Des managers, des vrais! Pas des MBA HENRY MINTZBERG Deuxièmement, j’utilise les mots «management» et «leadership» de façon i nterchangeable. La nouvelle mode (depuis Zaleznik 1977) 1 977) consiste à les distinguer. Le leadership est censé recouvrir des responsabilités plus hautes et plus importantes. Je rejette cette distinction, tout simplement parce que les managers doivent diriger et les dirigeants doivent gérer. Le management sans leadership est stérile; le leadership sans management, coupé de la vraie vie, ouvre ou vre la voie au développement d’un ego surdimensionné. Il ne faut pas laisser le management le céder au leadership, ni dans les programmes MBA ni ailleurs. Si le management était une science ou une profession, on pourrait l’enseigner à des personnes personnes démunies d’expérience. Ce n’est ni l’une ni l’autre. Deux styles de management dysfonctionnels d ysfonctionnels : le management calculateur (exagérément analytique) et le management héroïque (pré- tendument artistique). Nous les opposerons plus loin à un style qui fait fait davantage appel à l’expérience, que nous appellerons le style engageant – calme et cohérent, motivant et inspirant. Le GMAT (pour Graduate Management Admission Test) évalue la capacité à donner des d es réponses rapides à de petits problèmes numéri- qu es et verbaux (par exemple, «Si Mario avait 32 ans il y a 8 ans, quel âge avait-il il y a x années? (A) x – x – 40, 40, (B) x – x – 24, 24, (C) 40 – 40 – x, x, (D) 24 + x» x» [GMAT 2000]. Ce test est accompagné accompagné d’une tâche de rédaction rédaction analytique. Dans «The Myth of the Well-Educated Manager», article resté célèbre de la Harvard Business Review publié il y a plus de trente ans, Sterling Livingston (1971:84) écrivait que de nombreuses personnes qui «aspirent à des responsabilités de haut niveau... n’ont pas “envie” de gérer une entrepr ise». ise». Il ne dit pas besoin, mais envie. Cela «ne les motive pas. Ce qui les motive, c’est le salaire élevé et le prestige du poste ». Bien diriger une entreprise, aux yeux de Livingston, ne devrait pas être une un e affaire de réussite personnelle – personnelle – il il s’agirait s’agirait plutôt de favoriser celle des autres. Les intellectuels n’apprennent rien directement, c’est le secret de leur médiocrité. ALFRED NORTH WHITEHEAD En américain, il y a une vieille blague selon laquelle MBA, cela veut dire Management By Analysis. En fait, ce n’est pas une blague, et ce n’est pas drôle. L’analyse, c’est «l’action de décomposer un tout en ses éléments constituants» (Le Robert). De fait, la racine grecque signifie détacher. Sépa rer les choses en éléments, les scinder de l’ensemble, voilà ce que font les programmes MBA. L’entreprise devient une collection de fonctions; la stratégie, une série de stratégies génériques et d’analyses concu rrentielles; les gens eux-mêmes euxmêmes deviennent des objets d’analyse.
On pouvait s’attendre à ce que Carnegie et ses adeptes réduisent le management à la prise de décision. Mais Harvard a fait exactement la même chose. Par exemple, le manuel de Business Policy, dont nous avons parlé plus haut (Christensen et al. 1982), utilisait fréquemment les mots choix et décision pour décrire le processus de la stratégie, comme si élaborer une stratégie était l’équivalent de prendre une décision (ce qui est vrai, bien sûr, dans une étude de cas réalisée dans une salle de cours). Même la Harvard Business Review s’est longtemps décrite comme «le magazine des décideurs». Nous l’avons déjà fait remarquer : s’il est évident que les dirigeants doivent prendre des décisions, il apparaît incomparablement plus important, surtout dans les grandes entreprises en réseau constituées essentiellement de travailleurs du savoir, de vo ir ce qu’ils font pour améliorer les capacités de prise de décision des autres. S’il est déjà hautement regrettable de réduire le ma nagement à la prise de décision, il est plus grave encore de réduire la prise de décision à l’analyse. Formellement, au moins, le processus de prise de décision comporte plusieurs étapes : on commence par identifier le problème, on en diagnostique ensuite la nature, puis on trouve ou on invente des choix possibles, on évalue ces dernier s pour en sélectionner un seul, enfin on passe à l’action. La plupart de ces étapes relèvent de l’intangible (voir Mintzberg et al. 1976), elles ne se prêtent donc pas à l’analyse systématique. La seule exception, c’est l’évaluation des cho ix possibles, c’est donc sur ce point précis que se concentre la prise de décision traitée en analyse. Approche étroite s’il en est. C’est un problème classique de type push et pull. Les programmes de management poussent des théories, des concepts, des modèles, des outils et des techniques, qu’elles offrent à des étudiants coupés du réel. Dans la pratique du management, en revanche, il s’agit plutôt de pull – tirer, aller chercher ce qui convient dans une situation donnée.