact comme firent les Hollandais en Indonésie, ou encore qu'ils aient converti leurs champs communaux en propriétés privées, à l'instar des Anglais en Inde, les maîtres administratifs réduisirent les villages à une totale impuissance politique. Et, soit qu'ils aient simplement écarté les marchands indigènes (au Mexique et à Java), soit qu'ils les aient réduits à végéter (au Pérou), soit qu'ils les aient tolérés (en Inde), les nouveaux dominateurs ne firent pas grand-chose pour transformer la société centralisée dont ils avaient hérité. Liés aux régimes absolutistes ou aristocratiques, les gouvernements coloniaux étaient un curieux mélange d'absolutisme oriental et occidental. Et cela bien qu'ils aient de façon permanente employé des dignitaires indigènes (princes, caciques, curacas), ou peut-être dans une certaine mesure, parce qu'ils les employaient, et ces dignitaires perpétuèrent, avec certaines modifications, des schémas séculaires de contrôle politique, social, et religieux. Telle était la situation générale jusqu'à ia révolution industrielle qui en Europe généralisa le mode de gouvernement représentatif, et qui modifia également les régimes coloniaux là où ils subsistaient encore. En effet, l'Inde demeura colonie jusqu'en 1947, tandis que les possessions américaines de l'Espagne conquirent leur indépendance peu après l'ère napoléonienne. Au Mexique et au Pérou post-coloniaux, les républiques parlementaires connurent un rapide essor. Mais ces innovations profitèrent surtout à la bureaucratie, et plus encore à l'armée qui, dans ces pays, comme en d'autres anciennes colonies espagnoles exerçait un extraordinaire pouvoir politique et économique. En Indonésie et en Inde, l'administration était entre les mains d'un corps de fonctionnaires qui reflétait toutes les fluctuations des conditions politiques et sociales de la Hollande et de l'Angleterre. Dans ces deux pays le contrôle exercé par le peuple sur le gouvernement s'accrût, et en dépit des conditions propres à un pays colonial, ce fait influa sur le comportement des fonctionnaires coloniaux envers les populations indigènes. Il est vrai que les Hollandais n'admirent les Indonésiens dans l'administration qu'au 20" siècle (30), et se montrèrent.extrêmement peu disposés à leur accorder des postes de responsabilité. Pourtant,
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à la veille de la seconde guerre mondiale, les Indonésiens occupaient 60,6 % des emplois subalternes, 38 % des cadres moyens, et 6,4 % des postes supérieurs dans le gouvernement (31). En Inde, cette orientation se dessina beaucoup plus tôt et alla beaucoup plus loin. Une année après la loi de réforme qui affermit tant la bourgeoisie anglaise, les postes de la fonction publique indienne devinrent accessibles à tous les Indiens « sans distinction de caste, de croyance ni de race » (32). L'Acte de 1833 n'était guère plus qu'une déclaration de principe, mais devint une réalité à la faveur d'événements ultérieurs. Les Anglais conservèrent le contrôle du gouvernement central (33), mais ils admirent l'autorité croissante des Indiens dans l'administration locale et provinciale jusqu'à ce qu'en 1935 les provinces reçoivent leur complète autonomie de gouvernement (34). Les Indiens et les Indonésiens vinrent de plus en plus nombreux étudier en Europe. Les modes de gouvernement démocratiques étaient donc familiers à l'Inde et à l'Indonésie avant l'indépendance de ces deux pays. Et les premiers actes des deux nouveaux gouvernements les montrèrent soucieux de promouvoir un gouvernement parlementaire, des partis politiques, et de libres associations d'ouvriers, d'hommes d'affaires, de paysans, d'intellectuels. Que signifie tout cela du point de vue de l'évolution ? Dans quelle mesure les démocraties imparfaites du Mexique et du Pérou et les démocraties techniquement avancées de l'Inde et de l'Indonésie révèlent-elles la montée de forces nouvelles visant à remplacer les anciennes sociétés centralisées par un système véritablement décentralisé de relations humaines ? Au Mexique et au Pérou, la domination coloniale espagnole n'encouragea guère — exception faite d'une très brève période — le développement de l'entreprise privée ni la montée d'une bourgeoisie moderne. Les républiques, une fois indépendantes, conservèrent une pesante direction gouvernementale. Au Mexique, les potentiels de puissance et de richesse inhérents à une carrière bureaucratique et militaire retardèrent encore davantage, sans cependant l'arrêter, le développement de l'entreprise privée indépendante. Au Pérou, les Indiens avaient beaucoup moins d'occasions d'accéder aux activités de la bourgeoisie qu'au Mexique. Cependant le passé hydraulique et directorial du pays ne put empêcher de grandes entreprises privées de se constituer tant dans l'agriculture que dans l'industrie. La classe supérieure péruvienne, classe d'entreprise, était, et est encore étroitement liée au capital étranger. Et, si certains de ses membres profitent de leurs liens avec
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le gouvernement, on ne peut considérer ce groupe social dans son ensemble comme- la variante andéenne du capitalisme bureaucratique (m). L'empire inca n'avait pas de classe commerçante à l'arrivée des Espagnols. Au Mexique, les Espagnols semblent avoir supprimé la classe puissante des marchands pochteca. Les Portugais et leurs successeurs les Hollandais « supprimèrent le commerce javanais » ; et les indigènes, « marchands et constructeurs de bateaux perdirent leur travail» (35). Plus tard les Hollandais contrôlèrent la plus grande partie de la grande entreprise en Indonésie ; et ils permirent à un groupe d'« étrangers orientaux », les Chinois, de faire fonction de commerçants et de prêteurs d'argent à un degré intermédiaire. À l'indépendance de l'Indonésie, les Hollandais furent éliminés de l'administration et des affaires dans une large mesure. Les Chinois demeurèrent des étrangers dont on se méfiait (n). Et les Indonésiens eux-mêmes n'eurent jamais une importante bourgeoisie industrielle, commerciale ou financière qui pût combler le fossé entre la nombreuse population paysanne et une élite cultivée, surtout bureaucratique (36). Donc, en Indonésie, une apparente démocratie couvre une structure sociale beaucoup plus proche des modèles hydrauliques centralisés du passé que d'une société moderne décentralisée, industrielle. Le développement de l'Inde diffère de celui de l'Indonésie sur plusieurs points importants. Avant l'arrivée des Anglais, il existait quelques entreprises capitalistes en Inde — moins probablement que ne le prétend une légende récente (37), mais plus que ne le voulait Bernier qui jugeait de l'Inde mongole selon des critères occidentaux. Si les Anglais paralysèrent les activités commerciales indigènes, ils ne les interdirent cependant pas. Au cours de la période coloniale, les hommes d'affaires indiens organisèrent un certain nombre d'industries de transformation, en particulier des industries textiles, et certaines industries lourdes, surtout des aciéries (38), et quand l'Inde devint indépendante, le secteur privé s'était déjà considérablement
(m) P o u r une é t u d e c o m p l è t e d u d é v e l o p p e m e n t i n é g a l d'une bourgeoisie dans les d i f f é r e n t e s parties de la moderne A m é r i q u e latine, v o i r Crevenna, M E C M : passim. (n) E n I n d o n é s i e comme en T h a ï l a n d e et dans d'autres r é g i o n s d u sud-est de l'Asie, on trouve une importante c o m m u n a u t é commerciale chinoise. Mais comme en T h a ï l a n d e , les capitalistes chinois d ' I n d o n é s i e sont c o n s i d é r é s comme des é t r a n g e r s ; et par c o n s é q u e n t ils ne purent jamais assumer le rôle politique d'une bourgeoisie i n d i g è n e i n t é g r é e (voir F u r n i v a l l , 1944 : 414 ; K a h i n , 1952 : 27, 475).
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étendu. Cependant, toutes les estimations concordent sur ce point, ce secteur — et la bourgeoisie moderne qui en est la conséquence — est encore restreint. Les Anglais introduisirent naturellement aussi la propriété privée de la terre. Mais contrairement aux prévisions de Marx, cette réforme n'aida guère au développement de la société occidentale en Inde. La propriété foncière privée n'eut une importance décisive que dans peu de sociétés hydrauliques, et on la trouve, moins importante, dans beaucoup d'autres. Elle tendait à y prendre les formes de la propriété bureaucratique, et de l'absentéisme des propriétaires (39). Les Anglais reconnurent généralement les anciens détenteurs de terre administrative, les jagidars, pour propriétaires. En certaines régions ils firent des zamindars, anciens collecteurs de l'impôt, les nouveaux propriétaires des zones qui avaient relevé de leur juridiction fiscale, et dans beaucoup d'autres régions ils accordèrent aux occupants de la terre, les ryotwari paysans, la propriété de plein droit des terres qu'ils cultivaient. Mais une réforme agraire qui ne s'accompagne pas, pour la protection des nouveaux propriétaires paysans, de mesures éducatives, politiques et économiques appropriées, particulièrement dans le domaine du crédit, ne leur profite guère que momentanément. Le nouveau propriétaire paysan indien devint bientôt la proie des usuriers. Et ils furent ainsi contraints de vendre leur terre à un fonctionnaire, zamindar, ou à quelque autre homme riche qui, en qualité de propriétaire (absent), réclamait la moitié ou plus de la moitié des récoltes. En 1950, « environ 80 % de la terre [était] entre les mains de propriétaires absents, ou en d'autres termes, les quatrecinquièmes de la terre [était] cultivée par des hommes à qui elle n'appartenait pas» (40). Au lieu d'occidentaliser les villages indiens, les Anglais leur imposèrent l'un des pires traits de la possession foncière orientale : la propriété bureaucratique et l'absentéisme des propriétaires. c. - Les pays semi-indépendants
(«semi-coloniaux
»).
L'histoire récente du Proche-Orient (en gros ce qui constituait l'ancien empire turc) et de l'Extrême-Orient continental (la Chine) révèle le développement des pays hydrauliques qui, bien que non colonisés, subissaient très évidemment la pression de l'Occident industriel. Dans l'un et l'autre cas, on assista à une lutte entre les grandes puissances pour le contrôle de ces pays, mais aucune ne fut assez forte pour assurer à elle seule son hégémonie. Dans les deux cas les effets négatifs de l'intervention occidentale, bien que graves, furent contrebalancés par le fait
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que les zones objets de rivalités restèrent indépendantes et que leurs gouvernements jouèrent un rôle actif dans la modernisation de ces pays. Dans le Proche-Orient une série de défaites militaires affaiblirent l'autorité de Constantinople sur les provinces turques, où des princes locaux cherchaient à affermir leur position, d'une part en abolissant les privilèges des fonctionnaires attachés au gouvernement, par exemple les collecteurs d'impôts et les possesseurs de terres administratives, d'autre part en assignant la plus grande partie de la terre à ceux qui la cultivaient. Comme en Inde, les paysans, pauvrement équipés, d'éducation et d'organisation rudimentaires, furent bientôt contraints de vendre leurs propriétés nouvellement acquises à des personnes riches : d'anciens collecteurs d'impôts, des fonctionnaires civils et militaires, les cheiks des villages (41), et les riches citadins appartenant de loin au gouvernement ou tout à fait détachés de lui. La conséquence de ce procédé est que la propriété bureaucratique et l'absentéisme des propriétaires sont les conditions qui ont prévalu jusqu'à nos jours en Egypte, en Syrie, en Irak, au Liban, et dans d'autres parties du Proche-Orient (o). Et l'introduction de certaines innovavations techniques alla de pair avec la perpétuation de formes de société quasi hydrauliques, qui n'encouragèrent guère le développement d'une bourgeoisie ou d'une classe ouvrière modernes, ni d'une paysannerie évoluée et politiquement organisée. La zone centrale du pouvoir ottoman, l'Anatolie, eut une histoire différente. Plus que les provinces dépendantes, qui progressivement se détachèrent, cette région fut soumise à une intervention énergique et directe de la part des grandes puissances. Les Capitulations, qui accordaient aux étrangers privilégiés une exterritorialité juridique et économique, se manifestèrent particulièrement à Constantinople, où vivaient la plupart de ces privilégiés. Ces privilèges s'ajoutèrent à une administration étrangère de la dette turque, et à un Conseil international, et furent un facteur important dans l'affaiblissement de l'économie du pays et de son prestige international (42). Mais c'est au moment où la Turquie fut le plus humiliée qu'elle trouva les plus grandes ressources pour sa résurrection politique et intellectuelle. En 1876, une constitution parle-) V o i r Cooke, 1952 : 40. Cooke n ' i n t e r p r è t e pas la relation entre la situation bureaucratique et la p r o p r i é t é f o n c i è r e dans ces pays comme une c o n s é quence de l ' a u t o r i t é bureaucratique traditionnelle. Mais lui aussi r e c o n n a î t que dans l ' E m p i r e ottoman, les fonctions civiles et militaires, la direction religieuse et la p r o p r i é t é f o n c i è r e se recoupaient (ibid. : 281).
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lementaire fut provisoirement adoptée à Constantinople. Plus tard, c'est dans cette antique région métropolitaine que commença le mouvement de réforme des jeunes Turcs. Et c'est dans cette région aussi que Kemal Ataturk et ses partisans jetèrent les bases du nouvel Etat national turc. La Turquie d'aujourd'hui n'a presque pas de bourgeoisie au sens moderne du terme (43). Mais sur le plan politique on établit un système multi-parti, et sur le plan socio-économique on encouragea le développement de la propriété et de l'entreprise privées. Un observateur averti suppose donc qu'en Turquie le cercle vicieux traditionnel du pouvoir bureaucratique, de l'exploitation et des privilèges est rompu (44). Les fluctuations à la surface du monde politique indiquent la complexité du processus. Mais voici ce que l'on peut dire d'ores et déjà. Le développement de la Turquie moderne, à la fois indépendante de l'Occident mais étroitement liée à lui, révèle bien des similitudes avec celui de la Russie à la fin du 19 siècle et au début du 20 siècle, et au contraire diffère sensiblement de la Chine pré-communiste. Si la présence de grands ensembles économiques basés sur la propriété et l'entreprise privées a été décisive pour la transformation d'une société hydraulique en une société occidentale à centres multiples, aucun pays n'était mieux préparé pour suivre cette voie que la Chine. En Chine, la propriété privée était incontestablement une tradition plus ancienne qu'elle ne l'était en Turquie, ou en Russie tsariste ; et il en allait de même pour l'artisanat et le commerce privés, y compris le grand commerce. Mais le cas de la Chine démontre sans équivoque que le développement d'une bourgeoisie moderne a besoin d'autre chose que d'une grande propriété privée et d'une entreprise privée d'envergure. A partir de 1840, la Chine subit des pressions extérieures. Des traités injustes, des concessions internationales, l'exterritorialité, et le contrôle étranger sur la douane maritime affaiblirent le gouvernement absolutiste à un point tel que ses ennemis intérieurs purent le renverser pour instaurer à sa place une république. Mais les événements qui suivirent la révolution de 1911 firent apparaître la cohésion politique du pays et son inertie sociale. Provisoirement partagée en plusieurs gouvernements de provinces que dirigeaient des chefs de guerre bureaucrates, la Chine ne donna pas naissance à une forte bourgeoisie moderne, et cela bien que de nombreuses communautés commerciales autochtones, tant dans les concessions qu'au dehors, aient appuyé les efforts de modernisation du Dr. Sun Yat-sen. e
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Il n'y eut pas non plus de transformation fondamentale quand en 1927-28, le Kuomintang accomplit sous la direction de Tchang Kaï-chek une réunification, assez imprécise d'ailleurs, de la Chine proprement dite. D'incessantes interventions étrangères aggravées d'opérations communistes d'inspiration soviétique, empêchèrent le gouvernement nationaliste de prendre en main le pays tout entier. Et tandis que les forces bourgeoises exerçaient une influence momentanée sur le gouvernement central, elles restaient inopérantes dans les provinces, qui étaient pour la plupart toujours sous le contrôle d'une bureaucratie agro-directoriale traditionnelle (45). En dépit de tous ces obstacles, la Chine ne demeurait pas stagnante. La technologie occidentale y était accueillie avec de plus en plus d'enthousiasme ; les idées occidentales trouvaient leur expression dans l'éducation, l'amélioration de la situation des femmes, et une presse relativement libre. Libéré du joug étranger, le pays aurait pu connaître une transformation culturelle et sociale accélérée. La seconde guerre mondiale mit un terme aux nombreux privilèges occidentaux qui paralysaient la Chine. Mais ce soulagement apparut trop tard. Il vint dans une guerre au cours de laquelle les Japonais, par l'occupation des ports, objets du traité et des villes industrielles, affaiblirent de façon fatale la bourgeoisie chinoise moderne (46). Une guerre qui permit aux communistes de s'infiltrer au sein d'une société chinoise faiblement intégrée, et durement opprimée. En Turquie, avec la fin de la semi-indépendance, la voie vers une société moderne non communiste était claire et ouverte. En Chine, lorsque cette période prit fin, les possibilités de transformation radicale, ouvertes par les occidentaux, furent bloquées par les communistes. d. - Montée d'une nouvelle impulsion s'appliquant loppement : le communisme soviétique.
au
déve-
Au cours des années vingt, l'Union soviétique était encore trop faible pour influer de façon décisive sur des pays tels que la Turquie, pays auquel elle accordait pourtant une aide économique considérable. Dans les années trente, elle commença à jouer un rôle de premier plan dans la diplomatie internationale. Et après la seconde guerre mondiale, elle entra ouvertement en compétition avec l'Occident pour la direction du monde.
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Ainsi, la montée de l'Union soviétique offre aux héritiers de la société hydraulique une nouvelle alternative. Ceux qui aspiraient à une mutation institutionnelle ne concevaient auparavant qu'un seul but, maintenant ils en envisagent deux, en raison de la révolution bolchevique. Du point de vue du développement que signifie cette révolution ? 4.
-
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HYDRAULIQUE
A
L A CROISÉE
a. - Le problème du développement, lution bolchevique.
DES
CHEMINS
latent sous la Révo-
Des grands pays du monde oriental qui rompaient avec leur passé agro-directorial, le premier à se détourner de la société occidentale fut la Russie. Ce fait est d'une importance capitale, car avant 1917, la Russie était allée très avant dans la voie de l'occidentalisation, et parce que, après 1917, c'est de Russie que partit le mouvement le plus influent d'action anti-occidentale en Asie et ailleurs. On peut mesurer ce qu'était l'occidentalisation de la Russie à l'importance politique du parti bourgeois des « cadets », du parti des socialistes révolutionnaires et des mencheviks qui tous voulaient un gouvernement démocratique et parlementaire. Ce furent ces groupes et non les bolcheviks, qui, après la révolution de février, eurent l'appui de la majorité des paysans, des ouvriers et des soldats. La majorité des paysans suivaient les socialistes révolutionnaires (47) ; la majorité des ouvriers, soit les socialistes révolutionnaires, soit les mencheviks. (En avril 1917, Lénine reconnut que «chez la plupart des délégués des soviets d'ouvriers », les bolcheviks constituaient «une faible minorité») (48). Et il en était de même chez les soldats qui pour la plupart étaient issus de la classe paysanne. Même au cours des élections à l'Assemblée constituante, à l'automne de 1917, plus de soldats votèrent pour les socialistes révolutionnaires que pour les bolcheviks (49). En fait à ces élections, les premiers obtinrent 58 % des suffrages totaux (50). L'intelligentsia était encore moins tentée de suivre les bolcheviks. Les pro-tsaristes s'étaient discrédités politiquement ; les libéraux et les socialistes étaient « également éloignés du tsarisme et du bolchevisme » (51). Il n'est donc pas étonnant qu'après la révolution de février, les partis démocratiques l'aient emporté non seulement dans le gouvernement civil et dans l'armée (52),
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mais encore dans les premiers soviets (53), dans les nouvelles organisations de paysans (54), et dans les syndicats (p). Dans leur programme agraire, les socialistes révolutionnaires réclamaient la distribution de toute la terre «aliénée» aux travailleurs ruraux (55). Programme beaucoup plus séduisant pour les paysans que les projets de Lénine qui prévoyaient qu'après « la nationalisation de la totalité de la terre » les grands domaines seraient cultivés en « fermes modèles... sous le contrôle des délégués des travailleurs agricoles et pour un profit public » (q). Quant à la guerre, tous les groupes démocratiques, s'appuyant sur différents arguments, rejetaient une paix séparée avec l'Allemagne. Et si les bolcheviks jetèrent dans le débat une note violemment anti-capitaliste, eux non plus, à l'origine, ne préconisaient pas cette paix. Dans ses thèses d'avril, Lénine souligna les conditions nécessaires à une « guerre révolutionnaire ». Tout en s'opposant vigoureusement à la ligne alors majoritaire d'une « défense révolutionnaire », il réclama la plus grande patience à l'égard des masses qui acceptaient honnêtement la guerre « comme une nécessité et non comme un moyen de conquête» (56). Et en juin encore il refusa une paix séparée, qui, disait-il, représenterait « un accord avec les pillards allemands, qui volent tout autant que les autres » (57). Le programme de Lénine d'un contrôle par les travailleurs sur la production industrielle (58) devint de plus en plus populaire dans les comités d'usine (59). Mais ce succès ne fit pas des bolcheviks les maîtres des syndicats avant la révolution d'Octobre. Il est évident qu'il existait en Russie, en 1917, une situation historique authentiquement ouverte. Si la nouvelle direction avait défendu et développé les nouvelles libertés suivant un mode vraiment révolutionnaire, elle aurait certainement mené à bien la transformation de la Russie en une société démocratique décentralisée. Mais il lui manquait et l'expérience et la résolution. Craignant de s'aliéner ses alliés occidentaux, elle poursuivit une guerre sans en avoir les moyens. Et craignant de violer les règles d'une procédure légale en bonne et due forme,
(p) Ce furent les mencheviks et non les bolcheviks q u i prirent la direction des syndicats en expansion rapide (Florinsky, 1953, II : 1421). (q) L é n i n e , S, X X I V : 5. E n é n o n ç a n t cet i m p é r a t i f dans ses t h è s e s d ' a v r i l , L é n i n e reprit un principe d u marxisme, que le g r a n d marxiste orthodoxe K a u t s k y avait p a r t i c u l i è r e m e n t t r a v a i l l é . Implicitement, cette ligne politique soustrait aux paysans la terre des grands domaines.
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elle remit l'accomplissement de la nécessaire réforme agraire jusqu'après l'ouverture de l'Assemblée constituante, laquelle ne fut jamais en mesure de fonctionner. C'est ainsi que les bolcheviks eurent enfin leur chance, par erreur. Après l'insurrection de juin, Lénine, révisant sa position antérieure, décida que pour la guerre contre les Allemands « il faut proposer une paix immédiate et sans équivoque» (60). Et il accomplit bientôt une volte-face (*) aussi hardie sur le front intérieur. Ecartant son plan orthodoxe de conversion des grands domaines fonciers en fermes modèles, il adopta in toto (ses adversaires dirent qu'il « vola ») le programme des socialistes révolutionnaires de distribution de la terre aux paysans, programme qu'il avait récemment rejeté et que, il l'admit ouvertement, il n'approuvait toujours pas (61). De plus, il renonça au principe de l'appui de la majorité qu'il avait jusque-là considéré comme la base indispensable à la conquête du pouvoir. Voyant la majorité de la population découragée et égarée par la politique du gouvernement provisoire qui représentait toujours la majorité, Lénine rallia à lui une minorité d'activistes urbains et ruraux qui s'étaient montrés assez forts pour le placer lui et son parti à la barre d'une dictature soviétique. Des conditions internationales plus favorables — et des alliés démocratiques plus compréhensifs et plus coopératifs — auraient pu faire pencher la balance dans l'autre sens. Mais dans cette situation, la faiblesse politique des forces russes tournées vers l'Occident paralysa la révolution radicale du pays et ouvrit la voie à un développement d'un type tout différent. b. - L'U.R.S.S. : Est-ce la restauration asiatique de la Russie ? Où menait tout cela ? Certainement pas à un ordre socialiste au sens où l'entendaient Marx et Lénine avant Octobre. Comme nous l'avons montré dans le chapitre 9, Lénine lui-même à la fin de sa vie croyait la Russie engagée très avant dans la voie d'une restauration asiatique. Le pessimisme de Lénine était la conséquence logique de ses théories antérieures et de ses expériences. Il découlait de sa connaissance de Marx et de l'insistance de celui-ci sur la nécessité d'un contrôle démocratique de type primitif s'exerçant sur l'Etat proto-socialiste, comme la Commune de Paris en donne l'exemple. Il découlait aussi de la théorie de Marx et Engels, selon laquelle les communautés rurales dispersées constituent la base (*)
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économique du despotisme oriental en général et de sa version tsariste en particulier (62). Il découlait de sa propre conception d'une unique garantie « absolue » contre le retour de la révolution russe tant souhaitée à une restauration asiatique : la victoire du socialisme dans l'Occident industrialisé, et d'une unique garantie « relative » : un strict contrôle démocratique du nouveau gouvernement révolutionnaire (pas de bureaucratie, pas d'armée, pas de police). Et il découlait enfin des événements qui suivirent la révolution d'Octobre : il n'y eut pas de révolution socialiste dans les grands pays industriels de l'Occident, et le régime soviétique organisa bientôt une nouvelle bureaucratie, une armée permanente, une police. Boukharine et ses amis « de gauche » s'étaient élevés contre la nouvelle « centralisation bureaucratique » et « l'esclavage de la classe ouvrière » menaçant, et cela dès le printemps de 1918 (63). Le parti communiste avait attaqué « la résurrection partielle de la bureaucratie » dans son programme de 1919. Et, en 1921, il avait dépeint la nouvelle bureaucratie soviétique d'une manière qui ne laissait aucun doute sur sa signification : la nouvelle bureaucratie était le monstre qui menait la Russie vers une restauration asiatique. En 1922, les représentants « non prolétariens » et « intrus » de la nouvelle « machine bureaucratique » étaient si forts que Lénine n'était plus sûr que ce fût encore « la vieille garde du parti », et non ces intrus, qui détenaient le pouvoir. « Qui contrôle qui ? » (64). Seul le « prestige sans partage » de la vieille garde avait jusque-là empêché une victoire complète des forces sociales « intruses ». Et ce prestige pouvait être détruit par une « lutte minime à l'intérieur de sa structure » (65). Il fut en effet détruit peu après la mort de Lénine. Cela ne signifie naturellement pas que la société soviétique ait eu à l'origine une qualité proto-socialiste qu'elle aurait perdue vers 1922 ou peu après. Les mises en garde tardives de Lénine esquissent le problème, mais le montrent aussi lui-même réticent et peu disposé à regarder la réalité en face. Selon Marx et le Lénine d'avant Octobre, le socialisme consiste en une planification économique accompagnée d'un efficace contrôle populaire des planificateurs. Les bolcheviks ne permirent aucun contrôle de cet ordre lorsqu'après s'être emparés du pouvoir par des moyens révolutionnaires, ils entreprirent une planification économique sur une échelle toujours plus vaste. Si l'on en juge par les critères marxistes-léninistes, il y avait bien des socialistes subjectifs en Russie soviétique, mais il n'y eut jamais de socialisme.
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11 n'y eut pas davantage de restauration asiatique. Il est facile de comprendre pourquoi, en 1921, Lénine avait considéré la nouvelle bureaucratie soviétique comme une autorité régnant sur des petits producteurs isolés et non organisés. A la fin de la guerre civile, en 1920, la grande industrie ne produisait guère plus de 10 % de sa production d'avant-guerre (66), et la plupart des travailleurs de l'industrie étaient retournés dans leurs villages. Le pays reposait surtout sur une économie rurale fragmentée, et sur ce qui survivait de la petite industrie (r) dans les villages et dans les villes réduites (s). Lénine alla jusqu'à dire en 1921 : « Le prolétariat a disparu » (67). Ces conditions expliquent pourquoi, entre 1921 et 1923, Lénine interpréta la nouvelle bureaucratie dans les termes que les marxistes appliquaient d'ordinaire au despotisme oriental. Elles expliquent aussi pourquoi il parla de la pauvreté « semi-asiatique » de la culture et du mode de commerce «asiatique» des paysans (68). Pourtant il commettait une profonde erreur en croyant que les hommes du nouvel appareil d'Etat instauraient une version nouvelle du vieux système asiatique de la Russie. 11 se trompait parce qu'il sous-estimait le sens économique des hommes du nouvel appareil. Ces hommes ne se contenteraient pas de régner sur un monde de paysans et d'artisans. Ils savaient quel potentiel représentait l'industrie moderne. Possédés d'une sorte de vision socialiste quasi-religieuse (t), ils luttèrent pour la réaliser, d'abord dans le cadre du maximum de production antérieur de la Russie, et, à partir du premier plan quinquennal, le dépassant de loin. Donc, tandis que les maîtres de la Russie soviétique perpétuaient l'un des traits clés de la société agro-directoriale, la position de monopole de sa bureaucratie dominante, ils faisaient plus que perpétuer cette société. Même avant la collectivisation de l'agriculture, les apparatchiki soviétiques disposaient d'un système mécanisé de communication et d'industrie qui les plaçait dans une position semi-directoriale différente et potentiellement supérieure à celle, semi-directoriale, d'une bureaucratie agro-hydraulique. L'appareil industriel nationalisé de l'ordre semidirectorial leur fournit les armes nouvelles de l'organisation, de la propagande et de la coercition, qui leur (r) E n 1920, la petite industrie russe produisait encore e n v i r o n 44 % de la production de 1913 ( B a y k o v , 1947 : 41). (s) Les villes perdirent un tiers et quelquefois plus de la m o i t i é de leur population ( B a y k o v , 1947 : 41). (t) P o u r une i n t e r p r é t a t i o n d u m a r x i s m e - l é n i n i s m e comme une religion s é c u l i è r e , v o i r G u r i a n , 1931 : 192 s q q .
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permit de liquider les petits producteurs paysans en tant que catégorie sociale. La collectivisation transforma les paysans en travailleurs agricoles peinant pour un maître unique : le nouvel appareil d'Etat (u). Le despotisme agraire de l'ancienne société, tout au plus semi-directorial, alliait le pouvoir politique total au contrôle social et intellectuel limité. Le despotisme industriel de la société d'appareil directorial total allie le pouvoir politique total au contrôle social et intellectuel total. Rappelant combien Lénine soulignait l'importance de « l'appareil », moyen de s'emparer du pouvoir total et de le garder, j'ai désigné l'Etat authentiquement despotique en insistant sur la liaison entre 1'« Etat » et 1'« appareil ». Ce terme s'applique aux formes agraires et industrielles de l'étatisme total. Existe-t-il une désignation marxiste pour la nouvelle société d'appareil industriel ? On a appelé cette nouvelle société basée sur un appareil gouvernemental « néo-féodalisme » et « capitalisme d'Etat ». Ni l'une ni l'autre de ces formules n'est satisfaisante. « Féodalisme » est un terme qui ne s'applique pas aux ordres politiques les plus centralisés, jusqu'à présent connus, et « capitalisme d'Etat » ne convient pas à une formation qui exclut les moyens privés de production et le marché ouvert tant pour les marchandises que pour la main-d'œuvre. Marx avait évidemment surestimé l'oppression exercée par la société orientale, qu'il tenait pour un système d'< esclavage généralisé» (69). Cette appellation devient ironiquement appropriée pour désigner la nouvelle société basée sur un appareil de type industriel. Nous pouvons dire sans déguiser la vérité que la révolution d'Octobre, quels qu'aient été ses buts déclarés, donna naissance à un système d'esclavage généralisé fondé sur l'industrie. c. - La Chine communiste est-elle le produit d'une authentique restauration asiatique ? Et la Chine communiste ? A la différence de la Russie qui, au 20 siècle, marcha à grands pas vers l'industrialisation, la Chine était avant tout un pays agricole lorsque les communistes entrèrent dans l'arène peu après la première guerre mondiale. Et il n'existait guère de bourgeoisie moderne chinoise lorsque les communistes réclamèrent finalement le pouvoir après la deuxième guerre mondiale. N'est-il donc pas certain que Mao Tsé-toung et ses partisans instaurèrent en Chine un despotisme agraire qui, en e
(u) P o u r une analyse pilote de l ' U n i o n s o v i é t i q u e c o n ç u e nouvelle s o c i é t é d i v i s é e en classes, v o i r Meyer, 1950 : passim.
comme
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dépit de modifications de surface, a une étroite ressemblance avec les grands régimes despotiques du passé ? En fait, des observateurs assez nombreux ont cru, parce que Mao Tsé-toung s'était pendant un certain temps, replié sur les campagnes, que sa doctrine était une déviation vers l'agriculture du marxisme-léninisme orienté, lui, vers la construction industrielle. Mais une telle interprétation néglige autant les objectifs stratégiques de l'Internationale communiste que les raisons qui poussèrent les communistes chinois à s'y tenir au cours de la phase agraire de leurs opérations (70). L'homme est naturellement idéologue ; il agit en accord avec ses convictions les plus intimes ; et cela, que son idéal soit laïque ou religieux. Une foi philosophique ou politique complète, comme le communisme, fournit à ses fidèles une carte du monde, un arsenal de directives pratiques (un «guide pour l'action»), un drapeau, et un puissant mythe politique. Elle inspire à ceux qui la professent une confiance suprême et paralyse ceux de leurs ennemis qui se laissent impressionner par elle (71). Du point de vue des Chinois, l'idéologie soviétique s'est montrée singulièrement efficace. Il est vrai que certains traits du développement idéal ont dû être retouchés ; et le nouvel ordre « socialiste » ou « proto-socialiste » ne concorde guère avec le concept marxien de socialisme. Mais ces modifications affectent des points de la doctrine communiste qui ne furent jamais impératifs pour les communistes chinois — ni d'ailleurs pour les communistes des pays « retardataires » en général. Le tragique apparaît dans la vie de Lénine ; ses mises en garde ésopiennes contre l'orientation néo-« asiatique » de la société soviétique le révèlent douloureusement conscient d'avoir trahi les principes de sa foi socialiste. Il n'existe aucun tragique analogue dans la carrière de Mao Tsé-toung, parce qu'il n'y a pas pour lui un problème de conscience analogue. Mao Tsé-toung n'a pas trahi les principes du socialisme, pour la simple raison que ces principes, qu'il professa officiellement, n'ont jamais eu pour lui aucune signification. Si les doutes de Lénine n'effleurèrent pas les communistes chinois, la puissance stratégique de Moscou fut par contre pour eux l'objet d'une fascination. Voilà un système révolutionnaire mobilisateur pour le peuple, qui, assorti à une bonne organisation, mènerait à une victoire définitive. Il l'avait prouvé en Russie. Et, convenablement adapté — l'analyse communiste des conditions générales va très avant dans les détails — il se montrerait également efficace dans d'autres pays. Ce système nécessitait l'industrialisation de toutes les régions dominées par le communisme, non pour des raisons d'académisme mais parce
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que le succès du communisme dans le domaine politicosocial dépendait en dernière analyse de son succès dans la sphère industrielle. Le lien est évident entre ces idées et les plans à longue échéance des communistes chinois. Un Mao Tsétoung qui envisagerait le retour à l'économie rurale comme un principe permanent et non comme une tactique provisoire ne serait pas un communiste hétérodoxe mais un imbécile. Il ressemblerait à l'homme qui préférait un bâton à un fusil parce qu'autrefois dans les bois, il ne disposait pour se battre que d'un bâton. Mais Mao Tsé-toung n'est pas un imbécile. Ni lui ni ses partisans ne se sont jamais considérés comme les chefs d'un parti paysan (v), aux actions guidées et limitées par des intérêts de village. Quand les conditions de la guerre civile obligèrent les communistes chinois à opérer à la campagne, ils se tinrent cependant toujours prêts à rentrer dans les villes. Et lorsqu'ils s'emparèrent des villes, ils firent exactement comme les bolcheviks après la révolution d'Octobre. Ils restaurèrent, consolidèrent et développèrent ce qu'il y avait d'industries ; et ils se montrèrent extrêmement soucieux de contrôler l'industrie moderne (w) et les communications mécanisées. Ils s'intéressèrent donc aussi peu à une éventuelle restauration asiatique que les maîtres bureaucratiques de l'appareil d'Etat soviétique. Tenant compte des particularités de leur pays, de ses conditions « retardataires » et « semi-coloniales », les communistes chinois procédèrent rapidement à l'instauration d'un nouvel ordre semi-directorial, différant, tant en structure qu'en orientation potentielle de développement, de l'ordre semi-directorial du despotisme agraire. L'ultérieure collectivisation des campagnes qui succéda à la distribution des terres plus rapidement qu'en U.R.S.S., prouve que les communistes chinois étaient résolus à passer sans délai d'un ordre semi-directorial à un ordre directorial total. L'intégration rapide des paysans chinois dans des collectivités primaires appelées coopératives de producteurs, montre que la Chine communiste tend rapide-
(v) L a t t i m o r e p r é t e n d i t qu'au cours des d i x d e r n i è r e s a n n é e s qui p r é c é d è r e n t la guerre sino-japonaise, les communistes chinois « c o u p é s des villes et des travailleurs urbains, é t a i e n t devenus u n parti de paysans » [ L a t t i m o r e , 1947 ( 1 " é d i t i o n 1945) : 108]. (w) C i n q a n n é e s a p r è s l ' é t a b l i s s e m e n t de l a R é p u b l i q u e populaire chinoise, 75 % d u rendement de toutes les entreprises industrielles provenaient des industries de l ' E t a t , des « groupes semi-publics » e t des entreprises c o o p é r a tives, le premier complexe fournissant 59 % ; le second 12 % et le t r o i s i è m e 4 % . A ce m o m e n t - l à , le rendement de l'industrie p r i v é e é t a i t t o m b é à 25 % du total (Renmin Ribao, 23 septembre 1955, P é k i n ) .
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ment d'un ordre semi-directorial à un ordre directorial total. Selon un compte rendu du 27 décembre 1955, Mao Tsé-toung prévoit que l'ensemble des paysans chinois feraient partie, dès la fin de l'année 1956, de coopératives semi-socialistes (qui reconnaîtront encore un certain lien entre la terre et les propriétaires paysans), et que dès la fin de l'année 1959 la socialisation serait «totale» (x). C. _
OÙ VA L'ASIE ?
Il est évident que l'avènement d'un régime communiste en Chine affecta les pays coloniaux et semi-coloniaux d'Orient de façon beaucoup plus directe que ne l'avait fait l'installation d'un régime analogue en U.R.S.S. La Russie où Lénine s'empara du pouvoir apparaissait aux yeux des orientaux comme un pays européen — un pays qui, de plus, avait exercé dans un passé très proche encore une domination impérialiste sur de vastes territoires de l'Asie. La Chine où le parti de Mao Tsé-toung prit le pouvoir passait encore pour un pays oriental, et avait profondément souffert de l'impérialisme de l'Occident et du Japon. Naturellement l'anti-impérialisme communiste fit appel aux révolutionnaires nationalistes avant que les communistes chinois n'aient pris le pouvoir sur le continent. L'Union soviétique établit d'amicales relations avec la Turquie d'Ataturk dès 1920, et ensuite avec Sun Yat-sen et son gouvernement cantonais dès 1923. Et l'on remarquait la présence de Nehru au premier Congrès de la Ligue anti-impérialiste, organisé par les communistes à Bruxelles en 1927 (1). Mais si, dans les années vingt, les révolutionnaires nationalistes asiatiques pouvaient négliger la conquête par les soviétiques de la Géorgie et du Turkestan, ils ne purent rester absolument indifférents à l'expansion de Moscou vers l'Europe orientale après la seconde guerre mondiale, et particulièrement à l'occupation par Pékin du Tibet, région majeure d'Asie centrale, dont Mao Tsé-toung avait publiquement reconnu au cours des années trente le droit à l'indépendance (2). Ils répondirent à cette évolution par
(x) P o u r le compte r e n d u de M a o T s é - t o u n g c i t é ici, v o i r les Izvestia d u 13 j a n v i e r 1956. V o i r W i t t f o g e l , 1955a : W a l k e r , 1955 : 149 s q q . ; T a n g (MS). (*) L'Asie et la domination occidentale, t r a d u c t i o n f r a n ç a i s e . Ed. du Seuil (N. d. T . ) . 19
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«ne sorte de semi-anti-impérialisme (a), toujours prompt à attaquer les forces chancelantes d'un impérialisme capitaliste vieilli et déclinant, mais peu enclin par contre à critiquer le colonialisme totalitaire de la Russie et de la Chine communistes. Un tel comportement fait apparaître clairement que l'hostilité à l'impérialisme occidental n'est que l'une des raisons de la popularité des régimes communistes en Asie non communiste. Il faut chercher une autre cause, et infiniment plus puissante, dans l'affinité et l'admiration pour le système communiste d'étatisme directorial. L'analyste politique qui n'envisage que la forme du gouvernement peut rétorquer qu'après leur émancipation, la plupart des pays non communistes d'Orient ont rendu hommage à la forme parlementaire de gouvernement et que dans quelques pays asiatiques, en Inde par exemple, les chefs politiques prennent très au sérieux leur foi démocratique. C'est vrai. Mais l'analyste politique qui examine en profondeur le phénomène gouvernemental, sait que dans des contextes institutionnels différents, la même forme peut avoir des contenus différents. Le sénat romain à l'apogée de la république n'avait plus rien de commun avec l'assemblée qui, sous le même nom, siégeait au temps de l'empire ; et l'attachement sentimental d'Auguste pour les glorieuses traditions de Rome ne fit pas revivre la république, car Auguste avait bien soin de tenir le centre suprême du pouvoir au-dessus et à l'écart de tout contrôle effectif. Où va l'Asie ? Pour répondre à cette question, il faut se souvenir que la colonisation capitaliste au cours de ses trois siècles d'existence n'a pas réussi à développer en Orient des sociétés décentralisées, fondées sur une forte bourgeoisie, une classe ouvrière organisée et une paysannerie indépendante. Il faut se rappeler que la plupart des constitutions des nouvelles nations souveraines d'Asie proclament directement ou indirectement, que l'étatisme est l'un des traits fondamentaux de leur gouvernement (b). Il faut se rappeler que dans de nombreux cas Ataturk excepté (3) — la volonté d'établir l'étatisme
(a) O n trouve un excellent exemple de cette attitude s e m i - a n t i - i m p é r i a l i s t e dans Asia and Western Dominance (*) de P a n i k k a r . L ' a u t e u r indien critique ouvertement l ' i m p é r i a l i s m e occidental et m é n a g e l ' i m p é r i a l i s m e communiste. C i t a n t Lattirnore, il est plein d'indulgence pour l ' i m p é r i a l i s m e tsariste, voyant é v i d e m m e n t l à la p r é f i g u r a t i o n de l ' i m p é r i a l i s m e s o v i é t i q u e moderne (Panikkar, A W D : 249 sqq.). (b) L e principe de l ' é t a t i s m e est solennellement p r o c l a m é dans l'article 2 de la constitution turque. Il a p p a r a î t aussi dans l ' é n o n c é des constitutions de la Chine nationaliste, de l'Inde, de l a B i r m a n i e , de l ' I n d o n é s i e .
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s'appuya sur les principes sociaux-démocratiques et que dans la plupart de ces derniers cas — Sun Yat-sen excepté — ces sociaux-démocrates se réclamaient aussi de Marx. Le spécialiste de l'Asie cherche naturellement à discerner jusqu'à quel point les socialistes asiatiques prennent au sérieux les théories asiatiques de Marx : celle du mode asiatique de production, qui voit dans la propriété privée un élément clé pour le renversement de la société asiatique et de son pesant Etat ; son concept de développement multilinéaire et sa méfiance à l'égard de tout schéma simple de développement unilinéaire ; sa définition du socialisme qui fait du contrôle populaire un élément essentiel, et qui interdit de nommer socialistes ou proto-socialistes la Russie et la Chine communistes ; et son interprétation « orientale » de la Russie tsariste qui fit craindre à Lénine et à Plékhanov l'éventualité d'une restauration asiatique. Si étrange que cela paraisse, les socialistes asiatiques montrent autant d'indifférence envers ces théories que les communistes asiatiques. Et cela vaut pour les porte-parole des partis socialistes au même titre que pour les socialistes qui, tel Nehru, n'appartiennent pas à ces organisations. Nehru, qui trouva « l'analyse générale que fait Marx du développement social... remarquablement juste » (4) n'attache visiblement pas une importance particulière à son analyse du développement social de l'Inde, analyse qu'il n'a pu ignorer, les écrits de Marx sur cette question ayant été diffusés en Inde par plusieurs éditions. Naturellement, les représentants officiels des différents partis socialistes asiatiques ont adressé au totalitarisme de l'U.R.S.S. et de la Chine des attaques virulentes. Mais en négligeant les théories de Marx sur la société asiatique et sur le socialisme asiatique, ils négligent ce qui, du point de vue du « socialisme scientifique », constituerait le test décisif. Et ils dissimulent les graves conséquences de leur propre passé social en le qualifiant de « féodal » et en le plaçant dans un grossier schéma de développement uni-linéaire ( 5 ) . On ne peut excuser de tels procédés en alléguant que les démocrates marxistes ont eux-mêmes négligé les théories asiatiques de Marx. Car si les socialistes européens n'ont pas tiré les conclusions politiques de Plékhanov, ils ont cependant reconnu le concept marxien du mode asiatique de production. En fait, Rosa Luxembourg, qui est tenue en haute estime par le leader socialiste indien Mehta (6), a ouvertement analysé le caractère hydraulique et l'immobilisme des sociétés orientales (7).
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Mais, même si les socialistes européens ont négligé ces sociétés, parce que cette question ne les concerne pas directement, les socialistes asiatiques n'ont pas la même excuse. L'Asie étant pour eux la question brûlante, ils auraient dû prêter une attention particulière à ce que dit Marx à ce sujet. Au contraire, ils se détournèrent obstinément de la théorie de Marx et d'Engels sur la société asiatique. Cette lacune n'empêche pas les socialistes asiatiques de s'élever contre « l'hypertrophie de la bureaucratie » dans leurs pays (8), et de rejeter les régimes communistes russes et chinois (9). Mais cette omission appuie tacitement une politique qui tente de dépasser le plus rapidement possible ce que Marx appelle « la plus grande aspiration de la société asiatique » — la propriété privée de la terre (10). Et cette même négligence est également favorable à une attitude de sympathie envers l'étatisme directorial de l'U.R.S.S. et de la Chine communistes. Dans les années trente, Nehru pensait que l'Union soviétique était « gouvernée par les représentants des ouvriers et des paysans » et que c'était « à plusieurs points de vue ... le pays du monde le plus évolué» (11). Vers 1940 il cita en s'y associant le jugement de Tagore, selon lequel l'U.R.S.S. « ignore les distinctions de classes, génératrices de conflits », son régime se fondant non sur l'exploitation mais sur la coopération (12). En en 1950 il identifia les maîtres despotiques de la Russie et de la Chine communistes à leurs peuples ; et il dit de Mao Tsé-toung et de ses lieutenants (13.) qu'ils promouvaient la liberté de ceux qu'ils dominaient (c). Comme son homologue indien, le premier ministre de Birmanie, U Nu, ne semble pas conscient du péril de l'expansion communiste. Mais en 1954, il nota avec fierté la puissance intérieure et extérieure du régime de Mao Tsétoung. Et il loua les communistes chinois d'avoir supprimé la corruption et d'avoir amélioré les conditions des «multitudes piétinées par millions » (14). Et sa louange va à un régime qui de son propre aveu répété était en proie à la corruption. Et précisément à un moment où la politique de Mao Tsé-toung de « coopérativisation » forcée brisait les reins de la paysannerie chinoise (15). Si l'on excepte le Japon — qui ne fut jamais un pays hydraulique — et si l'on tient compte des différences régionales, nous trouvons que la plupart des nations non communistes de l'Orient sont institutionnellement ambivalentes et influencées par une idéologie semi-commu(c) L ' a p p r é c i a t i o n par N e h r u d u r é g i m e de M a o T s é - t o u n g a subi r é c e m ment une c o n s i d é r a b l e r é v i s i o n .
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niste ou crypto-communiste qui, donnant une autorité renouvelée au marxisme-léninisme, tel qu'il fut exposé à la suite des discussions de Leningrad en 1931, tend à limiter leur indépendance. Faut-il en conclure que l'une après l'autre les nations idéologiquement influencées renonceront à résister à l'érosion politique qui constitue la stratégie communiste ? Une telle évolution est parfaitement possible. Et bien que de telles conséquences aillent beaucoup plus loin qu'une simple « restauration asiatique », dans un certain sens on pourrait au moins lui appliquer cette qualification : ce serait une manifestation spectaculaire d'involution sociale. D. — OU VA LA SOCIÉTÉ OCCIDENTALE ? OU VA L'HUMANITÉ ? L'Occident peut-il faire obstacle à ce développement, qui étendrait le système d'esclavage bureaucratique aux deux-tiers de l'humanité ? L'histoire de la Russie pré-bolchevique prouve que les nations de type oriental, indépendantes et en contact étroit avec l'Occident peuvent connaître une évolution vivacc vers un type de société décentralisée et démocratique. Comme nous l'avons dit plus haut, une transformation radicale de ce genre a commencé dans de nombreux pays non communistes de l'Orient ; et, avec le temps et des conditions favorables, ce mouvement peut prendre des dimensions considérables. Mais en aura-t-il le temps ? Aura-t-il ses chances ? Déjà le temps est mûr. Et, si l'on veut que l'Occident profite heureusement de l'occasion opportune, il doit avoir, envers le totalitarisme bureaucratique, une attitude qui soit informée et hardie. Aujourd'hui l'attitude de l'Occident n'est ni informée ni hardie. L'opinion publique dans les principales nations d'Occident est divisée sur le problème de la forme et de la fonction de la bureaucratie directoriale ; elle l'est également sur celui de la forme et de la fonction de la propriété et de l'entreprise privées. La seconde révolution industrielle, actuellement en cours, perpétue le principe d'une société décentralisée, au moyen de ses grands complexes bureaucratisés qui se contrôlent mutuellement — et latéralement (a) : surtout le « grand gouvernement », le (a) L a d i m i n u t i o n des c o n t r ô l e s v e r t i c a u x e x e r c é s p a r l a b a s e ( é l e c t e u r s , a c t i o n n a i r e s e t s y n d i q u é s de b a s e ) v a de p a i r a v e c l ' a u g m e n t a t i o n des c o n t r ô l e s l a t é r a u x . C e s d e r n i e r s ne s o n t p a s n o u v e a u x ( v o i r l ' h i s t o i r e de l a l é g i s l a t i o n de l ' i n d u s t r i e e n A n g l e t e r r e ) . M a i s s ' i l s o n t p r i s de l ' i m p o r t a n c e , les r é c e n t e s r é v o l u t i o n s c o m m u n i s t e e t f a s c i s t e p r o u v e n t q u ' i l s ne s o n t p a s t r è s c a p a b l e s de s ' o p p o s e r à u n e a c c u m u l a t i o n t o t a l i t a i r e d u p o u v o i r .
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« grand capital », la « grande agriculture », et la « grande classa ouvrière» (big labor). Mais la destruction de l'un de ces grands complexes non gouvernementaux peut entraîner la chute des autres. Sous le fascisme et le national-socialisme, la liquidation de la «grande classe ouvrière » conféra au « grand gouvernement » une telle puissance que bientôt le « grand capital » et la « grande agriculture » furent à leur tour menacés (b). Et en Russie soviétique la liquidation du « grand capital » et de la « grande agriculture » permit bientôt au « grand gouvernement » de soumettre aussi le travail. Ces expériences devraient nous mettre en garde contre les dangers inhérents à une domination incontrôlée de la bureaucratie. Dans quelle mesure peut-on faire confiance aux membres de l'un quelconque des « grands » groupes et croire qu'ils utiliseront le pouvoir suprême et total, quand ils l'auront acquis, non pour servir leurs propres intérêts mais pour servir les intérêts du peuple ? Dans quelle mesure peut-on se fier au jugement des membres actifs ou non de nos bureaucraties cloisonnées, qui envisagent la forme communiste de bureaucratie de monopole comme une forme progressive de totalitarisme? (c). Les écrivains, les enseignants, les politiciens occidentaux qui ne comprennent pas le sens de notre héritage institutionnel et culturel ne sont guère qualifiés pour en libérer le potentiel créateur. Et ils ne sont guère armés non plus pour combattre le totalitarisme communiste. Car si nécessaires que soient un équipement militaire et une courageuse politique économique, ce ne sont que deux éléments parmi tant d'autres tout aussi essentiels. Tout aussi important est le maniement judicieux des transformations institutionnelles. Et plus importante que tout, plus fondamentale, est la compréhension parfaite du cours multiforme de l'histoire et des possibilités et des responsabilités qu'il confère à un homme libre. Nous nous trouvons sans aucun doute dans une situation historique ouverte, où existe effectivement une liberté (b) Avant la fin de la seconde guerre mondiale on a essayé à plusieurs reprises d'analyser l'orientation institutionnelle du fascisme italien et allemand ; mais la comparaison avec le totalitarisme communiste est soit superficielle, soit tout à fait inexistante. Au cours des dernières années, on n'a guère manifesté d'intérêt pour des études comparatives du totalitarisme moderne, où soit également examiné le phénomène fasciste. Le rôle de Moscou dans l'avènement d'Hitler au pouvoir est de même une question négligée. (c) Lorsque John K. Fairbank souligna t la distinction entre les formes de totalitarisme, progressiste dans le cas du communisme et conservateur dans le cas du fascisme » (Fairbank, 1947 : 149, c'est moi qui souligne), il ne fit qu'exprimer une opinion partagée actuellement par nombre de fonctionnaires et d'intellectuels.
r
LA
SOCIÉTÉ ORIENTALE E N TRANSITION
(10,
539
de choix. Mais nos erreurs passées et nos hésitations présentes prouvent que jusqu'à présent nous n'avons pas su utiliser les possibilités qui nous étaient offertes. Nous n'avons pas donné carrière aux forces anti-totalitaires du monde occidental. Et en plus de cela, nous avons fait peu de choses pour renforcer les éléments anti-totalitaires au sein des sociétés hydrauliques en transition. Mais, si le royaume de la liberté est de plus en plus étroit, le désir de le défendre et d'en faire reculer les bornes est de plus en plus grand. Contraints brutalement à prendre conscience de notre situation, nous pouvons encore apprendre à arracher la victoire. Une perspicacité nouvelle, pleinement consentie, audacieusement mise en pratique, communiquée de façon convaincante, peut changer l'aspect d'une campagne qui est à la fois militaire et idéologicopolitique. Elle peut changer l'aspect d'une crise historique. En lin de compte, le fait d'accepter les sacrifices avec enthousiasme, de prendre sans répugnance le risque précis de faire alliance contre l'ennemi totalitaire repose sur une juste évaluation de deux problèmes simples : l'esclavage et la liberté. Les bons citoyens de la Grèce classique s'inspiraient de l'exemple de deux de leurs compatriotes, Sperthias et Bulis, qui surent résister à l'appât du pouvoir total. Allant à Suse, les envoyés Spartiates rencontrèrent Hydarnes, haut fonctionnaire perse, qui leur offrit de les rendre puissants dans sa patrie, s'ils voulaient s'attacher au service du Grand Roi, son maître despotique. Pour l'édification de la Grèce, et de tous les hommes libres, Hérodote nous a conservé leur réponse. « Hydarnes, dirent-ils, tu es un conseiller partial. Tu as fait l'expérience de l'une des conditions mais tu ne connais pas l'autre. Tu sais ce qu'est la vie d'un esclave mais n'ayant jamais goûté à la liberté, tu ne peux savoir si elle est douce. Ah, si tu savais ce qu'est la liberté, tu nous aurais conseillé de nous battre pour elle, non seulement avec la lance, mais avec la hache aussi ».
NOTES
INTRODUCTION
tân,
(1) P o u r la documentation concernant chap. 7, notes de la p r e m i è r e partie. (2) M i l l , 1909 : 210. (3) Ibid. : 211. (4) B u r y , 1910 : 1. (5) V o i r plus loin, chap. 4 et 8. (6) V o i r plus loin, chap. 4. (7) D A S P , 1931 : 89. (8) T o l s t o v , 1950 : 3. (9) M a r x , T M W , 11, P t . 1 : 310 s q q .
ses
appréciations,
' (10) P o u r documents à l'appui des affirmations ptssim.
n
(11) (12) (13) (14) (15) (16) (17) (18) (19) (20)
ci-dessus,
voir
Wittfogel, 1924 : 122, voir 49. Ibid. : 117. Ibid., 1926 : 25. Ibid. : 16. Ibid. : 20-7. Ibid., 1927 : 314, 315 s q q . , 320 s q q . , 324 s q q . Ibid., 1929 : 606. Ibid., 1931 : passim. Inoslrannaua Kniga (Moscou), N ° 1, 1931 : 20. M a r x , N Y D T , 22 j u i n 1853. 1, C
(t)
Widtsoe,
1926 : 64.
1, D (1) Nelson, 1938 : 8. (21 Widtsoe, 1926 : 5 2, A (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) (10) (11) (12) (13) 14) 15) (16)
voir plus
W i t t f o g e l , 1956 : 157. W i t t f o g e l , 1931 : 312, 424, 337-44. Ibid., 1956 : 158. B u c k , 1937 : 61. V o i r W i t t f o g e l , 1931 : 253 s q q . , 261 s q q . , 267 s q q . B u c k l e y , 1893 : 10. V o i r M a r s h a l l , I : 6. R R C A I : 359. V o i r Saha, 1930 : 12. V o i r Strabon 16.1.10. W i t t f o g e l et F e n g , 1949 : 661, n. 52. W i l l c o c k s , 1904 : 70. V o i r H u m b o l d t , 1811 : II : 193 s q q . Beech, 1911 : 15. Parsons, 1939, I : 111. G u t m a n n , 1909 : 20. E c k et L i e f r i n c k , 1876 : 228 sqq. D e i m e l , 1928 : 34. Ibid., 1931 : 83. Sethe, 1912 : 710 s q q .
chap. 9,
544
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
(17) Arthashastra, 1926 : 60. Arthashastra, 1923 : 51 s q q . (18) Bias Valeras = Garcilaso, 1945, I : 245. (19) Sahagun, 1938, I : 292, 296. (20) R a m i r e z , 1944 : 52, 75. Tezozomoc, 1944 : 381, 385. (21) Willcocks, 1889 : 274. (22) Ibid. : 279. 23) Ibid. 24) G u t m a n n , 1926 : 369, 374. (25) Parsons, 1939, I : 124-6. Wittíogel et Goldfrank, 1943
: 29.
2, C (1) V o i r Wittfogel, 1931 : 456 F ê n g , 1949 : 123, 467. (2) H é r o d o t e , 2.109.
logel et
sqq., 680 sqq. Ibid., 1938 : 98 sqq. Witt-
2, D (1) R e e d , 1937 : 373. R o b i n s , 1946 : 91 s q q . , 129 s q q . (2) P o u r Palenque, voir Stephens, I T C A , II : 321, 344. P o u r le Mexique a z t è q u e , voir Tezozomoc, 1944 : 23, 379 s q q . ; C h i m a l p a h i n Quauhtlehuanitzin : 117, 128. (3) V o i r Pietschmann, 1889 : 70. (4) V o i r Cahen, 1940 : 132. (5) Jacobsen et L l o y d , 1935. : 31 L u c k e n b i l l , A R , II : 150. V o i r Olmstead, 1923 : 332 ; T h o m p s o n et H u t c h i n s o n , 1929 s q q . (6) V o i r plus loin, chap. 6. (7) Heichelheim, 1938 : 728. V o i r aussi plus loin, chap. 7. (8) W i l l i a m s , 1910 : 168. V o i r S o m b a r t , 1919, I : 396 : II : 252. (9) Kulisher, A W , II : 381 s q q . (10) W i l l i a m s , 1910 : 168. (11) S o m b a r t , 1919, II : 251. (12) W i l l i a m s , 1910 : 168. (13) Kees, 1933 : 129, voir 109. Breasted, 1927 : 147 et passim. (14) T h o m p s o n , 1941 : 515. (15) V o i r Shih Chi, 29.3a-b, 4b-5a, 5b-6a, 7b-8a, 126. 15b. Han Shu, 29.2b-3a, 4a-b, 5a-b, 7a-8a, 89.14b-15a. P o u r traduction et commentaire, v o i r M S H C S , C h ' i n - H a n , II (3) (4) (36) (43) (54) (55) (56) (72). (16) V o i r Shih Chi, 29.2a-b, 4a-b. Han Shu, 29.1b-2a, 3b-4a, 64a.6b. Hou Han Shu, 35.3b. P o u r traduction et commentaire, voir M S H C S , Ch'inH a n , I V (1) (6) (32) (66). (17) Sui Shu, 3.11a, voir 5a. (18) Kulisher, A W , II : 6. (19) K i n g , 1927 : 97 s q q . (20) D u n d a s , 1924 : 73 ; voir W i d e n m a n n , 1899 : 63 s q q . (21) D u n d a s , 1924 : 73. (22) Ibid. : 95 s q q . (23) Ibid. V o i r W i d e n m a n n , 1899 : 63 s q q . (24) Cortes, 1866 : passim. D i a z , 1944 : passim. V o i r V a i l l a n t , 1941 : 135. (25) A r m i l l a s , 1944 : passim. V a i l l a n t , 1941 : 219. (26) Jerez, 1938 : 38. Sancho de la H o s , 1938 : 177 s q q . Cieza, : 1945. 206 s q q . , 245. Ondegardo, 1872 : 75 sqq. Garcilaso, 1945, II : 31, 146 sqq. E s p i n o s a , 1942 : 565 s q q . Cobo, H N M , I V : 65 s q q . , 207 s q q . V o i r Rowe, 1946 : 224 s q q . (27) Cobo, H N M , III : 272. Garcilaso, 1945, I I : 147. (28) Arthashastra, 1923 : 54 s q q . 29) Shih Chi, 88.1b. (30) Meissner, B A , I : 340. (31) Ibid. : 340 s q q . O l m s t e a d , 1923 : 334. (32) H é r o d o t e 5.52 s q q . ; 8.98. V o i r X é n o p h o n 8.6.17. (33) Rostovtzeff, 1941, I : 133, 135, 173 s q q . , 484, 517.
NOTES
P o u r les r é a l i s a t i o n s de D i o c t é t i e n dans ce domaine, v o i r B u r y , 95 sqq. ; et E n s s l i n , 1939 : 397. (35) Mez, 1922 : 461. (36) P o u r les M a m e l u k s , v o i r Sauvaget, 1941 : 35. P o u r les T u r c s ottomans, voir Taeschner, 1926 : 203 s q q . (37) Arthashastra, 1926 : 60 et en particulier 74. Strabon, 15.1.50. (38) V o i r S m i t h , 1914 : 135. (39) A p p a d o r a i , 1938, I : 424 s q q . (40) S a b a h u d d i n , 1944 : 272 s q q . (41) H a i g , 1937 : 57. (42) S m i t h , 1926 : 413 s q q . (43) Kuo Yu, 2.22 sq<£ (44) Han Shu, 51.2a. P o u r traduction et commentaire, v o i r MS HCS, Ch'in-Han, I V (4). (45) Jerez, 1938 : 55. Estete, 1938 : 83 sqq., 97 s q q . , 244 s q q . Sancho de la Hos, 1938 : 175. P i z a r r o , 1938 : 259. C P L N C : 310. Cieza, 1945 : passim. Sarmiento, 1906 : 88. Ondegardo, 1872 : 12. V o i r Garcilaso, 1945, II : 242 et passim ; Cobo, H N M , III : 260 s q q . (46) Pizarro, 1938 : 259. (47) Chin Shih Ts'ui Pien, 5.13a-b. P o u r la traduction, v o i r MS H C S , C h ' i n - H a n , I V (75), n. 305. (48) W i d e n m a n n , 1899 : 70. (49) Ixtlilxochitl, O H , II : 174. (50) I Rois 5 : 14. P o u r l'ancienne M é s o p o t a m i e , voir Schneider, 1920 : 92 ; Mendelsohn, 1949. (51) M a r s h a l l , 1928 : 587 sqq. (52) Shih Chi, 6.31a-b. P o u r traduction et commentaire, voir M S H C S , C h ' i n - H a n , III (12). (53) Shih C h i , 6.13b-14a, 24a-25a. P o u r traduction et commentaire, voir M S H C S , C h ' i n - H a n , III (10) (11). (54) V o i r plus haut. (55) Sui Shu, 3.9b. (56) Sui Shu, 24.16a. (57) B a r t o n , 1929 : 3 s q q . T h u r e a u - D a n g i n , 1907 : 3 et passim. Pour les r é f é r e n c e s é p i g r a p h i q u e s aux temples de Babylonie et d'Assyrie, v o i r Meissner, B A , I : 303 s q q . ; et L u c k e n b i l l , A R : passim. (58) Breasted, 1927, I : 186, 244, 336 ; II : 64, 72, 245, 311, 318 ; III : 96 s q q . ; I V : 116 s q q . , 179 s q q . , et passim. (59) R a m i r e z , 1944 : 39. (60) Ixtlilxochitl, O H , II : 184. (61) C h i m a l p o p o c a , 1945 : 49. (62) Ibid. : 52. (63) Cieza, 1943 : 150 sqq. (64) Ibid. : 241. V o i r Garcilaso, 1945, I : 245, 257 sqq. 1931,
(34) I
545
:
2,
E
(1) V o i r Bengtson, 1950 2,
123
(1) (2) (3) (4) sqq., (5) 6
F
G l o t z , 1926 : 152, voir 267. Kulisher, A W , I : 224. S o m b a r t , 1919, II : 792. V o i r Cole, 1939, II : 458 s q q . V o i r , pour la T u r q u i e ottomane, Anhegger, 1943 : 5, 8 s q q . , 22 126 sqq. Boulais, 1924 : 728. P a n t , 1930 : 70.
2, (1)
: 38.
G
Voir
plus loin,
chap.
6.
sqq.,
546
LE DESPOTISME ORIENTAL 3, A (1) M i l i o u k o v , 1898
: 111.
3, B (1) Garcilaso, 1945, II : 23 s q q . , 25 s q q . C o b o , H N M , III : 295 sqq. 1946 : 264. (2) T o r q u e m a d a , 1943, II : 546 s q q . (3) Kuo Yii, 1.8 sqq. (4) Shih Chi, 6.50a. V o i r M S H C S , C h ' i n - H a n , I, 3, n. 17. ¡5) Kuan Tzu 3.17-18. (6) Hou Han * u , 10A-4a. P o u r t r a d u c t i o n et commentaire, v o i r M S H C S . C h ' i n - H a n , I, 3 (8). (7) Kuan T'ang Chi Lin, 11.5b-6a. V o i r M S H C S , Ch'in-Han, I, 3, n. 21. (8) Han Shu, 2 8 A , 2 8 B . Hsû Han Chih, 19-23. V o i r M S H C S , C h ' i n Han, I, 1, Tables. (9) Arthashastra, 1926 : 86 sqq. (10) » S m i t h , 1926 : 376. (11) Strabon, 15.50 sq. (12) A p p a d o r a i , 1936, II : 683 s q q . 13) Deimel, 1924 : passim. Ibid., 1927, 1928. (14) Breasted, 1927, I : 54, 59 et passim. V o i r Meyer, G A , I, P t . 2 : 159 sqq. (15) W i l c k e n , 1912 : 173 et n. 3. (16) Ibid. : 173. (17) Ibid. : 178 sqq., 206. (18) Ibid. : 192 sqq. (19) Ibid. : 237 s q q . P o u r d'autres d o n n é e s concernant le cadastre sous l a d o m i n a t i o n arabe, voir de Sacy, 1923, II : 220 sqq. (20) G a u d e f r o y - D e m o m b y n e s , 1923 : X L I . Wiet, 1937 : 482. Ibid., 1932 : 257. V o i r B j o r k m a n , 1928 : passim. (21) W r i g h t , 1935: 119. V o i r L y b y e r , 1913 : 167 s q q . ; et G i b b et Bowen, 1950 : 167 sqq. (22) Tcheou Li, 16.5a. V o i r Biot, 1851, I : 367. (23) H é r o d o t e 3.117. (24) E c k et Liefrinck, 1876 : 231. (25) W i r z , 1929 : 13. (26) Ibid. (27) Ibid. : 14. (28) Ibid. (29) E c k et Liefrink, 1876 : 230. (30) Wittfogel, 1931 : 263. (31) W i l l c o c k s , 1889 : 339. (32) S o m b a r t , 1919. II : 373 s q q . (33) V o i r G r a n t , 1937 : 241. (34) Prescott, 1936 : 29. (35) T o r q u e m a d a , 1943, II : 536. (36) Cieza, 1943 : 125. Rowe, 1946 : 231. 37) Cieza, 1943 : 126. 38) H é r o d o t e 5.52 sq. ; 7.329 ; 8.98. V o i r Christensen, 1933 : 283 sqq. ; O l m s t e a d , 1948 : 299. (39) H é r o d o t e 7.239. (40) X é n o p h o n 8.6.17. 41) V o i r Seeck, 1901 : 1847 s q q . , (42) S u é t o n e , Auguste, 1886 : 61. 43) RiepI, 1913 : 459. H u d e m a n n , 1878 : 81 s q q . 44) B r é h i e r , 1949 : 324. (45) Procope, Anecdota 3.1.30 = B r é h i e r , 1949 : 326. (46) Christensen, 1944 : 129. (47) G a u d e f r o y - D e m o m b y n e s , 1923 : 239, n. 1. B j o r k m a n , 1928 : 40. 48) M e z , 1922 : 461. (49) Ibn K h o r d a d h b e h , 1889 : 114. (50) Mez, 1922 : 70. Rowe,
u
NOTES
547
(51) Ibid. : 71. (52) B j o r k m a n , 1928 : 41. (53) Sauvaget, 1941 : passim. G a u d e f r o y - D e m o m b y n e s , 1923 : 239 s q q . Grant, 1937 : 239. 54) B j ö r k m a n , 1928 : 43. V o i r aussi Sauvaget, 1941 : 44 s q q . 55) G r a n t , 1937 : 243. (56) S t r a b o n 15.1.48. ' (57) Arthashastra, 1923 : 253 sqq., et passim; Manou, 1886 : 287 s q q . V o i r Vishnou. 1900 : 17. (58) Saletore, 1943 : 256 sqq. (59) V o i r l ' i n t é r e s s a n t e description que donne S a b a h u d d i n d u s y s t è m e postal en Inde musulmane (Sabahuddin, 1944 : 273 s q q . , 281). V o i r aussi Ibn B a t o u t a h , 1914 : 95 ; B a b u r , 1921 : 357. (60) S m i t h , 1926 : 382. (61) Ibid. : 414. (62) V o i r Kuo Yü. 2.22 sqq. (63) Hou Han Shu, 86.5a, 89.22b, 87.22b-23a. P o u r t r a d u c t i o n et commentaire, voir M S H C S , G h ' i n - H a n , I V (73). (64) Han Shu, 63.11a. P o u r t r a d u c t i o n et commentaire, v o i r M S H C S , C h ' i n - H a n I V (43). (65) Hou Han Shu, 16.34b-35a. P o u r traduction et c o m m e n t a i r e , v o i r M S H C S , C h ' i n - H a n I V (77). (66) W i t t f o g e l et F ê n g , 1949 : 161 s q q . (67) Ibid. : 162. (68) M a r c o Polo, 1929, I : 434 s q q . (69) Ibid. : 435. (70) M S H C S , C h ' i n g I V . (71) D e l b r ü c k , G K , III : 102 sqq., 172. L o t , 1946, I : 303, 305. Stubbs, C H E , I : 432 ; II : 277. Vinogradoff, 1908 : 61 et notes 2, 3. (72) L o t , 1946, I : 303 sqq. (73) D e l b r ü c k , G K , III : 103, 172. (74) T o u t , 1937 : 140 sqq. (75) Liste c o m p l è t e dans L o t , 1946, II : 212. (76) D e l b r ü c k , G K , III : 260 s q q . , 263 sqq., 304 s q q . (77) H é r o d o t e 9. 62. (78) H é r o d o t e 7. 104. V o i r D e l b r ü c k , G K , I : 38 sqq. (79) O m a n , 1924, I : 204. (80) Ibid. : 204-5. (81) Ibid. : 205. (82) Ibid. : 251. (83) Ibid. : 252. V o i r D e l b r ü c k , G K , III : 305, 307, 333, 338 sqq. (84) A t i y a , 1934 : 71. (85) Rowe, 1946 : 274. 86) H é r o d o t e 7. 25. 87) O m a n , 1924, I : 190 sq. (88) V o i r Fries, 1921 : 12 sqq. ; H o r n , 1894 : 57 s q q . ; L o k k e g a a r d , 1950 : 99 ; et G i b b , 1932 : 39. (89) V o i r W i t t f o g e l et F ê n g , 1949 : 523 sqq., 526 sqq. V o i r M S H C S , C h ' i n - H a n et C h ' i n . g sec. X V . (90) D e l b r ü c k , G K , III : 303, 333 sqq. (91) Arthashastra 1926 : 64 s q q . , 399 s q q . , 406 s q q . , 522, 526 sqq. (92) D e l b r ü c k , G K , III : 207-9. Wittfogel et F ê n g , 1949 : 536. H u u r i , 1941 : 71 s q q . (93) Coran, 61. 4. P o u r l a discipline dans l ' a r m é e de M u h a m m a d , v o i r B u h l , 1930 : 242, n. 97. (94) W ü s t e n f e l d , 1880 : passim. R i t t e r , 1929 : 116, 144 sqq. H u u r i , 1941 : 94 s q q . (95) Ca, 500 a v a n t J . - C . V o i r W i t t f o g e l et F ê n g , 1949 : 534, n. 438. (96) Han Shu, 30. 25b sqq. (97) S u n T z u , 1941 : 39. (98) Han Shu, 30.25b-28a. (99) Bandelier, 1877 : 131, 133 sqq. (100) Cobo, H N M , III : 270 ; Rowe, 1946 : 278.
548 (101) (102) (103) (104) (105) (106) (107) (108) (109) (110) (111) (112) (113) (114) (115) (116) (117) (118) (119) (120) (121) (122) (123) (124) i b i d . : 660 (125) 672, 680.
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
Wittfogel et F ê n g , 1949 : 519. Ibid. : 532 sqq. L o t , 1946, 1 : 98, 122 sqq. Kremer, C G O , I : 223 sqq. L o t , 1946, I : 59 sqq. V o i r Kremer, C G O , I : 213, 216, n. 4. Ibid. : 224. L o t , 1946, II : 257, n. 1. Ibid.. 257. Ibid., I : 56. H é r o d o t e , 7. 184. Ibid., 7. 83. D e l b r ü c k , G K , I : 41. S m i t h , 1914 : 125. Ibid. Ibid. V o i r Strabon, 15.1.52. S m i t h , 1914 : 126 et n. 2. H o r n , 1894 : 40 s q q . Chan-kuo Ts'ê, 8. 76, 14. 20, 19. 56, 22. 94, 26. 30, 29. 55. W i t t f o g e l et F ê n g , 1949 : 516, 519. W i l l i a m s o n , W A S , I : 185. Ch'ing Shih Kao, 137. 13b, 13b-19a, 19a-20b. Han Shu, 2 4 A . l l a . V o i r M S H C S , C h ' i n - H a n , II (18). P o u r ce nombre, voir Kahrstedt, 1924 : 660. P o u r les d o n n é e s sur lesquelles se fondent ces pourcentages, voir sqq. P o u r les é l é m e n t s de base, voir Inama-Sternegg et H ä p k e , 1924 :
3. C (1) Parsons, 1939, I : 157-8, 495, 534 ; II : 790, 893, 901, 904, 909, 1131. (2) G u t m a n n , 1909 : 111. (3) Deimel, 1922 : 20, 22. V o i r ibid., 1931 : 83. (4) P o m a , 1936 : 1050. (5) Legge, C C , I V : 600 sqq. (6) Breasted, 1927, I V : 194, voir 157, 178, 185. V o i r é g a l e m e n t Kees, 1933 : 45 sq. (7) W a n , K T , 1933 : 38. M a , S F , 1935 : 218-19. (8) Glotz, 1926 : 154. (9) Ibid. : 153 sqq. (10) Stubbs, C H E . I : 583. V o i r plus loin, chap. 6. (11) Meissner, B A , I : 125. (12) Genese 47 : 24. V o i r Kees, 1933 : 46. (13) Arthashastra, 1926 : 372. (14) Meissner, B A , I : 125. (15) Arthashastra, 1923 : 72 sqq. (16) Ibid. : 77. (17) V o i r Kees, 1933 : 42, 47, 223 s q q . , 226. P o u r le s y s t è m e de prop r i é t é f o n c i è r e d u r a n t cette p é r i o d e , voir plus loin, chap. 7. (18) Kees, 1933 : 42, 226. (19) W i l s o n , 1950 : 212. V o i r Kees, 1933 : 47, n. 7, 224. (20) H u m m e l , E C C P . I : 289. (21) Arthashastra, 1923 : 75 s q q . (22) Ibid. : 74. (23) Ibid. : 75. (24) Ibid. : 72. (25) Ibid. : 75. Arthashastra, 1926 : 100. (26) Arthashastra, 1926 : 100. Arthashastra, 1923 : 77. (27) Arthashastra, 1923 : 70. (28) Ibid. : 76 et n. (29) Mez, 1922 : 109. (30) Ibid. : 110. (31 Ibid.
NOTES (32) (33) (34) (35) (36) (37) 38) (39) (40)
549
Ibid. : 127 s q q . Arthashastra, 1926 : 373. Ibid. : 374. Ibid. : 378. Ibid. : 380. Arthashastra, 1923 : 296. Ibid. Mez, 1922 : 107. Ibid. . 1 1 0 s q q .
3, D (1) Mitteis, 1912 : 231. Kreller, 1919 : 182. Taubenschlag, 1944 : 158.
Kees, 1933 : 83.
(2) H a m m o u r a b i , sec. 165. V o i r Meissner, B A , I : 159. 3) Meek, 1950 : 185, 188. Meissner, B A , I : 178. (4) Arthashastra, 1926 : 255 s q q . , 456 s q . K e i t h , 1914, I : 232, 191. V o i r H o p k i n s , 1922 : 244 ; A p a s t a m b a , 1898 : 134 s q q . ; G a u t a m a , 1898 : 303 sqq. ; V a s i s h t h a , 1898 : 88 sqq. ; Manou, 1886: 348 et n. 117 ; R a n g a s w a m i , 1935 : 30 s q q . ; B a u d h a y a n a , 1898 : 224 s q q . ; Vishnou, 1900 ; N a r a d a , 1889 : 201 ; Y a j n a v a l k y a , 53 s q q . , 68 s q q . (5) V o i r J u y n b o l l , 1925 : 253 s q q . ; K r e m e r , C G O , I : 527 s q q . ; et Schacht, 1941 : 513 s q q . (6) Boulais, 1924 : 199. (7) Ondegardo, 1872 : 37 s q q . (8) Z u r i t a , 1941 : 144. (9) F e i et Chang, 1945 : 302. (10) Schacht, 1941 : 516. (11) Ondegardo, 1872 : 38. (12) G l o t z , 1926 : 247. (13) Ibid. : 248. (14) Myers. 1939 : 20. (15) Morris, 1937 : 554 s q q . (16) Ibid. (17) Aristote, Politique 2.7. (18) P ö h l m a n n , 1912, I : 206 s q q . (19) Jefferson, 1944 : 440. 20) B e a r d , 1941 : 149. (21) B e a r d , 1927, I : 292. (22) Ibid. : 413. (23) B l o c h , 1949, II : 244. (24) T o u t , 1937 : passim. (25) M e U w a i n , 1932 : 673. (26) Ibid. (27) Ibid. (28) Morris, 1937 : 554. (29) Ibid. : 553 s q q . (30) M u r d o c k , 1949 : 37 s q q . (31) Shih Chi 53 4b-5b. P o u r traduction et commentaire, voir M S HCS, C h ' i n - H a n , II (14).
3, E (1) (2) (3) (4) 5) 6) (7) (8) (9)
W e b e r , W G : 241 s q q . D e i m e l , 1920 : 21. Ibid. : 31. 'bid. : 21. V o i r Meissner, BA, II : 53. D e i m e l , 1920 : 31. Ibid. G l o t z , 1929 : 39. „ . B u r y , 1937 : 46. V o i r Stengel, 1920 : 33 s q q . ; et Bengtson, 1950 : 97. Bengtson, 1950 : 62.
550
370.
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
(10) Busolt, G S , I : 515. (11) Ibid. : 498. (12) L a m p r e c h t , D G : 17 s q q . , 34. P e t i t - D u t a i l l i s , 1949 : 23. (13) Petit-Dutaillis, 1949 : 92. (14) Ibid. : 333. (15) V o i r R a n k e , 1924, I : 32. (16) Garcilaso, 1945, I : 58 s q q . C o b o , H N M , 111 : 122 sqq. Means, 1931 : Rowe, 1946 : 257. (17) Garcilaso, 1945, I : 61. Means, 1931 : 370. (18) Means, 1931 : 370, 374. Rowe, 1946 : 265. V o i r Garcilaso, 1945, I : 84. (19) Garcilaso, 1945, I : 84, 175 sqq. Means, 1931 : 407, 370, Rowe, 1946 :
299. (20) Ondegardo, 1872 : 18 sqq. Cobo, H N M , III : 246 sqq. Rowe, 1946 : sqq. (21) Cobo, H N M , III : 254 sqq. Rowe, 1946 : 266 sqq. (22) Sethe, P t . II : 139. Breasted, 1927, I : 108, 114, 242, 327 ; II : 11, 25, et passim; III : 17 et passim; I V : 15, 27 et passim. (23) Breasted, 1927, II : 12 et passim ; III : 17 et passim ; I V ; 28 et passim. (24) Breasted, 1927, I : 70, 114, et passim. (25) Ibid., passim. (26) Ibid., II : 80 et passim; III : 56 et passim. (27) E r m a n et R a n k e , 1923 : 73. (28) E n g n e l l , 1943 : 5 sqq. (29) E r m a n et R a n k e , 1923 : 73. (30) Breasted, 1927, I : 100 et passim. Kees, 1933 : 242 s q q . (31) V o i r Breasted, 1927, I : 103. (32) Kees, 1933 : 252. (33) V o i r plus haut chap. 3, E , 2, a. (34) Breasted, 1927, I V : 346 et passim, 419, 452, 482. (35) E n g n e l l , 1943 : 4. (36) Ibid. : 16. (37) B a r t o n , 1929 : 31 sqq., 37, 43, 99. L a b a t , 1939 : 53 sqq. E n g n e l l , 1943 : 16 et n n . (38) L a b a t , 1939 : 63. (39) V o i r L a b a t , 1939 : passim; E n g n e l l , 1943 : 16 sqq., 33 ; M c E w a n , 1934 : 7 s q q . ; et Nilsson, 1950 : 129 et n. 2. (40) B a r t o n , 1929 : 31, 35, 97, 137 sqq., 325. (41) L a b a t , 1939 : 131. (42) E n g n e l l , 1943 : 31. V o i r L a b a t , 1939 : 202 sqq. (43) V o i r Deimel, 1920 : 21 s q q . (44) Meissner. B A , I : 68. L a b a t , 1939 : 135. (45) L a b a t , 1939 : 202. (46) Ibid. : 168. (47) Ibid. : 234. (48) Meissner, B A , II : 59 sqq. (49) Ibid. : 60. (50) Ibid. (51) V o i r Christensen, 1944 : 229 ; e t M c E w a n , 1934 : 18 et n. 118. (52) M c E w a n , 1934 : 17. (53) Ibid. : 19. (54) Nilsson, 1950 : 145 sqq., 149 sqq., 156 sqq. (55) Ibid. : 161 sqq. (56) T a y l o r , 1931 : 58 sqq. (57) Ibid. : 185 sqq. (58) B u r y , 1931, II : 360. (59) Brehier, 1949 : 61 s q q . (60) V o i r plus loin chap 3, E , 2, c. (61) De Groot, 1918 : 141 sqq. (62) Ibid. : 180 sqq. V o i r Wittfogel, 1940 : 123 sqq. (63) De Groot, 1918 : 182 s q q . 64) Ibid. : 219 sqq. (65) Ibid. : 226 sqq. 265
NOTES
551
(66) Ibid. : 247 sqq. (67) Ibid. : 270 s q q . (68) Ibid. : 276 s q q . (69) Seier, G A , III : 332 s q q . (70) Ibid. : 107 s q q . (71) Seier, 1927 : 238, 171. V o i r Sahagun, 1938, I : 211. '72) Seier, 1927 : 104. V o i r Sahagun, 1938, I : 139. (73) Seier, 1927 : 354. (74) P a u l Kirchhoff, c o m m u n i c a t i o n personnelle. (75) P r ê t r e s - g u e r r i e r s : Seier, 1927 : 115. Ibid., G A , II : 606, 616. P o u r les p r ê t r e s - j u g e s , voir ibid., G A , III : 109. (76) Christensen, 1933 : 257, 291. (77) Ibid. : 289. (78) B r é h i e r , 1949 : 61. (79) Ostrogorsky, 1940 : 18. (80) V o i r A r n o l d , 1941 : 291 sqq. (81) Ibid. : 295. (82) Pedersen, 1941 : 445. (83) F i c k , 1920 : 98 s q q . (84) Manou, 1886 : 14. (85) Ibid. : 216 sq. (86) K e i t h , 1922 : 127 s q q . V o i r ibid., 1914, I : 109, 279 ; II : 599 s q q . (87) F i c k , 1920 : 166 s q q . (88) Manou, 1886 : 228. (89) B a u d h a y a n a , 1898 : 200. (90) Manou, 1886 : 26. (91) Ibid. : 509. (92) Ibid. : 253 sq. G a u t a m a , 1898 : 237 sqq. (93) F i c k , 1920 : 174. (94) Ibid. : 173 s q q . (95) D u b o i s , 1943 : 290. (96) Ibid. (97) F i c k , 1920 : 79 s q q .
4, A (1) V o i r T ê n g et Biggerstaff, 1936 : 139 s q q . (2) V o i r H o p k i n s , 1922 : 277 s q q . (3) H s i e h , 1925 : 34. (4) R a n g a s w a m i , 1935 : 103 sqq. (5) B u r y , 1910 : 26. (6) A r n o l d , 1924 : 53. (7) Schacht, 1941 : 676 sq. V o i r L a o u s t , 1939 : 54. H o r s t e r , 1935 : 5 sqq. et G a u d e f r o y - D e m o m b v n e s , 1950 : 154. (8) A r n o l d , 1924 : 47. V o i r G a u d e f r o y - D e m o m b y n e s , 1950 : 110. (9) R a n g a s w a m i , 1935 : 69. (10) Wittfogel et G o l d f r a n k , 1943 : 30 et n. 139. (11) Krause et W i t h , 1922 : 26 sqq. (12) P o u r l'Inde hindoue, voir Manou, 1886 : 397 s q q . ; F i c k , 1920 : 103 et Arthashastra, 1926 : L X I I I s q q . , 822. P o u r l a p e n s é e musulmane, voir a l - F a k h r i , 1910 : 56. V o i r H a s a n K h a n , 1944 : 36 s q q . (13) P o u r u n point de vue contradictoire, v o i r H s i e h , 1925 : i l . (14) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 398 s q q . (15) R e i d , 1936 : 25. (16) M o m m s e n , 1875 : 1034. (17) B u r y , 1910 : 9. (18) D i e h l , 1936 : 729. (19) B u r y , 1910 : 8. (20) Ibid. : 8 s q q . (21) K o r n e m a n n , 1933 : 143. (22) Boulais, 1924 : 464.
552
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
(23) P o u r l ' E g y p t e , voir Kees, 1933 : 184. P o u r l'Inde, voir Arthashastra, 1923 : 28 sqq. ; et Manou, 1886 : 224 sqq. P o u r l a Chine, voir Hsieh, 1925 : 83. (24) P o u r la Chine, voir C h ' i i , T T , 1947 : 206-8.
4, B (1) V o i r Clark, 1937 : 145 sqq. (2) Garcilaso, 1945, I : 246. (3) De Groot, 1940 : passim. (4) P o u r des structures i n t e r m é d i a i r e s , voir plus loin, chap. 7. (5) M a r x , 1939 : 371, 375, 386, 429. (6) Manou, 1886 : 24. (7J Legge, C C , I : passim. (8) P o u r les Chaggas, voir G u t m a n n . 1909 : 167 ; et Dundas, 1924 : 158 sqq. P o u r H a w a i , voir Alexander, 1899 : 66 sqq., 72 s q q . (9) Ch'ii, T T , 1947 : 7 sqq. (10) Ibid. : 20. (11) H a m m o u r a b i , sec. 117. (12) Coran, 17.24 sqq. V o i r Daghestani, F M : 134. (13) Daghestani, F M : 136. V o i r G a u d e f r o y - D e m o m b y n e s , 1950 : 128. (14) Jolly, 1896 : 78. (15) V a s i s h t h a , 1898 : 75. (16) Rowe, 1946 : 263 sqq. Cobo, H N M , III : 232 sqq. (17) Z u r i t a , 1941 : 90. (18) Breasted, 1927, II : 278 sqq. Kees, 1933 : 36 sqq. (19) V o i r W i e d e m a n n , 1920 : 68. (20) Jouguet, 1911 : 59 sqq., 62. W i l c k e n , 1012 : 275. San Nicolo, PR, I : 162 sqq. Johnson et West, 1949 : 98. T o m s i n , 1952 : 117 s q q . (21) Jouguet, 1911 : 59. (22) San Nicolo, P R , 1 : 171. (23) Jouguet, 1911 : 213. (24) H a r p e r , 1928 : 142 sqq. (25) V o i r , pour la fin de la p é r i o d e « antique », Rostovieff, 1910 : 259 ; et San Nicolo, P R , I : 160, n. 1. V o i r aussi plus loin, chap. 7. (26) Rostovtzeff, 1910 : 259. (27) Ibid. : 258. Broughton, 1938 : 629. (28) Johnson, 1951 : 133. (29) Steinwenter, 1920 : 52 sqq. (30) Ibid. : 49 sqq. (31) Ibid. : 54. (32) G i b b et Bowen, 1950 : 262. (33) Ibid. : 263. V o i r K r e m e r , 1863, I : 255. (34) K r e m e r , 1863, I : 255. (35) F i c k , 1920 : 160 sqq. R h y s - D a v i d s , 1950 : 35. (36) R h y s D a v i d s , 1950 : 35. J o l l y , 1896 : 93. Voir Matthai, 1915 : (37) F i c k , 1920 : 114, n. 1. (38) J o l l y , 1896 : 93. F i c k , 1920 : 161. (39) M a t t h a i , 1915 : 15. (40) S m i t h , 1899 : 277 sqq. Y a n g , 1945 : 173. (41) S m i t h , 1899 : 228. (42) W i l l i a m s , 1848 : 384 sqq. (43) S m i t h , 1899 : 233 sqq. (44) S m i t h , 1897 : 230. (45) Rostovtzeff, 1941, II : 1062 sq. (c'est moi qui souligne). (46) S t ô c k l e , 1911 : 82. (47) P o u r l'inspecteur des m a r c h é s , voir Ibn a l - U k h u w w a , 1938 : 5. Voir G a u d e f r o y - D e m o m b y n e s , 1938 : 450 sqq. ; et L é v i P r o v e n ç a l , 19'«7 : sqq. (48) Maurer, G S D , III : 30 sqq. Inama-Sternegg, 1901 : 353-4. (49) G i b b et Bowen, 1950 : 278. (50) Jakakam, passim. F i c k , 1920 : 257 sqq. (51) F i c k , 1920 : 285. V o i r Hopkins-, 1902 : 172. (52) H o p k i n s , 1902 : 171.
42
553
NOTES
(53) Fick, 1920 : 285. (54) C.A.F. Rhys-Davids, 1922 : 210 sqq. (55) Chiu T'ang Shu, 48.11b. (56) Kato, 1936 : 62. (57)
Ibid.
(58) Grunebaum, 1946 : 179. (59)
Ibid.
(60) (61) (62) (63)
Scheel, 1943 : 8, 16. Grunebaum, 1946 : 185. Wittfogel et Fêng, 1949 : 292 et n. 19. De Groot, 1940, I : 102 sqq.
;
185.
(64) (65) (66) (67)
Ibid. : 107. Ibid. : 109 sqq. Ibid. : 113. Ibid. : 116.
¡68) Pour la Chine, voir Ch'ti, TT, 1947 : 18-19. Pour l'Inde, voir 1886 : 260. (69) Harper, 1928 : passim. (70) Johnson, 1951 : 133. (71) Gibb et Bowen, 1950 : 263. (72) Dubois, 1943 : 88 sqq. (73)
Ibid.
(75)
Ibid.
Manou,
: 89.
(74) Voir Appadorai, 1936, I : 152.
(76) Fick, 1920 : 120. Baden-Powell, 1896 : 441 sqq. (77) Lettre du 15 janvier 1954, du Dr K. C. Hsiao. (78) Smith, 1899 : 229. (79)
Ibid.
(80)
Manou,
:
228. 1886
: 260
et
n.
41.
(81) Pour la Turquie ottomane, voir Gibb et Bowen, 1950 : 227. Pour Byzance, voir Stöckle, 1911 : passim. Pour la Chine, voir Ch'üan, HS, 1934 : passim.
(82) Gibb et Bowen, 1950 : 277. (83)
Ibid.
:
278.
(84) Ibid. : 277 (les italiques sont de moi). (85) De Groot, 1940. I : 116. (86) Macdonald, 1941 : 96. (87) Smith, 1899 : 229. (88) De Groot, 1940 : passim. (89) Grunebaum, 1946 : 184. (90) Stöckle, 1911 : 138. (91) Massignon, 1937 : 216. (92) Gibb et Bowen, 1950 : 281, n. 5. (93) C.A.F. Rhvs-Davids, 1922 : 210 sqq. (94) Wittfogel, 1931 : 572 sqq. Voir Hintze, 1941 : 152 sqq. (95) Wittfogel, 1931 : 580 sqq. 4, C (1) Kuan Shih, 146.4a. Voir Wittfogel, 1949 : 10. (2) Coran, 2.266 (267). Pour l'irrigation dans l'Arabie antique, voir Grohmann, 1933 : 19 sqq. Pour l'irrigation près de La Mecque, voir Lammens, 1922 : 141 sqq. (3) Wittfogel, 1949 : 10. (4) Garcilaso, 1945, I : 43. (5) Legge, CC, I : 215. (6)
Ibid.,
II
(8)
Ibid.
: 9.
: 128
sqq.
(7) Garcilaso, 1945, II : 21. (9) Garcilaso, 1945, II : 81. (10) Pour Ch'ing, voir Ta Ch'ing LU 389 «qq. Voir Ch'û, TT, 1947 : chap. 3.
Li,
17.26a sqq. ; Boulais, 1294 :
554
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
(11) Man.au, 1886 : 37 sqq. A p a s t a m b a , 1898 : 9 sqq. G a u t a m a , 1898 : 176 s q q . î a u d h a y a n a , 1898 : 150. Y a s i s h t h a , 1898 : 56 sqq. Vishnou, 1900 : 114 sqq. (12) E r m a n et R a n k e , 1923 : 238 sqq. (13) Meissner, B A , I : 130 sqq. (14) P o r p h y r o g é n è t e , 1939 : 34 sqq. V o i r Stein, 1949: 844; L o p e z , 1945 :2. (15) K r e m e r , C G O , II : 218 sqq. ; Mez, 1922 : 217. (16) M a k r i z i , 1845 : 72. (17) B j ö r k m a n , 1941 : 756. (18) Han Shu, 2 4 A - l l b - 1 2 a . P o u r traduction et commentaire, v o i r M S . H C S , C h ' i n - H a n V I I , 1 (18). (19) Bernier, 1891 : 225. (20) Ibid. : 226. (21) V o i r Meissner, B A , I : 147 s q q . (22) Locke, 1924 : 162-3. (23) Ibid. : 162. (24) A c t o n , 1948 : 364. (25) Artkashastra, 1923 : 296. (26) Staline, S. X I I : 368.
5, A (1) F r o m m , 1941
:
passim.
5, B (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) (10) (11) (12) (13) (14) (15) (16) (17) (18) (19) (20)
5, (1) (2) (3J (4) (5) (6) (7) (8) (9) (10) (11) (12)
Manou, 1886 : 219. Legge, C C , I : 267. Manou, 1886 : 218. Ibid. : 220. Ibid. : 219 (c'est m o i qui souligne). Ibid. Ibid. Ibid, (c'est m o i q u i souligne). Barton, 1929 : 31 et passim. Jacobsen, 1946 : 143. Ibid. : 144. Ibid. B a r t o n , 1929 : 31 et passim. H a m m o u r a b i : Prologue. E r m a n et R a n k e , 1923 : 64, 460. a l - F a k h r î , 1910 : 36. T h u c y d i d e 1.6. Ibid. Bauer, 1893 : 350. Eisenhower, 1948 : 467 sqq.
C L é n i n e , S, X X V I I I : 216. V y c h i n s k i , 1948 : 92 sqq. G u t m a n n , 1909 : 26. Ibid. A l e x a n d e r , 1899 : 26 sqq. B l a c k m a n , 1899 Sethe, P T , II : 137 sqq., 156 sqq. Price, 1927 : 17, 60. Kees, 1933 : 224. Mallon, 1921 : 137 sqq. Cromer, 1908, II : 402. Garcilaso, 1945, I : 246. E r m a n , 1923 : 247.
: 22
sqq.
NOTES
555
(13) Kees, 1933 : 23, 220, voir 224. (14) Mez, 1922 : 126 sqq. Voir Goldziher, 1905 : 108 ; Juynboll, 1925 : 317, n. 1 ; Schacht, 1936 : 117 ; Santillana, 1938 : 48. (15) Mez, 1922 : 126. (16)
Arthashastra,
1926
:
228.
(17) Boulais, 1924 : 215 sqq. (18) Kees, 1933 : 224. (19) Breasted, 1927, IV : 270. Voir Spiegelberg, 1892 : 85. (20) Arthashastra, 1923 : 269 (les italiques sont de moi). Voir 1926 : 343. (21) Arthashastra, 1923 : 269. Voir Arthashastra, 1926 : 344. (22) (23)
Arthashastra, 1923 Ibid. : 270. Ta Ch'ing Lu Li,
:
Arthashastra,
269.
(24) 25) (26) (27) (28)
2.34b. Boulais, 1924 : 5 sqq. Voir Doolittle, 1876, I : 335-46. Mez, 1922 : 349. La citation est extraite de Masçudi, VIII : 154. Cromer, 1908, II : 403. Busolt, GS, I : 555 sqq.
(29)
Ibid.
:
280.
(30) Glotz, 1926 : 281. (31)
Ibid.
(32) Busolt, GS, I : 555 sqq. ; II : 1180. Voir Aristote, Rhétorique 1.15; Freudenthal, 1905 : 14. (33) Schiller, 1893 : 223. Mommsen, 1905 : 5. Hitzig, 1905 : 43. (34) Hitzig, 1905 : 43 sqq. Williams, 1911 : 73 sqq. (35) Helbing, 1926 : 46 sqq. (36) Brunner, 1905 : 53. Voir Lea, 1892 : 275 sqq., 117 sqq. (37) Lea, 1802 : 200 sqq., 483. (38) Helbing, 1926 : 101 sqq. (39) Lea, 1908, I : 217 sqq. Helbing, 1926 : 112. Williams, 1911 : 74. (40) Williams, 1911 : 75 sqq. Lea, 1892 : 483, 527 (Allemagne protestante), 566 sqq. (en Angleterre protestante, sans faire l'objet d'une loi), 572 sqq., (Ecosse). (41) Voir plus loin, chap. 6. (42) Voir Kennan, 1891, II : 52. (43) Hamraourabi : passim. 5, D (1) Jaeger, 1939 : 104. (2)
Ibid.
: 88
sqq.
(3) Diaz, 1949 : 91 sqq. (4) Parsons, 1939, I : 53, 108. Goldfrank. 1945 : 527 sqq. Wittfogel et Goldfrank, 1943 : 30. (5) Gutmann, 1909 : 21. (6) Jacobsen, 1946 : 202. (7) Ibid. (8) Ibid. (9) Ibid.
: 202 sqq. : 202. : 203.
(10) Grapow, 1924 : 150, 153. (11) Wilson, 1950 : 414. (12) (13
Manou, Coran,
1886 4.62.
(16) (17) (13)
Ibid. : Ibid. : Coran,
246. 178. 4.62.
:
391.
(14) al-Fakhrl, 1910 : 44. (15) Legge, CC, I : 246. (19) Bûhler, 1948 : 175 sqq. (20) (21)
Ibid. Ibid.
: 296 sqq. : 298.
22) Jacobsen, 1946 : 202.
(23)
Ibid.
556
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
(24) W i l s o n , 1950 : 414. (25) Manon., 1886 : 71. (26) Lun Yii, 1.1b. (27) O s t r u p , 1929 : 27 sqq. (28) Ibid. : 27. (29) Dundas, 1929 : 282. (30) V o i r Gutrnann, 1926 : 531. (31) Cobo, H N M , III : 279-80. Rowe, 1946 : 259. (32) Seler, 1927 : 328. (33) Ibid. (34) Sahagun, 1938, I V : 51. Seler, 1927 : 483. (35) K u o , M J , 1935 : 20b, 30b, 39a, 46a, 55a-b, 57a, 60b, 61a-b, 62b, 65b, 68a sqq. Legge, C C , III : 424, 432, 437 sq., 446, 449, 508, 511. (36) Strabon 15.1.67. M a n u , 1886 : 53, 54. (37) Saletore, 1943 : 179 sqq. B e a l , Si-yu-ki, I : 85. Ta Tang Hsi-yü Chi, chap. 1. (38) Jahangir, 1909 : 203. (39) Dubois, 1943 : 132. (40) Breasted, 1927, I : 214. (41) Grapow, 1924 : 121 sqq. V o i r E r m a n et R a n k e , 1923 : 82 ; Kees,. 1933 : 183 ; et Ostrup, 1929 : 31. (42) E r m a n et R a n k e , 1923 : 82. (43) Ibid. Breasted, 1927, I V : 204, 422, 427 sq., 430, 437 s q q . (44) B a r t o n , 1929 : 27. Meissner, B A , 1 : 70. O s t r u p , 1929 : 32. V o i r
Horst, 1932 : 55.
1950
(45) H é r o d o t e . 1. 134. (46) H o r s t . 1932 : 103 et sq. (47) Ibid : 27, 103' (48) T a b a r i , 1879 : 93, 367. (49) K o r n e m a n n , 1933 : 142. (50) B r é h i e r , 1949 : 70. (51) Mez, 1922 : 135 sqq. Sauvaget, 1946 : 62. G a u d e f r o y - D e m o m b y n e s , : 110. Kremer, C G O , II : 247. (52) S c h r a m m , 1924 : 220. (53) Kantorowicz, 1931 : 76, 91. 5, E (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) (10) (11) (12) (13) (14) (15) (16) (17) (18) (19) (20) (21) (22)
W i l s o n , 1950 : 418. Arthashastra, 1923 : 42, 45. Ibid. : 24. Ibid. : 42. Ibid. : 43. Ibid. Ibid. : 34. Ibid. : 34 sqq. Ibid. : 302. K a i Ka'us ibn Iskandar, 1951 : 191. S m i t h , 1897 : 257. Ibid. : 242. V o i r Doolittle, 1876, I : 346. Han Shit, 62. 14a-22a. H o w o r t h , H M , III : 588 s q q . Ibid. : 561. Ibid. : 588. Ibid. : 588 sqq. Ibid. T r o t s k y , 1928 : 322. A S B R T : 627. Ibid. : 644. Ibid. : 697. 6, A
roir
(1)
P o u r les idées de Marx plus loin, chap. 9, passim.
et d'Engels concernant la question asiatique,
NOTES
557
6, B (1) W e s t e r m a n n , 1921 : 169 sqq. Ibid.,
1922 : 22 sqq. Schnebel, 1925 :
8 sqq. (2) W e s t e r m a n n , 1922 : 27. E r r o a n et R a n k e , 1923 : 203 sqq. Schnebel, 1925 : 11, 274. Kees, 1933 : 32. 40, 49. (3) Han Shu, 28B.20b. M S H C S , C h ' i n - H a n , I, 2 (3). (4) Shih Chi, 8,16b. V o i r M S H C S , C h ' i n - H a n , I, 2 (4). (5) V o i r Wittfogel, 1931 : 454 ; ibid., 1938 : 110. (6) Mez, 1922 : 423-8. (7) Ibid. : 423. (8) Ibid. : 423-8. (9) Gardiner, 1948, II : 9, 69, 88, 163. (10) W i l c k e n , 1912 : 182 s q q . , 212 s q q . (11) Ibid. : 183 sqq., 212 s q q . , 230. Wallace, 1938 : 286 s q q . Johnson et W e s t , 1949 : 299, 321 s q q . (12) W i l c k e n , 1912 : 230-1. (13) Mez, 1922 : 125. V o i r Becker, IS, I : 237, 239, et passim. (14) V o i r plus haut, chap. 4. (15) V o i r L y b y e r , 1913 : 147. (16) P o u r des tentatives occasionnelles et exceptionnelles, v o i r L o n grigg, 1925 : 127. (17) W i t t f o g e l , 1949 : 10. (18) L a m m e n s , 1907 : 131 sqq., 140. Ibid., 1914 : 179 sqq. Miles, 1948 : 236 sqq. Wellhausen, 1927 : 252 et n. 1, 331 sqq. G a b r i e l i , 1935 : 12 s q q . , 22, 128 s q q . (19) V o i r plus loin, chap. 7, H , 2, c, 2, et chap. 7, H , 2, d , 3. 20) H a r d y , 1931 : 59 s q q . , 113. Johnson et West, 1949 : 11.
6, C (1) R a m s a y , 1890 : 74 sqq. (2) Ibid. V o i r B r é h i e r , 1949 : 328 s q q . (3) V o i r R a m s a y , 1890 : 74. Taeschner, 1926 : 202 s q q . (4) Ostrogorsky, 1940 : 261. H o n i g m a n n , 1935 : 44 et passim. P o u r le c a r a c t è r e et les buts de ces fortifications, v o i r R a m s a y , 1890 : 200. (5) Ostrogorsky, 1940 : 261. (6) R a m s a y , 1890 : 199. (7) B r é h i e r , 1949 : 262. (8) Ibid. : 328 sqq. V o i r l a description de l a poste byzantine à l a fin d u 9" s i è c l e d o n n é e par H a r u n b. Y a h y a (Marquart, 1903 :,207 sqq.). (9) B r é h i e r , 1950 : 220 sqq. (10) V o i r plus haut, chap. 3. (11) V o i r K a r a m s i m , H E R , V I : 439 (Ivan III); Herberstein, N R , I: 95 (Vasili III) ; et Staden, 1930 : 57 (Ivan I V ) . V o i r K l u c h e v s k y , H R , II : 126 sqq., 138 ; III : 235 s q q . ; et M i l i o u k o v , 1898 : 129 sqq. (12) K a r a m s i m , H E R , V I : 448 (Ivan III). Herberstein, N R . 1 : 108 (Vasili III). (13) Herberstein, N R , I : 111. Stader, 1930 : 52 sqq. F l e t c h e r , 1856 : 57 s q q . V o i r Kulisher, 1925 : 345 sqq. ; et L y a s h c h e n k o , 1949 : 224 sqq. (14) Ostrogorsky, 1940 : 57, n. 4. (15) Stein, 1920 : 50 sqq. V o i r Ostrogorsky, 1940 : 57, n. 4. (16) O s t r o g o r s k y , 1940 : 57 s q q . , 87. (17) Ibid. : 262. (18) Ibid. : 232. (19) Ibid. : 344. (20) Ibid. : 216. Ibid., 1942 : 209. (21) Dolger, 1927 : 94 n. (22) Ostrogorsky, 1940 : 262 sqq. (23) V o i r Stepniak, 1888 : 155 sqq. ; et Nicolai-on, 1899 : 171. V o i r M i l i o u k o v , 1898 : 142 sqq. (24) V o i r R o b i n s o n , 1949 : 129 sqq., 268, 270. (25) Wittfogel, 1950 : 452. V o i r Prokopowitsch, 1913 :17 sqq., 31, 39 s q q . ;
558
LE
DESPOTISME ORIENTAL
et L y a s h c h e n k o , 1949 : 534 s q q . , 716. (26) L y a s h c h e n k o , 1949 : 701, 706. (27) V o i r Wittfogel, 1950 : 453. (28) V o i r plus loin, chap. 10. (29) W i t t f o g e l e t F ê n g , 1949 : 123 s q q . , 136. (30) Ibid. : 365, 371, 373 sq. (31) Ibid. : 371. (32) Ibid. : 373. (33) Ibid. : 160, 165. (34) Ibid. : 370. (35) Ibid. : 375, 373, 522. (36) Ibid. : 367 sqq. (37) Ibid. : 366. (38) Ibid. : 112 s q q . , 370 s q q . , 520, 559. (39) Ibid. : 162. (40) Ibid. : 533. (41) Ibid. : 65 sqq. (42) Ibid. : 66 sqq. (43) Ibid. : 45, 65, n. 29. (44) Ibid. : 310 sqq. (45) Chin Shih, 96.4b. V o i r W i t t f o g e l et F è n g , 1949 : 296. (46) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 124, 296, 572. (47) C o r t é s , 1866 : 24. (48) L a n d a , 1938 : 225. V o i r T o i l e r , 1941 : 187 et n. 975. (49) R o y s , 1933 : 75, 175. (50) R Y , I : 116 et passim. (51) L a n d a , 1938 : 226. (52) Stephens, 1848, I : 335 ; II : 144 et passim. (53) Ibid., I : 357. (54) Ibid. Casares (1907 : 221) tombe d'accord avec cette h y p o t h è s e . (55) Casares, 1907 : 217. (56) Stephens, 1848, I : 231. (57) Ibid., I T C A , II : 429. (58) Casares, 1907 : 218. (59) Stephens, 1848, I : 250. (60) V o i r R u p p e r t et Denison, 1943 : 3 et passim. (61) Stephens, 1848, I l : 213. (62) Tozzer, 1941 : 86 = L a n d a , 1938 : 104. (63) Stephens, 1848, II : 211 s q q . (64) R u p p e r t et Denison, 1943 : passim. (65) Ibid. V o i r Morley, 1947 : 43. (66) L a n d a , 1938 : 104, 209. Tozzer, 1941 : 85 sqq., 170 sqq. V o i r Morley, 1947 : 174. (67) Tozzer, 1941 : 174, n. 908. L a n d a , 1938 : 212. Morley, 1947 : 339 sqq. et gravure 55. R o y s , 1943 : 51. (68) L a n d a , 1938 : 104. (69) Ibid. (70) Tozzer, 1941 : 8 7 = L a n d a , 1938 : 105. (71) R o y s , 1943 : 63. (72) Ibid. (73) Tozzer, 1941 : 28 et n. 154 ; n. 292. (74) R o y s , 1943 : 66. (75) Ibid. : 67. (76) Ibid. (77) Ibid. : 61. (78) Ibid. (79) Ibid. (80) K l u c h e v s k y , 1945, I : 162. (81) Ibid. : 163. (82) Ibid. : 164 sqq. (83) Ibid., II : 91. (84 W i t t f o g e l e t F ê n g , 1949 : 398 Sqq. (85) Ibid. : 466 sqq., 502.
NOTES
559
(86) Ibid. : 213, 259, e t passim. (87) Tozzer, 1941 : 99 = L a n d a , 1938 : 114. (88) Ostrogorsky, 1940 : 173. (89) Ibid. : 348. (90) Sumner, 1949 : 177. (91) Ibid. : 178. (92) Ibid. : 184. (93) Ibid. : 178. (94) Ibid. : 184. (95) W i t t f o g e l et F e n g , 1949 : 217 s q q . (96) R o y s , 1943 : 60. (97) Ibid. : 79. (98) T o w e r . 1941 : 27, n . 149. (99) Beaglehole, 1937 : 30. Wittfogel et G o l d f r a n k , 1943 : 25. T i t i e v , 1944 : 186. Parsons, I : 111. (100) Das, 1940 : 52, 98, 102. V o i r H e d i n , 1917 : 280, 295, 299, 320. (101) P o u r ce terme voir D a s , 1904 : 233. (102) Ibid. : 234, 244 s q q . (103) Ibid. : 245 s q q . (104) Ibid. : 231. Bell, 1927 : 158. (105) V o i r R o c k h i l l , 1891 : 292 s q q . D a s , 1904 : 241 s q q .
6, D (1) G l o t z , 1925 : 10. (2) Ibid. : 115-17. (3) Ibid. : 117, 186 s q q . , 402. (4) Ibid. : 151. (5) Ibid. : 119, 150 s q q . (6) Ibid. : 150. (7) E h r e n b e r g , 1946 : 8. (8) Ibid. (9) Ibid. V o i r M e y e r G A , I, P t . 2 : 776, 779. Glotz, 1925 : 202 s q q . (10) E h r e n b e r g , 1946 : 8. (11 Bengtson, 1950 : 41. Meyer, G A , II, P t . 1 : 244 s q q . (12) Bengtson, 1950 : 41. (13) Ibid. (14) Ibid. : 42. (15 Horst, 1932 : 23. (16) H é r o d o t e 7. 136. A r r i e n 4.10 s q q . (17) Bengtson, 1950 : 38. (18) Ibid. (19) V o i r G l o t i , 1926 : 268, 27. (20) E h r e n b e r g , 1946 : 22. (21) H o m o , 1927 : 117. (22 V o i g t , 1893 : 274, 358. (23) H o m o , 1927 : 120. (24) Ibid. : 217, 243. (25) A s a k a w a , 1929 : 71. (26) N i h o n g i , 1896, II : 225 s q q . (27) V o i r Sansom, 1938 : 93 s q q . ; et Reischauer, 1937, I : 146 s q q . (28) N i h o n g i , 1896, I : 164, 183, 283. A s a k a w a , 1929a : 193 e t n. 6. (29) A s a k a w a , 1903 : 270. V o i r aussi Sansom, 1938 : 101, en contradiction avec ses conclusions de la page 159. (30) N i h o n g i , 1896, II : 250 s q q . , 255. V o i r F l o r e n z , 1903 : 163. (31) N i h o n g i , 1896, II : 208, 241. (32) A s a k a w a , 1911 : 178 s q q . V o i r R a t h g e n , 1891 : 142. (33) T a k e k o s h i , 1930, I : 161. (34) Sansom, 1938 : 457. (35) T a k e k o s h i , 1930, III : 394, 412. (36) Ibid. (37) Sansom, 1938 : 455 s q q . T a k e k o s h i , 1930, I : 253. (38) H o n j o , 1935 : 241.
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DESPOTISME
ORIENTAL
(39) Sansom, 1938 : 470. (40) V e r n a s d s k y , 1943 : 327. (41) Struve, 1942 : 421. (42) Ibid. (43) Nestor, 1931 : 101. (44) Ibid. : 180. (45) Ibid. : 122, 124. (46) H ô t z s c h , 1912 : 545. (47) Nestor, 1931 : 11, 16. V o i r V e r n a d s k y . 1943 : 276 s q q . P o u r un expose s o v i é t i q u e r é c e n t , v o i r G r e k o v , 1947 : 130. (48) V e r n a d s k y , 1943 : 338. (49) Ibid. : 168 sqq. (50) Borosdin, 1908 ( p r é s e n t a n t les d é c o u v e r t e s de P a v l o v - S i l v a n s k y ) : 577. H ô t z s c h , 1912 : 546. Struve, 1942 : 427. (51) Mitteis, 1933 : 87 sqq., 528. (52) V e r n a d s k y , 1948 : 190. (53) Struve, 1942 : 422. (54) V e r n a d s k y , 1948 : 191. (55) Ostrogorsky, 1940 : 130. (56) Nestor, 1931 : 11, 56, v o i r 43 ; v o i r aussi 14. (57) Ibid. : 43. Miakotine, 1932 : 101. (58) Goetz, R R , I l : 228. (59) Ibid., I : 247 sqq. ; I V : 144.
6,
E
(1) Goldfrank, 1945a : passim. (2) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 505 s q q . (3) Ibid. : 120 sqq. (4) V l a d i m i r s t o v , 1948 : 102. (5) Ibid. : 101 sqq. (6) W i t t f o g e l , 1949 : 5 sqq. (7) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 664. (8) R i a s a n o v s k y , 1937 : 102. (9) Ibid. : 95. (10) Rostovtzeff, 1910 : 230 sqq. (11) Ibid. : 230. (12 Ibid. : 237. (13) Ibid. : 237 et n. (14) F r a n k , 1928 : 795. (15) Gelzer, 1943, II : 49 sqq. (16) Stevenson, 1934 : 211 sqq. (17) Jones, 1934 : 180. (18) Stevenson, 1934 : 191 s q q . (19) Ibid. : 216. V o i r L a s t , 1936 : 428 s q q . (20) Stevenson, 1934 : 185 sqq. (21) Charlesworth, 1934 : 686 s q q . (22) Ibid. : 123. Stevenson, 1934 : 192 sqq. (23) R i e p l . 1913 : 435 s q q . , 459. (24) Stevenson, 1934 : 189. Charlesworth, 1934 : 686 s q q . (25) V o i r plus loin, chap. 8. 26) F r a n k , 1940 : 300. 27) Miller, 1939 : 24. (28) Oertel, 1939 : 272. (29) Ibid. (30) Ibid. : 273. (31) Ibid. : 256. (32) V o i r (pour l'Espagne) V a n N o s t r a n d , 1937 : 127 s q q . ; (pour la Gaule) Grenier, 1937 : 493 sqq. ; (pour l'Angleterre) Collingwood, 1937 :14 sqq. (33) Stein, 1928 : 515-17. (34) Ibid. : 343. (35) Reiske, 1830 : 271. (36) V o i r L o t , 1951 : 405 sqq.
NOTES
561
(37) B l o c h , 1937 : 209. (38) M a i t l a n d , 1921 : 1 sqq. (39) H a s k i n s . 1918 : 5 sqq. (40) Ibid. : 4. (41) M a i t l a n d , 1948 : 9. (42) Ibid. (43) H a s k i n s , 1911 : 435. (44) Ibid. : 436. (45) Ibid. : 664 s q q . (46) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 507 s q q . (47) Koebner, 1942 : 52. (48) S á n c h e z - A l b o r n o z , E M , I : 281. V o i r L é v i - P r o v e n ç a l , 1932. (49) S á n c h e z - A l b o r n o z , E M , I : 213 s q q . (50) V o i r M i e l i , 1938 : 205 s q q . Ibid., 1946 : 165 sqq. L é v i - P r o v e n ç a l , 1932 : 173 sqq. (51) M i e l i , 1938 : 184 s q q . , 197 s q q . Ibid., 1946 : 132, 141 s q q . (52) D o z y , 1932, II : 173. (53) B û c h e r , 1922, I : 382. (54) Rogers, 1884 : 117. (55) a l - M a k k a r i , 1840, I : 215, v o i r 214. (56) Primera Crónica General: 767 (chap. 1124). V o i r L a b o r d e , 1808: 9; et Shirrmacher, 1881 : 410. (57) S e y b a l d , 1927 : 176. V o i r Lafuente A l c a n t a r a , 1845 : 136. (58) D o z y , 1932, II : 173. (59) Ibid. : 200, 222. S á n c h e z - A l b o r n o z , EM, I : 344. (60) V o i r S á n c h e z - A l b o r n o z , EM, I : 349, 351. (61) H i n t z e , 1901 : 406. (62) Ibid. : 413. (63) Ibid. : 411. (64) A l t a m i r a , 1930 : 61. 65) Ibid. : 104 s q q . (66) V o i r ibid. : 62 s q q . 67) Ibid. : 160. (68) Ibid. : 138. (69) H i n t z e , 1930 : 241. (70) A l t a m i r a , 1930 : 63. (71) V o i r K l e i n , 1920 : 34 s q q . (72) Ibid. : 17 s q q . , v o i r p a r t i c u l i è r e m e n t l a carte de la page 18. (73) Ibid. : 75, 77 s q q . , 170, 173, 175 s q q . (74) Ibid. : 279. (75) C i t é p a r ibid. : 313. (76) Ibid. : 325. (77) K l u c h e v s k y , Kurs. II : 260. (78) K l u c h e v s k y , H R , II : 112. (79) Ibid., II : 112 s q q . (80) Ibid.. I : 117. (81) Ibid., I : 269. (82) K l u c h e v s k y , Kurs, II : 174. (83) Ibid., II : 22-3. (84) Ibid., II : 23. (85) K l u c h e v s k y , H R , II : 126 s q q . , 138 ; III : 325 s q . , 237 sqq., 241. (86) K l u c h e v s k y , Kurs, II : 23. (87) Spuler, 1943 : 333, 338. V e r n a d s k y , 1953 : 219 sqq. (88) V e r n a d s k y , 1953 : 357 s q q . (89) Ibid. : 358 (les italiques sont de moi). (90) K l u c h e v s k y , H R , III : 227. (91) K l u c h e v s k y , Kurs. II : 436. (92) V o i r K a r a m s i n , H E R , V I : 448. (93) Spuler, 1943 : 409 s q q . K a r a m s i n , HER, IV : 393 sqq. Vernadsky, 1953 : 221, 357. (94) K l u c h e v s k y , H R , I : 304 s q q . (95) Ibid., II : 123. (96) Ibid. : 124 s q q .
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LE
DESPOTISME
ORIENTAL
(97) Ibid., III : 52. (9?) K l u c h e v s k y , Kurs, II : 272-3. (99) Ibid. : 277. (100) Ibid. : 278. (101) K o v a l e w s k y , 1903 : 43. (102) V e r n a d s k y , 1953 : 372. 103 Ibid. : 367. (104) V o i r W i p p e r , 1947 : 15, 30, 37, 42 s q q .
7, (1) 2) (3 (4) (5) (6) (7) (8 (9) (10) (11) (12) (13) (14) (15) (16) (17) (18) (19) (20) (21) (22) (23) (24) (25) (26) (27)
E
V o i r M u r d o c k , 1949 : 38 sqq. L i p s , 1938 : 516. Ibid. Beech, 1911 : 16. Ibid. : 34. Ibid. Parsons, 1939, I : 20. T i t i e v , 1944 : 184. V o i r Beaglehole, 1937 : 15. T i t i e v , 1944 : 51. Ibid. : 64. Beech, 1911 : 15. Ibid. : 34. D u n d a s , 1924 : 302. Merker, 1904 : 217. W i d e n m a n n , 1899 : 68. D u n d a s , 1924 : 266. G u t m a n n , 1926 : 4 4 0 s q q G u t m a n n , 1926 : 455. Ibid. : 442. Ibid. Ibid. : 442, 448. Ibid. : 446 sqq. D u n d a s , 1924 : 298. G u t m a n n , 1926 : 382 sqq. G u t m a n n , 1909 : 12. D u n d a s , 1924 : 286. W i d e n m a n n , 1899 : 87. Merker, 1903 : 34. W a i t z , 1880, I : 338 sqq.
7,
F
(1) D u n d a s , 1924 : 287. (2) W i d e n m a n n , 1899 : 87. (3) G u t m a n n , 1909 : 12. V o i r W i d e n m a n n , 1899 : 87. (4) W i d e n m a n n , 1899 : 87. (5 G u t m a n n , 1926 : 368. (6) D u n d a s , 1924 : 287. (7) G u t m a n n , 1926 : 370. (8) V o i r ibid. : 369 sqq. (9) Ibid. : 497 sqq. (10) V o i r aussi, avec quelques exceptions, G u t m a n n , 1909 : 9 et passim ibid., 1914 : passim; et ibid., 1926 : passim. (11) Kepelino, 1932-: 122, 124, 134. V o i r F o r n a n d e r , H A F , V : 72, 478 (12) Kepelino, 1932 : 122, 126, 146. (13) L y d g a t e , 1913 : 125. (14) A l e x a n d e r , 1899 ; 28. V o i r F o r n a n d e r , H A F , V : 208 sqq., 262 et P e r r y , 1913 : 93 sqq. (15) P e r r y , 1913 : 92, 95. H a n d y , 1940 : 36. (16) Malo, 1903 : 84. V o i r F o r n a n d e r , H A F , I V : 356 ; Kepelino, 1932 146 ; et H a n d y , 1933 : 34. (17) E l l i s , 1826 : 395. A l e x a n d e r , 1-899 : 28, 59 sqq. Kepelino, 1932 148, 150. H a n d y , 1933 : 34.
NOTES
563
(18) Kepelino, 1932 : 150. (19) G u t m a n n , 1926 : 302 sqq. (20) Ibid. : 16. (21) Ibid. : 428. (22) E l l i s , 1826 : 296 s q q . (23) A l e x a n d e r , 1899 : 24. (24) Ibid. : 88. B l a c k m a n , 1899 : 55. (25) L i n d , 1938 : 140. (26) E l l i s , 1826 : 401. A l e x a n d e r , 1899 : 88. (27 E l l i s , 1826 : 296 s q q . (28) V o i r A l e x a n d e r , 1899 : 156 ; et B l a c k m a n , 1899 : 188. (29) C o o k , 1944 : 337. (30) F o r n a n d e r , H A F , V : 478, 610 s q q . , 630. V a n c o u v e r . 1798, II : 116. E l l i s , 1826 : 89. (31) A l e x a n d e r , 1899 : 82. (32) M a l o , 1903 : 105 ; Cook, 1944 : 436. (33) P o u r des listes d'objets de ce genre, v o i r B l a c k m a n , 1899 : 54 sqq. ; A l e x a n d e r , 1899 : 80 s q q . ; et Cook, 1944 : 337 sqq. (34) Kepelino, 1932 : 124. (35) Ibid. : 134. (36) Sarmiento, 1906 : 90. (37) Cieza, 1945 : 180, 116 s q q . (38) Ibid. : 272. Garcilaso, 1945, II : 82. V o i r Cobo, H N M , III : 43 sqq. ; et Means, 1931 : 314 s q q . (39) Cieza, 1945 : 243, 278 sqq. V o i r Garcilaso, 1945, I : 237, 180. (40) Estete, 1938 : 94. (41) Garcilaso, 1945, I : 251. (42) C P L N C : 309. Jerez, 1938 : 38. Garcilaso, 1945, I : 187, 189 sqq. (43) Cieza, 1945 : 144, 165. (44) C P L N C : 309. V o i r Jerez, 1938 : 38. (45) Sancho de l a H o s , 1938 : 181. (46) Garcilaso, 1945, I : 185. (47) S o m b a r t , 1919, II : 769 sqq., 837. Kulischer, A W , II : 156 sqq. (48) V o i r plus haut, chap. 3, D , 3. (49) Breasted, 1927, I V : 164. Spiegelberg, 1896 : 21, 25. (50 Kees, 1933 : 103. (51) Ibid. : 103-4. 52) Ibid. : 104. (53 Newberry, B H , I : 46. (54) E r m a n et R a n k e . 1923 : 112. Kees, 1933 : 164. Voir Kiebs, 1915 : 116 ; et E r m a n , 1923 : 102 s q q . (55) V o i r Kees, 1933 : 165. (56) Ibid. (57 Breasted, 1927, II : 401 et passim. (58) Ibid. : passim. Kees, 1933 : 166 s q q . (59) Kees, 1933 : 103. (60) Ibid. : 165. (61) Ibid. : 164. (62) Ibid. : 167. (63) Ibid. (64) Ch'tt, T T , 1937 : 200-1. (65) D u y v e n d a k , 1928 : 49, 177, 179, 183. (66) Shih Chi. 6.21b. P o u r t r a d u c t i o n e t commentaire, v o i r M S H C S , C h ' i n - H a n , V I I , 1 (7). (67) V o i r Legge, C C , III : 381, 439 ; et K u o , M J , 1935 : 102b, 114a, 125b. (68) Legge, C C , III : 414, 516 ; I V : 439, voir 582, K u o , M J , 1935 : 118a. (69) ChMi, T T , 1947 : 200. (70) Falkenstein, 1936 : 58 s q q . (71) Schneider, 1920 : 21, 23. (72) D e i m e l , 1924b : 25. Schneider, 1920 : 108 s q q . (73) Schneider, 1920 : 92. (74) D e i m e l , 1927 : 58 s q q . , 61. Ibid., 1928 : 116 s q q . Ibid., 1920 : 82, 85 sq. V o i r Schneider, 1920 : 80, 85.
564
L E DESPOTISME
ORIENTAL
(75) Deimel, 1927 : 60 sqq. Ibid., 1931 : 103 sq., 112. (76) Schneider, 1920 : 83. (77) Ibid. : 32. (78) Scholtz, 1934 : 36, 137. (79 Deimel, 1931 : 39. Schneider, 1920 : 66 sqq. V o i r Scholtz, 1934 : 79, 92. (80) Schneider, 1920 : 67 sqq. Scholtz, 1934 : 115. Leemans, 1950 : 45 sqq. (81) Schneider, 1920 : 68. (82) Scholtz, 1934 : 171. (83) Ibid. : 115. (84) Schneider, 1920 : 68. (85) Leemans, 1950 : 46. (86) Sethe, 1908 : 8. Breasted, 1927, I : 209 ; II : 208 sqq. ; III : 20 sqq. (87) Sethe, 1908 : 8 sqq. ; Breasted, 1927 ; I V : 284. (88) T E A , I : 83 sqq. (89) Ibid. : 279 sqq. (90) Ibid. : 75, 89, 97, 281, 287, 291. (91) Ibid. : 93. Breasted, 1927, II : 114. (92) T E A , I : 93. (93) Ibid. : 93, 99, 281, 283, 297. Breasted, 1927, I V : 282 sqq. (94) V o i r Wittfogel, 1951 : 34. (95) Schneider, 1920 : 66 sqq. (96) T h u r e a u - D a n g i n , 1907 : 67 sqq., 77, 103 sqq. B a r t o n , 1929 : 181 sqq., 217 sqq., 143. Price, 1927 : 58 sqq., 16. (97) T h u r e a u - D a n g i n , 1907 : 31, 103, 105-7. B a r t o n , 1929 : 47, 131. 145. Price, 1927 : 63, 71, 19 sqq. (98) T h u r e a u - D a n g i n , 1907 : 71, 107. B a r t o n , 1929 : 185, 221. Price, 1927 : 63, 20-1. (99) Price, 1927 : 20. (100) Leemans, 1950 : 113. (101) Ibid. : 118. (102) Ibid. : 120 sqq. (103) Ibid. : 122.
7, G (1) Acosta, 1945 : 39 sqq. (2) Bandelier, 1878 : 426 et n. 98. Ibid.,
1880 : 600. Monzon, 1949 :
passim. (3) Z u r i t a , 1941 : 146. O v i c d o , H G N I . II P t . 2 : 535 sqq. V o i r Bandelier, 1880 : 602 et n. 73. (4) P o u r les d i f f é r e n t e s c a t é g o r i e s d'artisans a z t è q u e s , v o i r Sahagun, 1938, III : 28 sqq. ; II : 365, 394 ; Diaz, 1944, I : 349 ; T o r q u e m a d a , 194J, II : 486 ; et Motolinia, 1941 : 213. (5) Motolinia, 1941 : 206. Oviedo, H G N I , II, P t . 2 : 536. Tezozomoc, 1944 : 165. T o r q u e m a d a , 1943, II : 555, 559. V o i r C o r t é s , 1866 : 108. (6) Monzon, 1949 : 44. Bandelier, 1878 : 426, n. 98. (7) Z u r i t a , 1941 : 146 sqq. M o n z o n , 1949 : 26. (8) Tezozomoc, 1944 : 100, 105, 123, 148. (9) Sahagun, 1938, II : 356 sqq. Tezozomoc, 1944 : 143, 156. (10) Sahagun, 1938, II : 341, 344 s q q . , 354 s q q . , 359. (11) Tezozomoc, 1944 : 125. (12) V o i r Sahagun, 1938, II : 102, 196. (13) R a m i r e z , 1944 : 86. Tezozomoc, 1944 : 148. (14) R o y s , 1943 : 46. (15) V o i r plus haut, chap. 6. (16) V o i r R o y s , 1943 : 46. (17) Ibid. : 51. (18) L a n d a , 1938 : 94 sqq. (19) B r é h i e r , 1950 : 183 sqq., 201 sqq. (20) S t ö c k l e , 1911 : 11, 16, et passim. B r é h i e r , 1950 : 182 sqq., 221. (21) Fletcher, 1856 : 57. (22) Herberstein, N R , I : 111. V o i r Staden, 1930 : 11 sqq.
NOTES
565
(23) Herberstein, N R , I : 111. (24) Kulifeher, 1925 : 349 sqq. (25) Kilburger, c i t é par Kulischer, 1925 : 350. L y a s h c h e n k o , 1949 : 224 sqq. (26) Kulischer, 1925 : 343 sqq. M a v o r , 1925, I : 118 s q q . (27) Kulischer, 1925 : 344 sqq. (28) Ibid. : 349 sqq. L y a s h c h e n k o , 1949 : 224 sqq. (29) Kilburger, c i t é par Kulischer, 1925 : 350. (30) Ibid. (31) Fletcher, 1856 : 62 sqq. (32) Ibid. : 61. (33) Ibid. : 62. (34) Gsell, H A , I : 98. (35) Polybe, 15. 1. 6 sq. (36) H a m m o u r a b i , sec. 271. V o i r Meissner, B A , I : 153, 361, 163, 230 s q q . (37) R o y s , 1943 : 34. (38) G r ä s s m a n , R V , 1 : 341. W h i t n e y , 1905 : 899. V o i r K e i t h , 1922 : 100 ; et Banerjee, 1925 : 115. (39) Banerjee, 1925 : 155. V o i r W h i t n e y , 1905 : 111. (40) H o p k i n s , 1922 : 258 sqq. (41) Ibid. : 267. (42) Ibid. (43) F i c k , 1920 : 277. (44) Banerjee, 1925 : 192. (45) H o p k i n s , 1902 : 173. (46) Sultas bouddhistes : 3. (47) R h y s - D a v i d s , 1922 : 175. (48) Ibid. : 178. L a w , 1923 : passim. Ibid., 1941 : 163 sqq. SuUas b o u d dhistes : 131. (49) Suttas bouddhistes : 3. (50) Jalakam, 1 : 155 ; III : 317 ; I V : 195 ; V : 35 et surtout 441 s q q . (51) F i c k , 1920 : 137 sqq. R h y s - D a v i d s , 1950 : 13, 16. L a w , 1923 : 116, 138 s q q . , 172 s q q . , 180, 196, 202. (52) R h y s - D a v i d s , 1950 : 1. Ibid. : 1922 : 190 sqq. L a w , 1941 : 119-38. (53) V o i r Jalakam, I : 65, 79 ; II : 378 sqq. ; III : 66, 144, 321 sqq. ; I V : 1 ; V : 185, 210 et passim. V o i r C . A . F . R h y s - D a v i d s , 1922 : 207. (54) F i c k , 1920 : 258 s q q . V o i r Jalakam, I : 336, 342 sqq. ; II : 59, 74 ; III : 134, 322 ; I V : 74 ; V : 414 et passim. (55) F i c k , 1920 : 257 sqq. (56) V o i r Jalakam, I : 178, 203 ; II : 268, 491 ; III : 523 sqq. ; I V : 80 et passim. (57) V o i r Jalakam, I : 436, 438. (58) C . A . F . R h y s - D a v i d s , 1922 : 207. (59) F i c k , 1920 : 260. V o i r Jalakam, V : 412 s q q . ; V I : 391 sqq. ; V I I : 224. (60) C . A . F . R h v s - D a v i d s , 1922 : 207. (61) Ibid. (62) Ibid. : 211. (63) Ibid. : 210 s q q . (64) H o p k i n s , 1902 : 175. (65) Ibid. : 175, n. 2. (66) G B P , 1822 : 406 (c'est moi qui souligne). (67) Ibid. : 405. (68) V o i r Burnouf, 1876 : 220. (69) Speiser, 1942 : 60. Jacobsen, 1943 : 165 sqq. K r a m e r , 1950 : 45 s q q . (70) Boas, 1938 : 610. Wittfogel et G o l d f r a n k , 1943 : 17. (71) K r a m e r , 1948 : 156 sqq. (72) Jacobsen, 1943 : 159 sqq. (73) Ibid. : 160. (74) K r a m e r , 1948 : 162. (75) G ö t z e , 1933 : 67. (76) Ibid. : 67, 71. (77) Landsberger, 1925 : 10, 23. (78) G ö t z e , 1933 : 71 et notes 18-20. 20
566
LE DESPOTISME ORIENTAL (79) Landsberger, 1925 : 9. (80 G ö t z e , 1933 : 70 et notes 22-25. (81) Jacobsen, 1943 : 161. V o i r G ö t z e , 1933 : 70. (82) Landsberger, 1925 : 9. (83) Jacobsen, 1943 : 162. V o i r W a l t h e r , 1917 : 12 sqq.
354
sqq.
(85) (36) (87)
Jacobsen, 1943 : 164 C u q , 1929 : 358. Ibid.
(88) (89)
V o i r K r ü c k m a n n , 1932 : 446 ; Weber, R S , II : 88 sqq.
; et Cuq,
1929 :
sqq.
et Walther, 1917
: 74, 75
sqq.
7, H (1) Ostrogorsky, 1940 : 192. (2) Ibid. ¡3) Mukerjee, 1939 : 219. (4) E d g e r t o n , 1947 : 156. Kees, 1933 : 45. (5) W i l c k e n , 1912 : 278 sqq. (6) G u q , 1929 : 363. (7) V o i r plus haut, chap. 4. (8) P o u r l a date principale, voir Bodde, 1938 : 238 sqq. P o u r une é t u d e plus c o m p l è t e du sujet, voir M S H C S , C h ' i n - H a n , I, 1. (9) S m i t h , 1926 : 365. (10) G i b b et Bowen, 1950 : 254 s,qq. (11) V o i r Kees, 1933 : 42. (12) A l e x a n d e r , 1899 : 29. (13) E d g e r t o n , 1947 : 159 sqq. (14) V o i r Kees, 1933 : 23, 42, 44 ; et Breasted, 1927, I : 76 s q q . , 93, 166 sqq. ; II : 6, 9 ; I V : 405. (15) Z u r i t a , 1941 : 148 s q q . Oviedo, H G N I , II, P r . 2 : 535. Monzon, 1949 : 44. (16) A p p a d o r a i , 1936, I : 135 sqq. (17) H a r d y , 1931 : 22, 25. Johnson et West, 1949 : 22 sqq., 65. (18) P o l i a k , 1939 : 36, 39. (19) G i b b et Bowen, 1950 : 253. (20) Ostrogorsky, 1940 : 179, 194. (21) Boulais, 1924 : 244. (22) Oviedo, H G N I , II, P t . 2 : 535. (23) Jatakam, II : 427 ; V I : 98. (24) Shih-Chi, 30. l i a . P o u r traduction et commentaire, voir M S H C S , C h ' i n - H a n II (45). (25) L a n g , 1946 : 87, 94. (26) V o i r Wittfogel, 1956 : 157 sqq. (27) H a x v t h a u s e n , S R , III : 46 s q q . (28) Ibid. : 47. (29) S e g r è , 1943 : 107. (30) A p p a d o r a i , 1936, I : 115. (31) Kees, 1933 : 42. (32) Alexander, 1899 : 29. (33) Leemans, 1950 : 53. (34) Seidl, 1951 : 46. (35) Kees, 1933 : 42. (36) J o l l y , 1896 : 94. (37) A p p a ^ r a i , 1936. I : 152. (38) L e e n u .s, 1950 : 53. (39) Meissner, B A , I : 188. (40) Schawe, 1932 : 434. (41) C u q , 1929 : 105. (42) Ibid. : 92 sqq. (43) Ibid. : 103. (44) Ibid. : 100. (45) Dubberstein, 1939 : 36.
NOTES
567
(46) Rostovtzeff, 1941, I : 465. Christensen, 1923 : 271. (47) Rostovtzeff, 1910 : 246 sqq. (48) Segre, 1943 : 88, 133. (49) T a r n , 1927 : 113 sqq. V o i r B i k e r m a n , 1938 : 183 sqq. ; et R o s t o v tzeff, 1910 : 249 s q q . (50) T a r n , 1927 : 123, 150 s q q . (51) Ibid. : 131. (52) Ibid. : 150. V o i r B e l l , 1948 : 46 ; S c h u b a r t , 1922 : 229 sqq. ; et J o h n s o n , 1951 : 67 sqq. (53) Rostovtzeff, 1941, I : 289. (54) Ibid. : 290. (55) Berger, 1950 : 314. (56) W i l c k e n , 1912 : 285 s q q . V o i r T a r n , 1927 : 150. (57) W i l c k e n , 1912 : 307. V o i r B e l l , 1948 : 74. (58) Wellhausen, 1927 : 32. (59) Becker, IS, I : 237. (60) V o i r T r i t t o n , 1930 : 146 sqq. (61) Steinwenter, 1920 : 51. (62) Becker, IS, I : 237. V o i r ibid., 1903 : 94. (63) V o i r Wellhausen, 1927 : 275. (64) Becker, 1903 : 94. (65) Becker, IS, I : 238. (66) J o h n s o n , 1951 : 86. (67) Becker, IS, I : 237. (68) Becker, 1903 : 121 sqq. Wellhausen, 1927 : 31 sqq. (69) Becker, 1903 : 121 sqq. (70) Ibid. : IS, 1 : 239 sqq. (71) P o l i a k , 1939 : 24. (72) Ibid. : 36 s q q . (73) Ibid. : 32 s q q . (74) Ibid. : 39. (75) G i b b et B o w e n , 1950 : 238. (76) Ibid. : 256. (77) Ibid. : 239. (78) Ibid. : 261. (78) Ibid. : 261. (79) Ibid. : 258. (80) Ibid. (81) Ibid. (82) R o y s , 1943 : 36. (83) Ibid. : 37. (84) L a n d a , 1938 : 111. Tozzer, 1941 : 96 et n . 429. R o y s , 1943 : 37. (85) M o n z o n , 1949 : 45 sqq. (86) Z u r i t a , 1941 : 148. (87) Ibid. : 143 s q q . , 148 s q q . , 152 s q q . (88) Ibid. : 144. (89) O v i e d o , H G N I , I I , P t . 2 : 535. (90) M o n z o n , 1949, 41 sqq. V o i r O v i e d o , HGNI, I I , Pt. 2 : 535 sqq. (91) M o n z o n , 1949 : 45. (92) Z u r i t a , 1941 : 153, voir 144. (93) Ibid. : 153. (94) Ibid. : 144. (95) M o n z o n , 1949 : 45. (96) M o m m s e n , 1921 : 573, n. 1. W i l c k e n , 1912 : 287. B e l l , 1948 : 74. (97) J o h n s o n et W e s t , 1949 : 18, 39. (98) W i l c k e n , 1912 : 298, 303. (99) Ibid. : 298, 307 sqq. B e l l , 1948 : 74. (100) W i l c k e n , 1912 : 287, 302, 307. (101) Ibid. : 303. ¡ 1 0 2 ) Ibid. : 298, 302. J o h n s o n et West, 1949 : 18. (103) V o i r J o h n s o n , 1951 : 72 sqq. (104) W i l c k e n , 1912 : 312, 319 s q q . , 322. (105) V o i r ibid. : 322.
568
LE DESPOTISME ORIENTAL
(106) Ibid. : 322 sqq. H a r d y , 1931 : 22, 25, 136, 138. Johnson et West, 1949 : 22 s q q . , 65. Johnson, 1951 : 97. V o i r Bell, 1948 : 122 sqq. (107) V o i r W i l c k e n , 1912 : 323 ; Johnson et West, 1949 : 46 ; et H a r d y , 1931 *. 239. (108) H a r d y , 1931 : 54 sqq. Bell, 1948 : 124. Johnson, 1951 : 86, 97. (109) H a r d y , 1931 : 82 sqq. Johnson, 1951 : 83 sqq. (110) V o i r H a r d y , 1931 : 23 ; et Johnson et West, 1949 : 46. (111) V o i r H a r d y , 1931 : 59 sqq. ; Bell, 1948 : 124 sqq. ; et Johnson et West, 1949 : 30. (112) Johnson et West, 1949 : 240. (113) Ibid. (114) V o i r ibid. ; et Johnson, 1951 : 123. (115) Johnson, 1951 : 86. (116) Ibid. (117) Han Shu, 24A.14b. (118) Ibid. : l l a - b , 14b-15a. (119) Shih Chi, 30.11a, 15a sqq. Han Shu, 24B, 12a, 14a sqq. MS HCS, Ch'in-Han, 11 (45) (50). (120) W a n , K T , 1933 : 163 sqq. V o i r Balazs, B W T , I : 43 s q q . (121) Agrarian China : 2. (122) Ibid. : 23 sqq. 7,1 (1) Scheil, 1900 : 86, 99. Meissner, B A , I : 367. C u q , 1929 : 130. V o i r Speiser, 1912 : 59. (2) V o i r plus haut, chap. 6. (3) Jatakam, II : 37 sqq. P o u r la fonction de l'acheteur r o y a l , voir aussi I V : 160 sqq. (4) V o i r Kees, 1936 : 48 ; H a m m o u r a b i , secs, 273 sqq. ; Meissner, B A , I : 163, 281 ; et Jatakam, III : 316, 443, 488, 490. (5) V o i r Arthashastra, 1923 : 76. (6) -Voir Jatakam, passim; et Arabian Nigtlis, passim. (7) P o u r l a Chine, voir L a n g , 1946 : 94. 8, A (1) S m i t h , 1937 (2) Ibid. (3) Ibid. : 776.
: 248.
8,C (1) P o u r l'histoire d u terme, voir E m g e , 1950 : 1205 sqq. (2) Staline, 1942 : 352 sqq. (3) Ces faits ont é t é é t a b l i s par Lienche T u F a n g au cours d'une é t u d e sur les subalternes dans la bureaucratie de la dynastie Ts'ing ; cette é t u d e est une c o n t r i b u t i o n a u x t r a v a u x de l a section T ' s i n g d u Chinese History Project (MS). (4) Weber, R S , I : 331 sqq. (5) Ibid. : 332. (6) V o i r Meyer, O A , I V , P t . 1 : 45 sqq. et n. ; et Christensen, 1944 : 137, n. 1. (7) V o i r G r a v et Cary, 1939 : 196 ; et Meyer, O A , I V , Pt. : 49. (8) Meyer, O A , I V , P t . 1 : 48. (9) Ibid. : 50. (10) Ibid. : 49, 67 sqq., G r a y et Cary, 1939 : 193. (11) G r a v et C a r y , 1939 : 198. (12) V o i r H é r o d o t e , 5.96 ; G r a y et C a r v , 1939 : 197 ; et Meyer, G A , I V , P t . 1 : 49. (13) H é r o d o t e 5.32 ; Meyer, G A , I V , P t . 1 : 49. (14) X é n o p h o n 8.6.10. G r a y et C a r y , 1939 : 196. M e y e r , G A , I V , P t . I : 49.
569
NOTES
.*
180, 105,
(15) X é n o p h o n 8.6.10 s q q . (16) G r a y et C a r y , 1939 : 197. (17 Ibid. (18) Ibid. : 198. (19) Ibid. : 199. (20) Meyer, G A , I V , P t . 1 : 50, v o i r 53. 21) Ibid. : 59 et n. 1. (22) G r a y et Cary, 1939 : 196. (23) M e y e r , G A , I V , P t . 1 : 51. (24) Rowe, 1946 : 273. (25) M o r e l a n d , 1929 : 9. (26) Ibid. : 8. 27) Ibid. : 119 sqq. (28) Wittfogel, dans Commentary, octobre 1950 : 337. (29) R o w e , 1946 : 267. (30) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 441. (31) Kees, 1953 : 4. (32) V o i r plus haut, chap. 8. (33) F i c k , 1920 : 253. (34) Ibid. 35) Ibid. (36) Jatakam, I V : 541 s q q . : V I : 317. (37) J o l l y , 1896 : 148 sqq. V o i r Vishnou, 1900 ; 190 s q q . 38) V o i r C . A . F . R h y s - D a v i d s , 1902 : 205. (39) V o i r plus haut, chap. 7. (40) P o u r la situation sociale des possesseurs de terre, voir Jatakam, I : 167, 185. 232 s q q . , 376 ; II : 73. 98, 234 s q q . , 300, 384, 388, 425 ; III : 59, 171, 222 s q q . , 224, 554 ; I V : 449 ; V : 168, 475, 506 sqq. ; V I : 317. (41) V o i r Stein, 1951 : 131. V o i r H a r d y , 1931 : 25 s q q . (42) Ondegardo, 1872 : 37 s q q . 43) V o i r plus haut, chap. 7. 44) C h ' ü , T T , 1937 : 172. (45) V o i r plus haut, sec. C , n. 3. (46) V o i r p a r t i c u l i è r e m e n t H a m m o u r a b i , secs. 28 s q q . (47) W i l c k e n , 1912 : 184. (48) J o h n s o n et West, 1949 : 290. 49) V o i r P o l i a k , 1939 : 49. 50) G i b b et Bowen. 1950 : 261. 51) V o i r O t t o , P T , II : 243 s q q . 152) V o i r plus haut, chap. 4. 53) Legge, C C , I : passim.
8,
D
(1) (2) (3 (4) 5)
V o i r plus haut, chap. 7. V o i r plus haut, chap. 2. Wittfogel, 1931 : 393 sqq. Ibid. : 1938 : 96 s q q . Meissner, B A , I : 180, 377. Mendelsohn, 1949 : 66 s q q . Kees, 1933 : 48, 130. V o i r E r m a n et R a n k e , 1923 : 144.
6) 7) 8) 9) (1) (2) (3) 4)
W e s t e r m a n n , 1937 : 75. Meyer, 1924, I : 190. 8, Mendelsohn, E 1949 : 121. Wittfogel, 1931 : 408 s q q . P o u r ce terme, voir W i t t f o g e l , 1949 : 15. L o w i e , 1927 : 42. V o i r M a c L e o d , 1924 : 12, 39. L o w i e , 1927 : 38. V o i r M a c L e o d , 1924 : passim. V o i r L o w i e , 1927 : 33
1 Î
5) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 505 6) W i t t f o g e l , 1949 : 10 sqq.
sqq.
570
L E DESPOTISME 8, (1) (2) 3) (4) (5)
ORIENTAL
F
M E G A , I, P t . 6 : 534. Ch'ing Shih Kao, 11.2a. Ibid., 11.4b. Yen T'ieh Lun, I : 14a. V o i r Gale, 1931 Peking Gazette, 1898 : 92.
: 35.
8, G (1) (2) 3 4)
M a v o r , 1925, I : 306 sqq. L y a s h c h e n k o , 1949 : 279. Ibid. : 280. V o i r M a v o r , 1925, I : 306, 310. Wittfogel, 1924 : 93. V o i r L a m p r e c h t , DO, I V : 200 s q q .
(1) (2) (3) (4) voir (5) (6) (7) (8) (9)
V o i r plus haut, chap. 5. V o i r G u t m a n n , 1909 : 111. V o i r E r m a n et R a n k e , 1923 : 138 ; et E r m a n , 1923 : 247. Kees, 1933 : 46. P o u r l a Chine, voir Wittfogel, 1931 : 578 sqq. P o u r l ' E g y p t e P o l i a k , 1934 : 268. P o u r la Chine, v o i r Wittfogel, 1931 : 579, nn. 355 sqq. Boulais, 1924 : 184. Peking Gazette, 1898 : 43. Noldeke, 1892 : 158, 162. Ibid. : 155, 158.
8,
luk,
H
mame-
8, I (1) V o i r plus haut, sec. C , n. 3. (2) Huang-ch'ao Ching-shih Win Hsû-p'ien. (3) V o i r plus haut, sec. C , n. 3. R é f é r e n c e à Ch'ing Shih Lu (Chiaching), 55.18a-19a. (4) Ibid. (5) Boulais, 1924 : 654 sqq. (6) V o i r Kulischer, A W , I : 280 s q q , (7) < L e s fonctionnaires han, é t u d e statistique », M S élaboré par le Chinese History Project. Les é l é m e n t s fondamentaux ont é t é rassembles par M m e C h ' u Tseng-ch'iu et a n a l y s é s p a r E s t h e r S. Golfrank. (8) H e l c k , 1939 : 14 s q q . (9) Ibid. : 71 s q q . (10) W i e t , 1937 : 399. (11) V o i r K o r n e m a n n , 1949 : 257 sqq. (12) Ostrogorsky, 1940 : 225. (13) Ibid. V o i r Stein, 1951 : 129. (14) Ostrogorsky, 1940 : 241 ( s o u l i g n é par moi). (15) P o u r le concept de famille influente, voir Wittfogel et Féng, 1949 : 285. (16) Peking Gazette, 1896 : 60. (17) Ibid., 1872 : 4. (18) Ibid., 1890 : 55. (19) M a v o r , 1925, I : 398. (20) Ibid. : 415. (21) Ibid. (22) Ibid. : 410 s q q . (23) V o i r Berle et Means, 1944 : 94, 117, 121 ; et Gordon, 1945 : 28, 49» 52, 108 s q q . , 272 sqq., 301 s q q . (24) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 441. (25) Ibid. : 199 s q q . (26) Ibid. : 416, n. 51. (27) Han Shu, 97A.27b-23a. San Kuo Chih, Wêi 5.1*.
NOTES
571
(28) L y b y e r , 1913 : 58 et n. 2. (29) V o i r pins haut, chap. 4. (30) Tso Chuan Chu Shu, 42.6a-b Shih Chi, 68.9b. (31) Jones, 1831 : 113. (32) V o i r plus haut, chap. 3. (33) V o i r Jatakam, III : 369 ; et F i c k , 1920 : 173. (34) Dubois, 1943 : 290. V o i r plus haut, chap. 3. (35) Manou, 1886 : 141. (36) Ibid. : 24. (37) R o y s , 1943 : 34. (38) Wittfogel, 1947 : 24. (39) V o i r Aristote, Politique 4.15.1300b. (40) V o i r M S « Les fonctionnaires han ». (41) P o u r cette phrase, v o i r Wittfogel, 1949 : 15 sqq. (42) Wittfogel et F ê n g , 1949 : 454. (43) Wittfogel, 1947 : 25 et nn. 57-61. V o i r K r a c k e , 1953 : 70 et n. 61. (44) Wittfogel, 1947 : 26. (45) Ibid. : 30 s q q . (46) Ibid. : 32-8. (47) W i t t f o g e l et F ê n g , 1949 : 463. (48) Ibid. (49) P o u r une discussion de cette formule, v o i r M S C h a n g , C G . (50) K r a c k e , 1947 : 120. (51) V o i r O l m s t e a d , 1948 : 90, 227, 267, 312, 313, et passim. (52) H é r o d o t e 8.105. X é n o p h o n 7.5.64. (53) V o i r Mez, 1922 : 336. (54) Hou Han Shu, 78.6b-7a. P o u r traduction et commentaire, voir M S :CS, C h ' i n - H a n III (76). (55) V o i r Wittfogel, 1935 : 55, n. 2. (56) Shih Chi, 87.22b sqq. V o i r B o d d e , 1938 : 52 sqq. (57) Hou Han-Shu, 78.2b. 58) Han Shu, 93.1a. (59) Hou Han Shu, 78.2b. (60) Han Shu, 93.4b. (61) Hou Han Shu, 78.3b. (62) Ibid., 68.4a sqq. (63) P o u r ce terme, v o i r Wittfogel, 1949 : 24. (64) Ming Shih, 304.21b-28a. (65) H u g , 1918 : 451 sq. (66) Ibid. : 452. (67) Ibid. (68) Ostrogorsky, 1940 : 175. (69) R u n c i m a n , 1933 : 204. (70) Ibid. (71) Ibid. : 203. Schubart, 1943 : 27, 220. (72 S c h u b a r t , 1943 : 206, 102. M e z , 1922 : 335. (73) R u n c i m a n , 1933 : 203 s q q . (74) Ibid. (75) A m a r i , 1935 : 301, 312. M e z , 1922 : 335. (76) R u n c i m a n , 1933 : 203. (77) Ostrogorsky, 1940 : 175. (78) R u n c i m a n , 1933 : 203. (79) Mez, 1922 : 325. _ (80) P o u r ce terme, voir Fischer, 1948 : 634. (81) M e z , 1922 : 332. (82) W i t t f o g e l et F ê n g , 1949 : 529, 560 sqq. (83) Ibid. : 569. (84) Ibid. : 464. (85) Peking Gazette, 1899 : 82, 84 s q q . , 86, 87 sq. (86) Stevenson, 1934 : 188 s q q . Charlesworth, 1934 : 636. M o m i g l i a n o , »34 : 727. L a s t , 1936 : 426 s q q . , 432. Duff, 1936 : 757 s q q . (87) Miller, 1941 : 14. (88) A y a l o n , 1951 : 16 sqq., 27 s q q . , 29 s q q . , 31 s q q . , 34 s q q .
572
LE DESPOTISME ORIENTAL (89) (•.0) (91) (92) (93) (94)
L y b y e r , 1913 : 39, 117 s q q . Miller, 1941 : 70, 73. L y b y e r , 1913 : 100 sqq. Miller, 1941 : 71. M a c h i a v e l , 1940 : 16 s q q . Ibid. : 16. L y b y e r , 1913 : 69, 92, v o i r 49.
9, A
286,
(1) Boas, 1937 : 102. (2) Ibid., 1928 : 236. (3) V o i r A r k e l l et M o y - T h o m a s , 1941 : 397, 408. M a y r , 1942 289.
: 280
sqq
9, B (1) S m i t h , 1937 : 645 sqq., 687 sqq., 789. (2) V o i r Mil], 1820 ; I : 175 sqq. (3) Ibid., 11 : 175 sqq., v o i r I : 182 sqq. et II : 186. P o u r d'autres r é f é rences aux conditions non f é o d a l e s des Indes, voir II : 25 sqq., 166 sqq., 176, 189 sqq., 202. (4) Jones, 1831 : 7 sqq., 109 s q q . (5) M i l l , 1909 : 12 sqq. (6) M E G A , I, P t . 6 : 530. (7) M i l l , 1909 : 20. (8) Jones, 1859 : 447. V o i r ibid., 1831 : 111 s q q . (9) M a r x , N Y D T , 5 a o û t 1853. (10) M a r x , 1921 : L V I Ibid., D K , I : 45 ; III, P t . 1 : 318. (11) M a r x , D K , III, P t . 1 : 318. (12) V o i r M a r x , D K , I : 42 s q q . ; III, P t . 1 : 310, 315, 317, n. 50 ; III, Pt. 2 : 136, 174, 324. Ibid., 1921, II : 482 sqq. (13) P o u r les passages c i t é s plus haut, voir M a r x , N Y D T , 25 j u i n 1953. (14) M a r x et Engels, 1920, 1 : 197. (15) M a r x , N Y D T , 3 d é c e m b r e 1859. (16) M a r x , D K , 111, P t . 1 : 318 (les italiques sont de moi). (17) M a r x , N Y D T , 3 d é c e m b r e 1859. (18 M E G A , III, P t . 1 : 455, 459. V o i r M a r x et Engels, 1920, I : 475. (19 M a r x et Engels, 1920, I : 160. (20) M a r x et Engels, 1927 : 323 sq. (21) Engels, 1894 : 56. (22) Engels, 1935 : 165. (23) M a r x , 1857 : 227. (24) M a r x , 1953 : 144. 25) M a r x , D K , III, P t . 1 : 315, I I I , Pt. 2 : 136. 26) M a r x , 1927 : 327. (27) M E G A , III, P t . 1 : 487. (28) Ibid. 29) M a r x , N Y D T , 5 a o û t 1853. (30) M a r x , D K , III, P t . 1 : 324. (31) Ibid. : 174. (32) M a r x , 1939 : 376 sqq. 33) Ibid. : 393. (34) Ibid. : 395. (35) Ibid. : 392 sqq. (36) Ibid., D K , I : 683 s q q . (37) L é n i n e , S, I : 121. (38) Ibid., III : 56. (39) Ibid. : 58. 40 Ibid., I V : 351. (41 Ibid. : 390. (42) Ibid., V I : 13. (43) Ibid., I X : 43. (44) Ibid. : 33, 32.
NOTES (45) (46) (47) (48) (49) (50) (51 (52) (53) (54) (55) (56)
573
Ibid., X I I I : 300 s q q . Ibid., X V I I : 31. Ibid., X V I I I : 144. Ibid. : 145. Ibid., X X : 375. Ibid., X X I : 40. Ibid., II : 231 ; X I I I : 300 sqq. M a r x , 1857 : 218. L é n i n e , S. V . : 345. Ibid., V I : 28. Ibid., I X : 114. Ibid., X V I I : 118 (c'est moi qui souligne).
9, C 371
448 213 174, 473
(1) Marx, D K , I : 104 ; III, P t . 1 : 316 ; III, Pt. 2 : 237. Ibid., T M W [• ; III : 452 s q q . , 479 s q q . (2) M E G A , III, P t . 1 : 133. (3) M i l l , 1909 : 12 s q q . (4) M a r x , T M W , III : 501. P o u r la p r e m i è r e version, voir Jones, 1859 sqq. (5) M E G A , III : 476. V o i r Bernier, 1891 : 220, 381, v o i r 204 s q q . , 205 s q a sqq. (6) V o i r M a r x , D K , I : 45 s q q . ; III, P t . 1 : 316 sq. ; P t . 2 : 136, 157 323 s q q . , 337, 367. Ibid., T M W , I : 397 ; II, P t . 1 : 205 ; III : 451, 452 s q q . ' s q q . , 479 sqq., 482 s q q . , 495 s q q . , 497, 498 s q q . (7) M a r x , D K , I : 478. (8) Ibid. (9) M a r x , N Y D T , 25 juin 1853. (10) Ibid. (11) Ibid. V o i r M a r x , 1939 : 337. (12) M a r x , D K , III, P t . 1 : 370 (c'est moi q u i souligne). (13) Engels, 1935 : 183. (14) Ibid. (15 Engels, 1935 : 183. Ibid., 1921 : 185. (16) M a r x , D K , III, P t . 2 : 259 s q q . (17) Engels, 1935 : 183. (18) M a r x , 1939 : 378. (19) Ibid. : 391. (20) Engels, 1935 : 164, 185. (21 Ibid. : 183. (22) Ibid. (23) Ibid. (24) Ibid. : 184. (25) Ibid. : 291. (26) V o i r plus haut, chap. 8, A , a. (27) Engels, 1955 : 183. (28) Ibid. : 291. (29) Engels, 1921 : passim. (30) Morgan, 1877 : 372 sqq. (31) Engels, 1921 : 132. (32) Ibid. : 165 s q q . , 44 s q q . (33) Ibid. : 162. V o i r Engels, 1935 : 184 s q q . , 395. (34) Engels, 1921 : 167 (c'est m o i q u i souligne). (35) Ibid. : 180. (36) Ibid. (37 Ibid. : 181. (38) Ibid. : 331 (c'est m o i qui souligne). (39) M a r x , T M W , II, P t . 1 : 310. (40) Ibid. (41) Ibid., II, P t . 1 : 313. (42 Ibid. (43) Ibid.
574
L E DESPOTISME
ORIENTAL
(44) M E G A , I, P t . 6 : 545. (45) M i l l , 1909 : 949. (46) Ibid. : 961. (47) M E G A , III, P t , 3 : 217, 224, 302, 341. (48) G u i l l a u m e , I D S , I : 78 s q q . B a k o u n i n e , 1953 : passim. (49) Bakounine, 1953 : 288. (50) Ibid. : 287. (51) Guillaume, I D S , II : 192. (52) V o i r Wittfogel, 1953 : 358, n. 34. (53) V o i r Engels et K a u t s k y , 1935 : 306, 310, 313 s q q . (54) M E G A , I, P t . 6 : 554. (55) Ibid. (56) Ibid. : 555. (57) V o i r M i l l , 1909 : 208. (58) V o i r plus haut, chap. 6, C , 3, c. (59) L é n i n e , S, III : 126. (60) Ibid.. V : 271, 275 sq. (61) Ibid., V I : 334. (62) Ibid., I : 272, n. 2. (63) Ibid., I V : 350. (64) Ibid., II : 103-4 ; V I : 333, 343. (65) Ibid., XIV : passim. (66) Ibid., X : 27 sqq. (67) V o i r plus loin, chap. 9, C , 3, e, 2. (68) Protokoly : 116. (69) L é n i n e . S, X : 303. (70) Ibid., X I I I : 300. 71) Ibid. (72) Ibid., X I I I : 301. (73) Ibid. : 302. (74) Ibid. : 303. (75) P l é k h a n o v , 1906 : 12 sqq. Protokoly : 44. (76) P l é k h a n o v , 1906 : 16. (77) Ibid. : 14. (78) Ibid. : 17 (c'est moi q u i souligne). (79) Protokoly : 45. (80) Ibid. : 116. (81) L é n i n e , S, X I I I : 300. (82) Ibid. : X I I I : 302. (83) Ibid. : 301. (84) Protokoly : 103 sqq. V o i r aussi L é n i n e , S, X I I I : 299. (85) Protokoly : 45. (86) L é n i n e . S, X : 303. (87) Ibid., X I I I : 301, 387 sq. (88) L é n i n e , 1937 : 288. (89) V o i r plus haut, sec. B . , notes 47, 38. (90) V o i r plus haut, sec. B , note 49. (91) L é n i n e , S. X X I : 17. (92) Ibid. : 17 sqq., 78 s q q . , 257, 336. (93) Ibid.. X X I I : 226. (94) Ibid., X X V : 357 Sqq. (95 Ibid. : 367 et 364. (96) Ibid., X X I X : 436. V o i r ibid., S W , X I : 612. (97) L é n i n e , S, X X I X : 438 (c'est moi q u i souligne). (98) Ibid. : 438 sqq. (99) Ibid., X X V : 362. (100) Ibid., X X I X : 445. (101) Ibid., X X V I I I : 401. (102) Ibid., X X X I I : 329 (c'est moi q u i souligne). . (103) V o i r M E G A , III, P t . 1 : 487 ; M a r x , D K , I : 323 ; et M a r x et Engels. 1052 : 211 sqq. (104) V o i r plus haut, sec. B , n. 49-. (105) L é n i n e , S. X X X I I : 330 (c'est moi q u i souligne).
575
NOTES (106) (107) 108)
XXXIII : 423.
Ibid., Ibid. Ibid.
: :
430. 445.
(109) Ryaranov, 1925 : 374 sqq. (110)
Inprecor,
(115) (116) (117) (118) (119) (120)
Ibid. Ibid. Ibid. Ibid. Ibid. Ibid.
1925
: 1280
sqq.
(Ill Varga, 1928 : 19 sqq. (112) Problemy Kitiaa (Moscou), N " 4-5, 1930 : 233. (113) Voir plus loin, chap. 9, C, 4, d. (114) DASP : 14 sqq., 66 sqq. : 72, 181. : 182. : 5, 62. : 20, 24. : 74. : 6. Inprecor, 1928
(121) (122) (123) (124)
Voir : 1249, 1254. Staline, S, II : 337 sq. Voir Wolfe, 1948 : 582 sqq. Staline, S, II : 118, 124 sq., 127.
(125) (126)
Ibid., Ibid. Ibid., Ibid., Ibid. Ibid.
(127) (128) (129) (130)
(131) (132) (133) (134) (135) (136) (137) (138)
(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9) (10)
:
I : 237 311.
sqq.
VIII : 359. IX
: :
: 240 240. 241.
sqq.,
285
sqq.,
290,
336
sqq.
Staline, 1939 : 131. Childe, 1946 [l'« édition 1942] : 76, 161, 203, 223, 272, et pastim. : 18 sqq. (c'est moi qui souligne). Childe, 1944 : 23. Childe, 1951 : 35. Childe, 1953 : 72 (c'est moi qui souligne). Guber, 1942 : 275, 279. Tolstov, 1950 : 3. Ibid.
10, A Mill, 1909 : 10-20. Brew, 1946 : 44 sqq. Willey, 1953a : 378 sqq. Huxley, 1955 : 9 sqq., 15, 21. Mill, 1947 : 959. Pour ce terme, voir Westermann, 1937 : 76, 13. Pour ce terme, voir Veblen, 1947 : 133. PiggOtt, 1950 : 263 sqq. Westermann, 1937 : 75 sqq. Ibid.
:
76.
(11) Arkell et Moy-Thomas, 1941 : 408. (12) Mayr, 1942 : 5. (13)
Ibid.
(14) Voir Kroeber, 1948 : 261. (15) Voir plus haut, chap. 1. (16) Voir Wipper, 1947 : 39, 81.
(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7)
10, B Voir Wittfogel, 1935 : 52. Mill, 1909 : 696 sqq., 701. Voir Smith, 1937 : 736. Mill, 1909 : 697, 701. Ibid. : xlvii, 699-701. Marx, NYDT, 8 août 1853. Ibid. Ibid.
576
L E DESPOTISME
ORIENTAL
(8) M a r x et Engels, 1952 : 217. '9) M a r x , N Y D T , 25 j u i n 1853. (10) Ibid., D K , III, P t . 1 : 318. (11) F u r n i v a l l , 1944 : 148. V a n d e n b o s c h , 1949 : 81. (12) A l t a m i r a , 1930 : 168 sqq. (13) V o i r plus haut, chap. 6, B , 4. (14) V o i r plus haut, chap. 6. (15) F l o r i n s k y , 1953, II : 900. (16) Ibid. : 1067, 1081 sqq. (17) Prokopowitsch, 1913 : 52 sqq. (18) T u g a n - B a r a n o w s k y , 1900 : 70 s q q . , 76 s q q . , 85 s q q . (19) Prokopowitsch, 1913 : 58. V o i r L y a s h c h e n k o , 1949 : 716. (20) L y a s h c h e n k o , 1949 : 416. (21) Ibid. : 703. (22) Zagorsky, 1928 : 7. (23) Ibid. : 8. (24) Ibid. (25) Ibid. : 6. (26) Weber, 1906 : 324, cf. 398. (27) F l o r i n s k y , 1953, II : 1238. Wolfe, 1948 : 564. (28) K a y d e n , 1929 : 14. (29) F l o r i n s k y , 1953, II : 1228. (30) F u r n i v a l l , 1944 : 252. (31) K a h i n , 1952 : 35. (32) Imperial Gazetteer of India, II : 514. (33) A p p l e b y , 1953 : 51. (34) Schuster et W i n t , 1941 : 72. (35) F u r n i v a l l , 1944 : 43. (36) K a h i n , 1952 : 471, cf. 29 sqq. (37) N e h r u , 1946 : 283 sqq. (38) Ibid. : 332 sqq., 415 sqq., cf. 420 sqq. (39) V o i r plus haut, chap. 7. (40) Agriculture in India : 35. (41) W a r r i n e r , 1948 : 15, 85 s q q . B o n n e , 1948 : 188. (42) J a c k h , 1944 : 78 sqq. (43) V o i r ibid. : 187, 191 ; T h o r n b u r g , S p r y et Soule, 1949 : 180, 199; et B i s m a r c k - O s t e n , 1951 : 9. (44) Cooke, 1952 : 283. (45) V o i r T a y l o r , 1936 : 13. (46) Ibid., 1942 : 132. (47) C h a m b e r l i n , 1935, I : 248 s q q . (48) L é n i n e , S, X X I V : 4. (49) Ibid., X X X : 237. (50) Ibid. : 230 sqq. (51) C h a m b e r l i n , 1935, I : 281. (52) V o i r ibid. : 229. (53) Ibid. : 159. (54) Ibid. : 249 sqq. (55) V o i r L é n i n e , S, X X V I : 227 sqq. (56) Ibid., X X I V : 4. (57) Ibid., X X V : 20. (58) Ibid., X X I V : 5. (59) C h a m b e r l i n , 1935, I : 266 sqq. (60) L é n i n e , S, X X V : 267. (61) Ibid., X X V I : 228. (62) V o i r ibid., X X : 375. P o u r les t h é o r i e s fondamentales de M a r x et E n g e l s , v o i r plus haut, chap. 9, v o i r B , note 20 s q q . (63) L é n i n e , S W G , X X I I : 636 sq. ; voir 577, 596, 606 sq. (64) Ibid., S. X X X I I I : 258. (65) Ibid., X X I I I : 229. (66) B a y k o v , 1947 : 8. (67) L é n i n e , S. X X X I I I : 43. (68) Ibid. : 423, 430.
577
NOTES (69) M a r x , 1939 : 395. (70) V o i r M a o T s é - t o u n g , 1954 : 64, 122, TOir 105 s q q . , 189, 196. Ibid., 1945 : 35. Ibid., (71) V o i r Wittfogel, 1950 : 335.
172, 188, 267, 269-71, 278 ;. 1945a : 58.
10, C (1) V o i r Inprecor, 1927 : 292, 328, 330 sqq. ; N e h r u , 1942 : 123 N e h r u , 1942a : 123 sqq. (2) V o i r Wittfogel, 1951 : 33. (3) V o i r J ä c k h , 1944 : 191. (4) N e h r u , 1946 : 19. (5) V o i r Socialist Asia, II, N ° 10 : 2 ; III, N ° 2 : 10 ; III, N ° 3 III, N é 8 : 17. R a n g o o n T r a c t s , I : 5, 7 sqq., 11, 13, 16, 20 sqq. V o i r M e h t a , 1954 : 40, 59, 149, 152 sqq., 165. P o u r l a conception « f é o d a l e l ' h é r i t a g e en Inde selon N e h r u , voir N e h r u , 1946 : 284, 307, 319, 320 324 sqq., 334, 352 sqq. (6) V o i r M e h t a , 1954 : 43 sqq. (7) L u x e m b o u r g , 1951 : 604 sqq. (8) R a n g o o n T r a c t s , I : 5. (9) Ibid., I : 4. (10) V o i r ibid., I : 8, 9. (11) N e h r u , 1942 : 597. (12) Ibid., 1946 : 376. (13) Hindu Weekly Review (Madras), 1 " novembre 1954. (14) Socialist Asia, III, N ° 4 : 3, 4. (15) V o i r Wittfogel, 1955a : passim.
sqq
Ibid.,
: 5 ; aussi » de sqq.,
BIBLIOGRAPHIE
Les titres d'ouvrages dont la liste suit se réfèrent aux livres et aux articles cités dans la présente étude. Dans les notes, ces ouvrages sont désignés par le nom de l'auteur et la date de publication. Cependant, les livres comprenant plus d'un volume, dont la publication couvre plusieurs années (ex. Meissmer, BA) et les articles publiés clans des périodiques durant plusieurs années (ex. Bandelier, RH) sont désignés par les initiales de l'auteur et du titre. Les abréviations données dans les notes sans nom d'auteur (ex. : RDS) sont classées par ordre alphabétique dans la liste ci-dessous. Les titres de collections et de périodiques qui sont cités plus de deux fois dans cette liste sont désignés par les sigles suivants : A AA ANET ASS BCPP
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NYDT NZ OCRAA
ORIENTAL
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1
INDEX GÉNÉRAL
Absolutisme, insuffisamment étudié, 12; — authentique sous le D.O., 130; — limité en Occident, 63 sqq., 101 ; société à centres multiples, 62 et passim ; propriété forte ; 105 sqq., 230 sq., 364 ; — limité au Japon, 243 sq., 442 ; — et autocratie, 133 sq.; V. Autocratie, Europe, Japon, Mercantilisme, Despotisme oriental, Pouvoir total. ACTON (lord), 166.
Agriculture, conditions nécessaires pour 1'—, 25 sqq. ; — pluviale, 32 sqq. ; hydroagriculture, 13, 32; — d'origine primaire et secondaire, 31 ; — hydraulique. 13; origines, 32 sqq.; — multiple. 33 sq. ; — intensive, 37 ; V. Division du travail. Économie hydraulique. Agrobureaucratique (régime), synonyme de D.O., 13, 19 et passim. Agrodespotique (régime) ; V. Despotisme oriental. Agrodirectoriale (société) ; — synonyme de S. H., 13, 19. Aliénation, types d'—, 193 sq. ; — partielle, 193; — totale, 193, 197; V. Solitude. Aménagement hydraulique. 71 sqq. AMÉRIQUE CENTRALE, types et paysages
hydrauliques, 33 sq., 38, 46, 312, 314; agriculture pluviale, 31 ; agriculture, 91, 312; V. Maya, Mexico. I. Abréviations
employées
: D. O.
hydraulique; S.O. = Société orientale.
AMÉRIQUE DU SUD CONTEMPORAINE,
problème du pouvoir excessif de l'État, 517 sqq. ; V. Andes, Incas (les), Pérou. AMÉRIQUE PRÉ-COLOMBIENNE, civilisa-
tions hydrauliques, 13 ; souverains de 1'—, les grands bâtisseurs, 59 sq. ; prêtres, 438 ; absence d'eunuques, 428 sq. ; effet institutionnel de la colonisation, 20, 517 sq.; V. Andes, Incas (les), Mayas (les), Mexico, Pueblos (les indiens). Anarchistes (les), critiquent le socialisme d'État marxiste, comme entraînant le despotisme et l'esclavage, 468. ANDES, site hydraulique, 33, 38, 301 ; origine hypothétique de la S. H., 33 ; littoral, 200, 204; aqueducs, 46; commerce, 313 ; conditions pré-incas, conjectures (les), 200, 313; V. Incas (les). ANGLETERRE, partie de l'empire despotique oriental romain, 257 ; conquête normande et pouvoir gouvernemental, 80, 93, 260; Domesday Book. 259 sq. ; armées médiévales, 80,
84;
Grande
Charte.
108,
117;
perpétuation de la propriété foncière, 108; construction de canaux insignifiante avant le xvni' siècle, 47 ; des changements internes touchent la politique coloniale, 519; Despotisme oriental ; S. H. = Société
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DESPOTISME
ORIENTAL
abandon récent de l'indivision, ARISTOTE. 106, 196, 253. 320. 106 sq. ' apparition récente de la Armée, V. Militaire (organisation). classe ouvrière organisée, 359 sq. Artisanat. V. Artisans, Industrie, ProAntagonisme social, types d'— dans priété. la S. H., 396, 398 sqg., 404 sq. ; Artisans, à temps partiel, 284 ; — prométhodes autocratiques de contrôle fessionnels, 300 ; — attachés au goude la bureaucratie, 418 sqq. vernement, 299 sq., 302 sqq., 305 ; Appareil d'État, le terme, 559 sq. ; — privés, 299, 302 sq.. 305-307, 309, la classe dominante, une bureau314 el passim; V. Industrie. cratie de monopole, 444 sq. ; appa- Asiatique (mode de production), théoratchiki, 405 el passim. rie du : Marx, 16, 450 sq., Lénine, Arabes (les civilisations), origines, 159, 456, 475 ; traité avec respect pendant 190, 433. la discussion de Leningrad, 485 ; reCalifat Ommeyade : une dynastie de cherche par les communistes de noconquête, 433 ; appuyée par des altions de compromis : féodalisme buliés tribaux, 433 sq. ; eunuques insireaucratique, 488 ; despotisme bugnifiants, 433; armée, 85, 261, 396; reaucratique, 488; le soi-disant, préoccupations hydrauliques, 159, 494 sq. ; la fameuse théorie du, 495 ; 210 ; impôt, 207 ; prosternation, 190 ; trois formes de combat communiste chute, 396. contre le —, 495 sqq. ; les communistes asiatiques même respectueux Califat Abbasside : régions hydraude Marx évitent le concept. 535 sqq. ; liques centrales, 205 ; aménagements V. Lénine, Leningrad (discussion hydrauliques, 73 ; abandon du soude —). Marx. Plekhanov. tien tribal, 250; armée, 261 ; densité bureaucratique, 205 ; eunuques, 432 ; Asiatique (restauration). 18. 472 sqq. ; terreur, 172, 176 sq. ; impôt, 207; V. Stockholm (congrès de —). confiscation, 99 sq. ; esclaves, gardes Asiatique (société), discutée par les du corps, 435 ; femmes-esclaves mèéconomistes classiques. 450 sqq. ; res de califes, 416; V. Islamique V. Société hydraulique. Ordre semi(civilisation), Proche-Orient. asiatique, Lénine, Leningrad (discussion de), Marx, Stockholm (conArchitecture hydraulique, construcgrès de). tions publiques monumentales, 61 sqq. ; caractère introverti des Assimilation des conquérants, légende constructions privées, 111 ; — comet réalité. 395 ; V. Sociétés de conparée avec celle de l'Europe médiéquête. vale, 62 sqq. ASSYRIE, aqueducs, 27 ; colonies de Archives (conservation des —), dans marchands, 325 sq. ; eunuques, 428 ; la S. H., 69 sq. particularités hydrauliques, 38, 202 sqq. ; lois sur la succession, 103 ; Aristocratie, bureaucratique, 15, religion (contrôle du gouvernement 379 sqq. ; position modifiée par l'exsur), 120. tension de la propriété foncière privée. 356 ; — et les « porteurs de Astronomie dans la S. H., 44, 49, 262, ceinture » (shên-shi). 110. 382; 461. shên-shi. revenu, 363, 383 ; orien- AUGUSTE, 76, 121, 253, 255 sqq., 351, tation bureaucratique, 382 sq. ; fonc534. tions, 383 ; on en devient membre Autocrate, transfert de son pouvoir à par examen ou par l'achat d'un dides personnes proches de lui, 135 sq., plôme. 424 ; les communistes rejet371 sqq. ; importance unique de sa tent l'interprétation bureaucratique, décision, 135, 417; solitude de 1'—, 485 ; V. Classes. 191 ; V. Absolutisme.
INDEX GENERAL Autocratie, la r è g l e sous le D . O . , 15. 133 sq. ; tendances
cumulatives au
—
623
dirigeante,
15, 443 ; d é v e l o p p e -
ment du concept, 17 ; M a x Weber sur
pouvoir i n c o n t r ô l é , 15, 134, 417; —
la — 369 ; M i l l sur la « — d o m i -
et absolutisme, 133 sqq. ; — occiden-
nante », 467 ; — « fonctionnelle »,
tale, 101.
15, 463, 485;
Auto-gouvernement dans la S. H . , li-
passim
— totalitaire,
15 et
; — de monopole, 444 sq. ;
m i t é , mais existant dans des groupes
sous le D . O . c o m p a r é e
à d'autres
d'importance secondaire
bureaucraties,
409,
: famille,
146 sqq., 153 sqq. ; guildes, 150, 155 ; religions secondaires,
152 sq.,
c o m m u n a u t é s villageoises,
147
108
sq..
441,
444 sq. ; Staline c r é e un mythe tota-
155;
litaire de la bureaucratie, 372 ; V .
sqq.,
Classes, C o m p é t i t i o n .
153 sqq. ; d é m o c r a t i e au rabais, 147 ; V . Guildes.
Bureaucratique, l ' É t a t
(Beamtenstaat)
— , 375 ; d e n s i t é — , 205 sqq. ; aristo-
Autoritarisme, n'est pas identique au
cratie—, 15 ; c o m p é t i t i o n — , 4 0 7 sqq. ; c a r r i è r e s (dangereuses dans la S. H ) ,
totalitarisme, 441 sq. AUTRICHE, r é s i s t a n c e au D . O . sans acceptation de ses m é t h o d e s , 262
sq.,
409;
insécurité,
408;
Timon
d ' A t h è n e , 195 ; p r o p r i é t é — , 361 sqq.; p r o p r i é t a i r e s fonciers — , 15, 335 sqq.,
271. Aziaehtchina.
L é n i n e sur, 356, 472-476;
le spectre de, 480
BABYLONE, type hydraulique, 205 sqq. ; économie
350 sqq.,
362 sqq. ; capitalistes — ,
311 sqq. ; h é d o n i s m e — , 362.
sqq.
agrodirectoriale,
326;
BURNHAM, 67. BYZANCE, Haute-époque, jusqu'à
1071 ; — à
constructions non-hydrauliques, 53 ;
l ' é c a r t des centres h y d r a u l i q u e s ,
c o r v é e , 56 sq. ; routes, 53 sq. ; t h é o -
208 sq., 213 sqq., 222 sq., 237; cor-
cratie, 120,
120,
114,
v é e , 213 ; constructions non-hydrau-
342 sq. ; image terrifiante du
liques, 212 sq., 218, 331 sqq. ; routes,
pouvoir, cient
171
sq. ; p r ê t r e s ,
171 sq. ; mais fort coeffi-
de
rationalité,
183 ;
impôt,
92 sqq., 206 sq. ; terres d ' É t a t , 342 ; terres administratives, 214 ; terres du temple, 333 ; p r o p r i é t é p r i v é e , 342 ; p r o b l è m e propriété
de
foncière
l'étendue privée,
326, de la
342 sq. ;
commerce d ' É t a t et commerce p r i v é , 313 ; marchands, 324 sq. ; a s s e m b l é e s locales : une sorte de jury civil, 327 ; guildes, 321 ; esclaves, 391.
Marx),
213 ; i m p ô t , 92, 214, 385 ; terres administratives, 214 sqq. ; tenure foncière,
215
468.
BALI, type hydraulique, 73 sq. ; p o p u -
sq.,
confiscations,
218
sq.,
332,
336;
218; lois sur la suc-
cession, 230 ; l'empereur, 129,131 sq.; organisation militaire, 82 sq., 213 sq. ; les
fonctionnaires
l'emportent
sur
l'aristocratie, 413; p r é é m i n e n c e fonctionnaires thèmes,
BAGDAD, 162, 205, 207, 422. BAKOUNINE (contre
213 ; poste d ' É t a t , 77, 213 ; cadastre,
214
214
militaires, sq.,
384,
sq. ; bureaucrates
des
471
sq. ;
pronoétes, subalternes,
384; torture judiciaire, 180; industrie et commerce,
213,
317;
mar-
lation, 294 ; c o r v é e . 40 ; « droit à la
chands, 321 ; guildes, 150 ; paradis de
r é b e l l i o n », 131.
l'eunuque, 432 ; V . R o m e (orientale).
BERNIER, 12, 163, 165, 450, 454, 460, 520.
Egypte byzantine, a c t i v i t é s
BOUKHARINE, 197, 484, 491, 528.
349
Bureaucratie,
cratie
universels
hydrau-
liques, 212 sq. ; tenure f o n c i è r e , 336, terme, et
72,
372 ; traits
spécifiques,
407 ; —
d é p e n d a n t e , 408 ; — c o n t r ô l é e , 408 ;
sq. ; i m p ô t ,
350,
357 ; aristo-
bureaucratique, 381 ;
nistration d u village, 148, Période
admi-
154.
tardive, affaiblissement
de
624
LE
l'ordre
despotique
par
DESPOTISME des
forces
ORIENTAL 34, 38, 48 sqq., 59 sq., 74. 160, 202,
e x t é r i e u r e s , 237, 509 ; interlude ins-
205 sq., 223 sq. ; de la S. H . simple
titutionnel
à la semi-complexe et à la complexe,
de
l'empire latin,
d é c l i n des a c t i v i t é s
218;
directoriales,
306 sq., 316, 348 sq.
203 sq. ; croissance de la grande pro-
Provinces,
p r i é t é p r i v é e , 215 sq., 218 sq.,
administration, 49 ; aristocratie bu-
222,
souverain, 49,
121
sq. ;
276, 221, 340; le cadastre reste pu-
reaucratique,
blic, 218 ; terres administratives, 214 ;
70 sq. ; c o r v é e , 53 sq., 91 ; organi-
i m p ô t , 218.
sation
281;
recensement,
militaire, 74;
terres
collec-
tives, 90 sqq. ; d é b u t s de l ' i m p ô t , 94 ;
CAIRE (le), 62, 207 Calendrier, importance s p é c i a l e
dans
la S. H . , 44 sqq. ; V . Astronomie. Calpulli,
eunuques,
359;
apparition
tardive des
prosternation,
89;
marchands,
306, 311; absence de guildes.
307;
a p o g é e « classique » de la c r é a t i v i t é ,
347.
Canaux pour la navigation, significa-
507 ; apparition finale de la p r o p r i é t é
tion d i f f é r e n t e selon les r é g i o n s hy-
f o n c i è r e p r i v é e , 91, 352; illustration
drauliques, 48 sqq. ; sans importance
du
dans l'Europe m é d i é v a l e , 4 7 ;
V . Confucius.
dans
modèle
de
la r a t i o n a l i t é ,
160;
la d e r n i è r e p é r i o d e de l'absolutisme
Impériale,
européen.
propre aux s o c i é t é s chinoises,
129;
la
416;
47 sq. ; V . Travaux
hy-
drauliques.
souverain
cour et
les
autocratique
parents, 362,
379,
Capital (le grand), 444 sq., 438.
fonctionnaires,
« Capitalisme d ' É t a t », un terme inap-
412 sq. ; aristocratie bureaucratique,
373,
406
sq.,
362 sq., 380, 383 sq., 387 sqq.. 420 sq. ;
p r o p r i é à l ' U . R . S . S . , 530. CARTHAGE, dans la r é g i o n subroarginale du monde hydraulique, 320, 328. CÉSAR, 254,299.
système
d'examens,
420
sqq. ; bu-
reaucrates s u b a l t e r n e s , 406
sq. ; a r m é e ,
74,
373,
86 ;
380,
colonies
CHAGGAS (les), population, 294 ; type
militaires, 360 ; eunuques, 428 sqq. ;
hydraulique, 40, 48, 204, 288; for-
c o r v é e , 50, 56, 66, 302, 360 ; canaux
tifications,
42,
et digues, 48 sq., 57, 59 sq., 208 sq. ;
52, 56, 90, 286, 292 ; le pouvoir du
routes, 54 sqq., 57, 60 ; s y s t è m e pos-
chef, 90,
52,
56;
corvée,
40,
115, 286 sq., 292 sq. ; les
tal,
78
sq. ; constructions
non-hy-
champs d u chef, 90, 286 ; la terreur,
drauliques, 57 sq. ; construction de
185 ; les fonctionnaires, 292 sq. ; sou-
d é f e n s e s , 53, 57;
recensement,
70;
mission, 185, 188 ; p r o p r i é t é f o n c i è r e ,
impôt,
confiscations,
98,
287 sq.,
163 ; lois sur la succession, 103. 231 ;
294;
merce, 284,
artisanat, 287; c o m -
287,
295; i m p ô t ,
294.
CHANDRAGUPTA, 87. CHAO,
KAO,
eunuque
auxiliaire
de
l'unificateur de la Chine, 430.
92,
207;
torture judiciaire, 178
sq. ; tenure
foncière,
316,
330,
335
sq..
348,
352 sqq.,
356,
359,
363,
368,
382,
407 sq. ; paysans,
149 sq.,
153
sq.,
CHARLEMAGNE, 116. CHARLES LE CHAUVE, 85, 88.
389; marchands, 163, 306 sq.,
CHATEAU (signification institutionnelle),
156, 307; conflits b a s é s sur la pro-
62.
389, 402 sq., 422; guildes, 151 p r i é t é , 397 sqq.,
CHI CH'AO-TING, 491,493.
gion d ' É t a t ,
CHILDE ( G o r d o n ) , 489, 494, 497, 521.
condaires,
CHINE (la),
121
152,
sq.,
402, 412 sq. ; relisq. ; religions 155; esclaves,
se330,
392.
Généralités
: paysage hydraulique,
Impériale
34,
sq. ; type hydraulique,
Liao
38,
321,
48
(dynasties de
: 223
conquête),
sqq. ; conditions
natu-
625
INDEX GENERAL relies et hydrauliques. 223 sq. ; sou-
terme e m p l o y é pour cacher l'aban-
verains
don du terme
tribaux « Chi-tan
», 235 ;
« Sporadique 2 » ou « Marginal I » ? , 224,
230;
préoccupations
hydrau-
liques minimes, 224; r é a l i s a t i o n s re-
marxien de
D. O.
par Engels, 465 sq. ; par L é n i n e , 420; par
Childe,
Classes
494.
(concept de —),
basé
sur la
latives à l'organisation et au pouvoir
p r o p r i é t é et le revenu, 366 sq. ; b a s é
d'acquisition, 225;
sur la relation avec l ' É t a t , 367 sqq. ;
non-hydrauliques,
constructions
224;
un
modèle
Dans la S. H . , division principale d é -
p o u r l ' a r m é e de Gengis K h a n , 224 ;
t e r m i n é e par le pouvoir, 368 sqq. ;
poste d ' É t a t , 78 ; types complexe de
division secondaire d é t e r m i n é e par la
succession et religion, 231 sq. ; sys-
p r o p r i é t é , 369 sq. ; p o l a r i s é e par la
tème
domination bureaucratique,
yin,
423 ;
Mongole
(Yuan),
faibles p r é o c c u p a t i o n s hydrauliques, 158 ; nomination des fonctionnaires, 423 ; origine
sociale des
fonction-
naires, 424 ; poste d ' É t a t , 78 ; M a n d choue
(Ch'ing),
pations
grandes
hydrauliques.
préoccu-
210 ; grande
acculturation mais pas d'absorption, 395;
tenure
d'État,
foncière,
78 ; c o n t r ô l e
352; des
poste
fonction-
naires chinois à travers les nobles des tribus,
425,
434 ; insignifiance
des
eunuques, 434; achat des d i p l ô m e s ,
La
classe
dirigeante,
structure
de
base, 370 sqq. ; souverain, 370 sq. ; cour. 371 ; le shi, 389 ; fonctionnaires titulaires 410
civils,
371
sq.,
405
sqq. ; fonctionnaires
militaires.
372,
nes, 373, 405
409
sqq.,
titulaires
sqq. ; subalter-
sq.
Extension
horizontale
dirigeante,
satrapes. 374 sq. ; prin-
ces,
375 ; curacas,
(rajas),
425.
369,
388 sq.
376
de la classe
375
sqq.,
sq. ;
raias
—- n o n - f é o d a l e ,
376 ; — c o m p a r é e avec les é c h e l o n s S o c i é t é chinoise par
: Adam
452
sq.,
traditionnelle,
Smith.
450;
Max
Weber,
531 ;
vue
Marx, 373 ;
Plekhanov. 473 ; L é n i n e , 456 ; Varga,
du pouvoir communiste, 378 Groupes a t t a c h é s geante, parents et 383,
Lattimore.
384
chinois, 497
503,
communistes
sq.
alliés,
378
sqq.,
383 sqq., 415 sqq. ; aristocratie, 379-
483 sq. ; Staline, 490 ; M a d y a r , 488 ; 489,
sqq.
à la classe diri-
412;
agents
économiques,
sq. ; quasi-fonctionnaires,
reli-
gieux. 383 sq. ; personnes occupant
Contemporaine,
République,
523 ;
une situation p r é - o f f i c i e l l e , 386 sq. ;
é c h e c de la transformation en une
statut semi-, quasi-, ou
pré-officiel,
société
384; comparaison avec
l'URSS.,
à
centres
Communiste,
530
semi-directorial
à
multiples.
523 ;
sq. ; d'un
ordre
un
ordre direc-
387 sq. Les g o u v e r n é s , le « peuple »
(min).
torial, 532 sq. ; V . Classes, Confucius,
389
S o c i é t é s de c o n q u ê t e , S y s t è m e d'exa-
gens d u c o m m u n , 389 sqq. ; compli-
mens, Aristocratie.
cations
Chinois d'outremer,
bourgeoisie
derne potentielle, 514, Chin-Shin,
mo-
520.
esclaves,
dues
à
la
490,
435
sq. ;
conquête,
396,
sqq.
Groupes
422 sq.
utilisés
pour c o n t r ô l e r
la
bureaucratie professionnelle, p r ê t r e s ,
C h ' i - T a n (souverains tribaux de l'empire Liao), 223,
433
sq. ;
235,
248,
250
sq.,
396. 433.
418 sq. ; gens du c o m m u n , 419 sqq. ; eunuques. 427 sqq. ; nobles c o n q u é rants tribaux, 433 sqq. ; pas de parti
CH'Ù CH'IU-PAI. 488.
politique, 432 sq. ; comparaison avec
Chùn-Tzù
l ' U . R . S . S . . 437; V . S o c i é t é s de c o n -
(le).
388.
Civilisation, emploi d u terme, 464 sqq. ;
quête,
Eunuques,
Esclaves.
Administration,
M o b i l i t é sociale.
626
LE DESPOTISME ORIENTAL
Classes (lutte de), peu
d'opportunité
pour sous le D . O . , 397 sqq. ; — dans l'Europe
400 ; —
médiévale,
dans
Construction ( a c t i v i t é s de),
typologie,
59 sq. ; — hydraulique ; V . Travaux hydrauliques ; — non-hydraulique,
la G r è c e classique. 106 sqq. ; s o u l è -
50 sqq. ; structures d é f e n s i v e s . 50 sqq.;
vements
routes. 53 sqq. ; palais, 56 sqq ; tom-
paysans,
404 ;
V.
Anta-
gonisme social. Coloni,
baux, 56 sqq. ; temples, 58 sqq. ; par-
350.
t i c u l a r i t é s e s t h é t i q u e s , 60 sqq. ; S. H .
Commerce. — sans c o m m e r ç a n t s professionnels, 283, 297 et passim ; mar-
c o m p a r é e avec des s o c i é t é s non-hydrauliques. 72 sq.
c h é s dans la S. H . simple. 295, 298 sq..
CORTEZ, 226, 265.
304 ; producteurs marchands.
283,
C o r v é e , compatible avec plusieurs for-
profes-
mes de s o c i é t é s , 499 sqq. ; — orga-
297,
302,
304 ; marchands
sionnels,
297.
308 ; —
gouvernement. 306,
309
attaché
sqq. ; —
au
privé,
309 sq., 314 et passim ; facteurs
stimulant le commerce, 301. Communautés
villageoises.
n i s é e par l ' É t a t par opposition à f é o dale,
500 ;
dimension
potentielle,
39 sqq. ; organisation. 40 sq. ; origines multiples de la direction. 42 ;
147
sqq..
153 sqq.
— et archives. 69 sq. ; — agricole, 92 sq. ; — souvent a b a n d o n n é e pour
C o m m u n e de Paris. 468, Commune
État,
477,
exemple
de
527.
la taxe f o n c i è r e , 91 ; V . Terres collec-
régime
tives. Travail.
dictatorial communiste, i d é e formu-
Curacas.
lée par M a r x , 468 ; i d é e a c c e p t é e par
CYRUS. 120.
375 sq., 394;
V . Classes.
L é n i n e en parole, i g n o r é e dans l'action, 481.
527
sq. ; jamais un pro-
Communisme, l o u é par J . S. M i l l .
12.
— moscovite, fonction de ses croyances, 531 ; — a p p e l é : forme progressive de totalitarisme (Fairbank). 538. Compatibles éléments
(éléments) spécifiques,
Régularités. Compétition,
opposés 498
Ensembles différente
Dmkar,
310,
315;
gai damkar,
aux
sqq. ; V .
157, 360,
397, 515;
so-
nement. du
—,
151 ; sa
Despotisme
de).
rents
changeant
pour,
Complexe 498;
199
p l e x i t é , 279 sq. et
—
structure,
et passim;
com-
la doctrine du gentleman-bu-
reaucrate,
171.
C o n q u ê t e , primaire donnant lieu à la formation de s o c i é t é s s t r a t i f i é e s . 193 ; — secondaire, modifiant des s o c i é t é s stratifiées,
394
ter-
intérêt
sq. ; l'institu-
sqq. ; t h é o r i e s
13, 16 sqq. ; acquisition, 14, 89 sqq. ; travail,
89
sqq. ; V .
pes de — , 95 ; —
499.
CONFUCIUS, 122, 158, 181. 186. 389, 420;
11
128;
C o r v é e ; im-
p ô t , 92 ; V . I m p ô t , confiscation, ty-
passim.
COMTE (Auguste), 447,
19 sq..
tion, construction. 13; organisation,
sqq.
(institutionnel),
densité,
408 ;
fonction,
oriental, le concept, 11,
complet,
double
167 sqq. ; la r é a l i t é , 157 ; V . Rationa-
minologie,
d'échec
sqq.,
V . Autogouver-
Despotisme bienfaisant (un), le mythe
l i t é (coefficient
sociaux.
dans des
D é m o c r a t i e au rabais (une), 127
c i é t é s d i f f é r e n t e s , 407 sq. ; types diffébureaucratique, 407
310.
DARIUS. 86, 120.
b l è m e pour M a o . 531.
rela-
tives au r ô l e de la — , 392 sqq.
CONSTANTINOPLE, 209, 219. 247, 522 sq.
agraire.
dans l'Occident
101 ; absence
de
contrôle
constitutionnel, 128 sqq. ; absence de c o n t r ô l e social, 130 sq. ; insignifiance des
obstacles naturels et
culturels,
126
sqq. ; gouvernement
par
midation,
171 ; e x c è s
de
inti-
défense,
e x c è s de protection, e x c è s d'organisation,
509 ; V
faisant
(un),
Despotisme
Société
transition). Terreur.
asiatique
bien(en
627
INDEX GENERAL D é v e l o p p e m e n t , agnosticisme à l'égard du
— . 19. 4 4 7 sqq. ; — s o u s
fluence
l'in-
Église, Occidentale,
combine
des
caracté-
d ' é l é m e n t s i n t e r n e s . 505 ; m o -
r i s t i q u e s f é o d a l e s a v e c des m o d è l e s
d è l e s m u l t i l i n é a i r e s , 19 sqq., 3 0 sqq..
q u a s i - h y d r a u l i q u e s , 6 3 , 101, 116 sq.,
4 9 7 sq.. 504 sq.. 518 ; g e n è s e d e t y p e s
130. 4 4 2 ; s o n r ô l e d a n s l a c r é a t i o n
ou de sous-types
de l a Grande Charte.
117; autono-
m e n t m u l t i p l e s . 33 sqq.. 234sqq. ; é v o -
mie,
127; l'Église
l u t i o n n i s m e d u x i x * s i è c l e . 4 4 6 sqq. ;
ne r e c o m m a n d e pas l a torture j u d i -
d o c t r i n e s o v i é t i q u e . 4 4 9 sqq. ; a b a n -
c i a i r e . 181 ; l a t o r t u r e p a r les s é c u -
don
sociaux,
p a r les M a r x
fréquem-
et E n g e l s de l a
m a t u r i t é de l ' u n i l i n é a r i s m e ,
19, 4 5 0
116 sq.,
123 sq.,
liers a p r é c é d é l ' i n q u i s i t i o n . prosternation,
survivance
et passim . p é r i o d e de — de l a S. H . ,
m o n i a l de l a c o u r
«
structure
formation
»
(locale).
5 0 6 51?..
« classique ». « é p a n o u i s s e m e n t
»
(territorial), 507. « i m p é r i a l e » (« fusion
» ) . 507 ; V . H i s t o i r e .
Révolu-
181 ; l a du
céré-
byzantine, 1 9 0 ;
bureaucratique, 444.
Orientale,
partie
d u jus
publicum,
123, 231 ; — p r e s q u e a u t o n o m e d a n s la p é r i o d e t a r d i v e d e l ' e m p i r e b y z a n -
tions, C h a n g e m e n t social, T y p e s so-
tin,
ciaux.
232. 2 4 6 ; — d a n s l a R u s s i e tsariste
(bureaucratie).
15,
com-
Moscou,
t e m p o r a i r e m e n t t o l é r é e en U . R . S . S.,
paraison d u régime directorial dans
_ 387.
la
EGYPTE
S. H . et d a n s les r é g i m e s t o t a l i -
taires m o d e r n e s .
à
à n o u v e a u a t t a c h é e à l ' É t a t , 232 ; —
DIOCLETIEN. 76. 132, 2 5 6 . 4 3 1 . Directoriale
232 ; — t r a n s f é r é e
76 sqq.
Pharaonique, origines hydrauliques,
D i v i s i o n d u travail, l a conception tra-
33 ; t y p e h y d r a u l i q u e . 38 sq., 4 2 , 4 6 ,
d i t i o n n e l l e ne tient p a s c o m p t e de l a
2 0 0 sq., 2 0 4 , 312 sq. ; c o r v é e , 4 0 , 58,
S. H . , 2 6 7 sq. ; — d a n s
302 sq. ; r e c e n s e m e n t , 7 1 , 305 ; c o n s -
hydraulique.
l'économie
37 sqq. ; c o m p a r a i s o n
e n t r e les t r a v a u x h y d r a u l i q u e s l o u r d s et l ' i n d u s t r i e l o u r d e , 43 sqq.
tructions
non-hydrauliques, 53,
56 sq.. 5 8 . 62 sq. ; le s o u v e r a i n , 119, 191 ; les f o n c t i o n n a i r e s . 2 0 6 . 291 sq.,
Domesday Book, o r i g i n e o r i e n t a l e p r o -
411 ; p r o p r i é t a i r e s
f o n c i e r s , 80, 9 2 ,
202. 401 ; e x p r o p r i a t i o n , 98 ; t e n u r e
b a b l e . 2 5 9 sqq. « D r o i t à l a r é b e l l i o n » . 130 sqq.
f o n c i è r e , 9 0 . 102, 305 sq., 3 3 1 , 3 3 3 ,
DUTT ( R P . ) . 4 9 3 .
339,
341. 3 4 4 ; t h é o c r a t i e .
Dynatoi.
119;
temples
349
et p r ê t r e s ,
114 sq., 127, 3 3 3 ,
341,386 ; É t a t s u b d i v i s é en territoires, m a i s n o n f é o d a l . 375 sq. ; l ' É t a t a d Eau.
rôle spécifique
de l ' e a u d a n s la
m i n i s t r e l ' i n d u s t r i e et le c o m m e r c e , 63.
g e n è s e d e l a S. O . . 25 sqq. É c o n o m i s t e s classiques, sur la société « asiatique » (« orientale »), 36. 459.
304 sq. ; c o m m e r c e ,
91, 301,
3 0 4 sq.. 3 1 0 , 3 1 7 ; m a r c h a n d s , 104 sq., 3 1 0 ; a r t i s a n s . 3 0 5 . 3 0 9 ; t e r r e u r . 172,
495 ; — et M a r x . 4 5 0 . 459 sq.. 4 6 4 ;
176 sqq. ; o b é i s s a n c e . 185 sq. ; p r o s -
— et E n g e l s . 4 6 3 sq. ; V . J o n e s ( R i -
ternation,
chard),
1 4 6 ; c a s t r a t i o n , 4 2 8 ; esclaves, 3 9 1 .
Mill
(James).
Mill
(John
186 sqq.;
— pour la c a r r i è r e
bureaucratique. 386. 4 1 9 ; d é v e l o p p e la
conscience
de classe
t i q u e . 3 8 8 . 4 2 3 sq.
familiale,
Ptolémaïque, population, 212; théo-
Stuart). Smith ( A d a m ) . É d u c a t i o n s o u s le D . O . . à l a s o u m i s sion.
189; autorité
bureaucra-
cratie.
1 2 0 sq. ; r e c e n s e m e n t ,
bureaucrates
subalternes,
171;
384 ; te-
n u r e f o n c i è r e . 3 3 3 . 344 sq. ; i m p ô t , 385 ; a d m i n i s t r a t i o n d u v i l l a g e . 148 ; guildes,
150; conflits sociaux. 400.
628
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
Romaine, tenure f o n c i è r e . 349 ; ad-
Mauresque, ordre hydraulique par-
ministration d u village. 148. 154.
fait,
Byzantine. V . Byzance.
i m p ô t . 261 ; police, 262; population
Contemporaine, irrigation, 46 ; cul-
dense. 262 ; eunuques, 262 ; a r m é e ,
261
sq. ; fonctionnaires.
ture fluviale insignifiante. 201 ; cor-
85 sq..
v é e . 40. 74. 177 ; c o n t r ô l e des eaux,
celui de Byzance, 86.
46.
74:
impôt.
401;
261;
261 ; revenu c o m p a r é
avec
terreur judi-
A p r è s la r e c o n q u ê t e , s o c i é t é à centres
ciaire. 179; terreur directoriale abo-
multiples, 262 sq. ; hommage condi-
lie au xix' s i è c l e . 177 ; obstacles à la
tionnel au roi. 263 ; absolutisme fort
transformation sociale. 522 ; V . M a -
de type occidental. 263 ; é c o n o m i e
meluks. Turquie.
pastorale
ENDO. conditions de la p r o p r i é t é . 284. ENGELS, conception du D . O . : acceptation
fondamentale,
461 sqq.. 463;
19.
491 ; assertions
sqq. ; a b a n d o n
464 sqq. ; Origine
454.
confuses.
temporaire.
de la, maillon le
(élevage
de
m o d è l e en A m é r i q u e ,
serviteur
de
la classe
Eunuques,
origine
de
la
castration,
sqq..
428 ; gardiens de harems. 428 ; poli-
473. « p é c h é contre la science » . 469.
tiques. 428 sqq. ; personnes de gran-
V. M a r x .
199, 457
possédante,
vernement.
trine. 464-466. 479 sqq. Vues sur la 16.
265.
explication insuffisante, 291 ; V . G o u ÉTRUSQUES (les). 239 sq.
tsariste.
et
É t a t , et gouvernement primitif. 290 sq. ;
plus faible dans ses positions de docRussie
moutons)
population. 264 ; exportation de ce
Lénine.
des c a p a c i t é . 429 sqq. ; excellents ou-
EN-JEMUSI (les), p r o p r i é t é , 283 ; position du chef. 386 ; rigoies et canaux, propriété Épibole,
de ia c o m m u n a u t é .
285
350 sq.
tils d u souverain. 429 ; distribution g é o g r a p h i q u e . 429
sq.
EUROPE M é d i é v a l e , agriculture pluviale, 62,
Esclavage, privé et domestique dans la S. H . . 390 sqq. ; d ' É t a t ,
forme hy-
502 ; é c o n o m i e seigneuriale. 65 ; de la s o c i é t é f é o d a l e simple à la s o c i é t é
draulique, l i m i t é e . 404; forme com-
f é o d a l e complexe,
muniste, g é n é r a l i s é e . 12 sqq.. 455 sqq. ;
à centres multiples, 69 sq.,
r é a l i s é sous le totalitarisme commu-
164 sq.. 173. 259; é t a t s , 257; biens,
niste,
530.
Esclavage
337 ;
généralisé,
conception
de
502 sq. ; s o c i é t é s
bureaucratie
gnifiante.
107
sq.,
politique
insi-
101 ; gouvernement
non
M a r x , 455 ; i n d i q u é par Engels. 456;
théocratique.
conception de J. S. M i l l de l'escla-
daux l i m i t é s et conditionnels, 107 sq., 127.
vage politique. Esclaves, p o s s è d e n t des v ê t e m e n t s , etc., 356;
essentiellement
comme domestiques 391
sqq. ; m o b i l i t é
employés
dans la S. H . sociale
plantation employant
des
173.
116 sq. ; services f é o -
185. 498.
502;
loppement 107 sqq..
de l a p r o p r i é t é ,
69, sq.,
dans la
151 ; conflits sociaux, 400; pouvoir
esclaves,
des bourgeois, 110, 164, 173 ; guildes. 110,
rigeante du D . O . . 435 sq. ; rebellions
V. Église. F è o d a l i s m e .
404;
V . Classes.
partie
de
l'empire
despotique oriental romain, 257 sq. ; séparation. 261.
145,
258 ; hydroagriculture.
151.
Absolutiste, multiples.
ESPAGNE Pré-mauresque,
et
163, 231 : i m p ô t , 93
340 ; fait membres de la classe d i exceptionnelles,
armée
organisation de la guerre. 83 ; d é v e -
156 sq..
une
101
sq.,
société
329. à
407;
centres
130. 442;
gou-
vernement despotique, mais non dictatorial. 65. 101 ; torture judiciaire. 181 ; forte p r o p r i é t é . 130: indivision et p r i m o g é n i t u r e . 105. 108 sq..
231,
INDEX
364 ; naissance du commerce et de l'industrie basée sur \ a propriété. 47 sq., 101. 276.
309 ; c a n a u x . 85 sq.
Évolutionnisme. V. Développement. Transformation des ensembles sociaux. Examens chinois (le système des), origine. 421 ; effet social limité par des mesures discriminatoires. 422; contrôlé par la bureaucratie dirigeante, 422 ; effet sur la conscience de classe de la bureaucratie. 423 sq. ; apporta du « sang frais » à la bureaucratie. 421 sqq.. 424 sqq. : V. Yin (le privilège).
Familial (groupe). 146. 153 sq. ; V. Auto-gouvernement. Fascisme (allemand et italien), étude comparative du. négligée. 538 ; la liquidation de la « grande classe ouvrière » dangereuse pour la grande propriété et pour la grande entreprise, 538 ; une rationalité limitée ne fait pas obstacle à une victoire écrasante, 471 ; l'appareil du parti l'emporte sur les généraux. 410; l'Allemagne de Hitler contraste avec la Suisse alémanique, 499 ; les lois de Nuremberg ne sont pas un signe de démocratie, 357. FATIMIDE (dynastie), 77. 432. Femmes, droits des chefs sur les, dans les grandes tribus hydrauliques, 292'. dans certaines S. H. centralisées. 303. 314. Féodale (interprétation de la S. H. comme), objections de Marx et Engels, 454 sqq. ; attitude de Lénine. 457, 475 sq. ; « féodalisme d'État ». une dénomination fausse, 475 sq. : critiquée par la vieille garde. 483 sq. ; les portes-parole du parti insistent sur, pendant la discussion de Leningrad, 486 sqq. ; prévaut graduellement dans tous les partis communistes. 492 sqq. ; V Leningrad (discussion de).
GENERAL
629
Féodale (société), simple. 502 sq. ; complexe. 503 ; marginale. 245. 503 : traits non spécifiques. 498 ; traits essentiels et spécifiques, 498 ; le terme « néo-féodalisme » est insatisfaisant pour l'URSS.. 530. Fief, diffère des terres des fonctionnaires, 332 sq.. 375 sq, 398 sq.. 498 sq. Fonctionnariat héréditaire, sous le D.O., 418. FOURIER, 447.464. Frontière (théorie des origines du D O ) , insoutenable, 262 sqq., 268; Kluchevsky sur la Russie moscovite, 267 sqq. GARCILASO DE LA VEGA. 56, 141, 177,
302 sq. GENGrs KHAN, 132, 159, 224, 251, 267. Gosti.
318.
Gouvernement, fonctions universelles du —, 68, 290 sq. ; — primitif, 290 sqq. ; fonctions spécifiques du gouvernement sous le D.O., 68; et constitution écrite, 128 sq. ; relations avec les forces non gouvernementales, 68 sq., 129 sq., 133 sq. ; V. État, Despotisme oriental. GRÈCE
Pré-hellénique (Crète minoenne), ordre hydraulique suggéré pour, 238 ; type d'économie proche de celui du Proche-Orient, 238 sq. : routes, 238 ; emploi de l'écriture par la bureaucratie, 238. Proto-hellénique, mycénienne, quasihydraulique, 239. Classique, dans la zone submarginale du S.H.. 47, 239, 499; société à centres multiples, 173, 180, 193 sq., 443 ; prêtres citoyens, 116 ; juges citoyens. 164 ; pas de corvée, 180 ; pas de prosternation devant des hommes, 239 ; l'obéissance n'est pas une vertu particulière. 184; impôt, 95, 101, 206 sq. ; confiscation. 95 ; tendances à l'égard de la fragmentation de la propriété, 105 sq., 359 ; armée, 81 sq.. 22
630
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
88. 441 sq. ; type i n t é g r é de guerre,
cience,
81 ; a-t de la guerre. 83 : travailleurs
gue, 531 ; recherche un avantage re-
libres. 329; finalement
connu, 29; motivations
orientalisée.
252. 502, 505; V . H e l l é n i s m e . Guildes. dans la S. H..
145,
30 sqq.,
150
sq.,
155 sq.. 307. 323. 400. 402; en E u rope. 15. 145, 156 sq.. 407; V . D é mocratie au rabais (une). Marchands.
GUILLAUME LE CONQUÉRANT. 259 sq.
170;
naturellement
idéolo-
complexes.
166; é g o t i s m e par opposi-
tion à sens communautaire. 166.
HONGRIE, 85. 263. 269. HOROMBO. 52. H o SHEN, 98. HSUN T s u . 172. Hydroagriculture, V . Agriculture.
HAMMOURABI (le code). 183, 384. 428.
HAROUN-AL-RACHID, 85, 172.
Civilisation, V . S o c i é t é hydraulique.
HAXTAUSEN (baron), 331, 338
sq.
HAWAÏ ( î l e s ) , population. 294; gorie
hydraulique.
agrodirectoriales,
204 ;
293
Hydraulique Préoccupations
caté-
activités
sq. ; le
sou-
209
—.
types
de
207,
sq.
É c o n o m i e — . trois
caractéristiques
essentielles de I'—. 36 ; division du
verain, 115 sq., 293; administration
travail. 37 sqq. ; o p é r a t i o n s de pro-
de professionnels,
tection.
293 sq..
298
sq.,
302 ; l'administrateur r é g i o n a l le plus
39
important, le konohiki,
201
vée,
302;
293 sq. ; cor-
terreur. 176; prosterna-
38
sq. ;
sq..
un
203 ; c o o p é r a t i o n ,
classement
ssq. ; importance
dans la S. H . . 274 sqq. ; tendances
tion, 395 ; i m p ô t , 92, 394 sq. ; tenure
historiques d i f f é r e n t e s
foncière.
l'économie
mais
92,
pas
sionnels,
334.
341 ; commerce,
de c o m m e r ç a n t s
profes-
291 ; artisans en premier
lieu a t t a c h é s au gouvernement, 299. 305.
Empires,
Hellénisme,
une
de celles de
industrielle. 275 rudimentaires
et
sqq. pleine-
ment d é v e l o p p é s , 205 sq. ; types de d e n s i t é . 205 sq. Paysage
HEGEL, 447, 450, 501.
possible,
décroissante
aride
(désert).
33 ;
semi-
aride (steppe), 33 sq. ; r é g i o n s h u -
variante
du D . O . ,
252 sqq., 257.
mides, 33 sq. S o c i é t é , introduction du terme. 13 sq.,
HÉRODOTE. 45, 72, 81. 86. 88, 539. HÉSIODE, 252 sq.
synonymes. concept.
16 sq..
H i é r o c r a t i e , 114; V . Religion.
cifiques.
198.
HIÉRON (la loi de), a d o p t é e et largement
s p é c i f i q u e s . 498 sq. ; conditions g é o -
a p p l i q u é e par les Romains. 253 sq. Histoire, structure et c o h é s i o n , 19, 32; situations
historiques ouvertes.
19,
historiques
19 sq. ; croissance
du
19 sq. : traits s p é -
498
de.
sq. : traits non-
origine.
24 ; c o m -
plexe g é o i n s t i t u t i o n n e l . 14; types de densité.
199 sqq. — (compact.
202:
quences
202 sq.. 230 ; SI et S2. 204) — marge.
imprévisibles.
30 sqq. ; V .
Cl
et
C 2 . 204:
200.
29 sqq., 526 sq., 538 ; choix et c o n s é -
sporadique.
D é v e l o p p e m e n t . Transformation des
14. 212 sq.. 223 sq. — ( M l et M 2 .
ensembles sociaux.
230 : g e n è s e .
Types
sociaux.
234 sq. : localisation.
HITLER, V . Fascisme.
233 sq.;
HOHOKAM, 34.
zones submarginales. 199. 237 sq. ;
HOLLANDE, travaux hydrauliques. 25 ;
v u l n é r a b i l i t é . 236 sq.)
273 sq. ; f r é q u e n c e d'occurrence des
changements internes et changements
sous-types.
dans
20.
la
politique
coloniale,
512.
517 sq.
HOMÈRE, 252. H o m m e , le besoin de l i b e r t é , 170 ; cons-
—;
198 sq..
275 sq..
274 ;
508 sq.;
limitations
autoperpétuation.
211 sq.. de
271
sq..
225.
tribale. 282-290;
l'autorité
du
chef.
. 292 sq.. 294; Simple 1 (tribal). 279
INDEX et passim ; simple 2, 295 et passim ; semi-complexe, complexe,
313 sq.
et
passim;
328 et passim ; la c o m -
p l e x i t é de la S. H . varie avec celle de la
propriété,
357 sq. ;
de la d e n s i t é V.
orientale «
(en
Éponge
changement
bureaucratique, 207 ;
Despotisme
oriental,
Société
transition).
631
GÉNÉRAL
Propriété
hydraulique », 312 sq. ;
V. Densité.
cratique. 124 sq.. 129. 158, 169. 191. 208 ; castes. teurs
380
sq. ; administra-
guerriers l a ï c s .
126.
322
sq..
324. 419 ; aristocratie, 380 sq. ; é t r o i t e i n t é g r a t i o n d u gouvernement la
religion
dominante,
388. p r ê t r e s . 124 sqq.,
et de
124
sqq.,
126, 143
sq.,
386. 388. 418 sq. ; p r ê t r e s fonctionnaires.
125.
419;
le purohita.
419; peu d'eunuques
125,
politiquement
influents, 419, 429; religions secondaires, 112. 144; administration d u
I m p ô t , types d', dans la S . H . , 92, 206 ; méthodes
village,
l i é e s à la d e n s i t é hydrau-
148 sq..
154, 332, 341
sq.;
tenure f o n c i è r e . 91. 332. 338. 339 sq..
lique. 206 : c o m p a r é avec celui des s o c i é t é s agraires occidentales. 93 sq. ;
341. 380 sq. ; i m p ô t . 92 sqq.. 178 sq. ;
d i r i g é par des p r o p r i é t a i r e s terriens
confiscation. 97 sqq.. 339 sq., faible
bureaucrates. 214, 350 sq. ; fermiers
propriété privée,
de l ' i m p ô t . 385.
336.
torture
INCAS (les), type hydraulique, 48. 159, 200.
204.
313;
corvée,
40. 56,
340;
124 sq..
312,
332,
lois de succession.
fiscale.
178;
103;
torture
judi-
ciaire. 178 sq. ; commerce, 322, 357,
90,
302 sq. ; archives, 70 ; constructions
385; setthi,
non-hydrauliques, 53. 56 ; industries
322 sq., 384 sq. ; guildes. 151. 155 sq..
semi-fonctionnaire.
151,
302 sq. ;
325 sqq. ; marchands sans pouvoir
routes, 55 sq. ; postes d ' É t a t , 75 sq. ;
politique. 325. 361 ; organisation mi-
souverain. 58 sq.. 118 ; maison royale,
litaire. 83. 86 sq..
378 sq. ; une importante bureaucra-
sans question.
tie directoriale. 206 ; aristocratie bu-
liale, 147, 153. 183; « droit à la ré-
reaucratique. 381; p r ê t r e s , 118; cu-
bellion ». 131 ; prosternation, 89.
d i r i g é e s par l ' É t a t , 63 sq.,
411;
186;
obéissance
autorité
fami-
375 sq.. 518 ; organisation mi-
M u s u l m a n e puis britannique, type de
litaire. 83. 85, 206 ; terreur officielle,
colonisation. 512. 517 sq.; modifica-
173; s y s t è m e foncier. 103. 105.
tions du s y s t è m e foncier, 521 ; absen-
racas.
118,
229, 304. 341 ; loi sur la succession,
téisme
103; administration du village. 143,
vaux hydrauliques. 38 sq.. 46 ; irri-
des
propriétaires.
150; revenu b a s é sur le travail col-
gation.
lectif et n o n sur l ' i m p ô t , 92 sq.. 229 ;
brahmanes. 125 sq. ; vision de M a r x .
commerce mais virtuellement pas de
20. 451 sq.. 454 sq., 462, 510; vision
commerçants. 512;
302.
312,
consommation
314.
organisée
d'Engels. 461 sq.. 468 sq.
par
Contemporaine,
insti-
logique. 533 sq.
bienne, P é r o u .
Indivision. type
hydraulique.
31,
512;
Hindoue, type hydraulique, 38
sq.,
48, 57. 323 ; c o r v é e . 40, recensement, 71 ; routes. 54; poste d ' É t a t , 77 sq.. quelques
nautés indépendantes
commu-
oligarchiques,
typiquement
auto-
105
sq.
INDONÉSIE, influence
33. 38 sq.. 46 sq.
328 ; souverain
ambivalence
des
tionnelle, 534 sq. ; ambivalence i d é o -
INDE
temporairement
politique
317,
la loi. 162; V . A m é r i q u e ( p r é - c o l o m -
Généralités,
37 sq. ; r ô l e
521 ; tra-
517 I
occidentale
colonisation
de.
sqq. ; post-coloniale
512
sur. sq.,
: gouver-
nement d é m o c r a t i q u e recouvrant une société monocentrée. Industrie, 284
dans
sqq. ; à
les
grande
la S. H . , c o n t r ô l é e
520.
sociétés
trivales,
échelle
dans
pour la plupart
632
LE
DESPOTISME
par te gouvernement, 63 sqq., 296 sq. ; spécialement
de grandes Construc-
tions, 56 el passim.
ORIENTAL
JAPON Médiéval,
hydroagriculture,
33,
296 sq. ; compa-
240 sq., 320, 359, 509 ; non aboutis-
raison avec les conditions dans les
sement des tendances p r é c o c e s vers
s o c i é t é s non-hydrauliques, 63 sqq. ;
un
facteurs qui m o d è l e n t la division du
r é f o r m e de Taikwa : traits de, 241 ;
travail, 301.
signification de la, 241 ; suites de la,
Industriel (le despotisme), 66 ; V . A b solutisme.
ordre
hydraulique,
sqq. ;
242 sqq. ; ressemblance avec le f é o dalisme e u r o p é e n ,
Industrielle (la r é v o l u t i o n )
240
242 sq. ; l ' i n t é -
gration « orientale » manque à l'art
P r e m i è r e , é t e n d l'influence occiden-
de la guerre, 243 ; tenure f o n c i è r e :
tale. 11 ; optimisme r é v o l u t i o n n a i r e
f é o d a l e . 242 sq., 359, 498, 502 sq. ;
créé
indivision, 242; s o c i é t é f é o d a l e sim-,
par,
12. 447;
effet
véritable
d'une p o r t é e moins é t e n d u e , 510 sqq.
pie,
Seconde, 537.
242 sqq.,
Industrielle ( s o c i é t é ) , b a s é e sur la pro-
502
sq. ; é l é m e n t s
orientaux,
499.
Absolutiste,
une
société
à
centres
priété. A centres multiples. 537 ; cen-
multiples, 442 ; industrie b a s é e sur
tre.
la p r o p r i é t é , 243 ; recensement, 243 ;
14; marges, 14; coercition con-
trôlée.
173 sq. ; é l i m i n a t i o n
torture judiciaire. 182;
pas
de la
i m p ô t ( l i m i t é ) , 243 ; p r o p r i é t é fon-
néces-
cière, 364 ; V . F é o d a l i s m e ,
sairement industriellement compacte,
Société
hydraulique (zone submarginale).
175; naissance de la ( « grande » )
Jen-Tzu.
classe o u v r i è r e
JONES (Richard), 14 sq., 450 sq.,
organisée,
359
444 sq.. 538 ; gouvernement
sq.,
massif,
420. 460,
489.
367. 445, 537 ; grand capital. 444 sq..
JOUKOV ( m a r é c h a l ) ,
538 ; m o b i l i t é sociale, 438 sq. ; se-
Juifs, é l e v e u r s de petits troupeaux. 501 ;
conde r é v o l u t i o n
industrielle, 537 ;
grands complexes
bureaucratisés,
174.
la c o r v é e du roi Salomon, 57.
JUSTINIEN, 230, 351.
p r o b l è m e du c o n t r ô l e mutuel, 537 sq. Inquisition, 180 sq.,
182.
KAUTSKY, 450, 470.
Institutions, incluent les relations humaines, 277, 412 Institutionnelle V. Iqta.
sq.
Khalsa.
91.
KHAZARS (les), 246, 248.
(frontière),
248 sq. ; ;
Développement.
KIRCHNOFF (Paul), 348. Kitaichtchina.
346.
Ali ; V . Stockholm (con-
f é r e n c e de).
Irrigation, origines, 30 sq. ; V . Agriculture. C o r v é e , É c o n o m i e hydraulique, Travaux hydrauliques.
KLUCHEVSKY, 214, 235, 266 sq., 269 sq. Konohiki.
fonctionnaire local dans l'an-
cienne Hawai, 293.
Islamiques (civilisations) ; q u a l i t é religieuse du souverain, 121. 124; ter-
Langue d ' É s o p e , e m p l o y é e originelle-
res administratives militaires. 246 ;
ment par les esclaves, 482 ; e m p l o y é e
impôt,
succession,
par
l'autorité,
531.
94 ; lois sur la
103,
105 ; o b é i s s a n c e
à
186;
attitude
les
secondaires, (les
envers 152,
civilisations),
religions
155;
V . Arabes
Inde,
Mameluk,
Perse, Turquie.
les m a î t r e s de l ' U . R . S . S . 482,
LATTIMORE (Owen). 489, 493 sq.,
532.
LÉNINE L a notion de s o c i é t é asiatique : acceptation,
456
sqq. ;
ambivalence,
IVAN III, 214, 232, 266, 270, 272.
471
IVAN I V , le terrible, 193, 242.
c o n g r è s de Stockholm, 464
sqq. ; abandon, 476,
480; sq.
au
633
INDEX GÉNÉRAL L ' i n t e r p r é t a t i o n « asiatique » de la
meluks au-dessus de la bureaucratie,
s o c i é t é russe, acceptation, 457 sq. ;
4 1 1 ; recensement.
utilisation comme 458 du
terme
différent
sq.,
traits
du
de
ignorance
7 1 ; tenure fon-
« servage
»,
cière,
«
»,
eunuques, 436 ; formation pour les
féodal
persistante
des
directoriaux-bureaucratiques
r é g i m e tsariste, 470 sq. ; aban-
don, 477 sqq.
336,
345;
poste d ' É t a t .
postes gouvernementaux,
77; 386;
grands marchands, 400.
MANZIKERT, 213 sq., 432. MAO
TSE-TOUNG. n'est pas m ê m e en
L a menace d'une Restauration asia-
termes marxistes un socialiste sub-
tique en Russie : reconnaissance de
jectif. 531 ; un partisan de la r é f o r m e
la
question,
472
sqq. ; confusion,
agraire, un i m b é c i l e ? , 532 ; impose
475 sq. ; abandon, 477 sqq. ; retour
la « c o o p é r a t i v i s a t i o n », 532 sq., 536.
c a c h é à l ' i d é e , 480 sqq.,
527 ; capi-
Marasme (le), dans l ' É t a t
en
déclin,
talisme meilleur que la bureaucra-
222.
tie (quasi-orientale), 481.
Marchands dans la S. H . , potentiel so-
Conception
du
socialisme
comme
cio-politique
limité,
319
sqq.,
au
planification, acceptation. 481, aban-
mieux, 315 sqq.,
don.
au pire, 321 ; c o m p a r é avec ceux des
480, 53).
C o m p a r é à Auguste. 483.
321 sq., 324 sqq. ;
s o c i é t é s agricoles non-hydrauliques,
U n « socialiste subjectif », 480, 531 ;
327 sqq. ; plus p r é c i e u x comme con-
V.
tribuables
Aziatehina.
Stockholm ( c o n g r è s
de). LENINGRAD (discussion de. 1931); participants choisis. 484 ; rapports truqués.
que
comme travailleurs
c o r v é a b l e s , 143 ; feinte p a u v r e t é , 163 ;
485 ; questions
487 ; ambivalences.
c l é . 484 486
sqq. ;
asiatique.
p r i é t a i r e s , Commerce.
sq.,
Marges de la S. H . , 212 sqq., de la so-
les
c i é t é f é o d a l e . 245, 503 ; V . H y d r a u -
deux partis é v i t e n t le p r o b l è m e de la restauration
V . Bureaucratique (capitalistes), Pro-
485 ; l ' i n t é -
lique ( s o c i é t é ) . MARX, acceptait
de nombreuses
va-
rêt n'est pas la v é r i t é , mais... ( Y o l k ) ,
leurs occidentales. 16; insistance sur
486.
l'objectivité
L i a o (empire). V . Chine (dynasties de conquête).
de la science.
467 sqq. ; a d h é s i o n
Liturgie, 351.
16; sur
le « p é c h é contre la science », 16, s o c i é t é orientale.
au concept
16. 450
de
sq. ; sur
LOCKE (John). 165 sq.. 367. 464.
le
Loi
16. 451 ; sur le c a r a c t è r e « s t a b i l i s é »
de r e n t a b i l i t é
administrative d é -
croissante, 137 sq..
142; V . Renta-
b i l i t é administrative. Lois, lex data et lex rogata,
mode
de
production asiatique,
de la S . O . . 19 sq.;
sur le D O . en
Russie. 199; Das Kapital. 129 ; ne sont
première
esquisse et version finale. 451 ; sur
pas une protection contre le despo-
l'interprétation
tisme. 128 sqq. ; i n t é r ê t du souverain
452 : de la Chine. 452 sqq. ; de la
à maintenir ses lois, 356 sqq. ; terreur
Russie.
l é g a l e , 175 sqq. ; V . Succession (loi
contre une confusion entre l'ordre
sur la), P r o p r i é t é .
LUBECK, 181, 262.
453
asiatique de l'Inde,
sqq. ;
met
en
garde
agraire en Asie et dans les mondes antiques et f é o d a u x . 454 sqq. ; s c h é mas
des
sociétés
stratifiées.
501 ;
MADYAR. 484. 488. 493. MAHOMET. 121. 159.
é p o q u e s « progressistes du d é v e l o p -
MAMELUKS, anciens esclaves m a î t r e s de
tifie le c a r a c t è r e de la bureaucratie
l ' É t a t despotique. 435 ; officiers ma-
dirigeante dans la S. O . . 459 sqq. ;
pement s o c i o - é c o n o m i q u e . 501 ; mys-
634
L E DESPOTISME
ORIENTAL
recul dans la c o m p r é h e n s i o n de D . O . ,
lique.
460 sqq. ; le terme « esclavage g é n é -
merce.
ralisé » est mal a p p r o p r i é à la S. O . ,
321;
530 ; V . Engels, L é n i n e .
314; artisans. 314 sq.;
Marxistes, sur l ' É t a t , breux
291 ; de nom-
socialistes e u r o p é e n s
S. O . . 535; les semi-marxistes tiques n é g l i g e n t les vues de
asiaMarx,
91.
316;
ateliers,
85. 206 ; commarchands,
314;
514,
« couvents calpulli,
147. 206. 314. 331, 347;
accep-
tent la conception marxienne de la
386 ; a r m é e ,
», 90,
succession,
103; prosternation. 188 sq. ; esclaves. 391. Colonial,
amalgame
d'absolutisme
espagnol et de traits hydrauliques,
536 sqq. ; V . Kautsky, L é n i n e , Ple-
518 sqq. ; é l e v a g e de b é t a i l et d é p o -
khanov.
pulation, 65.
MASAI (les), la richesse ostentatoire des, 287.
Contemporain, ambivalence institutionnelle, 519; p o s s i b i l i t é de d é v e -
M a t h é m a t i q u e et S. H., 44, 49, 262.
loppement
MAYAS (les), type hydraulique margi-
multiples, 518 sq.
nal,
225 sqq. ; installations uniques
pour se procurer l'eau et pour la
d'une s o c i é t é
à
centres
MILIOUKOV, 270 sq., 470. Militaire (organisation) dans la S. H.,
conserver. 226 sq. ; S. 2 ou M . 1, 230 ;
monopole de l ' É t a t , 79 sqq.,
c o r v é e de construction ou agricole,
nement,
90,
officielle,
intendance, 82 sqq., t h é o r i e militaire,
321, 419; relation é t r o i t e entre l'au-
83 sqq. ; effectif, 83 sqq. ; c o m p a r é e
228,
torité 419;
316;
hiérarchie
religieuse propriété
cession.
231;
séculière,
foncière, commerce,
marchands, i\5sq. Mayèques,
et
81 sqq. ; moral,
entraî-
81
sqq. ;
232,
avec les s o c i é t é s
347;
suc-
hydrauliques, 79 sqq. ; c o m p a r é e avec
315
sq.;
; artisans, i)Ssq.
;
347.
occidentales
le Japon, 242 sq. MJLL (James), 450. MILL (John Stuart),
MCKINNON (Richard N . ) , 243.
non-
12,
14 sq..
36,
450 sq., 460, 463, 467, 495. 497 sq.,
MÉGASTHÈNE, 71 sq.. 77 sq.
501, 510.
MEHEMET-ALI, 40.
Min
MENCIUS, 158, 160. MENDELSOHN (I.), 326, 391.
Mirab.
(le « peuple » ) , 389. le m a î t r e de l'eau, 73.
M o b i l i t é sociale, dans les s o c i é t é s ou-
Mercantilisme, c o m p a r é avec l ' é c o n o mie directoriale d u D . O . . 63 sq. MÉSOPOTAMIE (ancienne), type hydraulique, 33, 38, 200, 204; navigation
vertes, 438 sq. ; dans la S. H., 439 sq. ; dans une plantation employant des esclaves, 440 ; V . Classes. MONGOL (empire), affaiblissement
du
i n t é r i e u r e , 48 ; V . Assyrie, Babylone,
système
Summer.
du G r a n d K h a n , 251 ; V . Chine (im-
MEXIQUE
périale
Pré-colombien,
type
hydraulique,
despotique : dynasties
a p r è s la chute de
conquêtes),
Gengis K h a n , Russie (mongole).
33 sq., 38, 202 sq. ; c o r v é e , 40, 56,
M o n o p o l e , capitalisme de, un concept
58 sq., 90. 203, 205, 314. 513, recen-
trompeur, 444 sq. ; bureaucratie de,
sement, 70 ; constructions
un
non-hy-
p h é n o m è n e tout à fait authen-
drauliques. 53. 59 ; s y s t è m e de re-
tique,
lais. 75 ; tenure f o n c i è r e . 90, 92, 103,
c o m p é t i t i o n en m a t i è r e de direction
123.
147.
229.
314.
330
sq..
337,
347. 381 ; i m p ô t , 92. 206. 315; souverain q u a s i - t h é o c r a t i q u e . 132;
densité
formation
123, é l u ,
bureaucratique.
206;
de la direction hydrau-
444
sociale, 442
sq. ; par opposition
à
sqq.
MONTESQUIEU, 11 sq., 21, 495. MORGAN (Lewis H.), 447, 464 sq., 479. MORMONS (les),
agriculture
hydrau-
lique, mais S. H. i n c o m p l è t e , Mulk,
345 sq.
25.
INDEX Nature, t r a n s f o r m é e par l'homme, 23 ;
que, 519 sq. ; V . Andes, Incas (les), S o c i é t é orientale (de transition).
a c t u a l i s é e par l ' H o m m e , 2 3 ; conditions de ses effets sur le d é v e l o p p e -
PERSE
ment, 24 sgg., 26 ; facteurs constants et facteurs manipulables, 26
635
GÉNÉRAL
Achéménide,
sqq.
72 sq.,
type
205 ; s y s t è m e
hydraulique, foncier, 343 ;
Nazisme, V . Fascisme.
administration d u village,
NEZAHUALCOYOTZIN, 54, 59.
souverain. 120,123 ; satrapes. 374sq.;
NORMANDS,
en
Sicile
: éléments
de
148;
le
position des p r ê t r e s , 123 sq. ; eunu-
mode de gouvernement oriental, 190,
ques,
259 sq. ; c o n q u é r a n t s de l'Angleterre
taire, 83, 86 sq., 374 ; routes, 53 sq. ;
et
poste d ' É t a t ,
auteurs
du Domesday
Book,
259 sqq. ; V . Angleterre.
429,
nation.
431 ; organisation 76,
mili-
374 sq. ; proster-
189.
Parthe. s y s t è m e foncier, 343. O b j e c t i v i t é de la science, insistance de
Sassanide. s y s t è m e foncier, 77 ; pros-
l'auteur sur, 17 ; attitude de M a r x à l ' é g a r d de, 466
ternation, 189.
sq.
Musulmane, a m é n a g e m e n t
Ordre semi-asiatique, c o n c e p t u a l i s é par
lique. 73 ; tendances
M a r x et Engels, 16; en Russie, 16,
121 ;
453, 472 sqq.,
192
480.
insécurité sq.,
hydrau-
théocratiques,
bureaucratique,
esclaves gardes
du
corps
(sassanides). 435.
PALERM ( A ) , 34.
PIERRE (I" le G r a n d ) , 231 sq., 268, 454
PARTHES, p r o p r i é t a i r e s fonciers, tionnaires,
fonc-
343.
Plekhanov.
450, 457, sur l ' h é r i t a g e asia-
tique de la Russie, 472 sqq. ; sur la
Pasteurs (nomades), et agriculture, 32,
restauration de l'ordre semi-asiati-
249 ; montent à cheval, utilisent la
que russe, 472 sqq. ; contre la
selle et Pétrier, 395 ; é t a b l i s s e n t
china
nombreuses
chinois),
kitaicht-
473 ; sur
conquête,
N a p o l é o n et le mauvais g é n é r a l , 475. Po (plaine du), travaux hydrauliques,
D . O.,
de
(système
394 sq. ; transmetteur des m é t h o d e s du
sociétés
de
248 sq. ; V . S o c i é t é s
de
conquête. Pastoralisme, contexte 32 ; potentiel
géo-historique,
de pouvoir, 32 ; po-
tentiel de pouvoir, 32 ; compatible avec
le
25, 240, 461. Pochteca,
gouvernement
despotique
oriental, 249 sqq. ; f r a g i l i t é du p o u voir despotique,
250
sqq.
Poe
315, 520.
Lawemawe
(artisans
hawaïens),
299 sq. Polarisation, d u pouvoir dans la S. H . , 190;
dans
les
relations
humaines,
161 sqq., 166, 190 sqq. Polygamie, institution reconnue
dans
PERGAME, la p r o p r i é t é f o n c i è r e à. 344.
la plupart des s o c i é t é s hydrauliques,
PÉROU
378 ; effet sur la fragmentation de la
Pré-colombien, témoignages archéologiques.
46 ; p é r i o d e
Inca, 40
et
p r o p r i é t é , 104 sq. ; dans la zone submarginale de la S. H . , 246.
passim.
Pomiechtchiki,
C o l o n i a l , type de contact, 512; em-
Pomieslye,2\b,T)\
ploi des dignitaires i n d i g è n e s , 518 ;
Population, Occident o p p o s é à Orient,
bétail
contre
population, 265 ; ra-
p i d i t é de la poste utilisant les chevaux, 76.
d'une
88 sqq., 261 sqq.;
317, >
338.
" S . H . simple, 50,
294.
POUGATCHEV, 400.
Contemporain, cratie et
215.
rôle
de l ' a r m é e ,
bourgeoisie
de la bureau518;
Pouvoir total, dans la S . H . , 1 2 7 , l l O s q . ,
montée
134 sq. ; limitations d u c o n t r ô l e sur
non-bureaucrati-
la p e n s é e , 143 sq. ; limites d u c o n t r ô l e
636
LE DESPOTISME ORIENTAL
directorial.
142 sqq. ; effet
corrup-
même
quand elle est
quantitative-
teur du, 166; potentiel d ' a l i é n a t i o n ,
ment la plus importante. 355 sqq. ;
197;
m a n i è r e de l'affaiblir,
V.
Absolutisme, Autocratie,
Démocratie
au rabais,
Despotisme
sance
oriental.
102; impuis-
organisationnelle
de
1'—,
110 sqq. ; types de, 279 sqq. ; — mo-
P r ê t r e s , dans la S. H . , 115 sqq., 418 sq. ;
bilière,
p r ê t r e s citoyens dans l ' A t h è n e classique, 116. Proche-Orient
278;
—
—
d'êtres
278
sq. ; types
immobilière,
humains
278;
(esclavage),
institutionnels
de,
281, simple, 279 sqq., simple 1, 281,
Ancien, V . Assyrie, Babylone, Egypte
284 sqq.,
pharaonique),
semi-complexe. 280, 313 sqq., c o m -
Juifs,
Mésopotamie,
Perse, Summer. Hellénistique,
simple 2, 281,
plexe, 280 sq., despotique
oriental,
295
sqq.,
328 sqq. ; liée à la
d e n s i t é hydraulique, 288 ; — f o n d é e
252 ; structure t h é o c r a t i q u e , 117 sq. ;
sur
prosternation, 190; routes, 53 sq. ;
cacher la p r o p r i é t é , 287 sqq., 318 sq. ;
s y s t è m e foncier, 344 sq. ; i m p ô t , 92,
— a besoin d'un ordre l é g a l , 356 sqq. ;
206 ;
petite — dans les s o c i é t é s à centres
administration
du
village,
le
pouvoir, 290;
tendances
à
147 sq. ; architecture. 62 ; V . Alexan-
multiples, 358 sqq. ; petite — dans
dre,
Séleu-
les S. H . politiquement impuissante,
V . Byzance
cation politique, 289 sq., 361 sqq. ;
Egypte
(Ptolémaïque).
cides.
358
Romain
et
Byzantin,
(Egypte byzantine). R o m e . Islamique,
préoccupation
sqq. ; grande —
sans signifi-
source de revenu contre source de hydrauli-
pouvoir, 364 ; c o n t r ô l e sur la. 368 ;
que changeante, 73, 159, 205, 209 sq. ;
V . P r o p r i é t é au rabais, Confiscation,
routes n é g l i g é e s mais une poste d ' É t a t
Succession, Terre, Lois, Despotisme
efficace, 53 sq., 76 sq. ; le souverain, 129 sq. ; wakfs,
110 sq. ; i m p ô t , 92;
développement
culturel,
Egypte,
Islamiques
508 ;
oriental, I m p ô t . Prosternation, — absente dans la S. H .
V.
tribale, 188 sqq. ; — p r a t i q u é e dans
(civilisations),
presque toutes les s o c i é t é s
M a m e l u k s , Syrie, Turquie. Contemporain,
liques
S. H . en transition,
Pronoia,
214
hydrau-
centralisées, Inca un
symbole d i f f é r e n t est u t i l i s é , 188 ; au
sqq.
Japon, 244; essais d'extansion dans les civilisations non-hydrauliques oc-
214.
cidentales,
P r o p r i é t é au rabais, 360. P r o p r i é t é f o n c i è r e , — bureaucratique, 335 sqq. ;
et
188 sqq. ; dans la s o c i é t é
521 sq. ; V . Egypte, Turquie. Pronoéies,
étatisées
—
190.
PUEBLOS (indiens)
non-bureaucratique,
Généralités,
types
et paysages
hy-
337 ; a b s e n t é i s m e , 337 sqq. ; — aug-
drauliques, 201 sq., 204; travail col-
mente
lectif : sur les digues, 40, 42 ; sur
dans la S . O . de transition,
321 sq. Propriété
les terres du chef, 235, 285 sq. ; irprivée,
—
rigation, 48, 285 ; s y s t è m e
bureaucratique
56,
— non bureaucratique dans la S. H . ,
sives, 51 sq., 61, 234, 284 sq. ; gou-
14. 284 et passim;
92,
foncier,
dans la S. H . , 14 sq., 310, 361 sqq. ;
283 ; constructions
défen-
vernement de chef p r ê t r e s , 113, 115;
une relation so-
ciale, 277 sq. ; une relation politique.
pouvoir du cacique,
278 ; — active (productive), 14, 279;
« droit à la r é b e l l i o n », 131 ; o b é i s -
— —
passive
(consommation),
sance,
279 ;
188;
285 sq. ;
commerce
c o m m e r ç a n t s professionnels,
puissante. 14. 278 sqq.. 354 ; —
faible. 14. 278; — faible dans S. H .
185,
176,
•
du
Rio Grande,
sans 283.
hydrauliquement
INDEX
637
GENERAL
compact, 202 ; m é t h o d e s coercitives,
nement. 112 sqq. ; — secondaire, 112 ;
90.
— dans la S. H . marginale, 231 sq. ;
Z u m i , ordre hydraulique sporadique, 204
sq. ; constructions
V.
Prêtres.
défensives,
R e n t a b i l i t é administrative, de la — va-
hydrauliquement marginaux,
hydraulique. 137; — dans la s p h è r e
233, 283, r ô l e des clans, 283 ; « gaies
du c o n t r ô l e social, 140 sqq. ; loi de
51 sq.
riable, 137 sqq. ; — dans l ' é c o n o m i e
Hopi,
é q u i p e s de travail », 90 ; tenure foncière,
235,
283 ; constructions d é -
fensives, 234. Purohita.
la — d é c r o i s s a n t e , 137-142. R é f o r m e agraire, d i f f é r e n t s types de — , 329,
125 sq.
350;
- dioclécienne,
Répétition
institutionnelle,
Transformation Quat'a.
345.
des
350. 508 ;
V.
ensembles
so-
ciaux. Revenu dans la S. H . , 89, 92 sq.
Rajas.
375 sqq., 394.
passim
RASHID-AD-DIN. 196 sq. Rationalité,
quisition),
minimum suffisant
pour
et
; V . Despotisme oriental (acImpôt.
R é v o l u t i o n s , — cathartiques. 210; r é -
maintenir un ensemble o p é r a t i o n n e l ,
g é n é r a t r i c e s , 210 sq. ; V .
Dévelop-
509 ; type de — s o u s le D O , 158 sqq.;
pement,
des
coefficient de 159 sq. ; — dans l'or-
sembles sociaux.
ganisation, 207 sq. ; — dans la consommation, 161 sq. ; — dans la j u -
Transformation
RIAZANOV, 458, 483 sq. ROME
risprudence,
164 sqq. ; —
dans la
Républicaine,
propagande.
166
et
possible
sqq. ; —
lois,
en-
à
influence
travers
orientale
les
Étrusques,
356 sq. ; critique publique dans la
239 sq. ; t r è s t ô t constructeurs d'ac-
S. H . , comparaison avec le totalita-
queducs
risme communiste,
aristocratique
166 sq. ; avan-
et de
routes, à
47 ;
centres
société
multiples,
tage d u niveau optimum de propa-
69, 254, 501 sq. ; s é n a t e u r s p r o p r i é -
gande d u souverain,
taires fonciers, 254 ; i m p ô t
166 sq. ; cor-
ruption par opposition à o p t i m u m de
insigni-
fiant, 93 sq., 206 ; fermiers de l'im-
r a t i o n a l i t é , 211; V . B o n souverain,
p ô t . 207, 254; pas de torture judi-
Hydraulique
ciaire pour les hommes libres,
180;
fonctionnaires
trai-
(préoccupation),
Ter-
reur. Recensement (le), 70.
sans
tement, 93 ; esclaves, 256, 499 ; « tra-
R é g u l a r i t é s sociales, — r e p é r a b l e s par l'approche
éminents
comparative
(Stewart),
vaux
publics
»
exécutés
par
des
entrepreneurs p r i v é s , 255 ; affaiblis-
497 ; 1' « u n i f o r m i t é de coexistence »
sement progressif des classes b a s é e s
de M i l l , m o d i f i é e , 498 sq. ; é l é m e n t s
sur la p r o p r i é t é et renforcement du
essentiels, 499 ; é l é m e n t s s p é c i f i q u e s ,
pouvoir militaro-bureaucratique,
498 sq. ; é l é m e n t s
253 sqq. ; accroissement de l'influence
non
spécifiques,
asiatique
498 sq. R é i f i c a t i o n , le rejet par les é c o n o m i s t e s
au cours de
la
dernière
p é r i o d e , 255 sq.
classiques de, 459 ; de la classe diri-
I m p é r i a l e , C é s a r et Auguste portent
geante
les traces de l ' h e l l é n i s a t i o n
bureaucratique
(Marx),
459 sq.
tionnelle (orientalisation)
Religion dans la S. H . , — unique, 112;
nouveaux
sénateurs
— dominante, 112 sqq. ; — h i é r o c r a -
fonciers
tique,
confiscation,
112
sqq. ; —
théocratique,
115 sqq. ; — toujours liée au gouver-
propriétaires
bureaucratiques, 95.
256
institu-
254 sqq. ; 255
sq. ;
sq. ;
impôt,
206, 256 ; recensement, 256 ; hydrau-
638
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
lique sporadique, 206 sq. ; p r é o c c u -
bureaucratiques.
pation hydraulique, 208 sq. ; quel-
priété p r i v é e , 318 sq.
ques canaux, 47 ; fortifications
aux
Tsariste, Pierre \ " et a p r è s , industria-
f r o n t i è r e s , 258 ; routes, 53 sq. ; 256,
lisation d i r i g é e par l ' É t a t . 219 sq. ;
258; poste d ' É t a t . 76. 256;
318;
faible
pro-
service
le travail f o r c é p r é d o m i n e dans l'in-
de renseignement, 256 ; torture judi-
dustrie lourde jusqu'au xix* s i è c l e ,
ciaire, ¡ 8 0 ; souverain divin et auto-
221 ; changement
cratique, 129, 256 sq. ; pouvoir des
taire, 213 sq. ; é t a b l i s s e m e n t
«
affranchis
»
et
des
eunuques,
du s y s t è m e
milide la
p r o p r i é t é f o n c i è r e , 216; une aristo-
256 sq., 431, 435 ; l ' É t a t est le plus
cratie
grand p r o p r i é t a i r e foncier et le plus
338 ; institutions morcelant les suc-
grand
cessions, 230 sq..
entrepreneur,
257 ;
préémi-
militaire
plutôt
qu'agricole.
339 ; pas de cor-
nence des leaders militaires, 256 ; des
porations ( é t a t s g é n é r a u x ) , 215; vil-
fermiers
lages a d m i n i s t r é s ,
généraux
capitalistes
bureaucratiques, 206 Occident,
aux
sq.
absolutisme.
tion
258 ; eunu-
des
331 ;
émancipa-
serfs d i r i g é e bureaucrati-
quement. 220, 413 sq. ; V . É g l i s e .
quisme, 256,431.435 ; d é c l i n , 257 sq. :
Tsariste,
impact de l ' e x t é r i e u r ,
tion d u c o n t r ô l e de l ' É t a t sur l ' é c o -
Orient, 256
le
209.
changement
sq. ; l'empereur
vers
« dominus
l'est ».
256; routes, 209, 213; grands murs,
contemporaine,
perpétua-
nomie, 220 ; c o n t r ô l e bureaucratique du
crédit,
221.
477;
influence
de
l ' e x t é r i e u r , 511, 525 ; l i b e r t é politique
208 ; terres administratives, 212 ; eu-
grandissante, 516 sq., croissance de
nuques, 431 sq. ; V . Byzance, D i o -
forces
ctétien.
les zemstvos,
RUSSIE
anti-absolutistes,
517,
525;
515; partis politiques,
516, 525.
Kiévienne, nale, 245,
société
féodale
margi-
503 ; les membres de la
Révolutions
démocratiques,
ouver-
ture vers une s o c i é t é à centres mul-
suite pouvaient « s ' é c a r t e r », 245 ;
tiples,
pouvoir des villes, 268 sq. ; les h o m -
historiquement ouverte, 526 sqq. ; la
mes libres ne sont pas battus,
s t r a t é g i e de pouvoir des bolcheviks,
182,
517.
525 sq. ; une
situation
247 ; influence de la culture byzan-
526
tine, 246 sq., 272 sq., 499 ; influence
erreur, 527 ; V . Restauration asia-
des Khazars, 246 ; dans la zone sub-
tique,
marginale de la S. H . , 246
khanov,
sqq.
sq. ; victoire communiste Engels,
Lénine,
Marx,
par Ple-
URSS.
M o n g o l e , introduction des m é t h o d e s d'organisation D.O.,
et
d'acquisition
du
213, 234, 235, 248, 250; re-
censement, 270 ; poste d ' É t a t , 270 sq. ; terres de l'État (pomestye), torture judiciaire.
182;
271 sq. ; vassal
du
K h a n , prend une très grande importance.
272 ; les
villes perdent
leur
pouvoir, 271 sq. ; les boyards i n d é pendants
sont
affaiblis.
271 ;
rôle
crucial des mongols dans cette transformation, 270.
SALOMON, 57. Satrapes, 374. 384. SÉLEUCIDES.
type de D O . ,
Servage, compatible avec des types multiples de s o c i é t é , 498
sq.
Service postal, dans la S. H . et médiéval,
SHER-SHAH, 54.
151. 322 sq.,
384.
dans
75 ; types di-
vers dans la S. H . . 75 sqq.
le
capitalistes
383.
SEPTIME SÉVÈRE, 456.
Setthi.
317;
344 ;
n é e s , 120 sq. ; prosternation, 189.
213 sq. ; c o n t r ô l e du commerce par gouvernement,
foncière,
Semi-fonctionnaires. 351.
l'Occident
Tsariste, moscovite,
propriété
a u t o r i t é s é c u l i è r e et religieuse combi-
INDEX Shih.
388 sq.
639
GENERAL indépendante.
219
sqq., 516 sq.,
SICILE
519
Syracuse sous H i é r o n , r é g i m e h e l l é n i s -
traits de l a p r o p r i é t é f o n c i è r e orien-
tique, 253, conquise par Rome, 253 ; sous
la
domination
260 sq. ; c o n q u ê t e
arabe.
159,
normande. 260 ;
prosternation, 260 sq.
sqq. ; accentuation
des pires
tale, 521 sqq. ; formes de gouvernement d é m o c r a t i q u e
souvent bien
connues. 519; leaders souvent semia n t i - i m p é r i a l i s t e s , 533 sq. ; V . Chine,
SINDH, 200
Egypte, Inde. I n d o n é s i e ,
SMITH ( A d a m ) . 22 sq., 36 sq., 66. 450,
459, 463.
Sociétés
tribales,
Russie.
approvisionnement
en nourriture. 30 sq. ; pasteurs, 42 ;
S o c i é t é , postulats qui sous-tendent ce
agriculteurs, 42 sqq., 62, 282 ; pro-
concept, 498 ; types de structures et
p r i é t é dans les tribus non-hydrau-
de
fonctions,
497 sqq. ; é l é m e n t s ,
498; transformation,
19, 497 sq.,
liques. 282 sq., 287, 289, 334 sq. ; propriété
dans
les tribus
hydrau-
504 sqq. ; relations cruciales, pou-
liques. 282 et passim ; types
voir classes, p r o p r i é t é , 499 ; un c o m -
tiples
plexe o p é r a t i o n n e l , V.
Régularités
Sociétés
198, 499, 509;
sociales.
de succession,
mul-
111 sq. ; V .
Gouvernement, P r o p r i é t é , Religion.
SOCRATE. 194.
de c o n q u ê t e s ,
caractère,
Solitude dans la S. H . , le souverain,
394 sq. ; naissantes, 394 ; pleinement
191 ; les fonctionnaires,
d é v e l o p p é e s , 294; la structure de la
les hommes d u c o m m u n , 192 sqq. ;
classe
dirigeante
indigène
compli-
q u é e par, 396 ; obstacles à l'absorption des c o n q u é r a n t s , 250, 395 ; les Chinois n ' a b s o r b è r e n t leurs c o n q u é r a n t s , (dynastie
totale,
193;
communisme totalitaire). 197. Soumission, o b é i s s a n c e , p r e m i è r e vertu
295 ; V . Chine
sous le D . O . , 184 sqq. ; symbole de
de c o n q u ê t e ) ,
Conquête,
la.
187 sq. ; V . Prosternation.
Souverains et fonctionnaires sous le
S o c i é t é orientale Origine En
sans a l i é n a t i o n
totale avec a l i é n a t i o n totale (sous le
pas toujours
Russie.
V.
totale
191 sqq. ;
DO.
d u concept,
11, 450. sq. :
S o c i é t é hydraulique. transition,
le
problème.
20,
497 sqq. ; p r e m i è r e s e s p é r a n c e s trop optimistes
(Mill,
521 ; leaders
Marx),
attirés
510 sqq.,
par l ' é t a t i s m e
(bons).
163 sq.. 210 sq. : V .
Rationalité.
SPENGLER. 448. SSEU-MA TSIEN. 195 sq.. 429. SSU-KUNG (ministre des travaux). 307; V.
Artisans.
STALINE, p r e m i è r e
attitude envers le
directorial communiste, 20, 534 ; les
concept « asiatique » . 490, insiste
socialistes
sur
asiatiques
ignorent
les
i d é e s « asiatiques » de M a r x , 535 ; r ô l e crucial de l'influence é t r a n g è r e , 222 sq., 258. 509 sqq. ; é t a t i s m e proclamé
dans de nombreuses consti-
tutions nouvelles, 534 sqq. ; d i f f é r e n ces entre les pays i n f l u e n c é s , 513 sq. ; un
pays i n d é p e n d a n t
fluencé,
la
Russie,
fortement i n -
514 sqq. ; pays
coloniaux et semi-coloniaux partiellement i n f l u e n c é s ,
517 sqq.; obsta-
cles au d é v e l o p p e m e n t moyennes
des classes
et d'une classe
ouvrière
l'interprétation
féodale
de la
Chine. 490; é d i t e M a r x . 491 sq. STOCKHOLM ( c o n g r è s
de . 1906).
dis-
cussion de la p o s s i b i l i t é d'une restauration asiatique en Russie. 472 sqq. ; V . L é n i n e . Plekhanov. STOLYPINE ( r é f o r m e de). 220. 339. Subak. klian
u n i t é s d'irrigation à Bali. 73; subak.
responsable de. 73.
Succession (lois sur la), dans la S. H . , é m i e t t e m e n t . 102-105 ; types d'effets. 203 sqq. ; comparaison avec les conditions occidentales. 105 sqq.. 107 sqq. ;
640
LE
comparaison
avec
DESPOTISME
le Japon. 242 ;
dans 'es S. H . marginales. 230
sqq.
SUK. s y s t è m e sporadique. 204 ; digues d'irrigation p r o p r i é t é des tribus. 285 ; corvée,
39.
285
sq. ; travaux non-
ORIENTAL 354 sqq. ; V . P r o p r i é t é f o n c i è r e , Propriété.
Terres collectives, S. H . 89
r é p a r t i t i o n dans la
sqq. ; V . C o r v é e .
hydrauliques i n o r g a n i s é s . 286 ; p o u -
de la. 175 sq. ; — sans
voir du chef l i m i t é .
légal.
176. 277;
pas
de terres collectives. 89. 92 ; conditions
de la p r o p r i é t é .
SUMER, type
282
sqq.
c o m m u n a u t é s - t e m p l e s , 308 sq. ; corv é e . 40, 56. 183. 309; constructions 53.
56 ;
fondement
175 sq. ; — l é g a l e .
175
sq.;
— administrative, 177 sq. ; — fiscale, 178 ; — judiciaire (torture). 178 sq. ;
hydraulique (C2), 204 ;
non-hydrauliques.
Terre.
Terreur et D . O . . aspect psychologique
tenure
f o n c i è r e , 90. 114. 214, 309 sq. ; auto-
types d ' i n t e n s i t é .
183 sqq. ; compa-
raison avec la torture en Occident, 179
sqq.
TEZCUCO. 35, 59. THAÏLANDE (Siam), type hydraulique,
cratie quasi-hydraulique. 113. 325 ;
48 ; p r o p r i é t é f o n c i è r e p r i v é e ,
souverain, divin. 119 sq. ; 171 sq. ;
v é e d u s y s t è m e chinois. 353 ; peu de
autorité
contacts avec l'Occident. 511 ; chan-
inspirant la terreur.
propriété fiante,
foncière
privée
177;
insigni-
326 ; commerce et commer-
ç a n t s professionnels.
301, 308
sqq.,
326 ; capitalistes marchands bureaucratiques. 310 sq. ; i m p ô t .
90.
92;
ateliers du temple. 309 ; fermiers c o m munaux soldats. 90 sq. ; aux temps de la t r o i s i è m e
dynastie d ' U r . ac-
croissement p r é s u m é de la p r o p r i é t é p r i v é e et du commerce. 313.
gements (occidentalisation 511, Thèmes
(soldats), 214,
384.
TIBET (S. H . marginale), moines fonctionnaires. 233 ; s y s t è m e postal, 233 ; terres administratives.
233 ; i m p ô t ,
233. Totalitarisme,
n'est
pas
identique
développement,
505
sqq..
D . O . en Russie. 265 sq. ; c o m p a r é s
régression. sion.
19,
19, 248
506, sqq.,
508; 505.
thartique ( r é g é n é r a t r i c e gouverne-
manque de, produit la
n i s t r é e par le gouvernement. 330 sqq. ;
505 ; changement
—
tique, 210 sq.,
mentale.
331 sqq..
peut ê t r e
louée.
331, peut être vendue à d'autres villageois.
331 ; —
gouvernement.
concédée
332 sqq.,
teurs. 332. s i n é c u r e s . c r é e (temple),
333
par
le
aux servi-
333 sqq..
sq. ; cas
sa-
limite.
339 sq., 351 ; ampleur de la p r o p r i é t é f o n c i è r e p r i v é e pour d i f f é r e n t s soustypes
de
S. H .
semi-complexe.
simple. 340 sqq..
340
sqq..
complexe.
348 sqq. ; quel est le d e g r é de l i b e r t é ,
conver509;
des),
cadans
toutes les formes de s o c i é t é s , 506 ;
ment, 329 sq. et passim ; — admigouverne-
primaire
et secondaire, 506, p r o g r è s . 19, 506,
avec les Maures (Pouchkine). 265 sq.
réglementation
à
Transformation des ensembles sociaux,
la Horde d'or, 266 ; et l'origine du
sous
520.
THANA. 151. 324.
TOYNBF.E. 448.
TA TARES (les), terme. 266 ; m a î t r e s de
par le
minime),
514; chinois en. 514.
l'autoritarisme, 441.
SUN-TZUN, 84, 243. SUN YAT-SEN. 523. 533. 535.
Terre. — c o n t r ô l é e
déri-
stagnation,
cyclique
cathar-
506; et valeurs h u -
maines. 506 ; et c r é a t i v i t é . 507. Travailleurs, c o n t r ô l e d u gouvernement sur —
les — dans la S. H . . 66 sqq. ; o r g a n i s é s dans la s o c i é t é indus-
trielle b a s é e sur la p r o p r i é t é . 359 sq., 537 sq. ; la grande classe o u v r i è r e , 445. 538. Travaux
hydrauliques.
T. H .
lourds
c o m p a r é s à l'industrie lourde, 43 sq. ; travaux d'irrigation. 37 sq.. 46. 59 sq., . 72.
137
sq. ; travaux
de
contrôle
INDEX des
eaux.
38
sq..
45.
49.
60
sq.,
72 sq., 203 ; aqueducs. 46 sq.. 59 sq. ;
641
GENERAL
a u t o r i t é collective du « politburo » ? ,
canaux d'irrigation, 35. 59 sq. ; V.
134 sq. URUKAGINA. 114, 309.
É c o n o m i e hydraulique.
U . S . A . , abolition de l'indivision,
Travaux hydrauliques lourds. 43 sq. ; V. Division du travail
et des travailleurs,
TROTSKY, et le concept de despotisme asiatique. 486. T'un-T'ien
359.
U t o p i s m e r é a c t i o n n a i r e , concept par
(champs de garnison), 33.
105,
110; influence politique des fermiers créé
M a r x et Engels, 469 ; a p p l i q u é
à M a r x et Engels, 469 sq.
Turquie Ottomane,
type
hydraulique.
205,
209; recensement, 71 ; poste d ' É t a t , 77. 213; tenure f o n c i è r e , 334.
336.
346; administration du village, 154;
VARGA, 483 sq. VENISE, travaux hydrauliques, 25, république
aristocratique
draulique. 319;
319;
non-hy-
marchands, 328.
i m p ô t . 92. 346 ; fermiers de l ' i m p ô t .
Vierges, V . Femmes.
385 ; esclaves
Violence, une arme de tous les gouver-
435
fonctionnaires.
sq. ; bureaucratie
restreinte, noblesse dans
209;
guildes,
eunuques.
héréditaire
des
est
436;
la
cantonnée
postes secondaires,
150 sq.,
388.
relativement
436 ;
nements, 172 sq. ; — i n t é g r é e oppos é e à f r a g m e n t é e , 173 sqq. ; — c o n t r ô lée o p p o s é e à incontrôlée,
V.
155; effet d é s i n t é -
grateur de l'impact e x t é r i e u r , 221 sq. ;
Wakf.
c o m p a r é à Byzance. 221, à la Russie
WANG AN-SHIH, 473.
tsariste. 511. 523. Contemporaine,
173;
terreur.
Wasiya. bourgeoisie
prati-
quement absente, 523 ; s y s t è m e mul-
110 sq., 346, 346,
386.
385.
WEBER (Max), 12,
16,
113,
tiparti, 523 ; le cercle bureaucratique
W i (empereur),
a-t-il é t é rompu?. 523.
WILHELM (Hellmut), 409.
Types sociaux, p r é - i n d u s t r i e l
stratifié,
500 sqq. ; pastoral, 501 ; s o c i é t é « an-
151,
328,
369, 373, 497. 501. 516. 430.
WITTE (le comte),
515.
WOLF (E), 34.
ciennes » non-hydrauliques, 501 sq. ; s o c i é t é f é o d a l e . 502 sq. ; s o c i é t é hydraulique. 503 ; types r é s i d u e l s , 503 ; s o c i é t é industrielle à centres ples, 359 sq., 444 sq..
multi-
537 ; s o c i é t é
totalitaire à centre unique. 528 sq. ; TYR.
XENOPHON, 76. XERXES, 81 sq., 86.
aqueduc de. 47.
YANG (C. K.), 425. YANG (empereur), 57.
YEH-LU CH'U-T'SAJ, 159. Yin (le p r i v i l è g e ) , 422
U R S S . ,
attitude envers les concepts
Yin-T'ien
sqq.
(champs de campement). 330.
de S . O . et de D . O . . rejet progressif,
YOLK, 484 sq.
479 sqq., 483 sqq. ; effet de la collec-
Yu, 42, 160.
tivisation en. 141, 529 sq. ; de l'ap-
YUCATAN (le), avant la c o n q u ê t e ; V .
pareil d ' É t a t semi-directorial à l'ap-
M a y a s (les) ; a p r è s l a c o n q u ê t e , exten-
pareil directorial total. 530 ; des so-
sion de l ' é l e v a g e , r é d u c t i o n de la po-
cialistes subjectifs
pulation,
mais pas de so-
265.
cialisme, 528 ; campagne contre l'impérialisme sante dans
occidental la
vieilli,
S . O . . 533;
séduiterreur
c o m p a r é e avec celle du D . O . . 182$^.;
ZAMINDARS,
origine, 399 ; collecteurs
d ' i m p ô t , 455, 521 ; — deviennent des propriétaires
fonciers absents,
521.
1
INDEX DES NOMS D'AUTEUR ET D'OUVRAGES CITÉS
ACOSTA (1894), 265); (1945), 564.
ACTON (1948), 554. Agrarian
China,
Agriculture
568.
in India, 576.
AITKEN (1930), 90. ALEXANDER (1899), 188, 295, 299, 554, 563, 566.
ALTAMIRA (1930), 561, 576. AMAW (1935), 571. Amerasia,
492.
AMMIEN MARCELLIN, 401, 432. ANHEGGER(1943), 545. APASTAMBA (1898), 549. APPADORAI (1936), 332, 392, 545, 546, 553, 566.
APOLEBY (1953), 576. Arabian
Nights
(Mille
et une
nuits),
568. ARISTOTE : Politique,
320, 549;
Rhé-
torique, 555, 571.
ARKELL et MOY-THOMAS (1941), 572, 575. ARMILLAS (1944) ; (1948), 34 ; (1951), 34. ARNOLD (1924), 121, 551 ; (1951), 121. 551.
ARRIEN, 559. ARTHACASTRA (1926), 53, 77, 544, 545,
BADEN-POWELL (1882), 91 ; (1896). 91, 553. BAKOUNINE (1953), 574. BALAZS, BWT. 568. BANDELIER, D H , 51 sq. ; F R , 51, 284; (1877), 547 ; (1878), 564 ; (1880), 564. BANERJEE (1925), 322, 565. BARTON (1929), 58, 545, 550, 554, 556, 564. BAUDHAYANA (1898), 549, 551, 554. BAUER (1893), 554. BAYKOV(1947), 529, 576. BEAGLEHOLE (1937), 284, 559, 562. BEAL, Si-yu-ki, 556. BEARD (1927), 549 ; (1941), 549. BECK et GODIN (1951), 183. BECKER, IS, 400, 556, 567 ; (1903). 567. BEECH (1911), 284 sqq.. 543, 562. BELL (1927), 559. BELL (1948), 349, 351, 567. BENGTSON (1950), 239, 545, 549, 559. BERGER (1950), 567. BERLE et MEANS (1944), 570. BERNIER (1891), 450, 554, 573. Bhagavadhgttä (1900), 148. 169. Bible,
Rois I, 545.
A S B R T ( p r o c è s Boukharine), 556.
BIKERMAN (1938), 567. BIOT(1851), 546. BIRKETT (1918), 515. BISMARCK-OSTEN (1951), 576. BJOERKMAN (1928), 546 sq. ; (1941), 554. BLACKMAN (1899), 188, 295, 299, 554, 563.
ATIYA (1934), 436, 571. BABER (1921), 402.
BLOCH (1937), 561 ; (1939), 549. BLOM et LAFARGE, TT, 228.
547 sq., 552, 555.
ARTHASHASTRA (1923). 71. 544, 547. 548. 552. 554 sq.. 568. ASAKAWA (1903), 559; (1911), 559; (1929), 559; (1929a), 559.
644
LE DESPOTISME
BOAS (1937), 435 ; (1938), 565.
BODDE (1938), 566, 571 BO. BONNE (1948), 576. BOROSDIN (1908), 245, 560. BOUKHARINE (1934), 484. BOULAIS (1924), 545, 549, 551, 553, 555, 576, 570.
BRANDT.
ORIENTAL CHRISTENSEN (1933), 343, 546, 550, 567 ; (1944), 546, 550, 568. CH'U (1937), 563, 569 ; (1957), 552 sqq., 563.
CH'UAN. HS (1934), 553. CIEZA (1943), 56, 545 sq.; (1945), 76, 302, 544, 563.
SCHWARZ
et FAIRBANK
(1952). 488.
BREASTED (1927), 58, 119, 172, 428, 544 sqq., 548,550,
552, 555 sq.,
563 sq., 566.
BREMER (1949), 546, 550, 556 sqq.; (1950), 213, 557, 564.
BREW (1946), 575. BROUGHTON (1938), 552. BRUCKNER (1896), 271. BRUNNER (1905), 555. BÜCHER (1922), 561. BÜCHNER (1941), 152. BUCK (1937), 38, 353. BUCKLEY (1893), 543. BUHL (1930), 547. BÜHLER (1948), 555. BURNOUF(1876), 565. BURY (1910), 543, 551; (1931), 545,
CLARK (1937), 137, 552. C M , 26, 201. COBO, H N M , 76, 544 sqq., 547, 550, 552, 556, 563.
COLE (1939). 545. COLLINGWOOD (1937), 560. CONTENAU(1950), 331. COOK (1944), 563. COOKE (1931). 228. COOKE (1952), 522, 576. Coran,
103, 347, 552 sq., 555.
CORTES (1866), 544, 558, 564. CPLNC, 303, 545, 563. CREEL (1949), 420. CREVENNA, M E C M , 520. CROMER (1908), 554. CRUM (1925), 150. CUQ (1929). 327. 342. 566 sq., 568.
DAGHESTANI, F M , 552.
550; (1937), 549.
BUSOLT, GS, 95,550, 555.
DAS (1904), 559.
DASP, 485 sq., 543, 575. DE GROOT (1918), 122, 550; (1940),
CAHEN (1940), 544. CASARES (1907), 226 sq., 558. CASTAÑEDA (1896), 51 sq. CHAMBERLIN (1935), 576. CHAN-KUO TS'É, 548. CHANO, GI, 104, 363; C G , 104, 382 sq., 425, 571. CHARLESWORTH (1934), 560, 571. CHAVANNES, M H , 195. CHILDE (1944), 575 ; (1946), 575; (1951), 494, 575; (1952), 489; (1953), 575. CHIMALPAHIN QUAUHTLEHUANITZIN, 544. Chimalpopoca (1945), 59, 545. Chin
Shih,
Chin
Shih Ts'ui Píen.
Ch'ing Chiu
558. 545.
Shih Kao. 152, 548, 570. T'ang Shu. 553.
Chou Li, 546.
552, 553. DEIMEL (1920), 549, 550; (1922), 548; (1924), (1924b),
114,
546;
(1924a),
563; (1927),
308;
546, 563;
(1928), 543, 546, 563; (1929), 310, 563;(1931), 58,310, 543, 548, 564; (1932), 114.
DELBRÜCK, G K , 547 sq. DIAZ DEL CASTILLO (1944). 314, 544, 564.
DIAZ DE GAMEZ (1949). 555. DIEHL(1936), 132, 551. DIODORE, 212. DOELGER (1927), 557. DOOLITTLE (1876), 555, 556. DOZY (1932), 561. DUBBERSTEIN (1939), 566. DUBOIS (1943), 147, 551, 553, 556, 571. DUFF (1936), 571.
INDEX DES NOMS D'AUTEUR ET D'OUVRAGES CITÉS DUNDAS (1924). 287. 544. 551. 556, 562 sq. DUTT (1940), 493 ; (1943), 493 ; (1951), 493. DUYVENDAK (1928), 333, 564.
GALLEGOS (1927), 51. GARCILASO (1945), 56, 302 sq., 544 sqq., 550, 552, 553, 554, 563.
GARDINER (1948), 557. GAUDEFROY-DEMOMBYNES (1923), 546
EBELING(1932), 327. EBERHARD (1952), 382, 394. ECK et LIEFRINCK (1876), 543, 546. EDGERTON (1847), 566. EHRENBERG (1946), 559. EISENHOWER (1948), 554. ELLIOT et DOWSON (1887), 403. ELLIS (1826), 394, 562. EMGE (1950), 568. ENGELS (1887). 456; (1894), 572; (1921), 464, 573 ; (1935). 464, 572 sq. ENGELS et KAUTSKY, 574. ENGNELL (1943), 550 sq. ENSSLIN (1939), 545. ERMAN (1923), 172, 554, 563, 570. ERMAN et RANKE (1923), 331, 550, 554, 556 sq, 563, 569. ESPEIO (1916), 284. ESPINOSA (1942), 544. ESTETE (1938), 56, 545, 563. FAIRBANK (1947), 538 ; (1948), 488. a l - F A K H R i (1910), 551, 554,
555.
FALKENSTEIN (1936), 114, 563. Far Eastern
Survey.
494.
FEI (1946), 382 ; (1953), 382. FEI et CHANG (1945), 383, 549. FICK (1920), 151, 380. FISCHEL (1937), 400. FISCHER (1948), 571. FLETCHER (1856), 317, 557, 564. FLORENZ (1903), 559. FLORINSKY (1953), 267, 515 sq., 526, 576. FORNANDER. HAF, 188, 562; P R , 294. FRANK (1928). 560; (1940), 560. FREUDENTHAL (1905), 555. FRIES (1921), 547. FROMM (1941), 554. FURNIVALL (1944), 520, 576. GABRIELI (1935). 557. GALE (1931), 570.
645
sq. ; (1931),
552 sq. ; (1950),
176 sq. ;
(1938),
551, 556.
GAUTAMA (1898), 549, 551, 554. GBP (1882), 565.
GELZER (1943), 560. GIBB (1932), 547. GIBB et BOWEN (1950), 150, 155, 346, 546, 552 sq., 566 sq. GLOTZ (1925), 559 ; (1926), 545. 548 sq., 555, 559 ; (1929), 549.
GOETZ, RR, 244, 560. GOLDFRANK (1945), 555 ; (1945a), 560. GOLDZIHER (1889), 416 (1905), 555.
GORDON (1945), 570. GOTZE (1933), 565. GRANT (1937), 546*?.
GRAPOW (1924), 555 sq. GRASSMAN, RV, 322, 565. GRAY et CARY (1939), 568 sq. GREKOV (1939), 271 ; (1947), 247, 560.
GRENIER (1937), 560. GROHMANN, PAP, 150 ; (1933), 73, 553. GROSSMAN (1929),.451. GRUNEBAUM (1946), 152, 156, 553. GSELL, HA, 320, 565. GUBER (1942), 575. GUILLAUME, IDS, 574. GUIRAUD (1927), 181. GUMPLOWICZ (1905), 393. GURIAN (1931), 529. GUTMANN (1909), 176, 286 sqq., 292 562,
sqq.,
543,
570;
548,
(1914),
552,
292
554
sqq.,
sq., 562;
(1926). 284, 286 sqq., 292, 295, 544, 546, 562 sq.
HACKETT (1923), 284. HACKMAN (1937), 342. HAIG (1937), 545. HALL (1886), 261. HAMMURABI, 172, 313, 549, 552, 554, 565, 568 sq.
« HAN OFFICIALS » , 570.
646 Han
LE DESPOTISME Shu. 195, 544 sqq., 554, 556, 568,
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ORIENTAL
Imperiai
Gazetteer
of India.
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HAEPKE (1924),
548.
HARPER (1928), 552 sq.
Inostrannaya
HASAN KHAN (1944), 551.
ìnprecor.
kniga,
543.
485. 488. 492. 577.
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IXTLILXOCHITL. O H , 59, 331, 545.
HAXTAUSEN, S R , 331, 566.
Izvestia.
Hcs,
533.
CH'IN-HAN, 544 sqq., 549, 554,
557, 566, 568, 571. Hcs,
JACKH (1944). 576.
CH'ING. 547,
JACOBSEN (1943), 327, 575 ; (1946), 554.
HEDIN (1917), 559.
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HEICHELHEIM (1938), 544.
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JAHÀNGÌR (1909), 403. 556.
HELCK (1939), 570.
J à t a k a m . 72. 189. 331. 333, 337. 380,
HERBERSTEIN, N R , 214,271,547.564 sq.
552. 565. 568 sq.. 571.
HERODOTE, 45, 544, 556, 559, 568, 571.
JEFFERSON (1944). 549.
HEWITT (1887), 91.
Jen-min
Hindu
Weekly
Review,
577.
Jih-pao.
532.
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HINTZE( 1901), 561 ; (1930), 561 ;(1941), 553.
JOHNSON (1951).
349 sqq..
552
sq.,
567 sqq.
HIRTH (1928), 261.
JOHNSON et WEST (1949). 212. 349 sqq.,
HITZIG (1905), 555.
552. 557. 566 sqq.
HOMO (1927), 93, 559.
JOLLY (1896), 147. 332. 552. 566. 569.
HONIGMANN (1935), 557.
JONES (1934), 560.
HONJO (1935), 559.
JONES (1831). 571 ; (1859), 572 sq.
HOPKINS (1888), 322; (1902), 151, 324, 552, 565; (1922), 549, 551, 565.
JOSÈPHE, 212. JOUGUET (1911), 552.
HORN (1894), 547.
JUAN et ULLOA (1806), 265.
HORST (1932), 556, 559.
JUYNBOLL (1925). 549. 555.
HORSTER (1935), 551. HÖTZSCH (1932), 245, 560.
KAHIN (1952), 520. 576.
H o u H a n Shu, 544, 546, 571.
KAHRSTEDT (1924). 548.
HOWORTH, H M , 556.
Hai Kauùs
HSIAO. K. C . 149. 553.
KANTOROWICZ (1931), 556.
ibn Iskandar (1951). 556.
HSIEH (1925), 551.
KARAMZIN.HER.266^., 269.557,561.
Hsü
KATO(1936). 307. 553 sq.
Han Chih. 546.
Huang-ch'ao
Ching-shih
Wen
Hsü-p'ien.
570. HUDEMANN (1878). 546. HUG
(1918), 571.
HUMBOLDT (1811), 265. 543. HUMMEL. ECCP, 234, 548. HUURI (1941). 547.
KAUTSKY (1929). 450. KAYDEN (1929). 576. KEES (1933). 118. 304 sq., 344, 548 sqq., 552, 554 sqq.. 563. 566, 568 sqq. ; (1938). 115; (1953). 569. KEITH (1914). 549. 551 ; (1922), 323, 551, 565.
HUXLEY (1955), 575.
KENNAN (1891), 182, 555.
IBN BATOUTAH (1914), 547.
KING (1927). 544.
IBN KHORDADHBEH (1889). 546.
KLEBS (1915). 563.
IBN al-UKHUWWA (1938), 552.
KLEIN (1920), 264 sq., 561.
KEPELINO (1932). 563.
INDEX DES NOMS D'AUTEUR KLUCHEVSKY. Kurs. 558.
266, 561 (1945),
HR. 214. 235. 267, 269 sq.,
557. 561 sq.
ET D'OUVRAGES CITÉS
LEGGE, C . C . 331. 389. 420. 548. 552, 553 sq.. 555. 563. 569. LENINE. S.. 360. 475 sq.. 482 sq.. 526,
K M C L , 450.
554. 582 sqq.. 576 sq.; (SW).
KOEBNFR (1942). 561.
(SWG). 576; (1937), 574.
KORNEMANN (1933). 551. 556; (1949), 570.
Letopis
Marksizma.
459.
(1947). 552.
KRACKE (1947), 426 sqq., 571; (1953), 422. 427. 571.
LIND (1938), 294. 563. LIPS (1938), 282. 286. 562.
KRAMER (1948), 565; (1950), 565.
LOCKE (1924). 554.
KRAUSE et WITH (1925), 551.
LOKKEGAARD (1950), 547.
KRELLER (1919), 549.
LONGRIGG (1925), 557.
KREMER, C G O , 416, 548 sq., 554, 556;
LOWIE (1927). 393. 569; (1938). 293,
KROEBER (1948), 575. KRÜCKMANN (1932), 327, 566. Kuan Tang
LOPEZ (1945), 554. LOT (1946). 85. 547 sq.; (1951). 560.
(1883). 552.
300.
Chi Lin. 546.
LUCKENBILL, A. R., 428, 544 sq.
Tzü. 456.
Lun
KULISCHER. AW, 544 sq., 563, 570; (1925). 270 sq., 557.
Yu, 556.
LUNDELL (1937), 228. LUXEMBURG (1951), 577.
KULISCHER, A. W., 544 sq., 563, 570; (1925). 270 sq., 557.
LYASHCHENKO (1949). 557. 575. 570, 576.
K u o . M . J. (1935). 556. 563. Kuo
482;
LEVI-PROVENCAL (1932). 261. 331. 561;
KOVALEWSKY (1903), 562.
Kuan
647
LYBYER (1913). 546. 557. 571 sq.
Yu. 546. MA. S. F . (1935). 548. MACDONALD (1941). 152. 553. MACHIAVEL(1940). 582.
LABAT (1939). 550.
MACLEOD (1924). 393. 569.
LABORDE (1808), 261, 264, 561.
MAITLAND (1921). 561 ; (1948). 561.
Labour
a l - M A K K A R i (1840). 561.
Monthly.
493.
LAFUENTE ALCANTARA (1845), 561. LAMMENS (1907),
557; (1914),
MAKRIZI (1845). 554. MALLON (1921). 554.
LAMBTON (1938). 73; (1948), 73. 557;
(1922). 553. LAMPRECHT. D. G., 550, 570. LANDA (1938), 90, 558, 564, 567. LANDSBERGER (1925). 566.
MALO (1903). 562. Manou
(1886).
158.
189.
547.
549,
551 sq.. 553 sq.. 556. 571. MAO (1945). 577 ; (1945a). 577 ; (1954), 577.
LANE (1898). 190. 401.
MARCO POLO (1929). 547.
LANG (1946), 566. 568.
MARKHAM (1892). 265.
LAOUST (1939). 551.
MARQUART (1903). 557.
LAST (1936), 560
MARSHALL (1946). 36.
LATTIMORE (1940). 489 493 sq.; (1944),
MARSCHALL (1928). 545; (1931). 543.
493 sq.; (1947). 532; (1949). 493.
MARX D
K.. 36. 459 sqq.. 464. 501,
LAUTS (1848). 294.
582 sqq.. 576; NYDT. 450. 452. 455,
LAW (1923). 565; (1941). 323, 565.
465. 480. 510. 543. 582 sqq.. 575 sq.;
LEA (1892). 181 sq.. 555; (1908). 181,
TMW.
182. 555. LEEMANS (1950), 564 sq.. 566.
467. 543. 573 sq. ; (1857),
573; (1921). 501. 582; (1927). 582; (1935). 469; (1939). 12. 143. 499 sq..
648
LE DESPOTISME ORIENTAL
552.
582
sq..
577;
(1951).
455;
(1951a). 464.
MARX et ENGELS (1920). 464 sq.. 582; (1952). 462. 574, 576.
MASSIGNON (1937), 553. MATTHAI (1915). 552. MAURER. G . S. D , 552. MAVOR (1925). 220. 575. 570; (1928).
MUKERJEE (1939). 566. MUNIER (1932). 212. MUNRO (1939). 86. MURDOCK (1949)..549. 562. MYERS (1939). 549.
NARADA (1889). 549. NEHRU
515.
MAYR (1942). 582. 575. MCEVAN (1934), 550. MCLLWAIN (1932). 549. MEANS (1931). 550. 563. MEEK (1950). 428. 549. MEGA. 450. 454. 464. 570. 582 sqq. MEHTA (1954). 577. MEISSNER. B. A . . 531. 114. 331. 428,
(1942).
577;
(1942a).
577;
(1946). 576 sq.
NELSON (1938), 543. NESTOR (1931), 246 sq.. 560sq.
NEWBERRY, B. H., 563. NICOLAI-ON (1899). 557. NIHONGI (1896). 559. NILSSON (1950). 550. NÔLDECKE (1892). 570.
544sq..548sqq.. 544. 565. 566. 568sq.
MENDELSOHN (1949). 545. 569 MENDOZA (1854). 265. MERCER (1952). 428 MERKER (1903). 562; (1904). 287. 562.
MEYER. G . A . . 86. 115. 320. 546. 559. 568 sq.; (1924). 569.
MEYER (1950). 530. MEZ (1922). 73. 152. 205, 392. 416. 545. 546. 549. 554 sqq.. 571 sq.
MIAKOTINE (1932). 560. MIELI (1938). 561 ; (1946). 561.
MILES (1948). 557. MILL (1820). 572. MILL (1909). 36. 543. 572. 577; (1947), 497. 575.
MILLER (1941). 436. 571. MILLER (1939), 256. 560. MILIOUKOV (1898). 271. 546. 557. Ming
Shih. 402, 571.
MINORSKY (1943). 121. MITTEIS (1912). 549. MITTEIS (1933). 560. MOMIGLIANO (1934), 571. MOMMSEN (1875). 551; (1905). 555: (1921).
349. 567.
MONZON (1949). 314. 331. 564, 566 sq. MORELAND (1929). 399. 569. MORGAN (1877). 573. MORLEY (1938). 228; (1947). 558.
MORRIS ( ¡ 9 3 7 ) . 549 sq. MOTOLINIA (1941). 564.
OBREGON (1928). 51. 265. OERTEL (1939). 560. OLDENBURG (1915). 323. OLMSTEAD (1923). 54. 544 sq.; (1948). 546. 571. OMAN (1924). 547. ONDEGARDO (1872). 302. 544 sq.. 549 sq.. 569. OPPENHEIMER (1919). 393. OSTROGORSKY (1940). 204. 232. 551. 557 sqq.. 560. 566 sq.. 570 sqq.; (1942). 557. 0STRUP (1929), 188, 182. 556. OTTO. P. T., 569. OVIEDO. HGNI. 564. 568. Pacific
Affairs.
593.
PALERM (1952). 34; (1954). 34; (1955), 34. PANIKKAR. A. W. D.. 534. PANT (1930), 545. PARSONS (1932). 52; (1939). 90. 284. 543 sq.. 548. 555. 559. 562. PEDERSEN (1941). 551. Peking
Gazelle.
570. 571.
PERRY (1913). 562. PETIT-DUTAILLIS (1949). 181, 550. PITSCHMANN (1899). 544. PIGGOTT(J950). 575. PIZARRO (1938). 545. PLATON. 194. PLATONOV (1925). 246.
INDEX
DES NOMS D ' A U T E U R E T D ' O U V R A G E S CITÉS
PLEKHANOV. F . P. M . . 450. 501 ; (1891). 450; (1906). 574. Pod Znamenem M a r x i z m a . 17.
PÖHLMANN (1912), 549. POLI AK (1934). 403. 570; (1939). 345. 566 sq.. 569.
POLYBE. 320. 564. POMA (1936). 548. PORPHYROGENÈTE (1939), 554. PRESCOTT
(1838).
264
sq. ;
PRICE (1927). 58. 554, 564. PRIGOZHIN (1934). 488. crònica
Problemy
Kilaia.
general.
561.
575.
PROKOPOWITSCH (1913). 557. 576. Protokoly.
472. 576. 574.
Ramirez (1944). 545, 564.
RAMSAY (1890). 557. RANGASWAMI (1935). 549, 551. RANGOONS TRACTS. 577. RANKE (1924), 550. RAPSON (1922). 380. RATHGEN (1891). 559. R D S . 51.
RECLUS (1882). 473. REED (1937). 544. REID (1936). 551. REISCHAUER (1937). 559. REISKE (1830). 560. RENOU (1950), 380. RHYS-DAVIDS (1922), 565; (1950). 380. 552. 565.
RHYS-DAVIDS
C . A . F . (1922). 392.
553, 569.
RIASANOVSKY (1937), 560. RIAZANOV (1909), 458; (1925). 575.
RICKETSON (1937). 228. RIEPL(1913). 546, 560. RITTER (1858), 213. RITTER (1929), 547. ROBINS (1946), 544. ROBINSON (1949), 557. ROCKHILL (1891). 559. ROGERS (1884). 561 ROSTOVTZVEFF (1910). 552. 560. 567; (1941). 119. 544. 552. 567.
ROWE (1946). 76. 302. 375. 544. 546 sqq.. 550. 558. 556, 569. ROYS (1933). 558 ; (1943), 229. 558. 564, 567. 571. RRCAI. 46. 543. RUNCIMAN (1933). 571. RUPPERT et DENISON (1943). 558. RÜSTOW. O . G . , 42, 392, 393 sq. RY. 226. 558.
(1936).
264 sq.. 546.
Primera
649
SABAHUDDIN (1944). 545. 547. SACY, de (1923), 546. SAHA (1930). 543. SAHAGUN (1938). 315. 544. 551. 556, 564. SALETORE (1943). 547, 556. San Kuo Chih.
Wei. 570.
SÁNCHEZ-ALBORNOZ, E. M., 561. SANCHO DE LA HOS (1938), 302 sq., 544 sq., 563. SAN NICOLO, P. R.. 552. SANSOM (1938). 559. SANTILLANA (1938). 555. SARMIENTO (1906), 302, 545, 563. SAUVAGET (1941), 545, 547; (1946), 187, 556. SCHACHT (1935), 555 ; (1941), 129. 549. SCHAWE (1932). 566. SCHEEL (1943), 553. SCHEIL (1900), 568. SCHILLER (1893), 93, 555. SCHIRKMACHER (1881). 561. SCHNEBEL (1925), 557. SCHNEIDER (1920). 58. 114. 309. 342, 545. 563. SCHOLTZ (1934), 310. 564. SCHRAMM (1924). 556. SCHUBART (1922), 567; (1943), 471. SCHUSTER et WINT (1941). 576. SCHWARTZ (1951). 487 sq. SCOTT (1943), 182. SEARS (1951). 54. SEECK (1901), 556. SEGRE (1943), 566. SEIDL (1951), 566. SELER, G . A., 551 ; (1927), 551. 556. SELIGMAN (1914). 36. SETHE, P. T . , 176. 428. 550. 554; (1908). 564; (1912), 543.
650
LE DESPOTISME ORIENTAL
SEYBALD (1927). 561. SHATTUCK. REDFIELD et MACKAY (1933). 265. Shih
Oit, 333, 420. 544 sqq.. 549. 557.
563. 566, 568, 571.
SLRUN. 183. SM. 26. SMITH (1937). 36, 37. 36 sq., 568. 582, 575. SMITH (1897). 553. 556; (1899). 149. 553 sq. SMITH (1914).
82, 545. 548; (1926),
331. 545 sqq.. 566; (1928). 380 sq. SMITH (1946). 399. 403; (1946a). 399. Socialist
Asia.
577.
SOMBART (1919). 544 sqq., 563. SPEISER (1942), 565. SPIEGELBERG (1892). 555; (1896), 563. SPULER (1943). 266. 271. 561 ; (1952), 392.
STADEN (1930). 214. 271. 557. 564. STALINE, S.. 377, 554. 575; (1939), 466, 575; (1942), 360. 568.
STAMP (1938), 323. STEIN (1920). 557; (1928). 560; (1949). 554; (1951), 569.
STEINWENTER (1920). 552. 567. STENGEL (1920). 549. STEPHENS. ITCA. 228 sq.. 544; (1848). 227. 558 sq.
STEPNIAK (1888). 557. STEVENSON (1934), 256. 560. 571. STEWARD (1949). 497. 507 : (1953). 497. 507; (1955). 497.
STÔCKLE (1911). 150. 552 sq.. 564. STRABON. 82. STRONG. KIDDER et PAUL (1938). 228. STRUVE (1942). 560 sq. STRUVE (1940). 488. STUBBS. C.H.E.. 547 sq. SUÉTONE (Auguste) (1886). 546. Sui Shu. 57. 544.
SUMNER (1949). 268. 559. SUN T Z U (1941). 547. Ta Citing
lu li. 553.
Ta
Hsi-yii
Tang
Chi. 556.
TABARI (1879). 556. TAESCHNER (1926). 545. 557.
TAKEKOSHI (1930). 559. TANG. 533. TARN (1927). 567 sq. TAUBENSCHLAG (1944). 146, 549. TAYLOR (1936). 576; (1942), 576.
TAYLOR (1931). 550. TEA, 564. TENG et BIGGERSTAFF (1936), 551. TEZOZOMOC (1944), 59. 544, 564 THOMPSON et HUTCHINSON (1929). 544. THOMPSON (1941). 544. THORNBURG. SPRY et SOULÉ (1949), 576.
THUCYDIDE, 554. THUREAU-DANGIN (1907), 58, 545. TlMASHEFF (1946), 516.
TITIEV (1944). 559, 564. TOLSTOV (1950), 543, 575. TOMSIN (1952), 552. TORQUEMADA (1943), 315 sq., 546. 564. TOUT (1937). 547. 549. TOZZER (1941), 229, 558, 567. TRITTON (1930), 567. TROTSKY (1923),
486;
(1928).
556;
(1931). 486; (1939), 486. Tso Chuan
Chu Shu. 571.
TUGAN-BARANOWSKY (1900). 576. VAILLANT (1941), 544. VANCOUVER (1798), 563. VANDENBOSCH (1949). 576. VAN NOSTRAND (1937). 560. VARGA (1928), 575. VASIHTHA (1898), 549, 552, 554. VEBLEN (1945), 67; (1947). 575. VERNADSKY (1943), 245 sq.. 560 ; (1948), 245. 560; (1953), 267. 269 sq.
VINOGRADOFF (1908), 547. VISCHNOU (1900), 547. 549. 554, 569. VLADIMIRTSOV (1948). 560. VOIGT (1893). 255, 559. VYCHINSKY (1948), 554. WAITZ (1880), 562. WALKER (1955), 533. WALLACE (1938), 351. WALTHER (1917). 566. WAN, K. T. (1933). 548.
WARRINER (1948). 576.
INDEX
DES NOMS
D'AUTEUR
W b , 428. WEBER,
ET D'OUVRAGES
CITÉS
651
23. 46. 152. 205, 383, 392 sq., 485, R.
S „ 151, 501,
566,
568;
W . G . 369. 549; (1906). 516, 576.
543. 546. 553. 557. 569 sq. ; (1931a), 450; (1932). 23. 46. 33. 439; (1935),
WEISSBERG (1951), 183.
49. 146. 210. 389. 571, 575; (1936),
WELLHAUSEN (1927). 396, 557. 567.
146;
Wen-hsien
(1938a). 421; (1940). 550; (1947),
T'ung-k'ao,
427.
(1938).
210.
544,
557.
569;
WERNER (1910), 148.
571 ; (1949). 223, 395. 553. 557, 560,
WESTERMANN (1921). 557; (1922), 557;
569; (1950), 557, 577; (1951). 564,
(1937), 569, 575.
577;
WHITE (1932). 52. 9 0 ; (1942). 90. WHITNEY (1905), 565. WIDENMANN
(1899),
(1953),
574;
in Commentary 176.
284.
(1955),
507;
(1955a), 533, 577; (1956). 543, 566; 287,
544 sq., 562.
(1950). 569.
WITTFOGEL et FENG (1949). 210, 266. 402.421 sq.. 543 sq.. 547 sq.. 551. 553.
WIDTSOE (1926), 543; (1928). 26.
558 sq.. 560 sq.. 569 sqq.
WIEDEMANN (1920), 552.
WITTFOGEL et GOLDFRANK (1943). 49.
WIET (1932). 546; (1937), 546. 570.
544. 551. 555. 559, 565.
WILBUR (1943). 392.
WOLFE (1948). 575 sq.
WILCKEN (1899). 202; (1912). 54. 546, 552. 557, 567 sqq.
WRIGHT (1935). 546. WÜSTENFELD (1880). 547._
WILLCOCKS (1889). 46, 544. 546;(1904), 543.
XÉNOPHON, 544 sq., 571 sqq.
WILLEY (1953), 46, 497 ; (1953a). 575. WILLIAMS (1848), 552. WILLIAMS (1910), 544.
Yajnavalkya.
WILLIAMS (1911), 181 sqq.. 555.
YANG (1945). 553. Yen T'ieh Lun. 570.
WILLIAMSON. W A S . , 473. 548. WILSON
(1950).
172,
548,
555
549.
sq.;
(1951). 115.
Yüan
Shih. 553.
Yüeh
Hai Kuan Chih. 152.
WIPPER (1947). 562. 575. WIRZ (1929). 548.
ZAGORSK Y (1928). 576.
WITTFOGEL (1924). 543. 570; (1926).
ZINOVIEV. 476.
543 ; (1927). 17, 210. 543 ; (1929). 17, 450, 491, 543; (1929a). 17; (1931).
ZURITA
(1941).
566 sq.
331.
559.
552.
564,
650
LE DESPOTISME ORIENTAL
SEYBALD (1927). 561. SHATTUCK REDFIELD et MACKAY (1933). 265. Shih Chi. 333. 420, 544 sqq.. 549, 557. 563. 566. 568, 571.
TAYLOR (1936), 576; (1942). 576.
SLRUN, 183. SM. 26. SMITH (1937). 36. 37. 36 sq.. 568. 582, 575. SMITH (1897). 553. 556; (1899). 149. 553 sq. SMITH (1914),
82. 545, 548;
(1926),
331. 545 sqq.. 566; (1928). 380 sq. SMITH (1946). 399. 403; (1946a), 399. Socialist
Asia.
577.
SOMBART (1919). 544 sqq.. 563. SPEISER (1942), 565. SPIEGELBERG (1892). 555; (1896). 563. SPULER (1943), 266. 271. 561 ; (1952), 392.
STADEN (1930), 214. 271. 557. 564. STALINE. S.. 377. 554, 575; (1939), 466, 575 ; (1942), 360. 568.
STAMP (1938), 323. STEIN (1920). 557; (1928). 560; (1949). 554; (1951), 569.
STEINWENTER (1920). 552. 567. STENGEL (1920). 549. STEPHENS. ITCA, 228 sq.. 544; (1848). 227, 558 sq.
STEPNIAK (1888). 557. STEVENSON (1934), 256. 560. 571. STEWARD (1949). 497. 507 ; (1953). 497. 507; (1955). 497.
STÔCKLE (1911). 150. 552 sq.. 564. STRABON. 82. STRONG. KIDDER et PAUL (1938). 228. STRUVE (1942). 560 sq. STRUVE (1940). 488. STUBBS. C.H.E.. 547 sq. SUÉTONE (Auguste) (1886). 546. Sut Shu. 57. 544.
TAKEKOSHI (1930). 559. TANG. 533. TARN (1927). 567 sq. TAUBENSCHLAG (1944). 146. 549. TAYLOR (1931). 550. TEA, 564. TENG et BIGGERSTAFF (1936). 551. TEZOZOMOC (1944). 59, 544. 564. THOMPSON et HUTCHINSON (1929). 544. THOMPSON (1941). 544. THORNBURG. SPRY et SOULÉ (1949), 576.
THUCYDIDE, 554. THUREAU-DANGIN (1907), 58, 545. TIMASHEFF (1946), 516. TITIEV (1944). 559. 564. TOLSTOV (1950), 543, 575. TOMSIN (1952), 552. TORQUEMADA (1943), 315 sq., 546. 564. TOUT (1937). 547. 549. TOZZER (1941), 229, 558. 567. TRITTON (1930), 567. TROTSKY (1923),
486;
Ta Ch'ing
lu li. 553.
Ta Tang
Hsi-yu
Chi. 556.
TABARI (1879). 556. TAESCHNER (1926). 545, 557.
556;
Tso Chuan
Chu Shu. 571.
TUGAN-BARANOWSKY (1900). 576. VAILLANT (1941), 544. VANCOUVER (1798). 563. VANDENBOSCH (1949). 576. VAN NOSTRAND (1937). 560. VARGA (1928), 575. VASIHTHA (1898), 549, 552. 554. VEBLEN (1945), 67 ; (1947), 575. VERNADSKY (1943). 245 sq.. 560 ; (1948), 245, 560; (1953), 267. 269 sq.
VINOGRADOFF (1908), 547. VISCHNOU (1900). 547. 549. 554, 569. VLADIMIRTSOV (1948). 560. VOIGT (1893). 255, 559. VYCHINSKY (1948), 554.
SUMNER (1949). 268. 559. SUN T Z U (1941). 547.
(1928).
(1931). 486; (1939), 486.
WAITZ (1880), 562. WALKER (1955), 533. WALLACE (1938), 351. WALTHER (1917). 566. WAN. K. T. (1933). 548. WA.RR1NER (1948), 576.
INDEX DES NOMS D'AUTEUR ET D'OUVRAGES W b , 428. WEBER,
CITÉS
651
23. 46. 152. 205, 383. 392 sq., 485, R.
S.,
151. 501. 566,
568;
W.G. 369, 549; (1906), 516, 576. WEISSBERG (1951), 183.
543. 546. 553. 557. 569 sq.; (193 la), 450; (1932). 23. 46. 33. 439; (1935), 49. 146. 210. 389. 571, 575; (1936),
WELLHAUSEN (1927). 396. 557. 567.
146;
Wen-hsien
(1938a). 421; (1940).
T'ung-k'ao,
427.
(1938).
210,
544.
557,
569;
550; (1947),
WERNER (1910), 148.
571
WESTERMANN (1921). 557; (1922), 557;
569; (1950), 557, 577; (1951). 564,
(1937), 569, 575.
(1953),
574;
in Commentary 176.
284.
(1955),
507;
(1955a). 533, 577; (1956). 543, 566;
WHITNEY (1905). 565. (1899).
(1949). 223, 395. 553. 557. 560,
577;
WHITE (1932), 52, 90; (1942), 90. WIDENMANN
;
287,
544 sq.. 562.
(1950). 569.
WITTFOGEL et FENG (1949). 210. 266, 402. 421 sq.. 543 sq.. 547 sq.. 551. 553,
WIDTSOE (1926), 543; (1928). 26
558 sq.. 560 sq.. 569 sqq.
WIEDEMANN (1920), 552.
WITTFOGEL et GOLDFRANK (1943). 49.
WIET (1932). 546 ; (1937). 546. 570.
544. 551. 555. 559. 565.
WILBUR (1943), 392.
WOLFE (1948). 575 sq.
WILCKEN (1899). 202; (1912). 54. 546. 552. 557. 567 sqq.
WRIGHT (1935). 546. WÜSTENFELD (1880), 547._
WILLCOCKS(1889). 46. 544. 546; (1904), 543.
XENOPHON, 544 sq., 571 sqq.
WILLEY (1953), 4 6 . 4 9 7 ; (1953a). 575. WILLIAMS (1848). 552. WILLIAMS (1910), 544.
Yajnavalkya,
WILLIAMS (1911), 181 sqq.. 555.
YANG (1945). 553. Yen Tieft tun. 570.
WILLIAMSON. W A S . , 473. 548. WILSON (1950),
172,
548.
555
549.
sq.;
(1951), 115.
Yüan
Shih.
553.
Yüeh Hai Kuan Chih. 152.
WIPPER (1947), 562. 575. WIRZ (1929). 548.
ZAGORSKY (1928). 576.
WITTFOGEL (1924). 543. 570; (1926).
ZINOVIEV. 476.
543 ; (1927), 17, 210. 543 : (1929), 17, 450, 491, 543; (1929a). 17; (1931).
ZURITA
(1941).
566 sq.
331.
559.
552.
564,
TABLE DES MATIÈRES Pages NOUVELLE PRÉFACE
I
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION
7
INTRODUCTION
11
CHAPITRE PREMIER : L E C A D R E SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E
NATUREL
DE LA 23
A. — Variations réciproques de la nature et de l'homme B. — L a place de la société hydraulique dans l'histoire C. — Le cadre naturel
23 24 25
D. — Le potentiel hydraulique doit-il être actualisé ?
29
CHAPITRE II : L ' É C O N O M I E H Y D R A U L I Q U E — U N E ÉCONOMIE DIRECTORIALE AUTHENTIQUEMENT POLITIQUE
36
A. — Division du travail dans l'agriculture hydraulique B. — Travaux hydrauliques lourds et industrie lourde
37 43
C . — Etablissement du calendrier et astronomie. Fonctions importantes du r é g i m e hydraulique . D. — Autres a c t i v i t é s de construction c o u t u m i è r e s aux sociétés hydrauliques
45
E. — Les m a î t r e s de la société hydraulique, les grands bâtisseurs
59
F. — Le gouvernement hydraulique dirige d'autres grandes entreprises industrielles
63
G. — U n type authentique directorial
et spécifique
44
aussi
de r é g i m e
CHAPITRE III : U N É T A T P L U S F O R T Q U E L A S O C I É T É A. — Des forces non gouvernementales rivales de l'état pour la c o n q u ê t e de la direction de la société
67 68
68
B. — Le pouvoir organisationnel de l ' é t a t hydraulique
69
C. — L e pouvoir d'acquisition de l ' é t a t hydraulique . D. — Propriété hydraulique. Propriété faible
89 102
654
LE
DESPOTISME
ORIENTAL
E. — Le régime hydraulique s'attache dominante du pays CHAPITRE IV : P O U V O I R NON B I E N F A I T E U R
DESPOTIQUE
la
religion 111
ABSOLU ET 128
A. — Pouvoir absolu
128
B. — Une d é m o c r a t i e au rabais
137
CHAPITRE V TOTALE,
: TERREUR TOTALE, SOLITUDE TOTALE
SOUMISSION 170
A. — L'homme autonome sous le pouvoir total B. — L a terreur est essentielle à la conservation de l'optimum de rationalité des souverains C. — L a terreur dans le despotisme hydraulique . . . D. — Soumission totale E. — Solitude totale CHAPITRÉ V I : Z O N E S C E N T R A L E S M A R G I N A L E S E T SUBMARGINALES DES SOCIÉTÉS HYDRAULIQUES A. — A u milieu du voyage, taisons le point
170 170 174 184 190
198 198
B. — Zones hydrauliques centrales
199
C. — Les zones marginales du monde hydraulique . .
212
D. — Zone submarginale du monde hydraulique . . .
237
E. — Sociétés qui franchissent tionnelle
248
la frontière
F. — Structure et transformation des densité du monde oriental
institu-
schémas
de 273
CHAPITRE VII : C O M P L E X I T É D E L A P R O P R I É T É DANS L A SOCIÉTÉ H Y D R A U L I Q U E : Q U E L Q U E S EXEMPLES
277
A. — Le mode de relation humaine appelée « Propriété »
277
B. — Objets sur propriété
lesquels
s'exercent
les
droits
de
C. — L ' é t e n d u e potentielle des droits de propriété . . D. — Trois grands complexes dans les civilisations hydrauliques E. — Aspects spécifiques et non spécifiques des conditions de la propriété dans les sociétés hydrauliques triales F. — Types de propriété dans les sociétés hydrauliques simples et é t i q u e s centralisées G. — Types semi-complexes d e . p r o p r i é t é et de société hydraulique
278 279 279
282 290 313
TABLE
DES MATIÈRES
655
H. — Types complexes de propriété dans la société hydraulique
328
/ . •— L'effet de la propriété hydraulique
privée
356
CHAPITRE VIII : L E S C L A S S E S HYDRAULIQUE
DANS
sur la
société
L A SOCIÉTÉ 366
A. — N é c e s s i t é d'une nouvelle sociologie de classe . . B. — Structure des classes dans la société hydraulique
366 368
C. — Les souverains D. — Les g o u v e r n é s
370 389
E. — Modifications de la structure de classe qui apparaissent dans les sociétés de c o n q u ê t e F. — Nombreux antagonismes sociaux mais peu de luttes des classes G. — Antagonismes entre membres des différentes subdivisions du peuple H. — Le « Peuple » contre les hommes de l'appareil . / . — Conflits sociaux à l'intérieur de la classe dirigeante J. — Promotion sociale K. — L a classe dirigeante sous un régime de pouvoir total. Une bureaucratie qui d é t i e n t le monopole CHAPITRE I X : S U C C È S E T D É C L I N D E L A T H É O R I E DU MODE ASIATIQUE D E PRODUCTION A. — Les théoriciens anciens et modernes d'un d é v e loppement uni-linéaire négligent la société hydraulique B. — Marx, Engels, Lénine adoptent le concept asiatique C. — Le recul devant la vérité D. — Les trois façons d'étouffer la théorie du mode asiatique de production CHAPITRE X : L A S O C I É T É SITION
392 396 398 401 404 438 440 446
447 450 459 495
ORIENTALE EN TRAN-
— Les notions fondamentales de type social et de d é v e l o p p e m e n t social B. — L a société hydraulique en transition C. — O ù va l'Asie ? D. — Où va la société occidentale ? Où va l ' h u m a n i t é ?
497
A.
498 506 533 537
NOTES
541
BIBLIOGRAPHIE
579
INDEX GÉNÉRAL
621
INDEX DES AUTEURS ET OUVRAGES CITÉS
643
I
« ARGUMENTS »
Kostas Axelos, ARGUMENTS D'UNE RECHERCHE. — CONTRIBUTION A LA LOGIQUE. — HERACLITE ET LA PHILOSOPHIE — LA PREMIÈRE
SAISIE
DE L'ÊTRE EN DEVENIR DE LA TOTALITÉ.
— HORIZONS DU MONDE. — LE JEU DU MONDE. — MARX PENSEUR DE LA TECHNIQUE —
D E L'ALIÉNATION
DE L'HOMME A LA CONQUÊTE DU MONDE.
— POUR UNE ÉTHIQUE PROBLÉMATIQUE. — VERS LA PENSÉE PLANÉTAIRE — L E DEVENIR-PENSÉE DU MONDE E T LE DEVENIR-MONDE DE LA PENSÉE.
Georges Bataille, L'ÉROTISME. Jean Beaufret, DIALOGUE AVEC HEIDEGGER — I. Philosophie grecque. — II. Philosophie moderne. — III. Approche de Heidegger. Ludwig Binswanger, INTRODUCTION A L'ANALYSE EXISTENTIELLE. Maurice Blanchot, LAUTRÉAMONT E T SADE. Pierre Broué, LE PARTI BOLCHEVIQUE — HISTOIRE DU P.C. DE L ' U . R. S. S. — RÉVOLUTION EN ALLEMAGNE (1917-1923). — et Emile Témime, LA RÉVOLUTION ET LA GUERRE D'ESPAGNE. Edward Hallet Carr, LA RÉVOLUTION BOLCHEVIQUE (19171923). — I. LA FORMATION DE L'U. R. S. S. — IL L'ORDRE ÉCONOMIQUE. — III. LA RUSSIE SOVIÉTIQUE ET LE MONDE.
François Châtelet, LA NAISSANCE DE L'HISTOIRE —
LA FOR-
MATION DE LA PENSÉE HISTORIENNE EN GRÈCE.
Cari von Clausewitz, DE LA GUERRE. Gilles Deleuze, PRÉSENTATION DE SACHER-MASOCH — L E FROID ET L E CRUEL avec le texte intégral FOURRURE.
de LA VENUS A LA
— SPINOZA ET LE PROBLÈME DE L'EXPRESSION. Wilfrid Desan, L'HOMME PLANÉTAIRE — PRÉLUDE THÉORIQUE A UN MONDE UNI.
Eugen Fink, LE JEU COMME SYMBOLE DU MONDE. — LA PHILOSOPHIE DE NIETZSCHE. — DE LA PHÉNOMÉNOLOGIE. Pierre Fougeyrollas, CONTRADICTION E T TOTALITÉ — SURGISSEMENT ET DÉPLOIEMENTS DE LA DIALECTIQUE. — ESSAI SUR LA RÉIFICATION.
Joseph Gabel, LA FAUSSE CONSCIENCE
Maria Carmen Gear et Ernesto César Liendo, SÉMIOLOGIE PSYCHANALYTIQUE. wladimir Granofi, FILIATIONS — L'AVENIR DU COMPLEXE D'ŒDIPE.
— LA PENSÉE ET LE FÉMININ. G.W.F. Hegel, PROPÉDEUTIQUE PHILOSOPHIQUE. Rudolf Hilferding, LE CAPITAL FINANCIER — ÉTUDE
SUR LE
DÉVELOPPEMENT RÉCENT DU CAPITALISME.
Louis Hjelmslev, ESSAIS LINGUISTIQUES. — LE LANGAGE — UNE INTRODUCTION,
augmenté
de DEGRÉS
LINGUISTIQUES.
— PROLÉGOMÈNES A UNE THÉORIE DU LANGAGE
suivi
de LA STRUCTURE FONDAMENTALE DU LANGAGE.
Roman Jakobson, ESSAIS DE LINGUISTIQUE GÉNÉRALE. I. Les fondations du langage. — IL Rapports internes et externes du langage. — LANGAGE ENFANTIN ET APHASIE. — SIX LEÇONS SUR LE SON ET LE SENS. Ludovic Janvier, POUR SAMUEL BECKETT. Karl Jaspers, STRINDBERG ET VAN GOGH — SWEDENBORGHÔLDERLING — d'une étude de
ÉTUDE PSYCHIATRIQUE COMPARATIVE précédé
Maurice Blanchot, LA FOLIE PAR EXCELLENCE. Otto Jespersen, LA PHILOSOPHIE DE LA GRAMMAIRE. — LA SYNTAXE ANALYTIQUE. Flavius Josèphe, LA GUERRE DES JUIFS, précédé par Du BON USAGE DE LA TRAHISON par Pierre Vidal-Naquet. Karl Korsch, MARXISME ET PHILOSOPHIE. Georges Lapassade, L'ENTRÉE DANS LA VIE — ESSAI SUR L'INACHÈVEMENT DE L'HOMME.
Henri Lefebvre, LA FIN DE L'HISTOIRE — ÉPILÉGOMÈNES. — INTRODUCTION A LA MODERNITÉ — PRÉLUDES. — MÉTAPHILOSOPHIE — PROLÉGOMÈNES. René Lourau, L'ANALYSE INSTITUTIONNELLE. Georg Lukàcs, H I S T O I R E E T C O N S C I E N C E D E C L A S S E ESSAIS DE DIALECTIQUE MARXISTE.
Herbert Marcuse, ÉROS ET CIVILISATION
—
—
CONTRIBUTION A
FREUD.
— L'HOMME UNIDIMENSIONNEL
—
ESSAI SUR L'IDÉOLOGIE
DE LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE AVANCÉE.
— VERS LA LIBÉRATION
—
AU-DELA DE L'HOMME UNIDIMEN-
SIONNEL.
—
L'ONTOLOGIE DE HEGEL ET LA THÉORIE DE L'HISTORICITÉ. Edgar Morin, LE CINÉMA OU L'HOMME IMAGINAIRE — ESSAI D'ANTHROPOLOGIE.
Bruce Morrissette, LES ROMANS DE ROBBE-GRILLET. Novalis, L'ENCYCLOPÉDIE — NOTES ET FRAGMENTS.
Karl Reinhardt, ESCHYLE-EURIPIDE. — SOPHOCLE. Harold Rosenberg, LA TRADITION DU NOUVEAU. Boris de Schloezer et Marina Scriabine, PROBLÈMES DE LA MUSIQUE MODERNE. Léon Trotsky, DE LA RÉVOLUTION — COURS NOUVEAU. — LA RÉVOLUTION DÉFIGURÉE. — LA RÉVOLUTION PERMANENTE. — LA RÉVOLUTION TRAHIE. — LE MOUVEMENT COMMUNISTE EN FRANCE (19191939). — 1905 suivi de BILAN ET PERSPECTIVES. — LA RÉVOLUTION ESPAGNOLE (1930-1940). Karl Wittfogel, LE DESPOTISME ORIENTAL ÉTUDE COMPARATIVE DU POUVOIR TOTAL.
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A c h e v é d'imprimer en France le quatre octobre mil neuf cent soixante-dix-sept par
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COLLECTION "ARGUMENTS" dirigée par Kostas Axelos
KARL WITTFOGEL
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Montesquieu a consacré plusieurs chapitres de l'Esprit des Lois au « despotisme asiatique ». Cette forme politique suppose-t-elle l'existence d'une formation économique et sociale particulière ? C'est ce que pensait Marx lorsqu'il expliquait par le « mode de production asiatique » la stabilité des régimes orientaux dont l'histoire n'est qu'une histoire des religions. La notion de « mode de production asiatique » fut cependant condamnée à Leningrad en 1931. Dans son livre, Karl Wittfogel s'efforce tout à la fois de rassembler les traits épars de la « société orientale », de faire l'histoire de ce concept de Montesquieu à Marx et de Marx à Staline. Les Etats « socialistes » modernes ne sont à ses yeux que les successeurs mieux armés des sociétés despotiques anciennes. Ainsi s'expliquerait la condamnation de 1931. Le livre intéresse donc à la fois l'historien du marxisme, l'historien de l'antiquité et le sociologue du monde moderne.
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H i s t o i r e et conscience de classe Essais de linguistique marxiste
AUX EDITIONS DE MINUIT "7 - . . ~ r>
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