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TECHNIQUE
Les risques géologiques : comment les évaluer et les provisionner dans les projets ? Emmanuel BIETH, Cédric GAILLARD, Fabien RIVAL, Alain ROBERT - CETU
Résumé Le risque géologique provient de l'incertitude attachée au modèle géologique, hydrogéologique et géomécanique. Ses effets sur la construction d'un ouvrage souterrain sont pris en compte par le biais d'une provision financière dont le montant est fonction de l’intensité des difficultés redoutées – liées à la nature des terrains – et du niveau de connaissance. Cet article propose une définition plus explicite de ce risque et encourage à une évaluation plus rationnelle de la provision pour aléas et imprévus habituellement retenue dans le coût global d'une opération. Abstract GEOLOGICAL RISKS : HOW TO EVALUATE AND MAKE FINANCIAL PROVISION FOR THEM IN TUNNELLING PROJECTS ? Geological risk comes from uncertainty related to the geological, hydrogeological and geotechnical model. Its effects on construction of an underground structure are taken into account through a financial provision which amount is assessed according to the amplitude of anticipated difficulties – linked to the type of ground formations – and the level of knowledge. This paper proposes a more explicit definition of risk and presents a more rational assessment method of the financial provision usually retained for unforecast and unforeseen events.
AVANT PROPOS Cet article s'inscrit dans le cadre des travaux menés au Centre d'Études des Tunnels (CETU) sur les sujets relatifs à la maîtrise des coûts et délais de construction des ouvrages souterrains. L'état des réflexions proposé ici s'inspire notamment des méthodes de management du risque et fait suite aux considérations déjà exposées dans le cadre d'une communication présentée à l'occasion du congrès international de l'AITES en mai 2009 à Budapest [1].
1 - INTRODUCTION Chaque construction d'ouvrage souterrain fait face au défi de réalisation posé par le contexte géologique(1) et les caractéristiques du terrain, affecté par des « désordres » liés à sa formation et son évolution complexe. L’identification du contexte géologique et la caractérisation des sols et des roches s’effectuent au moyen de sondages, d’essais ponctuels et de mesures géophysiques sur des surfaces ou des volumes. Le volume et le budget des reconnaissances étant nécessairement finis, la connaissance du site d’un projet ne peut jamais être exhaustive et comporte toujours une part d'incertitude : on ne peut jamais exclure que les terrains réellement traversés soient ponctuellement différents de ceux que les études annonçaient. Ces incertitudes inévitables peuvent avoir des conséquence lourdes, aussi bien pour
l'entreprise qui réalise les travaux que pour le maître d'ouvrage qui les finance. Pour le premier, la rencontre d'événements géologiques imprévus peut conduire à l’obligation de mettre en œuvre des moyens et une organisation qui n'étaient pas programmés ; pour le second, ces changements de méthodes doivent être financés si effectivement ils constituent des sujétions « non-normalement prévisibles (2) ». L'importance potentielle de ces surcoûts conduit à vouloir quantifier le plus précisément possible le risque lié à la méconnaissance du terrain. La tâche consiste d'une part à identifier les causes de dérive les plus probables et d'autre part à évaluer au plus juste la provision financière destinée à les couvrir, appelée provision pour aléas et imprévus (PAI) ou encore somme à valoir (SAV) et dont le montant est aujourd'hui le plus souvent fixé arbitrairement comme un pourcentage du montant total des travaux de l'ordre de 10 à 15 % sans justification claire. Cette provision semble établie plus sur des considérations empiriques et liées que sur une analyse poussée des risques géologiques. Cette somme, dont le montant peut devenir très conséquent, est intégrée dans le budget global d'une opération, le plus souvent indépendamment du contrat de travaux passé avec l'entreprise même si de nouvelles formes de contrat permettent de les intégrer partiellement.
(1) Nous utilisons le mot géologique au sens large englobant les notions d'hydrogéologie et de géotechnique comme cela en est le cas dans le titre. (2) Le champ d'application de ces sujétions est établi par référence aux articles 2 et 6 du fascicule 69 du CCTG ainsi qu'à l'article 10.11 du CCAG « Travaux »
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Une réflexion menée exclusivement sur les enjeux liés à la géologie, a abouti à la proposition d'une nouvelle approche de la prise en compte du risque géologique dans les projets et de son évaluation financière (PAI correspondante). Cette réflexion s'appuie notamment sur le formalisme de la norme ISO 31000 et sur les recommandations de l'Association Française des Tunnels et de l'Espace Souterrain (AFTES). A noter enfin que l'évaluation et l'estimation du risque sont propres à chaque phase du projet puisqu'elles dépendent du niveau de connaissance et de fiabilité des données à un instant donné. La démarche d'analyse des risques est donc basée sur un processus itératif où un premier diagnostic permet une lecture critique du modèle géologique initial et de sa fiabilité pour conduire éventuellement à la réalisation d'investigations supplémentaires, seul levier réaliste pour réduire ces risques. Ainsi, chaque étape de l'étude est marquée par un contexte propre, nécessairement entaché d'incertitudes et donc d'un risque résiduel inévitable mais considéré comme acceptable par le maître d'ouvrage.
2 - POINT DE VUE CONTRACTUEL Les contrats relatifs aux travaux en souterrain doivent en permettre le bon déroulement et intégrer les incertitudes qui s'y rattachent. Il est donc primordial que tout événement à la fois très probable et très préjudiciable soit évité par une modification du projet lors de la conception ou, à défaut, intégré dans le contrat de travaux. Différents types d'évènements peuvent survenir au cours de la vie du chantier, parmi lesquels : • Des évènements n'entraînant que des modifications à la marge (faible allongement de la longueur d'application d'un profil-type prévu au marché...). Ces évènements prévisibles, très probables et ayant de faibles conséquences constituent le quotidien du chantier et sont intégrés dans le contrat sous la forme de quantités et délais de réalisation prudents et non a minima. • Des évènements ayant un impact plus important sur les coûts et délais (adaptation lourde des profils-type, rencontre d'un karst...). Deux ensembles peuvent alors être distingués en fonction du critère de moyens : les moyens humains et matériels prévus au marché permettent-ils à
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l'entreprise de faire face à la situation rencontrée ? - Dans l'affirmative, on peut envisager une adaptation du contrat (modification des quantités initialement prévues et formation de prix nouveaux sur la base du marché), à la condition que les scénarii de dérives aient été pris en compte lors de la rédaction du contrat. - Dans la négative, l'entreprise doit mobiliser des moyens matériels et humains supplémentaires et changer ses méthodes. Le chantier peut subir un arrêt et la remontée en cadence des équipes induira un délai additionnel. Cette situation s'écarte très largement des conditions du marché : les coûts seront imputés au maître d'ouvrage. • Enfin, il existe aussi des évènements totalement imprévisibles (conditions climatiques exceptionnelles, mouvements sociaux, changements de législation...) qui, par nature, échappent au contrat. Afin de faire face à l'ensemble des éléments précédemment décrits, le maître d'ouvrage devra conduire au cours des études une analyse des évènements redoutés et constituer une provision financière en conséquence. Diverses méthodes de prise en compte des risques dans les contrats de travaux sont récemment apparues. Toutes se basent sur une analyse poussée des risques, notamment ceux d'origine géologique.
3 - LE VOCABULAIRE DU RISQUE 3.1 - Principes de management du risque dans différents domaines La prise en compte du risque s'est développée parallèlement dans divers secteurs d'activité. Les différentes approches ont toutes en commun d'identifier un ensemble d'évènements redoutés, et de définir pour chacun d'entre eux le risque comme la résultante de deux dimensions indépendantes : • une première composante relative à la probabilité d'apparition de l'évènement décrit ; • une seconde composante quantifiant les effets de l'évènement lorsque celui-ci se produit. Nous allons réaliser un bref balayage de différentes approches avant de proposer un positionnement pour le risque géologique.
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3.1.1 - Approche « risque naturel » Définitions Les professionnels du risque naturel font appel à des notions spécifiques. Nous adoptons dans ce paragraphe les définitions de l'Office des Nations Unies pour la réduction des risques naturels [2] :
• L'aléa naturel désigne « un phénomène dangereux, une substance, activité humaine ou condition pouvant causer des pertes de vies humaines, des blessures ou d’autres effets sur la santé, des dommages aux biens, des pertes de moyens de subsistance et des services, des perturbations socio-économiques, ou des dommages à l’environnement. ». • L'enjeu se compose des « personnes, biens, systèmes, ou autres éléments présents dans les zones de risque et qui sont ainsi soumis à des pertes potentielles. ». C'est l'ensemble des éléments susceptibles d'être affectés par l'aléa quand celui-ci se manifeste. Le risque est alors défini comme « la combinaison de la probabilité d’un événement et de ses conséquences négatives. » ou encore le produit de la probabilité de l'aléa et de ses conséquences sur les enjeux (Figure 1). Certains auteurs introduisent une notion complémentaire afin de prendre en compte la façon dont l'enjeu est exposé à l'aléa : la vulnérabilité, définie comme « les caractéristiques et les circonstances d’une communauté ou d’un système qui le rendent susceptible de subir les effets d’un danger. ». L'approche de prise en compte des risques naturels est souvent résumée, pour un événement donné par l'équation : R = P. v . E avec R le niveau du risque associé à l'évènement (ou aléa) considéré, P sa probabilité d'occurrence, E l'enjeu et v le degré de vulnérabilité de ce dernier à l'aléa considéré. Bref aperçu de la méthode
Le risque naturel a pour particularité la nature irrésistible des évènements qui en sont la source (inondations, mouvements de terrain, séismes, avalanches, éruptions volcaniques, feux de forêts, phénomènes atmosphériques...). Les méthodes de management du risque naturel sont donc plus particulièrement tournées vers ces phénomènes appelés aléas naturels, considérés comme des données d'entrée et non comme des variables du fait de leur inéluctabilité. Elles visent alors à en étudier les conséquences sur l'activité humaine.
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A la différence de l’approche précédente, l'aléa intègre de manière intrinsèque la probabilité d'un phénomène et est défini comme « la probabilité qu'un phénomène accidentel produise en un point donné des effets d'une intensité donnée, au cours d'une période déterminée ». Pour cette approche, l'aléa est donc l'expression, pour un type d'accident donné, du couple (probabilité d'occurrence * intensité des effets). A = I . P où l'intensité est définie comme « la mesure physique de l'intensité du phénomène (thermique, toxique, surpression, projections) ». La conséquence (ou gravité) prend alors l'expression suivante : C = I . v où v est la vulnérabilité qui est définie comme un « facteur de proportionnalité entre les effets auxquels est exposé un élément vulnérable et les dommages qu'il subit ». On donne alors l'équivalence : R=C.P=A.v avec R le niveau de risque, C la conséquence, P la probabilité, A l'aléa et v la vulnérabilité. Figure 1 - Approche du risque naturel, d'après prim.net
3.1.3 - Approche « risque projet » Définitions
L'apparition d'un événement naturel majeur n'est suivie de conséquences dramatiques qu'à la seule condition que des enjeux y aient été exposés. L'analyse du risque naturel fait donc appel aux notions de vulnérabilité et d'enjeux pour décrire la gravité des évènements potentiels, nommés aléas.
3.1.2 - Approche « risque technologique » Le risque technologique est régi par de nombreux textes réglementaires, notamment ceux relatifs aux installations classées [3]. L'approche retenue est légèrement différente de la précédente dans le sens où le risque est cette fois qualifié selon les deux composantes que sont l'aléa et la vulnérabilité (par type d'effet : thermique, toxique, surpression ou projection).
Dans la conduite de tout projet, la direction de projet définit des objectifs à atteindre en termes de coûts, délais et qualité du produit. Les professionnels du risque de projet emploient également un lexique qui leur est spécifique. Nous adoptons ici les définitions énoncées par le guide ISO / CEI 73 en cours de révision [4]. Pour chaque évènement redouté identifié, une analyse est conduite sur deux aspects : • vraisemblance de l'évènement, « possibilité que quelque chose se produise », exprimée en termes qualitatifs ou quantitatifs; • conséquence, « effet d'un événement affectant les objectifs ». Le risque est défini comme l'« effet de l'incertitude sur l'atteinte des objectifs ». L'approche est classiquement résumée dans l'équation : R = V . C avec R le niveau du risque associé à l'évè-
nement étudié, V la vraisemblance de l'évènement et C sa conséquence (3). Bref aperçu de la méthode
Cette approche est basée sur une analyse « process » visant à assurer le bon déroulement d'un projet, le bon fonctionnement d'une installation. Elle se base sur l'identification avant leur survenance d'événements redoutés. Pour chacun d'entre eux sont produits un « arbre de causes » permettant de retracer les différents chemins qui conduisent à son apparition, ainsi qu'un « arbre d'évènements » présentant les différents scénarii qui peuvent en découler. L'analyse de risque, dans cette acception, consiste à dresser l'inventaire des phénomènes redoutés, puis en analyser les causes et / ou les effets. Les conséquences sur le projet, ainsi que la vraisemblance sont évaluées indépendamment pour chaque événement et combinées pour produire le niveau de risque global. La notion de vulnérabilité disparaît dans la mesure où ne sont analysés que les évènements pouvant avoir des conséquences significatives et pour lesquels le cas le plus défavorable sera toujours envisagé.
3.1.4 - La place du risque géologique Le risque géologique pris au sens large (géologie, géotechnique et hydrologie) se trouve à la croisée des approches : bien que les « évènements géologiques » soient d'origine externe au constructeur et s'imposent à lui comme un risque naturel, la conception d'un tunnel peut être vue comme un process visant à la définition de l'objet tunnel par réduction de l'incertitude géologique, par le biais de reconnaissances en particulier. Nous faisons le choix de l'approche « risque projet », basée sur l'analyse du process de dimensionnement des ouvrages en fonction de la connaissance du terrain et des techniques disponibles. Ce choix est compatible avec l’acception de l'aléa au sens du risque naturel qui le définit comme un événement redouté pouvant avoir des conséquences majeures (4).
(3) Précédemment, le fascicule FD X 50-117 (avril 2003) de l'AFNOR employait les termes « probabilité » et « gravité », désormais délaissés au profit de « vraisemblance » et « conséquence » formalisés dans l'ISO 31 000. (4) La norme NF P 94-500 définit aléa géologique comme un “événement [ ] non prévisible dans l’espace et dans le temps” que nous interprétons comme un “événement qui n’est pas programmé dans le projet”.
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3.2 - Formalisme retenu et application au domaine des tunnels Évoquées depuis plusieurs décennies , les méthodes relatives à l'organisation et au déroulement du processus de management du risque ont fait l'objet de formalisations multiples. La norme ISO 31000 [5] dont la parution est prévue pour la fin de l'année 2009 constituera dans ce domaine le seul texte à valeur normative. Le guide 73 ISO/CEI [4] relatif au vocabulaire du management du risque qui la complète pose les définitions suivantes qui sont, le cas échéant, complétées et explicitées en termes au risque géologique pour les projets de tunnels : • Évènement : « occurrence ou changement d'un ensemble particulier de circonstances ». Dans le domaine des risques géologiques, est appelé événement l'apparition d'un écart entre les conditions prévues et celles réellement rencontrées : occurrence d'une faille non-prévue. • Conséquence : « effet d'un événement affectant les objectifs ». L'apparition d'un évènement peut entraîner des changements de méthode qui occasionneront éventuellement des surcoûts, des retards de réalisation et une diminution de la valeur d'usage de l'ouvrage constituant les conséquences de cet évènement. • Vraisemblance : « probabilité que quelque chose se produise ».
L'occurrence d'un événement inattendu au cours de la réalisation (coincement d'un tunnelier, cadences plus faibles que prévu, modifications des soutènements...) se conclura par des différences entre l'exécution réelle de l'ouvrage et celle qui avait été projetée. Cet écart, qui demeure virtuel tant que les évènements ayant un impact sur la construction ne se sont pas produits (et en particulier lors de la phase d'études), constitue le risque. Celui-ci peut être négatif ou positif, on parle alors d'opportunité. • Niveau de risque : « importance d'un risque, exprimée en termes de combinaison des conséquences et de leur vraisemblance. » Afin d'identifier les sources de risque à traiter en priorité, une note est attribuée à chaque événement qui reflète l'espérance mathématique de l'écart attendu par rapport aux objectifs. Celle-ci est obtenue par combinaison des conséquences (dépassement des coûts ou des délais projetés, non-conformité aux attentes initiales...) et de la vraisemblance de chaque événement.
4 - UNE TYPOLOGIE DES RISQUES GEOLOGIQUES POUR LES PROJETS DE TUNNELS
4.1 - Sources de risque de type 1 : les « imprécisions ». Les imprécisions sont des sources de risque liées à l'occurrence d'évènements identifiables et dont les conséquences sont marginales (erreur mineure dans la position exacte des contacts entre deux formations géologiques ou mauvaise appréciation de l'homogénéité d'une même formation, par exemple). Les imprécisions sont inhérentes à la connaissance nécessairement partielle et à la variabilité du milieu naturel (par opposition à un matériau artificiel dont la constance et l'homogénéité peuvent être garanties, moyennant un processus de fabrication maîtrisé et un système de contrôle adapté) au sein duquel est réalisé le tunnel.
4.2 - Sources de risque de type 2 : les « aléas » Les aléas sont des sources de risque liées à l'occurrence d'évènements identifiables et pouvant induire des modifications conséquentes du projet. En cas d'occurrence, le traitement des aléas nécessite la mobilisation de moyens et de méthodes en supplément de ceux prévus dans les conditions initiales du marché. A priori, le niveau de vraisemblance des seuls aléas est d'autant plus réduit que la connaissance des conditions géologiques, hydrogéologiques et géotechniques régnant sur tout le linéaire à creuser est grande : la réalisation (en dehors de tout contexte karstique) d'un deuxième tube parallèle à un ouvrage déjà réalisé peut par exemple être prévue comme sans aléa.
La conception d'un tunnel s'accompagne de l'élaboration d'un modèle géologique issu de l'analyse des données recueillies lors des études et reconnaissances. L'estimation de la vraisemblance des évènements identifiés procède de l'expertise de ce modèle et plus particulièrement de ses limites, à savoir les incertitudes qui demeurent à l'achèvement de chacune des phases d'étude.
Cet article se contente d'aborder l'incertitude d'origine géologique, c'est à dire le manque de connaissance et de compréhension relative à la nature lithologique des terrains, à leur structure acquise, à leur disposition relative, à leurs caractéristiques géomécaniques, à la nature et aux propriétés des surfaces de contact, à l'hydrogéologie et à tous les phénomènes particuliers qui sont susceptibles de s'y développer, tels les karsts.
• Incertitude : état, même partiel, de manque d'information, de compréhension ou de connaissance relatives à un événement, ses conséquences ou sa vraisemblance (5).
Malgré cette restriction, les risques étudiés sont très divers. Un classement en trois catégories est proposé : les imprécisions, les aléas et les imprévus (6).
Les imprévus sont des sources de risque liées à l'occurrence d'évènements qui ne peuvent pas être anticipés par un homme de l'art compétent et dont l'impact sur le déroulement – et par suite le coût – des travaux peut parfois être considérable.
• Risque : « effet de l'incertitude sur l'atteinte des objectifs ».
Par la suite, nous qualifierons d'identifiable tout événement qui peut être nommé et décrit avant qu'il ne survienne (phénomène physique connu, situation prévisible par un homme de l'art...).
Il peut s'agir d'évènements très divers, d'origine sociale (fait de grève), économique (variations soudaines et importantes de certains prix), administrative (défaut de procédure), politique (changement de légis-
Dans le contexte des tunnels, les objectifs définis par le MOA sont le plus souvent la maîtrise des coûts et délais.
4.3 - Sources de risque de type 3 : les « imprévus »
(5) Cette définition provient d'une version de travail du fascicule ISO / CEI 73:2009 et n'a pas été retenue dans la version finale ; sa clarté cependant nous conduit à la conserver. (6) La définition de ces sous-ensembles s'inspire notamment des réflexions menées par le Groupe de Travail n°32 de l'AFTES [6].
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lation) ou de phénomènes naturels comme des intempéries exceptionnelles. Certains phénomènes géologiques ou hydrogéologiques entrent également dans cette catégorie (phénomènes totalement inconnus au moment des études ou phénomènes atypiques dans les formations traversées).
5 - L'APPRECIATION DU RISQUE 5.1 - Méthodologie L'appréciation du niveau de risque d'un projet se fait suivant une démarche bien définie : il convient tout d'abord d'identifier en les nommant et les décrivant toutes les sources de risques en présence, puis d'analyser les évènements redoutés associés, c'est à dire d'estimer la vraisemblance de chacun d'entre-eux et ses conséquences en cas d'occurrence, et de les combiner pour obtenir le niveau de risque correspondant. La dernière étape consiste à évaluer le risque en comparant les différents niveaux de risque au critère de risque formulé par le maître d'ouvrage afin de statuer sur l'acceptabilité du risque. Les termes employés sont conformes à la norme ISO 31 000 [5] et au guide ISO / CEI 73 [4] dont sont extraites les définitions figurant dans les paragraphes suivants .
5.1.1 - Identification A chacun des stades du projet, l'appréciation du risque débute par l'identification : « processus de recherche, de reconnaissance et de description des risques » [4]. L'identification des risques passe en premier lieu par le traitement de toutes les données géologiques et l'expertise de la fiabilité du modèle géologique établi lors de la phase d'étude concernée afin de mettre en évidence les incertitudes qui demeurent à ce stade. Ne sont retenues comme risques, à l'issue de l'identification, que les incertitudes pouvant être la source de changements significatifs entre les dispositions constructives prévues à ce stade de l'étude et celles qui seront réellement mises en oeuvre lors de la construction.
5.1.2 - Analyse La phase d'analyse du risque est le « processus mis en oeuvre pour comprendre la nature d'un risque et pour déterminer le niveau de risque » [4] qui se traduit concrètement et pour chaque événement redouté par la
Figure 2 - Démarche de management du risque géologique
détermination qualitative de sa vraisemblance et l'estimation quantitative de ses conséquences dont le produit donne le niveau de risque. Estimation de la conséquence Pour chaque incertitude identifiée, un ensemble de scénarii potentiels, le plus exhaustif possible est imaginé. Chaque scénario est décrit selon la nature et l'intensité de l'évènement imaginé ainsi que l'ampleur et la gravité de ses conséquences en termes d'impact sur les dispositions constructives initiales et d'adaptations nécessaires pour satisfaire à la nouvelle situation.
à la mise au point des adaptations (reconnaissances, expertises, notes de calculs...) ; • le coût direct résultant des adaptations apportées aux dispositions constructives initiales ; • le coût induit par la perturbation au processus de construction initial et un éventuel allongement de délais.
La valorisation de ces conséquences est établie en prenant en compte : • le coût des études spécifiques nécessaires
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ne lui est consacrée en dehors de celles prévues lors de la réalisation des travaux (reconnaissances à l'avancement, dispositions constructives préventives, etc...). Le processus complet d'appréciation du risque, décrit ci-avant, est illustré dans la Figure 2. Diverses méthodes et outils existent pour quantifier les risques. Pour notre part nous distinguons trois approches spécifiques selon qu'il s'agisse de traiter des incertitudes, des aléas ou des imprévus. Figure 3 - Diagramme coût-temps de construction de l'ouvrage
5.2 - Méthode d'appréciation des « imprécisions »
Détermination des valeurs de vraisemblance Chaque tunnel est un prototype. Nous ne possédons pas de retour statistique permettant de quantifier finement la probabilité d'apparition des évènements redoutés. Nous optons donc pour une analyse qualitative de la vraisemblance des évènements, basée sur quatre classes de probabilité : très peu probable, peu probable, possible et probable.
La répartition des tronçons ainsi que le choix des techniques de soutènement à mettre en œuvre résultent d'une interprétation et une extrapolation des résultats des reconnaissances. Ceci se traduit par exemple par l'hypothèse sur la position d'un contact géologique le long du tracé ou des possibilités de choix un peu différents pour les soutènements. Il en résulte que le coût total peut être légèrement variable selon l'interprétation qui est faite de la maquette géologique.
5.1.3 - Évaluation
Ces imprécisions, aussi bien liées à la géologie qu'à la méthode de construction, sont supposées être intégrées dans le coût de base du projet par le biais de la prudence et des marges que va prendre le concepteur.
L'évaluation du risque est le « processus de comparaison des résultats de l'analyse du risque avec les critères de risque afin de déterminer si le risque et /ou son importance sont acceptables ou tolérables » [4]. Dans cette dernière étape, le niveau de risque associé à chacun des évènements redoutés est comparé avec les termes de référence fixés par le maître d'ouvrage : les coûts et délais globaux prévus pour le projet. C'est à ce niveau qu'intervient le calcul de la provision pour aléas et imprévus (PAI) qui représente une sorte d'indicateur quantitatif du niveau de risque géologique global du projet. Si pour un événement donné le risque géologique est considéré comme inacceptable par le maître d'ouvrage, soit des investigations spécifiques doivent être conduites dans le but de lever l'incertitude du modèle géologique (en précisant l'occurrence de l'événement redouté), soit une adaptation des dispositions constructives est envisagée afin de minimiser les conséquences en cas d'occurrence de l'événement redouté. Si le risque est au contraire considéré comme acceptable, il devient un risque résiduel et aucune autre action spécifique
Un outil informatique spécifique aux tunnels développé par le MIT et l'EPFL est tout à fait adapté pour la prise en compte de ce type d'imprécisions : le logiciel DAT [7,8]. Il permet de modéliser sur ordinateur la réalisation d'un tunnel à partir d'un profil géologique construit en considérant une sélection probabiliste de différents paramètres incertains (répartition des ensembles géologiques homogènes, coûts variables des profils types). Les imprécisions prises en compte concernent généralement les longueurs et contextes de réalisation des zones successivement traversées par le projet (géologie, hydrogéologie et caractéristiques géomécaniques), ainsi que les coûts unitaires et cadences d'avancement associés à chacun des profils types considérés. Chaque simulation génère un point dans un diagramme temps/coûts (Figure 3). En effectuant un nombre statistiquement significatif de simulations, on obtient un nuage de points qui exprime explicitement la variabilité
inhérente aux coûts et cadences de construction de l'ouvrage, fonction de la variabilité liée à l'incertitude du modèle géologique / hydrogéologique et des coûts et cadences de chacune des méthodes de construction. Cette analyse statistique permet alors de déterminer le montant de l'estimation de base (Figure 4) qui tient compte des imprécisions. Par exemple, suivant les indications du maître d'ouvrage, on retient le fractile à 95 %.
5.3 - Méthode d'appréciation des « aléas » Face à l'incertitude, le projeteur imagine les événements susceptibles de se produire. Parmi ces événements, il sélectionne ceux dont la vraisemblance est probable (7) (en fonction des informations dont il dispose) et les intègre dans le projet, c'est à dire qu'il prévoit les méthodes à mettre en œuvre en cas d'occurrence, le délai nécessaire au traitement de cet événement et le coût correspondant. Ces premiers éléments sont donc intégrés dans la conception et les dispositions constructives du projet. Les événements considérés comme moins probables (c'est à dire ceux dont la vraisemblance est estimée comme très peu probable, peu probable ou possible) ne sont généralement pas pris en compte dans le projet mais constituent pourtant une partie importante des risques, après vérification que les conséquences redoutées de ces événements soient suffisamment importantes pour intégrer la catégorie des aléas. Les fonctionnalités offertes par le logiciel DAT permettent aussi la prise en compte des aléas par la réalisation de nombreuses simulations basées sur de multiples scenarii. Nous avons néanmoins préféré développer une méthodologie propre. Nous proposons ci-dessous d'apprécier les aléas inhérents à un projet en reprenant les trois phases déjà évoquées : l'identification, l'analyse et l'évaluation.
5.3.1 - Identification Le projeteur procède à une analyse du modèle géologique. A partir de sa connaissance du secteur (bibliographie, études précédentes...) et du contexte géologique, il réalise une expertise critique du profil en long géologique pour arriver à dresser une liste d'aléas. Cette analyse doit balayer de manière la plus exhaustive possible
(7) Pour rappel, on considère les quatres niveaux de vraisemblance : très peu probable, peu probable, possible et probable.
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l'ensemble des thématiques liées au contexte géologique, géotechnique, hydrogéologique et environnemental. Il ne s'attachera à considérer comme aléa que les évènements ayant des conséquences importantes sur le creusement du tunnel, les autres étant considérés comme faisant partie des « imprécisions ».
5.3.2 - Analyse Les évènements redoutés sont localisés sur le profil en long (étendue d'application suivant le pas d'analyse) et classés par ordre d'importance a priori selon le niveau de conséquence redouté. Pour chaque événement retenu, l'analyse consiste à en préciser la vraisemblance et à évaluer les conséquences associées. L'attribution d'une vraisemblance à tous les évènements recensés sur le projet est basée sur un classement volontairement simpliste : très peu probable (1/200), peu probable (1/50) et possible (1/5). Bien entendu ces valeurs de probabilité peuvent être reconsidérées suivant le projet étudié. Cette probabilité est fonction de la nature lithologique du tronçon, du niveau de connaissance de la géologie dont on dispose au droit de ce tronçon et de l'étendue de ce tronçon. En première approximation et en l'absence de reconnaissances spécifiques visant à réduire ces risques, on peut considérer par exemple que les aléas identifiés correspondent tous à des situations possibles au droit des zones concernées. La réalisation ultérieure de reconnaissances spécifiques conduira à modifier la probabilité d'occurrence de ces événements.
L'estimation des conséquences attachées aux aléas fait l'objet d'un travail spécifique selon les dispositions constructives envisagées et la zone considérée. Pour chaque aléa, il est imaginé ce que seraient les conséquences de son occurrence sur le déroulement du chantier en matière d'études complémentaires, de modification d'organisation, de mise en œuvre de méthodes spécifiques et/ou de moyens nouveaux et enfin en terme d'allongement des délais. Ces différentes conséquences sont estimées financièrement et le total constitue l'impact économique de l'aléa (coût forfaitaire ou par mètre linéaire). Cette estimation est réalisée pour chaque type de méthode de creusement envisagée (mécanisée et / ou conventionnelle). Un exemple d'analyse et d'évaluation d'aléa karstique est présenté dans le Tableau 1.
simplificatrice consiste à considérer que tous les événements identifiés sont indépendants. Bien que conduisant naturellement à une surestimation du niveau de risque global, cette approche volontairement simplifiée permet déjà de mettre en évidence les zones pour lesquelles les enjeux sont les plus importants.
Cet impact économique est ensuite combiné avec la vraisemblance de l'aléa. Le niveau de risque pour un aléa donné correspond au produit de l'impact économique par la vraisemblance de l'aléa.
Notre analyse s'appuie également sur une discrétisation du linéaire de l'ouvrage étudié en tronçons élémentaires. La longueur de ceux-ci doit naturellement être adaptée à la longueur totale de l'ouvrage et au niveau d'incertitude géologique. La décomposition de l'ensemble de l'ouvrage en tronçons de longueur déterminée permet alors de localiser les zones pour lesquelles le niveau de risque est le plus élevé.
5.3.3 - Évaluation A l'issue de l'analyse, chaque aléa est caractérisé par sa localisation et son étendue sur le modèle géologique, et par une vraisemblance et une conséquence quantifiées. L'étape d'évaluation consiste d'abord à s'assurer que les événements qui avaient été identifiés comme des aléas font bien partie de cette catégorie et d'autre part à estimer le niveau de risque global de l'ensemble des aléas considérés. Pour ce second objectif, l'approche la plus
Mais cette approche est toutefois insatisfaisante dans la mesure ou en pratique : • d'une part, il existe un lien entre les conditions géotechniques rencontrées en un point et celles de la section qui le précède ou le suit ; • d'autre part, les conséquences prévisibles d'un événement donné décroissent à chaque apparition successive de celui-ci, les méthodes de traitement étant de mieux en mieux maîtrisées par les équipes.
L'estimation du niveau de risque global pour un projet de tunnel peut donc être vue comme le calcul d'une espérance mathématique de dérive des coûts et délais, obtenue en considérant un ensemble d'évènements interdépendants et un pas de discrétisation adapté. Ainsi formulé, l'objectif n'a été que partiellement atteint (8) et reste ouvert, à ce jour.
Tableau 1 - Analyse et évaluation du risque karstique
(8) Dans la pratique, l’interdépendance est difficile à quantifier. En première approche, nous nous limitons à considérer des événements indépendants.
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Soulignons que pour l'ensemble du processus il s'agit d'un exercice complexe, car il faut évaluer les conséquences potentielles à partir d'une connaissance imparfaite des terrains. Or, ces conséquences dépendent du contexte géologique, géotechnique et hydrogéologique, de l'appréciation du comportement des matériaux, de la nature des travaux à réaliser et du choix de la méthode d'exécution.
5.4 - Méthode d'appréciation des « imprévus » De par leur nature même, les imprévus ne peuvent pas être identifiés avant leur survenance. La prise en compte rationnelle de ce type d'incertitude s'appuiera nécessairement sur le retour d'expérience. Pour ce faire, nous avons comptabilisé les imprévus majeurs ayant entraîné un dépassement des coûts importants pour un panel de travaux de tunnels routiers et ferroviaires français dont l’achèvement est intervenu entre les années 1993 et 2006. En considérant le linéaire de tunnels cumulé, nous obtenons la fréquence d’un imprévu majeur pour 7500 mètres environ de tunnel. De la même expérience de ces précédents travaux, il ressort que, le coût unitaire du mètre linéaire dans une zone de rencontre d'un imprévu majeur est égal à environ 10 fois le coût unitaire moyen du mètre linéaire de tunnel courant. On considère par ailleurs que l'étendue moyenne d'un tel accident est une centaine de mètres environ.
niveau de connaissance à l'achèvement de chaque phase et propose un modèle géologique au droit de l'ouvrage. L'appréciation du niveau de risque évolue au fur et à mesure que le modèle géologique s'élabore et se précise. Le niveau de risque est retranscrit financièrement dans les estimations des différents types de provisions évoquées ci-dessous.
6.1 - Décomposition de l'estimation Le budget global d'une opération est la somme de l'estimation technique de base calculée à partir d'un modèle géologique et géotechnique déterminé à laquelle s'ajoute un ensemble d'incertitudes qui sont représentatives de la précision des études et du niveau de connaissance du projet. Plus précisément, à l'issue de chacune des phases d'études, l'estimation du coût du projet est construite suivant quatre postes (Figure 4) : • l'estimation technique correspondant strictement au modèle géologique proposé ; • la provision pour imprécision destinée à couvrir les sources de risque de type 1 (cf. 4.1) qui se traduisent par des incertitudes mineures sur les quantités et les prix unitaires principalement ; • la provision pour aléas destinée à couvrir les risques géologiques identifiés (cf. 4.2) ;
• et enfin la provision pour imprévus (cf. 4.3) correspondant à une somme à la disposition du maître d'ouvrage et destinée à couvrir les conséquences financières d'évènements imprévus et raisonnablement imprévisibles susceptibles d'affecter le bon déroulement du projet. La somme de ces deux derniers postes est habituellement appelée « somme à valoir » ou « provision pour risques » ou « provision pour aléas et imprévus ». Cette décomposition (9) rend totalement explicite le contenu des estimations globales habituellement retenues dans les projets de tunnels. La manière d'estimer les différentes provisions pour risques a été exposée dans le paragraphe 5. L'estimation technique est établie de la façon suivante : à l'issue de chaque phase d'étude, le modèle géologique recoupé par le tunnel est décomposé en plusieurs ensembles homogènes qui correspondent chacun à des conditions géologiques et géotechniques propres. Pour chacun de ces sous-ensembles dont les longueurs sont définies plus ou moins précisément, sont associées des techniques de soutènement particulières (les profils types de soutènement). L'estimation financière des coûts de génie civil d'un tunnel (creusement, soutènement et revêtement définitif) est établie, tronçon par tronçon, en addi-
Ces valeurs demandent à être ajustées grâce à un retour statistique que nous souhaitons le plus large possible de la part de la profession.
6 - EVOLUTION DU RISQUE A CHAQUE ETAPE DE L'ETUDE L'étude d'un projet de tunnel comporte généralement plusieurs phases depuis les études d'opportunité situées très à l'amont jusqu'à la mise au point définitive du projet produite juste avant la réalisation des travaux. Pour chaque phase d'étude, il est procédé à des enquêtes, études spécifiques, analyses et/ou reconnaissances géologiques dont la synthèse établit le Figure 4 - Décomposition d'une estimation globale
(9) Cette décomposition des estimations est en conformité avec les recommandations de l'AFTES du GT32 et des travaux menés par Réseau Ferré de France sur l'estimation des coûts.
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quences importantes pour le déroulement des travaux, ont été mis en évidence sur l'anticlinal de l'Outheran, à savoir : • La localisation et la géométrie du plan de chevauchement du massif de l'Outheran par rapport au tunnel ainsi que la nature des matériaux jalonnant ces surfaces ; • La nature lithologique et le comportement mécanique des formations constituant le cœur de l'anticlinal. Il pourrait s'agir de matériaux marneux et fortement tectonisés dont le comportement mécanique sous forte contrainte (épaisseur de couverture forte) pourrait se révéler critique et exiger des dispositions nouvelles (par rapport au projet) et particulièrement lourdes ; Figure 5 - Évolution du budget global d'une opération
tionnant le coût de chacun des profils types prévus sur les longueurs ainsi déterminées.
6.2 - Évolution des estimations Le niveau de connaissance des conditions de réalisation s'accroît au fur et à mesure du déroulement de ces phases d'études et en corollaire le niveau d'incertitude diminue. Ainsi en règle générale le passage d'une phase n à une phase n+1 s'accompagne d'une réduction de la marge pour « aléas » (la vraisemblance de ces derniers étant avérée ou réfutée à l'issue d'une campagne de reconnaissance). Inversement, l'estimation de base peut se retrouver réévaluée à la hausse, si par exemple, à la faveur de reconnaissances complémentaires menées lors de la phase d'étude n, les conditions de réalisation se révèlent beaucoup plus complexes que ne le laissait supposer la synthèse faite lors de la phase précédente n-1.
dont le contenu et les caractéristiques peuvent être amenés à évoluer dans la suite des études. L'exemple retenu concerne une partie du tunnel de Chartreuse (24,7 km), les incertitudes sont nombreuses et importantes compte tenu du contexte géologique complexe, de la forte épaisseur de la couverture et de la faible densité des sondages de reconnaissance. L'exemple proposé est illustré sur la Figure 6. Il s'agit d'un secteur correspondant à une structure géologique de forme anticlinale où les reconnaissances sont difficiles compte tenu des fortes couvertures. Des aléas, susceptibles d'induire des consé-
• La karstification : les formations calcaires sont fortement représentées sur tout le linéaire du tunnel. A ce stade d'étude et tant que les enquêtes et reconnaissances complémentaires n'auront pas permis de mieux cerner les phénomènes karstiques aussi bien en occurrences que dans leurs développements, à toutes ces formations doit être systématiquement associé l'aléa karstique ; • L'hydrogéologie : les formations calcaires sont toutes potentiellement aquifères. Le risque de venues d'eau soudaines et très importantes, dépend principalement de la hauteur de couverture (charge d'eau) et de la présence proche d'un mur imperméable. Le risque hydrogéologique est double, d'une part il concerne les conditions de chantier (envahissement du chantier, débourrage, nécessité de pompage, etc.) et d'autre part il concerne les mesures
Ainsi, la part de la provision retenue pour couvrir les « aléas » est une variable qui évolue en fonction du temps et du niveau d'étude comme peut le montrer de façon schématique la Figure 5. Parallèlement, l'estimation de base peut également varier dans le temps par l'intégration des résultats des reconnaissances complémentaires et du nouveau modèle géologique qui en découle.
7 - APPLICATION L'application proposée ici porte sur la section française du projet de nouvelle Liaison ferroviaire TGV/fret entre Lyon et Turin. Il s'agit à ce stade d'un avant-projet sommaire
Figure 6 - Evaluation du niveau de risque au niveau du massif de l'Outheran
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Le niveau de connaissance croît avec la quantité d'informations disponibles d'ordre bibliographique ou par reconnaissances directes. La fiabilité de la source de connaissance dépend du type de reconnaissance (affleurement, sondage, puits, galerie, etc.) et de sa proximité par rapport au point considéré. La compatibilité de l'évènement avec le contexte géologique est établie par l'expertise géologique : interprétation du géologue. La difficulté pour quantifier la vraisemblance est bien évidemment d'affecter des valeurs numériques à ces appréciations d'ordre plutôt qualitatif.
Figure 7 : Dépassement constaté par rapport au marché initial en fonction du montant des reconnaissances [10]
compensatoires à mettre en œuvre pour remédier au tarissement des sources et/ou captages de surface ; • Le bassin molassique : le comportement mécanique des matériaux molassiques, la répartition entre les faciès meubles et les faciès indurés ainsi que l'état de contrainte à proximité du chevauchement. Sur la Figure 6, le diagramme à barres représente le niveau de risque par tronçon homogène au droit de l'anticlinal de l'Outheran. Le calcul du niveau de risque de chacun de ces aléas permet en particulier de mettre en évidence les sites les plus risqués et donc d'y orienter les futures campagnes de reconnaissances.
8 - COMMENTAIRES ET PERSPECTIVES 8.1 - Quantification de l'incertitude géologique Le risque géologique consiste en l'effet des incertitudes, attachées au modèle géologique sur la conception et la construction de l'ouvrage souterrain. La détermination d'une provision financière pour aléas, établie de manière forfaitaire comme un pourcentage du montant total de l'estimation de base nous semble une méthode inadaptée parce que ne rendant pas compte de l'hétérogénéité de la connaissance le long du projet. Ceci est
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d'autant plus regrettable que pour l'essentiel les risques sont le plus souvent localisés au droit de zones particulières dont le linéaire est faible par rapport à celui de la section courante. En conséquence, seules des reconnaissances ciblées permettent de réduire les incertitudes et par suite le niveau de risque. Par le biais du travail présenté, il nous apparait indispensable de moduler la provision financière pour aléas en fonction de la nature des terrains rencontrés et du niveau de connaissance. Cette méthode d'appréciation des aléas permet d'identifier de manière plus raisonnée et argumentée les points sensibles sur un projet de tunnel qui pourraient avoir un impact financier important. Elle permet aussi d'apporter des justifications plus solides et quantifiées quant au besoin de conduire des reconnaissances supplémentaires. Bien que déjà très utile, cette méthode reste cependant grandement perfectible à bien des points de vue et notamment en ce qui concerne la détermination de la vraisemblance. Cette grandeur qui caractérise la probabilité qu'un évènement se produise dépend en un point donné : • du niveau de connaissance du contexte géologique, • de la fiabilité de la source de connaissance du contexte géologique • de la compatibilité de cet évènement avec le contexte géologique,
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Il s'agit là de la principale voie de progrès sachant que les indicateurs actuels en matière d'appréciation du niveau requis pour les reconnaissances géologiques demeurent tout à fait sommaires comme l'index de l'U.S. National Committee on Tunnelling Technology [9] pour lequel la différence entre les coûts estimés et les coûts réels des projets d'ouvrages souterrains se réduit de façon significative si le rapport entre la longueur cumulée des forages effectués et celle du tunnel est au moins égale à 0,6 ou encore la courbe proposée par C. de Joannis de Verclos [10] mettant en relation le pourcentage de dépassement du marché avec le coût des reconnaissances réalisées. Ces indicateurs nécessitent toutefois d'être nuancés et complétés notamment par une appréciation du contexte et de la fiabilité du modèle géologique [11].
8.2 - Prise en compte du risque dans les contrats de travaux Le risque géologique peut représenter un enjeu financier conséquent qui nécessite une prise en compte toute particulière dans les contrats de travaux. Diverses approches et recommandations ont récemment été formulées en ce sens afin de clarifier la répartition des risques entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur. Dans la recommandation « Comment maîtriser les coûts de son projet », le GT 25 de l'AFTES [12] propose pour cela la contractualisation du mémoire de synthèse géotechnique (cahier B au sens du GT 32 de l'AFTES [6]) et du mémoire technique de l'entrepreneur, pour les parties convenues avec le maître d'ouvrage lors de la mise au point du marché.
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Le partage du risque peut également se traduire par des contrats de travaux incitant les acteurs à trouver des solutions avec un partage des éventuelles économies réalisées par rapport au montant initial du marché par exemple et une répartition équilibrée des engagements et des responsabilités. Un document définissant les modalités pratiques de gestion des risques peut également être rendu contractuel. Dans ce sens, la nouvelle version (à paraître) du
fascicule 69 du CCTG [13] relatif aux travaux en souterrain préconise l'introduction dans les DCE des marchés publics d'un mémoire de management des risques, établi par le titulaire du marché dans son offre et selon un cadre imposé par le maître d'ouvrage. Y sont définis les phénomènes identifiés et qui n'ont pas été traités dans le projet, les actions complémentaires du programme de reconnaissances à l'avancement que le titulaire prévoit de mettre en œuvre pour
anticiper la survenance de ces phénomènes, les méthodes et procédures qu'il propose en cas d'occurrence d'un phénomène redouté et les modalités de rémunération des opérations associées. Ce nouveau mémoire de management des risques vise à fournir, avant commencement des travaux, une boîte à outils permettant le traitement contractuel de l'ensemble des risques identifiés et retenus par l'entreprise et le maître d'ouvrage. ●
s RÉFÉRENCES [1] Bieth E., Gaillard C., Rival F. et Robert A. (2009) Geological risk: a methodological approach and its application to 65 km of tunnels under the french alps. Proceedings of ITA – AITES world tunnel congress 2009. Budapest : Hungarian Tunnelling Association.Article O-01-11. [2] Office des Nations Unies pour la réduction des risques naturels UNISDR (2009) Terminologie pour la prévention des risques de catastrophe. Genève : UN/ISDR. [3] Glossaire technique annexé à la circulaire n°DPPR/SEI2/MM-05-0316 du 7/10/05 relative aux installations classées. [4] International Organization for Standardization (parution prévue décembre 2009) ISO/CEI Guide 73:2009 Management du risque – Vocabulaire. Genève : ISO. [5] International Organization for Standardization (parution prévue décembre 2009) ISO 31000 Management du risque - Principes et lignes directrices de mise en oeuvre. Genève : ISO. [6] AFTES GT32 (2004) Prise en compte des risques géotechniques dans les dossiers de consultation des entreprises pour les projets de tunnel. Tunnels et Ouvrages Souterrains. n°185, sept/oct 2004, pp.316-327. [7] Collomb D. et Seingre G. (2006) Risques coûts/délais associés aux incertitudes géologiques : Retours d'expérience du tunnel du Loetschberg. Recueil des Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l'Ingénieur – JNGG. Lyon (France), Section 1, pp.57-64. [8] Descoeudres F. et Dudt J.-P. (1993) Instruments d'aide à la décision pour la construction des tunnels (ADCT). Publication de la Société Suisse de Mécanique des Sols et des Roches. n° 128, pp. 79-87. [9] United States National Committee on Tunnelling Technology (USNCTT) (1984) Geotechnical Site Investigations for Underground Projets. Washington : National Academy Press. [10] De Joannis De Verclos C. (1980) Aléas géologiques en tunnels et galeries souterraines. Mémoire de fin d'études d'ingénieur : Génie Civil : École nationale des Ponts et Chaussées, 183p. [11] Perello P., Venturini G., Dematteis A., Bianchi Gianpino W., Delle Piane L. Damiano A. (2005) Determination of reliability in geological forecasting for linear underground structures : the method of the R-index. Géoline 2005. Lyon. [12] AFTES GT25 (2007) Comment maîtriser les coûts de son projet ?. Tunnels et Ouvrages Souterrains. n°201, mai/juin 2007, pp.128-168. [13] « Nouveau fascicule 69 : Travaux en souterrain » (à paraître). Cahier des clauses techniques générales CCTG.
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