Dr ALEXANDER
O~?S~ ~
o~ ~-JO
L.u
~
[Tl
i
-
TCHOU
Signature numérique de banarido josito DN : cn=banarido josito, o=free lance, ou,
[email protected], c=FR Date : 2009.02.03 22:01:47 +01'00'
A propos
de la collection
LE CORPS
A VIVRE
Force est de constater qu'une insatis faction grandissante se fait jour devant les atermoiements de la psy chanalyse classique qui d'ailleurs ne cache pas son indifférence à l'égard d'un problème tout de même capital : celui de la guérison . Une réact ion salutaire contre cet état de fait commence heureusement à se dessiner. Les psychothérapies de groupe, pratiquées depuis plusieurs décennies, avaient déjà contribué à ouvrir de nouvelles perspectives. Mais par-delà cet effort, c'est la notion même de prépotence de la psychologie en la matière qui se trouve aujourd 'hui mise f'n cause . Un . certain nombre de praticiens décou vrent que l'on peut aider les patients (et s'aider soi-même) en posant le problème de facon totalement diffé rente. Ils ont retrouvé cette vérité très si m pIe et très ancienne : savoir que le corps a toujours son mot à dire dans les troubles qui affectent le psy chisme ; enfin, que c'est en appre nant au corps à vivre selon l'harmo nie qui lui est propre que l'esprit peut trouver l'équilibre qui lui fait si sou vent défaut. A cette entreprise de restitution , toutes les disciplines doivent partici per. Car la vie se projette à la fois sur le plan psychologique, sociologique, anatomo-physiologique; mais elle échappe inexorablement à ceux qui ne veulent la saisir qu'au niveau d'un seul de ces systèmes de projection . (Suite au deuxième rabat)
Collection
« LE CORPS À VIVRE »
dirigée par
le
Dr
Jacques
DONNARs
DR ALEXANDER LOWEN
La
•
ergle Traduit de l'américain
par }
Michelle Fructus
TCHOU LAFFONT
A mes parents Leur dévouement pour moi m'a permis d'affronter les conflits de ma personnalité et de m'en dégager
On verra que, dans le corps du texte, nous avons employé indifféremment les mots bioé nergie et bioéne rgétique. En effet, si, aux États-Unis, la préférence est donnée au terme bioénergéti qu e, en France, l'usage consacre souvent celui de bioénergie (No te de l'éditeur).
Cet ouv rage a été pub lié pour la premiére fois a ux États-U ni s par Coward, Mc Geogham l nc, a New Yor k so us le titre: B ioenergetics .
© Alexander Lowen, M.D . 1975 .
© T cho u, 1976, pour la trad ucti on fra nçaise .
CHAPITRE 1
De Reich
à la bioénergie
Trois âmes, trois prières:
Je suis un arc dans tes mains, Seigneur.
Tire, sinon, je pourrirai.
Ne tire pas trop fort, Seigneur, je me romprais.
Tire fort, Seigneur, qu'importe si je romps.
Nikos
KAZANTZAKIS,
Lettre au Greco
Ma thérapie avec Reich, 1942-1945 La bioénergie est fondée sur les travaux de Wilhelm Reich. Il fut mon professeur de 1940 à 1952 et mon analyste de 1942 à 1945. Je rencontrai Reich en 1940 à New York, à la New School for Social Research, où il faisait un cours sur l'analyse caractérielle. J'avais été intéressé par le résumé du cours, dans lequel on reliait l'identité fonc tionnelle du caractère à l'attitude physique ou à la cuirasse musculaire. La cuirasse est la structure globale des tensions musculaires chropiques du corps. On l'appelle cuirasse parce que ces tensions servent à protéger l'individu des expériences émotionnelles menaçantes ou dangereuses. Elles le mettent à l'abri des impulsions dangereuses naissant de sa propre personnalité, ou de l'attaque d'autrui. Lors de ma rencontre avec Reich, je poursuivais depuis des années des recherches sur la relation corps-esprit. Cet intérêt était né de mes expériences personnelles dans le domaine de l'activité physique, par la . pratique de divers sports et de la calisthénique. Dans les années 30, j'avais été directeur athlétique de plusieurs camps d'été, et je m'étais aperçu que non seulement un programme régulier d'activité physique améliorait ma santé physique, mais qu'il avait aussi un effet positif sur 1 m on état mental. Au cours de mes recherches, je m'étais intéressé à l'((eurythmique)) d'Emile Jacques-Dalcroze, au concept de «relaxation progressive» d'Edmund Jacobson, et au yoga. Ces études me confirmè rent dans l'impression que l'on pouvait influencer les attitudes mentales en travaillant au niveau du corps, mais leur approche ne me satisfaisait pas entièrement. 9
De Reich à la bioénergie
La bioénergie Dès son premier cours, Reich captiva mon imagination. Il commença le cours en traitant le problème de l'hystérie. Reich souligna que la psychanalyse avait réussi à élucider le facteur historique du syndrome de conversion hystérique. On avait prouvé que ce facteur était un traumatisme sexuel, éprouvé pendant la petite enfance, puis totalement oublié et refoulé pendant les années ultérieures. Le refoule ment et la conversion en symptôme des idées et émotions refoulées qui en découlaient constituaient le facteur dynamique de la maladie. Bien que les concepts de refoulement et de conversion soient à cette époque des principes bien établis de la théorie psychanalytique, on ne compre nait pas du tout par quel processus une idée refoulée se convertissait en symptome physique. Selon Reich, c'était la compréhension du facteur temps qui manquait à la théorie psychanalytique. « Pourquoi, deman dait Reich, le symptôme s'est-il manifesté au moment où il l'a fait, ni plus tôt ni plus tard ?» Pour répondre à cette question, il fallait savoir comment s'était déroulée l'existence du patient pendant toutes les années intermédiaires. Comment avait-il réagi vis-à-vis de sa sensibilité sexuelle pendant cette période? Reich pensait que le refoulement du trauma originel persistait grâce à la suppression de la sensibilité sexuel le. Cette suppression constituait la prédisposition au symptôme hystéri que, transformée en manifestation par un incident sexuel ultérieur. Pour Reich, la vraie névrose était constituée à la fois par la suppression de la sensibilité sexuelle et par l'attitude caractérologique concomitante; le symptôme lui-même n'en était que l'expression visible. Considérer cet élément - c'est-à-dire le comportement et l'attitude du patient vis-à-vis de la sexualité - introduisait un facteur (( économique» dans le pro blème de la névrose. Le terme (( économique» se réfère aux forces qui prédisposent l'individu à élaborer des symptômes névrotiques. Je fus fortement impressionné par la perspicacité de Reich. Ayant lu un bon nombre d'ouvrages de Freud, j'étais assez familiarisé avec la pensée psychanalytique, mais je ne me souvenais pas que ce facteur y ait été discuté. Je sentis que Reich me présentait une nouvelle approche de réflexion sur les problèmes humains, et cela me passionna immé diatement. La portée de cette nouvelle approche ne m'apparut que gra duellement, à mesure que Reich développait ses idées dans le cours. Je réalisai que ce facteur économique était une clé importante de la compréhension de la personnalité, car il traitait de la façon dont un individu gère son énergie sexuelle, ou son énergie en général. De combien d'énergie un individu dispose-t-il et quelle quantité s'en décharge par les activités sexuelles? Le terme d'économie énergétique,
10
d'économie sexuelle, se réfère à l'équilibre maintenu entre la charge et la décharge d'énergie, ou entre l'excitation sexuelle et la détente sexuelle. Le symptôme de conversion hystérique ne se développe que l lorsque cette économie ou cet équilibre sont faussés. La cuirasse musculaire ou les tensions musculaires chroniques servent à maintenir cet équilibre énergétique en contenant l'énergie qui ne peut être déchargée. Mon intérêt pour Reich augmenta à mesure qu'il exposait sa pensée et ses observations. La différence entre une économie sexuelle saine et une économie sexuelle névrotique ne tient pas à la question d'équilibre. A cette époque, Reich parlait d'économie sexuelle plutôt que d'écono mie énergétique, mais dans son esprit ces termes étaient synonymes. Le névrosé maintient l'équilibre en contenant son énergie par les tensions musculaires et en limitant son excitation sexuelle. Une personne saine ne limite pas son excitation sexuelle, et son énergie n'est pas contenue par une armure musculaire. Elle est donc totalement disponible pour le plaisir sexuel ou pour toute autre forme d'expression créative. Son économie énergétique fonctionne à haut niveau. La plupart des gens sont caractérisés par une économie énergétique à bas niveau, qui est responsable de la tendance à la dépression, endémique dans notre culturel. Bien que Reich exposât ses idées de façon claire et logique, je restai légèrement sceptique pendant la première moitié du cours. J'ai appris depuis que cette attitude est l'une de mes caractéristiques. Je lui dois une bonne partie de mon aptitude à repenser les choses par moi -même. Mon scepticisme vis-à-vis de Reich portait sur l'importance exagérée qu'il semblait attribuer au rôle de la sexualité dans les problèmes émotionnels. La sexualité n'est pas la seule réponse, me dis-je en moi même. Puis, sans que j'en sois conscient, ce scepticisme disparut soudainement. Vers le milieu du cours, je me sentais parfaitement convaincu de la validité des positions de Reich. Je compris la raison de ce changement environ deux ans plus tard, peu de temps après avoir moi-même entrepris une thérapie avec Reich. Il me vint à l'esprit que je n'avais pas fini de lire l'un des ouvrages indi qués par Reich dans la bibliographie de son cours: Trois Essais sur la théorie de la sexualité de Freud. J'en étais arrivé à la moitié du deuxième essai, intitulé ( Sexualité infantile», lorsque je cessai ma lec I OU
1. Alexander Lowen, La Dépression nerveuse et le Corps, Tchou, éditeur, 1975.
11
De Reich à la bioénergie
La bioénergie ture. Je réalisai alors que cet essai avait réveillé mon angoisse incons ciente quant à ma propre sexualité infantile et, bien que je ne fusse pas encore prêt à affronter cette angoisse, il ne m'était plus possible de garder mon scepticisme sur l'importance de la sexualité. Le cours de Reich sur l'analyse caractérielle se termina en janvier 1941. Je restai en contact avec lui pendant toute la période entre la fin du cours et le début de ma thérapie personnelle. Je me rendis à de nombreuses réunions chez lui, à Forest Hills, où l'on discutait des implications sociales de ses concepts d'économie sexuelle, et où l'on élaborait un projet de mise en œuvre de ces concepts au moyen d'un programme public de santé mentale. En Europe, Reich avait été un pionnier dans ce domaine. (Cet aspect de son œuvre et de mes rapports avec elle sera étudié plus en détail dans un ouvrage ultérieur sur Reich.) Je commençai ma thérapie personnelle avec Reich au printemps 1942. Pendant l'année précédente, je lui avais rendu de fréquentes visi tes à son laboratoire. Il me montrait certains des travaux qu'il effectuait sur des préparations biologiques et des tissus cancéreux. Un jour, il me dit: « Lowen, si ces travaux vous intéressent, il n'y a qu'un seul moyen de vous y mettre: commencer une thérapie.)) Cette phrase me fit sursauter, car je n'avais pas envisagé cette démarche. Je lui déclarai: «Cela m-intéresse, mais je tiens surtout à devenir célèbre. n Reich prit cette remarque au sérieux, car il répondit: de vous rendrai célèbre. n Au cours des ans, j'ai considéré la phrase de Reich comme une prophé tie. Ce fut l'impulsion dont j'avais besoin pour surmonter mes résis tances et pour me lancer dans ce qui allait être le travail de toute une vie. Ma première séance de thérapie avec Reich fut une expérience que je n'oublierai jamais. Je m'y rendis en supposant naïvement que je n'avais pas de problèmes. Ce serait simplement une analyse didactique. Je m'allongeai sur le lit, en maillot de bain. Il n'y avait pas de divan, puisque c'était une thérapie orientée sur le corps. Reich me dit de fléchir les genoux, de me détendre et de respirer en gardant la bouche ouverte et les mâchoires détendues. Je suivis ces instructions et attendis la suite des événements. Au bout d'un moment, Reich me dit: « Lowen, vous ne respirez pas.) Je répondis: « Bien sûr que si, sinon je serais mort.» Il remarqua: « Votre poitrine ne bouge pas. Touchez la mienne. n Je posai la main sur sa poitrine et remarquai qu'elle s'élevait et se rabaissait au rythme de sa respiration. Il n'en était m~nifestement pas de même pour moi. Je me recouchai et me remis à respirer, en dilatant la poitrine à l'ins-
12
piration et en la contractant à l'expiration. Rien ne se passait. Je continuai à respirer, calmement et profondément. Au bout d'un moment Reich me dit: « Lowen, rejetez la tête en arrière et ouvrez largement les yeux. n Je fis ce qu'il me disait et... un hurlement sortit de ma gorge. C'était une belle journée de printemps, et les fenêtres étaient ouvertes sur la rue. Pour éviter tout ennui avec ses voisins, le Dr Reich me demanda de redresser la tête, ce qui arrêta le hurlement. Je me remis à respirer profondément. Curieusement, le hurlement ne m'avait pas perturbé. Je ne m'y sentais pas lié émotionnellement. Je ne ressentais aucune peur. Après un moment passé à respirer, le Dr Reich me demanda de renouveler l'opération: rejeter la tête en arrière et ouvrir largement les yeux. Le hurlement sortit à nouveau de ma gorge. J'hésite à dire que je hurlai, parce que je n'avais pas l'impression de le faire. Ce hurlement était quelque chose qui m'arrivait. De nouveau je m'en sentais détaché, mais je quittai la séance avec l'impression que tout n'allait pas aussi bien que je le croyais. Certaines « choses n (images, émotions) dans ma personna lité restaient au-delà de ma conscience, et je savais qu'il leur faudrait ressortir. A cette époque, Reich appelait sa thérapie « végétothérapie caractéro-analytique ). L'analyse caractérielle avait constitué son importante contribution personnelle à la théorie psychanalytique, qui lui valait la haute considération de tous les analystes. Le terme « végéto thérapie n se rapportait à la mobilisation des émotions grâce à la respi ration et à d'autres techniques corporelles qui activaient les centres végétatifs (ganglions du système nerveux autonome) et libéraient l'éner gie « végétative n. La végétothérapie représentait le passage de l'analyse purement verbale à un travail direct sur le corps. Elle s'était présentée à lui envi ron neuf ans plus tôt, au cours d'une séance d'analyse que Reich décri vait comme suit:
"
«A Copenhague, en 1933,je traitais un homme qui avait élaboré des résistances particulièrement fortes pour ne pas dévoiler ses fantas mes homosexuels passifs. Ces· résistances se manifestaient par une extrême raideur du cou (il était « guindé n). Après que j'eus attaqué énergiquement cette résistance, il se laissa soudain aller, mais de façon alarmante. Son visage se mit à changer rapidement de couleur, passant du blanc au jaune ou au bleu. Sa peau était marbrée de tein tes variées. Il ressentait de violentes douleurs dans le cou et dans 13
La bioénergie l'occiput. Il avait la diarrhée, se sentait épuisé, et semblait avoir lâché prise 1. » Cette « attaque énergique » était purement verbale, mais elle était diri gée contre l'attitude « guindée » du patient. « Les affects firent irruption au niveau somatique, après que le patient eut abandonné une attitude de défense psychique. )) Reich réalisa alors que « l'énergie peut être contenue par une tension musculaire chronique 2 ». A partir de ce moment, Reich étudia l' attitude physique de ses patients. Il observa : « Il n'exi ste pas de névrosé qui soit dépourvu de tensions abdominales 3 .» Il nota la tendance commune de ses patients à contenir leur respiration et à réduire l'expiration pour contrôler leurs émotions . Il en conclut que retenir la respiration sert à limiter l'énergie de l'organisme grâce à la réduction des activités métaboliques, ce qui diminue alors la production d'angoisse. La première étape du processus thérapeutique consistait alors pour Reich à amener le patient à respirer calmement et profondément. La seconde consistait à mobiliser celle des expressions émotionnelles du patient qui paraissait la plus évidente d'après son visage et son compor tement. Dans mon cas, ce fut la peur. Nous avons vu comment ce procédé avait eu sur moi un effet puissant. Les séances suivantes se déroulèrent selon le même schéma général. Je m'allongeais sur le lit et respirais de façon aussi détendue que je le pouvais, en essayant de laisser se produire de profondes expirations . J'avais pour instructions de m'abandonner à mon corps et de ne contrô 11er aucune des expressions ou des impulsions qui pourraient surgir . De nombreux faits se produisirent, qui me mirent progressivement en contact avec mes premiers souvenirs et mes premières expériences. Au début, je n'étais pas habitué à l'approfondissement de la respiration, et cela provoqua de fortes sensations de picotement des mains qui entraî nèrent à deux reprises un spasme carpopédal important, avec de fortes crampes des mains . Cette réaction disparut à mesure que mon corps s'habituait à l'augmentation d'énergie due à l'approfondissement de la respiration. Mes jambes se mettaient à trembler lorsque j'écartais et rapprochais doucement les genoux, mes lèvres aussi lorsque je suivais mon impulsion à les tendre. l. Wilhelm Reich, The Function a/the Orgasm (New York , Orgone In stitute Press, 1942), p. 239-240. La Fonction de l'orgasme (Éditions de l' Arc he). 2. Ibid. , p. 240. 3. Ibid., p. 273 .
14
De Reich à la bioénergie A cela succédèrent plusieurs irruptions d'émotions, avec les souve nirs associés. Une fois, alors que j'étais étendu sur le lit à respirer, mon corps se mit à se balancer involontairement. Le balancement s'amplifia jusqu'à ce que je me retrouve assis. Alors, sans avoir l'impression de le faire, je descendis du lit, me tournai pour lui faire face et me mis à le frapper des deux poings. Pendant que je faisais cela, le visage de mon père apparut sur le drap du lit, et je réalisai brutalement que je le frap pais à cause d'une fessée qu'il m'avait donnée quand j'étais petit. Quel ques années plus tard, j'interrogeai mon père sur cet incident. Il me dit que c'était la seule fessée qu'il m'eût jamais donnée. Il m'expliqua que j 'étais rentré à la maison très en retard, et que ma mère était inquiète et malheureuse. Il m'avait fessé pour que je ne recommence plus. L'intérêt de cette expérience, comme dans le cas du hurlement, tenait à sa nature totalement spontanée et involontaire. Je fus entraîné à frapper le lit, comme je l'avais été à hurler, par une force qui avait pris possession de moi, et non par une pensée consciente. Une autre fois, alors que j'étais étendu sur le lit à respirer, je commençai à avoir une érection. J'eus l'impulsion de toucher mon pénis, mais je la refrénais. Je me souvins alors d'un épisode intéressant de mon enfance. Je me revis à cinq ans, traversant l'appartement en urinant sur le plancher. Mes parents étaient sortis. Je le faisais pour prendre ma revanche sur mon père, qui m'avait grondé la veille parce que je touchais mon pénis. Il me fallut environ neuf mois de thérapie pour découvrir la cause du hurlement de la première séance. Plus le temps passait, plus il me semblait qu'il y avait une image que j'avais peur de voir. Etendu sur le lit et contemplant le plafond, je sentais que cette image apparaîtrait un jour. C'est ce qui se produisit, et ce fut le visage de ma mère, abaissant sur moi un regard qui exprimait une intense colère. Je sus immédiate ment que c'était le visage qui m ' avait effrayé. Je revécus l'expérience comme si elle se produisait dans le présent. J'étais un bébé d'environ neuf mois, couché dans un landau, à l'extérieur de la maison. J'avais pleuré bruyamment pour appeler ma mère. Elle était manifestement occupée à l'intérieur de la maison, et mes pleurs persistants l'avaient énervée. Elle sortit, furieuse contre moi . Etendu là, sur le lit de Reich, à trente-trois ans, je regardais son image et, utilisant les mots que je n'au rais pu connaître bébé, je dis: « Pourquoi es-tu si fâchée contre moi? Je ne pleure que parce que je te veux. » A cette époque, Reich utilisait une autre technique pour faire avancer la thérapie. Au début de chaque séance, il demandait à ses patients de 1
15
La bioénergie lui dire toutes les pensées négatives qu'ils avaient à son sujet. Il pensait que tous les patients faisaient sur lui un transfert négatif tout autant qu 'un transfert positif et il ne se fiait au transfert positif qu'après que les pensées et les idées négatives aient été exprimées. Je trouvais cela extrê mement difficile à faire . M'étant engagé positivement envers Reich et envers la thérapie, j'avais banni toutes les pensées négatives de mon esprit. J'avais l'impression de n'avoir à me plaindre de rien. Reich avait été très généreux envers moi, et je n'avais aucun doute sur sa sincérité, son intégrité ni sur la validité de ses concepts. D'une manière caracté ristique, j'étais décidé à ce que la thérapie réussisse, et ce ne fut que lorsqu'elle eut presque échoué que j'exposai mes émotions à Reich . Après l'expérience de la peur éprouvée en voyant le visage de ma mère, je traversai une longue période, de plusieurs mois, durant laquelle je ne fis aucun progrès. Je voyais alors Reich trois fois par semaine, mais j'étais bloqué parce que je ne pouvais pas lui dire ce que je ressen tais à son égard. Je voulais qu'il témoigne envers moi d'un intérêt pater nel, pas simplement thérapeutique, mais, comme je savais que c'était une requête déraisonnable, je ne pouvais pas l'exprimer. Je me débattais intérieurement avec ce problème et je n'arrivais à rien. Reich semblait ne pas avoir conscience de ce conflit. Je faisais le maximum d'efforts pour laisser ma respiration devenir plus complète et plus profonde, et cela ne marchait pas. Il y avait environ un an que j'étais en thérapie lorsque je me trouvai dans cette impasse. Cette situation semblant s'éterniser, Reich suggéra que j'arrête. « Lowen, dit-il , vous êtes incapable de vous laisser aller à vos émotions. Pourquoi n'abandonnez-vous pas?» Cette phrase sonnait comme une condamnation. Abandonner signifiait l'échec de tous mes rêves. Je m'effondrai et pleurai profondément. C'était la première fois que je pleurais depuis mon enfance. Je ne pouvais plus contenir mes émotions. Je dis à Reich ce que je désirais de lui, et il m'écouta avec sympathie. Je ne sais pas si Reich avait l'intention d'arrêter la thérapie, ou si la suggestion de terminer le traitement était une manœuvre pour briser ma résistance, mais j'eus fortement l'impression que telle était bien son intention. De toute façon , cela entraîna le résultat désiré. La thérapie se remit à progresser. Pour Reich, le but de la thérapie était de développer chez le patient la capacité à se laisser aller totalement aux mouvements spontanés et involontaires du corps qui font partie du processus respiratoire. Il insis tait donc sur l'établissement d'une respiration complète et profonde. Si
16
De Reich à la bioénergie l'on y pàrvenait, les vagues respiratoires provoquaient un mouvement d'ondulation du corps que Reich appelait le réflexe orgastique. Au cours de ses travaux psychanalytiques antérieurs, Reich en était arrivé à la conclusion que la santé émotionnelle est liée à la capacité d'abandon total aux rapports sexuels, ou à ce qu'il appelait la puissance orgastique. Reich s'était aperçu qu'aucun névrosé ne présente cette capacité. Non seulement le névrosé contient cet abandon, mais, en bloquant son énergie par des tensions musculaires chroniques, il l'em . pêche d'être utilisable pour la détente sexuelle. Reich s'était également aperçu que les patients qui avaient acquis l'aptitude à parvenir à la satisfaction orgastique complète pendant les rapports sexuels se libé raient de tout comportement et attitude névrotique, et en restaient libé rés. Selon Reich, l'orgasme total permettàit à l'organisme de décharger tous ses excès d'énergie, et il n'en restait donc plus pour maintenir ou encourager le symptôme ou le comportement névrotique. Il est important de comprendre que Reich définissait l'orgasme comm~ un état différent de l'éjaculation ou du paroxysme sexuel. Il représentait une réaction involontaire de l'ensemble du corps, manifes tée par des mouvements rythmiques et convulsifs. Le même type de mouvements peut aussi se produire lorsque la respiration est totalement détendue et que l'on s'abandonne à son corps. Dans ce cas, il n'y a ni paroxysme sexuel ni décharge d'excitation sexuelle, puisqu'il n'y a pas eu accumulation d'excitation sexuelle. Ce qui se produit, c'est un dépla cement spontané du pelvis vers l'avant à l'expiration et vers l'arrière à l'inspiration. Ces mouvements sont provoqués par la vague respiratoire lorsqu'elle descend et remonte le corps à l'inspiration et à l'expiration. La tête exécute en même temps des mouvements semblables à ceux du pelvis, sauf qu'elle se déplace vers l'arrière pendant la phase d'expira tion, puis vers l'avant pendant la phase d'inspiration. Théoriquement, un patient dont le corps était assez libéré pour présenter ce réflexe pendant la séance thérapeutique devait être également capable d'éprou ver l'orgasme total pendant les rapports sexuels. On devait considérer qu'un tel patient était en bonne santé émotionnelle. Pour un bon nombre des lecteurs de la Fonction de l'orgasme J de Reich, ces idées ont pu sembler être les conceptions fantaisistes d'un obsédé sexuel. Cependant, elles furent exprimées pour la première fois alors que Reich était un psychanalyste et un formateur hautement 1. La première publication sur ce thème fut un ouvrage antèrieur, Die Funktion des Orgasmu s (Intern ation aler Psychoanalytischer Verlag, 1927).
17
La bioénergie considéré. Sa formulation du concept d'analyse caractérielle et de sa pratique était considérée comme l'une des principales contributions à la théorie analytique. Cependant, la plupart des psychanalystes n'accep taient pas ces idées et, de nos jours encore, la majorité de ceux qui font des recherches sur la sexualité les ignorent ou n'en tiennent pas compte. Mais les concepts de Reich prennent une réalité convaincante lorsque, comme je l'ai fait, on expérimente leur validité sur son propre corps. Cette conviction fondée sur l'expérience personnelle permet d'expliquer que la plupart des psychiatres, ou autres, qui travaillèrent avec R eich devinrent, du moins pour un temps, ses supporters enthousiastes. Après que j'eus éclaté en sanglots et exprimé ce que je ressentais envers Reich, ma respiration devint plus aisée et détendue, ma sensibi lité sexuelle plus globale et plus profonde. De nombreux changements se produisirent dans mon existence. J'épousai la jeune fille dont j'étais amoureux. M'engager dans le mariage représentait pour moi une étape importante. Je me préparais aussi activement à devenir un thérapeute reichien. Durant l'année, je suivis un séminaire clinique sur l'analyse caractérielle dirigé par le Dr Theodore P. Wolfe, qui était l'associé le plus intime de Reich aux États-Unis et le traducteur des premières publications en langue anglaise de Reich. J'avais terminé mes études médicales peu de temps auparavant et je posais pour la deuxième fois ma candidature dans plusieurs écoles médicales. Ma thérapie progres sait régulièrement, quoique lentement. Les séances ne comportaient plus d'irruptions dramatiques d'émotions ou de souvenirs, mais je sentais que je me rapprochais de l'abandon à mes émotions sexuelles. Je me seritais aussi plus proche de Reich. Reich prit de longues vacances d'été. Il termina l'année en juin et reprit à la mi-septembre. Comme, pour cette année-là, la thérapie tirait vers sa fin, Reich suggéra que nous interrompions le traitement pour un an. Celui-ci n'était pourtant pas terminé. Le réflexe orgastique ne s'était pas complètement développé, bien que je m'en sente très proche. J'avais travaillé dur, mais c'était précisément cela qui constituait la pierre d'achoppement. Il me sembla que c'était une bonne idée d'arrêter, et j'acceptai la suggestion de Reich. Ma décision avait également des raisons personnelles. Ne pouvant entrer, à ce moment-là, dans une école médicale, je suivis un cours d'anatomie humaine générale à l'université de New York en automne 1944. . Ma thérapie avec Reich reprit en automne 1945, en séances hebdo madaires. En peu de temps le réflexe orgastique s'établit de façon conséquente. Cette évolution positive avait plusieurs raisons. Pendant
18
De Reich à la bioénergie l'arrêt d'un an de la thérapie, mes efforts pour plaire à Reich et parvenir à la santé sexuelle s'étaient mis en veilleuse, et j'étais arrivé à assimiler et à intégrer mes travaux précédents avec lui. A la même époque, je pris mon premier patient en tant que thérapeute reichien, et cela survolta prodigieusement mon esprit. J'avais l'impression d'être arrivé au but, et j'avais conscience de me sentir très sécurisé par rapport à mon exis tence. Il me devint très facile de m'abandonner à mon corps, ce qui signifiait également m'abandonner à Reich. En quelques mois, il devint évident pour nous deux que la thérapie se terminait avec succès, d'après les critères de Reich. Cependant, des années plus tard, je réalisai que de nombreux problèmes majeurs de ma personnalité n'étaient pas résolus. Ma peur de demander ce que je voulais, même si c'était déraisonnable, n'avait pas été traitée jusqu'au bout. Ma peur de l'échec et mon désir de réussite n'avaient pas été résolus. Mon' impossibilité à pleurer, à moins d'être mis au pied du mur, n'avait pas été explorée. Ces problè mes furent finalement résolus bien des années plus tard, par la bio énergie. Je ne veux pas dire que la thérapie avec Reich fut inefficace. Si elle n'avait pas résolu complètement tous mes problèmes, elle m'avait du moins permis d'en prendre davantage conscience. Le plus important fut toutefois qu'elle m'ouvrit la voie de la réalisation personnelle et m'aida à progresser vers ce but. Elle approfondit et renforça mon engagement envers le corps, considéré comme la base de la personnalité. Et elle me permit de m'identifier positivement à ma sexualité, ce qui s'est révélé être la pierre angulaire de mon existence.
Mon activité de thérapeute reichien, 1945-1953 Je vis mon premier patient en automne 1945. Bien que je ne sois pas encore passé par une école médicale, Reich me poussa à le faire, en s'appuyant sur mes connaissances antérieures et sur la formation qu'il m'avait donnée, y compris ma thérapie personnelle. Cette formation comprenait une participation continue aux séminaires cliniques sur la végétothérapie caractéro-analytique, sous la direction du Dr Theodore Wolfe, et aux séminaires que Reich faisait chez lui; il y commentait les bases théoriques de son approche en mettant l'accent su'r les concepts biologiques et énergétiques qui expliquaient son travail au niveau du corps. L'intérêt pour la thérapie reichienne augmentait régulièrement, à 19
La bioénergie mesure que les idées de Reich se répandaient. La publication de la Fonction de l'orgasme, en 1941, accéléra cette évolution, bien que le livre n'ait obtenu ni critiques favorables ni large audience. Reich avait fondé sa propre maison d'édition, l'Orgone Institute Press, qui n'avait pas de vendeurs et ne faisait pas de publicité. Ses idées et son livre n'étaient connus que de bouche à oreille. Néanmoins ses idées se diffu sèrent, bien que lentement, et la demande de thérapies reichiennes augmenta. Mais très peu d'analystes étaient formés à l'analyse caracté rielle, et cela compta, tout autant que mes aptitudes personnelles, dans mes débuts de thérapeute. Je pratiquai des thérapies reichiennes pendant deux ans, avant de partir pour la Suisse. En septembre 1947, je quittai New York avec ma femme pour entrer à l'école de médecine de l'université de Genève, dont je sortis diplômé et docteur en médecine en juin 1951 . Pendant que j'étais en Suisse, je pris également en thérapie quelques Suisses qui avaient entendu parler des travaux de Reich et qui désiraient tirer parti de cette nouvelle approche thérapeutique. Comme tant de jeunes théra peutes, je débutai en supposant naïvement que je connaissais quelque chose aux problèmes émotionnels, et mon assurance était fondée sur plus d'enthousiasme que d'expérience. Rétrospectivement, je peux voir quelles étaient mes limites, en compréhension comme en compétence. Je pense néanmoins que j'ai réellement aidé quelques personnes. Mon enthousiasme était une force positive, et l'accent porté sur la respiration et le fait de « se laisser aller)J constituait une voie positive. Avant mon départ de Suisse se produisit une évolution importante de la thérapie reichienne : utiliser le contact direct avec le corps du patient pour libérer les tensions musculaires qui l'empêchent de se laisser aller à ses émotions et pour permettre l'établissement du réflexe orgastique. Pendant son travail avec moi, Reich effectuait occasionnellement une pression des mains sur certains des muscles contractés pour les aider à se détendre. Habituellement, que ce soit avec moi ou avec d'autres, il effectuait cette pression sur les mâchoires. Chez la plupart des gens, les muscles des mâchoires sont extrêmement contractés. Les mâchoires sont soit étroitement serrées, attitude de détermination tournant souvent à la sévérité, soit poussées en avant avec défi, ou encore anormalement rétractées. Dans tous les cas elles ne sont pas parfaitement mobiles, et cette rigidité dénote une attitude structurée. Lorsqu'on exerce une pres sion, les muscles des mâchoires se fatiguent et « se laissent aller)J. La respiration devient par conséquent plus détendue et plus profonde, et l'on constate souvent des tremblements involontaires du corps et des 20
De Reich à la bioénergie jambes. Les autres zones de tension musculaire sur lesquelles on appli quait une pression étaient l'arriére du cou, le bas du dos et les muscles adducteurs des cuisses. Dans chaque cas, on appliquait la pression de façon sélective, seulement aux endroits où l'on pouvait palper une spasticité musculaire chronique. Cette imposition des mains constituait une déviation importante de la pratique analytique traditionnelle. En analyse freudienne, tout contact entre l'analyste et le patient est strictement interdit. L'analyste s'assied, invisible, derrière le patient et assume ostensiblement la fonc tion d'un écran sur lequel le patient projette ses pensées . Il n'est pas complètement inactif, puisque ses réponses grommelées et ses interpré tations des idées exprimées par le patient influent de façon importante sur la pensée de celui-ci. Reich donnait à l'analyste un rôle plus direct dans le processus thérapeutique. Il s'asseyait en face du patient, pour que celui-ci puisse le voir, et il avait un contact physique avec lui lorsque c'était nécessaire ou judicieux. D'après les souvenirs que j'ai gardés des séances, Reich était grand, avec des yeux bruns et doux et ses mains étaient fortes et chaudes. Il n'est pas possible de se rendre compte actuellement de l'avancée révolutionnaire que représentait alors cette thérapie, ni des suspicions et de l'hostilité qu'elle suscitait. Comme elle était très centrée sur la sexua lité et qu'il s'y établissait des contacts physiques entre le thérapeute et le patient, on accusait les praticiens de la thérapie reichienne d'utiliser des stimulations sexuelles pour développer la puissance orgastique. On a dit que Reich masturbait ses patients. Rien n'est plus loin de la réalité. Cette calomnie révèle quelle peur entourait la sexualité et les contacts physiques à cette époque. Heureusement, l'atmosphère a beau coup changé dans les trente dernières années en ce qui concerne la sexualité comme le toucher. On a reconnu l'importance du toucher comme forme primordiale de contact 1, et sa valeur dans la situation thérapeutique n'est plus mise en question. Bien entendu, tout contact physique entre le thérapeute et le patient donne à celui-ci la lourde responsabilité de respecter la relation thérapeutique et d'éviter tout engagement sexuel avec le patient. . Je peux ajouter ici qu'en bioénergie on apprend aux thérapeutes à se servir de leurs mains pour palper et sentir les blocs et J.es spasticités musculaires, à appliquer la pression nécessaire pour détendre ou dimiJ. Ashley Montagu, Touching .. The Human Significance of {he Skin (New York, Columbia University Press, 1971).
21
La bioénergie , nuer une contraction musculaire en tenant compte de la tolérance à la douleur du patient, et à établir le contact par un toucher doux et rassu rant qui fournit aide et chaleur. Il est difficile de réaliser à l'heure actuelle l'importance de l'étape qu'effectua Reich en 1943. Exercer une pression physique facilitait l'irruption des émotions et la montée correspondante des souvenirs. Cela servait aussi à accélérer le processus thérapeutique, accélération nécessaire lorsqu'on réduit la fréquence des séances à une par semaine. A cette époque, Reich avait \ acquis une grande habileté à lire le corps et à savoir appliquer les pres sions qui détendaient les contractions musculaires, favorisant la circu llation des sensations dans le corps, qu'il appelait courant. Vers 1947, Reich pouvait provoquer le réflexe orgastique chez certains patients en six mois. On peut apprécier cet exploit en rappelant que j'avais été en thérapie avec Reich pendant près de trois ans, au rythme de trois séan ces hebdomadaires, avant que le réflexe orgastique ne s'établisse. Permettez-moi de souligner que le réflexe orgastique n'est pas un orgasme. L'appareil génital n'y est pas impliqué; il n'y pas eu élabora tion d'e);citation sexuelle et il n'y a donc pas de décharge. Ce réflexe dénote que la voie de cette décharge est ouverte si l'on peut transposer l'abandon ou le laisser-aller à la situation sexuelle. Mais ce transfert ne se produit pas obligatoirement. Les deux situations, sexuelle et théra peutique, sont différentes; la première est beaucoup plus chargée émotionnellement et énergétiquement. De plus, en situation thérapeuti que, on bénéficie de l'aide du thérapeute, ce qui, dans le cas d'un homme doté comme Reich d'une très forte personnalité, peut être un facteur très puissant. Il est toutefois peu probable qu'en l'absence du réflexe orgastique on puisse se laisser aller par des mouvements pelviens involontaires au paroxysme de l'acte sexuel. Ces mouvements fondent la réaction orgastique totale. Nous devons nous souvenir que, selon la théorie de Reich, c'est la réaction orgastique pendant les rapports sexuels qui constitue le critère de santé émotionnelle et non le réflexe orgastique. Ce réflexe a néanmoins des effets positifs sur la personnalité. Il est ressenti comme vivifiant et libérateur, même s'il se produit dans l'at mosphère d'aide de la situation thérapeutique. On sent l'effet produit par la libération de ses inhibitions. En même temps, on se sent relié et intégré - avec son propre corps et par son intermédiaire - avec l'envi ronnement. On éprouve une sensation de bien-être et de paix intérieure. On y gagne d'apprendre que la vie du corps réside dans ses aspects involontaires. Je peux certifier cette réaction d'après mon expérience
22
De Reich à la bioénergie personnelle, comme par les commentaires des patients à travers les annees. Malheureusement, ce~ impressions merveilleuses ne résistent pas toujours aux tensions de la vie quotidienne dans notre culture moderne. L'allure, la pression et la philosophie de notre époque sont antithétiques à la vie. Trop souvent, le patient finit par perdre le réflexe orgastique s'il n'a pas appris à gérer les tensions de son existence sans recourir à des schémas de comportement névrotiques. C'est ce qui arriva à deux des patients traités par Reich à cette époque. Plusieurs mois après la fin d'une thérapie apparemment réussie, ils me demandèrent une thérapie additionnelle parce qu'ils n'avaient pas réussi à maintenir les progrès qu'ils avaient obtenus avec Reich. Je réalisai qu'il n'existe pas de raccourci vers la santé émotionnelle et que la perlaboration uniforme de tous les problèmes de l'individu est la seule voie qui lui assure une acti vité optimale. Cependant, je restais convaincu que la sexualité est la clé qui mène à la résolution des problèmes névrotiques. Il est facile de critiquer l'importance fondamentale que Reich accorde à la sexualité, mais je ne le ferai pas. La sexualité était et reste la ques tion clé de tous les problèmes émotionnels, mais les troubles du fonc tionnement sexuel ne peuvent se comprendre que dans le cadre de l'en semble de la personnalité d'une part, et des conditions sociales d'exis tence d'autre part. Avec les ans, j'en suis arrivé, à contrecœur, à la conclusion qu'il n'existe pas de clé unique élucidant le mystère de la condition humaine. Ma répugnance à le faire est née du profond désir de croire qu'il y a une solution. Je pense maintenant en termes de pola rités, avec leurs conflits inévitables et leurs solutions temporaires. Une vision de la personnalité considérant la sexualité comme sa clé unique est trop étroite, mais ignorer le rôle de la pulsion sexuelle en considé rant la personnalité individuelle revient à négliger l'une des forces les plus importantes de la nature. D ans l'une de ses premières formulations, antérieure au concept d'instinct de mort, Freud avait postulé l'existence d'une antithèse entre les instincts du Moi et l'instinct sexuel. Les premiers visent à préserver l'individu, le second à préserver l'espèce. Ceci implique un conflit entre l'individu et la société, et nous savons qu'il existe dans notre culture. Un autre conflit inhérent à cette antithèse est celui entre la lutte pour le pouvoir (pulsion du Moi) et la lutte pour le plaisir (pulsion sexuelle). L'accent exagéré porté par notre culture sur le pouvoir dresse le Moi contre le corps et sa sexualité et crée un antagonisme entre des pulsions qui devraient, dans l'idéal, s'aider et se renforcer mutuellement. Néan
23
La bioénergie moins, il n'est pas possible d'aller à l'autre extrême et de ne s'intéresser qu'à la sexualité. Ceci devint évident pour moi après que je me fus fixé comme but unique, sans succès, l'accomplissement sexuel de mes patients, comme l'avait fait Reich. Chez l'Occidental, le Moi représente une force puissante que l'on ne peut ni chasser ni refuser. Le but théra peutique consiste à intégrer le Moi au corps, à sa lutte pour le plaisir et \ l'accomplissement sexuel. Je n'ai appris cette vérité qu'après de nombreuses années de dur travail, et non sans avoir commis ma part d'erreurs . Nul n'échappe à la règle: on apprend en reconnaissant ses erreurs. Cependant, si je n'avais pas visé de façon déterminée l'atteinte de la satisfaction sexuelle et de la puissance orgastique, je n'aurais pas compris la dynamique énergétique de la personnalité. Et l'on ne peut avoir une vision globale des réactions et des mouvements involontaires de l'organisme humain sans le critère du réflexe orgastique. Le comportement et les fonctions humaines ont encore de nombreux éléments mystérieux que l'esprit rationnel ne peut saisir. Par exemple, environ un an avant de quitter New York, je suivais un jeune homme qui avait plusieurs problèmes graves. Il était pris d'une violente angois se chaque fois qu'il s'approchait d'une jeune fille. Il se sentait inférieur, inadapté, et présentait de nombreuses tendances masochistes. Par moments, il avait des hallucinations: le diable le lorgnait d'un coin de la pièce. Au cours de la thérapie il fit quelques progrès au niveau des symptômes, mais ses problèmes ne furent en aucune sorte résolus. Il réussit cependant à nouer une relation stable avec une jeune fiUe, mais le paroxysme sexuel ne lui procurait que peu de plaisir. Je le revis cinq ans plus tard, après mon retour aux États-Unis. Ce qu 'il me raconta était fascinant. Après mon départ il se retrouva sans thérapeute et il décida donc de continuer sa thérapie tout seul. Ceci impliquait l'exécution des exercices respiratoires de base que nous utili sions en thérapie. Tous les jours, après son travail, il rentrait chez lui, s'étendait sur le lit et se mettait à respirer profondément et de façon détendue, comme il le faisait avec moi. Et un jour, un miracle eut lieu. Toute son angoisse disparut. Il se sentait sûr de lui, il ne se dépréciait plus lui-même. Mais le plus important fut qu' il parvint à un degré total de puissance orgastique pendant les rapports sexuels. Ses orgasmes étaient complets et satisfaisants. Il était devenu une autre personne. Il me dit tristement: « Cela n'a duré qu'un mois.» Le changement disparut tout aussi soudainement qu'il s'était produit et il fut replongé dans son ancienne misère. Il consulta un autre thérapeute reichien, avec
24
De Reich à la bioénergie lequel il travaiUa alors pendant plusieurs années, ne faisant à nouveau que de légers progrès. Quand je me remis à pratiquer, il revint faire une thérapie additionnelle avec moi. Je travaillai avec lui pendant environ trois ans de plus, et je l'aidai à surmonter bon nombre de ses handicaps. Mais le miracle ne se reproduisit jamais. II ne parvint plus aux sommets, sexuels ou autres, qu'il avait atteints pendant la brève période qui avait suivi mon départ. Comment pouvons-nous expliquer cette irruption inattendue de 'santé, qui avait semblé se produire toute seule, et la retombée qui avait suivi? L'expérience de mon patient me rappelait Lost Horizon de James Hilton, qui avait du succès à ce moment-là. Dans ce roman, le héros, Conway, se trouve avec quelques autres passagers dans un avion détourné; on les emmène dans une vallée secrète, dans les hauteurs de l'Himalaya, nommée Shangri-La, repaire éloigné qui littéralement « n'est pas de ce monde». La vieillesse et la mort semblent ajournées ou suspendues pour ceux qui vivent dans cette vallée. Le principe de gouvernement en est une modération qui, eUe non plus, « n'est pas de ce monde». Conway est tenté de rester à Shangri-La; ce mode de vie serein et rationnel lui semble extrêmement plaisant. On lui offre le gouvernement de la communauté de la vallée, mais il se laisse convain cre par son frère que tout cela n'est qu'un mirage. Le frère de Conway, qui est tombé amoureux d'une jeune Chinoise, le persuade de s'enfuir avec eux vers « la réalité». Ils partent mais, une fois sortis de la vallée, la jeune Chinoise se transforme en vieille femme et meurt. Quelle réalité est la plus valide? Conway décide de retourner à Shan gri-La et nous apprenons, à la fin du roman, qu'il erre dans les monta gnes à la recherche de son « horizon perdu». On peut expliquer la transformation subite de mon patient en suppo sant qu'il s'est produit un changement de son sens de la réalité. Pendant un mois, il s'était lui aussi retrouvé dans « un autre monde» et, ce faisant, avait laissé derrière lui toutes les angoisses, la culpabilité et les inhibitions associées à son existence en ce monde. N atureUement, plusieurs facteurs avaient contribué à produire cet effet. A cette époque il y avait chez tOIlS ceux qui suivaient les travaux de Reich une atmos phère d'euphorie et d'excitation, que ce soit chez les étudiants ou chez les patients. On sentait que Reich avait proclamé une vérité fondamen tale sur les êtres humains et leur sexualité. Ses idées exerçaient une atti rance ' révolutionnaire. Je suis persuadé que mon patient avait été sensible à cette atmosphère, ce qui, associé à l'approfondissement de sa respiration, pouvait avoir produit l'effet remarquable décrit ci-dessus.
25
La bioénergie Sortir de son monde, ou de son Moi habituel, est une expenence transcendantale. Cela arrive à la plupart des gens et dure plus ou moins longtemps. Ces expériences ont en commun une impression de détente, une sensation de libération et la découverte d'un Soi pleinement vivant, qui réagit de façon spontanée. Mais de telles transformations sont le fait du hasard et on ne peut ni les prévoir ni les programmer. Malheureuse ment, elles cessent souvent aussi soudainement qu 'elles avaient commencé; le carrosse étincelant redevient citrouille en une nuit. On reste abasourdi: quelle est la vraie réalité de l'être? Pourquoi ne peut on pas rester dans cet état de liberté? La plupart de mes patients ont eu des expériences transcendantales au cours de la thérapie. Chacune d'elles dégage un horizon qu'obscur cissait auparavant un épais brouillard et que l'on perçoit soudain avec clarté. Bien que le brouillard retombe, le souvenir reste et fournit une motivation à la recherche continue de changement et de croissance. Si l'on recherche la transcendance, on peut avoir de nombreuses visions, mais on s'arrêtera certainement là où l'on a commencé. Si.l'on opte pour la croissance, on peut avoir quelques instants de transcen dance, mais ce seront des sommets sur la route régulière menant à un Moi plus riche et plus solide. La vie elle-même est un processus de croissance, qui commence par la croissance du corps et des organes, passe par l'établissement de la dextérité motrice, l'acquisition du savoir, l' augmentation des connexions, et finit par une sommation de l'expérience qu'on appelle sagesse. Ces divers aspects de la croissance se recouvrent, puisque la vie et la croissance s'insèrent dans un environnement naturel, culturel et social. Bien que la croissance soit un processus continu, celui-ci n'est jamais uniforme. Il y a des périodes de ralentissement, pendant l'assimi lation de l'expérience, qui préparent l'organisme à une nouvelle ascen sion / C haque ascension conduit à un nouveau sommet et crée ce que nous appellerons une expérience culminante. Chaque expé rience culminante doit à son tour s'intégrer à la personnalité pour qu'une nouvelle croissance puisse avoir lieu et que l'on finisse par atteindre la sagesse. J'ai signalé un jour à Reich que je connaissais une définition du bonheur. Il haussa les sourcils, me regarda d'un air rail leur et me demanda ce que c'était. Je répondis: « Le bonheur c'est la conscience de croître. » Ses sourcils retombèrent, tandis qu'il commen tait: « Pas mauvais. » Si ma définition a quelque validité, cela suggère que la plupart des gens entreprennent une thérapie parce qu'ils sentent que leur croissance
26
De Reich à la bioénergie s'est arrêtée. Assurément de nombreux patients comptent sur la thérapie pour faire redémarrer le processus de croissance. La thérapie en est capable si elle procure de nouvelles expériences et aide à écarter ou à amoindrir les blocages ou les obstacles qui empêchent d'assimiler l'ex périence. Ces blocages sont des schémas de comportement structurés qui témoignent d' une résolution peu satisfaisante, compromis avec les conflits infantiles. Ils engendrent le ;Soi névrotique et limité dont on cherche à s'échapper ou à se libé'ter. Pendant la thérapie le patient dévoile les conflits originels en travaillant sur son passé et découvre de nouveaux moyens de gérer les situations qui menacent son existence ou qui la nient, celles qui l'ont obligé à endosser une « cuirasse» pour survi vre. Ce n'est qu'en faisant revivre le passé qu 'on peut faciliter une crois sance authentique dans le présent. Si l'on se coupe du passé, le futur n'existe pas. La croissance est un processus naturel; nous ne pouvons pas la forcer. Ses lois sont communes à tous les êtres vivants. Un arbre, par exemple, ne pousse haut que si ses racines s'enfoncent profondément dans le sol. On apprend en étudiant le passé. Et le passé de quelqu'un c'est son corps . Quand je me reporte en arrière, à ces années d'enthousiasme et d'ex citation, je réalise qu'il était naïf de s'attendre à résoudre facilement les problèmes profondément structurés de l'homme moderne, par quelque technique que ce fût. Je ne veux pas dire que Reich se faisait des illu sions sur l'énorme tâche qu'il affrontait. Il était parfaitement conscient de la situation. Sa recherche de moyens plus efficaces pour traiter ces problèmes naissait directement de cette prise de conscience. Cette recherche ' le conduisit à étudier la nature de l'énergie en opérant dans les organismes vivants. Comme l'on sait, il affirma avoir découvert une nouvelle forme d'énergie, qu'il appela « orgone», terme qu'il faisait dériver d'organisme et organique. Il inventa un appareil qui pouvait accumuler cette énergie et en charger le corps de ceux qui s'y asseyaient. J'ai construit moi-même de tels « accumulateurs», et je m'en suis personnellement servi. Ils se révélèrent utiles, dans certaines conditions, mais ils n'ont pas d'effet sur les problèmes de la personnali té. Pour résoudre ces problèmes au niveau individuel, il est encore nécessaire de combiner un travail analytique soigneux et une approche physique qui aide le patient à détendre les spasticités musculaires chro niques qui inhibent sa liberté et restreignent son existence. Au niveau social, il faut un changement révolutionnaire de l'attitude de l'homme envers lui-même, envers son environnement et la communauté humaine. 27
1
La bioénergie Les contributions de Reich sont importantes à ces deux niveaux. La façon dont il a élucidé la nature des structures caractérielles et démon tré leur identité fonctionnelle avec l'attitude physique constitue un progrès important pour notre compréhension du comportement humain. Il a introduit le concept de puissance orgastique en tant que critère de la santé émotionnelle, ce qu'elle est assurément, et a montré qu'elle avait pour fondement physique le réflexe orgastique. Il a augmenté notre connaissance des processus physiques en découvrant le sens et la signification des réactions physiques involontaires. Et il a mis au point une technique relativement efficace de traitement des troubles de la vie émotionnelle (involontaire). Reich a souligné clairement comment la structure d'une société se reflète dans la structure caractérielle de ses membres; aperçu qui clarifia les aspects irrationnels de la politique. Il entrevit la possibilité pour l'homme de se libérer des inhibitions et des répressions qui étouf fent les pulsions de vie. A mon avis, si cette vision doit jamai~ se réali ser, ce sera dans la direction indiquée par Reich. Pour notre propos actuel, la contribution la plus importante de Reich est sa description du rôle central que toute théorie de la personr1alité doit attribuer au corps. Ses travaux sont les fondations sur lesquelles s'est bâtie la bioénergie.
Le développement de la bioénergie On me demande souvent: « En quoi la bioénergie diffère-t-elle d'un! thérapie reichienne?» Le meilleur moyen de répondre à cette ques tion est de continuer notre exposé historique sur le développement de la bioénergie. En terminant mon internat en 1952, un an après mon retour d'Eu rope, j'appris qu'il y avait eu un certain nombre de changements chez Reich et ceux qui travaillaient avec lui. L'enthousiasme et l'excitation qui étaient si évidents de 1945 à 1947 avaient fait place au décourage ment et à une impression de persécution. Reich avait cessé de pratiquer des thérapies personnelles et s'était retiré à Rangeley, dans le Maine, où il se consacrait à la physique de l'organe. Le terme « végétothérapie caractéro-analytique» était tombé en désuétude, au profit de « orgonthé rapie». Ceci avait entraîné une diminution de l'intérêt pour la pratique de l'analyse caractérielle et une augmentation de l'importance accordée à l'application de l'énergie d'orgone au moyen d'accumulateurs. 28
De Reich à la bioénergie L'impression de persécution venait en partie de l'attitude cntique avec laquelle les communautés médicales et scientifiques considéraient les théories de Reich, en partie de l'hostilité déclarée de nombreux psychanalystes - dont certains faisaient savoir__ qu)ls« auraient» Reich - et finalement des angoisses de Reich et de ses collaborateurs. Le découragement v;enait de l'échec d'une expérience faite par Reich dans le laboratoire du Maine et qui mettait en jeu l'interaction de l'éner gie d'orgone et de la radioactivité. L'expérience eut un effet négatif; Reich et ses assistants tombèrent malades et durent abandonner le labo ratoire un certain temps. Ils ne croyaient plus à une thérapie relative ment simple et efficace des névroses, et cela contribuait aussi à créer l'atmosphère de découragement. Je ne partageais pas ces sentiments. J'étais resté cinq ans à l'écart de Reich et de ses luttes, ce qui m'avait permis de garder l'excitation et l'enthousiasme des années précédentes. Et mes études à l'école médi cale, ajoutées à l'expérience de mon internat, m'avaient plus que jamais convaincu de la validité générale des théories de Reich. Je répugnais donc à m'identifier totalement au groupe des orgonthérapeutes - répu gnance qui augmenta par la suite, lorsque je m'aperçus que les collabo rateurs de Reich en étaient arrivés à une dévotion presque fanatique envers lui et ses travaux. On considérait comme présomptueux, sinon hérétique, de remettre en question la moindre de ses affirmations, ou de modifier ses concepts à la lumière de l'expérience personnelle. Il me paraissait évident qu'une telle attitude étoufferait tout travail original ou créateur. Ces considérations m'amenèrent à garder une position indépendante. Alors que j'étais dans cet état d'esprit, une discussion avec un autre thérapeute reichien, le Dr Pelletier, qui se tenait en dehors des cercles officiels, m'ouvrit les yeux sur les possibilités de modifier ou d'élargir les procédés techniques de Reich. Tout au long de ma thérapie avec lui, il avait insisté pour que je laisse pendre ma mâchoire inférieure, dans une attitude de laisser-aller ou d'abandon à mon corps. Pendant les années où j'avais pratiqué des thérapies reichiennes, j'avais moi aussi insisté sur cette position. Au cours de notre discussion, le Dr Louis G. Pelletier observa qu'il avait trouvé utile de faire tendre les mâchoires des patients vers l'avant, dans une attitude' de défi. La mobilisation de cette expression agressive permettait de libérer une partie de la tension des muscles contractés des mâchoires. Je réalisai que, naturellement, cela pouvait marcher dans les deux sens, et je me sentis soudain libre de remettre en question ou de changer ce que Reich avait fait. Il s'avéra
29
La bioénergie que c'est lorsqu'on les utilise alternativement que ces deux positions sont les plus efficaces. Mobiliser et encourager l'agressivité d'un patient 1ui facilite l' « abandon» à des impressions sexuelles tendres. En revan che, si l'on part d'une attitude d' « abandon» on en arrive souvent à ressentir et exprimer de la tristesse et de la colère, à cause de la douleur et de la frustration ressenties au niveau du corps. En 1953 je m'associai au Dr John C. Pierrakos, qui venait de termi ner son stage psychiatrie au Kings County Hospital. Le Dr Pierrakos avait suivi une thérapie reichienne et était un disciple de Reich. A cette époque, nouS nous considérions encore comme des thérapeutes reichiens, bien que nous ne soyons plus liés officiellement à l'organisa tion des médecins reichiens. Nous fûmes rejoints en cours d'année par le Dr William B. Walling, dont les antécédents étaient identiques à ceux du Dr Pierrakos. Ils avaient fait partie de la même promotion de l'école médicale. Cette association eut pour premier résultat un programme de séminaires cliniques où nous présentions personnellement nos patients, avec, comme objectif, la recherche d'une compréhension plus en profondeur de leurs problèmes, et la formation d'autres thérapeutes aux concepts qui sous-tendent l'approche au niveau du corps. En 1956 fut fondé officiellement l' Institut d'analyse bioénergétique, sous forme d'as sociation sans but lucratif, afin de réaliser ces objectifs. Pendant ce temps, Reich avait eu des difficultés avec la loi. Comme pour justifier ses sentiments de persécution, la Food and Drug Adminis tration avait intenté un procès devant la Cour fédérale pour interdire à Reich de vendre ou d'expédier en dehors de l'État ses accumulateurs d'orgone, sous prétexte que l'énergie d'orgone n'existait pas et qu'il était donc frauduleux de les vendre. Reich refusa de plaider ou de se défendre dans ce procès, en affirmant qu'on ne pouvait pas défendre des théories scientifiques devant une cour de justice. La F.D .A. gagna par défaut un interdit général de vente. On conseilla à Reich de ne pas tenir compte de cet arrêt, et les agents de la F .D.A. découvrirent rapidement qu' il ne le respectait pas. Il passa en justice pour mépris des décisions de la cour, fut déclaré coupable et condamné à deux ans de prison au pénitencier. fédéral. Il mourut à la prison de Lewisburg en novembre 1957. La tragédie de la mort de Reich me prouva que l'on ne peut sauver l'homme de lui-même. Mais celui qui recherche sincèrement son propre salut? Si l'on entend par « salut» la libération des inhibitions et des contraintes qu' a apportées l'éducation, je ne pouvais pas prétendre avoir atteint cet état de grâce. Bien que ma thérapie reichienne se soit terminée avec succés, j'avais conscience de prèsenter encore de
30
De Reich à la bioénergie nombreuses tensions musculaires chroniques qui m'empêchaient d'at teindre l'allégresse que je désirais. Je pouvais sentir leur influence contraignante sur ma personnalité. Et je voulais arriver à une expérien ce sexuelle plus riche et plus complète, expérience que je savais être possible. La solution que je trouvai consista à reprendre la thérapie. Mais je ne pouvais plus retourner avec Reich, et je n'avais pas confiance dans les autres thér apeutes reichiens. J'étais convaincu qu'il fallait une approche au niveau du corps, et je choisis donc de travailler avec mon associé John Pierrakos, tentative hasardeuse puisque j'étais son aîné à la fois par l'âge et par l'expérience. C'est de ce travail sur mon propre corps qu'est née la bioénergie. Les exercices fondamentaux en ont d'abord été essayés et testés sur moi, de sorte que je sais par expérience personnell e comment ils agissent et ce qu'ils peuvent faire. Depuis lors, j' ai pris J'habitude d'essayer sur moi tout ce que je demande à mes patients de faire, parce que je ne crois pas qu'on ait le droit de deman der à autrui ce qu'on n'est pas prêt à demander à soi-même. Récipro quement, je ne crois pas qu'on puisse faire pour autrui ce qu'on ne peut pas faire pour soi-même. La thérapie avec Pierrakos dura environ trois ans. Elle avait un caractère totalement différent du travail que j'avais effectué avec Reich. Il y avait beaucoup moins d'expériences émouvantes spontanées, comme celles que j'ai décrites plus haut. Cela était surtout dû au fait que je dirigeais en grande partie le travail au niveau du corps, mais aussi à ce que celui-ci se centrait davantage sur la détente des tensions musculaires que sur l'abandon aux impressions sexuelles. J'étais très conscient -de ne plus vouloir continuer à juger par moi-même. Je voulais que quelqu' un pren ne la relève et le fasse à ma place. Juger et contrôler sont des aspects névrotiques de mon caractère, et il ne m'était pas facile de me laisser aller. J'avais été capable de le faire avec Reich parce que je respectais son savoir et son autorité, mais mon abandon se limitait à cette relation. Un compromis résolut ce conflit. Pendant la première partie de la séance je travaillais sur moi -même, en décrivant mes sensa tions physiques à Pierrakos. P endant la seconde partie, il massait mes muscles contractés de ses mains fortes et chaudes, les pétrissait et les détendait pour que l'énergie puisse circuler. _ En travaillant sur moi-même, je mis au point les positions fondamen tales et les exercices de base de la bioénergie. J'éprouvais le besoin d'être davantage (( dans » mes jambes, et je partis donc de la position debout au lieu de la position allongée préconisée par Reich. J'écartais
31
La bioénergie les jambes, pointes des pieds vers l'intérieur, fléchissais les genoux et arquais le dos en arrière pour essayer de mobiliser le bas de mon corps. Je tenais la position quelques minutes, ayant l'impression qu'elle me permettait de me sentir plus près du sol. De plus, elle me poussait à respirer plus profondément et de façon plus abdominale. Comme cette position provoquait une certaine tension du bas du dos, je l'inversais en me courbant en avant, en touchant légèrement le sol du bout des doigts et en gardant les genoux légèrement fléchis. Les sensations devenaient alors plus fortes dans mes jambes, et eHes se mettaient à trembler. Ces deux exercices simples menèrent au concept d'enracinement concept propre à la bioénergie. Il se développa lentement au cours des ans, à mesure qu'il devenait évident que tous les patients ne sentaient pas leurs pieds fermement plantés sur le sol. Cette déficience correspondait au fait qu'ils « n'avaient pas les pieds sur terre» et qu'ils manquaient de contact avec la réalité. Enraciner un patient, ou le remettre en contact avec la réalité, le sol sur lequel il se tient, son corps et sa sexualité, est devenue l'une des pierres angulaires de la bioénergie. Au Chapitre VI, le concept d'enracinement et ses liens avec la réalité et l'illusion sont étudiés de façon détaillée. On y décrit de nom breux exercices utilisés pour permettre cet enracinement. Une autre innovation développée au cours de ce travail fut l'emploi d'un « tabouret à respirer». La respiration est aussi cruciale en bioéner gie qu'elle l'était en thérapie reichienne. Mais cela a toujours été un problème d'amener les patients à la respiration complète et profonde. Il est encore plus difficile que cette respiration devienne détendue et spon tanée. L'idée du tabouret à respirer vint de la tendance répandue à se renverser en arrière sur le dossier de la chaise lorsqu'on a besoin de s'étirer et de respirer après être resté assis un moment devant un bureau. J'avais moi-même l'habitude de le faire pendant que je travaillais avec mes patients. Ma respiration tendait à se limiter lorsque je restais assis dans un fauteuil, et j'avais l'habitude de me renverser en arrière et de m'étirer pour permettre à ma respiration de s'approfondir à nouveau. Le premier tabouret utilisé était un escabeau de cuisine en bois de 70 cm de haut, sur lequel on avait attaché une couverture étroitement enroulée'. Étirer le dos sur ce tabouret stimulait la respiration de tous les patients sans qu'ils aient besoin de faire des exercices de respiration. Personnellement, j'ai testé l'utilisation de ce tabouret pendant ma théra
1. Alexander Lowen, Le PLaisir, Tchou, éditeur, 1976.
32
De Reich à la bioénergie pie avec Pierrakos, et j'ai continué à m'en servir régulièrement depuis lors. Ma seconde thérapie eut des résultats sensiblement différents de ceux de la première. Je pris contact avec plus de tristesse et de colère que je n'en avais éprouvées auparavant, surtout dans ma relation à ma mère. Libérer ces émotions eut un effet vivifiant. A certaines occasions mon cœur s'ouvrait, et je me sentais rayonnant et chaleureux. Mais mon impression soutenue de bien-être était plus significative. Mon corps devint peu à peu plus détendu et plus solide. Je me souviens de la façon dont je perdis mon impression de fragilité. Je sentis que, bien que je puisse me faire mal,je ne me casserais pas. Je perdis également ma peur irrationnelle de la douleur. J'appris que la douleur est une tension et je découvris qu'en m'y abandonnant je pouvais comprendre la tension qui la provoquait, et ce processus entraînait immanquablement la détente de cette tension. Pendant cette thérapie, le réflexe orgastique ne se manifesta qu'occa sionnellement. Je ne me sentais pas concerné par son absence parce que je me concentrais sur mes tensions musculaires et que ce travail intensif empêchait l'abandon aux impressions sexuelles de devenir le centre d'intérêt. Ma tendance à l'éjaculation précoce, qui avait persisté malgré l'apparent succès de ma thérapie avec Reich, diminua de façon impor tante, et mes réactions au paroxysme sexuel devinrent plus satisfaisan tes. Cette évolution me fit réaliser que l'approche la plus efficace des difficultés sexuelles d'un patient réside dans la perlaboration des problè mes de sa personnalité, problèmes qui incluent nécessairement les culpabilités et les angoisses sexuelles. Centrer l'intérêt sur la sexualité, comme le faisait Reich, bien que ce soit théoriquement valide, ne réus sissait généralement pas à amener des résultats durables dans les conditions de vie actuelles. En tant qu'analyste, Reich avait souligné l'importance de l' analyse caractérielle. Lorsqu'il m'avait traité, cet aspect de la thérapie avait été quelque peu réduit. Il diminua encore lorsque la végétothérapie caractéro-analytique devint l'orgonthérapie. Bien que l'analyse caracté rielle soit un travail nécessitant beaucoup de temps et de patience, elle me semblait indispensable pour obtenir des résultats permanents. Je décidai alors que, quelle que soit l'importance que rtous accordions au travail sur les tensions musculaires, l'analyse soigneuse du mode d'être habituel et du comportement méritait tout autant d'attention. Je fis une étude intensive des types caractériels, qui mettait en corrélation la dynamique psychologique et la dynamique physique des schémas de
33
De Reich à la bioénergie La bioénergie comportement. Elle fut publiée en 1958, sous le titre The Physical Dynamics of Character Structure 1. Bien qu'elle ne constitue pas un recueil complet des types caractériels, elle est à la base de tout le travail caractériel fait en bioénergie. Il y avait plusieurs années que j'avais terminé ma thérapie avec Pier rakos, très satisfait de ce qui avait été accompli. Mais si l'on m'avait demandé: « A vez-voUS résolu tous vos problèmes, achevé votre crois sance, réalisé totalement votre ~tentiel d'~e humain ou détendu toutes vos tensions musculaires?», j'aurais encore répondu « Non». On en arrive à un stade de la thérapie où l'on n'a plus l'impression qu'il soit nécessaire ou désirable de la continuer, et on arrête. Si la thérapie a été réussie, on se sent capable de prendre en charge l'entière responsabilité de son bien-être et de la poursuite de sa croissance. De toute façon, quelque chose dans ma personnalité m'avait toujours poussé dans cette voie. Arrêter la thérapie ne signifiait pas arrêter de travailler au niveau du corps. J'ai continué à pratiquer les exercices de la bioénergie dont je me sers avec mes patients, seul et avec d'autres pendant les séances de groupe. Je crois que cet engagement envers mon corps est en partie responsable du fait que de nombreux changements positifs ont continué à se produire dans ma personnalité. Ces changements furent en général précédés d'une compréhension plus profonde de moi-même, à la fois au niveau de mon passé et au niveau de mon corps. Il y a maintenant plus de trente-quatre ans que j'ai rencontré Reich, et plus de trente-deux ans que j'ai commencé ma thérapie avec lui. J'ai travaillé avec des patients pendant plus de vingt-sept ans. Travailler, réfléchir et écrire sur mes expériences personnelles et celles de mes patients m'ont amené à cette conclusion: la vie de quelqu'un, c'est la vie de son corps. Comme un corps en vie comprend l'attention, l'esprit et l'âme, vivre pleinement la vie de son corps consiste à être attentif, spirituel et expressif. Si l'un de ces aspects est déficient, c'est parce que l'on n'est pas totalement dans son corps. On traite le corps comme un instrument ou une machine. On sait que s'il tombe en panne on a des ennuis. Mais on pourrait dire la même chose de l'automobile, dont nous sommes si dépendants. Nous ne nous identifions pas à notre corps; en fait nous l'avons trahi, comme je l'ai souligné dans un ouvrage précé dent 2. Toutes nos difficultés personnelles naissent de cette trahison, et J. Alexander Lowen, The Physical Dynamics of Characler Siruciure (New York, Grune & Stratton, 1958). Disponible en édition de poche sous le titre The Language of Ihe Body (New York, Macmillan, 1971). 2. Alexander Lowen, Le Corps bafoué, Tchou, éditeur, 1976.
je crois que la plupart de nos problèmes sociaux ont une origine simi laire. La bioénergie est une technique thérapeutique qui aide à retour ner dans son corps et à en apprécier la vie au plus haut point possible. et accent mis sur le corps englobe la sexualité, qui est l'une de ses fonctions fondamentales. Mais elle englobe aussi les fonctions encore plus fondamentales que sont la respiration, le mouvement, la sensation et l'expression de soi. Si l'on ne respire pas profondément on diminue la vie de son corps. Si l'on ne ressent pas totalement, on rétrécit la vie de son corps. Si l'on bride l'expression de soi, on limite la vie de son corps. Il est vrai qu'on ne s'Impose pas volOnlalremt:m l:t:S rt:smcuons vna les. Elles s'élaborent en tant que moyens de survie dans un environne ment familial et une culture qui renient les valeurs physiques au profit du pouvoir, du prestige et des possessions. Néanmoins, on accepte cette limitation de la vie parce qu'on ne la remet pas en question et, ce faisant, on trahit son corps. Il est également vrai que la plupart des gens restent inconscients des handicaps physiques sous lesquels ils peinent - handicaps qui leur sont devenus une seconde nature, une part de leur façon d'être dans le monde. Ils traversent en effet l'existence avec un budget limité d'énergie et de sensations. Le but de la bioénergie consiste à aider l'individu à retrouver sa nature première, qui est une condition de liberté, un état de grâce, et possède un caractère de beauté. La liberté, la grâce et la beauté sont les attributs naturels de tout organisme animal. La liberté est l'absence de restrictions intérieures à la circulation des sensations, la grâce est l'ex pression en mouvement de ces courants, la beauté est la manifestation de l'harmonie intérieure qu'ils engendrent. Elles dénotent un corps sain et donc un esprit également sain. La nature première de tout être humain consiste à s'ouvrir à la vie et à l'amour. Dans notre culture, être sur nos gardes, cuirassé, méfiant et renfermé est une seconde nature. Ce sont les moyens qu'on adopte pour se protéger de la souffrance, mais lorsque ces attitudes deviennent caractérologiques ou se structurent dans la personnalité, elles consti tuent une blessure plus grave et créent une infirmité plus importante que celle dont on souffrait à l'origine. L'objectif de la bioénergie est d'aider à ouvrir' son cœur à la vie et à l'amour. Ce n'est pas une tâche facile. Le cœur est bien protégé par la cage thoracique, et ses alentours sont bien défendus, au niveau PsychOlogique comme au niveau physique. On doit comprendre et
35 ___
34
La bioénergie
perlaborer 1 ces défenses pour atteindre cet objectif. Mais si l'on n'y arrive pas le résultat est tragique. Traverser la vie le cœur fermé équi vaut à faire un voyage en mer enfermé dans la cale du navire. La signifi cation, l'aventure, l'excitation et la gloire de l'existence restent hors de vision et de portée. La bioénergie est une aventure à la découverte de soi-même. Elle
diffère des explorations similaires de la nature du Soi en ce qu'elle
essaie de comprendre la personnalité humaine dans les termes du corps
humain. La plupart des explorations antérieures centraient leurs recher
ches sur l'esprit. Ces recherches permirent d'apporter de nombreuses
informations valables, mais il me semble qu'elles n'ont pas touché au
plus important domaine de la personnalité, à savoir sa fondation dans
les processus physiques. Nous reconnaissons volontiers que ce qui se
passe au niveau du corps affecte nécessairement l'esprit, mais cela n'est
pas nouveau. Ma position consiste à dire que les processus énergétiques
du corps déterminent ce qui se passe dans l'esprit, tout comme ils déter minent ce qui se passe dans le corps.
1.
«
En termes analytiques un problème est perlaboré quand on en connaît le quoi le
comment et le pourquoi. » (Cf. page 288).
CHAPITRE II
Le concept d'énergie
Charge, décharge, circulation et mouvement Comme je l'ai souligné, la bioénergétique est l'étude de la personna lité humaine au niveau des processus énergétiques de l'organisme. On utilise également ce terme en biochimie, pour définir un domaine de recherches qui traite des processus énergétiques aux niveaux moléculai re et sub-moléculaire. Comme l'a fait remarquer Albert Szent-Gyorgyi t, la mach ine vitale a besoin d'énergie pour tourner. En fait, le déplace ment de n'importe quoi, vivant ou pas, implique de l'énergie. Dans la pensée scientifique classique, on considère que cette énergie est de nature électr ique. Mais il exi ste d'autres points de vue sur sa nature, surtout quand il s'agit des organismes vivants. Reich a postulé l'exis tence d'une énergie cosmique fondamentale, qu'i l appelait orgone, dont la nature était non électrique. La philosophie chinoise postule l'existen ce de deux types d'énergie en relation polaire mutuelle, le yin et le yang. Ces deux types d'énergie sont à la ba..; ~ d'une pratique médicale chi noise, l'acupuncture, dont certains résultats ont stupéfié les médecins occidentaux. Je ne pense pas qu'il soit important, dans le cadre de cet ouvrage, de déterminer ce qu'est en fait l'énergie vitale. Ces différents points de vue ont tous une part de réalité, et je n'ai pas été capable d'en concilier les différences. Mais nous pouvons cependant accepter la proposition fondamentale selon laquelle tous les processus vitàux fon t interveni r de l'énergie - le mouvement, la sensation, la pensée - et ces processus en viendraient à s'arrêter si l'apport d'énergie à l'organisme ètait grave 1. Albert Szent-Gyorgyi, Bioenergetics (New York, Academie Press, 1957).
37
La bioénergie ment interrompu. Par exemple, le manque de nourriture peut épuiser l'énergie de l'organisme au point d'entraîner la mort; la suppression de l'oxygène au niveau respiratoire peut provoquer la mort. Les poisons qui bloquent les activités métaboliques de l'organisme, et diminuent ainsi son énergie, peuvent également avoir cet effet. On admet généralement que l'énergie d'un organisme animal vient de la combustion de sa nourriture. Les plantes ont la capacité de capter et d'utiliser l'énergie solaire pour leurs processus vitaux; elles la retien nent et la transforment en leurs propres tissus, la mettant ainsi à la disposition des herbivores sous forme de nourriture. La reconversion de cette nourriture en énergie, que l'anima! peut effectuer pour ses propres besoins vitaux, est un processus chimique complexe, qui fait intervenir en fin de compte l'utilisation d'oxygène. A cet égard, la combustion de la nourriture ne diffère pas de la combustion d'un feu de bois: il faut aussi de l'oxygène pour que le processus se poursuive. Dans les deux cas, le taux de combustion est relié à la quantité d'oxygène disponible. Cette analogie simple n'explique pas le phénomène compliqué que constitue la vie. Un feu s'éteint tout seul lorsqu'il n'y a plus de carbu rant; de plus il brûle aveuglément, sans tenir compte de l'énergie libérée par la combustion. En revanche, l'organisme vivant est un feu qui se limite lui-même, se régule lui-même et se reproduit par lui -même. Comment il est capable d'accomplir ce miracle - c'est-à-dire de brûler sans se consumer ni s'éteindre - reste le grand mystère. Bien que nous ne puissions pas encore résoudre cette énigme, il est important d'es sayer de comprendre certains des facteurs mis en jeu, car chacun d'entre nous souhaite garder en lui la flamme de vie, brûlant de tout son éclat et sans interruption. Nous ne sommes pas habitués à penser à la personnalité en termes d'énergie, et cependant on ne peut les dissocier. La quantité d'énergie dont on dispose et la manière dont on l'utilise doivent déterminer la personnalité et s'y refléter. Certains ont plus d'énergie que d'autres; certains sont plus contenus. Par exemple, l'impulsif ne peut pas contenir un accroissement de son niveau d'excitation ou d'énergie; il lui faut décharger cet accroissement d'excitation aussi vite que possible. Le compulsif utilise son énergie de façon différente; lui aussi doit déchar ger son excitation, mais il le fait au moyen de schémas de mouvements et de comportements rigidement structurés. C'est chez un individu déprimé qu'on voit le plus clairement la rela tion entre l'énergie et la personnalité. Bien que la réaction dépressive et la tendance dépressive résultent de l'interaction de facteurs psychologi
Le concept d'énergie ques et physiques compliqués l, il reste une évidence: le déprimé est également déprimé énergétiquement. Des études cinématographiques montrent qu'il n'accomplit qu'environ la moitié des mouvements spon tanés usuels d'un individu non déprimé. Dans un cas grave, il peut rester tranquillement assis, ne bougeant pratiquement pas, comme s'il n'avait pas l'énergie lui permettant de se déplacer activement. Son état subjectif correspond souvent à ce portrait objectif. Il a généralement l'impression qu'il lui manque l'énergie qui lui permettrait de se dépla cer. Il peut se plaindre de se sentir énervé, sans toutefois être fatigué. On constate la dépression de son niveau énergétique au déclin de toutes ses fonctions énergétiques. Sa respiration est limitée, son appétit est limité, ses pulsions sexuelles sont limitées. Dans cet état, il lui est absolument impossible de s'intéresser à un but quelconque: littéralement, il n'a pas l'énergie de s'intéresser à quelque chose. J'ai traité de nombreux patients déprimés, car c'est l'un des problè mes qui poussent fréquemment à entreprendre une thérapie. Après avoir écouté l'histoire de quelqu'un, revu cet historique et évalué son état, j 'essaie de l'aider à reconquérir cette énergie. La façon la plus immé diate d'y arriver est d'augmenter ses apports en oxygène _ c'est-à-dire de l'amener à respirer plus profondément et plus complètement. II y a de nombreuses façons d'aider quelqu'un à mobiliser sa respiration, je les décrirai dans les chapitres suivants. Je pars de l'hypothèse que le patient ne peut pas arriver seul, sinon il n'aurait pas demandé mon aide. Ceci signifie que je dois utiliser mon énergie pour le faire démarrer. Cela implique de le diriger vers quelques activités simples qui approfon dissent peu à peu sa respiration, en me servant de pressions physiques et de contacts pour la stimuler. L'important est qu'à mesure que la respiration devient plus active, le niveau d'énergie augmente. Lorsqu'on se charge d'énergie, il peut se produire de légères vibrations ou des tremblements involontaires dans les jambes. On interprète ceci comme le signe de la présence d'une certaine circulation d'excitation dans le corps, plus spécifiquement dans le bas du corps. La voix peut devenir plus sonore, car davantage d'air traverse le larynx, et le visage peut s'il lu miner. II ne doit pas falloir plus de vingt à trente minutes pour que ce changement s'accomplisse et que le patient se sente « remonté». On l'a Sortit temporairement de son état dépressif. . Bien qu'on ressente immédiatement l'évidence de l'effet que produit
J. Lowen, La Dépression nerveuse el le Corps, Tch ou, éditeur, J 975 .
lQ' ~n
La bioénergie une respiration p lus totale et plus profonde, ce n'est pas un traitement de l'état dépressif. Et l'effet n'est pas durable, car le déprimé ne peut arriver par lui-même à conserver spontanément à sa respiration ce caractère de profondeur. Cette inaptitude est le problème central de la dépression, et on ne peut la perlaborer que par l'analyse complète de lous les facteurs qui sont intervenus pour amener le corps à être relati vement étouffé et la personnalité à être déprimée. Mais l'analyse elle même ne sera que de peu de secours si elle n'est pas accompagnée d'un sérieux effo rt pour augmenter le niveau d'énergie du déprimé en rechar geant énergétiquement son corps. O n ne peut discuter du concept de charge énergétique sans considé rer également la décharge énergétique. Un organisme viv ant ne peut fo nctionner q ue s' il y a équil ibre entre la charge et la décharge d'éner gie. Cet équilibre maintient un niveau d'énergie compatible avec les besoins et les opportunités de l'organisme. U n enfant en période de croissance inco rpore davantage d'énergie qu'il n'en décharge et utilise ce surpl us d'énergie pour sa croissance. Cela reste vrai pour la convalescence, ou même pour la croissance de la personnalité. Croître nécessite de l"énergie. Ces cas mis à part, il est généralement vrai que la qu antité d'énergie que l'on incorpore correspond à la quantité que l'on peut décharger par ses acti vités. Toute activité nécessite et utilise de l'énergie - que ce soit les batte men ts du cœur, les mouvements péristalt iques de l'intestin, la marche, la parole, le trav ail ou les rapports sexuels. M ais aucun organisme viv ant n'est une machine. Il n'accomplit pas ses activités fo nd amentales de façon mécanique: ce sont des expressions de so n être. O n s'exprime par ses actes et par ses mouvements et, lorsque cette expression de soi est libre et appropriée à la réalité de la situation, on ressent un e impres sion de satisfaction et de plaisir due à la décharge de l'énergie. A leur tour, cette satisfaction et ce plaisir stim ulent l'organisme à augmenter les activités métaboliques, ce q ui se reflète immédiatement par une respiration plus totale et plus profonde. Les activités vitales rythmiques et involontaires fonctionnent à leur niveau optimal lorsqu'on éprouve du plaisi r. Comme je l'ai dit, le plaisir et la satisfaction représentent l'expé rience immédiate des activités qui permettent de s'exprimer. Limitez le droit d'un individu à s'exprimer et vous limitez ses occasions de plaisir et d'existence créati ve. De plus, si des forces internes (inhibitions ou tensions musculaires chroniques) limitent l'aptitude de l'ind ividu à s'ex primer, son aptitude au plaisir en est réduite. Dans ce cas, il réduira ses
40
Le concept d'énergie apports en énergie (inconsciemment, bien sûr) pour maintenir l'équili bre énergétique de son corps. I l ne suffit pas simplement de recharger quelqu'un par la respiration pour augmenter son niveau d'énergie. Il faut également dégager les voies de l'expression de soi par le mouvement, la voix et le regard, pour qu'il puisse y avoir une décharge plus importante d'énergie. Il n'est pas rare que cela se produise spontanément pendant le chargement énergéti que. La respiration peu t s'a pprofo ndir spontanément lorsqu'on s'étire sur un tabouret à respirer. On peut se mettre à pleurer su bitement, sans aucune intention consciente ni prise de conscience. Il se peut qu'on ne sache pas à ce moment-là pourquoi on pleur,e. L'approfondissement de la respiration a desserré la gorge, chargé le corps et activé des émotions refoulées, entraînant l'irruption et l'expression d' une sensation de tris tesse. Quelquefo is c'est la colère qui surgit. Mais, la plupart du temps, rien ne se passe, car on peut être trop effrayé pour s'ouvr ir et se laisser aller à ses émotions. Dans ce cas, on prendra toutefois conscience de cette « rétention» et des tensions musculaires de la gorge et de la poi ~ trine qui bloquent l'expression de l'émotion, Il peut être alors nécessaire de relâcher cette rétention par un travail phy sique direct sur les tensions mu sculaires chroniques, Comme la charge et la décharge fonctionnent de façon unitaire, la bioénergétiq ue travaille simultanément sur les deux versants de l'équa tion pour augmenter le niveau d'énergie de l'individu, élargir son expression de lui-même et restaurer la circulation de la sensibilité dans son corps. On met donc toujours l'accent sur la respiration, l'émo tion et le mouvement, associés à l'essai de relier le fonctionnement énergétiq ue actuel de l'individu à son vécu. Cette approche combinée dévoile lentement les forces intérieures (conflits) qui l'empêchent de fonctionner à son plein potentiel énergétique. C haque fois que l'on résout l'un de ces conflits intérieurs, le ni veau d'énergie augmente. C eci signi fie que l' indi vid u incorpore davantage d'énergie et en décharge davantage dans des act ivités créatrices qui sont agréables et satisfai santes . Je ne tiens pas à donner l'impression que la bioénergétique peut résoudre tous les conflits cachés, supprimer toutes les tensions chroni ques et restaurer une circulation totale de sensibil,ité d ans l'organi sme. Il se peut q ue nous n'arrivi ons pas totalem ent à attein dre ce but, mais nous instituons réellement un processus de croissance qui va dans cette direction, Toute thérapie est handicapée par le fait que nous vivons dans une cultu re qui n'est pas orientée vers l'activité créatrice et le plai
41
La bioénergie sir. Comme je l'ai souligné par ailleurs l, elle ne s'accorde pas aux valeurs et aux rythmes d'un corps vivant mais à ceux des machines et de la productivité matérielle. On ne peut s'empêcher de conclure que les forces qui inhibent l'auto-expression et qui , par conséquent, abaissent le fonctionnement énergétique dérivent de cette culture et en font partie. Toute personne sensible sait qu'il lui faut une énergie considérable pour ne pas se laisser prendre par l'allure forcenée de la vie moderne, avec ses pressions et ses tensions, ses violences et son insécurité. Le concept de circulation nécessite davantage d'explications. Le terme « circulation» se rapporte à un mouvement intérieur à l'organis me; le meilleur exemple que l'on puisse en donner est la circulation san guine. Pendant que le sang circule dans le corps il apporte des métaboli tes et de l'oxygène aux tissus, leur fournissant de l'énergie, et il les débarrasse des déchets de la combustion . Mais ce n'est pas seulement un milieu, c'est le fluide énergétiquement chargé de l'organisme. Son arrivée en un point quelconque du corps y apporte la vie, la chaleur et l'excitation. Il est le représentant et le support d'Eros 2. Considérez ce qui se passe au niveau des zones .érogènes, les lèvres, les mamelons et les organes génitaux. Lorsque le sang s'y répand (chacun de ces organes est richement irrigué par un large réseau vasculaire), on se sent excité, chaud et amoureux, et on recherche le contact d'autrui. L'excitation sexuelle est synchrone avec un amux sanguin vers la périphérie du corps, spécialement dans les zones érogènes. Il n'est pas important de déterminer si l'excitation provoque l'amux sanguin ou si le sang apporte l'excitation avec lui . Les deux vont toujours de pair. Il y a d'autres fluides chargés énergétiquement dans l'organisme, en plus du sang: la lymphe, les liquides interstitiels et les liquides intracel lulaires. La circulation d'excitation ne se limite pas au sang, mais parcourt tous les fluides de l'organisme. Du point de vue énergétique, on peut considérer l'ensemble du corps comme une simple cellule dont la peau serait la membrane. A l'intérieur de cette cellule, l'excitation peut se répandre dans toutes les directions, ou bien s'écouler dans les directions spécifiques, selon la nature de notre réaction à un stimulus. Considérer le corps comme une seule cellule ne nie pas le fait qu'i l contient de très nombreux tissus spécialisés, les nerfs, les vaisseaux sanguins, les muqueuses, les muscles, les glandes, etc., chacun d'entre eux coopérant en tant que partie de l'ensemble pour en permettre la vie. 1. Lowen, Le Plaisir. op. cil. 2. Lowen, The Physical Dynamics of CharaCler Slruclure. op . cil.
42
Le concept d'énergie On peut ressentir cette circulation comme une impression ou une sensation qui défie souvent les frontières anatomiques. N'avez-vous jamais senti la colère monter vers le haut de votre corps, chargeant les bras, le visage et les yeux? Cela peut aller de la sensation «d'avoir les oreilles échauffées» à l'engorgement apoplectique et sanguin du cou et de la tête. Lorsqu'on est en colère au point de « voir rouge», cela me semble indiquer que la rétine s'est irriguée de sang. Par ailleurs, la sensation de colère peut avoir un caractère ( et une apparence) froid et blanc, dû à la vasoconstriction périphérique qui empêche le sang d'at teindre la surface. Il existe aussi une colère noire, entourée d'un sombre nuage de haine. Le déplacement vers le haut du sang et de l'excitation peut engendrer une émotion totalement différente lorsque le sang suit des canaux diffé rents et excite d'autres organes. Un déplacement d'excitation vers l'avant du corps, allant du cœur vers la bouche, les yeux et les mains, donnera naissance à l'impression de désir, exprimée par une attitude d'ouverture et d'extension. Le déplacement de la colère se fait vers l'ar rière du corps. Un déplacement du sang et de l'excitation vers le bas produit quelques sensations intéressantes. On peut les éprouver sur un toboggan ou lors des arrêts et démarrages brusques d'un ascenseur. Ces sensations sont très recherchées par les enfants, qui se les procurent en se balançant. Elles sont très intenses et très agréables lorsqu'elles donnent la sensation abdominale de fondre, accompagnée d'une forte charge sexuelle. Mais le même déplacement peut s'associer à l'angoisse, et la sensation abdominale est alors une sensation de chute. Lorsqu'on réalise que 99 % du corps sont composés d'eau, dont une partie est structurée mais la plus grande part sous forme fluide, on peut se représenter les sensations, les impressions et les émotions comme des courants ou des vagues parcourant ce corps liquide. Les sensations, les impressions et les émotions sont les perceptions de mouvements inter nes de ce corps relativement fluide. Les nerfs établissent un lien entre ces perceptions et coordonnent les réactions, mais les impulsions et les mouvements sous-jacents sont inhérents à la charge énergétique de l'or ~anisme, à ses rythmes et à ses pulsations naturelles. Ces mouvements Internes représentent la motilité de l'organisme, différenciée des mouve ments volontaires qui sont soumis au contrôle conscient. Ces mouve ments internes sont particulièrement évidents chez les très jeunes enfants. Lorsqu'on regarde le corps d'un bébé, on peut voir un jeu perpétuel de déplacements, comme les vagues d'un lac, mais ces mouve ments sont produits par des forces internes. A mesure que l'on vieillit,
43
Le concept d'énergie
La bioénergie la motilité tend à décroître. On devient plus structuré et plus raide, jusqu' à ce que, finalement, tout mouvement cesse avec la mort. T ous no s mouvements volontaires ont également une composante involontai re qui représente la motilité fondamentale de l'organisme. Cette composante involontaire, qui s'intègre à l'action volontaire, explique le caractère vivant ou la spontanéité de nos actes et de nos mouvements. Lorsqu'elle est réduite ou absente, les mouvements ont un caractère mécanique, peu vivant. Les mouvements purement volontai res ou conscients font naître peu de sensations autres que l'impression kinesthésique de déplacement spatial. La sensibilité d'un mouvement expressif vient de sa composante involontaire, composante qui n'est pas soumise au contrôle conscient. La fusion des éléments conscients et inconscients, ou des composantes volontaires et involontaires, donne naissance à des mouvements qui ont une touche émotionnelle, mais qui son t des actes coordonnés et efficaces. La vie émotionnelle de l'individu dépend de la motilité de son corps, qui est à son tour fonction de la circulation de l'excitation. Cette circu lation est perturbée par des blocages qui se manifestent dans les zones où la motilité du corps est réduite. Dans ces zones, on peut facilement palper ou sentir avec les doigts la spasticité de la musculature. Les termes « blocage)), « caractère éteint )) et « tension musculaire chronique)) se référent donc au même phénomène. On peut en général affirmer la présence d'un blocage à la vue d'une zone qui semble éteinte et à la palpation de la contraction musculaire qui la rend telle. Comme le corps est un système énergétique, il est en constante inter action énergétique avec son environnement. A part l'énergie qui vient de la combustion de la nourriture, on s'excite ou on se charge par le contact avec des forces positives . U ne journée claire et brillante, une scène agréable, une personne heureuse ont un effet stimulant. Les jours sombres et lourds, la laideur et les gens déprimés ont un impact négatif sur notre énergie et semblent exercer une influence· dépressive. Nous sommes tous sensibles aux forces ou aux énergies qui nous entourent, ma is leur impact n'est pas le même sur tous. Une personne plus forte ment chargée résiste mieux aux influences négatives. E;n même temps, elle a une influence pos itive sur les autres, surtout lorsque l'excitation circule librement et totalement dans son organisme. C'est une joie que d'être avec de telles personnes, et nous le ressentons tous intuitivement.
44
Vous êtes votre corps La bioénergétique repose sur cette propOSitIOn simple: chacun est son corps. Nul n'existe en dehors du corps vivant où se passe son exis tence et au moyen duquel il s'exprime et entre en relation avec le monde qui l'entoure. Il serait insensé de mettre en doute cette proposition: comment nommer une partie de soi-même qui n'appartienne pas à son corps? L'esprit, la pensée et l'âme font partie de tout corps vivant. Un cadavre ne pense plus, il a rendu l'esprit et son âme l'a quitté. Si vous êtes votre corps, et que votre corps est vous, il exprime alors qui vous êtes. C'est votre manière d'être dans le monde. Plus votre corps est vivant, plus vous êtes dans le monde. Quand votre corps perd une partie de sa vitalité, par exemple quand vous êtes épuisé, vous tendez à vous retirer. La maladie a le même effet, elle entraîne un retrait. On peut même sentir le monde un peu à distance, ou le voir à travers un brouillard. Par ailleurs, il y a des jours où l'on se sent rayon nant de vie et où le monde paraît plus lumineux, plus proche, plus réel. Nous aimerion~ tous être et nous sentir plus vivants, et la bioénergé tique peut nous aider à atteindre ce but. Comme le corps exprime qui l'on est, il donne à autrui une impres sion du degré auquel on existe dans le monde . Ce n'est pas par hasard qu'on utilise des termes comme « un rien du tout», pour parler d'un indi vidu dont l'être n'arrive pas à impressionner, ou « c'est quelqu'un», pour décrire celui qui fait une forte impression . C'est tout simplement le langage du corps . De la même façon, un état de retrait ne reste pas secret. O n peut le sentir, comme on perçoit la fatigue ou un état mala dif. La lassitude s'exprime par de nombreux signes visuels ou auditifs: les épaules tombent, la peau du visage s'affaisse, le regard manque d'éclat et la voix reste égale ou manque de résonance. L'effort fait pour masquer cette sensation se trahit lui-même, en révélant la tension de cette tentative que l'on s'impose. On peut aussi deviner ce que ressent quelqu'un à partir de ce qu'ex prime son corps. Les émotions sont des événements physiques; ce sont littéralement des mouvements ou des déplacements à l'intérieur du corps, qui ont en général pour résultat une action extérieure. La colère provoque une tension et, comme nous l'avons vu, un déplacement vers le haut du corps, où sont localisés les principaux organes d' attaque: les dents et les bras . On reconnaît la personne en colère à son visage empourpré, ses poings serrés, ses lèvres retroussées pour montrer les
45
La bioénergie dents. Chez certains animaux, le poil se hérisse le long du dos et du cou; c'est une autre façon de manifester cette émotion. L'affection ou l'amour entraînent un adoucissement de tous les traits, et la chaleur se répand sur la peau et dans le regard. La tristesse provoque un regard attendrissant, comme si l'on était sur le point de fondre en larmes. Mais le corps en révèle bien davantage. L'attitude que l'on a envers la vie, le style personnel de chacun se reflètent à la façon dont on se tient, au maintien, et à la façon dont on bouge. On peut distinguer celui qui a ce que l'on appelle un noble maintien ou un port royal de celui dont le dos courbé, les épaules arrondies et la tête légèrement inclinée indiquent qu' il se soumet aux fardeaux qui l'accablent lourdement. Il y a quelque temps, j'ai traité un jeune homme au corps grand, gras et informe. Il se plaignait d'en avoir tellement honte qu'il refusait de se mettre en maillot de bain sur une plage. Il avait aussi l'impression d'une insuffisance sexuelle. Pendant plusieurs années, il avait lutté pour surmonter ses handicaps physiques en faisant de la marche et en se mettant au régime, mais sans succès. Pendant la thérapie, il réalisa que son apparence physique exprimait un aspect de sa personnalité qu'il avait été incapable d'accepter auparavant - à savoir qu'une partie de lui-même s'identifiait à une grosse et grasse méduse, plus à un bébé qu'à un homme. Ceci s'exprimait aussi par sa façon de s'asseoir en se vautrant sur la chaise et par le débraillé de ses vêtements. Il réalisa alors qu'être un gros bébé avachi constituait une attitude inconsciente qu'il avait adoptée pour résister aux demandes continuelles de ses parents: qu'il grandisse, qu'il soit un homme, qu'il réussisse. Ses conflits réels étaient plus profonds que ne l'indique cette phrase, mais on les retrouvait tous en abrégé dans cette attitude physique. Au niveau conscient, ou au niveau du Moi, il en passait par les demandes de ses parents, mais aucun effort déterminé ne pouvait affecter sa résistance inconsciente au niveau du corps. On ne peut pas réussir dans la vie en luttant contre soi-même. L'effort que l'on fait pour surmonter son corps est voué à l'échec. On doit reconnaître les similitudes et les différences entre les proces sus physiques et psychiques. Mon patient n'était pas simplement une larve grosse, grasse et infantile. Il était aussi un homme et essayait de tout son cœur de fonctionner à ce niveaU. Mais il n'était pas totalement un homme, car son corps et son inconscient le maintenaient fixé à un niveau infantile. C'était un homme qui essayait de réaliser son potentiel, mais qui y échouait. Son corps révélait ces deux aspects de façon
46
Le concept d'énergie marquée, car il était grand comme le corps d'un homme, mais ses replis de graisse le faisaient ressembler à un bébé. De nombreuses personnes sont handicapées de façon similaire par un conflit inconscient entre différents aspects de leur personnalité. Le conflit le plus fréquent est celui entre les demandes insatisfaites , les besoins du nourrisson qui est en elles et les efforts, les pulsions de l'adulte. L'état adulte nécessite d'être indépendant (tenir debout tout seul) et de prendre la responsabilité d'accomplir ce que l'on veut et ce que l'on désire. Mais, chez ceux qui présentent ce conflit, l'effort en vue d'être indépendant et responsable est sapé par le désir inconscient d'être aidé et protégé. Il en résulte un tableau mélangé psychologiquement et physiquement. Une telle personne présente dans son comportement une indépendance exagérée, jointe à la peur de la solitude ou à l'incapacité de prendre une décision . Le même tableau mélangé se retrouve dans son corps. Les aspects infantiles de sa personnalité peuvent se manifester par la petite taille des pieds et des mains, par des jambes minces, en baguettes de tambour, qui semblent ne pas pouvoir supporter le poids du corps, ou par le manque de développement de la musculature qui n'a pas le potentiel agressif permettant d'obtenir ce que l'on veut ou ce dont on a besoin. Dans d'autres cas, il y a conflit entre la gaieté de l'enfant et le réa lisme de la part adulte de la personnalité. En surface, la personne semble sérieuse, souvent sévère, rigide, laborieuse et moraliste. Puis, lorsqu'elle essaie de se détendre ou de se laisser aller, elle devient infan tile. Ceci est particulièrement évident lorsque de telles personnes boivent. L'enfant a lui aussi des farces et des plaisanteries déplacées . Le visage et le corps ont dans ce cas un caractère contracté, dur et tendu qui les fait paraître âgés. Mais l'on peut fréquemment surprendre une expression puérile sur leur visage, accompagnée d'un sourire ou d'une grimace qui manifeste un sentiment d'immaturité. Ce conflit surgit lorsqu'on ne laisse pas s'exprimer librement et tota lement la gaieté naturelle de l'enfant. Supprimer la curiosité sexuelle de l'enfant et son penchant à aimer les drôleries n'élimine pas ces tendan ces. Elles s'enterrent et s'éloignent de la conscience, mais restent vivan tes dans les couches souterraines de la personnalité et ressortent sous ' forme de perversions, des tendances naturelles lorsqu'on se laisse aller. Les caractéristiques de l'enfant ne sont pas intégrées à la personnalité, mais en sont scindées et y restent prisonnières comme un corps étranger n'appartenant pas au Moi. O n est la totalité des expériences que l'on a vécues; chacune d'elles
47
Le concept d'énergie
La bioénergie s'enregistre dans la personnalité et se structure au niveau du corps. Tout comme le trappeur peut lire l'histoire de la vie d'un arbre à partir d'une section transversale du tronc montrant les anneaux de croissance annuels, le thérapeute bioénergéticien peut lire l'histoire d'un individu dans son corps. Ces deux études nécessitent du savoir et de l'expérience, mais elles se fondent sur les mêmes principes. A mesure que l'organisme humain grandit, il ajoute des couches à la personnalité; chacune de ces couches reste vivante et active chez l'adulte. Lorsqu'elles sont toutes accessibles à l'individu , elles consti tuent une personnalité intégrée et dépourvue de conflits. Si l'une de ces couches ou, pour cette raison, une expérience sont refoulées et non accessibles, la personnalité est en conflit et par conséquent limitée. La figure qui suit présente un diagramme schématique de ces couches:
On peut résumer comme suit les caractéristiques qu'ajoute chaque couche à l'existence : Bébé Jeune enfant Garçon ou fille Adolescence Adulte
48
amour et plaisir créativité et imagination jeu et amusement romanesque et aventure = réalité et responsabilité
Lorsque nous parlons de caractéristiques, il vaut peut-être mieux préciser que la croissance considérée ici consiste dans le développement et l'expansion de la conscience. Chaque couche représente alors une nouvelle perception du Soi et de ses potentialités, une nouvelle conscience du Soi dans son rapport au monde. Mais la conscience n'est pas une unité détachée ou isolée de la personnalité. C'est une fonction de l'organisme, un aspect d'un corps vivant. Elle se développe en rela ti on avec la . croissance physique, émotionnelle et psychologique du corps. Elle dépend de l'expérience; elle gagne en profondeur par l'ac quisition de compétences; elle se confirme par l'activité. En' mettant en parallèle ces couches et les caractéristiques de la conscience, je ne sous-entends pas que chaque nouvelle dimension du Moi se dresse parfaitement formée dans une certaine tranche d'âge. Le jeu commence en réalité pendant la petite enfance, mais n' atteint son plein développement que lorsque cette phase est passée. Je pense que la conscience du jeu et l' impression de joie sont plus caractéristiques des garçons et des fi ll es que des jeunes enfants. Une explication plus détail lée de chaque couche avec ses caractéristiques rendra le parallèle plus signific atif. L e bébé est caractérisé par son désir d'intimité physique, surtout avec sa mère. Il veut qu 'on le porte, qu'on le caresse, qu'on l'accueille a vec joie et qu'on l'accepte. Comme je l'ai souligné dans un ouvrage précédent, on peut défi nir l'amour comme le désir d'un rapprochement intime. Lorsque son besoin d'intimité est satisfait, le bébé ressent du plaisir. L a privation de cette intimité qui lui est nécessaire provoque de la dou leur . Tout sentiment d' amour vient chez l'adu lte de cette couche de sa personnalité. L'amour n'est pas essentiellement différent chez l'adulte et chez l'enfant, bien que la façon de l'expr imer ait pu varier. Le désir d' une étro ite intim ité sous-tend tout amour. Celui qui a gardé le contact avec le bébé qu'il a été et qui fait toujours partie de lui sait ce q u'est l'amour. Il est également en contact avec son propre cœur. Les blocages ~ui empêchent d'éprouver l'amour dans toute sa plénitude sont propor tionnels au degré de séparation de son cœur ou du bébé que l'on a été. La petite enfance ajoute une nouvelle dimension et un nouveau. caractère à l'existence. Le besoin continu d 'i ntimité cède la place au bes.oin nouveau d'exploration du monde - besoin facilité par l'amélio ration de la coordination motrice de l'enfant. L'enfant crée le monde ~ans SOn esprit grâce à cette exploration des personnes et des choses, de 1 espace et du temps. Comme il n'est pas gêné par un sens structuré de
49
La bioénergie la réalité, son imagination n'a pas de contraintes. Pendant cette phase, il crée également au niveau conscient son sens du Soi; au cours de cette création/il explore en imagination la possibilité d'être d'autres Soi, sa mère par exemple. Je crois que l'on peut dire que la petite enfance est finie lorsqu'on est arrivé à une représentation cohérente de son monde personnel et du Soi personnel. En ayant fini avec cette étape, le garçon ou la fille met à l'épreuve son monde personnel par ses jeux. La maîtrise accrue de la dextérité motrice et ses jeux avec d'autres enfants constituent une forme d'amusement joyeuse parce que libre et très gratifiante. Il y a davantage d'excitation dans le jeu des garçons et des filles que dans ceux des enfants d'âge tendre, ce qui explique aussi l'impression de joie ressentie pendant toute cette phase de l'existence. Le sentiment de liberté est également plus important; il découle d'une indépendance qui n'est pas encore chargée de responsabilités. L'adolescence est marquée par une nouvelle augmentation du ni,:eau d'excitation possible, liée à l'intérêt qui se manifeste pour le sexe opposé et à l'augmentation de l'intensité de la pulsion sexuelle. Dans l'idéal, l'adolescence est la période du romanesque et des aventures, combinant le profond plaisir de l'intimité avec autrui, de l'imagination et de la créativité mentale de l'enfant aux défis et aux jeux des plus jeunes. Quand les conséquences possibles ont une sérieuse réalité et que l'on en prend la responsabilité, on a atteint le stade adulte. L'adulte est un être conscient des conséquences de son comporte ment, et qui en assume la responsabilité. Toutefois, s'il perd le contact avec les impressions d'amour et d'intimité qu'il ressentait bébé, avec l'imagination créatrice de l'enfant, avec les jeux et la joie du jeune garçon, avec l'esprit d'aventure et le sens du romanesque de son adoles cence, il restera un être stérile, étroit et rigide. Un adulte sain est à la fois bébé, petit enfant, garçon ou fille, et adolescent. Son sens de la réalité et des responsabilités englobe le besoin et le désir d'intimité et d'amour, la possibilité d'être créatif, la liberté d'être joyeux et l'esprit d'aventure. C'est un être humain intégré et pleinement conscient. Pour comprendre un corps vivant, il faut écarter les concepts méca niques. Les mécanismes de fonctionnement du corps sont importants, mais ils n'expliquent pas ce fonctionnement . L'œil, par exemple, n'est pas simplement une caméra; c'est un organe sensitif de perception et un organe expressif de réaction. Le cœur n'est pas simplement une pompe; c'est un organe qui permet de ressentir, ce que ne peut faire aucune pompe. Nous sommes des êtres sensibles, ce qui signifie que nous avons 50
Le concept d'énergie le pouvoir de ressentir et de percevoir, d'éprouver des sensations ou des impressions. La perception est une fonction de l'esprit, qui est un aspect du corps. Un corps vivant a un esprit, possède une personnalité et contient une âme. Comment ces concepts sont-ils compris par la bioé nergétique?
Esprit, personnalité et âme Actuellement, on aime à dire que la dichotomie corps-esprit est une création de la pensée humaine, que le corps et l'esprit ne font réellement qu'un. Nous les avons considérés trop longtemps comme des entités séparées, qui s'influencent l'une l'autre mais qui ne sont pas directement reliées. Cette attitude n'a pas totalement changé. Nos procédés éduca tifs sont encore scindés entre l'éducation de l'esprit et l'éducation physi que, qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre. Peu de professeurs d'éduca tion physique croient pouvoir affecter la capacité d'apprendre d'un enfant au moyen de la gymnastique ou d'un programme athlétique. Et, de fait, cela arrive rarement. Cependant, si le corps et l'esprit ne font qu'un, une vraie éducation physique devrait être en même temps une éducation mentale correcte, et réciproquement. Je pense que ce problème vient de ce qu'on rend hommage en paroles au concept d'unité, mais qu'on n'arrive pas à l'appliquer dans la vie quotidienne. On suppose qu'on peut éduquer l'esprit d'un enfant sans se soucier de son corps. On peut gaver son esprit d'informations sous la menace de l'échec et des punitions. Malheureusement, l'information ne se transforme en savoir que si elle est applicable à l'expérience. On néglige constamment le fait que l'expérience est un phénomène physi que. On ne peut expérimenter que ce qui a lieu au niveau de son corps. L'expérience de chacun est brillante ou terne selon le degré de vitalité de Son corps. Lorsque des événements du monde extérieur affectent le corps, on en fait l'expérience, mais ce qu'on ressent en réalité c'est leur effet sur le corps. . La faiblesse de la théorie psychanalytique est d'ignorer le corps quand elle essaie d'aider le patient à perlaborer ses conflits émotionnels. Comme elle n'arrive pas à fournir d'expériences physiques significati ves, les idées qui surgissent au cours du traitement restent incapables de produire tout changement important de la personnalité. J'ai vu trop souvent des patients qui avaient obtenu, par des années de psychana lyse, beaucoup d'informations ~t une certaine connaissance de leur état,
51
La bioénergie
l' "
mais dont les problèmes principaux n'avaient pas été touchés. Le savoir se transforme en compréhension lorsqu'il s'associe à l'émotion.-Seule une profonde compréhension, chargée de fortes émotions, est capable de modifier des schémas de comportement structurés. Dans mes ouvrages précédents, j'ai exploré assez profondément le problème corps-esprit. J'aimerais insister ici sur certaines fonctions qui ont un impact important sur la bioénergétique. Tout d'abord, l'esprit a une fonction directrice pour ce qui se rapporte au corps. On peut diriger son attention, au moyen de l'esprit, sur différentes parties du corps, et se concentrer ainsi plus fortement sur ces zones. Permettez-moi de vous suggérer une expérience simple. Étendez votre bras droit devant vous, en le laissant souple, et centrez toute votre attention sur votre main. Restez fixé sur votre main pendant environ une minute, tout en respi rant de façon détendue, et vous ressentirez probablement votre main de façon différente. Vous pourrez y sentir un courant, elle est maintenant chargée et cuisante. Elle peut se mettre à vibrer ou à trembler légère ment. Si vous ressentez cela, vous pouvez réaliser que vous avez dirigé un courant d'excitation ou d'énergie vers votre main. Pendant les ateliers de bioénergétique, j'utilise une variante de cette expérience pour la rendre plus intense. Je demande à chacun de serrer fortement les doigts d'une main contre les doigts de l'autre, en les tendant et en écartant les paumes des mains le plus possible. Sans laisser les doigts s'écarter, on tourne les mains vers l'intérieur, pour qu'elles pointent vers la poitrine, et on les pousse en avant, sans les séparer. On garde cette position d'hyperexten sion environ une minute, en respirant de façon détendue. Au bout d'une minute, les mains sont souples et pendent librement. On peut à nouveau ressentir le courant d'énergie, la charge, des picotements et des vibra tions. Si vous faites cet exercice d'expérience du corps, vous pourrez noter également que votre attention se centre sur vos mains, à cause de leur augmentation de charge. Vos mains sont en état de tension ou de charge accrue, qui peut se déplacer puisqu'elle vient de l'attention. Si on rapproche lentement les mains jusqu'à ce que les paumes ne soient qu'à cinq ou six centimètres l'une de l'autre, au moment de leur détente, pendant qu'elles sont encore chargées, on peut sentir-la charge qui passe entre elles, comme si elle avait une substance et un corps. L'esprit peut diriger l'attention vers l'intérieur ou vers l'extérieur, sur le corps ou sur des objets externes. En effet, on centre son énergie sur soi, ou bien sur le monde extérieur. Une personne saine peut faire alter ner ces deux centres de concentration assez facilement et assez rapide-
52
Le concept d'énergie ment pour être consciente, presque en même temps, de son Soi physique et de l'environnement. Une telle personne est attentive à ce qui se passe en elle comme à ce qui se passe chez autrui. Mais tout le monde n'en est pas capable. Certains deviennent trop attentifs à eux-mêmes et dévelop pent ainsi une gênante conscience d'eux-mêmes. D'autres sont si atten tifs à ce qui se passe autour d'eux qu'ils perdent conscience d'eux mêmes. Cela arrive fréquemment aux hypersensibles.
Faire attention à son corps est l'un des principes de la bioénergéti que, car ce n'est que de cette façon qu'on sait qui on est, c'est-à-dire qu'on connaît son propre esprit. Dans cette liaison, l'esprit fon ctionne comme un organe perceptif et réfléchissant, qui perçoit et qui définit l'humeur, les impressions, les désirs, etc. Connaître réellement son propre esprit, c'est savoir ce qu 'on veut ou ce qu 'on ressent. Si l'on ne ressent rien, on n'a à penser à rien (à fa ire attention à rien) et l'on n'a donc pas d'esprit. Lorsque les actes de quelqu'un sont influencés par
53
La bioénergie
Le concept d'énergie
autrui et non par ses propres impressions, son esprit ne lui appartient pas. Lorsqu'on ne peut pas prendre de décision, cela dénote qu'on est conscient de deux émotions opposées, chacune étant aussi forte que l'autre. Dans de tels cas, il est en général impossible de se décider, jusqu'à ce que l'une de ces émotions devienne la plus forte et l'emporte. Perdre l'esprit, comme c'est le cas dans la folie, consiste à ne pas savoir ce que l'on ressent. Cela se produit lorsque l'esprit est submergé par des impressions qu'il ne peut accepter et sur lesquelles il n'ose pas se concentrer. A ce moment-là, on sépare ou on dissocie sa perception consciente de son corps. On peut se dépersonnaliser, ou tomber dans la folie furieuse, abandonnant toute tentative de possession de soi. Si l'on ne fait pas attention à son corps, c'est parce qu'on a peur des émotions qu'on pourrait ressentir ou percevoir. Lorsque les émotions ont un caractère menaçant, on les refoule généralement. Ceci s'accom plit par l'établissement de tensions musculaires chroniques qui ne permettent ni circulation d'excitation ni mouvement spontané dans les zones concernées. On refoule souvent sa peur parce qu'elle a un effet paralysant, sa rage parce qu'elle est trop dangereuse, et son désespoir parce qu'il est trop décourageant. On va également refouler la cons cience d'une douleur, comme celle qu'entraîne la non-satisfaction d'un désir, parce qu'on ne peut pas supporter cette douleur. Le refoulement de l'émotion diminue l'état d'excitation du corps et affaiblit l'aptitude à la concentration de l'esprit. C'est la cause principale de l'affaiblisse ment de l'esprit. Nos esprits sont préoccupés, la plupart du temps, par la nécessité de garder le contrôle, au détriment de celle d'être et de se sentir plus vivant. L'esprit et la personnalité sont également reliés. On détermine la force de la personnalité de quelqu'un à sa façon de vivre et de vibrer, littéralement à sa quantité d'énergie. Le lien entre l'énergie et la person nalité est immédiat. Lorsqu'on s'excite et que l'énergie augmente, la personnalité devient plus marquée. C'est en ce sens que nous parlons de la personnalité de quelqu'un ou de la personnalité d'un cheval. Je défini rai donc la personnalité comme la force vitale contenue dans l'orga nisme, qui se manifeste par l'expression de soi de l'individu 1. Le type de la personnalité caractérise l'individu et, quand celle-ci est forte, elle le distingue de ses semblables.
On a associé la force vitale, ou personnalité, à la respiration. La Bible relate que Dieu insuffia sa force vitale à une motte d'argile, lui donnant ainsi la vie. En théologie, l'Essence divine, ou Saint-Esprit, est appelée « pneuma», terme défini dans le dictionnaire par « âme ou essen ce vitale)J. Le mot « pneuma» vient du grec, où il signifie « vent, souffie ou esprit », et dérive du grec phein qui signifie « souffier, respirer ». De nombreuses religions orientales mettent un accent particulier sur la respiration en tant que moyen de communion avec l'universel. La respi ration joue un~ rôle important en bioénergétique, parce que ce n'est qu'en respirant totalement et profondément que l'on peut rassembler l'énergie qui permet de mener une existence plus ardente et plus spiri tuelle. L'âme est un concept beaucoup plus difficile à manier que l'esprit ou la personnalité. Sa signification originelle est « le principe de vie, de sen ti ment, de pensée et d'action chel, l'homme, considéré comme une entité distincte séparée du corps 1 ». On l'associe à la vie aprés la mort, à l'enfer et au paradis, thèmes capitaux que l'on rejette actuellement. En fait, la seule mention du mot, dans un ouvrage comme celui-ci qui tient à avoir une validité objective, peut en détourner certains lecteurs. Ils ne peuvent concilier l'idée d'une entité séparée du corps et le concept d'unité que représente la bioénergétique. Mais à ce niveau, je ne peux moi non plus les concilier. Heureusement, tout le monde considère que l'âme reste dans le corps jusqu'à la mort. Je ne sais pas ce qui se passe au moment de la mort, ni ensuite. La question ne me préoccupe pas, puisque je m'intéresse surtout au corps pendant sa vie, c'est-à-dire au corps vivant. Un corps vivant a-t-il une âme? Cela dépend de la façon dont on défi nit le mot dme». Le Random House Dictionary en donne une quatrième signification: « la partie émotionnelle de la nature humaine; le siège des émotions et des sentiments ». Ses synonymes sont esprit et cœur. Ceci n'apporte pas beaucoup d'aide, car on pourrait alors se dispenser simplement du terme. Ce mot a pour moi une signification entièrement différente, qui m'aide à comprendre les êtres humains. Je considère que l'âme est l'impression ou la sensation d'appartenir à un ordre élargi, ou universel. Un tel sentiment peut venir de ce qu'on ~'est réellement ressenti comme faisant partie de l'univers ou comme y etant relié de façon vitale ou spirituelle. J'utilise le terme «'spirituel» non
1. Voir Lowen, La Dépression nerveuse el le Corps, op. cil., pour une expo sition plus complète de ces concepts.
1. The Random House Dictionary of the English Language, èdition complète (New York, 1970).
54
55
Le concept d'énergie
La bioénergie dans son sens abstrait ou mental, mais au sens d'essence, pneu ma ou énergie. Je pense que l'énergie de notre corps est en contact et interagit avec l'énergie qui nous entoure dans l'univers. Nous ne sommes pas un phénomè ne isolé. Mais tout le monde ne sent pas ce lien ou ce contact. J' ai l'impression que ceux qui sont isolés, aliénés, qui manquent de contact, ont perdu leur âme, âme dont je sens la présence chez ceux qui ont l'i mpression de faire partie de quelque chose qui les englobe. Nous naissons avec des liens, bien que le plus visible d'entre eux, le cordon ombi lical, so it coupé à la naissance. Tant qu ' il était à l'œuvre, le bébé fa isait, en un sens, encore partie de sa mére. Bien qu'il commence dès sa naissance à mener une existence totalement indépendante, il reste lié à sa mère, énergétiquement et émotionnellement. Il réagit à son exci tation et il est affecté par son humeur. Je ne doute pas que le bébé perço ive son lien et son appartenance à sa mère. Il a une âme, et ses yeux ont souvent ce regard profond dont nous disons qu' il est plein d'âme. La croissance est une expansion sur plusieurs niveaux. On crée de nouveaux liens et on les expérimente . Le premier est le lien avec 'les autres membres de la famille. Une fois que ce lien est créé, il y a des échanges énergétiques entre le bébé et chaque membre de la famille, et un échange avec la famille en tant que groupe. Les membres de sa fam ille deviennent une partie de son univers, tout comme il devient partie du leur. A mesure que la conscience se développe et que les contacts augmen tent, il va dé velopper des cercles relationnels plus larges . Il incorpore le monde des plantes et des anim aux, et s'y identifie également. Puis la communauté dans laquelle il vit devient sa communauté, tout comme il en devient un membre. Et ai nsi de suite, à mesure qu'il avance en âge. Si le contact ne se rompt pas, il ressentira son appartenance au grand ordre naturel terrestre. Comme il en fa it partie, il lu i appartient. A un autre ni veau de pensée, la petite communauté s'étend pour englober la nation, puis l'h umanité. Plus élo ignés encore se trouvent les étoiles et l'univers. Le reg ard des vieilles gens est parfois distant, comme si leur vision se centrait sur l'infini . C 'est comme si, vers la fin de l'existence, l'âme prena it contact avec son dernier lieu de repos. Le diagram me suivant présente l'expans ion des relations sous la forme d'une série de cercles concentriques. Ce diagramme est similaire à celui du chapitre précédent, qui illustrait, dans un contexte différent, les niveaux de dèveloppement de la conscience . A mesure que la conscience s'élargit, elle incorpore davantage le monde extérieur dans 56
la psyché et la personnalité de l'individu. Au niveau énergetlque, co mme au niveau psychique, l'organisme nouveau-né ressemble à une fl eur q ui déplie lentement ses pétales et s'ouvre au monde. En ce sens, l'âme est présente à la naissance, mais rudimentaire. En tant qu'aspect de l'organi sme elle passe elle aussi par les processus naturels de crois sance et de maturation, à la fin desquels elle s'identifie totalement au cosmos et perd son caractère individualiste. On peut concevoir qu' il soit possib le que l'énergie li bre de l'organisme quitte le corps à sa mort pour fusion ner avec l'énergie cosmique ou universelle. On d it que l'âme quitte le corps à la mort. La vie appar aît dan s le monde sous la forme d'un être : celui qui est, mais se contenter d'être semble dépourvu du sentiment de s'accomplir. L'une de mes patientes me rendit cel a évident lorsqu'elle me dit: « Il ne suffit pas d'être. Je voudrais me sentir appartenir, et je n'y arrive pas.» LES ÉTOILES ET LE COSMOS
UNI V ERS
57
La bioénergie L'extension de l'être dans le monde grâce aux relations et aux identifica tions permet à la sensation d'appartenance de se manifester. L'être désire cette extension: faire partie d'un ensemble. La sensation de désir, l'une des plus importantes de l'organisme, reflète son besoin de contact avec son environnement et le monde. C'est par l'appartenance que l'âme échappe aux limites étroites du Soi, sans en perdre la conscience qui constitue son existence individuelle.
La vie du corps: les exercices bioénergétiques J' ai mentionné au Chapitre Premier qu'avant de rencontrer Reich je m'étais intéressé aux sports et à la calisthénie. La vie du corps m'avait toujours particulièrement attiré - attrait qui aurait normalement dû me pousser à mener une vie au grand air. Mais je m'étais également intéres sé à la vie de j'esprit et je ne pouvais donc pas m'abandonner totalement à l'un ou à l'autre de ces deux aspects de ma personnalité. Je me sentais scindé et je luttais contre ces besoins conflictuels, espérant trouver une solution. Je ne suis naturellement pas le seul à m'être posé ce problème. La plupart des ind ividus d' une culture civilisée souffrent de la même dicho tomie. Et la plupart des cultures ont dû trouver des moyens de laisser la vie du corps circuler et vibrer face aux demandes conflictuelles de la vie intellectuelle. Dans les cultures occidentales, le sport a été et est toujours j'une des principales voies permettant de mobiliser consciem ment son corps et de le mettre à l'épreuve. On assiste actuellement à un intérêt croissant pour les sports, joint à une conscience accrue de l'im portance d'exercices physiques réguliers pour la santé. Dans la dernière décennie, plusieurs programmes d'exercices physiques sont devenus très populaires, parmi lesquels les exercices de la Royal Canadian Air Force et les « Aerobiocs», qui se fondent sur des secousses. Malheureu sement, l'attitude américaine envers le corps est très lourdement enta chée de considérations du Moi. Il en résulte que pour la plupart des gens le plaisir et la satisfaction physique qui dérivent du sport passent en seconde position, derrière la satisfaction du Moi: gagner. L' accent mis sur la compétition ajoute souvent à l' activité un degré de tension qui annule sa valeur de stimulation et de libération du corps. Nous connaissons tous le joueur de golf dont la matinée est gâchée par un mauvais pot. Les mêmes pulsions du Moi, réussir et rester à la mode, se retrouvent dans les programmes d'exercices physiques. On les suit pour 58
L e concept d'én ergie améliorer son apparence, pour avoir l' air plus sain, ou pour développer ses muscles. Le corps idéal a les mêmes caractéristiques qu'un cheval de course: lisse, soigné et prêt à gagner. La vie du corps est constituée de sensations: se sentir vivant, vibrant, bien, excité, en colère, triste, joyeux et finalement satisfait. C'est le manque d'émotions, ou la confusion des émotions, qui amène les g'ens en thérapie. Je me suis aperçu que les athlètes, les danseurs, les passionnés d'exercices physiques souffrent tout autant que les autres de ce manque et de cette confusion. Et il en était de même pour moi, malgré mon intérêt pour le sport et les exercices physiques . La thérapie me"permit d'atteindre mes émotions et de m'y ouvrir, retrouvant ainsi une partie de la vie de mon corps. Les thérapies reichienne et bioénergé tique visent toutes deux ce but. Mais un problème restait posé. Comment peut-on garder le courant et la pulsation de vie de son corps une fois que la thérapie est terminée? Notre culture, qui rejette la vie, ne nous y aide pas; mais c'est une nécessité. C'est une question que Reich ne prit jamais en considération . Il pensait que l'on peut arriver à l'accomplissement en dirigeant son énergie vers l'extérieur. Sa philosophie s'exprimait par le dicton: « L'amour, le travail et la connaissance sont les sources de la vie. Ils devraient la gouverner. » Cette phrase ne laisse comme voie prin cipale à l'expression de la vie du corps que l'activité sexuelle, voie à la fois trop étroite et trop restreinte . Ma solution personnelle consista à utiliser les exercices bioenergéti ques mis au point pour améliorer la thérapie chez moi, comme une routine régulière. Il y a maintenant environ vingt ans que je les pratique. Ils m'ont rendu capable non seulement de rester en contact avec mon corps et de le garder vivant, mais encore de continuer la croissance que la thérapie avait commencée. Je les ai trouvés si utiles que j'encourage mes patients à les faire chez eux, en supplément à la thérapie. Tous ceux qui le font m'en ont confirmé la valeur. Et nous avons, à l'heure actuel le, institué des cours réguliers d'exercices bioénergétiques pour nos patients ou d' autres personnes s'intéressant à la vie de leur corps. Comme l'intérêt que l'on porte à son corps dure toute la vie, nous espé rons q ue la pratique de ces exercices durera tout autant. Le désenchantement dû à l'attitude « anti-vie » de la culture occi dentale a conduit beaucoup de gens à s'intéresser aux disciplines, philo sophies et religions orientales . La plupart d'entre elles reconnaissent l'importance d'un programme d'exercices physiques, essentiel pour le développement spirituel. L'intérêt répandu pour le yoga en est une 59
Le concept d'énergie La bioénergie démonstration évidente. Je m'étais intéressé au yoga avant de rencon trer Reich, mais cela n' avait pas présenté grand attrait à mes yeux d'Occidental. Cependant je pris conscience, pendant mon travail avec Reich, de certaines similitudes entre la pratique du yoga et la thérapie reichienne. Les deux systèmes insistent beaucoup sur l'importance de la respiration . La différence de ces deux écoles de pensée tient à leur direc tion. La vision du yoga est dirigée vers soi et le développement spiri tuel; celle de la thérapie reichienne vers l'extérieur, la créativité et la joie. II est certainement nécessaire de concilier ces deux points de vue, et j'espère que la bioénergétique pourra aider à le faire. Plusieurs des professeurs de yoga les plus en pointe aux États-Unis ont approuvé personnellement la compréhension du corps que nous fournit la bioé nergétique - compréhension qui leur a permis d'adapter les techniques du yoga aux besoins occidentaux. D ' autres disciplines physiques orientales sont devenues plus récem ment populaires aux États-Unis. La principale est celle des exercices t'ai chi ch'uan, que pratiquent les Chinois. Le yoga comme le t'ai chi soulignent l'importance de sentir son corps, la façon d'acquérir grâce et coordination et l'accès à la spiritualité par l' identification avec son corps. Ils diffèrent en cela fortement des programmes gymniques occi dentaux qui visent la puissance et le contrôle. Où se placent les exercices bioénergétiques dans ce tableau? Ils représentent l'intégration des attitudes orientales et occidentales . Comme les disciplines orientales, ils renoncent à la puissance et au contrôle au profit de la grâce, de la coordination et de la spiritualité du corps. Mais ils ont également pour but de développer l'expression de soi et la sexualité. Ils servent donc à s'ouvrir à la vie intérieure du corps, tout autant qu'à aider l'extension de cette vie dans le monde extérieur. Et ils ne sont conçus que pour aider à prendre contact avec les tensions qu i inhibent la vie du corps. Mais, comme les pratiques orientales, iis ne sont efficaces que s'ils deviennent une discipline, qui ne doit être accom pl ie ni mécaniquement ni compulsivement, mais avec une impression de plaisir et une sensation de compréhension. Je ne peux pas présenter ici le répertoire complet des exercices que nous utilisons en bioénergétique. J'espère pouvoir le faire dans un ouvrage ul térieur. Je peux ajouter qu'ils ne sont pas formalisés et que l'on peut en improviser pour répondre aux situations et aux besoins individuels. Je vais toutefois décrire un grand nombre de ces exercices, au cours de l'exploration des principes fondamentaux , pour en montrer le but. L'un des exercices de base fut mis au point très tôt, par moi-
même, pour me permettre d'être davantage dans mes pieds et mes jambes et de mieux m'enraciner. On l' appelle « le pont», ou « l'arc Il; on s'y réfère aussi comme à la position fondamentale de tension.
La ligne imprimée sur la silhouette montre l'arc correct, ou la façon correcte d'arquer le dos en arrière . Le point si tué au centre des épaules est juste au-dessus du point situé au centre des pieds; la ligne qu i joint ces points forme un arc presque parfait, passant par le point si tué au milieu de l' articulation coxo-fémorale. Lorsque le corps prend cette position, ses parties sont parfaitement équilibrées. Au niveau dynamique, l'arc est tendu et prêt à l'action. Au 61
60
Le concept d'énergie La bioénergie
niveau énergétique, le corps est chargé des pieds à la tête. Ceci signifie qu'un courant d'excitation traverse le corps. On sent ses pieds sur le sol, sa tête dans l'air, et on se sent aussi parfaitement connecté, ou intégré. Comme c'est une position de tension, énergétiquement chargée, les jambes vont se mettre à trembler. Nous utilisons cette position pour donner au patient l'impression d'être relié ou intégré, d'être fermement planté sur ses pieds, tout en gardant la tête haute. Mais cette position nous sert aussi de diagnostic, car elle révèle immédiatement les manques d'intégration du corps, et monte en épingle la nature et la localisation des principales tensions musculaires. Je décrirai un peu plus loin comment celles-ci affectent l'arc. Nous avons utilisé cette position pour notre travail pendant plus de dix-huit ans. Imaginez ma surprise lorsqu'un patient me montra une photo d'agence de presse représentant des Chinois faisant exactement le même exercice (elle fut publiée le 4 mars 1972).
Voici le dessin d'une photo montrant des Chinois exécutant ce que l'on appelle « le pont taoïste )). La légende sous la photo rapporte: « Trois habi tants de Chang-hai effectuent la calisthénie chinoise du t'ai chi ch'uan. L'exercice se fonde sur la philosophie taoïste et vise à atteindre l'harmonie avec l'univers en combinant des mouvements physiques et une techni ques respiratoire.))
~
fi3
62
La bioénergie La légende et le commentaire étaient particulièrement intéressants. Tao signifie « le chemin». Le chemin du Tao passe par l'harmonie avec le Soi comme avec l'environnement et l'univers. L'harmonie extérieure dépend en fait de l'harmonie intérieure, que l'on peut atteindre « en combinant des mouvements physiques et une technique respiratoire». La bioénergétique vise à la même harmonie, en se servant des mêmes moyens. Plusieurs de nos patients ont utilisé divers exercices t'ai chi en même temps que la bioénergétique. Les Chinois partent toutefois du principe qu'ils n'ont pas de trouble physique important les empêchant de fai re l'exercice correctement. On ne peut pas partir de ce principe
64
Le concept d'énergie pour les Occidentaux. Et l'on peut se dem ander s'il est vraiment valable actueUement pour les C hinois. La rigidité globale du corps, empêchant de l'arquer correctement, est un problème que je rencontre fréquemment. La ligne qui joint le point médian des épaules et le point médian des pieds est une droite (voir illustration p. 64). On peut noter le manque de flexibilité des jambes. On ne peut pas fléchir totalement les chevilles. La tension lombaire empêche d'arquer le dos. Le pelvis est légèrement rétracté. Le problème contraire consiste en l'hyperfl exibilité du dos, qui se courbe trop. Ceci dénote une faiblesse des mu scles du dos que je lie au manque de perception de la colonne vertébrale. Alors q ue Je corps· et la personnalité rigides ne sont pas suffisamment flexibles, ce corps-ci et cette personnalité-ci sont trop flexib les. Dans les deux cas, on ne fait pas l'arc correctement, et l'on n'a donc pas l'i mpression d'une intégra tion et d'un courant, ni le sentiment d'une harmonie extérieure ou inté rieure. La courbure de l'arc est accentuée jusqu'à se rompre. Le bas du dos ne sert pas à soutenir le corps; cette fonctio n est assurée par les abdominaux, qui sont très contractés (voir la figure ci-dessous).
6
La bioéner~ie Un autre problème que l'on rencontre fréquemment consiste en une rupture de la ligne de l'arc, due à une forte rétraction du pelvis. Ceci contraste avec le cas précédent, où le pelvis était trop poussé vers l'avant. La figure ci-dessous illustre ce cas:
66
Le concept d'énergie Si on pousse alors le pelvis vers l'avant, les genoux se raidissent. On ne peut fléchir les genoux qu'en poussant les fesses en arrière. Il y a une ten sion importante dans le bas du dos, ainsi que tout le long de l'arrière des jambes. Lorsqu'on se place face au corps, une scission entre les parties du corps est parfois assez évidente. Les principales parties, la tête et le cou, le tronc et les jambes, ne sont pas alignées. La tête et le cou forment un angle avec le tronc et penchent à droite ou à gauche. Le tronc est dévié dans la direction opposée, et les jambes sont également déviées, en direction opposée du tronc. J'ai fait ci-dessous le schéma de cette posi tion, la ligne montre les différentes déviations.
67
;"t
La bioénergie Le concept d'énergie Ces déviations montrent que le corps n'est pas d'un seul tenant. Elles représentent une frag mentation de l'intégrité de la personnalité, typique d'une personnal ité schizoïde ou schizophrène. Schizoïde signifie scindé. Si la sci ssion existe à l'intéri eur de la personnalité, elle doit aussi exister à l'intérieur du corps, au niveau énergétique. On est son corps. Il y a plusieurs années, on pria mes associés et moi-même de faire une conférence sur la bioénergétique, suivie de démonstrations, à un groupe de médeci ns et d'étudiants du N ational Institute of Mental Health. Ma causerie traitait du lien étroit qui unit le corps et la person- \ nalité. Après la conférence, on nous demanda de faire nos preuves en établi ssant un diagnostic psychiatrique en nous basant sur le corps, sans rien connaître de l'indivi du . On nous présenta plus ieurs sujets étudiés par les médecins du N. I.M.H. , les uns après les autres. Je demandai à chacun de ces sujets de prendre la position de tension décri te ci-dessus, po ur voir la ligne dessinée par son corps. Après l'avoir observé un bref instant, mes associés et moi nous retir ions dans des pièces séparées et on nous convoquait un par un pour que nous ne puis sions pas nous cons ulter pour porter notre diagnostic. C hacun de no us porta le même diagnostic, qui se trouva en accord avec l'avis du groupe du N.l .M.H. D ans deux de ces cas, la scission entre les lignes du corps était si évidente que diagnostiquer une person·· nalité sch izo'lde était chose simple. Chez un troisième, le caractère dominant était une excessive rigidité. L'un des sujets schizoïdes présen tait une caractéristique inh abituelle. Ses deux yeux n'étaient pas de la même couleur. Lorsque je fis remarquer cela, je fus surpris de constater que personne d'autre dans la salle ne s'en était a perçu. Comme tant de psycholog ues et de psychiatres, ils avaient appris à écouter - pas à "\ regarder. Ils s'intéressaient à l'esprit du patient et à son histoire, pas à 1 son corps ni à ce qu' il exprimait. Ils n'avaient pas encore appris à lire le langage du corps. D es troubles physiques tels que ceux qui ont été décrits ci-dessus sous-tendent les symptômes qui inci tent quelqu'un à entreprendre une thérapie. Celui qui est rigide va se montrer inflexible et peu généreux dans les situations qui demandent de la douceur et de la tendresse . Celui dont le dos est trop mou et trop flex ible va manquer d'agressivité lorsqu'elle serait nécessaire. Tous ces patie nts sentent qu'ils ne sont en harmonie ni avec eux-mêmes ni avec le monde. Adopter la position de l'arc ne peut pas leur permettre de retrouver cette harmonie parce qu'ils ne peuvent pas l'effectuer correctement. Cependant, cela va les a ider à sentir les tensions de leur corps qui les empêchent de l'exécuter correc
68
tement. On peut arriver à dénouer ces tensions au moyen d'autres exer cices de bioénergétique, dont certains seront décrits dans les chapitres ultérieurs de cet ouvrage. Lorsque j'affirme que quelqu'un qui fait l'arc correctement est en harmonie avec l'univers, c'est sans hésitation ni réserves, car je n'ai jamais vu quelqu'un souffrant de graves problèmes émotionnels capable de le faire correctement. Ce n'est pas une question d'entraînement, car on ne peut pas apprendre à exécuter cette position. Ce n'est pas une position statique. On doit être capable de respirer totalement et profon dément pendant qu 'on garde la position. On doit être capable de garder le bon fonctionnement et l'intégrité de son corps sous la tension . Toute fois, faire l'exercice régulièrement aide beaucoup. Cela aide à se mettre en contact avec son corps, à en percevoir les troubles et les tensions, et à comprendre leur signification. Cela aide aussi à garder l'impression d'harmonie avec l'univers, une fois qu'on l'a ressentie. Dans une culture technologique, tout combat a son importance.
CHAPITRE III
Le langage du corps
Le centre de vie: le cœur du problème
Le langage du corps ou langage physique a deux aspects. Le premier concerne les signes et expressions physiques qui nous fournissent des informations sur quelqu'un; le second concerne le langage parlé dont la signification se réfère aux fonctions physiques. Je traiterai ces deux aspects dans ce chapitre, en commençant par le second. Par exemple, l'expression « je n'ai pas besoin qu'on me tienne par la main » appar tient au langage du corps. Elle signifie naturellement qu'on est indépen dant, et dérive d'une expérience qui nous est commune . Lorsque nous étions des bébés dépendants, il fallait nous porter ou nous tenir par la main. En grandissant, nous apprenons à marcher sans qu 'on nous tienne par la main et à être indépendants. Beaucoup d'expressions de ce type font partie du langage courant. On dit que quelqu'un « a la tête dure » s'il est têtu, qu'il a « les doigts crochus » s'il est accapareur et peu généreux, qu' il « ne desserre pas les lèvres » s'il ne dit rien. On parle « d'endosser une responsabilité », de « garder la tête haute », et de « garder le pied ferme » pour désigner des attitudes psychologiques. Sandor R ado a suggéré que les sources du langage se trouvent dans l,es sensations proprioceptives - c'est-à-dire que le langage du corps est a l.a base de tout langage. Je crois que c'est une proposition valide, pUisque la communication est originellement le partage d'une expérien ~e,. qui est elle-même une réaction physique à des situations et des evenements. Mais dans un monde qui comporte d'autres cadres de réfé rence pertinents, le langage va incorporer des termes venant de ces systèmes. Par exemple, l'expression « partir en quatrième vitesse » 71
La bioénergie dérive de l'expérience de l'automobile, et n'a de sens que pour ceux qui sont relativement familiarisés avec elle. L'expression « renverser la vapeur l) en est un autre exemple; elle se réfère au mode d'utilisation des machines à vapeur. On pourrait dire que de telles expressions constituent un langage de la machine. Combien d'entre elles se sont introduites dans notre façon de parler, et donc de penser? Je n'en sais rien. On peut prévoir que nos progrès technologiques introduiront beau coup d'expressions nouvelles dans ·notre vocabulaire, bien éloignées du langage physique. Toutes les machines sont, en un sens, des extensions du corps humain, et fonctionnent selon les principes mis en œuvre à l'intérieur du co rps . Cela se constate facilement sur les outils simples, tels que la fourche qui est un prolongement de la main et des doigts, la pelle qui continue la main en train de ramasser, la masse qui prolonge le poing. Mais les machines compliquées elles-mêmes conservent ce lien avec le corps: le télescope est une extension des yeux et l'ordinateur du cerveau. Mais on perd souvent cela de vue, et on tend à penser que le corps fonctionne selon les principes de la machine plutôt que l'inverse. Nous nous identifions à la machine, qui est, dans les limites de ses fonc tions, un instrument plus puissant que le corps. Nous finissons par considérer le corps comme une machine, et par perdre contact avec ses aspects vitaux et sensibles. La bioénergétique ne considère pas le corps comme une machine, pas même comme la plus belle et la plus complexe ayant jamais été crée. Il est vrai que l'on peut comparer certains aspects d'une fonction physique à une machine ; par exemple, on peut considérer le cœur comme une pompe. Lorsqu'il est isolé du corps, le cœur est une pompe, ou, si l'on s'exprime autrement: si le cœur ne participait pas à la totalité de la vie de l'organisme, il ne serait qu'une pompe. Mais il y participe et c'est ce qui fait de lui un cœur et non une pompe. La différence entre une machine et le cœur est que la machine a des fonctions limitées. Une pompe pompe, et c'est tout. Le cœ~r pompe, lui aussi, et fonctionne comme une machine dans le cadre de cette opération limitée. Mais il constitue également une partie intégrante du corps et, sous cet aspect de son fonctionnement, il fait plus que simplement pomper le sang. Il parti cipe à la vie de l'organisme et y contribue. Le langage du corps recon naît cette différence, et c'est en quoi il est si important. La richesse des expressions faisant intervenir le mot « cœur» montre à quel point ses aspects extramécaniques nous semblent importants. En voici quelques-unes. Dans l'expression « toucher au cœur du sujet», 72
Le langage du corps noUS mettons en parallèle centre ou point essentiel, comme dans l'ex pression « cela va droit au cœur », où l'on suppose que le cœur est l'as pect le plus central et le plus profond de l'individu. « De tout son cœur )l implique un engagement total, puisque cela met en cause la part la plus profonde de soi. Chacun sait que l'on associe le cœur à l'amour. « Donner son cœur » signifie tomber amoureux; « offrir son cœur» signifie que l'on recherche l'amour de quelqu'un d'autre. cc Parler à cœur ouvert » signifie ne pas garder de réserves. Jusque-là le mot cœur est utilisé de façon très symbolique. Mais on n'associe pas seulement le cœur au sentiment; c'est également, d'après notre langage, l'organe de la sensibilité. Lors qu'on dit: c( J'ai senti mon cœur se serrer », on communique une sensa tion proprioceptive qu'autrui pourrait éprouver, qui dénote une angois se et une déception extrêmes. Le cœur se dilate également de joie, litté ralement, pas seulement au figuré. Alors, l'expression « tu m'as brisé le cœur» dénote-t-elle un traumatisme physique réel? J'incline à le croire, mais je crois aussi que les cœurs brisés s'en remettent assez souvent. Le mot « brisé» ne signifie pas forcément « cassé, en deux ou pl usieurs morceaux ». Il peut évoquer une rupture du lien entre le cœur et la péri phérie de l'organisme. L'émotion amoureuse ne peut plus s'écouler librement du cœur vers le monde. La bioénergétique s'intéresse à la façon dont quelqu'un réagit à l'amour. Son cœur est-il fermé ou bien ouvert? S'ouvre-t-il au monde ou s'en retranche-t-il ? On peut déterminer ses attidudes en se basant sur ce qu'exprime son corps, mais, pour y arriver, il faut comprendre le langage du corps.
Le cœur est enfermé dans une cage osseuse, la cage thoracique, mais cette cage peut être souple ou rigide, immobile ou sensible. On peut en évaluer les caractéristiques à la palpation, en notant que les muscles sont Contractés et que la paroi thoracique ne réagit pas à une légère pression. La respiration montre la mobilité de la poitrine. Nombreux sont ceux dont la paroi thoracique ne bouge pas quand ils respirent. On con~tate alors que les mouvements respiratoires sont surtout diaphrag matiques, avec une légére participation abdominale. Le thorax est dilaté et ,reste en position d'inspiration. Chez certains, le sternum est protubé- ' rant, COmme pour écarter autrui de leur cœur. Bomber le torse est un signe de défi. Si c'est fait délibérément, on sent que cela signifie: « Je ne vous laisserai pas vous approcher de moi. » ~e principal canal de communication partant du cœur passe par le gosier et par la bouche. C'est le premier canal utilisé par le nourisson, 73
Le langage du corps
La bioénergie lorsqu'il tend ses lèvres et sa bouche vers le sein de sa mère. Mais le bébé ne se contente pas de tendre les lèvres et la bouche, il tend aussi son cœur vers sa mère. Ce mouvement qui exprime l'amour se retrouve dans le baiser. Mais un baiser peut être un geste d'amour ou une expres sion d'amour; la différence tient à ce que le cœur y participe ou non, et ceci dépend de l'ouverture ou de la fermeture du canal de communica tion entre le cœur et la bouche. Un gosier contracté et un cou tendu peuvent réellement empêcher le passage de toute émotion. Dans de tels cas, le cœur reste relativement isolé, renfermé. Le second canal de communication du cœur passe par les bras et les mains lorsqu'ils se tendent pour toucher. Dans ce cas, l'image de l'amour est le contact doux, tendre et caressant de la main maternelle. Ici aussi, il faut que l'émotion parte du cœur et s'écoule dans les mains pour que cet acte soit une expression d'amour. Les mains qui aiment vraiment sont très chargées énergétiquement. Leur contact est salutaire~ La circulation d'émotion ou d'énergie dans les mains peut être bloquée par les tensions de l'épaule ou par des spasticités des muscles de! la , 'U f main.. Les tensions des épaules se forment lorsqu'on a peur de se tendre pour porter un coup. Les tensions des petits muscles de la .main résul tent des impulsions refoulées à étrèfn'dre ou à saisir, à 6iffer; ~~ â étran gler. Je pense que ces tensions sont responsables de l'arthrite rhumatis male des mains. Dans certains cas, je me suis aperçu qu'exécuter l'exer cice décrit au Chapitre Premier, où l'on presse les mains l'une contre l'autre en position d'hyperextension, a aidé certains patients à venir à bout d'une crise d'arthrite rhumatismale des mains. Un troisième canal de communication du cœur vers le monde descend vers la taille et le ~pelvis jusqu'aux organes génitaux. Les rapports sexuels sont un acte d'amour, mais il dépend là aussi de la participation du cœur qu'ils soient un simple geste ou l'expression d'un sentiment sincère. Lorsqu'on éprouve un violent amour pour son parte naire, l'expérience sexuelle a une) r!;]!si_tp, .e! ,n teint un niveau d'excita tion qui font de l'orgasme ou du' pâroxysme une expérience extatique. l'ai déjà souligné! que l'orgasme complet et sütisfaisant n'est possible que l'orsqu'on s'engage totalement. Dans ce cas, on sent littéralement son cœur bondir (bondir de joie) au moment du paroxysme. Mais ce canal peut être lui aussi coupé ou fermé à différents degrés par les tensions du bas du corps. Faire l'amour sans affectivité, c'est comme manger sans appétit. Bien J"
1. Alexander Lowen, Love and Orgasm (New York, Macmillan, 1965).
74
entendu, la plupart des gens y mettent quelque affectivité; reste à savoir combien, et quel est le degré d'ouverture de la voie de communication. L'un des troubles les plus courants de l'être humain est la dissociation entre le haut du corps et le bas du corps. Parfois les deux ne semblent pas ·appartenir à la même personne. Chez certains, le haut du corps est bien développé, alors que le pelvis et les jambes sont petits et ont un aspect infantile, comme si c'étaient ceux d'un enfant. Chez d'autres, le pelvis est plein et arrondi, mais le haut du corps est petit, étroit, infanti le. Dans tous ces cas, la sensibilité de l'une des parties ne s'intègre pas à la sensibilité de l'autre. Le haut du corps a quelquefois un caractère contracté, rigide et agressif, alors que le bas du corps semble mou, passif et masochiste. Partout où se présente une certaine dissociation, les mouvements respiratoires naturels ne s'écoulent pas librement à travers le corps. La respiration est soit thoracique, avec une légère participation abdominale, soit diaphragmatique, avec un déplacement thoracique diminué. Si l'on demande au patient d'arquer son dos, èomme dans l'arc t'ai chi décrit plus haut, la ligne du corps ne forme pas réellement un arc. Le pelvis est soit projeté vers l'avant, soit repous sé en arrière, ce qui entraîne une cassure de la ligne du corps et de son unité. Le manque d'unité dénote le manque d'intégration de la tête, du cœur et des organes génitaux. Les tensions musculaires chroniques, qui empêchent l'excitation et l'émotion de circuler librement, se situent fréquemment au niveau du diaphragme, des muscles entourant le pelvis et du haut des jambes. En les détendant par une approche à la fois physique et psychologique, on permet à quelqu'un de commencer à se sentir « relié». C'est le terme qu 'emploient les patients. La tête, le cœur et les organes génitaux, ou bien la pensée, le sentiment et la sexualité ne sont plus des parties sépa rées ni des fonctions séparées.La sexualité devient de plus en plus une expression d'amour, et on y prend donc plus de plaisir. Dans tous les cas, le comportement de promiscuité qui pouvait s'observer auparavant cesse. Chez les femmes, le cœur a un lien direct et immédiat avec les seins, qui rèagissent de façon érotique ou glandulaire aux impulsions venant du cœur. En cas d'excitatitm sexuelle, les mamelons sont engorgés de sang et se durcissent; en cas d'allaitement les glandes sécrètent du lait. ~~ fait d'allaiter est donc, normalement, l'une des expressions les plus eVldentes de l'amour maternel. De plus, il est difficile d'imaginer que le lait de la mère ne convienne pas à son enfant. Le nourrisson a été conçu et s'est développé dans le milieu même qui produit le lait. Cependant,
75
La bioénergie des patients ont relaté que le lait de leur mère leur avait donné l'impres sion d'être amer. Bien que je prenne de telles affirmations au sérieux, je ne pense pas que le lait lui-même était en cause. Il est plus vraisem blable que la mère était elle-même amère et en voulait à l'enfant d'être un fardeau - ressentiment perçu par le nourrisson, et auquel il réagis sait. L'allaitement, comme les rapports sexuels, est plus qu'une réaction physiologique.C'est une réaction émotionnelle et, comme telle, elle dépend de l'humeur et de l'attitude de la mère. Le flux émotionnel allant du cœur vers les seins peut être restreint ou réduit. J'ai parlé assez longuement du cœur, parce qu'il est le problème central de toute thérapie. On entreprend une thérapie pour des problè mes variés: dépression, angoisse, impression d'inadaptation, sentiment d'échec, etc. Mais derrière chacun de ces problèmes se retrouve le manque de joie de vivre et de satisfaction . Il est actuellement à la mode de parler de réalisation de soi et de potentiel humain, mais de tels termes ne prennent un sens que lorsqu'on se demande: potentiel de quoi? Il n'est possible de vivre plus pleinement et de façon plus totale qu'en ouvrant son cœur à la vie et à l'amour. S'ans amour - de soi même, de ses compagnons, de la nature et de l'univers - on reste froid, détaché et inhumain. C'est de notre cœur que s'écoule la chaleur qui nous unit au monde dans lequel nous vivons. Cette chaleur est l'amour. Toute thérapie a pour but d'aider quelqu'un à augmenter les possibilités de donner et de recevoir de l'amour; à dilater son cœur, et pas seule ment son esprit.
I nteractions avec la vie En allant du cœur vers la surface du corps, nous allons examiner tous les organes qui sont en interaction avec l'environnement. Notre langage corporel regorge d'expressions qui dérivent de la conscience proprioceptive des fonctions de ces organes. Ces expressions sont si riches d'images et de sens que nul ne peut se permettre de les ignorer s'il étudie la personnalité humaine. Nous partirons du visage, puisque c'est la partie du corps humain qui se présente ouvertement au monde. C'est aussi la première partie que l'on examine lorsqu'on regarde quelqu'un. Tout comme le mot « cœur» en est venu à signifier centre ou point principal, le mot « visage » s'est étendu jusqu'à inclure l'apparence extérieure des objets ou des situa tions. Ainsi, on parle du visage d'un pays, ou de faire bon visage. Dans
76
Le langage du corps la phrase « mettre une nouvelle face à un problème ancien » on se refère à un changement de l'apparence extérieu re d'une situation, sans que l'essence de la situation ait changé de façon correspondante. On utilise aussi le mot « face » pour se référer à une image de soi qui relie le concept de visage au Moi, puisque l'une des fonctions du Moi consiste à s'intéresser à l'image que l'on projette. Si l'on « perd la face », le Moi reçoit un coup. Si l'on « se voile la face», cela dénote de la honte, le Moi se sent humilié. Quelqu'un dont le Moi est fort « fait face» aux situations, alors que quelqu'un de plus faible peut « s'effacer». Le visage intervient dans l'expression de soi, et le genre de visage qu'on arbore en dit fort long sur ce qu'on est et ce qu'on ressent. Il y a le visage souriant, le visage déprimé, le visage lumineux, le visage triste, etc. Malh eureusement, la plupart des gens ne sont pas conscients de l'expression de leur visage, et ils manquent par là de contact avec ce qu'ils sont et ce qu'ils ressentent. Ces considérations nous permettent d'estimer le Moi de quelqu'un à son visage. Le visage du schizoïde a en général un caractère de masque, ce qui est l'un des signes permettant de diagnostiquer cet état, une indi cation de la faiblesse du Moi. A mesure que le traitement améliore son état, son visage devient plus expressif. Un visage large et plein dénote un Moi fort (c'est le langage du corps), mais J'on voit quelquefois une grosse tête sur un petit corps, ou inversement un corps solide avec une petite tête. On peut présumer, dans ce cas, une certaine dissociation entre le Moi et le corps. Une autre observation intéressante est la tendance de nombreux garçons et fi lles aux cheveux longs à cacher leur visage derrière leur chevel ure. Cela me semble exprimer leur répugn ance à affronter le monde. On peut aussi l'interpréter comme un rejet de la tendance de notre culture à surévaluer les images. Beaucoup de jeunes ont dans leur personnalité un penchant « anti-Moi » ; le prestige, le statut, la parade et les signes matériels de position sociale et de pui ssance leur répugnent. On peut comprendre cette attitude comme une hyperréaction contre ('im portance que leurs parents attribuaient à J' apparence extérieure, souvent au détriment de Jeur vérité intérieure et de leurs valeurs intérieures. Chaque organe, et chaque trait du visage, a un langage corporel qu i lui est propre. Le front, les yeux, la bouche et le menton servent à déno ter des caractéristiques ou des traits variés. Examinons certaines des expressions qui font intervenir ces parties de notre anatomie. Un front haut dénote le raffinement et j'intellectualisme. A l'opposé, au front bas se rattache de la vulgarité. On porte le front bas lorsqu'on paraît abattu, 77
La bioénergie
Le langage du corps
parce qu'on a été intimidé par les mots ou les regards autoritaires de quelqu'un. Le front s'abaisse réellement. On dit d'une personne effron tée qu'elle a la langue bien pendue. . l, ~ La vision est une fonction si importante pour la conscience qu'on établit une équivalence entre « voir» et comprendre. Quelqu'un qui a « la vue longue» non seulement voit loin, mais est capable de prévoir. En tant qu'organes expressifs, les yeux jouent un rôle important dans le langage du corps. Un regard peut avoir tant de significations qu'on évalue souvent les réactions des gens à leur regard. Pour ce qui est de la bouche, on utilise des expressions telles que « faire la fine bouche », « la bouche en cœur», « bouche cousue », etc. La fonction des dents est riche en métaphores. « Déchirer à belles dents » est une expression plus forte que « en venir aux mains ». On est « sur les dents » quand on est accablé... Il y a enfin l'expression « garder le menton haut » qui signifie faire face à l'adversité. Laisser tomber le menton est le mouvement initial pour permettre de pleurer. On l'observe facilement chez les bébés: leur menton s'affaisse et se met à trembler juste avant qu'ils se mettent à pleurer. Au cours d'une thérapie bioénergétique, il est parfois nécessaire de pousser un patient à affaisser le menton avant qu'il puisse se laisser aller a pleurer. i . . La voix humaine est le moyen de communication le plus expressif de l'homme. Paul J. Moses, dans son ouvrage The Voice of Neurosis, décrit les éléments soniques de la voix et montre quelles sont leurs rela tions avec la personnalité. Dans un chapitre ultérieur, je parlerai des concepts sous-jacents qui permettent de déchiffrer la personnalité à partir de la voix. Le langage du corps reconnaît la signification de la voix. Si l'on « n'a pas voix au chapitre » dans une affaire, cela signifie qu'on ne compte pas . On n'a « rien à dire ». Perdre sa voix équivaut donc à une perte de standing. Les fonctions des épaules, des bras et des mains contribuent au langage du corps. On « endosse ses responsabilités » lorsqu'on les prend en charge. On « se fait un chemin à coups de coude» lorsqu'on est agressif, et on cherche « à être épaulé » face à un coup dur. Si quelqu'un « a le bras long », on est fier de lui. Si on participe à une affaire, on dit qu'on « met la main à la pâte ». La .main est le premier instrument de contact. Elle contient davanta , ·f." ge de corpuscules tactiles que n'importe quelle autre partie du corps. Le toucher est donc en grande partie une fonction assurée par les mains, mais ce n'est pas une opération mécanique. Dans le langage humain, toucher consiste à ressentir un contact avec autrui. L'expression « vous .
78
,
(
.,
."1'"""
m 'avez touché» est donc une autre façon de dire: « Vous m'avez fait réagir émotivement » - et c'est une façon plus aimable de le dire, car cela implique aussi l'idée d'intimité. « Prt;fldre contact » signifie faire connaissance. Cette expression montre le lien étroit qui existe entre toucher et connaître. Les bébés découvrent les caractéristiques des objets en les mettant dans leur bouche, où le goût représente une impor tante modalité sensorielle. Mais les enfants découvrent par le toucher. Le rapport entre toucher et savoir pose un problème important pour la thérapie. Peut-on réellement connaître autrui sans le toucher? Comment peut-on percevoir quelqu'un si on ne le touche pas? La psychanalyse traditionnelle évite tout contact physique entre le patient et l'analyste, de crainte, je pense, que ce contact n'engendre des émotions sexuelles. Elle place ainsi une barrière entre deux personnes qui ont besoin d'être en contact l'une avec l'autre, de façon plus immédiate que par les mots. En touchant le corps de son patient, l'analyste peut en apprendre beaucoup sur lui: la mollesse ou la dureté de sa musculature, la sécheresse de sa peau, la vitalité de ses tissus. Par son toucher, il peut donner au patient l'impression qu'il le ressent et l'accepte en tant qu'être ph ysique, et que toucher est une façon / naturelle d'établir un contact. Lè fait que le thérapeute le touche physiquement constitue pour le patient un signe de l'intérêt qu'il lui porte. Cela le ramène à l'époque où être porté et caressé par sa mère était l'expression de ses soins tendres et aimants. Dans notre culture, la plupart des gens souffrent d'un manque de contact physique qui remonte à leur petite enfance. Il résulte de ce manque qu'ils désirent être touchés et tenus, mais qu 'ils ont peur de le demander ou de se tendre vers ce contact. Ils ont un tabou contre le contact physique parce qu'il s'associe de façon trop étroite, dans leur esprit et d ans leur corps, à la sexualité. Comme un tabou de ce genre rend difficil e d'avoir de vrais contacts avec autrui l , il est très important, thérapeutiq uement, de l'éliminer. Il incombe donc au thérapeute de montrer q u'il n'a pas peur de toucher son patient, ni d'être touché par lui. Mais, si le thérapeute met la main sur son patient, se pose la question du caractère de ce contact. On peut toucher quelqu'un, particulièrement quelqu'un du sexe opposé, de façon telle que le toucher soit sexuel et le contact physique érotique. Une telle façon de le toucher confirme les angoisses les plus profondes du patient par rapport au contact physi que, et renforce son tabou en profondeur, malgré l'assurance du théra 1. Montagu, Touching, op. cit. Montag u explore totalement dans cette étude l'im portance du toucher.
79
La bioénergie peute que tout va bien. Ça ne va pas bien du tout. Toute implication sexuelle du thérapeute trahit la confiance mise en la relation thérapeu tique qui soumet le patient aux traum atismes mêmes dont il avait fait l'expérience dans la rel atiùn parent-enfant. Si l'on accepte cette trahison comme normale, cela mène à lin schéma d'actualisations sexuelles qui masque l'impossibilité d'établir un contact réel par le toucher. Le thérapeute doit avoir un contact physique chaud, amical, digne de confiance et dépourvu de toute visée personnelle. Mais comme le théra peute est, lui aussi , un être humain, ses émotions personnelles peuvent par moments intervenir. Lorsque cela se produit, il ne devrait pas toucher le patient. Passer par une thérapie personnelle est la condition fonda mentale pour entreprendre des thérapies sur autrui. O n doit pouvoir attendre du thérapeute qu'il reconnaisse le caractère d'un contact, qu' il fasse la différence entre un contact sensuel, un contact secourable, un contact fer me et un contact dur, entre le contact méca nique et celui qui est pourvu de sensibilité. Le patient a énormément besoin de toucher son thérapeute puisque c'est son tabou contre le toucher qui est la cause de son impression d'isolement. Pour surmonter ce tabou, je demande souvent au patient de toucher mon visage, quand il est allongé sur le Ut. Je n'uti lise ce procédé qu'aprè s avoir découvert certaines de ses peurs. Je me penche sur lui, dans la position du père ou de la mère, et je le regarde comme si c'était un enfant. L'hésitation, l'ébauche de mouvements, l'ango isse que cela provoq ue m'ont surpris au début. De nom breux patients ne touchaient mon vis age que du bout des doigts, comme s'ils avaient peur de toucher avec toute la main. Certains disaient qu' ils avaient peur d'être rejetés ; d'autres dis aient qu'ils avaient l'impression de ne pas avoir le droit de me toucber. Peu d'entre eux étaient capables de rapprocher mon visage du leur sans que je les y encourage, bien que ce soit ce qu'i ls désiraient fa ire. Dans tous les cas, ce procédé permettait d'aborder plus profondé ment un problème que les mots seuls n'auraient pas permis d' atteindre. D ans certains cas, le patient touche mon visage comme pour l'explo rer. Il laisse ses doi gts errer sur mon visage, tout comme le bébé explore les traits du visage de ses parents. Quelquefois, le patient rejette mon vi sage en arrière, effectuant à son tour le rejet dont il a fait autrefois l'expérience. Mais si le patient s'abandonne à son dés ir de contact physique, il me presse contre lui , en me serrant fort, et touche mon corps de ses mains. Il sent que je l'accepte pendant que je fais l'expé rience de son désir. Etablir un contact avec moi lui pennet d'établir un
80
L e langage du corps meilleur contact avec lui-même, ce qui est le but de tout comportement thérapeutique. La relation qu'on a avec lie sol constitue une troisième zone impor tante d' inter action. Cette rel ation joue dans chaque, posi tion ad optée, chaque pas fait. A lia différence des oiseaux let des poissons, notre domaine, est la terre ferme. Et à la différence des autres mammifères, nous nous tenons et nous nous déplaçons sur deux jambes. Cette postu re libère nos bras en déplaçant sur la colonne vertébrale la fo nction de support du poids. Passer à la position debout fait supporter aux muscl es du dos une tension qui se centre dans la région lombe-sacrale. Je parie rai de la nature de cette tension et de son lien avec les troubles lombai res dan s un chapi tre ultérieur. No us nous intéressons ici à la relati on entre les fonctio ns des extrémités inférieures du corps et la personnalité, telle qu'elle se reflète dans le langage du corps. Par exemple, on peut décrire quelqu'un en disant qu'cc il a du poids Il ou qu'« il n'a pas de poids Il dans la communauté où il vit. Dans le dernier cas, il ne compte pas. On pe ut aussi demander : « Comment vous portez-vous?» La réponse indique comment l'on se sent. On peut se « porter pour» quelque chose, ou c( contre». Si l'on « ne tient pas ferme)l, on peut être (d enu à l'écarb l. Il faut alors «tenir bon Il pour arri ver à «tenir le coup ». Il y a un concept de force dans la position debout. Elle est évidente dans des expressions comme (c garder le pied fer me» face aux attaques , à la destruction, à la déchéance, ou bien c( rester " debout Il sous les critiques. L'opposé d'(cêtre deboubl n'est pas être assis, qu i représ~nte u~ type d'action différent, mais s'affaler, s'effondrer ou gigoier~ Quelqu'un qui «gigote» ne tient pas en place, quelqu' un qui «s'effondre» ne peut pas rester debout, et quelqu' un qu i c(s'affale» renonce à se ten ir droit. On uti lise ces termes sous forme de métaphores pour décrire un comporte ment, mais ils ont une signification littérale lorsqu'on les applique à la personnalité. On voit sur certains corps qu' ils ont l'habitude de s'affa ler, sur d'autres qu'ils sont agités ou paraissent quelque peu s'effondrer. Certaines personnes sont incapables de rester debout sans faire passer leur poids d'un pied sur l'autre. Lorsque ces termes décrivent une attitu de typique du corps, ils décri vent aussi la personne à laq uell e ce corps appartient. La position qu'on adopte dans la vie - c'est-à-d ire sa posi tion fonda mentale en tant qu'être humain - se révèle de façon marquée au niveau du. corps. Prenons un exemple cou rant, la tendance à garder les genoux raIdes quand on est debout. Cette posture a pour effet de faire des 81
r=- La bioénergie jambes un support rigide, aux dépens de leur flexibilité (action du genou). Ce n'est pas la position naturelle, et l'adopter indique qu'on ressent le besoin d'un support supplémentaire. Cette position nous informe donc de la présence d'un certain sentiment d'insécurité dans la personnalité (sinon, pourquoi ce besoin d'un support supplémentaire ?), que cette impression d'insécurité soit consciente ou non. Demander de garder les genoux légèrement fléchis en restant debout provoque alors souvent un tremblement des jambes qui peut évoquer l'expression « mes jambes ne pourront pas me soutenir». Pour tenir debout correctement, il faut être bien planté sur le sol. Les pieds doivent reposer bien à plat, voûte plantaire détendue mais pas . avachie. Ce qu'on appelle habituellement les pieds plats correspond à un effondrement de la voûte plantaire qui entraîne un déplacement de la portée du poids vers l'intérieur du pied. Les pieds cambrés sont ~ar·1 ailleurs le signe de spasticités ou de contractions des muscles du pied. La cambrure du pied diminue le contact entre le pied et le sol, et dénote qu'on n'a pas les pieds bien plantés sur le sol. Il est intéressant de noter qu'avoir le pied cambré a été longtemps considéré comme une caracté ristique de santé et de supériorité. Un « pied-plat» est une personne gros sière, inculte ou servile; le mot est une expression dépréciatrice, qui dénote une basse position dans l'échelle sociale. Lorsque j'étais jeune, ma mère se faisait constamment du souci pour mes pieds plats. Elle s'opposait farouchement à ce que je porte des tennis, parce qu'elle avait peur que cela n'aggrave ma tendance à avoir les pieds plats. Mais je désirais terriblement porter des tennis parce que c'étaient les chaussures idéales pour courir et pour les jeux de ballon que je pratiquais. Tous les autres enfants en avaient, aussi entamai-je une lutte farouche et je finis par obtenir mes tennis. Mais ma mère insis ta pour que j'y mette des semelles de soutien, ce qui était une torture, et il me fallut pas mal de temps pour me libérer de cette calamité. La torture était réelle parce que je souffris durant toute mon enfance d~ cors dus au port de chaussures étroites et rigides. Je n'ai jamais eu les pieds plats, mais je n'avais pas le pied cambré qui aurait fait le bonheur de ma mère. En fait, mes pieds n'étaient pas assez plats, et pendant toutes ces années de travail bioénergétique sur mon corps j'ai essayé d'obtenir un meilleur contact entre mes pieds et le sol en les aplatissant. Je suis sûr qu'un des résultats de ce travail est que je n'ai jamais eu de cor, ni de cal, ni d'oignon, ni d'autre problème de pied depuis lors. L'ancienne coutume chinoise consistant à bander les pieds des petites filles pour qu'ils restent petits et pratiquement inutiles illustre la relation
82
Le langage du corps entre les pieds et le standing ou la position sociale. Cette coutume avait deux raisons. Les petits pieds étaient un signe de la supériorité du rang social ; toutes les femmes nobles de Chine avaient de petits pieds. Cela signifiait qu'elles n'avaient pas à exécuter de durs travaux, ni à marcher très loin; elles se faisaient transporter en palanquin. On laissait aux paysannes qui ne pouvaient pas s'offrir ce luxe de grands pieds plats et larges. Bander les pieds des femmes avait une autre raison: c'était les attacher à la maison et leur ôter leur indépendance. Mais comme cette pratique se li mitait à une classe sociale, il faut la considérer comme un reflet des idées sociales et culturelles chinoises. L'étude de la façon dont les attitudes culturelles se manifestent par l'expression physique s'ap pelle la kinésique. En bioénergétique, nous étudions l'effet de la culture sur le corps lui-même. Pendant des années un dessin est resté épinglé sur le tableau d'infor mation de l' Institut d'analyse bioénergétique. Il montrait un professeur d'anatomie debout devant une planche du pied humain, une baguette pour pointer à la main, face à une salle d'étudiants en médecine. La légende lui faisait dire: de suis sûr que ceux d'entre vous qui veulent s'orienter vers la psychiatrie ne s'intéressent pas du tout à ce que je vais dire. JJ Ce qu'il aurait dit à propos du pied n'avait peut-être rien à voir avec la psychiatrie. Nous autres, bioénergéticiens, avons toujours pensé que le pied nous en dit aussi long sur la personnalité que la tête. Avant de porter un diagnostic sur un problème de personnalité, j'aime voir comment on se tient. Pour cela, je regarde les pieds. Une personne équilibrée est bien en équilibre sur ses pieds; son poids se répartit de façon égale entre les talons et les pointes des pieds. Lors qu'on fait porter le poids du corps sur les talons, ce qui se produit si l'on se tient debout en raidissant les genoux, on est en équilibre instable. Une légère poussée sur la poitrine suffit à faire basculer en arrière, surtout si on n'est pas préparé à résister. J'ai montré cela fort souvent pend ant les ateliers. On est comme un « culbuto JJ. C'est une position passive. Faire porter le poids du corps sur la pointe des pieds prépare à un mouvement dirigé vers l'avant, c'est une position agressive. Comme l'.équilibre n'est pas un phénomène statique, garder son équilibre néces site que l'on réajuste constamment sa position, et donc que les pieds restent en alerte. On ne peut comprendre littéralement la remarque « il a bien les pieds sur terre » que dans le sens où il existe une impression de contact entre I:~ pieds et le sol. Ce contact se produit lorsque l'excitation ou l'énergie s ecoulent dans les pieds, provoquant un état de tension et de vibration
83
Le langage du corps
La bioénergie semblable à celui que l'on a décrit pour les mains, lorsqu'on centrait son attention sur elles ou qu'on y dirigeait son énergie. On est alors conscient de l'existence de ses p ieds, et capable de se tenir correctement en équilibre. ' On décrit fréq uemment l'individu moderne comme quelqu'un d'alié né ou d' isolé. On le traite plus rarement de déraciné ou de sans racines. Dans The Drifters. James Michener a dépeint les caractéristiques d'une fraction de la jeunesse actuelle. Considéré comme un phénomène cultu rel, ce problème concerne la recherche sociologique. Mais c'est égale ment un phénomène bioénergétique; ne pas se sentir enraciné doit venir de q uelque trouble du fonctionnement physique. Ce trouble se situe au nivea u des jambes, qui sont nos racines mobiles. Tout comme les raci nes d'un arbre, nos pieds et nos jambes sont en interaction énergétique avec le sol. On peut sentir ses pieds se charger et prendre vie lorsqu'on marche pieds nus dans l'herbe humide ou sur le sable chaud . On peut éprouver la même impression en faisant des exercices bioénergétiques pour apprendre à connaître son corps. Celui que j' utilise en général dans ce but consiste à faire pencher le patient en avant, le bout des doigts touchant légèrement le sol. Les pieds sont écartés d'environ trente centimètres, pointes légèrement tournées vers l'intérieur. On commence l'exercice genoux fléc his et on Jes redresse jusqu'à ce qu'on sente un tiraHlement des tendons dujarret, à J' arrière des jambes. On ne doit j amais aller jusqu' à ra idir complètement les genoux. On garde la position une minute ou plus, en respirant profondément et de façon détendue. Si l'émotion circule j usqu'aux jambes, celles-ci vont se mettre à trembler. Si elle arrive jusqu 'aux pieds, ceux-ci peuvent être le siège de picotements. Les patients qui font cet exercice disent quelquefois qu'ils se sentent « enracinés» lorsque cela se produit; ils peuvent même avoir l'impression que leurs pieds s'enfoncent dans le sol. Je crois qu'être « enraci né» ou « avoir bien les pieds sur terre» ou « avoir du poids » ou « tenir fermement» aux valeurs humaines importan tes sont des caractéri stiques assez rares à notre époque. L'automobile nous a ôté l'us age complet de nos j ambes et de nos pieds. Les voyages aériens nous ont complètement écartés du sol. Toutefois, leur effet prin cipal sur le fo nctionnement physique est plus indirect que direct. L' im pact culturel qui nous affecte le plus est le changement de la relation mère-enfant, tout partic ulièrement par la diminution d'un contact physique étroit entre la mère et l'enfant. J'ai parlé assez longuement de ce changement dans mon dernier ouvrage!. La mère est la première 1. Lowen, L a D épression nerveuse el le Corps, op. cil.
84
terre du nourrisson ou, pour le dire autrement, c'est à travers le corps de sa mère que s'enracine le corps de l'enfant. On identifie symbolique ment la terre et le sol à la mère, qui est la représentante du sol et de la maison. Il est intéressant de noter que l'on utilise le terme « fouisse ment» pour décrire les mouvements instinctifs du nourrisson cherchant le sein. Mes patients n'ont pu développer l'impression d'être enracinés ou bien plantés sur le sol parce qu'ils ont manqué d'un contact physique agréable suffisant avec le corps de leur mère. Il ne fait aucun doute que leurs mères n'étaient pas elles-mêmes bien enracinées . Une mère déraci née ne peut fournir la sensation de sécurité et d'enracinement dont te 'bébé a besoin. Si on ne peut pas admettre ces faits bioénergétiques, on demeurera incapable de prévenir les effets désastreux qu'une culture hautement mécanisée et technologique a sur la vie humaine.
Signes physiques et expressions On appelle le langage du corps « communication non verbale ». On s'y intéresse considérablement à l'heure actuelle, car on a réalisé qu'on pouvait obtenir ou rassembler une grande quantité d'informations à partir des expressions physiques. Le ton de la voix ou le regard ont souvent pl us d'importance que les paroles prononcées. Dans ma jeunes se, les enfants chantaient souvent un refrain qui disait: « On peut me casser les os à coups de pierre et de bâton, mais les mots ne peuvent pas me faire mal.» Ce refrain' laissait entendre qu'ils ne se souciaient pas des injures. Mais on dit aussi « fusiller du regard ». Si la mère jette à son enfant un regard meurtrier, il peut difficilement le chasser de ses pensées. Les enfants sont plus conscients du langage du corps que les adultes, à qui on a appris, pendant de longues années d'éducation, à fa ire attention aux mots et à ignorer le langage du corps. Toute personne intelligente qui étudie le comportement humain sait que l'on peut se servir de mots pour dire un mensonge. On n'a souvent aucun moyen de savoir, en se basant sur les mots, si l'information qu'ils apportent est vraie ou fausse. Ceci est particulièrement net quand il s'~git des remarques personnelles. Par exemple, lorsqu'un patient dit : «Je me sens vraiment bien» ou « Ma vie sexuelle est formidable, tout va bien de ce côté», ses mots ne permettent pas de savoir si ces phrases sont vraies ou pas. On proteste souvent de sa sincérité. En revanche, le langage du corps ne peut pas servir à tromper, si l'observa teur sait le lire. Si mon patient se sent réellement bien, cet état doit se
85
La bioénergie )
"
'-...JÂ. refléter dans son corps. Je m'attends donc à ce qu'il ait bonne contenan
ce, les yeux brillants, la voix bien timbrée et les gestes animés. En l'ab
sence de ces signes physiques, je mettrai sa phrase en doute. Les mêmes
considérations s'appliquent à la remarque sur les réactions sexuelles.
Lorsque le schéma des tensions musculaires du corps montre qu'un
individu renferme en lui sa sensibilité - fesses serrées et cou contracté
- , il lui est impossible d'avoir une vie sexuelle « formidable)J parce qu'i!
est incapable de se laisser aller à une forte excitation sexuelle.
Le corps ne ment pas. Même lorsqu'on essaie de cacher ce que l'on
ressent réellement en adoptant une attitude artificielle, le corps dément
cette attitude par la tension qui se crée. On n'est jamais totalement
maître de son propre corps, c'est pourquoi les détecteurs de mensonges
peuvent être efficaces pour distinguer le vrai du faux. Dire un mensonge
crée un état de tension physique qui se reflète dans la pression sanguine,
la vitesse du pouls et la conductance électrique de la peau. Une tech
nique plus récente consiste à analyser la voix elle-même pour faire la
différence. Le ton et les résonances vocales reflètent tout ce qu'on
ressent. Il est donc logique qu'on puisse l'utiliser comme mode de détec
tion des mensonges.
Nous sommes familiarisés avec la détermination des traits de la
personnalité par l'écriture. Et certains disent être capables de détermi
ner le caractère de quelqu'un à sa démarche. Si chacun des aspects de
l'expression physique révèle ce én_~~b..iLest. .ak>rs ..certa~fl"q'l1e l'en , semble du corp'S doit di re notre vécu de faç Q!Lplus_complè~e -et--plus-- e-cràÎre. En fait, nous réagissons tous envers autrui par rapport à ce qu'expri me son corps. Nous nous classons constamment les uns les autres d'après notre corps, en évaluant rapidement la force ou la faiblesse de quelqu'un, sa vitalité ou son apathie, son âge, son attrait sexuel, etc. Nous décidons souvent, par ce qu'exprime son corps, si nous pouvons lui faire confiance, de quelle humeur il est, quelles sont ses attitudes fondamentales envers l'existence. Les jeunes disent actuellement que quelqu'un a de bonnes ou de mauvaises « vibrations)J, selon la façon dont son corps affecte l'observateur. En psychiatrie tout particulière ment, les impressions subjectives que l'on obtient à partir de ce qu'ex prime physiquement le patient sont les données les plus importantes sur lesquelles on doit travailler, et presque tous les thérapeutes utilisent constamment cette information. Toutefois, la psychiatrie, comme le grand public, répugne à considérer que ces informations sont valides et dignes de foi puisqu'il n'est pas facile de les vérifier objectivement. Je
86
Le langage du corps pense que cela dépend fonda~entalement ?u degr~ de confiance qu'o~ accorde à ses propres sens et a ses propres Impressions. Les enfants, qUI ont peu de raisons de douter de leurs sens, se fient davantage à ces informations que les adultes . C'est le thème du conte les Habits neufs de l'empereur. A une époque comme la nôtre, où se manifeste une telle tendance à manipuler la pensée et le comportement des gens par des mots et des images, cette source d'information est d'une importance capitale. Lorsque je présente les concepts bioénergétiques à des profession nels, on me demande fréquemment des statistiques, des diagrammes, des faits vraiment indiscutables. Je peux comprendre qu'on désire de telles informations, mais cela ne devrait pas nous pousser à rejeter, comme dépourvue de signification, l'expérience de nos sens. Nous sommes biologiquement pourvus de récepteurs à distance - les yeux, les oreilles et le nez - qui nous permettent d'évaluer une situation avant de tomber le nez dessus. Si nous ne faisons pas confiance à nos sens, nous affaiblissons notre aptitude à percevoir et à comprendre. En perce vant quelqu'un, nous pouvons donner un sens à ce qu'il nous raconte de sa vie, de ses luttes et de ses infortunes. Nous pouvons alors le comprendre en tant qu'être humain, ce qui est la condition fondamenta le pour pouvoir l'aider. Percevoir autrui est un processus empathique. L'empathie est une fonction d'identification: en nous identifiant à ce qu'exprime physique ment autrui, nous pouvons percevoir ce que cela signifie. On peut aussi percevoir à quoi cela ressemble de se sentir être cette autre personne, bien que l'on ne puisse ressentir ce que l'autre ressent. Les impressions . de chacun sont privées, subjectives. Il ressent ce qui se passe dans son corps, vous ressentez ce qui se passe dans le vôtre. Cependant, comme tous les corps humains se ressemblent quant à leurs fonctions fonda mentales, les corps peuvent entrer en résonance quand ils sont sur la même longueur d'ondes. Lorsque cela se produit, les impressions de l'un des corps sont semblables à celles de l'autre. En pratique, ceci signifie que si l'on adopte l'attitude physique de quelqu'un d'autre, on peut percevoir la signification de cette expression physique ou la comprendre intuitivement. Imaginez une personne qui bombe la poitrine, redresse les épaules et hausse les sourcils; si vous voulez savoir ce que signifie cette attitude, adoptez-la . Inspirez, redres sez les épaules et haussez les sourcils. Si vous êtes en contact avec votre c? rps, vous percevrez immédiatement que vous avez adopté une expres Sion de peur. Vous pouvez vous sentir effrayé ou non. Cela dépend de
87
La bioénergie l'évocation d'um: peur en vous, mais vous identifierez correctement l'ex pression. Vous co mprendrez alors que cette personne dit, en langage du corps : «J' ai peur.» Il se peut q ue cette personne ne se sente pas effrayée, malgré cette expression de peur. Si c'est le cas, cela signifie qu'elle a perdu le contact avec ce qu'exprime son corps. Cela se produit généralemeNt lorsque l' attitude dure depuis longtemps et qu'elle s'est structurée dans le corps. Les contrôles chroniques ou les schémas de tension perdent leur charge utile ou énergétique et s'écartent de la conscience. Ils ne sont plus perçus ni ressentis. L'attitude de son corps devient une « seconde natu re » de l'individu, au point que nous disons qu'elle fait partie de son caractère. Eventuellement, on le reconnaîtra à cette attitude, bien qu'au premier abord elle ait pu sembler étrange. Nos premières impressions sur quelqu'un sont des réactions physiques que nous tendons éventuelle ment à ignorer à mesure que nous nous centrons sur les mots et les actes. Les mots et les actes sont en très grande partie soumis au contrôle volontaire. On peut s'en servir pour produire un effet qui contredit ce qu'ex prime le corps. Ainsi, quelqu'un dont le corps exprime la peur peut parler et se comporter avec bravoure, attitude à laquelle il s'identifie p lus intimement au nivea u du Moi qu'à la peur manifestée par son co rp s. D ans ce cas, on peut dire que l'attitude consciente est compensa toire - c'est-à-dire qu'elle est un effort pour surmonter la peur sous jacente. Quand on adopte des mesures extrêmes pour nier la peur manifestée par son corps, c'est un comportement contre-phobique. Le langage d u corps ne men t pas, mais la langue qu'il parle ne peut être com prise que par un autre corps. Reproduire l'expression du corps de quelqu'un d'autre n'est nécessai re q u'au début, pour en rendre la signification évidente. Une fois qu'on a détermi né cette signification, on l' associe à l'expression chaque fois qu'on la rencontre. N o us savons ainsi que des lèvres tendues et resser rées expriment la désapprobation, des mâchoires poussées en avant le défi et des yeux largement ouverts la peur. Cependant, pour nous convaincre de la valid ité de nos interprétations, nous pouvons adopter ces expressions. Je vais maintenant demander au lecteur de prendre la position suivante, et de voir s'il peut suivre les interprétations que j'en donne. Je commence. En position debout, poussez les fesses vers l'avant, et contractez l-;:s fessiers. Vous pouvez noter deux effets: le premier, que le haut du corps tend à se pencher en avant au niveau du diaphragme, et le second, que le schéma des tensions de la zone
88
Le langage du corps
pelvique est un schéma de « rétention» ou de retenue. Se pencher corres pond à une diminution de la stature et donc de l'affirmation de soi. Si l'on pouvait visualiser un être humain avec une queue, elle serait alors serrée entre ses jambes. Un chien fouetté a la même attitude. Je crois qu' il est donc justifié d'interpréter cette posture physique comme le signe qu'on a été battu, défait ou humilié. .~'" ." La rétention est ressentie comme une contraction et une constriction , de s orifices pelvien, anal, urinaire et génital. De nombreuses études psychologiques ont montré que l'effondrement du Moi et l'impression d' avoir été humilié, battu, ainsi que la tendance à contenir ses senti ments sont ty piques d'une personne aux tendances masochistes. L'étape suivante comprend la mise en corrélation de cet ensemble de tr aits psychologiques avec une certaine attitude physique. U ne fois qu'on a établi la corrélation, on la met à l'épreuve de façon répétée en observant d' au tres patients. Finalement, la structure de caractère s'identifie à une posture physique bien définie. Lorsque quelqu' un a les fesses poussées vers l'avant et les fessiers contractés, cela dénote la présence d'un élément masochiste dans sa personnal ité. Déchiffrer ce qu'exprime le corps est souvent compliqué par la présence de ce qu' on appelle de s attitudes physiques compensatoires. Ai nsi, des individus dont la posture physiq ue révèle des tend ances masochistes, comme les fesses rentrées, peuvent en revanche présenter une attitude de défi dans le haut de leur corps - mâchoires projetées en avant, po~trine bombée - po_ur essayer de surmonter la soumission mas~chJste rév~<:;_paLle- bas de leur corps. De la même façon, une agres sivité exagérée peut servir à masquer la passivité et la soumission sous-j acentes. La cruauté peut cacher l'im pression d' avoir été b attu, et une peau dure et insensible peut m asquer l'humili ation. D ans de tels cas, on parle de sado-masochisme, car le comportement compensatoire attire l'attention sur la fai blesse qu'il est destiné à cacher. Pour lire le langage du corps il faut être en contact avec son propre c?rps, et pouvoir sentir ce qu' il exprime. Les thérapeutes bioénergéti Clens suivent donc eux-mêmes un entraînement pour garder le contact avec leur propre corps. Peu de personnes, dans notre culture, sont dépourvues de tensions muscul aires structurant leurs réactions et défin issant les rôles qu'elles tiendront dans l'existence. Ces schémas de tension reflètent les traumati smes expérimentés pendant leur croissance - rejet, m~ nque, sèd uction, répression et fru stration . Tous ne ressentent pas ces traum atismes avec la meme mtensité. si, par exemple, le rejet a
89
La bioénergie dominé l'expérience vécue d'un enfant, il élaborera un schéma de comportement schizoïde qui se structurera à la fois physiquement et psychiquement dans sa personnalité. Cela devient sa seconde nature et ne peut se changer que par la redécouverte de sa première nature. Cela reste vrai de tous les autres schémas de comportement. On utilise souvent l'expression « seconde nature » pour décrire des attitudes physiques et psychologiques qui, bien que non naturelles, semblent tellement faire partie de quelqu'un qu'elles lui semblent natu relles. Ce terme implique qu 'il existe une « première nature », libre, elle, de ces attitudes structurées. Nous pouvons défin ir cette première nature de façon négative ou positive. Nous pouvons dire que c'est l'absence, au niveau du corps, de tensions musculaires chroniques qui restreignent la sensibilité et le mouvement et, au niveau psychologique, de rationalisa tions, de dénégations et de projections. Positivement, ce doit être une nature qui garde la beauté et la grâce dont sont normalement doués tous les an imaux à leur naissance. Il est important de faire la distinction entre la première et la seconde nature. Trop de gens acceptent comme « naturelles » leurs tensions et leurs distorsions physiques, ne réalisant pas qu 'elles relèvent de leur « seconde nature », qu'ils ne trouvent natu relle que parce qu'ils y sont habitués depuis longtemps. J'ai la profonde conviction qu'on ne peut élaborer une existence saine et une culture saine qu'à partir de la première nature de l'homme
CHAPITRE IV
La thérapie bioénergétique
Un voyage à la découverte de
SOl
La bioénergétique ne se rapporte pas seulement à la thérapie, tout comme la psychanalyse ne se limite pas exclusivement au traitement analytique des désordres émotionnels . Les deux disciplines s' intéressent au développement de la personnalité humaine et cherchent à compren dre ce développement en fonction de la situation sociale dans laquelle il a lieu. Néanmoins, la thérapie et l'analyse sont les pierres d' angle sur lesquelles repose cette compréhension, puisque c'est au moyen de la perlaboration soigneuse des problèmes individuels qu'on peut obtenir des aperçus du développement de la personnalité. De plus, la thérapie fo urnit un terrain de mise à l'épreuve de la validité de ces aperçus qui est efficace ; sans cela, ils pourraient n'être que pure spéculation. On ne peut donc dissocier la -bioénergétique de la thérapie bioénergétique. A mes yeux, la thérapie implique un voyage à la découverte de soi même. Il n'est ni court, ni facile, ni dépourvu de douleurs et de tribula tions. Il comporte des ri sques et des dangers, mais la vie elle-même n'est pas dépourvue de risques, car elle représente, elle aussi, un voyage dans l' inconnu du futur. La thérapie ramène dans un passé oublié, mais qui n'est pas une période saine ni sûre; sinon on n'en sortirai.t pas avec les cicatrices des coups reçus et avec une cuirasse défensive. Je ne recom manderais à personne de faire ce voyage seul, bien que je sois certain que quelques personnes courageuses l'ont effectué sans aide. Le théra peute sert de guide, ou de navigateur. On lui a appris à reconnaître les dangers, et il sait comment les affronter; c'est aussi un ami qui offrira son aide et son courage lorsque la route sera dure.
91
La thérapie bioénergétique La bioénergie
Un thérapeute bioénergéticien doit avoir fait lui-même ce voyage, ou être en train de le faire et avoir suffisamment avancé pour avoir une solide perception de lui-même. Il doit être, selon notre façon de parler, suffisamment enraciné dans la réalité de son être propre pour pouvoir servir d'ancre à son patient quand la mer devient agitée. Certaines exigences fond amentales s'imposent à quiconque veut devenir thérapeu te. Il faut avoir une bonne connaissance des théories de la personnalité et savoir traiter les problèmes tels que la résistance et le transfert. De plus, un thérapeute bioénergéticien doit « sentir» le corps de façon à en lire le langage avec précision. Cependant, ce n'est pas un être humain parfait (y en a-t-il un ?), et il ne serait pas réaliste d'attendre de lui qu'il soit dépourvu de problèmes personnels. Ceci m'amène à un point important. Le voy age à la découverte de soi-même ne se termine jamais, et il n'existe pas de terre promise que l'on puisse finir par aborder. Notre nature première nous échappe toujours, bien que nous nous en rappro chions de plus en plus. L'une des raisons de ce paradoxe est que nous vivons dans une société civilisée, hautement technique, qui nous entraÎ ne de plus en plus loin du stade d'existence où s'est développée notre première nature. Même une thérapie réussie ne nous libère pas de toutes nos tensions musculaires, puisque les conditions modernes d'existence nous imposent un perpétuel état de tension . On peut se demander si une quelc onque thérapie peut éliminer totalement les effets de tous les trau matismes subis pendant la croissance et le développement. Même si les plaies sont complètement cicatrisées, les cicatrices restent souvent permanentes. On pourrait alors se demander ce qu'on gagne à entreprendre une thérapie si l'on ne se libère jamais complètement de la tension et si le voyage n'a pas d'étape finale ? Heureusement, la plupart de ceux qui commencent une thérapie ne cherchent pas à atteindre le nirvana, ni le jardin d' Eden. Ils sont tourmentés, souvent désespérés, et ils ont besoin d'aide pour continuer leur voyage dans l'existence. Les ramener en arrière peut leur fournir cette aide si cela augmente leur prise de conscience de soi, améliore leur exp ression de soi et renforce leur possession de soi. Une meilleure perception d'eux-mêmes les équipe mieux pou r la lutte. La thérapie peut de cette façon aider quelqu'un, parce qu 'elle le libère des restrictions et des distorsions de sa seconde nature névrotique, et le rapproche de sa première nature, source de force et de confi ance. Si la thérapie ne peut nous rendre notre première nature, qui est l'état
92
de grâce, elle peut nous en rapprocher et diminuer ainsi l'al ién ation dont souffrent la plupart d'entre nous. Aucun autre mot qu' « aliéna tion Il ne décrit mieux la situation de l'homme moderne. Tel « un étran ger en terre étrangère », il ne peut échapper à ces questions: « Quel est mon but dans la vie? A quoi sert tout cela?» Il lutte contre le manque de signification de son existence, une impression vague mais persistante d'irréalité, une sensation omniprésente de solitude qu'il essaie pénible ment de surmonter ou de nier et la profonde peur que la vie ne lui
échappe avant qu' il ait eu une chance de la vivre. Bien que je sois
psychiatre. je centre mon attention sur les plaintes ou les symptômes
que présente le patient. Je ne pense pas que le but de la thérapie se
limite à ce problème spécifique. Si je ne peux pas aider le patient à avoir
davantage de contact avec lui-même (pour moi, cela signifie avec son
corps, et par l' intermédiaire de son corps, avec le monde qu i l'entoure),
j'ai l' impression que mes efforts pour surmonter son aliénation ont
échoué, et que la thérapie n' a pas réussi. Bien que nous parlions de l' aliénation comme de l'éloignement de l'homme de la natu re et de son semblable, elle se fo nde sur l'éloigne ment de l'homme de son corps. J' ai traité ce thème plus en détail ailleurs l et je ne le réintroduis ici que parce que c'est un thème central de la bioénergétique. Ce n'est que par l'intermédiaire de son corps qu'on fait l'expérience de la vie et qu'on existe dans le monde. Mais cela ne suffit pas à établir un contact avec son corps . On doit aussi maintenir ce contact, et cela signifie qu'on se voue à la vie de son corps. Un tel enga gement n'exclut pas l'esprit, mais il exclut de se vouer à un intellect dissocié, un esprit qui ne se soucie pas du corps. Se vouer à la vie de son corps est la seule assurance que le voyage se terminera avec succès, par La découverte de soi. Cette vision de la thérapie considérée comme un processus sans fi n soulève une question pratique. « Combien de temps faudra-t-il que je vienne vous voir? » me demandent mes patients. On peut répondre de façon positive: « La thérapie durera tant que vous aur ez l'impression qu'elle vaut le temps, l'effort et l'argent que Vüüs y investissez.)) Il est également commodel:i~souligner que de nombreuses thérapies se termi nent pou r des raisons qui échappent au contrôle de l' analyste ou du patient, par exemple déménager vers une autre ville. Je peux aussi arrê ter une thérapie lorsque j'ai l'impression qu'elle ne mène nulle part, pour empêcher le patient de s'en servir comme d'une perpétuelle béquil 1. Lowen, Le C o rps bafoué, op. cil.
93
La thérapie bioénergétique La bioénergie le. Le patient met un terme à la relation thérapeutique lorsqu'il se sent capable d'assumer seul la responsabilité de sa croissance ultérieure ou, en d'autres termes, lorsqu'il sent qu'il peut continuer son voyage sans guide. Le mouvement est l'essence de la vie; la croissance et le déclin constituent ses deux aspects. Il n'y a en réalité pas de plateau. Si la croissance, au niveau du développement de la personnalité, s'arrête, alors le déclin s'installe; il peut être imperceptible au début, mais devient tôt ou tard évident. Le vrai critère de réussite d'une thérapie est qu'elle engendre et favorise chez le patient un processus de croissance qui continuera sans l'aide du thérapeute. Dans le Chapitre Premier, j'ai raconté certaines de mes expériences personnelles pendant ma thérapie avec Wilhelm Reich, puis lors de la thérapie suivante - avec John Pierrakos -, qui posa les fondements de la méthode bioénergétique. Bien que j'y aie gagné une incommensurable augmentation de ma perception de moi-même (prise de conscienée de soi, expression de soi, possession de soi), je n'avais pas l'impression d'avoir atteint le terme du voyage. A ce moment-là, mon bateau voguait calmement, je ne prévoyais ni tourments ni difficultés, mais de telles conditions ne durent pas indéfiniment. Au cours des années suivantes, je traversai certaines crises personnelles, que je fus capable de prendre en charge correctement grâce à ma thérapie. Une crise personnelle ne se produit que lorsqu'une rigidité de la personnalité subit une forte tension. C'est donc à la fois un danger et la possibilité d'une libération et d' une détente plus poussées. Heureusement, ma voie se révéla être la croissance pendant le déroulement de mon existence. Sans rentrer dans le détail de ces crises, je vais décrire un ensemble d'expériences person nelles ayant trait à la thérapie. Il y a environ cinq ans, je pris conscience d'une douleur du cou. Au début, je ne la ressentais qu'occasionnellement, mais avec le temps elle devint de plus en plus perceptible chaque fois que je tournais brusque ment la tête. Je n' avais pas négligé mon corps depuis que j'avais arrêté la thérapie active. J'avais continué à faire régulièrement les exercices de bioénergétique que j'utilise avec les patients. Bien qu'ils m'aient beau cou p aidé, ils restaient sans effet sur cette douleur, que je supposais être de l'arthrite cervicale. Je ne l'ai jamais fait confirmer par un examen aux rayons X, cela reste donc seulement une hypothèse. Q ue cette douleur soit ou non de l'arthrite, je pouvais palper dans mon cou quelques muscles assez contractés, en relation avec la douleur. J'avais quelques autres tensions musculaires en haut du dos et dans les
épaules. l'avais aussi remarqué dans les films pris quand je travaillais avec mes patients que j'avais par moments tendance à tenir la tête penchée en avant. Cette position provoquait un léger arrondissement du dos entre les omoplates. Pendant un an et demi environ, je fis certains exercices régulière ment, pour soulager cette douleur et redresser mon dos. L'un des théra peutes bioénergéticiens me faisait également des massages réguliers . Il arrivait à sentir les muscles contractés et il les travaillait avec énergie pour provoquer une certaine détente. Les exercices et les massages apportèrent une amélioration temporaire. Je me sentais mieux et plus libre ensuite, mais la douleur persistait et la tension réapparaissait. A la même époque, je fis une autre expérience qui, je crois, joua un rôle dans la résolution de ce problème. A la fin d'un atelier profession nel, deux des participants, eux-mêmes thérapeutes formés en bioénergé tique, dirent que c'était bien mon tour et proposèrent de travailler sur moi. Ce n'est normalement pas dans mes habitudes, mais je me laissai aller à cette occasion. L'un travaillait sur une tension de ma gorge et l'autre sur mes pieds. Je sentis subitement une douleur aiguë, comme si quelqu'un m'avait tranché la gorge. J'eus l'impression immédiate que c'ét ait quelque chose que ma mère avait fait, au niveau psychologique, et non littéralement. Je réalisai que cela avait eu pour effet de m'arrêter d'élever la voix ou de pousser des cris. J' avais toujours eu une certaine difficulté à exprimer verbalement mes émotions, bien que ce problème ait régulièrement diminué avec les ans . Dans certaines situations, mon impossibil ité à le faire entraînait des maux de gorge, surtout lorsque j'étais fatigué . Lorsque je ressentis cette douleur, je repoussai les théra peutes et hurlai de colère. J'éprouvai alors un profond soulagement. Peu de temps après cet incident, je fis deux rêves qu i amenèrent le premier problème à son paroxysme. Je les fis deux nuits de suite. Dans le premier, j'étais convaincu que j'allais mourir d'une attaque cardia que. Puis je sentis que tout irait bien, puisque je mourr ais avec d ignité. Curieusement, je ne ressentis aucune angoisse durant le rêve, ni à mon réveil le lendemain matin, et m'en souvins. La nuit suivante, je rêvai que j'étais le conseiller et l'homme de confiance d' un roi infantile qu i croyait que je l'avais trahi. Il avait ordonné qu'on me coupe la tête. D ans le rêve, je savais que je ne l' avais pas trahi et j'étais convaincu qu'il découvrirait son erreur et que je serais grâcié et ramenè à ma situation antérieure. Alors que l'exécution approchait, j'attendais toujours ma grâce avec confiance. Le jour de l'exécution et alors qu'on m'amer..ait à l'échafaud, j'étais encore sûr que 95
94
La bioénergie la grâce all ait arriver, peut-être à la dern ière minute. Dans le rêve, je sentais le bourreau qui se tenait près de moi avec une grande hache. On ne le voyait pas clairement. Mais j'attendais toujours ma grâce. Puis le bourreau se pencha en avant pour enlever la chaîne qui liait mes jambes. Il le fit avec ses mains, car la chaîne qui entourait mes chevilles était faite de fil métallique peu résistant. Je réalisai soudain: « Mais j'aurais pu le faire moi-même)l, et je me réveillai. Dans ce rêve égale ment je n'avais ressenti aucune anxiété à l' approche de ma mort. Cette absence d'angoisse me fit sentir que les deux rêves avaient une signification positive. Je ne fi s donc pas beaucoup d'efforts pour les interpréter. Le premier avait à peine besoin d'une interprétation. Avant ce rêve, je m'étais inq uiété de J'éventuali té d' une attaque cardiaque. J'approch ais de la soixantaine, âge auquel de telles attaques ne sont pas rares, et je savais que c'était mon principal point faible. J'avais pris conscience de la rigidi té de mon thorax dès ma première séance avec Reich. et je ne l' avais pas totalement détendu. De plus, j'étais un fumeur de pipe invétéré, bien q ue je n'avale pas la fu mée. Le rêve ne me rassura pas sur l'éventualité d'une crise cardiaque; il fit plutôt de cette possibili té un événement d' importance secondaire. L'important était de mourir avec dignité, ma is cela sign ifiait également, comme je le réal isai aussi tôt, vivre avec dignité. Cette réalisation semblait éliminer en moi la peur de la mort. Au début, je ne communiquai ces rêves à personne. Cependant, quel ques mois plus tard, je les racontai tous deux à un groupe de thérapeu tes bioénergéticiens. au cours d'un atelier en C alifornie. Nous avions consacré une séance d'une soirée aux rêve.s. A cette occasion, nous n'al lâmes pas très loin dans l'interprétation du seco nd rêve. J'avais l'im pression quïl me faisait savoir que j' avais joué le second violon trop longtemps devant un aspect infan tile de ma personnal ité, et que cela ne faisait q ue me causer des problèmes. Je devai s prendre ma place légiti me, et régner sur mon royaume (ma personnalité, mon travail) puisque j'en assumais la responsabilité. Cette décision me fais ait me sentir bien. Environ un mois et demi plus tard, je rencontrai un autre groupe de thérapeutes bioénergéticiens, et je leur racontai ces rêves. Entre-temps, j'avais repensé à ce second rêve. J'avais l'impression qu'il était lié à la douleur de mon cou. Dans ce rêve on devait me couper la tête ; la hache serait tombée sur mon cou. Je commençai donc par décrire la douleur chronique de mon cou, dont je sentais main tenant qu'elle avai t quelque chose à voir avec le fait de ne pas tenir la tête haute et droite. D' ailleurs, qu and j'adoptais cette position, la douleur disparaissait. Ma is je savais
96
La thérapie bioénergétique que je ne pouvais pas le faire consciemment, par l'intermédiaire de ma volonté, car cela paraîtrait artificiel, et que je ne serais pas capable de maintenir cet effort. Porter la tête haute serait une expression de dignité qui se conformerait à la signification du premier rêve. Après avoir raconté les rêves, je relatai quelques impressions d'en fance. J'étais l'aîné de la famille, et le seul fils. Ma mère se dévouait à moi, j'étais la prunelle de ses yeux. A de nombreux égards, elle me considérait comme un jeune prince. En outre, elle insistait toujours sur le fait que c'était elle qui savait ce qui était le mieux, et elle se montrait souvent dure lorsque j'étais bruyant. Elle était ambitieuse et transférait cette attitude sur moi. Mon père se dévouait aussi à moi. Sa personnali té était presque à l'opposé de celle de ma mère. Il était accommodant et aimait le plaisir. Il travaillait beaucoup, mais sa petite entreprise marchait assez mal. J'avais l'habitude de l'aider pour ses écritures, car je faisais rapidement les diagrammes. Pendant toute mon enfance, mon pére et ma mère eurent des discussions, généralement à propos d'argent, et je me trouvais régulièrement pris au milieu. D'une part je me sentais supérieur à mon père, mais d'autre part il était plus grand et plus fort, et j' avais peur de lui. Je ne pense pas que cette peur de mon père me venait de lui. Il n'était pas cruel et ne me fessa qu'une seule fois. Mais ma mère m'avait habitué à entrer en compétition avec lui, ce qu'aucun petit garçon ne peut faire avec succès. Je réalisai que je n'avais jamais totalement résolu cette situation œdipienne, car c'en était évidemment une. Mon père était le roi infantile que je ne pouvais pas détrôner, et je devais donc rester le jeune prince, plein de promesses, mais confiné dans un rôle secondair~. Lorsque je relatai cette situation, et me décrivit en fonction d'elle, je découvris soudainement que c'était fini. C 'était le passé. Tout ce que j'avais à faire pour me libérer était d'enlever la chaîne fragile qui me liait les chevilles. Mon père était mort plusieurs années auparavant. Sans me rappeler ce fait , je savais que j'étais maintenant le roi et que, com me il est normal pour un roi , je pouvais porter la tête haute naturel lement. L'interprétation finit sur cette remarque, et je ne pensai plus à tout c~la. car je savais maintenant où j'en étais. Toujours sans y penser, je ? ecouvris un jour que la douleur de mon cou avait disparu. Et elle n'est Jamais revenue depuis. J'ai pris conscience d'avoir à partir de ce moment une attitude diffé rente dans mes rapports avec autrui. Certains ont trouvé que j'avais changé. Ils disent que je suis devenu plus doux, plus facile à vivre,
97
r
La bioén ergie moins provocateur, que j'insiste moins pour que les autres soient de mon avis. Auparavant je luttais pour qu'on me reconnaisse - qu'on me reconnaisse pour un homme, pas un enfant, pour un roi, et non pour un prince. Mais nul ne pouvait me reconnaître tant que je me le refusais à moi-même. Maintenant, il n'y avait plus besoin de lutter. Je fus très satisfait de la façon dont les choses avaient tourné, mais cela ne signifiait pas que j 'avais fini mon voyage. Après m'être libéré de la tension de mon cou, je devins davantage conscient de la tension de mes épaules et de mon thorax. Ces tensions n'atteignaient toutefois pas le seuil de la douleur. Je continuai cependant les exercices bioénergéti ques en travaillant sur la respiration, sur l'enracinement au sol et en frappant des sacs de sable pour libérer mes épaules. S'enraciner consis te à diriger la sensibilité sur les pieds. Dans mon rêve, j'étais lié par la cheville. Une autre expérience se rapporte à cette histoire. Il y a environ deux ans, j'entrai en relation avec un professeur de chant qui était familiarisé avec les concepts bioénergétiques, et qui comprenait le rôle de la voix dans l'expression de soi. J'ai mentionné précédemment que j'avais l'im pression que ma mère m'avait tranché la gorge. Cela avait créé chez moi quelques difficultés à parler, à pleurer, mais surtout à chanter. J'avais t~ujours désiré chanter, mais je le faisais rarement. J'avais peur que ma voix craque et de me mettre à pleurer. Lorsque j'étais enfant, personne ne chantait dans la famille . Je décidai donc de prendre des leçons de chant avec ce professeur, pour voir ce que cela ferait. Elle m'assura qu'elle comprenait mon problème et que, comme c'était une leçon particulière, je pourrais tout simplement aller de l'avant et pleurer si le désir m'en venait. Je partis prendre ma leçon avec une excitation considérable. Le professeur commença par me faire émettre un son, n'importe lequel, libre et spontané. Puis je chantai un mot, « diabolo », ce qui me permit d'élargir ma gorge et de vocaliser pleinement. Je me laissai aller. Je parcourus la pièce en travaillant ce mot. Ma voix se libéra. Au bout d'un moment, j 'émis un son qui sortit si facilement et si pleinement qu'il me sembla que j'étais ce son, et qu'il était moi. Il se percuta dans tout mon être. Mon corps vibrait continuellement. A mon étonnement, je n'eus pas une seule fois envie de pleurer. Je n'avais qu'à m'ouvrir et laisser sortir le son. Je sus alors que je pouvais chanter, car certains des sons avaient un caractère agréable et musical. A la fin de la séance, j'avais une impression d'allégresse comme je n'en ai connu qu'à de rares occasions. Bien sûr, je continuai à prendre des
La thérapie bioénergétique leçons. J'ai mentionné cette expérience parce que je suis sûr qu 'elle a joué un rôle dans l'étape ultérieure. Au cours de l'année suivante, je portai peu d'attentio~ ~ n;es rêv.es, ~ien qu'~ls ne s~ient pas loin de a conscience. Je pensaIS a 1 occaSIOn a mes reves et a mes parents . PUIS, un jour, l'évidence me frappa. Je savais qui était le roi infantile. C'était mon cœur. Le second rêve prit alors une signification totalement diffé rente; j'avais trahi mon cœur. Ne lui faisant pas confiance, je l'avais tenu enfermé dans une cage thoracique rigide. Le de» du rêve était mon Moi, mon esprit conscient, mon intellect. Ce de» , l'intellect, était le conseiller et l'homme de confiance qui réglait les affaires au bénéfice du roi infantile, emprisonné. Lorsque je réalisai qui était le roi, je ne doutai pas de l'exactitude de l'interprétation. Bien sûr, le cœur est le roi, ou il devrait l'être. Pendant des années, j'avais soutenu qu'on doit écouter son cœur et le suivre. Le cœur est le centre et le noyau de la vie, sa loi est l'amour. C'est également un nourrisson, car le cœur ne vieillit jamais . Les senti ments qui sont au cœur du nourrisson et ceux qui sont au cœur d'une personne plus âgée sont identiques: ce sont l'amour, ou la douleur d'être incapable d'aimer. Mais, tout en proc:amant ce principe, je ne le suivais pas totalement moi-même. J'avais utilisé l'expression « roi infan tile », qui a un caractère ironique, comme si la maturité était une fonc tion de l'intellect. De plus, je n'avais pas pardonné à ma mère la douleur qu'elle m'avait causée, que mon cœur aurait allègrement approuvée. Oui , j' avais bien trahi le roi, et il avait réaffirmé son auto rité : « Coupez-lui la tête, avait-il ordonné, je n'ai pas besoin de ce traître de conseiller. » Mais j 'avais également raison, d'une certaine façon. Je ne l'avais pas réllement trahi, car je le protégeais réellement et j'agissais au mieux de ses intérêts. Cela me semble maintenant être ce que faisait ma mère. Mais il y avait pourtant là une vérité. Nourrisson, j'avais eu le cœur déchiré par la trahison. J'avais vu ma mère se tourner vers moi avec colère alors que tout ce que je demandais, c'était d'être près d'elle. Je protégeais mon cœur pour qu 'on ne puisse plus lui faire aussi mal. Malheureusement, la protection avait pris la forme de l'emprisonne ment, de la fermeture de la voie de communication entre mon cœur et le monde, et mon malheureux cœur dépérissait à en mourir. J'étais voué à la crise cardiaque.
n:
Ma tête ne roula point, et je n'eus pas de crise cardiaque. Je fus libéré lorsque je réalisai en rêve que le fer de ma cheville n'était pas de l'acier, et que je n'étais lié que par une illusion. J'aurais pu me libérer moi
98
99
La bioénergie même à n'importe quel moment. Mais jusqu'à ce que nous sachions la distinguer de la réalité, l'illusion en a toute la force .. Tout roi a besoin d'un conseiller. Tout cœur a besoin d'une tête qui lui fournit des yeux et des oreilles lui permettant d'être en contact avec la réalité. Mais ne laissez pas la tête faire la loi: ce serait trahir le cœur. On peut dire que cette nouvelle interprétation de mes rêves est une interprétation bioénergétique, parce qu'elle se réfère à l'interaction dynamique entre les parties de mon corps, qui sont des aspects de ma personnalité. L'interprétation précédente était plus proche d'une analy se freudienne. Je considère que les deux sont exactes; simplement la seconde va plus en profondeur que la première. J'ai reconnu que les rêves peuvent être sujets à des interprétations différentes, chacune étant valide dans la mesure où elle éclaire le comportement et les attitudes du rêveur. Les prises de conscience en profondeur fournies par ces rêves me laissèrent encore face au problème de ma rigidité thoracique. Pour libé rer mon cœur, il fallait détendre les tensions musculaires mises en jeu. Les prises de conscience permises par mes rêves n'avaient pas ouvert mon cœur, mais elles avaient dégagé la voie de ce changement. L'une des thèses importantes de la bioénergétique est que les change ments de la personnalité sont conditionnés par les changements des fonctions physiques - c'est-à-dire respiration plus profonde, motilité accrue, expression de soi plus totale et plus libre. A tous ces égards, la rigidité de mon thorax constituait une limitation d'être. J'étais déjà conscient auparavant de cette rigidité, sur laquelle j'avais déjà travaillé. De plus, mon masseur, qui était formé à la bioénergétique, avait essayé de détendre les muscles de ma cage thoracique. Les résultats obtenus étaient négligeables. Mon thorax se raidissait contre toute pression et, malgré ma volonté de me laisser aller, j'étais incapable de le faire. La situation commença à changer l'année dernière. Le changement consista à prendre conscience du fait que la résistan ce avait diminué. Je sentis que si l'on exerçait une pression, je pourrais maintenant me laisser aller. Je demandai donc à l'un des thérapeutes bioénergéticiens d'appliquer une pression douce et rythmique sur ma cage thoracique, pendant que j'étais étendu sur le tabouret à respirer. Pendant qu'il le faisait, je me mis à pleurer; les pleurs s'approfondirent graduellement en un son déchirant, poussé à pleine gorge. J'avais l'im pression que ce son venait de la douleur qui était dans mon cœur, d'un désir de donner et de recevoir de l'amour que j'avais fermement gardé sous contrôle toutes ces années. A ma stupéfaction, ce sanglot déchi100
La thérapie bioénergétique rant ne dura pas très longtemps. Je me mis soudain à rire, et une impression d'allégresse envahit mon corps. Cette ex~é:ience ~e fit r.éali ser combien le rire est proche des larmes. La JOle representalt le fait que, pour le moment, mon thorax était détendu et mon cœur ouvert. Tout comme une hirondelle ne fait pas le printemps, une seule expé rience ne fait pas un être nouveau. On doit répéter le processus, parfois souvent. Peu de temps après cette expérience, j'eus une réaction semblable à un processus différent. Un dimanche après-midi, ma femme et moi faisions quelques exercices de bioénergétique. Je sentais mes épaules contractées, et je lui demandai donc de travailler sur elles. La zone la plus douloureuse se trouvait à l'angle entre le cou et les épaules, à côté de l'endroit où les muscles scalènes s'insèrent dans les côtes supé rieures. J'étais assis sur le plancher, et elle se tenait debout au-dessus de moi. Elle pressa la zone de ses poings, ce qui me causa une douleur atroce. J'éclatai en sanglots, qui venaient du fond de la gorge. Et, à nouveau, après une minute ou deux, le rire de détente réapparut, je retrouvai l'impression de joie. Faire la somme de mes expériences des cinq dernières années m'amè ne à plusieurs conclusions. La première va dans le sens de l'idée expri mée précédemment: la thérapie considérée comme un processus de croissance et de développement ne se termine jamais. Travailler avec un thérapeute fonde ce processus. Cela met aussi en jeu des forces internes de la personnalité qui œuvrent pour élargir et augmenter tous les aspects du Soi - conscience de soi, expression de soi et possession de soi -, forces qui fonctionnent à la fois au niveau conscient et au niveau inconscient. Les rêves sont une manifestation de l'action de ces forces au niveau inconscient. Consciemment, l'individu doit s'engager vers le changement, c'est-à-dire vers une c,'élissance et un développement continus. Une deuxième conclusion est que l'engagement vers la croissance implique l'engagement au niveau de son corps. De nombreuses person nes sont actuellement fascinées par l'idée de croissance - le mouvement pour le potentiel humain se fonde sur cette idée - et elles s'engagent dans de nombreuses activités qui ont pour but de promouvoir le déve loppement de la personnalité. De telles activités peuvent avoir un résul tat positif, mais, si elles ignorent le corps, elles peuvent aussi se trans former en jeux, peut-être intéressants, parfois même drôles, mais qui ne c?nstituent pas un processus sérieux de développement. On ne peut separer le soi du corps, ni la conscience du soi de la conscience du 101
La bioénergie corps. Pour moi, du moins, la voie de la croissance consiste à être en contact avec mon corps et à en comprendre le langage. La troisième conclusion introduit une note d'humilité dans cette discussion. Aucun effort de volonté ne peut nous changer 1. C'est comme essayer de s'attraper par les pieds pour quitter le sol. Le changement se produit lorsqu'on y est prêt, qu'on le désire et qu'on est capable de changer. La peur de changer est cependant importante. Ma propre peur de la mort par crise cardiaque en est un exemple. On doit appren dre la patience et arriver à la tolérance. Ceci est un phénomène physi que. Le corps devient graduellement tolérant à un mode de vie plus énergétique, à des impressions plus fortes et à une expression de soi plus libre et plus totale.
Le centre de la thérapie Mon voyage personnel à la découverte de moi-même recouvre une période de trente ans, depuis ma première séance de thérapie avec Reich jusqu' à maintenant. Eu égard aux expériences que j'ai décrites dans ce chapitre, je pourrais dire qu'il m'a fallu trente ans pour atteindre mon cœur. Mais ce n'est pas strictement vrai. Mon cœur fut touché de nombreuses fois durant cette période. J'ai été profondément amoureux et, en fait, je le suis toujours. J'avais ressenti auparavant la joie d'aimer. Mais il y avait maintenant une différence. Dans le passé, mon cœur était touché par quelqu'un ou quelque chose d'extérieur à moi - une personne, une chanson, une histoire, la N eu vième Sy mphonie de Beethoven, etc . Mon cœur s'ouvrait, puis il se refermait car j'avais peur et je pensais que j' avais besoin de le protéger. Cette peur m'a quitté maintenant, et mon cœur reste relativement ouvert. Mes trente années de pratique en tant que thérapeute bioénergéticien m'en ont aussi appris beaucoup sur autrui . J'ai travaillé avec des gens, et ce sont eux qui m'ont appris quelque chose. D'une certaine façon, leur lutte était parallèle à la mienne et, à les aider, je m'aidais aussi moi même. Nous recherchons tous le même but, bien que peu d'entre nous le sachent. Nous parl ions de nos peurs, de nos problèmes, de nos hauts et de nos bas sexuels, mais nous ne mentionnions pas la peur d'ouvrir notre cœur et de le lai sser ouvert. Mon arrière-plan reichien m'avait
La thérapie bioénergétique orienté vers le but de la puissance orgastique - qu i est parfaitement valide - , mais n'avait pas souligné le rapport entre un cœur ouvert, l'aptitude à aimer totalement et la puissance orgastique. Ce rapport ne m'était alors pas inconnu, depuis de nombreuses années. L ove and Orgasm, publié en 1965, défend la thèse que l'amour est la condition nécessaire de la réaction orgastique totale. L'amour et la sexualité y étaient mis sur le même plan, puisqu'on considérait la sexualité comme une expression d' amour. C ependant, cet ouvrage trai tait spécifiquement des problèmes sexuels, ne touchant qu 'incidemment la crainte d'ouvrir son cœur à l'amour, ou l'incapacité à le faire. Je ne doute pas que ce fu t ma propre peur qui m'empêcha de continuer à trai ter plus complètement cet aspect du sujet. Ce n'est qu' après avoir résolu ma propre peur que je pouvais arriver au centre du problème thérapeu tique. Ce centre est le cœur. On parle couramment du cœur d'un pro blème. li nous faut réaliser qu e le cœur est probablement l'organe le plus sensible du corps. Notre vie dépend de son activité continue et rythmi que. Lorsque ce rythme est affecté, même momentanément, comme par exemple lorsque le cœur s'emballe ou manque un battement, nous éprouvons de l'angoisse au centre même de notre être. Quelqu'un qui a éprouvé très jeune une telle angoisse va développer de nombreuses défe nses pour protéger son cœur du danger représenté par n'importe quel trouble de fonctionnement. Il ne laissera pas facilement toucher son cœur et il ne réagira pas au monde avec son cœur. Ces défenses s'élaborent tout au long de la vie, jusqu'à ce qu'elles finissent par consti tuer une puissante barrière contre tout essai d' atteindre le cœur. Au cours d'une thérapie réussie, ces défenses sont étudiées, analysées en rel ation au vécu et soigneusement perl aborées, jusqu'à ce qu 'on atteigne le cœur du patient. . Mais pour cela, il faut comprendre les défenses en tant que processus fals a.nt partie du développement. Le mei lleur moyen de l'expliquer est un di agramme qu i présente les couches défensives sous forme de cercles concentriques:
1. Lowen, L e Plaisir, op. cil., expl ique l'importance de l'acceptatio n de soi dans le processus thérapeutique.
102
103
La thérapie bioénergétique
La bioénergie
La couche émotionnelle des émotions qui comprend les sentiments refoulés de rage, de panique ou de terreur, de désespoir, de tristesse et de douleur.
Le centre, ou cœur, d'où dérivent l'amour et le sentiment d'être aimé.
On peut résumer sommairement ces différentes couches comme suit,
à partir de la plus extérieure: La couche du Moi comprend les défenses psychiques, et c'est la couche la plus extérieure de la personnalité. Les défenses typiques du Moi sont :
a) dénégation; b) projection; c) blâme; d) méfiance; e) rationalisations et intellectualisations. La couche musculaire, où se trouvent les tensions musculaires chro niques qui aident et justifient les défenses du Moi, et protègent en même temps de la couche sous-jacente d'émotions refoulées qù'on n'ose pas exprimer.
104
L'approche thérapeutique ne peut se limiter à la première couche, si importante qu'elle soit. Bien que nous puissions aider quelqu'un à pren dre conscience de ses tendances à dénier, à projeter, à blâmer ou à rationaliser, cette connaissance consciente affecte rarement les tensions musculaires et libère rarement les émotions refoulées. Ceci constitue la faiblesse de l' approche purement verbale, puisque cette approche se limite nécessairement à la première couche. Si les tensions musculaires ne sont pas affectées, la prise de conscience peut facilement dégénérer en une forme différente de rationalisation, accompagnée d'une forme altérée de dénégation et de projection. L'impuissance des théories verbales à entraîner des changements significatifs de la personnalité est responsable de l'augmentation de l'in térêt porté aux approches non verbales et corporelles. La tendance d'une bonne partie de ces nouvelles techniques thérapeutiques consiste à évoquer et à libérer les émotions refoulées. On met souvent l'accent sur l'émission de cris. Il n'est pas rare que le patient ressente sa rage et sa tristesse, et puisse exprimer 'sa nostalgie. Les hurlements ont effectivement un effet cathartique puissant sur la personnalité. Cela a été longtemps l'une des techniques standard de la bioénergétique. Le hurlement joue le rôle d'une explosion à l'intérieur de la personnalité, qui morcelle momentanément la rigidité engendrée par les tensions musculaires chroniques, affaiblit le Moi créé par ces tensions musculaires chroniques et affaiblit les défenses du Moi, celles de la première couche. Les pleurs et les profonds sanglots produisent un effet semblable en adoucissant et en réduisant les rigidités physiques . Libérer la rage est également bénéfique, lorsqu'elle s'exprime sous contrôle et en situation thérapeutique. Dans ces conditions, elle ne constitue pas une réaction destructrice, et on peut l'intégrer au Moi : 'est-à-dire la rendre syntone au Moi. La peur est plus difficile à evo~uer et plus importante à amener au jour. Si l'on ne fait pas remon ~~r a la surface la panique et la terreur et qu'on ne travaille pas dessus, effet cathartique des hurlements, de la rage et de la tristesse n'est que de courte durée. Tant que le patient n'arrive pas à se confronter à sa peur et à en comprendre les raisons, il va continuer à hurler, pleurer et enrager sans que l'ensemble de sa personnalité change beaucoup. Il aura substitué un proceS3US cathartique à un processus inhibiteur, mais
105
La bioénergie il ne fera aucun changement significatif vers la croissance. Il restera pris entre les forces inhibitrices qu'il n'a ni comprises ni perlaborées, et le désir d'obtenir un soulagement cathartique momentané. Il est néanmoins important pour la thérapie que ces émotions refou lées puissent s'exprimer. Les lecteurs familiarisés avec mes ouvrages précédents sur la bioénergétique savent que notre politique est de laisser se libérer et éclater ces émotions, car leur libération rend disponible l'énergie nécessaire à la croissance. A mon avis, travailler seulement sur la troisième couche ne produit pas les résultats désirés. Passer par-dessus la première et la deuxième couche ne les élimine pas. Elles ne sont momentanément pas opération nelles - c'est-à-dire tant que dure l'effet cathartique. Mais lorsqu'on doit retrouver le monde, et agir en adulte responsable, les défenses se remettent en place. On ne peut pas faire autrement puisque les condui tes régressives ou cathartiques sont inappropriées en dehors de la situa tion thérapeutique. Il semblerait logique de travailler à la fois sur la première et la troisième couche, puisqu'elles sont complémentaires l'une de l'autre: la première gère les défenses intellectuelles et la troisième les défenses émotionnelles. Mais il est difficile de réussir un tel amalgame, puisque le seul rapport direct entre ces couches passe par la couche des tensions musculaires. Si l'on travaille directement au niv'~au de la deuxième couche, on peut passer à la première ou à la troisième lorsque c'est nécessaire. On peut ainsi, en travaillant sur les tensions musculaires, aider quelqu'un à comprendre comment la rigidité de son corps et la façon dont il est cuirassé conditionnent ses attitudes psychologiques. Et lorsque c'est souhaitable, on peut atteindre et libérer les émotions refoulées en mobi lisant les muscles contractés qui limitent et qui bloquent l'expression de ces émotions. Par exemple, le hurlement est bloqué par des tensions musculaires de la gorge. Si l'on applique avec les doigts une pression ferme sur les scalènes antérieurs, le long des côtés du cou, alors que le patient émet un son assez fort, ce son se transforme souvent en hurle ment. Le hurlement contin ue en général après qu'on ait cessé d'exercer la pression, surtout quand il existait un besoin de hurler. Après le hurle ment, on retourne à la première couche pour déterminer à quoi se ratta chait ce hurlement, et pourquoi il était nécessaire de le refouler. De cette façon, les trois couches sont toutes impliquées dans l'analyse et la perlaboration des positions défensives . Le fait de centrer l'intérêt sur le problème physique, ici la gorge resserrée et contractée, fait passer d'une manoeuvre purement cathartique à un processus d'ouverture, orienté 106
La thérapie bioénergétique vers la croissance. Il n'est pas nécessaire de souligner que ne travailler ue sur les tensions musculaires, sans analyser les défenses psychiques ~i évoquer les émotions refoulées, n'est pas un processus thérapeutique. Le travail physique, comme les massages ou le yoga, a une valeur posi tive, mais n'est pas spécialement thérapeutique en lui-même. Toutefois, nous sentons qu'il est si important pour chacun de rester en contact avec son corps et de réduire sa tension que nous encourageons tous nos patients à faire leurs exercices de bioénergétique, seuls ou en groupes de travail, et à se faire faire régulièrement des massages. Supposons, pour les besoins de la discussion, qu'il soit possible d'éli miner chacune des positions défensives de la personnalité. Comment fonctionnerait une personne saine? A quoi ressemblerait notre . diagramme? Les quatre couches existeraient toujours, mais ce serait alors des couches de coordination et d'expression plutôt que des couches de défense. Toutes les impulsions partiraient du cœur, ce qui revient à dire que l'ind ividu prendrait à coeur tout ce qu'il ferait. Cela veut dire que tous ses actes lui plairaient, que ce soit le travail, les distractions, ia sexualité. Il réagirait également de façon émotionnel le à toutes les situations: ses réactions se fonderaient toujours sur ses émotions. Il pourrait se montrer coléreux, triste, effrayé ou joyeux, selon la situation. Ces émotions représenteraient des réactions authenti ques parce que non contaminées par les émotions refoulées venant des expériences infantiles. Et comme sa couche musculaire serait dépour vue de tensions chroniques, ses actes et ses mouvements seraient gracieux et efficaces. Tout en reflétant ses sentiments, ils seraient soumis au contrôle du Mo i. Ils seraient donc appropriés et coordonnés. Sa caractéristique fondamentale serait l'aise, opposée au « mal-aise» : son humeur dom inante serait le bien-être. Il serait joyeux ou triste selon ce que dicteraient les circonstances, mais par toutes ses réactions ce serait une personne de cœur. En décrivant un tel individu, je parle d'un idéal. Bien que personne ne puisse atteindre cet idéal, nul n'est à ce point renfermé dans son cœur qu'il ne puisse ressentir momentanément de la joie quand son cœur s'ouvre et se libère. Si le cœur était totalement fermé au monde il s'ar rêterait, et on mourrait. Il est cependant triste de constater le no:Ubre de ceux qui passent leur existence plus morts que vivants.
" 107
La thérapie bioénergétiqu,e
La bioénergie
IMPULSION
1 COUCHE CONSCIENTE DU MOI
,
, ~
Il COUCHE MUSCULAIRE
,,
1
,, ,,
- -- ..... ", ... - - ... ,
"
~,.
1
~/ III
1
,
\
1
1
,
S.~
~
\
\ \
\
\.
,,
...
....
,,
\
\
,
\
AMOUR
~
'" '
1>
)
CŒUR ... -
..::>Q:-
1
.!j~
1
/ &!Z:
- ' '"
Q
,
, 1
1
Q
1
/
~
, ...
~
SENSATIONS AGRÉABLES
",
-
- -_
-
<,.
-
1
/
... ... "
---
, . CONSCIENC E DE SOI
2 . AF FIR MATI ON DE SOI
1
"
1
ACTION EFFICACE GRACIEUSE , COORDONNÉE
-
,
\ \
,,
--0
\
\
\
1
v
,
1
,
1
\
"
~
, ,
\
COUCHE ÉMOTIONNELLE
1
--
"" ""
,,' "
3 . POSS ESSION D E SOI
,(l
A ngoisse
t!j'
~ r'!../)..f.
vu
'
Les défenses discutées dans le paragraphe précédent, qu'elles soient psychologiques ou somatiques, ont la fonction de protéger de l'anxiété, dans le présent. L'angoisse la plus grave est celle qui s'associe aux trou bles de fonctionnement du cœur. J'ai mentionné plus haut que toute irrégularité du rythme cardiaque a en général cet effet. Mais il est égaIe ment vrai que toute obstruction du processus respiratoire produit de l'angoisse. Si l'on a observé un asthmatique essayant de reprendre son soume, on a pu juger de l'angoisse intense qui résulte de difficultés respiratoires. Nous pouvons poser comme postulat que n'importe quel
108
nsemble de circonstances interférant avec le déroulement des fonctions :itales d'un organisme engendrera de l'angoisse. La respiration est à eine moins importante pour la vie de l'organisme que la circulation. p Le lien entre les difficultés respiratoires et l'angoisse était connu de Freud. D ans mon dernier ouvrage, Depression and the Body, j'ai cité une observation d'Ernest Jones, le biographe de Freud, qui montre que Freud en était conscient. « Dans une lettre postérieure d'un an, il (Freud) remarqua également que, comme l' angoisse était une réaction à des gênes respiratoires - activité qui n'est pas élaborée psychique ment _ , elle pouvait devenir l'expression de n'importe quelle accumulation de tension.» En traduisant cela à partir du langage technique de la psychanalyse, cela signifie que l'accumulation de tension entraîne une gêne respiratoire et provoque l'angoisse. Malheureusement, ni Freud ni la psychanalyse traditionnelle ne suivirent cette voie, qui aurait mené à une compréhension biologique des désordres de la personnalité. Ce lien, redécouvert par Reich et exploré par lui, devint la base de son approche / thérapeutique et conduisit à la bioénergétique. Roll o Maya ouvert une autre voie quant à la nature de l'angoisse, en faisant dériver le mot « angoisse » de sa racine germanique Angst, qui signifie « étouffer dans un passage étroit ». Le chemin étroit peut se réfé rer, par exemple, au canal de la naissance, par lequel passe chacun de nous dans son chemin vers une existence indépendante. Ce passage peut être chargé d'angoisse puisqu'il représente pour l'organisme la transi tion avec la respiration indépendante. Toute difficulté rencontrée par l'organisme mammifère dans l'établissement de la respiration indépen dante menace son existence et provoque un ètat physiologique d'anxié té. Mais le passage étroit peut aussi se réfèrer au cou, étroit chemin de passage entre la tête et le reste du corps, à travers lequel l'air passe vers les poumons et le sang va irriguer la tête. Un étouffement dans ce passa ge est également une menace directe pour l'existence et provoque de l'angoisse. , ,J'ai eu également l'occasion d'observer un incident dramatique d ~toufTement spontané, et de constater l'intense angoisse qui en résul tait. Cela se produisit au cours de ma première séance avec une patien te, ~Ior~ qu'elle était étendue sur le tabouret à respirer et laissait sa resplr~hon s'approfondir et devenir plus complète. Elle se redressa so~d~tn précipitamment, dans un état de panique totale, disant d'une v01~ et~uffée : « Je ne peux pas respirer. » Je la rassurai, lui dit que tout allait s'arranger, et en moins d'une minute elle éclata en sanglots profonds et tourmentés. Dès qu'elle se mit à pleurer, sa respiration rede
109
La bioénergie vint aisée. Ce qui s'était passé était évident pour moi. Ne s'attendant pas à une libération émotionnelle, elle avait détendu son thorax et desserré la gorge, ce qui eut pour résultat d'éveiller chez elle une puis sante impulsion à pleurer. Cette impulsion venait d'une profonde tris tesse, enfermée dans sa poitrine. Elle y réagit inconsciemment en essayant d'étouffer l'impulsion et finit par étouffer à la place sa propre respiration. Au Chapitre Premier, j'ai mentionné comment, dans des circonstan ces similaires, pendant ma thérapie personnelle avec Reich, j'avais émis un hurlement. Si j'avais alors essayé de bloquer ce hurlement, je suis sûr que j'aurais buté dessus, et que j'aurais été pris d'une forte angoisse. Après avoir émis ces pleurs, qui durèrent quelque temps, la respiration de ma patiente devint plus profonde et plus spontanée qu'avant l'inci dent. J'ai vu de nombreux patients s'étouffer devant les émotions qui surgissaient lorsque leur gorge s'ouvrait et que leur respiration s'appro fondissait. L'étouffement s'accompagne toujours d'angoisse. Ces obser vations vont dans le sens de la définition que donne May de l'angoisse, et montrent également par quel mécanisme les tensions du cou et de la gorge créent des obstructions à la respiration, génératrices d'angoisse. Un ensemble similaire de tensions musculaires, situées autour du diaphragme et de la taille, peut obstruer la respiration de façon réelle, en limitant le mouvement du diaphragme. Ceci a été abondamment montré par des études radiologiques 1. Le diaphragme est le principal muscle respiratoire, et son action est très soumise à la tension émotion nelle. Il réagit à la peur en se contractant. Si la contraction devient chronique, elle crée une prédisposition à l'angoisse. J'ai identifié cette angoisse comme l'angoisse de chute, et j'en parlerai ultérieurement. Le diaphragme est juste au-dessus d'un autre chemin de passage, ou passage étroit - la taille. Ce chemin de passage relie le thorax à l'abdo men et au pelvis. Les impulsions se dirigent vers le bas du corps en passant par cet étroit chemin. Toute obstruction de cette zone étouffe rait la circulation de sang et d'émotions vers l'appareil génital et les jambes, provoquant de l'angoisse en créant une peur de tomber et la retenue de respiration qui en découle. Cela soulève la question: quelles sont les impulsions qui s'étouffent à la taille? La réponse est, naturellement, les impulsions sexuelles. Les enfants apprennent à contrôler leurs impulsions sexuelles en rentrant le 1. Carl Strough, Brealh (New York, William Morrow, 1970). Contient un débat élargi sur le rôle de la tension diaphragmatique dans les troubles respiratoires.
110
La thérapie bioénergétique ventre et en soulevant le diaphragme. A l'époque victorienne, les femmes obtenaient le même résultat en portant des corsets qui resser raient la taille et empêchaient les mouvements diaphragmatiques. L'an goisse sexuelle est donc intimement reliée à une obstruction de la respi ration ou, selon les termes de Rollo May, à un « étouffement dans un ' passage étroit ». La présence de l'angoisse sexuelle dans tous les problèmes névroti ques était l'une des propositions reichiennes fondamentales. Nous autres bioénergéticiens avons vu cette proposition se valider cas après cas. A notre époque de sophistication sexuelle, peu de patients entre prennent une thérapie en se plaignant d'angoisse sexuelle. Mais les problèmes sexuels constituent une plainte fréquente. Une profonde angoisse est sous-jacente à ces problèmes; elle ne devient pas conscien ce tant qu'on n'a pas diminue la tension de la taille. De la même façon, la plupart des patients n'ont pas conscience de leur angoisse de respira tion. La patiente que j'ai décrite plus haut n'était pas consciente d'être angoissée par la respiration. Elle avait été capable d'empêcher cette angoisse de remonter à la surface en ne desserrant pas complètement son gosier et en ne respirant pas totalement. Ce ne fut que lorsqu'elle essaya de le faire que son angoisse se manifesta. De la même façon, certaines personnes peuvent se protéger contre l'angoisse sexuelle en ne permettant pas aux émotions sexuelles de se répandre dans le pelvis. En contractant leur taille, ils peuvent séparer la sensation d'amour de leur coeur de tout lien direct avec l'excitation de l'appareil génital. Leur émotion sexuelle se limite alors aux organes génitaux. Cette dissocia tion est alors rationalisée par le Moi sous la forme « on devrait séparer l'amour de la sexualité ». Il arrive quelquefois que de fortes émotions sexuelles venant du coeur se développent spontanément, alors que les défenses semblent encore intactes. Ceci peut se produire au cours de la thérapie, ou en dehors d'el1~. Dans le Chapitre Premier, j'ai souligné que dans des circonstan ces IOhabituelles, on peut « quitter le monde» ou « être hors de soi ». Cette irruption d'énergie et d'émotions entraîne une expérience trans ~end~ntale. Les défenses cèdent temporairement, permettant aux e~otlOns sexuelles de circuler librement, ceci ayant pour résultat une ?etente orgastique totale, accompagnée d'un plaisir et d'une satisfaction I.nten~es. Toutefois, on essaie dans la plupart des cas d'étouffer ces emotlOns, car on n'est pas capable d'abandonner ses défenses. Si cela se prod~it, il se développera alors une angoisse sévère, que Reich appelait angoisse de l'orgasme.
111
La bioénergie J'ai commencé ce paragraphe en disant que les défenses servent à protéger de l'angoisse. J'ai alors parlé de la nature de l'angoisse et je l'ai reliée à la perception de quelque trouble du fonctionnement normal de l'organisme; à une obstruction de la respiration, étymologiquement un étouffement dans un passage étroit, et à la peur de la chute. Nous avons cependant fini par voir qu'en l'absence de défenses, ou lorsqu'elles cèdent, il n'y a plus d'angoisse, seulement du plaisir. Nous devons donc conclure que c'est la présence de défenses qui prédispose à l'angoisse ou, autrement dit, qui crée les conditions qui permettent l'angoisse. Comment les défenses opèrent-elles de ces deux façons apparemment contradictoires, défendant de l'angoisse et pourtant lui préparant en même temps la scène? Pour répondre, il nous faut réaliser qu'une posi tion ou une posture de défense ne s'est pas développée pour protéger quelqu'un de l'angoisse - ce qui est sa fonction dans le présent - , mais plutôt pour le protéger d'une blessure, attaque ou rejet. Si l'on a été soumis à des attaques répétées, on érige des défenses pour s'en protéger à l'avenir. Les pays font la même chose avec leurs effectifs militaires. En son temps, que ce soit au niveau personnel ou au niveau national, l'entretien de ces défenses finit par faire partie du mode de vie. Cepen dant, l'existence de défenses maintient la peur de l'attaque, et on se sent donc justifié à renforcer encore la position défensive . Mais les défenses enferment elles aussi, ce qui a pour résultat final que l'individu s'empri sonne dans sa propre structure défensive. S'il ne fait aucun effort pour en sortir, il restera relativement dépourvu d'angoisse derrière ses murs. Le danger ne naît - et l'angoisse est un signal de danger - que quand on essaie de s'ouvrir, de quitter ou de démolir ses défenses. Le danger peut ne pas être réel, et on peut le savoir consciemment, mais on le sent réel. Tout patient qui s'ouvre, ou qui brise une défense, remar que: « Je me sens vulnérable.» Bien sûr, il est vulnérable, nous le sommes tous, c'est la nature de la vie, mais nous ne nous sentons pas vulnérables si nous n'avons pas peur d'être attaqués. Nous sommes tous mortels mais nous ne sentons pas que nous allons mourir, à moins que nous ne percevions quelque chose qui va sérieusement de travers dans notre corps. Au moment de la vulnérabilité, l'angoisse peut naître. Si on se panique, qu'on se referme et qu'on essaie de reconstruire ses défen ses, on éprouvera une angoisse sévère. Examinons le processus au niveau bioénergétique. Les principales voies de communication partant du coeur passent par les étroits passa ges du cou et de la taille pour atteindre les points périphériques de contact avec le monde. Si ces voies sont ouvertes, la personne est ouver-
112
La thérapie bioénergétique te et son cœur est ouvert au monde . Nos défenses s'érigent aux alen to'urs de ces étranglements. Elles n'arrêtent pas complètement le contact et la communication, car ce serait la mort. Elles permettent un commer ce limité, ou un accès limité. Tant que l'individu reste à l'intérieur de ces limites, il reste dépourvu d'angoisse. Mais c'est un mode de vie qui le confine et le contient. Nous désirons tous nous ouvrir davantage à l'existence. No us nous intéressons au niveau ou à l'intensité des émotions. Tant que la quantité d'émotion extérieure qui circule reste dans les limites fi xées par les tensions musculaires, il n'y aura pas d'angoisse. L'angois se se développe quand une impression plus forte essaie de passer, et est étouffée par la panique. La panique pousse l'individu à se refermer presque complètement, mettant en péril la vie de l'organisme. Selon cette pensée, toute manœuvre thérapeutique efficace a en géné ral pour rés ultat initial de faire ressentir de l'angoisse. Ceci explique pourquoi le développement de l'angoisse pendant la thérapie est souvent considéré co mme un signe positif. Cela oblige quelqu'un à examiner ses défenses pl us objectivement et facilite la perIaboration de ses peurs au niveau psychique comme au niveau musculaire. Le progrès se signale en thérapie par davantage d'émotions, davantage d'angoisses et finale ment davantage de plaisir. On peut représenter ces idées sur la nature de l'angoisse par une figure montrant la circulation de l'émotion du cœur vers les organes périphériques du corps, en traversant les étranglements. On peut voir sur la figure de la page 114 que la circulation d'émotion est parallèle à la circulation sanguine qui transporte l'oxygène nécessaire à la vie et les nutriments nécessaires à toutes les cellules de l'organisme. Les organes principaux de la tête sont le cerveau, les récepteurs sensoriels, et le nez et la bouche. Le cerveau mis à part, les fonctions principales de cette partie du corps concernent la captation. Les bras la favorisent. L'oxy gène, la nourriture et les stimulations sensorielles rentrent par la tête. Le bas de l' abdomen et le pelvis concernent la distribution - c'est-à-dire l'élimination et la décharge sexuelle. En bioé n~rgétique, nous considérons que les jambes sont des organes de : :harge puisqu'elles déplacent rorganisme ou l'enracinent. Cette pola r~ e des fonctions physiques est à la base du concept selon lequel le côté tete, s'intéresse aux processus menant à une charge énergétique ou à une eX~ltation accrue alors que le côté coccyx concerne les processus qui menen t à une décharge d'énergie. Se maintenir en vie ne dépend pas seulement d'un apport constant en 113
La bioénergie La thérapie bioénergétique
CCTÉ TËTE 1. 2. 3. 4.
CERVEAU Y EUX-OREILLES BOUCHE-NEZ BRAS
DIAPHRAGME
TAILLE
CÔTÉ COCCYX 1. 2. 3, 4.
114
SYSTÈME DIGESTIF ORGANES D' EXCRÉTION ORGANES GÉNITAUX JAMBES
énergie (nourriture, oxygène et stimulation), mais aussi de la décharge d'une quantité équivalente d'énergie. La santé, je tiens à le souligner, consiste en un état d'équilibre relatif, avec un surplus d'énergie néces saire à la croissance et aux fonctions de reproduction. Des apports insuffisants entraînent l'épuisement des réserves d'énergie, et le ralentis sement des processus vitaux. Quand, par ailleurs, le niveau de décharge est insuffisant, le premier résultat en est de créer de l'angoisse. Ceci se produit parfois en thérapie lorsque, en résultat de l'approfondissement de la respiration, l'énergie ou l'excitation de l'organisme augmente, et que l'on ne peut décharger cette excitation par une détente émotionnelle à cause de l'inhibition de l'auto-expression. On deviendra alors nerveux et mal à l'aise, état qui disparaîtra toutefois dès que les pleurs ou la colère permettront une détente efficace. S'il est impossible d'effectuer cette détente, il faut restreindre la respiration. Pour la plupart des gens, l'angoisse est un état temporaire produit par une situation qui surexcite le corps. On tend à garder un équilibre relatif d'énergie. Malheureusement, le niveau d'énergie de cet équilibre est assez bas; aussi, nombreux sont ceux qui se plaignent de fatigue chronique et d'épuisement. Augmenter le niveau d'énergie risque de provoquer de l'angoisse, ce qu'un individu moyen ne peut tolérer sans une aide thérapeutique quelconque. Celle-ci se fait en aidant l'individu à comprendre son angoisse et à décharger l'excitation par l'expression de ses émotions. Chez les personnes dont l'auto-expression est libre, on peut maintenir un haut niveau d'énergie, ce qui permet à leur corps de vibrer de vie et de réagir totalement à la vie. On doit souligner un autre point. La vie n'est pas un processus passif. Un organisme doit s'ouvrir et tendre la main pour prendre et obtenir ce dont il a besoin. C'est vrai de l'oxygène comme c'est vrai de la nourriture. Chez le nourrisson, la fonction de respiration et la fonc tion d'alimentation utilisent toutes deux le même mécanisme physiolo gique - la succion. Le nourrisson aspire l'air dans ses poumons comme il aspire le lait dans sa bouche et dans son sytème digestif. Et parce que ces deux fonctions utilisent un mécanisme commun, un trouble de l'une des activ ités affectera l'autre. Considérez ce qui arrive à un nourrisson que l'on sèvre du sein trop tôt. La plupart des nourrissons n'acceptent pas de bon cœur la perte de leur premier objet d'amour. Ils pleurent et se tendent vers le sein des mains et de la bouche. C'est leur façon d'exprimer de l'amour. Comme cette tentati ve les laisse frustrés, ils vont devenir agités et capricieux, et pleurer de colère. Un tel comportement chez le nourrisson suscite
115
La thérapie bioénergétique
La bioénergie souvent une réaction hostile de la mère, et le nourrisson ou l'enfant réalise qu'il doit refréner son désir. Ille fait en étouffant ses impulsions à se tendre et ses impulsions à pleurer. Les muscles de son cou et de sa gorge se contractent pour resserrer l'ouverture et bloquer l'impulsion. La respiration est alors affectée, car la gorge contractée bloque égale menent l'impulsion à se tendre pour aspirer l'air. Le lien étroit entre les troubles de l'allaitement et les troubles de la respiration a été étudié par Margaret Ribble dans son ouvrage The Rights of Infants 1. J'ai utilisé l'allaitement comme exemple de processus actif d'ouvertu re et de demande de téter. S'ouvrir et se tendre constituent un mouve ment d'expansion de l'organisme vers une source d'énergie ou de plaisir. La même action rentre en jeu que l'enfant se tende vers le contact avec sa mère, vers un jouet ou, plus tard, une fois adulte, vers une personne aimée. Un baiser affectueux est un acte similaire. Lorsqu'un enfant doit bloquer ces actes, il installe, au niveau musculaire comme au niveau psychique, des défenses qui vont inhiber de telles impulsions. Avec le temps, ces défenses se structurent dans l'organisme sous forme de tensions musculaires chroniques, et dans la psyché sous forme d'attitu des caractérologiques. En même temps, on refoule le souvenir de ce qu'on a éprouvé, et il se crée un idéal du Moi qui place l'individu au dessus du désir de contact, d'intimité, de succion, d'amour. Nous pouvons voir, à travers cet exemple, les liens entre les différents niveaux de la personnalité. A la surface - c'est-à-dire au niveau du Moi - la défense prend la forme d'un idéal du Moi qui dit « les hommes ne pleurent pas» et d'une dénégation « de toute façon je n'en ai pas envie ». Cette défense est intimement liée aux tensions musculaires de la gorge et des bras qui bloquent l'impulsion à s'ouvrir et à tendre le corps. Au niveau du corps, le problème n'est pas de savoir si un homme peut pleu rer. Lorsque les tensions sont très fortes, il devient presque impossible de pleurer. Des tensions similaires se rencontrent au niveau des épaules, qui rendent tout aussi difficile de tendre complètement les bras vers quelque chose. Au plus profond niveau émotionnel se trouvent les émotions refoulées: la tristesse, le désespoir, la rage et la colère avec l'impulsion de mordre, la peur, le désir. Tout ceci doit être perlaboré avant que le cœur puisse s'ouvrir à nouveau totalement. On n'est pourtant pas mort; le cœur désire l'amour, les émotions exigent de s'exprimer, le corps veut être libre. Mais si l'on effectue un l. Margaret Ribble, The Rights of Infants (New York, Columbia University Press. (948) .
116
quelconque mouvement violent dans cette direction, les défenses étouf fent l'impulsion et précipitent dans l'angoisse. Dans la plupart des cas, cette angoisse est si forte qu'on bat en retraite et qu'on se renferme, même si cela signifie que le niveau d'énergie va rester bas, les désirs au minimum et la vie en attente. La plupart des gens vivent dans la peur d'être pleinement vivants.
CHAPITRE V
L'orientation primaire :
le plaisir
Le principe de p laisir L'orientation principale de la vie est d'aller vers le plaisir et de s'écarter de la douleur. C'est une orientation biologique parce qu'au niveau du corps le plaisir développe la vie et le bien-être de l'organisme. La douleur, nous le savons tous, est ressentie comme une menace envers l'intégrité de l'organisme. Nous nous ouvrons et tendons sponta nément vers le plaisir, et nous nous contractons et nous écartons d'une situation douloureuse. Mais lorsqu'une situation contient une promesse de plaisir, couplée à une menace de douleur, nous ressentons de l'an goisse. Cette conception de l'angoisse ne contredit pas les idées précédentes. La promesse de plaisir évoque une impulsion dirigée vers l'extérieur pour en atteindre la source, mais la menace de douleur force l'organis me à étouffer cette impulsion, engendrant un état d'angoisse. Les travaux de P avl ov sur les réflexes conditionnés chez les chiens démon trent clairement comment on peut engendrer l'angoisse en combinant d~s la même situation un stimulus douloureux et un stimulus agréable. L'expérience de Pavlov était très simple. Il conditionna d'abord un ch ien à réagir à une sonnerie en lui offrant de la nourriture après cette sonnerie. En très peu de temps, la sonnerie suffisait à exciter le c.hien et à le faire saliver, parce qu'il attendait le plaisir de la nour rIture. Lorsque ce réflexe fut bien établi, Pavlov modifia la situation en faisant subir au chien un choc électrique chaque fois que la sonnerie retentissait. La sonnerie s'associa alors dans l'esprit du chien à la 119
La bioénergie
promesse de nourriture et à la menace de douleur. Le chien se retrouvait dans une impasse: il voulait aller vers la nourriture mais il avait peur de le faire, et cela le mettait dans un grave état d'angoisse. Le schéma consistant à être mis dans une impasse par des signaux mélangés est la cause de l'anxiété sous-jacente à tous les troubles de personnalité névrotiques et psychotiques. Les situations qui ont conduit à cette impasse se sont produites pendant l'enfance, entre les parents et leurs enfants. Les bébés et les enfants considèrent leurs parents comme une source de plaisir, et se tendent vers eux avec amour. C'est le schéma biologique normal, puisque les parents sont la source de nourriture, de contact et de stimulation sensorielle dont les nourrissons et les enfants ont besoin. Jusqu'à ce qu'il rencontre la frustration et souffre de la privation, le nourrisson est tout entier dans son cœur. Mais cela ne dure pas longtemps dans notre culture, où le manque de contacts et les frus trations sont fréquentes, et où l'éducation s'accompagne en général de punitions et de menaces. Les parents ne sont malheureusement pas seulement une source de plaisir; ils s'associent rapidement dans l'esprit de l'enfant avec la possibilité de douleur. L'angoisse qui en résulte est, à mon avis, responsable de l'agitation et de l'hyperactivité que montrent tant d'enfants. Tôt ou tard, des défenses s'érigent pour diminuer l'an goisse, mais ces défenses diminuent aussi la vie et la vitalité de l'orga nisme. La séquence -+ se tendre vers le plaisir -+ privation, frustration ou punition -+ angoisse d'où -+ défense est un schéma général permettant d'expliquer tous les problèmes de personnalité. Pour comprendre un cas individuel, il faut y ajouter la connaissance des situations spécifiques qui ont produit l'angoisse et les défenses érigées pour y faire face. Le temps est un autre facteur important, car plus l'anxiété s'est développée tôt dans l'existence, plus elle est envahissante, et plus les défenses contre elles se sont structurées profondément. La nature et l'intensité de la douleur redoutée jouent un rôle important pour déterminer les posi tions défensives. Presque tous ceux de notre société développent des défenses contre cette pulsion vers le plaisir, parce que ce fut la cause d'angoisses graves dans le passé. La défense ne bloque pas totalement toutes les impulsions à se tendre vers le plaisir. Si c'était le cas, cela entraînerait la mort. En analyse finale, la mort est la défense totale contre l'angoisse. Mais comme chaque défense constitue une limitation de la vie, c'est aussi une mort partielle. Les défenses permettent le passage de certaines impul sions, sous certaines conditions limitées, et à un degré bien limité. Mais, 120
L'orientation primaire: le plaisir
comme je l'ai mentionné, les défenses varient avec les individus, bien qu'on puisse les regrouper en plusieurs types. En bioénergétique, on regroupe les différents types de défenses sou~ le titre « structures caractérielles)J. On définit le caractère comme un schéma de comportement fixé, la façon caractéristique de gérer ses pulsions vers le plaisir. Il est structuré dans le corps sous forme de tensions musculaires chroniques et généralement inconscientes qui bloquent ou li mitent les impulsions à se tendre vers quelque chose. Le caractère est également une attitude psychique renforcée par un systè me de dénégations, de rationalisations et de projections, et enclenchée dans un idéal du Moi qui en affirme la valeur. L'identité fonctionnelle du car actère psychique et de la structure physique ou de l'attitude musculaire est la clé de la compréhension de la personnalité, car elle nous permet de déchiffrer le caractère à partir du corps et d'expliquer une posture physique par ses représentations psychiques, et vice versa. Nous, thérapeutes bioénergétiques, n'approchons pas un patient comme un type caractériel. Nous le considérons comme un individu unique, dont la pulsion vers le plaisir est chargée d'une angoisse contre laquelle il a érigé certaines défenses typiques . Déterminer sa structure de caractère nous permet de voir ses problèmes les plus profonds et de l'aider ainsi à se libérer des limites que lui ont imposé les expériences de son passé. Mais, avant de décrire physiquement et psychiquement les différents types caractériels, j' aimerais parler de la nature du plaisir et préparer le cadre théorique de ces descriptions. On peut définir le plaisir de plusieurs façons. Quand l'organisme fonctionne de façon régulière et aisée cela engendre une impression de plaisir, tout comme on ressent de l'angoisse et de la douleur lorsque ces fonctions sont perturbées ou menacées . U ne autre situation fournit une impression de plaisir : se tendre vers quelque chose. On se tend naturel lement vers ce qui semble devoir être agréable, mais je soutiens que l'acte de se tendre est en lui-même le fon dement de l'expérience du plai sir. Il représente une expansion de l'ensemble de l'organisme, u n dépla cement d'émotion et d'énergie vers la périphérie de l'organisme et vers le monde. En analyse finale, les émotions sont une perception des mouvements de l'organisme. Ainsi, lorsqu'on dit que quelqu'un éprouve du plaisir, cela dénote que les mouvements de son cor ps, tout particuliè rement les mouvements internes, sont rythmiques, libres, et dirigés vers l'extérieur . . Nous pouvons donc définir l'impression de plaisir comme la percep tIon d'un mouvement d'expansion du corps - s'ouvrir, se tendre vers,
121
L'orientation primaire: le plaisir La bioénergie créer un contact. Se refermer, se retirer, se contenir ou dissimuler ne sont pas ressentis comme un plaisir et peuvent en fait être ressentis comme une douleur ou une angoisse. La douleur résulterait de la pres ~ sion créée par l'énergie d'une impulsion se heurtant à un blocage. Le seul moyen d'éviter la douleur ou l'angoisse est d'ériger une défense contre cette impulsion. Si on refoule l'impulsion, on ne ressentira ni angoisse ni douleur, mais on ne ressentira alors plus le plaisir. On peut déterminer ce qui se passe à partir de ce qu'exprime le corps. Lorsqu'on éprouve du plaisir, les yeux brillent, la peau est tiède et colorée, les manières vivantes et aisées et l'allure calme et détendue. Ces signes visibles sont la manifestation du déplacement d'émotion, de sang et d'énergie vers la périphérie du corps, ce qui constitue la contrepartie physiologique d'un mouvement, ou d'une impulsion physique d'expan sion, dirigé vers l'extérieur. L'absence de ces signes révèle qu'on n'éprouve pas du plaisir mais de la douleur, qu'on le perçoive ou non. Dans Pleasure j'ai souligné que la douleur est l'absence de plaisir. Il y a des signes physiques qui vont dans le sens de cette idée. Des yeux sans éclat indiquent que l'émotion les a quittés. Une peau froide et blanche est due à la constriction des capillaires et des artérioles, et indique que le sang est tenu à l'écart de la surface du corps. La rigidité et le manque de spontanéité suggèrent que la charge énergétique ne circule pas libre ment dans le système musculaire. Ce tableau s'ajoute à un état de contraction de l'organisme qui est l'aspect somatique de la douleur. Il faut souligner que certains corps présentent un tableau contrasté, une partie étant tiède, souple et lumineuse, alors que l'autre partie est froide, contractée, sans couleur . La ligne de démarcation n'est pas toujours nette, mais on peut voir et sentir la différence. Un tableau que l'on rencontre fréquemment dans ce cas est celui où le haut du corps est bien coloré et a un tonus normal, tandis que de la taille jusqu'aux pieds on constate l'apparence opposée, un teint triste (couleur brunâtre), un faible tonus musculaire et une lourdeur qui s'oppose aux belles propor tions du haut du corps. Un tel tableau physique indique la présence d'un blocage de la circulation de l'émotion dans le bas du corps, tout particulièrement de l'émotion sexuelle, et que cette partie du corps est en état de rétention ou de contraction. Une- autre observation assez fréquente consiste en un corps tiède, aux pieds et aux mains froids. Cela indique que la tension et la rétention se font au niveau des structures périphériques, celles qui établissent des contacts avec l'environnement. L'expression « la tête froide et le sang chaud» va dans le sens de cette interprétation.
A l'examen d'un corps, notre première orientation consiste à détermi ner le degré auquel cet organisme est capable de se tendre vers son envi ronnement ou d'y réagir de façon agréable pour lui. Une telle réaction, comme je l'ai dit, entraîne un déplacement de l'émotion, de l'excitation OU de l'énergie, dirigé du centre ou du cœur vers les structures et les organes périphériques. Une réaction génératrice de plaisir est aussi une réaction chaude et aimante, car le cœur communique alors directement avec le monde extérieur. Si l'on est handicapé par des tensions muscu laires chroniques qui bloquent les voies de communication du cœur et qui limitent la circulation d'énergie vers la périphérie du corps, on souf fre de nombreuses façons . On peut ressentir une impression de frustra tion et d' insatisfaction de l'existence, on peut éprouver de l'angoisse et de la dépression, on peut se sentir en retrait et aliéné, ou bien on peut développer certains désordres somatiques. Comme ce sont là les princi
3
2
~
!r
4
12 122
La bioénergie
L'orientation primaire: le plaisir
pales plaintes présentées aux psychiatres, on doit réaliser qu'on ne peut
les éliminer qu'en restaurant la totale capacité de plaisir. Le corps humain contient six zones principales de contact avec le monde extérieur: le visage, y compris les organes sensoriels; les deux mains; l'appareil génital; et les deux pieds. Il y a des zones de contact moins importantes, comme les seins chez la femme, la peau de façon générale, et les fesses quand on est assis. Les six zones principales présentent une configuration intéressante, qui se voit le mieux en repré sentant un corps debout, pieds et jambes écartés, et bras et mains tendus. La silhouette ainsi formée est dessinée dans le croquis ci-contre, où l'on a numéroté les six zones. Si nous transformons cette figure en diagramme dynamique, présenté ci-dessous, ces six zones représentent les parties les plus en extension du corps, en termes énergétiques. Sur ce diagramme, le point 1 représente la tête, qui est la scène où fonctionne le Moi et qui comprend les organes sensoriels de l'ouïe, du goût, de la vue et de l'odorat. Les points 2 et 3 représentent les mains qui touchent et manipulent (manient) l'environnement; les points 4 et 5 représentent les pieds qui fournissent le contact essentiel avec le sol; et le point 5, l'appareil génital, est l'organe principal de contact et de rela tion avec le sexe opposé. 1
Une réaction d'expansion, ou génératrice de plaisir, implique un déplacement de charge allant du centre vers ces six points. On peut les considérer comme des extensions de l'organisme, comme les pseudopo des figés d'une amibe. En dépit du fait que ce sont des structures figées , une certaine extension leur est permise. On peut tendre les lèvres ou les rentrer, on peut allonger ou raccourcir les bras selon ce qu'on veut atteindre et, naturellement, les organes génitaux des deux sexes fonc tionnent comme de réels pseudopodes lorsqu'ils sont irrigués de sang, chargés de sensibilité et en extension. Les membres inférieurs sont plus figés et présentent relativement peu de variations. Comme le cou est un organe flexible, la tête peut être redressée, tenue haute ou renfoncée entre les épaules. Lorsqu'un fort contact s'établit avec l'environnement, l'interaction énergétique est intense en ces points. Par exemple, lorsque deux personnes chargées d'excitation établissent un contact par le regard, on peut sentir la charge qui passe entre les yeux. De la même façon, ce qu'on éprouve en étant touché par des mains chargées est tout à fait différent de ce qu'on éprouve en étant touché par des mains froi des, sèches ou contractées. Le plus intense de tous les contacts est, bien entendu, l'interaction énergétique des rapports sexuels mais, là aussi, le caractère et le degré de cet échange dépendent de la quantité de charge qui circule dans cette zone de contact.
TÊTE
Le Moi et le corps 3 .'
4
MAIN
5
PIED
PIED
Un adulte fonctionne simultanément à deux niveaux. Le premier est le niveau mental, ou psychique; le second, le niveau physique, ou soma tique. Dire cela ne nie pas l'unité de l'organisme. L'une des thèses fo ndamentales de la bioénergétique, reprise de Reich, est que l'antithèse et l'u nité caractérisent toutes deux tous les processus biologiques. La dualité et l'unité s'intègrent dans un concept dialectique, comme le montre le diagramme suivant. Dans une personnalité saine, les niveaux de fonctionnement physique et mental coopèrent pour contribuer au bien-être. Dans une personnali té perturbée, il y a des zones d'émotions et de comportement où ces ni veaux de fonctionnement, ou ces aspects de la personnalité, sont en conflit. Une zone de conflit crée un blocage qui gêne la libre expression des impulsions et des émotions.
6 ORGANES GÉNITAUX
124
125
La bioénergie
L'orientation primaire,' le plaisir
MENTAL
PHYSIQUE
PSYCHÉ
SOMA
MOI
CORPS
PROCESSUS ÉNERGÉTIQUES
Je ne parle pas d'une inhibition consciente de l'expression, soumise à un contrôle conscient. Les blocages auxquels je fais allusion sont des restrictions inconscientes de mouvement et d'expression. Ces blocages limitent l'aptitude à se tendre vers le monde pour la satisfaction de ses besoins, et représentent donc une réduction de la capacité de plaisir. Établir cette antithèse en parlant du Moi et du corps plutôt que du physique et du mental nous permet d'introduire les concepts d'idéal du Moi et d'image de soi en tant que forces pouvant s'opposer à la pulsion vers le plaisir du corps. Ces concepts naissent du rôle d'agent de synthè se du Moi. Le Moi est le médiateur entre le monde extérieur et le monde intérieur, entre soi et autrui. Cette fonction dérive de sa position à la surface du corps et à la surface de l'esprit!. II élabore un tableau du monde extérieur auquel doit se conformer tout organisme et, ce faisant, il modèle l'image de soi de l'individu. Cette image de soi dicte à son tour quelles sont celles des émotions et des impulsions qui pourront s'exprimer. Le Mo i est le représentant de la réalité à l'intérieur de la personnalité. Mais qu'est-ce que la réalité? La représentation que nous en avons en esprit ne s'accorde pas toujours à la situation réelle. Nous élaborons cette représentation pendant que nous grandissons, et elle reflète davan tage le monde de notre enfance et de notre famille que le monde de l'adulte et de la société. Ces deux mondes ne sont pas totalement diffé rents, car le monde de la famille reflète le monde plus étendu de la 1. Lowen, The Physical Dynamics of Character Structure, op. CÎt.
126
société. La différence tient au fait que le monde plus étendu offre un choix de relations que n'offrait pas le monde limité de la famille. Il se peut, par exemple, qu'on ait appris dans son enfance que demander de l'aide est un signe de faiblesse et de dépendance. Si l'on ya associé qu'il est rid icule de se sentir impuissant ou dépendant, on aura des difficultés à demander de l'aide, même dans des situations où cette aide serait faci lement apportée. On développe une image du Moi selon laquelle on doit être indépendant et se débrouiller tout seul, et l'on va se sentir ridicule et humil ié si l'on trahit cette image. Et l'on va choisir inconsciemment des relations où cette pseudo-indépendancce soit admirée et encoura gée, renforçant ainsi une image de soi quelque peu irréaliste. II faut savoir, pour comprendre la formation du caractère, qu'un processus dialectique entre en jeu dans l'interaction entre le Moi et le corps. L'image du Moi modèle le corps par le contrôle qu'exerce le Moi sur la musculature volontaire. On inhibe l'impulsion à pleurer en serrant les mâchoires, en contractant la gorge, en retenant le soume et en rentrant le ventre. On peut inhiber la colère que l'on exprimerait en assenant un coup en contractant les muscles de la ceinture scapulaire, ce qui rejette les épaules en arrière. L'inhibition est d'abord consciente et aide à épargner davantage de conflits et de douleur. Mais la contrac tion consciente et volontaire des muscles nécessite un investissement énergét ique et ne peut donc se maintenir indéfiniment. Lorsque l'inhibi tion d'une quelconque émotion doit se maintenir indéfiniment parce que le monde de l'enfant n'en accepte pas l'expression, le Moi abandonne le contrôle qu'il exerçait sur l'action interdite, et retire son énergie de l'im pulsion. La résistance à l'impulsion devient alors inconsciente, et le ou les muscles restent contractés parce qu'il leur manque l'énergie de s'étendre ou de se détendre. On peut alors investir cette énergie dans d'autres actions qui soient acceptables, processus qui donne naissance à l'image du M oi. Deux conséquences résultent de cet abandon. La première est que la musculature dont s'est retirée l'énergie se met en état de contraction chronique, ou de spasticité, ce qui rend impossible l'expression de l'émotion inhibée. L'impulsion est ainsi réellement refoulée, et l'on ne ressent plus le désir inhibé. Une impulsion refoulée n'est pas perdue. Elle continue à dormir sous la surface du corps, où elle n'affecte pas la conscience. Sous une tension intense, ou par suite d'une provocation suffisante, l'impulsion peut se charger si fortement qu'elle arrivera à passer l' inhibition ou le blocage. Cela se produit lors d'un éclat hysté rique ou d'une rage meurtrière. La seconde conséquence est une diminu
127
La bioénergie tion du métabolisme énergétique de l'organisme. Les tensions musculai res chroniques empêchent la respiration naturelle complète, et abaissent donc le niveau d'énergie. On peut avoir un apport d'oxygène suffisant pour les activités courantes, de sorte que le métabolisme basal peut sembler normal. Mais des difficultés respiratoires apparaîtront en situa tion de tension, soit sous la forme d'une impossibilité à avoir un apport d'air suffisant, soit plus probablement d'une impossibilité à faire face à la tension. L'état du corps force alors la dialectique à œuvrer en sens inverse. La situation physique modèle la pensée et l'image de soi d'un individu. L'abaissement de son niveau énergétique le force à effectuer certains ajustements de son style de vie. Il evitera forcément les situations qui pourraient rappeler les émotions refoulées. Et il va justifier cela en déve- loppant des rationalisations sur la nature de la réalité. Ces manœuvres sont des ruses du Moi, qui ont pour but d'empêcher le conflit émotion nel de devenir conscient. Pour cette raison, on les appelle des défenses du moi. Les autres défenses du Moi sont le refus, la projection, la provocation et le blâme. L'énergie qui s'est retirée du conflit aide à soutenir ces défenses. L'individu a maintenant une cuirasse caractérolo gique contre les impulsions refoulées. Au niveau physique, les tensions musculaires chroniques le protègent. Tout emmuré qu' il soit par ce processus, il peut néanmoins fonctionner de façon limitée ou dans des domaines restreints. Ayant réussi à obtenir un certain taux de stabilité et de sécurité, le Moi tire fierté de cet accomplissement. On obtient une satisfaction du Moi par ses ajustements et ses compensations. Celui qui ne peut pas pleurer considère cette incapacité comme un signe de force et de coura ge. Il peut même tourner en ridicule les hommes ou les garçons qui pleurent facilement, élevant ainsi son trait névrotique au rang d'une vertu. Celui qui ne peut pas se mettre en colère ni donner des coups transforme cet handicap en vertu en proclamant que voir le point de vue de l'autre est la caractéristique de l'homme raisonnable. Celle qui ne peut pas réclamer ouvertement de l'amour se servira des rapports sexuels et de la soumission pour obtenir les contacts nécessaires, et se considérera comme particulièrement sexuée et féminine. Toute tension musculaire bloque l'expansion vers le monde en vue du plaisir. Face à de telles restrictions, le Moi va manipuler l'environne ment pour aider le corps à assouvir_ses besoins de contact et de plaisir. Il justifiera alors de telles manipulations, les trouvant normales et nécessaires, car il a perdu contact aveèle ~onflit émotionnel qui l'a
128
L 'orientation primaire: le plaisir forcé à adopter cette position. Ce conflit s'est structuré dans le corps, et au-delà de la portée du Moi. On peut agréer du bout des lèvres à l'idée de changer, mais jusqu'à ce qu'on se confronte à son problème au niveau du corps, il est très improbable qu'un réel changement ait lieu. pour comprendre l'interrelation complexe entre le Moi et le corps, il nouS faut intégrer deux points de vue opposés sur la personnalité humainel. Le premier part du sol. Selon lui, la hiérarchie des fonctions de la personnalité se présente sous forme de pyramide, comme le montre le diagramme ci-dessous:
PENSÉE
ÉMOTIONS SENTIMENTS
PROCESSU S PH YSIQUES
EN V IRO N N EMENT NATUREL
La base de la pyramide est constituée des processus physiques qui assurent l'existence et soutiennent la personnalité. Il s reposent sur le sol, ou J'environnement naturel, et sont en contact avec lui. Ces proces sus engendrent les émotions et les perceptions, qui à leur tour mènent aux processus de la pensée. Au sommet se trouve le Moi, identifié en biOénergétique à la tête . Les lignes pointillèes montrent que toutes ces fonctions sont reliées et dépendent les unes des autres. On peut co mparer la relation du Moi et du corps à celle d'un général avec ses troupes. Sans général , ou sans offi cier de commandement, les troupes ne constituent pas une armée, mais une co hue. Sans troupes , le 1. On tro uvera une discussio n pl us complète sur cette rel ation dans m on o uvrage Th e Plly sical Dy namics of Character Structu re. op . cit.
129
L'orientation primaire: le plaisir
La bioénergie général n'est qu'un homme de paille. Lorsque le général, son état-major et ses troupes ont une action d'ensemble harmonieuse et en accord aVec la réalité, l'armée est régulière et efficace. Lorsqu'ils sont en conflit, il y a des troubles et des désordres. Cela peut se produire lorsque le général considère ses hommes de troupe comme des numéros ou des pions sur le jeu de bataille auquel il se livre. Il peut oublier qu'on combat non seulement avec les troupes mais pour elles, et non pour sa gloire person nelle. De la même façon, le Moi peut lui aussi perdre de vue le fait que c'est le corps qui compte, et non l'image qu'il cherche à présenter.
MOI IMAGE DE SOI
.... .......... _._ ............ . .
On peut intégrer ces deux VISIOns de la personnalité humaine en superposant un triangle à l'autre. Nous avons alors l'étoile à six bran ches utilisée au paragraphe précédent pour représenter l'ensemble du corps. La ligne pointillée montre l'endroit où le conflit est le plus inten se - la région du diaphragme ou de la taille, où se rejoignent les deux parties du corps. Ces deux triangles peuvent également représenter de nombreuses autres relations polaires de l'existence - la Terre et le Ciel, le jour et la nuit, le mâle et la femelle, le feu et l'eau. Il est intéressant de noter que les Chinois utilisent un diagramme différent pour dépeindre la dualité des forces de vie, qu'on appelle le yin et le yang dans la philosophie chinoise. La différence entre les deux diagrammes suggère deux modes de vie différents. Le diagramme circulaire chinois met l'accent sur l'équilibre ; la figure à six pointes, qu'on appelle aussi Étoile de David, met l'accent sur l'interaction.
PENSÉE
Du point de vue du général, la hiérarchie normale de l'autorité à l'in térieur de l'armée serait inversée. Aucun général ne pourrait opérer s'il ne se considérait lui-même comme étant de la plus haute importance. Cela reste vrai pour le Moi et le corps. Quand on le considère du dessus - c'est-à-dire à partir de la position du Moi -, la pyramide des fonc tions de la personnalité est inversée. La considérer du dessus permet d'évaluer le degré de conscience ou de contrôle. Il s'investit davantage de conscience dans le Moi que dans n'importe quelle autre fonction. On est, de façon correspondante, plus conscient de ses pensées que de ses émotions, et encore moins concient de ses processus physiques. Voilà la façon dont le général voit la hiérarchie de l'armée, en termes de pouvoirs. On peut la mettre en parallèle avec la vision des fonctions de la personnalité en termes de savoir, ce qui est une opération du Moi. Le corps a par ailleurs sa volonté propre, qui précède l'acquisition de savoir.
130
Non seulement ces forces interagissent dans l'organisme pour produire l'énergie qui caractérise l'activité occidentale, mais elles obli gent l'organisme à interagir de façon agressive avec son environnement. Je n'utilise pas ici le terme « agressif)) dans son sens destructeur, mais en opposition à « passif )). L'agressivité occidentale a à la fois des aspects positifs et des aspects négatifs. Mais, qu'elle soit positive ou négative, elle vise au changement, en contraste à l'attitude orientale qui vise à la stabilité. Divisons, pour simplifier, les activités humaines en quatre groupes: intellectuelles, sociales, créatrices et physiques, y compris les activités sexuelles. Le concept d'interaction devient clair si nous plaçons ces quatre groupes sur les quatre côtés de la figure, comme ci-dessous: 131
L'orientation primaire: le plaisir
La bioénergie INTELLECTUEL
ENVIRONNEMENT PHYSIQUE
Nous obtenons maintenant, en combinant ce diagramme avec le diagramme semblable du paragraphe précédent (p. 124), une représenta tion des forces dynamiques qui opèrent dans la personnalité humaine:
TÊTE MOI
MAIN
i
/
~
\.
4l
,
MAIN
CRÉATIF OU PRODUCTIF
PIED
PIED
ORGANES GÉNITAUX
PHYSIQUE
132
La force des impulsions, qui sont les forces dirigées vers l'extérieur dans l'interaction avec le monde, dépend de la force des processus bioé nergétiques à l'œuvre dans le corps. De plus, l'efficacité de ces impul sions à procurer la satisfaction des besoins repose sur la liberté de les exprimer. Les schémas de blocages ou les tensions musculaires chroni ques qui bloquent la circulation des impulsions et des émotions n'affai blissent pas seulement l'efficacité de quelqu'un en tant qu'individu, mais limitent aussi son contact et son interaction avec le monde. Ils réduisent la sensation d'appartenance et d'interaction avec le monde, et limitent le degré d'expression de l'âme. Il n'est pas dans mes intentions de prendre parti ici pour ou contre le mode de vie occidental. En étant hyperagressifs, ce qui consiste à être réellement exploiteur et manipulateur, nous avons perdu une sensation d'équilibre importante. Nous avons permis au Moi de subvertir le corps, et nous nous sommes servis du savoir pour abandonner la sagesse du corps. Il nous faut retrouver un équilibre convenable, à la fois à l'intérieur de nous-mêmes et dans notre relation au monde dans lequel nous vivons. Cependant, je doute qu'on puisse retrouver cet équi libre en rejetant les attitudes occidentales en faveur des attitudes orien tales. Il faut rester conscient de ce que l'Est essaie maintenant avec acharnement d'adopter les voies occidentales.
Une caractérologie En bioénergétique, les différentes structures de caractère sont clas sées en cinq groupes fondamentaux. Chaque type de structure a un schéma de défense particulier, au niveau psychologique et au niveau musculaire, qui le distingue des autres types. Il est important de noter que ce n'est pas une classification des individus, mais des positions défensive s. On reconnaît qu'aucun individu ne présente un type pur et que, dans notre culture, chacun combine dans sa personnalité certains de ces schémas défensifs , ou tous, à différents degrés. C'est la vitalité d'un individu qui détermine sa personnalité, considérée comme distincte de sa structure de caractère - c'est-à-dire la force de ses impulsions et des défenses qu'il a érigées pour contrôler ces impulsions. Il n'y a pas deux individus semblables, soit par leur vitalité propre, soit par leurs schémas de défense qui viennent de leur expérience vécue. Néanmoins, il est nécessaire de parler de types caractériels, pour clarifier la commu nication et la compréhension.
133
La bioénergie Ces cinq types sont: « schizoïde », « oral », « psychopathe ", « maso chiste» et « rigide». Nous avons adopté ces termes parce que ce sont des définitions connues et acceptées de troubles de la personnalité dans la profession psychiatrique. Notre classification ne va pas à l'encontre des critères établis. La description de ces types qui va suivre n'est donnée que dans les grandes lignes car il est impossible, dans cette présentation générale de la bioénergétique, d'entrer dans la discussion détaillée de chaque trou ble. Comme les types de caractère sont complexes, on ne pourra mentionner que les aspects principaux de chaque type.
La structure de caractère schizoïde Description Le terme « schizoïde» vient de « schizophrénie» et désigne un indi vidu dont la personnalité contient des tendances à la schizophrénie. Ces tendances sont: 10 scission du fonctionnement unitaire de la personna lité. Par exemple, la pensée tend à se dissocier des émotions. Ce qu'on pense semble avoir peu de liens apparents avec ce qu'on ressent, ou la façon de se comporter; 20 le retrait intérieur, obtenu en rompant ou en perdant le cOlltact avec le monde et la réalité externe. Le schizoïde n'est pas schizophrène et peut ne jamais le devenir, mais ces tendances sont présentes dans sa personnalité, en général bien compensées. Le terme « schizoïde» s'applique à quelqu'un dont la perception de soi a diminué, dont le Moi est faible et dont le contact avec son corps et ses sensations est fortement réduit.
L'orientation primaire: le plaisir La charge interne tend à se figer dans la zone c ~ntrale. La formation d'impulsions est par conséquent faible. Mais cette charge est explosive (à cause de la compression) et peut faire éruption en violence ou en meurtre. Cela se produit quand la défense n'arrive pas à tenir, et que l'organisme est envahi par une quantité d'énergie qu'il ne peut pas pren dre en charge. La personnalité se scinde et un état schizophrénique s'installe. Dans cette situation le meurtre n'est pas rare. La défense consiste en un schéma de tensions musculaires qui main tient la cohérence de la personnalité en empêchant les structures péri phériques d'être envahies par l'émotion et l'énergie. Ce sont les mêmes tensions musculaires que celles décrites plus haut, responsables de la rupture du contact entre les organes périphériques et le centre. Le problème est donc cette défense. Au point de vue énergétique, il y a scission à la taille, ce qui entraîne un manque d'intégration entre le haut du corps et le bas du corps. Le diagramme ci-dessous présente l'analyse bioénergétique:
/\
" 1
, ----
\\~--,)'
1 1
,
1
,
1
\
1 '• / \\"==.=='~.
l L _______ ,
1
,
État bioénergétique
, '01
1
\
134
\
1
,
L'énergie se retire des structures périphériques du corps - c'est-à dire des organes qui établissent le contact avec le monde extérieur: le visage, les mains, les organes génitaux et les pieds. Ces organes ne sont pas totalement reliés énergétiquement au eentre - c'est-à-dire que l'ex citation venant du centre ne se déplace pas librement vers ces organes, mais est bloquée par des tensions musculaires chroniques à la base de la tête, aux épaules, au pelvis et à l'articulation coxo-fémorale. Les fonctions remplies par ces organes se dissocient donc des émotions du cœur.
\
1
Les lignes doubles indiquent la frontière d'énergie contenue du schizoïde. Les pointillés représentent le manque de charge des organes périphéri ques, et leur manque de lien avec le centre. La ligne pointillée au centre de la structure schizoide représente la scission entre les deux moitiés du corps.
Aspects physiques Dans la majorité des cas, le corps est mince et contracté. Lorsque la personnalité contient des éléments paranoïdes, le corps est plus plein et a une apparence plus athlétique. 135
L'orientation primaire.' le plaisir
La bioénergie Les principales zones de tension sont la base du crâne, les articula tions des épaules, les articulations des jambes, les articulations du bassin et la région du diaphragme. A ce niveau, elle est en général assez forte pour tendre à scinder le corps en deux. Les spasticités dominantes se trouvent dans les petits muscles qui entourent les articulations . On peut donc constater chez ce type caractériel soit une extrême inflexibili té, soit une hyperflexibilité des articulations . Il y a souvent une opposition marquée entre les deux moitiés du corps. Dans de nombreux cas elles ne semblent pas appartenir à la même personne. Sous l'effet d'une tension, par exemple lorsqu'on prend la position de l'arc, les lignes du corps semblent assez souvent brisées. On constate souvent que la tête, le tronc et les jambes dessinent une ligne brisée. Cela a été illustré dans le Chapitre II. Corrélations psychologiques La perception de soi est insuffisante, à cause du manque d'identifica tion avec son corps. On ne se sent ni lié, ni intégré!. La tendance à la dissociation, représentée au niveau du corps par le manque de liaison énergétique entre la tête et le reste du corps, prov04ue certaines scissions de la personnalité en attitudes opposées. On peut donc rencontrer une attitude d'arrogance couplée à une atti tude de dégradation (avilissement), une attitude de vierge couplée à l' impression d'être une prostituée. Cette dernière association reflète également la scission entre les deux parties du corps, le haut et le bas. Le caractère schizoïde présente également une hypersensibilité due à la faible frontière du Moi, qui est la contrepartie psychologique du manque de charge périphérique. Cette faiblesse diminue sa résistance aux pressions extérieures, et le force à se retirer par autodéfense. Le caractère schizoïde présente une forte tendance à éviter les rela tions intimes, émotionnelles. De fait , de telles relations lui sont très difficiles à établir, à cause du manque de charge de ses structures péri phériques. Le fait d'utiliser sa volonté pour motiver ses actes donne au compor tement schizoïde un caractère peu authentique. On l'a appellé « com portement comme si » - c'est-à-dire comme si il était fondé sur sa sensi bilité -, mais les actes n'expriment pas cette sensibilité. 1. R .D. La ing, le M oi divisé, Stock.
136
Facteurs historiques et étiologiques Il importe de présenter ici queques données historiques sur l'origine de cette structure. Les remarques qui suivent résument les observations de ceux qui ont édudié ce problème, en traitant et en analysant de nombreux patients qui présentaient ce trouble: Dans tous les cas, on a des preuves évidentes de l'existence d'un rejet précoce par la mère, ressenti par le patient comme une menace pour son existence. Ce rejet était accompagné d'une hostilité secrète et souvent déclarée de la part de la mère. L'hostilité et le rejet créèrent chez le pat-ient la peur que toute tenta tive, toute demande ou toute affirmation de lui-même ne le conduise à être anhiillié. L'historique révèle le manque de toute émotion positive forte, de sécurité ou de joie. Les cauchemars étaient fréquents pendant l'enfance. Le comportement non émotionnel , ou le retrait, était la règle, accom pagné d'éclats de colère occasionnels, ce qu 'on appelle comportement autistique. Si l'un des parents effectue un investissement secondaire sur l'enfant au moment de la période œdipienne, comme c'est assez sou vent le cas, cela ajoute un élément paranoïde à la personnalité. Cela permet une certaine actualisation à la fin de l'adolescence et à l'âge adulte. Avec un tel historique, l'enfant n'a pas d'autre choix que de se di sso cier de la réalité (vie imaginaire intense) et de son corps (intelligence abstraite) pour survivre. Comme les émotions qui le dominaient étaient la terreur et une rage meurtrière, l'enfant a emmuré ses émotions, par autodéfense.
La structure de caractère orale Description Nous disons qu'une personnalité a une structure de caractère orale lorsqu'elle contient de nombreux traits caractérisant la phase orale de l'existence - c'est-à-dire la petite enfance. Ces traits sont: sens affai bli de l'indépendance, tendance à s'accrocher aux autres, agressivité réduite et le sentiment intérieur d'avoir bes oin d'être aidé, soutenu, que l'on s'Occupe de vous. Ils dénotent un manque d'assouvissement pendant la petite enfance, et représentent une certaine fixation à ce 137
r ----
La bioénergie niveau de développement. Chez certaines personnes ces traits sont masqués par des attitudes compensatoires adoptées consciemment. Certaines personnalités relevant de cette structure de caractère font preuve d'une indépendance exagérée, mais qui ne peut pas résister à de fortes tensions . Le caractère oral a ressenti une privation là où le schi zoïde a ressenti le rejet.
État bioénergétique Du point de vue énergétique, la structure orale est sous-chargée. L'énergie n'est pas fixée au centre, comme chez le schizoïde, elle circule librement vers la périphérie du corps, mais faiblement. Pour des raisons qui ne sont pas parfaitement claires, la croissance en hauteur est affectée, d'où un corps long et mince. On peut l'expliquer en suggérant que le -retard de maturation permet un développement exagéré des os longs. Un autre facteur en est peut-être que les muscles peu développés sont incapables de contrôler la croissance osseuse. C'est dans le bas du corps que le manque de force et d'énergie se constate le mieux, puisque le développement du corps procède chez l'enfant à partir de la tête vers le bas. Tous les points de contact avec l'environnement sont peu chargés. Les yeux sont faibles, il y a tendance à la myopie et le niveau d'excita tion génitale est réduit. Le diagramme suivant présente l'état bioénergétique:
L'orientation primaire: le plaisir Caractéristiques physiques Le corps a tendance à être long et mince, ce qui correspond au type ectomorpique de Sheldon. Il diffère du corps schizoïde en ce qu'il n'est pas fortement contracté. La musculature est sous-développée, mais elle n'est pas tendineuse comme celle du schizoïde. C'est au niveau des bras et des jambes que ce manque de développement se remarque le mieux. Les jambes longues et grêles sont un signe fréquent de cette structure caractérielle. Les pieds sont égaiement minces et éfroits. Les jambes ne donnent pas l'impres sion d'être capables de soutenir le corps. Les genoux sont en général mides, pour fournir un support nécessaire de rigidité. Le corps présente une tendance à s'affaler, due en partie à la faiblesse du système musculaire. Il y a souvent des signes physiques d'immaturité. Le pelvis peut être plus petit que la normale, chez l'homme comme chez la femme. La pilo sité est souvent réduite. Chez certaines femmes, l'ensemble du proces sus de croissance est retardé, ce qui fait ressembler leur corps à celui d'un enfant. .!--e caractère oral respire superficiellement, ce ql!i. explique le bas niveau d'énergie de sa personnalité. Le manque au niveau oral a réduit la force de l'impulsion à téter. La correction de la respiration dépend de l'aptitude à téter l'air.
Corrélations psychologiques Le caractère oral a du mal à tenir debout, au propre comme au figuré. Il a tendance à s'appuyer sur les autres ou à s'y accrocher. Mais, comme je l'ai mentionné plus haut, cette tendance peut être masquée par une attitude d'indépendance exagérée. L'incapacité d'être seul reflè te aussi cette tendance à s'accrocher. Il a un besoin exagéré de contact avec les autres, pour la chaleur et le soutien qu 'ils lui procurent. Le caractère oral souffre d'une impression de vide intérieur. Il s'en rapporte constamment à autrui pour le remplir, bien qu'il puisse se c?rnporter comme si c'était lui qui fournissait une aide. Le vide inté neur reflète le refoulement de l'intense nostalgie qui, s'il l'exprimait, entraînerait de profonds sanglots et rendrait la respiration plus cornplèc te. A cause de son bas niveau d'énergie, le caractère oral est sujet à des sautes d'humeur allant de la dépression à l'exaltation. La tendance à la 138
139
L 'orientation primaire: le plaisir
La bioénergie dépression est pathognomique de la présence de traits oraux dans une personnalité. Une autre caractéristique typique du caractère oral est qu' « on » lui doit quelque chose. Cela peut s'exprimer par la croyance que le monde doit assurer son existence. Cela vient directement du manque éprouvé assez tôt pendant l'enfance. Facteurs historiques et étiologiques
La privation précoce peut être due à la perte réelle d'une figure maternelle chaude et secourable par la maladie ou la mort, ou à son absence causée par la nécessité de travailler. Lorsque la mère souffre elle-même de dépression, elle n'est pas disponible pour l'enfant. L'historique révèle souvent un développement précnce.J 'appreIltis-sa ge de la parole et de la marche s'étant fait plus tôt que la normale. J'ex plique ce développement comme un effort pour surmonter l'impression de perte en devenant indépendant. D' autres expériences de désappointement ont souvent lieu au cours de la petite enfance, quand~ l'enfant essaie de se tendre vers le pè~~ ou vers ses frères et sœurs pour obtenir un contact, de la chaleur, une aide. De tels désappointements peuvent laisser se développer dans la person nalité une impression d'amertume. Les épisodes dépressifs sont typiques en fin d'enfanoe et en début d'adolescence. L 'enfant oral ne présente toutefois pas le comportement autistique de l'enfant schizoïde. Nous devons reconnaître qu'il peut y avoir des éléments schizoïdes chez une personnalité orale, tout comme il y a des éléments oraux dans la structure schizoïde.
La structure de
carac~ère
psychopathe
Descl'iption
Cette structure de caractère nécessite quelques mots d'introduction. C 'est le seul type de caractère qui n'ait été ni anal ysé ni décrit lors de mes précédentes études. Cela peut être une structure très complexe, mais je n'en décrirai qu'une forme simple pour rester clair et bref. L'essence de l'attitude psychopathe est la dénégation de l'émotion. Cette attitude contraste avec celle du schizoïde qui se dissocie de ses émotions. Chez une personnalité psychopathe, le Moi ou l'esprit se 140
tourne contre le corps et ce qu 'il ressent, en particulier les impressions sexuelles. De là l'emploi du terme « psychopathologie ». La fonction normale du Moi est de soutenir les pulsions du corps vers le plaisir,-et non de les détourner au profit d'une image du Moi. Il y a chez tous les psychopathes un grand investissement d'énergie sur leur propre image. L' autre aspect de la personnalité est la recherche du pouvoir et le. besoin de dominer et de contrôler. La complexité de ce type de caractère tient à ce qu'il y a deux façons de prendre le pouvoir sur autrui . La première consiste à intimider ou à dominer l'autre; auq.uel cas s'il ne relève pas le défi, il se transforme en un sens en victime. La seconde consiste à le saper par une l!Pproche séductrice, très effic ace 'Sür quelqü 'un de naïf, qui le fait tomber au pouvoir du psychopathe. État bioénergétique
Deux types physiques différents correspondent aux deux structures psychopathes. Le type dominateur s'explique plus facilement au niveau bioénergétique, et je m'en servirai pour illustrer cette structure caracté rielle. On arrive à prendre le pouvoir sur autrui en s'élevant au-dessus de lui. O n trouve chez ce type caractériel un déplacement marqué d'énergie vers le haut du corps, accompagné d'une diminution de la charge dans le bas du corps. Les deux parties du corps sont dispropor tionnées de façon notable, le haut du corps ayant une apparence plus robuste et plus dominante. Il y a en général une contraction bien déterminée au niveau de la tai lle et du diaphragme, qui bloque le déplacement d'énergie et d'émo tion vers le bas du corps. La tête a une surcharge énergétique, ce qui signifie qu'il y a hyper excitation de l'appareil mental, ce qui entraîne une rumination continue sw la façon de garder le contrôle et de maîtriser les situations . Les yeux sont attentifs ou méfiants. Ils ne s'ouvrent pas pour exami ner les interrelations. Cette façon de fermer les yeux pour voir et pour comprendre est caractéristique de toutes les personnalités psychopa thes.
Le besoin de contrôler se tourne aussi contre le soi. La tête est très ferm.ement tenue (on ne doit jamais perdre la tête), mais en contre partIe, elle tient le corps fermement sous son emprise. Le diagramme ci-après montre ces relations énergétiques: 141
L'orientation primaire : le plaisir
La bioénergie
Corrélations psychologiques
Caractéristiques physiques Le haut du corps présente chez le type dominateur un développement disproportionné. Il donne l'impression d'avoir été gonflé, ce qui corres pond à l'image boursouflée du Moi. On pourrait dire de cette structure . qu'elle a la tête trop lourde. Le corps est également rigide. Le bas du corps est plus étroit, et peut présenter la faiblesse typique de la structure de caractère orale. Le caractère du second type, que j'ai appelé séducteur ou (( en dessous» est plus régulier et n'a pas l'aspect souillé. Le dos est en géné ral hyperflexible. Dans les deux cas, il y a des pertubations de la circulation entre les deux parties du corps. Chez le premier type le pelvis n'est pas assez chargé et il est bien maintenu; chez le second il est trop chargé mais déconnecté. Les deux types présentent également une spasticité marquée du diaphragme. Il y a des tensions marquées de la partie oculaire du corps, qui comprend les yeux et la région occipitale. On peut également palper des tensions musculaires fortes le long de la base du crâne, dans ce qu'on pourrait appeler le segment oral. Ces tensions représentent une inhibition de l'impulsion à téter.
142
La personnalité psychopathe a besoin de quelqu'un à contrôler et, bien qu'il puisse en apparence le contrôler, il en est également dépen dant. Il y a donc un certain degré d'oralité chez tous les psychopathes. D ans la littérature psychiatrique on les décrit comme présentant une fixation orale. Le besoin de contrôler est étroitement lié à la peur d'être contrôlé. ~tre contrô lé signifie être utilisé. Nous verrons qu'il y a dans l'histo rique de cette structure caractérielle une lutte pour la domination et le contrôle entre l'enfant et ses parents. La volonté d'arriver au sommet et de réussir est si forte que le psychopathe ne peu('ni admettre ni permettre l'éventualité d'une défai te. Elle le mettrait en position de victime, il doit donc être le vainqueur dans tout conflit. Il utilise toujours la sexualité dans ce jeu pour le pouvoir. Il séduit par son apparente puissance, ou par des façons douces et adroites. Le plaisir de la sexualité passe après la performance ou la conquête. Nier l'émotion correspond fondamentalement à nier le besoin. La manœuvre du psychopathe consiste à faire en sorte que les autres aient besoin de lui pour qu'il n'ait pas à exprimer ce besoin. Il reste ainsi le mieux placé .
Facteurs historiques et étiologiques Commè pour tous les types caractériels, l'historique explique le comportement. D e façon générale, je peux dire qu 'on ne comprend pas le comportement de quelqu'un si l'on ne connaît pas son histoire. L'une des tâches pr inci pales de toute thérapie est donc d'élucider ce qu'a éprouvé le patient au cours de son existence. Cela est souvent très diffi cile à faire pour cette personnalité, car la tendance psychopathe à nier l'émotion inclut le refus de ce qu'il a ressenti. En dépit de ce problème, la biOénergétique en a appris beaucoup sur l'arrière-plan de ce problè me.
Le facteur étiologique le plus important de cette structure, c'est un parent séducteur au niveau sexuel. La séduction est masquée et a pour but de répondre aux besoins narcissiques du parent. Elle a pour but de lier l'enfant au parent. Le parent séducteur est toujours un parent qui rejette l'enfant quant à 143
L 'orientation primaire: le plaisir
La bioénergie ses besoins d'aide et de contact physique. Le manque de contact et de l'aide nécessaire explique l'élément oral de cette structure de caractère. La relation séductrice crée un triangle qui met l'enfant en rivalité avec le parent de même sexe.. Cela crée une barrière à l' identification au parent de même sexe et renfarée l'identification au parent séducteur. Dans une telle situation, toute recherche de contact laisserait l'enfant en position extrêmement vulnérable. Il va donc soit s'élever au-dessus du besoin (déplacement vers le haut) soit assouvir son besoin en mani pulant les parents (type séducteur). Il y a également chez la personnalité psychopathe un élément maso chiste qui résulte de la soumission au parent séducteur. L'enfant ne pouvait pas se rebeller, ni échapper à la situation; la seule défense possible était intérieure. La soumission n'est qu'apparente, néanmoins dans la mesure où l'enfant se soumet ouvertement il gagne une certaine intimité avec le parent. L'élément masochiste est plus fort dans la variété sournoise ou séductrice de cette structure caractérielle. Le gambit initial consiste à entamer la relation en tenant un rôle soumis masochiste. Puis, quand la séduction a eu lieu, et que l'attachement de l'autre est assuré, le rôle est retourné et le caractère sadique apparaît.
tion._Ses muscles épais .et puiss_ants bloql!E}t toute_œ~endjcation directe et ne permettent qu' aux complaintes et aux jérémiades de passer. État bioénergétique
Par opposition à la structure orale, la structure masochiste est pleine ment chargée énergétiquement. Cette charge reste cependant fermement retenue, mais non figée . A cause de cette sévère rétention, les organes périphériques sont fai blement chargés, ce qui ne permet pas la décharge et la détente _ c'est-à-dire que les actes expressifs sont limités. La rétention est si forte qu'elle entraîne une compression et un effon drement de l'organisme. Cet effondrement se localise à la taille, là où le corps ploie sous le fardeau de ses tensions 1. Les impulsions qui se dépl acent vers le haut ou le bas sont étouffées dans le cou et à la taille, ce qui explique la forte tendance de cette personnal ité à ressentir de l' angoisse. L'extension du corps, au sens de s'étendre ou de se tendre vers quelque chose, est gravement diminuée. Cette réduction de l'extension entraîne le raccourcissement décrit plus bas . Voici le diagramme représentant le corps masochiste:
La structure de caractère masochiste Description
Dans l'esprit du public, le masochisme est le désir de souffrir. Je ne pense pas que cela soit vrai pour ceux qui ont cette structure caracté rielle. Certes, ils souffrent, et comme ils sont incapables de modifier cette situation, on en conclut qu'ils souhaitent rester ainsi. Je ne parle pas de quelqu 'un qui a une perversion masochiste, de celui qui cherche à être battu pour apprécier les rapports sexuels . La structure caracté rielle masochiste décrit quelqu'un qui souffre et s'en plaint, et se lamen te tout en restant soumis . La soumission constitue la tendance domi nante du masochisme. Si le masochiste fait preuve d'une attitude soumise dans son compor tement extérieur, il est intérieurement tout à l'opposé. Au plus profond niveau émotionnel, il ressent fortement de la rancune, de la négativité, de l'hostilité et de la supériorité. Cependant, ces émotions restent forte ment bloquées par peur d'exploser par un schéma musculaire de réten-
144
'W
1. On peut trouver dans mon ouvrage The Physieal Dynamies of Charae /er S/rue /ur~, op . cil., p. 191 , une autre théorie sur la fa çon dont ces forces énergétiques
operent dans la structure masochiste.
145
L'orientation primaire: le plaisir
La bioénergie
Caractéristiques physiques
Facteurs étiologiques et historiques
Le masochiste typique a un corps court, épais, musclé. Pour des raisons inconnues, il y a en général augmentation de la pilo sité. Le cou épais et court, dénotant le renfoncement de la tête dans les épaules, est particulièrement caractéristique. A cela correspond une taille plus courte et plus épaisse. Une autre caractéristique importante est le déplacement vers l'avant du pelvis, qu'on peut décrire plus littéralement comme le rentrement et l'aplatissement du derrière. La posture ressemble à celle d'un chien qui rentre la queue entre les jambes. Cette façon de rentrer le derrière est responsable, ainsi que la tension qui pèse dessus, de ce que le corps se plie ou se creuse à la taille. On peut constater chez certaines femmes une combinaison de rigidité dans le haut du corps et de masochisme dans le bas, que révèle la lour deur des fesses et des cuisses, le pelvis remonté et la coloration sombre de la peau, due à la stagnation de la charge. La peau de tous les masochistes tend à avoir une teinte brunâtre, à cause de la stagnation de l'énergie.
La structure masochiste se développe dans une famille où l'on trouve amour et acceptation combinés à de sévères pressions. La mère est dominatrice et se sacrifie; le père est passif et soumis. La mère dominatrice et qui se sacrifie étouffe littéralement l'enfant, en le faisant se sentir extrêmement coupable de toute tentative pour affirmer sa liberté ou prendre une attitude négative. On rencontre typiquement une forte fixation de l'intérêt sur la nourri ture et la défécation. Ceci occasionne des pressions du haut comme du bas: « Sois genti l. Fais plaisir à maman. Finis ton assiette ... Et va aux toilettes régulièrement. Montre à Maman», etc. Toutes les tentatives de rèsistance, y compris les éclats de rage, étaient écrasées. Tous ceux qui ont une structure de caractère masochis te avaient des accès de colère, enfants, auxquels ils furent forcés de renoncer. Ils avaient fréquemment l'impression d'être pris au piège, qui ne permettait qu'une réaction de rancune et finissait par l'autodéfaite. L'enfant ne pouvait trouver aucune issue. Le patient a lutté dans son enfance avec une profonde impression d'humiliation chaque fois « qu'il se laissait aller librement» - sous la forme de vomissements, de souillures ou de défis. Le masochiste a peur d'étendre ses membres ou de dresser le cou (il en va de même pour ses organes génitaux) de peur qu'on l'en détache ou qu'ils se détachent. Il y a chez ce caractère une forte angoisse de castra tion. La peur la plus significative est celle d'être détaché des relations parentales, qui procurent de l'amour - mais sous conditions. Nous verrons cette signification plus clairement dans le paragraphe suivant.
Corrélations psychologiques A cause de la sévérité de la rétention , l'agressivité est fortement réduite. De même, l'expression de soi est limitée. Les plaintes et les jérémiades remplacent l'affirmation de soi. La plainte est la seule expression vocale pouvant traverser facilement le gosier contracté. Un comportement provocateur remplace l'agressivité; il a pour but d'obtenir de l'autre une réaction énergique, assez forte pour permettre au masochiste de réagir violemment et d'exploser sexuellement et autremenI - - - - - La stagnation de la charge, due à la forte rétention, conduit à l'im pression d'être «embourbé», incapable de se déplacer librement. L'attitude de soumission et le fait de chercher à plaire sont caracté ristiques du comportement masochiste. Au niveau conscient, le maso chiste s'identifie à son désir de plaire; mais au niveau inconscient cette attitude est niée par la rancune, la négativité et l'hostilité. Il faut libérer ces émotions refoulées pour que le masochiste puisse réagir librement aux situations de son existence.
146
La structure de caractère rigide Description Le concept de rigidité vient de la tendance de ces individus à se tenir raides - par fierté. La tête est donc portée bien haute, la colonne verté brale droite. Ce seraient des traits positifs si ce n'était que la fierté est défensive et la rigidité opiniâtre. Le caractère rigide a peur de céder, parce que cela signifie pour lui la soumission et l'effondrement. La rigi
14 7
La
L'orientation primaire: le plaisir
bioéne~gie
dité devient une défense contre une tendance masochiste sous-jacente. Le caractère rigide se tient sur ses gardes pour qu'on ne tire pas avantage de lui, qu'on ne l'utilise pas et qu 'on ne le piège pas. Cette vigilance prend la forme d'une rétention des impulsions à s'ouvrir et à se tendre. La rétention signifie aussi «tenir le dos droit», d'où la rigidité. La capacité de rétention vient de la forte position du Moi et d'un haut degré de contrôle sur le comportement. Elle est également aidée par une forte position génitale, qui ancre la personnalité par les deux extrémités du corps et assure un bon contact avec la réalité. Malheureusement, l'accent mis sur la réalité sert de défense contre les pulsions vers le plai sir - se laisser aller - et cela constitue le conflit sous-jacent de la personnalité.
Caractéristiques physiques
Le corps du caractère rigide est bien proportionné, l'ensemble est harmonieux. Le corps paraît et se sent intégré et lié. Malgré cela, on peut retrouver certains éléments des troubles et des distorsions décrites ci-dessus pour les autres types. La vital ité du corps est une caractéristique importante: les yeux bril lants, le teint coloré, la vitalité des gestes et des mouvements. Si la rigidité est importante, il y a une réduction correspondante des éléments positifs notés ci-dessus, la coordination et la grâce des mouve ments sont moindres, les yeux perdent de leur éclat, et le teint peut deve nir pâle ou grisâtre.
État bioénergétique Corrélations psychologiques
Il y a chez cette structure une assez forte charge de tous les points de contact périphériques avec l'environnement, ce qui favorise l'aptitude à tester la réalité avant d'agir. La rétention est périphérique, ce qui permet aux émotions de circuler mais limite leur expression. Les principales zones de tension sont les muscles longs . Les spastici tés des muscles extenseurs et fléchisseurs se combinent et provoquent la rigidité. Il y a, bien entendu, divers degrés de rigidité. Lorsque la rétention est légère, la personnalité est vibrante et vivante. Le diagramme suivant montre l'état bioénergétique:
Les individus relevant de cette structure caractérielle sont orientés vers le monde, ambitieux, compétitifs et agressifs. Ils ressentent la passivité comme une vulnérabilité. Le caractère rigide peut être obstiné, mais il est rarement rancunier. Son obstination dérive en partie de sa fierté; il a peur de paraître insen sé s'il se laisse aller, et donc il se retient. Cela dérive en partie de sa peur : la soumission pourrait entraîner une perte de liberté. La bioénergétique a adopté le terme « caractère rigide» pour décrire le facteur commun à plusieurs personnalités qui avaient des noms diffé rents. II comprend donc l'homme phallique et narcissique dont l' intérêt se centre sur la puissance érective, et le type victorien de femme hysté rique décrit par Reich dans Character Analysis, qui se sert du sexe comme d'une défense contre la sexualité. Le terme démodé de caractère compulsif fait également partie de cette vaste catégorie. La rigi dité de ce caractère est celle de l'acier. On rencontre égale ment de la rigidité dans la structure schizoïde où, à cause de l'état figé de l'énergie, elle est aussi cassante que la glace. En général, le caractère rigide affronte le monde avec efficacité. Facteurs étiologiques et historiques
L'historique de cette structure est intéressant parce que quelqu'un qui a ce caractère n'a pas subi les graves traumatismes qui créent les posi tions défensives plus sérieuses.
148
149
La bioénergie Le traumatisme significatif fut dans ce cas l'expérience de frustration de la pulsion de gratification érotique, spécialement au niveau génital. Cela se produisit à cause de la prohibition de la masturbation infantile, et aussi par la relation au parent de sexe opposé. L'enfant considéra le rejet de ses pulsions vers le plaisir érotique et sexuel comme une trahison de sa demande d'amour. Dans l'esprit d'un enfant, le plaisir érotique, la sexualité et l'amour sont synonymes. Grâce au fort développement du Moi, le caractère rigide n'a pas renoncé à cette connaissance consciente. Comme le montre le diagram me précédent, son cœur n'est pas séparé de la périphérie. C'est quel qu'un qui agit avec son cœur, mais avec des contraintes et sous le contrôle du Moi. L'état désiré serait d'abandonner ce contrôle et de lais ser le cœur l'emporter. Comme l'expression ouverte de son amour en tant que désir d'intimi té physique et de plaisir érotique s'est heurtée en rejet parental, le carac tère rigide agit de façon indirecte et reste sur ses gardes pour atteindre son but. Il ne manipule pas, comme le fait le psychopathe; il manœuvre pour obtenir l'intimité. L'importance de sa fierté réside en ce qu'elle est liée à cette impres sion d'amour. Le rejet de son amour sexuel blesse sa fierté. De la même façon, une insulte à sa fierté est un rejet de son amour. J'ai un commentaire final à faire. Je n'ai pas parlé du traitement de ces problèmes parce que les thérapeutes ne traitent pas des types de caractériels mais des gens. La thérapie se centre sur l'individu dans ses relations immédiates: avec son corps, avec le sol sur lequel il se tient, avec les personnes qui lui importent et avec le thérapeute. Cela est à l'avant-plan de l'approche du thérapeute. Mais en arrière-plan se trouve sa connaissance des caractères, sans laquelle il ne pourrait pas comprendre le patient et ses problèmes. Un thérapeute expérimenté peut se déplacer facilement d'un plan à l'autre sans perdre aucun des deux de vue.
La hiérarchie des types caractériels. Une décla ration de droits La structure caractérielle définit la façon dont on gère son besoin d'amour, sa demande d'intimité physique et ses pulsions de plaisir. Vues sous cet angle, les différentes structures caractérielles forment un
150
L'orientation primaire: le plaisir spectre, ou une hiérarchie~ u~e ~,xtrémité ,~ta?t ?~cupée pa~ la position chizoïde - qui est une mise a 1 ecart de lmtlmlte parce qu elle est trop ~enaçante - et l'autre par la santé émotionnelle - où il n'y a pas réten tion des impulsions à demander l'intimité et le contact. Les différents types caractériels se placent dans ce spectre ou cette hiérarchie selon le degré de contact et d'intimité qu'ils admettent. L'ordre va être parallèle à celui que nous avons suivi dans la présentation des types caractériels. Le caractère schizoïde évite toute relation intime. Le caractère oral peut établir des liens intimes, mais seulement sur la base de son besoin de chaleur et d'aide - c'est-à-dire sur une base infan tile. Le caractère psychopathe ne peut se lier qu'à ceux qui ont besoin de lui. Tant qu'on a besoin de lui et qu'il garde une position de contrôle sur la rel ation, il peut permettre à un degré d'intimité de se développer. Le caractère masochiste est, de façon surprenante, capable d'établir une relation étroite sur la base d'une attitude de soumission. Bien sûr, on peut dire que cette relation est « à sens unique », mais elle est plus intime que toute relation établie par l'un des trois types précédents. L'angoisse de la structure masochiste tient à ce que si le masochiste exprimait un sentiment négatif, ou affirmait sa liberté, il perdrait la rela tion ou serait rejeté de l'intimité obtenue. Le caractère rigide établit d'assez bonnes relations intimes. J'utilise le terme « assez bonnes» parce qu'il reste sur ses gardes, malgré l'appa rence d'intimité ét d'engagement. Toute structure caractérielle contient un conflit qui lui est inhérent, parce qu'on rencontre à la fois dans une personnalité le besoin d'intimi té et d'expression de soi et la peur que ces besoins ne soient mutuelle m~nt exclusifs. La structure caractérielle constitue le meilleur compro~'î mis que l'on a pu établir pendant l'enfance. On reste malheureusement figé dans ce compromis, bien que la situation environnante ait changé depuis le passage à l'âge adulte. Examinons ces conflits de plus près. Nous verrons également à partir de cett~ analyse comment chaque structure caractérielle constitue une défense contre celle qui la précède immédiatement dans la hiérarchie. Le schizoïde: Si j'exprime mon besoin d'intimité, mon existence est menacée. En changeant l'ordre des termes cela devient: « Je peux vivre si je n'ai pas besoin d'intimité.» Il doit donc rester isolé. . ~e caractère oral: On pourrait exprimer le conflit par « Pour devenir Independant, je dois abandonner mon besoin d'aide et de chaleur.» Mais une telle phrase l'oblige à garder une position de dépendance. Elle
151
L'orientation primaire,' le plaisir
La bioénergie se modifie donc pour devenir: (de peux exprimer mon besoin tant que je ne suis pas indépendant.» Abandonner son besoin d'amour et d'inti mité renverrait cette personne au stade schizoïde, qui est beaucoup plus négatif vis-à-vis de l'existence. Le psychopathe,' Dans cette structure il y a conflit entre l'indé pendance ou l'autonomie et l'intimité. Cela pourrait s'exprimer par « Je peux être intime avec toi si je te laisse prendre le contrôle ou m'utiliser.» Il ne peut permettre cela, car cela implique d'abandonner complètement la perception de soi. D'autre part, il ne peut pas abandonner son besoin d'intimité, comme' l'a fait le schizoïde, et il ne peut pas courir le risque de devenir dépendant, comme le caractère oral. Dans le lien établi pendant l'enfance, il a été obligé de retourner les rôles. Dans la relation actuelle, il devient le parent séducteur et qui a le contrôle sur son parte naire, réduit à la position orale. En gardant de cette façon le contrôle sur l'autre, il peut permettre un certain degré d'intimité. On pourrait l'énoncer comme suit: « Tu peux rester proche de moi tant que tu me respectes. » L'élément psychopathe tient à l'inversion: « Tu peux rester près de moi» qui remplace «J'ai besoin d'être près de toi.» Le masochiste,' Il y a ici conflit entre l'amour ou l'intimité et la liber té. Énoncé simplement, il s'exprime: « Si je suis libre, tu ne m'aimeras pas.» Face à ce conflit, le masochiste dit: « Je serai gentil, et tu m'aime ras. » Le caractère rigide ,' Il est relativement libre, relativement parce qu'il protège constamment cette liberté - il la protège en empêchant les désirs venant de son cœur de lui tourner trop la tête. On pourrait énon cer ce conflit ainsi: «Je peux être libre si je ne perds pas la tête et que je ne m' abandonne pas complètement à l'amour.» Dans son esprit, l'aban don est lié à la soumission, dont il pense qu'elle le ramènerait au niveau du caractère masochiste. Il en résulte qu'il surveille constamment ses désirs et ses amours. Nous pouvons encore simplifier ce qui précède. Le conflit en devient plus aigu. Schizoïde Oral Psychopathe = Masochiste Rigide
152
existence contre besoin besoin contre indépendance indépendance contre intimité intimité contre liberté liberté contre abandon à l'amour
Résoudre l' un de ces conflits revient à faire disparaître l'antagonisme entre les deux ensembles de valeurs. Le schizoïde découvre que l'exis tence et le besoin d'autrui ne sont pas mutuellement exclusifs, et que l'on peut les avoir tous les deux. Le caractère oral découvre qu'on peut avoir besoin d'autrui et rester indépendant (se débrouiller tout seul). Et ainsi de suite. La croissance et le développement de la personnalité constituent un processus au cours duquel l'enfant devient progressivement conscient de ses droits d' être humain. Ceux-ci sont: le droit à l'existence - c'est à-dire à faire partie du monde en tant qu'organisme individuel. Ce droit s'établit en général au cours des premiers mois de la vie. S'il ne s'établit pas correctement cet échec crée une prédisposition à la structure schi zoïde. Mais chaque fois que ce droit est gravement menacé, au point où l'on se sent incertain de son droit à exister, va apparaître une tendance schizoïde. Le droit à la satisfaction de ses besoins qui vient de la fonction d'aide et d'apport de nourriture qu'assume la mère pendant la première année. L'insécurité fond'a mentale à ce niveau entraîne une structure orale. Le dro it à l'autonomie et à l'indépendance - c'est-à-dire à ne pas être soumis aux besoins d'autrui. Ce droit se perd ou ne peut s'établir si le parent de sexe opposé a une attitude séductrice. Céder à la séduction mettrait l'enfant sous la coupe du parent . L'enfant contre cette menace en devenant à son tour séducteur pour obtenir le pouvoir sur le parent. Cette situation entraîne généralement une structure psychopathe. Le droit à l'indépendance établi par l'enfant en s' affirmant lui-même et en s'opposant à ses parents. Si l'on réprime l'affirmation de soi et l'opposition, l'enfant développe une personnalité masoch iste. L'autoa ffirmation commence en général vers dix-huit mois, lorsque l'enfant apprend à dire non, et contin ue à se développer J' année suivante. Cette période coïncide avec l' apprentissage de la propreté, et les problèmes créés par la contrainte de cet apprentissage s'associent avec le problème de l'affirmatio n de soi et de l'opposition. Le droit de vouloir, et de chercher directement à obtenir ce que l'on veut. Ce droit a une importance composante du Moi, et c'est le dernier des droits naturels à s'établir. Je relierai son apparition et son dévelop pement à la période de trois à six ans •.approximativement. Il est forte ment lié aux émotions sexuelles précoces de l'enfant. Le mauvais établissement de ces droits fondamentaux et essentiels a p~ur résultat une fixation à l'âge et à la situation qu i ont provoqué l'ar ret de ce plein établissement. 153
La bioénergie Comme on est toujours fixé à un certain degré à chacun de ces stades, ou niveaux, chacun de ces conflits nécessite d'être perlaboré. Je ne sais pas s'il y a à ce niveau un ordre à suivre dans le processus théra peutique. Il semblerait que la meilleure procédure soit de suivre le patient lorsque son existence le confronte à chacun de ces conflits. Si c'est fait correctement, le patient terminera la thérapie en ayant forte ment l'impression qu'il a le droit d'exister, qu'il a des besoins mais qu'il reste indépendant, qu 'il est libre mais qu'il peut aimer et s'engager.
CHAPITRE VI
Une orientation secondaire:
la réalité
Réalité et illusion J'ai mentionné, à la fin du paragraphe sur les types caractériels, que ces types restent à l'arrière-plan dans l'esprit du thérapeute lors de son approche du patient. La situation existentielle spécifique du patient occupe l'avant-plan. Elle comprend ce dont il se plaint actuellement ; la façon dont il se considère par rapport au monde - (comment il voit les relations entre sa personnalité et ses difficultés) ; son degré de relation avec son corps (quelle conscience il a des tensions musculaires qui peuvent contribuer à son problème) ; ce qu 'il attend de la thérapie et, de façon permanente, le lien qu'il établit avec le thérapeute en tant qu'être humain. Le centre d'intérêt initial est l'orientation vers la réalité. Je devrais ajouter qu 'on n'abandonne jamais ce centre d'intérêt pendant la thérapie, mais qu'il s'élargit constamment, à mesure que davantage d'aspects existentiels et historiques entrent en ligne de compte. Bien que l'intérêt se centre initialement sur la réalité, j'en fais une orientation secondaire. Mais elle n'est secondaire que par rapport au temps - c'est-à-dire que l'orientation vers la réalité se développe graduellement jusqu'à ce qu'on arrive à l'âge adulte, alors que l'orienta tion vers le plaisir est présente depuis le début de la vie. La façon dont on est orienté vers la réalité va déterminer l'efficacité des actions qui visent à assouvir les pulsions de plaisir. Il est inconcevable à mes yeux que quelqu 'un qui n'est pas réaliste à -propos de sa vie soit capable d'ob tenir le plaisir, la satisfaction et l'assouvissement qu'il désire si ardem ment. Mais qu'est-ce que la réalité? Et comment pouvons-nous dire si
155
Un e orientation secondaire : la réalité La bioénergie quelqu'un est réaliste à propos de sa vie ou non? Je ne suis pas sûr de savoir réellement répondre à la première question. Je crois que certaines vérités se fondent sur la réalité, comme l'importance de respirer correc tement, l'importance de se libérer des tensions musculaires chroniques, le besoin de s'identifier à son propre corps, le potentiel créatif de plaisir et ainsi de suite. J' ai été irréaliste dans certains domaines. J'ai perdu de l'argent à la Bourse parce que je croyais que je m'en sortirais facile ment. Et il y a des questions qui me laissent perplexe. Est-il réaliste de ma part de voir autant de patients que je le fais? De prendre en charge tant de responsabilités ? Je ne pense pas que quelqu'un soit en mesure de répondre totalement à la première question; nous allons donc abor der la seconde. Heureusement, quand quelqu'un entreprend une thérapie, il admet qu'il a des problèmes, que d'une certaine façon la vie ne se déroule pas comme il le souhaitait, et qu'il n'est pas sûr de la réalité de ce qu'il espè re. Etant donné ces connaissances et le fait qu'il est plus facile d'être objectif pour ce qui concerne quelqu'un d' autre, le thérapeute peut en général discerner les aspects de pensée et de comportement qui lui semblent irréalistes . Il peut dire que ces pensées et ce comportement se fondent plus sur l'illusion que sur la réalité. Par exemple, une jeune femme me consulta parce qu'elle était dépri mée par son échec conjugal. Elle avait découvert que son mari avait une liaison avec une autre femme , découverte qui avait détruit l'image qu'el le avait d'elle-même: « La parfaite petite épouse. » Les deux adjectifs qu'elle utilisait sonnaient juste. C'était une femme petite et brillante, qui se croyait dévouée à son mari et indispensable à son succès. Il est facile d' imaginer le choc qu'elle éprouva lorsqu'elle découvrit qu'il s'intéres sait à une autre femme . Comment se pouvait-il qu'une autre lui offre davantage? A partir de cette histoire, il est parfaitement évident que ma patiente n'était pas réaliste quant à l'existence . L'idée que l'on puisse être « l'é pouse idéale » est certainement une illusion, la nature humaine étant ce qu 'elle est - loin d'être parfaite. Croire qu'un homme sera reconnais sant à sa femme de le pousser à réussir ne se fonde pas sur la réalité, car une telle attitude a comme effet de refuser l'homme et de le châtrer. L'effondrement de l'illusion provoque toujours une dépression \ qui offre une opportunité de découvrir ses illusions et de réétablir sa pensée et son comportement sur des bases plus solides. 1. Lowen, L a D épression nerve use e l le Corps, op . cil.
156
Je me suis d' abord intéressé au rôle des illusions en étudiant la personnalité schizoïde l . L'état de désespoir du schizoïde le force à créer des illusions, pour soutenir son esprit dans la lutte pour la survie. Dans une situation où l' on se sent impuissant à changer une réalité menaçan te ou à Y échapper, le recours à l'illusion empêche de se laisser aller au plus profond des désespoirs. Tout schizoïde a ses illusions secrètes qu' il chérit et qu'il espère voir se réaliser. Sentant que sa nature humaine a été rejetée, il va développer l' illusion qu'il est supérieur aux êtres humains ordinaires grâce à ses qualités particulières. Il est plus noble que les autres hommes; elle est plus pure que les autres femmes. Ces illusions vont souvent à l'encontre de l'expérience vécue. Par exemple, une jeune femme au comportement sexuel déréglé et tendant à la promiscuité croyait qu'elle était pure et vertueuse. L'idée se cachant
derrière cette illusion était l'espoir d'être un jour découverte par un
prince qui saurait reconnaître son cœur d'or sous son libertinage appa rent. Mais le danger d'une illusion est de perpétuer le désespoir . Cette cita tion de Betray al of the Body l'explique : « Une illusion qui gagne en puissance exige d'être réalisée, et entraine de ce fait un conflit avec la réalité qui mène à un comporte ment désespéré. Pour essayer de réaliser son illusion, il faut sacrifier les impressions agréables du moment présent; et celui qui vit dans l' illusion est par définition inc apable de faire les demandes tendant à lui procurer du plaisir. D ans son désespoir, il va renoncer au plaisir et vivre en vei lleuse en attendant que l'illusion-devenue-vraie le tire
de son désespoir
2.
»
L'une de mes patientes exprim a magnifiquement cette idée en disant: On se fixe des objectifs chimériques, et l'on se maintient dans un état de désespoir permanent parce que l'on essaie de les réaliser 3. » Le thème des objectifs chimériques se présenta à nouveau au cours de mon étude de la dépression. Une des idées de base en est que tout déprimé a des illusions qu i introd uisent une note d'irréal ité dans ses actes et son comportement. A partir de cel a, il devient évident qu'une réaction dépressive suive immédiatement l'écroulement d'une illusion.
«
l. Voir Lowen, L e Corps bafo ué, op. ci l. 2. I bid., p. 122. 3. Ibid., p. 11 7.
157
La bioénergie Un paragraphe de mon ouvrage Depression and the Body est significa tif, et je voudrais le citer: « Lorsque la perte ou le traumatisme éprouvé par quelqu'un pendant l'enfance affaiblit son impression de sécurité et d'accepta tion de soi, il projette dans son image du futur l'exigence d'inverser les expériences passées. Ainsi, celui qui a ressenti un rejet dans son enfance se représente le futur comme la promesse d'être accepté et approuvé. Si, enfant, il a lutté contre une impression d'impuissance, son esprit va naturellement compenser cette insulte à son Moi par une image du futur où il est puissant et détient le contrôle. L'esprit essaie, au moyen des fantasmes et des rêveries, d'inverser une réalité défavorable et inacceptable en créant des images et des rêves. On perdra de vue leur origine dans les expériences infantiles, et on sacrifiera le présent à essayer de les accomplir. Ces images consti tuent des buts irréels, et les réaliser reste un objectif inaccessible!.»
La signification de ce paragraphe tient à ce qu'il étend le rôle de l'il lusion à tous les types caractériels. Toute structure caractérielle résul,te d'expériences infantiles qui ont affaibli à un certain degré « l'impression de sécurité et d'acceptation de soi». Nous trouverons donc dans chaque structure caractérielle des images, des illusions, des idéaux du Moi qui compensent cette injure au Moi. Plus le traumatisme a été sévère, plus l'investissement d'énergie dans l'image ou l'illusion sera important, mais dans tous les cas l'investissement est considérable. Toute part d'énergie qui se disperse pour des illusions ou dans un but irréel n'est pas disponible pour l'existence quotidienne, dans le présent. L'individu est donc handicapé dans son aptitude à en venir aux prises avec la réalité de sa situation. L'illusion de quelqu 'un, ou son idéal du Moi, est tout aussi unique que sa personnalité. Nous pouvons cependant, pour améliorer notre compréhension, décrire grossièrement '-le genre d'illusions ou d'idéaux du Moi qui caractérisent chaque structure caractérielle. Le caractère schizoïde: J'ai mentionné que le schizoïde s'est senti rejeté en tant qu'être humain . Sa réaction à ce rejet fut de se considérer comme un être supérieur. C'est un prince déguisé, il n'est pas réellement le fils de ses parents. Certains imaginent même qu'ils ont été adoptés. L'un de mes patients, par exemple, me raconta :
158
Une orientation secondaire: la réalité conscience de ce que l'image idéalisée que j'avais de moi-même était celle d'un prince en exil. Je liais cette image au rêve que j'avais fait , où mon père, le roi, reviendrait un jour et me proclamerait prince héritier. Je réali se que j'ai encore l'illusion qu'un jour on me reconnaîtra. En attendant, je dois garder mes "prétentions". Un prince ne peut pas s'abaisser à un travail ordinaire. Je dois montrer que je suis spécial.» La limite extrême que l'on puisse atteindre en se montrant spécial quand son humanité est rejetée se rencontre dans la schizophrénie, décompensation du caractère schizoïde. On rencontre fréquemment des schizoïdes qui se prennent pour Jésus-Christ, Napoléon, la déesse Isis, etc. Au stade schizophrénique l'illusion prend le caractère d' une hallu cination. On ne peut plus distinguer la réalité de l'illusion. Le caractère oral: Le traumatisme de cette personnalité fut la perte du droit à avoir besoin de quelque chose, et l'état d'inassouvissement physique q ui en résulta. Par conséquent, l'illusion compensatoire qui se développe est une image où il est totalement chargé d'énergie et rempli d'émotions, qu'il répand librement. Quand l'humeur du caractère oral est à l'exaltation, ce qui est typique de cette structure, il actualise son illusion. Il devient excité et volubile, répandant des idées et des pensées comme un flot d'émotions. C 'est son idéal du Moi - être le centre d'at tention, celui qui se donne totalement. Mais l'exaltation n'est pas plus solide que l'image, qui ne peut se maintenir parce que le caractère oral n' a pas l'énergie nécessaire.Toutes deux s'effondrent, et le caractère oral fin it par se retrouver dans un de ses états dépressifs, également typiques. L'histoire de l'un de mes patients, qui était en traitement depuis un certain temps, il y a plusieurs années, vient à propos. Il me proposa un jour de lui donner tout ce que j' avais, car il était prêt à faire de même envers moi.
La bioénergie personne qui détient le pouvoir. Et il n'utilisera donc pas ce pouvoir de façon constructive, mais pour renforcer son image du Moi. Un patient me raconta qu'il avait eu pendant des années l'image de lui-même avec un sac plein d'argent, huit millions de dollars - image qui le faisait se sentir puissant et important. Lorsque je le vis en théra pie, il avait amassé plusieurs millions de dollars, et il commençait tout juste à réaliser qu'il n'était ni puissant ni important. Le terme « réaliser» montre un affrontement de la réalité. L'illusion du pouvoir - de ce qu'il peut faire pour quelqu'un - est très fréquente dans notre culture. Son opposition au plaisir est discutée dans Pleasure 1• Le caractère masochiste .' Tout masochiste se sent inférieur. Pendant son enfance il fut humilié et honteux, mais il se trouvait supérieur aux autres en son for intérieur. Cette image est renforcée par des émotions refoulées de mépris pour le thérapeute, son patron et toute personne ayant dans la réalité une position supérieure à la sienne. L'une des raisons qui rendent le travail sur ce problème si difficile est qu'un patient qui a cette structure de caractère ne peut pas supporter de laisser la thérapie réussir. La réussite de la thérapie prouverait que le thérapeute était quelqu'un de mieux (de plus compétent) que le patient. Quelle impasse r Cette illusion explique en partie pourquoi le masochis te fait un tel investissement sur l'échec. Il explique toujours parfaite ment un échec par «je n'ai pas essayé assez fort», ce qui signifie qu'il aurait réellement pu réussir s'il l'avait voulu . De façon renversée, l'échec renforce son illusion de supériorité. Le caractère rigide ,' Cette structure naît de ce que le parent rejette l'amour de l'enfant. Il a eu l'impression d'être trahi et de sentir son cœur se briser. Par autodéfense, il s'est cuirassé ou s'est tenu sur ses gardes pour ne pas exprimer son amour trop ouvertement, par peur de la trahi son. Son amour est protégé. Mais, bien que cela constitue la réalité de sa façon d'être dans le monde, il ne se voit pas sous cet angle. Son illu sion, o u image de soi, est que c'est lui qui aime, et que son amour n'est pas apprécié. L'analyse du caractère rigide soulève une pensée intéressante. Il aime réellement. Son cœur s'ouvre à l'amour, c'est la com munication qui est protégée et non libre. Si l'on contient l'expression de son amour, cela en rédu it la valeur ; la personne rigide aime donc au niveau des émotions et non des actes. Le point intéressant est que l'illusion n'est pas totale ment fausse ; elle contient un élément de réalité qui pousse à se deman 1. Lowen, Le Plaisir. op. cil.
160
Urie orientation secondaire,' la réalité der « Est-ce vrai de toutes les illusions?» Sans y réfléchir plus profondé ment, la réponse qui me vient à l'esprit est oui. Il doit y avoir un grain de vérité ou de réalité dans toute illusion, qui peut nous aider à comprendre pourquoi on s'y accroche avec tant de ténacité. En voici quelques exemples: Il y a quelque vérité dans l'image d'être spécial que le schizoïde se fait de lui-même. Certains d'entre eux deviennent réellement spéciaux et célèbres au cours de leur vie. Nous savons tous que le génie est proche de la folie. Pouvons-nous dire que le fait que leur mère les ait rejetés était lié à ce qu'ils lui semblaient spéciaux? Je crois que cette explica tion a une certaine valeur. Le caractère oral est généreux. Il a malheureusement peu à donner. On peut donc considérer que son illusion se fonde sur ses sentiments et non sur son comportement. Dans le monde adulte, seul le comporte ment sert de pierre de touche. Le psychopathe possédait bien quelque chose que voulait l'un des parents, sinon il n'aurait pas été l'objet de séductions et de manipula tions. Étant enfant, il a dû en avoir conscience, et tirer de là son premier goût pour le pouvoir. Certes, il était réellement impuissant, et son pouvoir n'existait que dans son esprit; mais il a appris une réalité de l'existence qu'il utilise ultérieurement: chaque fois que quelqu'un a besoin de vous pour quelque chose, vous avez un pouvoir sur lui. n est difficile de trouver un fondement à l'illusion de supériorité du masochiste; mais je crois cependant qu'il en existe un. La seule explica tion qui me vienne à l'esprit, et que je propose avec hésitation, est qu'il est su périeur par son habileté à s'accommoder de situations douloureu ses. On dit fréquemment: « Il faut être masochiste pour supporter cela.» Il arrive à supporter cela, et à maintenir une relation que d'autres auraient abandonnée depuis longtemps. Y a-t-il quelque vertu à cette attitude ? C'est possible dans certains cas . Lorsque quelqu'un dépend totalement de vous, votre soumission à la situation peut présenter un caractère de noblesse. Je suspecte que c'est la façon dont le masochiste a ressenti sa relation avec sa mère, et que cela lui a laissé une sensation intérieure de valeur. Le danger de l'illusion ou de l'image du Moi est qu'elle empêche de voir la réalité. Le masochiste ne peut pas. dire à quel moment il est noble de se soumettre à une situation douloureuse, et à quel moment cela devient de l'autodéfaite et du masochisme. De la même façon, le caractère rigide ne peut pas dire quand son comportement est aimant et quand il ne l'est pas. Nous sommes non seulement aveuglés par nos ilIu
161
La bioénergie sions, mais fixés par les images du Moi qu 'elles contiennent. Comme nous restons fixés , nous n'avons pas les pieds sur terre, et nous ne pouvons découvrir ce que nous sommes réellement.
Être fixé On dit que quelqu'un « fait une fixation)) lorsqu'il est pris dans un conflit émotionnel qui l'immobilise et empêche tout acte efficace de modifier la situation. Dans de tels conflits, on trouve deux émotions opposées, chacune bloquant l'expression de l'autre. La fille qui fait une fixation sur un garçon en est un bon exemple. D 'une part elle est attirée par le garçon et sent qu'elle a besoin de lui; d'autre part elle craint qu'il ne la rejette et sent qu'elle sera blessée si elle s'approche de lui. Inca pable de s'approcher, à cause de sa peur, incapable de s'éloigner, à cause de son désir, elle est parfaitement « fixée )). On peut faire une fixation sur un travail dans lequel on ne s'engage pas, mais qu'on a peur de quitter à cause de la sécurité qu'il représente. On est « fixé)) dans toute situation où des émotions conflictuelles empêchent tout mouve ment efficace de se produire. On peut être cc fixé )) consciemment ou inconsciemment. Si l'on est conscient du conflit, mais qu'on ne puisse le résoudre, on se sent c( fixé» par lui. Mais on peut être cc fixé )) par des conflits qui ont eu lieu pendant l'enfance, et dont on a depuis longtemps refoulé le souvenir. Dans ce cas, on n'a pas conscience d'être cc fixé)). Toute fixation, consciente ou inconsciente, limite la liberté de se mouvoir dans tous les domaines de l'existence et pas seulement dans celui du conflit. Une fille « fixée » sur un garçon va s'apercevoir que son travail ou ses études en souffrent, et ses relations avec sa famille et ses amis vont aussi en être affectées. Et cela reste vrai, bien qu'à un degré moindre, des fixations inconscientes qui, comme tous les conflits émotionnels non résolus, se structurent dans le corps sous la forme de tensions musculaires chroniques . Ces tensions musculaires c( fixent» réellement le corps de diverses façons, que je vais décrire brièvement. On n'évalue généralement pas à quel degré toute illusion « fixe )) quel qu'un. Il est pris dans un conflit insoluble entre les exigences de la réali té d'une part, et la tentative de réaliser son illusion d'autre part. Il ne veut pas abandonner l' illusion, car cela représenterait une défaite pour son Moi. En même temps, il ne peut pas ignorer totalement les exigen ces de la réalité. Et comme il a souvent plus ou moins perdu le contact 162
Une orientation secondaire: la réalité avec la réalité, elle a souvent un aspect effrayant et menaçant. Il voit encore la réalité avec les yeux d'un enfant désespéré. Le problème se complique encore du fait que les illusions ont leur vie secrète ou, pour l'exprimer autrement, que les illusions et les rêveries appartiennent à la vie secrète chez la plupart des gens . Mes lecteurs seront peut-être surpris si je leur dis que cette vie secrète est rarement révélée spontanément au psychiatre. C'est du moins l'expérience que j'en ai, et je ne crois pas qu'elle soit unique. Je ne pense pas que ces informations soient dissimulées de façon délibérée; simplement, la plupart des patients n'en voient pas le rapport avec l'analyste. Ils se centrent sur leur problème immédiat, pour lequel ils recherchent de l'ai de, et ne pensent pas que leurs images, leurs illusions et leurs rêveries soient importantes. Elles le sont, naturellement, et nous devons suppo ser qu'il y a une manœuvre inconsciente de refus à taire ces informa tions. Mais elles doivent apparaître tôt ou tard, et le font. J'ai traité un jeune homme pour une dépression de très longue date. La thérapie comprenait un travail intensif au niveau du corps: respira tion, mouvements et expression d'émotions, Iluxquels le patient réagis sait favorablement. Il révéla en même temps sur son enfance une quan tité d'informations qui semblaient expliquer son problème. Mais la dépression durait, bien qu'il y ait à chaque séance une légère améliora tion de son attitude. Et cela dura plusieurs années. Il était fermement convaincu que la bioénergétique !'aiderait, et j'étais prêt à le garder comme patient. L'un des événements significatifs de son enfance fut la mort de sa mère lorsqu'il avait neuf ans. Elle mourut d'un cancer, qui l'avait clouée au lit un certain temps. Le patient dit qu'il avait ressenti très peu d;émo tion à sa mort, bien qu'il ait rapporté qu'elle était très dévouée pour lui . Il niait avoir ressenti quelque chagrin que ce soit, ce qui était très diffici le à comprendre. On pouvait voir dans ce refus la cause de sa dépres sion ultérieure, mais c'était une barrière que nous ne pouvions pas enfoncer. Elle fut enfoncée au cours d'un séminaire clinique, lorsque je présen tai ce jeune homme à mes collègues . Au cours de cette présentation, nous analysâmes son problème au niveau du corps, en nous servant du langage du corps, et nous revîmes son histoire. Il admit qu'il était encore assez déprimé. L'une de mes associées fit alors une remarque surprenante: cc Vous pensiez que vous pouviez faire revenir votre mère de la mort )), dit-elle. Mon patient la regarda, le visage interdit, comme pour dire : « Comment l'avez -vous su ?)), et répondit : cc Oui . )) 163
La bioénergie Je ne sais pas comment elle l'avait su. C'était une magnifique intui tion, qui démasqua l'illusion qui « fixait» ce patient depuis plus de vingt ans. Je ne pense pas qu'il l'aurait révélé volontairement. Il se peut qu'il ait essayé de se la cacher à lui-même, peut-être par honte. Sa révélation entraîna une différence sensible dans le développement de la thérapie. Toute thérapie demande du thérapeute quelques prises de conscience en profondeur intuitives. Elle nécessite aussi que le thérapeute compren ne la position du patient en tant que personne. S'il ne nous est pas facile de démasquer les illusions qu'a un patient, bien que certaines se révèlent facilement, nous pouvons déterminer si le patient est « fixé» et en voir certains des mécanismes. Nous pouvons le faire parce que la façon dont il est « fixé» se révèle dans ce qu'exprime physiquement son corps. De ce type de fixation nous pouvons déduire quelle est son illusion, que nous en connaissions ou pas la nature exacte . Il y a deux façons de déterminer à partir de ce qu'exprime le corps de quelqu'un s'il est « fixé» ou pas. La première consiste à voir s'il tient fermement au sol. Tenir au sol est le contraire d'être « fixé». Avoir les pieds sur terre fait partie du langage du corps et révèle qu'on est en contact avec la réalité; cela signifie qu'on n'agit pas sous l'emprise d'il lusions, conscientes ou inconscientes. Au sens littéral, chacun a les pieds sur terre; mais au sens énergétique ce n'est pas toujours le cas. Si l'énergie de quelqu'un ne circule pas bien dans ses pieds son contact énergétique ou émotionnel avec le sol est très limité. Tout comme dans les circuits électriques, un léger contact ne suffit pas toujours à assurer le passage du courant.,'); Pour apprécier la validité du point de vue énergétique, considérons ce qui se passe lorsqu'on plane. Il y a plusieurs façons de planer, la plus caractéristique de toutes est l'impression que les pieds ont quitté le sol. Dans l'exaltation alcoolique, par exemple, on a beaucoup de mal à sentir la terre sous ses pieds, et ce contact n'est pas sûr. On pourrait en rejeter le blâme sur le manque de coordination dû à l'alcool. Mais l'on ressent la même sensation lorsque l'exaltation vient de nouvelles très excitantes. On a l'impression de flotter. L'amoureux danse presque, ses pieds touchent à peine le sol. L'exaltation due à la drogue donne l'im pression de f10tter - impression qu'éprouvent aussi à l'occasion les schizoïdes. On dit de quelqu'un qui se déplace dans son environnement sans avoir apparemment de contact ,avec ce qui l'entoure qu'il plane. On explique bioénergétiquement l'exaltation par un retrait de l'éner gie vers le haut, abandonnant les pieds et les jambes. Plus ce retrait est fort, plus la personne semble s'exalter et plus, au sens énergétique et 164
Une orientation secondaire,' la réalité émotionnel, elle est loin du sol. Lorsque cette exaltation est due à un événement excitant - la réalisation d'un objectif important, par exemple - ce retrait de l'énergie des pieds et des jambes fait partie d'une vague d'excitation et d'énergie qui se dirige vers la tête. Elle est accompagnée de l'accroissement correspondant de circulation sangui ne, qui colore le visage et anime l'ensemble de la personne. Par ailleurs, lors d'une exaltation due à la drogue, cette vague commence par se déplacer vers le haut, puis l'énergie se retire de la tête comme elle s'est retirée du bas du corps. Le visage perd sa couleur, les yeux se ternissent ou se voilent et il y a perte d'animation. La sensation d'exaltation persiste néanmoins, parce que l'énergie s'est éloignée du sol. A l'autre extrémité du corps, le fait que l'énergie se soit retirée de la tête entraîne une dissociation de l'esprit, qui semble flotter librement hors de ses limites physiques. ---7 La seconde façon de déceler physiquement une fixation tient au port ou à la posture du haut du corps. Il y a plusieurs fixations courantes; celle que l'on rencontre le plus fréquemment est celle que j'ai appelée le type cintre à vêtements. On la rencontre presque exclusivement chez les hommes. Les épaules sont haussées, assez carrées, la tête penche en avant. Les bras pendent mollement des épaules et la poitrine est gonflée. Je l'appelle le cintre à vêtement parce le corps paraît suspendu à un cintre invisible: >'
165
La bioénergie L'analyse de ce qu'exprime le corps révèle la dynamique de cette fixation. Les épaules haussées constituent une expression de frayeur. Notez que les épaules se soulèvent automatiquement et qu'il y a aspira tion brusque d'air lorsque la poitrine se gonfle. Quand on réagit de façon amoureuse les épaules tombent normalement. Des épaules habi tuellement haussées révèlent qu'on est verrouillé dans une attitude de peur dont on ne peut se défaire puisqu'on n'a pas conscience d'avoir peur. En général, la situation qui a provoqué la peur est oubliée, et l'émotion elle-même a été refoulée. L'habitude de telles postures ne découle pas d'une seule expérience, mais représente une exposition continue à une situation effrayante. Ce pourrait être par exemple ce qu'a ressenti un garçon qui a eu longtemps peur de son père. La compensation à cette attitude de peur consiste à amener la tête en avant, comme pour affronter la menace ou du moins voir s'il y a une menace. Comme il est dangereux de porter la tête en avant pendant une confrontation physique avec un autre homme, cet aspect de la posture est en réalité une négation de la peur. Elle signifie: «Je ne vois rien dont je puisse avoir peur.» Cette posture affecte nécessairement le bas du corps. Lorsqu'on a peur, on marche légèrement. La peur élève au dessus du sol. Ëtre effrayé et le nier crée une fixation. On. ne peut pas avancer à cause de la peur, mais l'on ne peut pas davantage se retirer parce qu'on a nié cette peur. On reste immobilisé émotionnellement - nature même d'une fixation. Le refoulement de la peur entraîne le refoulement de la colère qui lui était liée. Puisqu'il n'y a rien dont on puisse avoir peur, il n'y a rien à propos de quoi on puisse se mettre en colère. Mais les émotions refou lées arrivent à ressortir de façon indirecte. Il y a quelque temps, je vis en consultation un jeune homme qui était l'un des chefs du mouvement activiste étudiant. Il se plaignait de se sentir mécontent de lui-même. Il ne se sentait pas à l'aise avec les filles . A plusieurs occasions, il n'avait pu ma intenir son érection lorsqu'il essayait d'avoir des rapports sexuels, ce qui le tourmentait beaucoup. Il dit aussi qu 'il avait beaucoup de mal à opter pour une profession . L'examen du corps de ce jeune homme révéla que les épaules et la poitrine étaient gonfl ées et haussées, et l'abdomen rentré, le pelvis incli né vers l'avant et contracté, et la tête penchée vers l'avant, sur un cou assez court. Le regard était méfiant et les mâchoires dures et fortement contractées. A l'examen des jambes, je vis qu'elles étaient raides et contractées, et
166
Une orientation secondaire: la réalité qu'il avait des difficultés à fléchir les genoux. Les pieds étaient froids au toucher et sem bla ient dépourvus de sensibilité ou de charge. Lorsqu' il essayait d' adopter la position de l' arc, son pelvis se rétractait, ce qui cassait la ligne du corps. Je sentais que très peu de sensibilité ou d'éner gie circulait dans le bas de son corps, ce qui expliquait ses difficultés sexuelles. Il admit qu'il ressentait un manque de sensibilité des jambes. Je dois également ajouter que sa respiration était très superficielle, sans pratiquement aucune participation abdominale aux mouvements respi ratoires. Étant donné ses problèmes personnels, le lecteur sera peut-être surpris d' apprendre q ue ce jeune homme décida de ne pas entreprendre de thérapie. Pend ant que nous discutions ce problème, il devint évident pour moi qu'i! était trop «fixé » sur le mouvement étudiant pour se lais ser aller suffisamment pour faire face à la réalité de sa situation person neUe. Les illusions qu'il pouvait nourrir sur la façon dont ses activités pouvaient l'aider à résoudre son problème personnel , je ne les ai jamais apprises. Mais il était cl air qu'il avait transféré son combat pour la liberté et la dignité personnelle à la scène sociale, où il pouvait garder l'image du mâle agressif par rapport à la réalité de l'échec personnel. La bosse de bison représente une fixation fréquente chez les femmes , c'est un amas de tissus"qui s'accumule juste en dessous de la septième vertèbre cervi cale, à la jonction du cou, des épaules et du tronc. On rencontre rarement cette protubérance chez les jeunes femmes , mais elle est assez répandue chez les plus âgées. A cause de son aspect je l'appel le fix ation en croc de boucher, parce qu'il me semble qu'un corps suspend u à un croc de boucher aurait la même allure :
167
La bioénergie La bosse se localise là où se répand la sensation de colère: vers les bras et la tête. Chez les animaux comme le chat ou le chien, la colère se manifeste par le hérissement du poil le long de la colonne vertébrale et par leur façon de faire le gros dos. Darwin a souligné cela dans The Expression of the Emotions in Man and Animais 1. La lecture de cet ouvrage m'a appris que la bosse est due à l'accumulation de la colère bloquée. Sa présence chez les femmes plus âgées indique qu'elle repré sente l'accumulation graduelle de la colère non exprimée résultant de la frustration de toute une vie. Beaucoup de femmes âgées ont tendance à se tasser et à se rapetisser à mesure que, l'âge avançant, elles rentrent en elles-mêmes. Je devrais préciser que c'est l'expression physique de la colère par les coups qui est bloquée et non son expression verbale. Certaines veuves ou douairières sont bien connues pour leur mauvaise langue. Selon mon analyse, le problème représenté par cette bosse implique un conflit entre une attitude de soumission - c'est-à-dire être gentille pour faire plaisir à papa et à la famille - et les fortes sensations de colère dues à la frustration sexuelle qu'implique une telle attitude. L'ori gine de ce problème se situe à la période œdipienne, pendant laquelle les petites filles se trouvent prisonnières de leurs émotions conflictuelles vis-à-vis de leur père - l'amour et les émotions sexuelles d'une part, la colère et la frustration, de l'autre. Cela entraîne une fixation puisque la fille ne peut exprimer sa colère par peur d'être désapprouvée et de perdre l'amour du père, et elle ne peut pas davantage s'approcher de son père avec des émotions sexuelles car cela la mènerait au rejet et à la disgrâce. Je ne parle pas d'un contact sexuel avec le père, mais d'un contact érotique agréable qui fait partie de l'expression normale de l'af fection. Cela fait entrer en jeu l'acceptation par le père de la sexualité de sa fille. Se soumettre à la demande d'être gentille, ce qui implique bien sûr l'acceptation du double standard de moralité sexuelle, immobilise la femme dans sa pulsion vers le plaisir sexuel. Cela la force à assumer un rôle passif. Nous pouvons imaginer les illusions qu'élabore une fille pour compenser la perte de son agressivité sexuelle. La moralité sexuelle offre un autre moyen de « fixer» une femme, 1. Charles Darwin, The Expression of the Emotions in Man and Animais (Lon dres, Watts & Co., 1934). Darwin dit: d'ai vu les poils du babouin Anubis se redres ser le long du dos lorsqu'il se mettait en colère, depuis le cou jusqu'aux reins» (p. 40). Darwin note que « cet acte semble presque universel chez les carnivores, et qu'il s'ac compagne souvent de mouvements menaçants, du retroussement des babines, et de l'émission de grognements farouches» (p. 41).
168
Une orientation secondaire: la réalité c'est de la placer sur un piédestal. J'ai décrit un tel cas dans Depression and the Body. Monter sur un piédestal éloigne quelqu'un du sol tout aussi sûrement que n'importe quelle fixation. Dans le cas que j'ai traité, le corps de la patiente ressemblait à partir du pelvis jusqu'en bas à un piédestal. 11 était rigide et immobile, et semblait ne servir que de base à la moitié supérieure.
Deux autres fixations mentent d'êtn~ citées. L'une s'associe à la structure de caractère schizoïde; on l'appelle la potence parce que la position du corps rappelle la silhouette d'un pendu. La tête penche légè rement Sur le côté, comme si le lien avec le reste du corps s'était rompu. 169
Une orientation secondaire,' la réalité
La bioénergie
que cela indique une fixation de la personnalité, mais je n'ai pas étudié ce problème avec assez de profondeur pour pouvoir donner une opinion défi nitive à ce sujet. Dans le futur, d'autres fixations perceptibles au niveau du corps pourront apparaître plus clairement. Savoir queUe est la fixation de quelqu'un en la déchiffrant d'après son corps apporte une grande aide à la compréhension de cette person ne. Mais si nous ne pouvons décrire sa fixation en regardant son corps parce que les expressions n'en sont pas toujours évidentes, nous pouvons savoir avec certitude que toute personne qui n'est pas ferme ment plantée au sol, en termes énergétiques, est « fixée» et a des problè mes émotionnels non résolus. Dans la mesure où l'on n'est pas bien enraciné, on n'est pas totalement en contact avec la réalité. Ce savoir gouverne mon approche de chaque patient, car je commence par l'aider à se planter plus fermement sur le sol et à être davantage en contact avec tous les aspects de la réalité. Tôt ou tard, dans toute thérapie, les conflits sous-jacents font surface, et la nature de la fixation, ainsi que les illusions qui en sont la contrepartie psychique, deviennent évidentes pour les deux parties. Dans la structure schizoïde il y a rupture du lien entre les fonctions de la tête ou fonctions du Moi et les fonctions du corps. Ëtre fixé par le cou fait quitter le sol. La personnalité schizoïde ne tient pas au sol, et le contact de la personne avec la réalité est faible. M ais le plus significatif est que la zone clé de tension de cette structure se trouve à la base du crâne, et c'est cette tension qui scinde l'unité de la personnalité. Les tensions musculaires de cette zone forment réellement un anneau à la jonction dela tête et du cou, qui fonctionne comme un nœud coulant. En bioénergétique on accomplit un travail considérable sur ces tensions rour réétablir l'unité de la personnalité. Tl reste une fixation qu 'on rencontre occasionnellement dans les cas à la limite de la schi zophrénie, et que j'appelle la croix. Si on demande à une personne la présentant d'étendre les bras sur les côtés, on a parfois très fortement l'impression que ce corps ressemble aux tableaux montr ant le Christ crucifié, ou tout juste descendu de la croix. De nombreux schizophrènes ont une forte identification à Jésus-Christ, et certains finissent même par croire qu 'ils sont le Christ. Il est stupéfiant de voir cette identification actualisée au niveau du corps. Cela ne prétend pas être une liste complète révélant les fixations possibles d'un individu. J'ai vu plusieurs personnes dont le corps et l'ex pression des traits arboraient une ressemblance frappante avec les tableaux de Moïse, ainsi qu'on le représente habituellement. Je suis sûr 170
S'enraciner En bioénergétique enraciner quelqu'un signifie le ramener sur la terre ferme. Ëtre bien enraciné est l'opposé d'être «fixé ». Mais, comme tant d'au tres termes en bioénergétique, cela a aussi une signification littérale - établir un contact adéquat avec le sol sur lequel on se tient. La plup art des gens pensent qu'ils ont les pieds sur terre, et c'est vrai au sens mécanique. Nous pouvons dire qu'ils ont un contact mécanique, mais qu'il leur manque un contact émotionnel ou énergétique. Mais on ne peut saisi r la différence avant de l'avoir ressentie. A Esalen, il y a quel ques années, pendant l'une des visites semestrielles que j 'y faisais pour enseigner la bioénergétique, une jeune femme qui donnait des cours de {'ai chi aux résidents et aux invités prit contact avec moi. EUe me dit que, bien qu'elle ait essayé de faire les exercices de bioénergéti que, elle n' avait jamais réussi à faire trembler ses jambes. Elle avait vu ces tremblements se produire chez les personnes qui participaient à mon atelier, et elle se demandait pourquoi cela ne lui arrivait pas . Je peux ajouter que cette jeune femme avait été danseuse avant de devenir professeur de {'ai chi. Je lui offris de travailler avec elle, ce qu'eUe accepta avec empressement. Je me servis de trois exercices. Le premier
171
Une orientation secondaire,' la réalité La bioénergie était la position de l'arc décrite dans le Chapitre II, destiné à voir quelle ligne prendrait son corps et à approfondir sa respiration. Certaines personnes réagissent à la tension de cet exercice en tremblant légère ment, mais ce n'était pas son cas. Ses jambes étaient trop raides et trop contractées. Il lui fallait des tensions plus fortes pour ébranler cette rigi dité, afin que des tremblements puissent se produire. Cela fut réalisé en la faisant tenir debout sur une jambe, genou fléchi; elle maintenait son équilibre en touchant une chaise à côté d'elle. Tout le poids du corps reposait sur la jambe fléchie. Je luis dis de tenir la position aussi long temps qu'elle le pourrait et, quand la douleur deviendrait trop forte, de se laisser tomber sur un tapis posé sur le plancher, en face d'elle. Elle fit l'exercice deux fois, en changeant de jambe. Le troisième exercice consistait à se pencher en avant, genoux légèrement fléchis, en touchant le sol du bout des doigts (voir croquis p. 173). Les deux premiers exercices eurent pour résultat d'approfondir sa respiration et de la rendre plus complète. Pendant qu'elle exécutait le troisième, dont la seule tension porte sur les muscles du jarret s'ils sont contractés, ses jambes se mirent à trembler. Elle garda la position un moment, percevant cette sensation. Lorsqu'elle se releva, elle dit: d'ai été sur mes jambes toute ma vie, c'est la première fois que j'ai été en elles.» Je crois que cette phrase reste vraie pour de nombreuses person nes. Chez des personnes très perturbées, il peut n'y avoir pratiquement aucune sensibilité des pieds. Je me souviens d'une autre jeune femme qui était proche de la schizophrénie. Elle était venue à son rendez-vous avec moi chaussée seulement d'une paire d'espadrilles, bien que ce fût un jour pluvieux d'hiver, à New York. Lorsqu'elle enleva ses espadril les, je vis que ses pieds étaient bleuis par le froid. Mais lorsque je lui demandai si elle avait froid aux pieds, elle me répondit que non. Elle ne sentait pas qu'ils étaient froids - elle ne les sentait pas du tout. Lorsque je présente certaines des techniques bioénergétiques à des professionnels, je leur demande d'exécuter quelques exercices simples d'enracinement, après leur avoir expliqué le concept d'enracinement, pour que leurs jambes se mettent à vibrer. Les phénomènes vibratoires augmentent la sensibilité des pieds et des jambes. Lorsque cela se produit, ils disent fréquemment: « Je sens réellement mes pieds et mes jambes. Cela ne m'était jamais arrivé auparavant.» Cette expérience leur donne une idée de ce que peut être l'enracinement, et leur fait sentir qu'il est possible de se sentir plus pleinement en contact avec ce sur quoi l'on repose.
Mais quelques exercices ne suffisent pas à s'enraciner parfaitement. Il faut les exécuter régulièrement pour atteindre et garder l'impression de sécurité et la sensation d'avoir des racines que procure une position bien plantée sur le sol. Dans le rêve que j'ai rappelé au Chapitre III, j'ai décrit comment j'étais lié à la cheville par un fil peu résistant, que j'au rais pu enlever facilement. Dans le rêve il me suffisait de me pencher et de l' enlever. Mais que signifiait cela dans la réalité? Depuis, en travail lant sur mes jambes, j'ai ressenti à quel point mes chevilles étaient liées. Bien sûr, elles ne sont pas aussi raides que la plupart des chevilles que je vois, mais elles ne sont pas non plus aussi souples qu'elles pourraient l'être. Et j'ai également conscience des tensions de mes pieds. Par exem ple, je trouve très douloureux de m'asseoir sur les talons avec les pieds allongés. Mes chevilles me font mal, et j'ai parfois des spasmes de la cambrure des pieds. Un jour, pendant une séance d'exercices bioénergé tiques dirigée par ma femme, mes jambes se mirent à se secouer si violemment que j'eus l'impression qu'elles ne me permettraient pas de tenir debout. Bien sûr, je · restai debo.ut, mais c'était une expérience nouvelle pour moi. Je pourrais attribuer ces problèmes à mon âge, soixante-trois ans passés maintenant, mais je préfère penser que j'ai encore un pbtentiel de croissance que je pourrai réaliser si je parviens à 173
172
Une orientation secondaire,' la réalité La bioénergie m'enraciner plus profondément et à avoir un contact plus total avec le sol. Je continue donc à travailler sur moi-même. En termes bioénergétiques, le lien à la terre a la même fonction pour le système énergétique de l'organisme que celle qu'il assure dans un circuit électrique sous haute tension. C'est une soupape de sécurité permettant de décharger l'excitation en excès. Dans un système électri que, une accumulation soudaine de charge pourrait brûler une partie du circuit ou provoquer un incendie. Dans la personnalité humaine l'accu mulation d'énergie peut être tout aussi dangereuse si l'on n'est pas bien enraciné. On peut se scinder, devenir hystérique, éprouver de l'angoisse ou tomber dans le marasme. Ce danger est tout particulièrement impor tant pour ceux qui sont mal enracinés, par exemple les personnes à la limite de la schizophrénie. Mes associés et moi avons établi comme pratique avec ce type de personne de maintenir l'équilibre entre les exer cices qui accumulent la charge (respiration), les activités qui permettent de décharger l'excitation (expression des émotions) et les exercices qui enracinent l'individu. Lorsque quelqu'un quitte l'atelier ou le workshop en se sentant très en forme, il y a une forte probabilité pour qu'il s'effon dre ensuite. Ce n'est pas grave s'il s'y attend et peut supporter cet effon drement. Mais, curieusement, lorsque quelqu'un quitte la séance en se sentant bien et solide, cela va durer. Dans l'état actuel de nos connaissances, nous ne comprenons pas parfaitement le lien énergétique entre les pieds et le sol. Je me sens parfaitement certain qu'il y en a un. Ce que je sais avec certitude, c'est que plus on se sent en contact avec le sol et mieux on y est planté, plus on peut supporter de charge et mieux on peut assumer ses émotions. Cela fait de l'enracinement un objectif fondamental du travail bioéner gétique. Cela sous-entend que le travail est essentiellement poussé vers le bas - c'est-à-dire qu'il doit permettre à quelqu'un d'être dans ses pieds et dans ses jambes. On peut se demander pourquoi cela devrait être si difficile. A l'évi dence les mouvements de descente sont toujours plus effrayants que les mouvements de montée. Par exemple, l'atterrissage d'un avion est plus effrayant que le décollage. La descente réveille chez la plupart des gens une peur de la chute qui est habituellement refoulée. Au procham chapi tre, je traiterai l'angoisse associée à l'idée de tomber qui, comme je m'en suis aperçu, est une des plus profondes angoisses de la personnalité humaine. A ce stade j'aimerais décrire certains des problèmes que l'on rencontre quand on permet à l'énergie et à la sensibilité de circuler vers le bas du corps. 174
En général, la première impression ressentie en « se laissant tomber» est la tristesse. Si on peut l'accepter et s'y abandonner, on va se mettre à pleurer. On dit que « on fond en sanglots». Chez tout individu «fixé» repose une profonde tristesse, et beaucoup préfèrent rester « fixés» qu'af fronter cette tristesse, car elle confine au désespoir chez la plupart d'entre eux. On peut affronter le désespoir et passer par la tristesse si l'on est aidé par un thérapeute compréhensif, mais permettez-moi de dire que la compréhension n'est pas facile. La tristesse et les pleurs sont contenus dans l'abdomen, qui est également l'endroit où s'accumule la charge qui permettra l'irruption de la détente sexuelle et de la satisfac tion. La route se dirigeant vers la joie passe invariablement par le déses poir 1. Les émotions sexuelles pelviennes profondes sont également très effrayantes pour la plupart des gens. Ils peuvent tolérer l'excitation limitée de la charge génitale qui est superficielle, se décharge facilement et n'exi ge pas l'abandon total aux convulsions orgastiques. Les sensa tions douces et attendrissantes de la sexualité pelvienne mènent à cet abandon et évoquent la peur de perdre le contrôle qui est un aspect de la peur de tomber. Le problème que nous rencontrons en thérapie n'est pas la génita1ité mais la sexualité - la peur de s'attendrir ou de se laisser aller aux feux de la passion qui brûlent l'abdomen et le pelvis. Il y a enfin l'angoisse de bien tenir sur ses jambes qui implique tenir debout tout seul. Adultes, nous tenons tous debout tout seuls, c'est la réalité de notre existence. Mais je me suis aperçu que la plupart des gens répugnent à accepter cette réalité, car elle signifie pour eux qu'ils sont seuls. Derriére une façade d'indépendance, ils s'accrochent aux relations et deviennent « fixés ». En se fixant sur la relation ils en détrui sent la valeur, et ils ont pourtant peur de se laisser aller et de marcher tout seuls. Quand ils le font, ils découvrent avec étonnement qu'ils ne sont pas seuls, puisque la relation s'améliore en devenant une source de plaisir pour les deux parties. La difficulté se trouve dans la transition, car dans l'intervalle entre le moment où l'on se laisse aller et celui où l'on sent ses pieds sur la terre ferme, on ressent une sensation de chute, avec l'angoisse qu'elle évoque.
l. Lowen, Le Plaisir , op. cil.
CHAPITRE VII
L'angoisse de chute
Le vertige
On associe fréq uemment l'angoisse de chute au vertige; la plupart des gens ont le vertige lorsqu'ils se tiennent au sommet d'un à-pic. Peu importe que leurs pieds reposent sur la terre ferme et que le danger de tomber n'existe pas réellement; ils sont pris d'étourdissements et ont l'impression de perdre l'équilibre. L'angoisse de chute est certainement une expérience réservée à l'homme puisque tous les quadrupèdes se senten t le pied sûr dans des situations semblables. Chez certaines personnes cette angoisse est si forte que conduire une voiture en passant sur un pont peut suffire à produire une réaction semblable. De tels cas sont évidemment pathologiques. D'autres sont singulièrement dépou rvus de cette angoisse. J' ai obser vé avec stupéfaction et respect des ouvriers du bâtiment se déplaçant avec aisance sur d'étroites poutrelles, très haut au-dessus du tumulte de la ville. Je ne peux pas m' imaginer là-haut: mon angoisse serait trop forte, car j'ai eu longtemps peur du vide. Je me souviens, à huit ans, avoir été soulevé sur les épaules de mon père pour voir un défilé, et m'être senti terrifié. Au même âge, j'étais également effrayé par le toboggan quand mon père voulait m'y mettre. Je surmontai cette peur plus tard, en y allant tous les jours quand je travaillais dans un parc d'attractions. Avec les années ma peur du vide a fortement diminué, ce que j'attribue au travail que j'ai fait sur mes jambes pour m'enraciner et ~evenir plus Sûr de moi. Je peux maintenant travailler sur une haute echelle ou regarder en bas d'une falaise sans me sentir très anxieux. Deux raisons expliquent l'apparente confiance des personnes qui ne
177
La bioénergie présentent pas d'angoisse de chute. Certaines, comme les Indiens améri cains, ont le pied parfaitement sûr. Ils furent parmi les premiers ouvriers employés pour la construction de bâtiments de grande taille. D 'autres nient inconsciemment cette peur. Dans Betrayal of the Body, j' ai reporté le cas d'un jeune schizoïde dont les jambes étaient extrême ment tendues et contractées, et assez dépourvues de sensibilité. Il souf frait d'une forte dépression, associée à l'impression qu' « il ne se passait rien» au sens émotionnel et significatif. Mais ce patient ne souffrait absolument pas du vertige. « Bill faisait de l'escalade; il était parmi les meilleurs, disait-il. Il avait accompli plusieurs ascensions de falaises escarpées sans peur ni hésitation. Il n'avait consciemment aucune peur de la chute, ni des hauteurs. Il n'avait pas peur parce que, à un certain niveau de sa personnalité, cela lui était égal de tomber. Il raconta un incident: il faisait une escalade seul et il fit un faux pas sur la falaise. Il resta pendu un moment, s'agrippant par les mains à une corniche étroite: Pendant qu'il cherchait à tâtons une prise de pied, son esprit restait détaché. Il se demandait: Quel effet cela me ferait-il de tomber? Il ne ressentait aucune panique 1. »
Bill ne ressentait aucune peur parce qu'il s'était coupé de toute sa sensibilité, et c'était la raison pour laquelle il ne se passait rien au niveau émotionnel dans son existence. Mais en même temps, ill cher chait désespérément quelque chose qui brise ou qui fasse éclater le froid glacial, la volonté impersonnelle qui l'enveloppait comme une chrysali de. Il voulait que quelque chose atteigne son cœur, mais il fallait pour cela que la chrysalide éclose. Cela le tentait, il avait des impulsions à toucher des lignes électri ques à haute tension et à se jeter devant des voitures roulant à pleine vitesse. Il disait qu 'il aimerait sauter du haut d ' une falaise, s' il pouvait le faire en toute sécurité. Comme Humpty Durnpty, il voulait tomber pour casser sa coquille, mais il avait peur que cela ne soit la fin de son existence. Bill faisait de l'escalade, avec toutes les implications possibles. Il semblait n' avoir le choix qu'entre s'accrocher ou se laisser aller. Se lais ser aller signifiait mourir de la chute, ce que Bill n'était pas prêt à faire, mais, tant qu'il s'accrochait, il restait « fixé» et il ne se passait rien. J'ai vu récemment une jeune femme qui m'a raconté que lorsqu'elle l. Lowen. L e Corps bafoué, op. cif., p. 104.
178
L 'angoisse de chute était enfant elle n'avait absolument pas peur de tomber, mais que cette angoisse s'était manifestée tardivement, jusqu'à devenir de la terreur. Elle avait des fantasmes obsessionnels de chute. Ce développement de l'angoisse coïncidait avec des changements dans son existence. Elle avait rompu un mauvais mariage, et travaillait dur pour arriver à avoir les pieds sur terre, dans la vie comme en thérapie. Elle ne pouvait pas comprendre pourquoi elle s'était mise à avoir peur de tomber et m'inter rogea à ce sujet. Je lui expliquai qu'elle avait commencé à « se laisser aller», qu'« elle n'était plus fixée » et que sa peur de tomber refoulée apparaissait de façon marquée. . La peur de tomber constitue un stade de transition entre être « fixé» et avoir les pieds bien sur terre. Dans ce dernier cas on n'a pas peur de la chute; dans le premier une illusion nie cette peur. Si nous acceptons cette analyse, tout patient qui commence à laisser s'éloigner ses illu sions et qui essaie de revenir sur terre va ressentir une certaine angoisse de chute. C ela reste vrai de l'angoisse d'étouffement qui ne surgit que lorsqu'on s'étouffe ou que l'on contient une impulsion à se tendre vers quelque chose. Tant qu'on ne permet à cette impulsion de s'exprimer que dans les limites qu'impose la structure caractérielle, on ne ressent aucune angoisse. C'est lorsqu'on transgresse ces iimites que naît l'an goisse. Lorsque j'ai parlé de façon générale de l'angoisse, au Chapitre IV, j'ai remarqué que le degré total d'angoisse équivaut au degré d'angoisse d'étouffement. Cela signifie que si on a peur de s'étouffer, on aura tout aussi peur de tomber, et vice versa. Cela découle du concept selon lequel le flux d'excitation se dirigeant vers tous les points périphériques et tous les organes est sensiblement le même. Au cours de notre étude des différentes structures caractérielles, nous avons vu qu' à chaque type caractériel correspond un certain type d'an goisse de chute, bien que nous n'ayons pas alors utilisé ce terme. La structure schizoïde représentait une façon de se ramasser sur soi-même par peur que se laisser aller ne signifie tomber en morceaux. Si l'on ~ons id ère littéralement l'expression « tomber en morceaux», elle Implique qu'à l' avis du schizoïde, la chute le conduirait à s'écraser ou à voler en éclats. Nous nous attendrons donc à rencontrer chez cette structure car actérielle une angoisse de chute intense. C'est bien le cas l~rsque cette angoisse émerge, ce qui se' produit parfois pendant les reves. Un patient schizoïde me raconta: « Je rêvais souvent que je tombais et l'un des rêves était particulièrement affreux. Je rêvais que partout où 179
L'angoisse de chute
La bioénergie je me tenais le plancher cédait. Je changeais de place et il cédait à nouveau. Je montais les escaliers, mais eux aussi s'écroulaient. Je déci dai donc d'aller vers mon père et de lui dire de me porter; je savais que lui ne pouvait pas tomber. Mais il restait un doute. C'était mieux que d'être seul, mais pas parfaitement sûr. Ce rêve était vraiment terrifiant.» Il est facile de comprendre pourquoi ce rêve était terrifiant. On ressent la même terreur lors d'un tremblement de terre, quand le sol qu'on a sous les pieds perd sa stabilité. L'impression que la terre n'est pas ferme sape notre orientation d'être humain. On se sent « dilué», et à moins d'avoir eu un solide entraînement à de telles expériences, c'est terrifiant. On se sent chanceler, et l'intégrité même de la personnalité est temporairement menacée. Chez les autres types caractériels, la peur de tomber est également en relation avec la structure. Chez le caractère oral la peur de tomber s'ac compagne de l'angoisse de se retrouver seul parce qu'on tomberait en arrière ou sur le dos. Si les jambes cèdent, on est comme le jeune enfant qui s'assied subitement quand ses jambes ne peuvent plus le soutenir, et qui s'aperçoit que ses parents se sont éloignés et qu'il n'y a personne pour le relever. Chez le psychopathe la peur de tomber équivaut à la peur d'échouer. Tant qu'il reste debout, il est à la hauteur. Tomber signifie être défait, ce qui le conduit à pouvoir être manipulé. Chez le masochiste tomber signifie que tout lui échappe. Cela pour rait être le signe de la fin du monde, ou de la fin de la relation. Cette attitude contient également un élément anal. S'il laisse tout lui échapper (défécation), il risque de se salir, ce qui serait la fin de son rôle de gentil petit garçon. Chez le caractère rigide tomber représente une perte de fierté. Il pour rait tomber le nez par terre, et son Moi pourrait s'écraser. Lorsque la personnalité de quelqu'un est fortement ligotée par des sentiments d'in dépendance et de liberté, aucune angoisse n'est légère. Chez chaque patient, tomber représente donc un abandon de son schéma de rétention - c'est-à-dire de ses positions défensives. Mais comme ces positions se sont établies en tant que mécanisme de survie pour assurer un certain contact, une certaine indépendance et une certaine liberté, les abandonner va évoquer toute l'angoisse qui nécessi ta à l'origine de les ériger. On peut demander au patient de se risquer à le faire parce que sa situation adulte est différente de sa situation infan tile. Pour parler de façon concrète, le schizoïde ne va pas voler en éclats s'il se laisse aller, et ne sera pas réduit à néant s'il s'affirme. Si, en tant
180
que thérapeutes, nous pouvons l'aider à passer par l'angoisse du stade de transition, il va s'apercevoir que ses pieds reposent sur la terre ferme, et qu'il peut tenir sur ses jambes. L'un des moyens que j'utilise pour en arriver à ces fins est un exercice de chute.
Un exercice de chute Permettez-moi tout d'abord de souligner que cet exercice, que je trouve très efficace, n'est que l'un des nombreux moyens employés en bioénergétique pour mobiliser le corps. J'étends sur le sol une couverture épaisse pliée en deux, ou un tapis, et je demande au patient de se sentir debout face à la couverture, pour qu'il atterrisse dessus en tombant. On ne peut absolument pas se faire mal pendant cet exercice, et personne ne s'est jamais fait mal. Pendant que le patient est debout en face de moi, j'essaie de me faire une idée de son attitude, de la façon dont il se tient ou de la façon dont il se relie au monde extérieur. Évaluer cela nécessite d'avoir le savoir-faire permet tant de lire le langage du corps, l'expérience de nombreuses personnes différentes et une bonne imagination. A ce stade, j'ai en général quel ques connaissances sur le patient - ses problèmes et son historique. Mais si je ne peux pas arriver à une estimation claire de ses attitudes, je compte sur cet exercice pour me révéler sa fixation. On lui demande alors de faire porter tout le poids de son corps sur une seule jambe, en fléchissant complètement le genou correspondant. L'autre pied touche légèrement le sol, et ne sert qu'à assurer l'équilibre. Les directives sont très simples. Le patient doit garder cette position jusqu'à ce qu 'il tombe, mais il ne doit pas se laisser tomber. Se laisser tomber consciemment n'est pas la même chose que tomber, puisqu'on contrôle alors la chute. Pour être efficace la chute doit avoir un caractè re involontaire. Si l'on fixe son esprit sur le maintien de la position, tomber représente pour le corps une libération du contrôle conscient. Comme la plupart des gens ont peur de perdre le contrôle de leur corps, cette situation est en elle-même génératrice d'angoisse. A certains égards, cet exercice ressemble à un exercice Zen en ce sens qu'on met au défi le Moi ou la volonté tout en les rendant impuis san~s .. On ne peut pas garder indéfinimént cette position, mais on est ob~lge d'utiliser sa volonté pour ne pas se laisser tomber. La volonté dOIt finir par céder, non par un acte volontaire mais devant une force supérieure de la nature, qui est dans ce cas la gravité. On y apprend que
181
L'angoisse de chute
La bioénergie s'abandonner aux forces supérieures de la nature n'a pas un effet destructeur, et qu'on n'a pas besoin d'utiliser sans cesse sa volonté pour combattre ces forces. Quelle que soit son origine, tout schéma de réten tion représente dans le présent l'utilisation inconsciente de la volonté contre les forces naturelles de la vie. Cet exercice a pour but de démasquer les fixations du patient, qui le tiennent accroché et créent l'angoisse de chute. Cela permet de sonder son contact avec la réalité. Par exemple, une jeune femme, en face de la couverture et la regardant, dit qu'elle se sentait comme si elle était à 1 500 mètres d'altitude, en train de regarder la plaine au-dessous d'elle. Tomber de cette hauteur serait une expérience effrayante, et elle en avait peur. Puis, lorsqu'elle finit par tomber avec un hurlement et s'al longer sur la couverture, elle ressentit une forte impression de soulage ment et de détente. Le sol n'était qu'à une courte distance. Je lui fis refaire l'exercice en se servant de son autre jambe, et cette fois elle ne se sentit pas aussi loin au -dessus du sol. Tout le monde ne voit pas la même chose en regardant la couverture. Certains voient un terrain rocheux contre lequel ils vont s'écraser s'ils tombent. D'autres voient une étendue d'eau dans laquelle ils vont plon ger. La chute et l'eau ont toutes deux une signification symbolique sexuelle que j'explorerai plus tard. D'autres encore voient des visages, leur père ou leur mère. Pour ceux-là, tomber signifie s'abandonner ou céder aux parents. L'exercice devient plus efficace si on laisse le corps s'affaler pendant qu'on se tient sur une jambe. J'encourage le patient à laisser tomber le buste en avant et à respirer de façon détendue pour permettre aux émotions de se développer . Et je lui demande aussi de répéter: (de vais tomber», car c'est ce qui va se passer. Au début, lorsqu'il répète cette phrase, sa voix n'a pas un ton ému. Mais, à mesure que là douleur augmente et que la perspective de la chute se rapproche, la voix peut s'élever d'un ton et prendre un caractère effrayé. Il n'est pas rare que le patient s'exclame spontanément: « Je ne vais pas tomber.» Il va dire cela avec détermination, quelquefois en serrant les poings. La lutte est maintenant réellement engagée. Je lui demande alors: « Qu'est-ce que cela signifie pour vous de tomber?» La réponse est souvent: «Échouer » et «le n'échouerai pas» . Une jeune femme lutta violemment, recommençant l'exercice quatre fois , deux sur chaque jambe. Voici ses paroles : Première fois: «le ne vais pas tomber.» « Je ne vais pas échouer. » 182
«
rai toujours échoué » et sur ces mots, elle tomba et se mit à
sangloter profondément. Deuxièm e fois,' «le ne vais pas tomber. » « Je ne vais pas échouer. » « J'échoue toujours. » « J'échouerai toujours.» De nouveau, elle tombe et elle pleure. Troisième fois ,' « Mais je ne veux pas échouer. Je n'étais pas obligée de tomber. J'aurais pu tenir indéfiniment.» « Je ne vais pas tomber. » M ais à mesure que la peine augmentait, elle réalisait de mieux en mieux qu'elle allait tomber. « Je ne peux pas tenir éternellement. Non je ne peux pas.» Et sur cette remarque elle tomba et se mit à pleurer. Quatrième fois ,' «Je ne vais pas échouer.» « Ch aque fois que j'essaie, j'échoue. » « Je ne vais pas essayer. » « Ma is il faut que j'essaie. » P uis la chute, et la réalisation que cela ne pouvait fi ni r que par un échec. Po urquoi cela devait-il finir par un échec? Je lui deman dai ce qu 'elle essayait d' accomplir. Elle répondit: « ~tre ce qu'on attend que je sois. » C'est une tâche impossible, tout comme rester éternellement debout. Si l'on entreprend une telle tâche, on est voué à l'échec car on ne peut être autre que ce qu'on est. Aucun organisme ne s'obstinerait à une tentative aussi dépourvue de sens - qui consomme tant d'énergie vitale - à moins que son Moi (ou sur-Moi en termes freudiens) ne l'y pousse. Pour rejeter cette tyrann ie, et pour se libérer de l'irréalisme de ce but et de l'illusion qu'on peut y parvenir, il faut prendre douloureusement conscience de cette impossibilité. C ' est ce que cet exercice vi se à réali ser, et ce qui se passe parfois. Tout patient est engagé dans une lutte névrotique pour être différent de ce qu'il est, puisque ce qu'il est s'est révélé inacceptable par ses parents. Lorsqu'on entreprend une thérapie on espère être aidé par le thérapeute à atteindre ce but. Il est vrai qu 'on a besoin de provoquer certains changements de sa personnalité, mais ces changements sont orientés vers la conscience de soi et l' acceptation de soi, et non vers l' accompl issement d' une image. Il s sont orientés vers le bas, vers le sol et la réalité. Mais tant que l'on est engagé dans la lutte névrotique pour accomplir les dem andes des autres, on reste fixé à ses conflits infantiles. Il n'y a aucun autre moyen d'échapper à cette lutte que la reddition. Le cas suivan t illustre bien le problème de la lutte thérapeut ique. Jim vint à sa séance de thérapie et raconta le rêve suivant : « La nuit derniè 183
La bioénergie re, j'ai rêvé que j'essayais de ramper, les jambes mortes, desséchées. Je devais me servir du haut de mon corps pour me déplacer. » Puis il ajou ta : « Dans le passé, j'ai souvent rêvé que je flottais.» Le bas de son corps était très contracté et rigide. Il suivait un traitement de la colonne vertébrale, dans la région lombo-sacrale, à cause de fortes douleurs lombaires. Son rêve était une description précise de son état bioénergé tique. Juste après avoir rappelé ce rêve, Jim remarqua: « Dans mes fantas mes, ce matin, ma mère était un serpent. Je pouvais voir son visage de serpent. C'était un boa constrictor enroulé autour de ma taille et qui me serrait. Sa tête était sur mon pénis et elle le suçait. Ma mère m'a raconté que quand j'étais petit j'étais si mignon qu'elle m'embrassait partout, même sur le pénis. En vous racontant cela, je me sens brumeux, dilué et je commence à transpirer.» Il entreprit alors l'exercice de chute, qui révéla l'intensité de sa lutte. Il dit: « Cela donne l'impression que je laisse tomber, mais je ne tombe pas. Je vais tenir indéfiniment. Je ne vais pas tomber.» Il se dit à lui-même: (dim, tu vas tenir bon, toujours.» Puis, s'adressant à moi, il remarqua: « Si je tombe, je vais m'enfon cer dans un gouffre sans fond. Vous savez l'effet que ça fait de tomber, quand l'estomac se contracte et que l'on ne peut plus respirer. Quand j'étais enfant, j' aimais imaginer que je volais. J'ai même essayé, mais je suis tombé. Mes parents sont arrivés et m'ont donné une fessée parce que je leur avais fait peur. « Je devrais être capable de tenir. Cette idée est très ancrée en moi. Je me mets en colère contre moi-même si je me laisse aller. J'abandonne trop vite. Je suis un peureux, un chien battu, un pleurnicheur. Ma mère m'a fait sentir · que c'était un échec de ne pas tenir bon et réussir. Elle avait pour devise: "Nous faisons ce qui est difficile; pour l'impossible il nous faut un peu plus de temps." » A cette époque, Ji m n'était pas prêt à abandonner la lutte. Sa peur de tomber était trop forte. Jim et moi devions tous deux accepter le stade où il en était et continuer à travailler sur ce problème. Je lui donnai une serviette éponge qu'il tordit des deux mains. En le faisant, il remarqua: « C'est un serpent. Il ne faut pas que je le lâche sinon (et il savait que cela se rapportait à sa mère) c'est lui qui m'aura.» . Jim était lui-même psychothérapeute; il était donc peu nécessaire que je lui offre des interprétations de ses fantasmes. Il savait que sa mère était séductrice, et que se laisser aller signifiait s'abandonner à ses émotions sexuelles envers elle. S'il avait fait cela enfant, elle l'aurait
184
L'angoisse de chute dévoré, non littéralement mais au sens où il aurait été consumé par sa passion pour elle et aurait perdu tout sentiment d'être indépendant. Sa défense consistait à contracter sa taille et à se séparer de ses émotions sexuelles. C'est une défense psychopathe, mais Jim n' avait pas le choix. Même dans le présent il ne pouvait pas se risquer à abandonner cette posi tion. On doit se montrer indulgent pour le patient pendant qu'il perlabore des conflits très profondément structurés. Au cours d'une séance ultérieure, Jim revint à sa peur de tomber. En entrant, il me dit: « En conduisant ma voiture je me suis surpris en train d'inciser le volant. J'ai mis des mots sur cet acte, et c'était: .. Je vais vous tuer. "» Nous commençâmes à refaire l'exercice de chute, et Jim dit: « Lorsque vous m' avez dit de dire " je vais tomber ", ce que j'ai ressenti correspondait à " je vais mourir ". Je me sens comme si c'était une lutte entre la vie et la mort. Si je laisse faire, on va me tuer. Et si je les tue, je serai tué ensuite. « Je manœuv re de façon très astucieuse. Je ne peux pas rester long temps en situation intense, mais je peux m'accrocher indéfiniment. Quand tous les autres ont abandonné, je continue à m'accrocher jusqu'à ce que je gagne ou que j'accomplisse le travaiL» En disant cela, il serra les poings. « C'est un long voyage; je me contente de mettre un pied devant l' autre, de continuer sur ce dur chemin. « Ma mère m'excitait en me tannant. Je fais de même avec moi et avec autrui. Je pousse, je pousse et je lutte. Pourtant je pense que je suis velléitaire. Je me dis à moi-même : Jim, si tu n'étais pas velléitaire, tu aurais travaillé plus dur. » Cette lutte se transposa alors à l'exercice de chute que faisait Jim. Il dit :
185
La bioénergie « J'ai peur qu'il me faille mourir dès que tout ira bien. Je ne survis qu'en luttant. Si je m'arrête de me battre, je vais mourir. J'ai eu une septicémie lorsque j'étais enfant, avec une forte fièvre, et pendant à peu près un an je ne suis sorti de l'hôpital que pour y retourner. J'étais parfois comateux. Il a fallu me poser des drains et faire des transfu sions. J'ai failli mourir. Mais je me suis accroché, et j'ai mis toute ma volonté à vivre. Je sais comment exister quand c'est difficile. Je ne sais pas comment exister quand c'est agréabl e. » Au regard de cette expérience, il n'est pas difficile de voir pourquoi Jim associait la chute à la mort. Po ur Jim, elles semblaient toutes deux impliq uer qu'il renonçait à sa volonté. Ma is il serait insensé de croire qu e J im pouvait choisir consciemment d'abandonner sa volonté et de faire confiance à son corps. Un tel choix utilise la volonté pour refuser la volonté, ce qui ne mène à rien . La peur de la mort ressentie par Jim, mort spirituelle s' il s'abandonnait à sa mère et mort physique s'il cessait de diriger son corps, devait être soigneusement mesurée et an alysée. En même temps, il lui fallait apprendre à faire confiance à son corps et à ses émotions sexuelles . Jim était consciemment prêt à accepter la réalité de son corps et de ses émotions sexuelles, mais leur faire confiance reposait sur un ensemble totalement neuf d'expériences physiques, que devait fo urnir la thérapie. Cet exercice aide au ssi à procurer spécifiquement de telles expérien ces. Se tenir debout en faisant porter le poids du corps sur une seule jambe inflige aux muscles de cette jambe une pression suffisante pour les fatiguer. Lorsque les muscles sont très fatigués, ils ne peuvent main teni r la tension ou la contraction. Ils doivent se détendre, et ils se metten t peu à peu à trembler fortement. Cela augmente la sensibilité des jambes qui ne sont plus ressenties comme « desséchées et mortes ». En même temps, la respirati on s'approfondit . Le corps peut être pris de tremblements, mais on ne tombe pas, et on est surpris de voir qu'on continue à tenir sur ses jambes bien que le contrôl e conscient qu'on exerce sur son corps ai t di minué. Puis, quand les j ambes finissent par céder et que l'on tom be, on est considérablement soul agé de constater qu'on n'est pas fait d'acier et que le corps s'effondre quand il ne peut plus maintenir la station debout. On finit par réaliser avec évidence que tomber n'est pas la fin de tout - on n'est pas détruit et on peut se rele ver.
Le symbolisme qui se cache derrière cet exercice mérite d'être mention né. La terre est un symbole de la mère, qui réciproquement représente la Terre. La mère et notre mère la Terre sont les sources de 186
L'angoisse de chute notre force. L'un des nombreux combats d'Hercule fut sa lutte avec Antée. A u cours de la bataille, Hercule jeta Antée à terre plusieurs fois , mais au lieu de gagner le combat, il perdait. Il se fatiguait alors qu'An tée se relevait plus fort qu'auparavant de chacun de ses contacts avec le sol. Hercule réalisa alors qu'Antée était le fils de la Terre, et que chaque fois qu' il retournait à terre cela renouvelait ses forces. Il souleva alors Antée et le maintint en l'air jusqu'à ce qu'il meure. Nous sommes tous les enfants de notre mère la Terre et d'une mère qui aurait dû être pour nous une source de force. Malheureusement la mère peut, comme dans le cas de Jim, être, au lieu de cela, une menace pour l'enfant, et il faut lui résister plutôt que lui céder. On ne peut alors se laisser aller sans éprouver une forte angoisse. Rester «( fixé» crée une menace réelle envers l'existence à cause des processus énergétiques de l'organ isme, tandis que tomber peut évoquer la peur de mourir mais ne présente aucun danger réel. Exécuter l'exercice de chute évoque le conflit avec la mère, qu'on peut alors analyser et perlaborer, ce qui permet de se laisser aller ou de tomber avec un sentiment de sécurité. En effet, la terre est toujours là. J'ai reçu récemment une lettre d'un homme que j'avais recommandé à un collègue, le Dr Fred Sypher de Toronto, pour le traitement de sévè res douleurs lombaires qui atteignaient la jambe droite. (( L'un des aspects les plus intéressants du traitement du Dr Sypher, écrivait-il, est le contact avec le sol. Le sol devient un ami, un consolateur résistant qui est toujours là, qui peut vous empêcher de vous faire vraiment mal, même si vous souffrez. On ne peut pas tomber si on est déjà par terre, et quand on y est on arrive à débrouiller un tas d' affaires, qu'on aurait peut-être eu du mal à démêl er en ayant l'impre ssion de risquer de tomber. Cel a m'a permis de me libérer d'une bonne partie de la terreur qui est en moi. » Dans de nombreux cas nou s faisons un exercice de lever après l'exer cice de chute. J' ai entendu de nombreux patients exprimer la peur de ne plus être capables de se relever s' ils tombaient. Naturellement ils savent qu' ils peuven t arri ver à se soulever par un effort de volonté. Mais ils ne Sont pas sûrs d'arr iver à se lever. Se lever équivaut à grandir. Une plante par exemple se lève au-dessus du sol, elle ne se soulève pas. Lorsqu'on se lève la force vien t de dessous, lorsqu'on est soulevé elle vient du dessus. L'exemple classique du, lever est la fusée dont l' ascension est proportionnelle à la quantité d'energ ie déchargée à l'arrière. La marche relève de cette catégorie de mouvement, car chaque fois qu'on fa it un pas en avant on appuie sur le 187
L'angoisse de chute La bioénergie sol qui exerce une pression en retour, ce qui nous pousse vers l'avant. Cela met en jeu le principe physique d'action-réaction. Dans l'exercice de lever, le patient est à genoux sur une COuverture pliée en deux et posée sur le sol. Ses pieds sont allongés derrière lui. Il avance alors un pied, tout en se penchant en avant pour qu'une fraction de son poids porte sur ce pied. Je lui demande de sentir le contact de son pied avec le sol, et de se balancer d'avant en arrière pour mieux le sentir. Puis il se soulève légèrement, en faisant porter tout son poids sur la jambe fléchie à l'avant. A ce moment-là, s'il appuie assez fort sur cette jambe il se lèvera sans effort. Si on exécute cet exercice correcte ment, on sent réellement une force qui part du sol et qui se dirige vers le haut, parcourant le corps et lui permettant de se redresser. Mais ce n'est pas un exercice facile, et la plupart des gens doivent se soulever légère ment pour faciliter le processus. Il devient plus facile avec la pratique, et on apprend à diriger son énergie vers le bas de la jambe pour se lever. On le fait en général deux fois sur chaque jambe pour développer la sensation d'appui sur le sol et la sensation de se lever. Cet exercice est particulièrement difficile pour les gens gros et lourds. J'en ai vu essayer de se lever et retomber comme un bébé. C'est comme s'ils avaient perdu leur aptitude à se lever, et s'étaient donc résignés psychologiquement à rester à un niveau infantile où la nourriture four nit, avant les jeux et les courses, l'intérêt et la principale satisfaction de l'existence. Je considère que de tels individus fonctionnent simultané ment à deux niveaux, le niveau adulte où la volonté constitue la force qui leur permet de se lever et de se déplacer, et le niveau infantile carac térisé par la nutrition et une impression d'impuissance (surtout à propos de la nourriture). Se lever et tomber représentent un couple de fonctions antithétiques, qui ne peuvent exister l'une sans l'autre. Si on ne peut pas tomber, on ne peut pas se lever. Cela se constate avec évidence dans le phènomène du sommeil: on parle de se lever le matin et de tomber de sommeil. Ceux qui utilisent leur volonté à la place des fonctions naturelles de se lever et de tomber se laissent tomber et se soulèvent, ou bien s'étendent et se mettent debout. Si leur volonté n 'est pas mobilisée, comme c'est le cas lors du premier réveil matinal, ils vont avoir de grandes difficultés à se sortir du lit. L'angoisse de chute est sous-jacente à ce problème, l'inca pacité d'aller se coucher tôt et de tomber facilement dans un profond sommeil. Ils sont par conséquent fatigués le matin, et il leur manque l'énergie qui leur permettrait de se lever facilement. Quand le patient a exécuté l'exercice de chute, son corps est beau-
coup plus détendu. En général, je poursuis en lui faisant travailler sa respiration sur le tabouret à respirer. La respiration prend souvent un caractère beaucoup plus involontaire après les exercices et provoque des temblements qui peuvent finir par des pleurs et des sanglots. On encourage toujours le patient à suivre ces mouvements involontaires, parce qu'ils représentent un effort spontané du corps pour se libérer de la tension. Avant d'entamer le problème de l'origine de l'angoisse de chute, j'ai merais présenter un cas de plus: Mark était un homosexuel d'une
quarantaine d' années, dont les problèmes fondamentaux étaient l'isole
ment et la solitude dus à son incapacité à exprimer ouvertement ses
sentiments. Son corps était lourd, raide, et on pouvait sentir qu'il
cachait un enfant effrayé incapable d'en sortir. Mark vint à une séance
en présentant le rêve et les commentaires suivants :« J'ai rêvé la nuit
dernière que j'avais des invités pour le dîner, Mr. Tête et Mr. Corps .
C'était probablement en vue de ma séance d'aujourd'hui. Tous deux
étaient petits, cuirassés de muscles, impitoyables, la poitrine bombée et
farouchement indépendants. , Il semblait qu'ils n'arriveraient pas à
fusionner. L e dîner n' était pas très important. Je voulais les réconcilier,
mais de toute la soirée nous ne pûmes être ensemble. Ça n'arrivait pas à
réussir. )) Mark se mit alors en position pour l'exercice de chute. Comme il était debout, en face de la couverture, il dit: « Je vois un trou. Il me semble que je suis aspiré par ce trou. Il est très profond, comme un puits. J'i magine souvent que je n'arrête pas de grimper pour en sortir. Il me semble, que j'arrive à voir l'extérieur mais la fois suivante je me retrouve enco re en train d'essayer d'en sortir. \( Toute ma vie, j' ai fait des rêves dans lesquels je tombais. Autrefois, je rêvais que je tombais dans des escaliers, maintenant je tombe de beaucoup plus haut en rêve. C et été, en Europe, j'étais dans une cham bre d' hôtel à un étage élevé et, tout éveillé, j'imaginais qu'on a llait me tirer d u lit et me jeter dans le vide par-dessus le balcon. (( E nfant, je pouvais grimper aux arbres tant qu'il y avait des bran ches pour me retenir. Je semblais ne pas avoir le vertige tant qu' il y avait q uel que chose à quoi me retenir. Quand j'avais huit ans, quel qu'un me défia de marcher sur une balustrade épaisse de 60 centimètres et large de 2 ,50 mètres, au sommet d'une tour d'une trentaine de mètres. Il y av ait env iron 70 mètres à parcourir. Je le fis. Mais, plus tard, quand j'étais à l'université, je n'osais même pas m'approcher de la tour . (( Vers six, sept ou huit ans, je rêvais aussi que je pouvais voler. Cela
189 188
La bioénergie
semblait si réel que je croyais que cela pouvait arriver. J'ai réellement essayé, avec des gens qui me regardaient. J'essayai de décoller, mais j'ai atterri sur la figure. » Après que Mark fut tombé, il dit, étendu sur la couverture: « Je tire de ma chute une impression de soulagement. Je me sens comme si j'étais fait de blocs très instables. J'ai l'impression d'être au sommet de quelque chose qui chancelle, et de me trouver bien d'être sur le sol (allongé). »
L'origine de l'angoisse de chute J'ai suggéré plus haut que l'homme est probablement le seul animal sujet à l'angoisse de chute. Naturellement, tous les animaux ressentent de l'angoisse quand ils tombent. J'ai vu mon perroquet être pris d'an goisse quand il perdait l'équilibre sur son perchoir en dormant. Il se réveillait en sursaut, avait pendant un moment un comportement désor donné puis retrouvait une bonne prise. Mais les êtres humains sont susceptibles d'éprouver l'angoisse de chute même quand ils se tiennent sur une base solide. On peut probablement en retrouver l'origine par notre évolution historique, à l'époque où nos ancêtres vivaient dans les arbres comme certains singes. Il semble bien établi anthropologiquement que l'ancêtre de l'homme a habité les forêts avant de s'aventurer dans la plaine à la recherche de nourriture. Dans Th e Emergence of Man , John E. Pfeiffer décrit ce que représentait la vie dans les arbres: « De façon encore plus significative, la vie dans les arbres introduisit un caractère unique, une insécurité psychologique ou une incertitude nouvelle et chronique l . » L'insécurité est liée au danger de tomber. Et les chutes n'étaient pas rares. Pfeiffer souligne que les études sur le gibbon, primate vivant dans les arbres, montre qu'environ un adulte sur quatre a eu au moins une fracture. Mais il y avait des avantages à vivre dans les arbres . La nourriture était abondante, on était relativement à l'abri des prédateurs, et cela favori sait le développement à la prise et à la manipulation des mains. Le danger de chute est fortement réduit par l'aptitude à se retenir à un membre ou à la branche d'un arbre. Les bébés singes s'enroulent avec les bras et les jambes autour du corps de leur mère et s'accrochent 1. Jo hn E. Pfeiffer, The Emergence of M an (New York , Harper & Son, 1969), p. 21.
190
L'angoisse de ch ute
à elle pendant qu' elle se déplace d'arbre en arbre. Elle soutient aussi le petit de son bras quand il est libre. Pour le bébé singe, perdre le contact avec le corps de sa mère soulève donc la perspective immédiate de la chute et de la blessure ou de la mort. Les rongeurs comme les écureuils, qui vivent aussi dans les arbres, élèvent leurs petits dans des nids faits dans le trou d'un arbre, où les jeunes sont en sécurité quand la mère n'est plus là. M ais les singes arboricoles transportent leurs petits avec eux, et la seule sécurité du nourrisson est sa prise sur le corps de sa mère. Chez le nouveau -né humain, l' instinct de s'agripper et de resserrer les
mains est présent à la naissance, report de son histoire phylogénétique.
Certains nourrissons arrivent à soutenir leur propre poids en serrant les
mains quand on les suspend. Mais ce n'est qu'une aptitude vestigielle, et
les nourrissons humains ont besoin d' être portés pour se sentir en sécu
rité. Si on leur enlève brusquement ce soutien et qu'on les laisse tomber
tnomentanément, ils prennent peur et deviennent anxieux. Seuls deux
autres états peuvent effrayer un nouveau-né: l'incapacité de respirer produit l'angoisse d'étouffement, et un éclat de voix fort et subit entraÎ ne ce qu'on appelle une réaction de sursaut. Ce qui prédispose à l'angoisse de chute est donc l'histoire phylogéné tique de l'animal humain, qui se reflète dans le besoin qu'a le nourrisson d'être porté pour se sentir en sécurité. La cause effective est le manque de contact physique et le fait de n'être pas suffisamment porté par la mère. En 1945, Reich a publié une observation sur l' angoisse de chute chez un nourrisson de trois semaines . Elle faisait partie de son étude sur l'an goisse de ch ute chez les cancéreux, chez qui cette angoisse est très forte et très profondément structurée. Cet article me fit une très forte impres sion, bien qu'il m'ait fallu trente-cinq ans pour arriver à m'y confronter dans mes propres travaux. Reich écrit à propos du nourrisson: « A la fin de la troisième semaine, il se manifesta une angoisse de chute a iguë. Elle se produisit alors qu'on le sortait de son bain en le pOsant sur une table, sur le dos. On ne discerna pas clairement si le ~ouvement fait pour le poser avait été trop rapide ou si c'était le refroi dissement de la peau qui avait provoqué l'angoisse de chute . D e toute façon, l'enfant se mit à hurler violemment, en rejetant les bras en arrière comme p our chercher un appui, essay ant de ramener la tête en avant, son regard tém oignait d'une angoisse intense, et l'on ne put le calmer. Il fut nécessaire de le redresser. Lorsqu'on essaya de le recoucher, l'an 191
La bioénergie
L'angoisse de chute
goisse de chute se manifesta à nouveau, avec la même intensité. De nouveau, il ne se calma que lorsqu'on le redressaI. » Après cet incident, Reich nota que l'épaule droite de l'enfant était rejetée en arrière. cc Pendant la crise d 'angoisse i! avait rejeté les deux épaules en arrière, comme pour s'assurer une prise. Cette attitude semblait persister en l'absence d'angoisse 2. Il était évident pour Reich que l'enfant n'avait pas consciemment peur de tomber. On ne pouvait expliquer l'attaque d'angoisse que par un retrait de charge de la périphérie du corps, accompagné d'une perte du sens de l'équilibre. Tout se passait comme si l'enfant s'était trouvé en léger état de choc, que Reich appelait anorgonie. En état de choc, le sang et la charge se retirent de la périphérie du corps, on perd le sens de l'équilibre et on a l' impression qu 'on va tomber ou qu'on tombe. Un organisme animal en état de choc présenterait les mêmes réactions. Tant que l'état de choc persisterait, il aurait des difficultés à se remettre sur ses pattes et à contrebalancer la force de gravité. Reich s'intéressait à ce qui semblait être un choc. Reich avait conscience d'un certain manque de contact entre le bébé et sa mère. Le nourrisson était nourri à la demande et ce contact avec la mére était agréable et le satisfaisait. Mais lorsqu'il ne tétait pas, il restait dans un berceau ou dans un landau à côté de sa mère pendant qu'elle tapait à la machine. Reich pensait que le besoin de contact physique du bébé n'était pas assouvi. On ne le portait pas assez. Avant la crise d'angoisse le bébé avait eu une réaction particulièrement intense à l'allaitement, que Reich avait appellé un orgasme buccal, manifesté par des tremblements et des contractions de la bouche et du visage. Selon les termes de Reich: (c Cela augmenta encore le besoin de contact.» Lorsque ce contact n'avait pas lieu et qu'on allongeait le bébé, il se mettait en état de contraction. Reich utilisa trois approches pour surmonter la tendance à l'angoisse de chute de cet enfant: « Il fallait relever l'enfant lorsqu'i! criait. Cela se révéla utile. Je pense qu'il aurait été mieux de porter l'enfant plus souvent, dans un porte-bébé comme le font les mères primitives. Il fallait ramener doucement ses épaules en avant et ne pas les laisser "fixées" en arrière )) pour empêcher le développement de toute cuirasse caractérologique. R eich fit cela, sous la forme de jeux, pendant environ
deux mois . c( Il était en fa it nécessaire de " laisser tomber " l'enfant, pour l'habituer aux sensations de chute. Cela réussit également, » Ce fut aussi fait de façon très douce, sous fonne de jeux, et l'enfant apprit à l'apprécier comme un jeu. Pourquoi certains gardent-ils cette angoisse toute lem vie? Parce que les parents ne reconnai ssent pas le problème et ne font donc rien pour modifi er la situation. On néglige p ar ignorance le besoin qu'a le bébé d'être porté, L'impulsion à se tendre vers le contact persiste, mais elle s'associe à une peur de plus en plus forte de ce qu'il n'existe pas de base permettan t d'espérer une réaction, aucune certitude de sa position d'organisme ayant des besoins, et fin alement pas de sol sur lequel s'ap puyer. Reich étudia le cas d'un autre enfant dont on suivait les progrès à l'Orgone Infant Research Center 1. Après que tout se fut bien p assé pendant deux semaines. l'enfant eut une bronchite au cours de la troi siè me semaine, Sa poitrine devint sensible et sa respiration difficile; le bébé semblait agité, irrité et maJbeureux. Les recherches révélèrent certains troubles du contact émotionnel entre la mère et l'enfant. « La mère semblait se sentir coupable de ne pas être une mère bien portante )) et de ne pas arriver à réaliser tout ce à quoi elle s'attenda it. Elle recon nut qu'elle s'était irritée par la quantité de temps et d'énergie qu'elle devait consacrer au bébé, et qu'elle était surprise et sunnenée par ses exigences. Le bébé réagissait au malaise et à l' angoisse de sa mère en devenant lui aussi angoissé. Le rapport de ce cas est intéressant à plusieurs égards, D'abord, Reich observa que la région du diaphragme « semblait réagir la premiè re et le plus fort au m al aise émotionnel bioénergétique », Selon Reich, d'autres blocages partiraient de cette zone vers deux directions. La tension du diaphragme est étroitement liée à l'angoisse de chute puis qu'elle réduit le flux d'excitation vers Je bas du corps. En deuxi ème lieu, il apparaît qu'un bon contact implique davantage que toucher et porter , Lafaçon de toucher et de porter est importante. Pour que le bébé profite du contact. le corps de la mère doit être détendu, chaud et vivant. Toute tension de son corps se communique d'elle-même à l'enfant. Tro isième m:nt, Reich décrit ce que je crois être l'élément essentiel de la relati on mere-enfant : c( Laissez la mère prendre plaisir à son enfan t, tout simple ment, et le contact se développera spontan~ment. »
1. Wilh elm R eich, The Can cer Biopalhy (New York, The Organe Institue PresS, 1949), p. 329 2. Ibid., p. 330.
1. W ilhe lm Reic h, A rmorÎllg in a N ewbo rn Infanl, Organe Energy Bulletin (New York, T he Organe Institute Press, 19 51 ), Vo l. VIII , N ° 3, p. 120-38.
192
193
La
L'angoisse de chute
bioén~rgie
L'angoisse de chute et les troubles de la respiration sont deux aspects d'un même processus. Au cours des paragraphes précédents, Jim décri vait la sensation de chute «quand votre estomac se contracte et que vous n'arrivez plus à respirer ». L'angoisse de chute, selon Reich,« est liée à de rapides contractions de l'appareil vital, et est en fait produite par elles. Tout comme une chute réelle provoque une contraction biolo gique, les contractions entraînent réciproquement une impression de chutel ». Lorsque l'énergie se retire des jambes et des pieds cela entraîne une perte de contact avec le sol qui constitue la même sensation que si le sol se dérobait sous les pieds.
Tomber amoureux L'existence de l'angoisse de chute ne provoque pas seulement le verti ge mais aussi la crainte de toute situation qui puisse évoquer une sensa tion physique de chute. Notre langage en identifie deux: tomber de sommeil et tomber amoureux. Mais nous pourrions nous demander si ce ne sont pas des expressions purement littéraires. De quelle façon la transition entre l'état de veille et celui de sommeil ressemble-t-elle à une chute? S'il existe entre elles un parallèle au niveau du corps, nous pour rons alors comprendre pourquoi tant de personnes ont du mal à sombrer dans le sommeil et ont besoin de calmants pour rendre leur angoisse moins vive et faciliter le passage de la conscience à l'incons cience. Il y a longtemps que l'on considère ce passage comme un mouve ment vers le bas. De fait, si l'on pouvait s'endormir debout on tombe rait, tout comme quelqu'un qui s'évanouit et perd conscience. Mais ceux qui s'endorment debout sont bien rares. Nous nous endormons allongés, et il n'y a pas dans ce cas de déplacement du corps dans l'es pace. La sensation de chute doit donc naître d'un mouvement interne, un événement ayant lieu à l'intérieur du corps quand le sommeil nous envahit. L'expression « sombrer dans le sommeil » nous fournit une clé, et on se sent réellement « sombrer» dans le processus d'endormissement. Cela commence par une sensation d'assoupissement. Le corps devient brusquement lourd. On ressent cela dans les yeux, la tête et les 1. Reich, A norgonia in the Carcinomatous Shrinking Biopathy of Sex and OrgO/ Research (New York, The Orgone Institute Press, 1955), Vol IV, p. 32.
1e
membres. Lorsqu'on s'assoupit, il faut faire un "effort pour garder les yeux ouverts ou tenir la tête droite. Si l'on s'assoupit, la tête tombe en avant. On a l'impression que les membres ne vont plus soutenir le corps. Sombrer dans le sommeil ressemble à sombrer dans l'eau. On éprouve le violent désir de s'étendre et d'abandonner la lutte contre la force de gravité. Le sommeil vient parfois rapidement. A un moment donné on est encore réveillé, mais au moment suivant on est inconscient. Le sommeil s'installe parfois progressivement et on peut sentir la perte progressive de sensibilité des différentes parties du corps. J'ai remarqué que quand j'étais allongé près de ma femme, la main sur son corps, je perdais d'abord conscience de son corps, puis de ma propre main. Mais si je fais trop attention à mes sensations je m'éveille à nouveau. L'attention est une fonction de la conscience et l'augmente. Ceci n'est en général pour moi qu'un très bref interlude, et je dors à poings fermés avant d'en être complètement conscient. Naturellement, on ne peut en être conscient, car la fonction de connaissance s'éteint avec le sommeiJ. Quand on s'endort, l'excitation et l'énergie quittent la surface du corps et la surface de l'esprit. L'énergie se retire de la même façon au cours du processus de chute, et ces deux situations sont donc équivalen tes énergétiquement. Naturellement elles diffèrent en pratique en ce qu'on risque de se faire mal en tombant sur le sol alors que s'endormir dans son lit n{! présente aucun danger. L'angoisse attachée à la chute peut néanmoins se relier à l'endormissement, à cause de leurs mécanis mes dynamiques communs. L'aptitude à abandonner le contrôle du Moi est mise en question, car elle intervient dans le retrait de l'énergie de la surface du corps comme de celle de l'esprit. Là où le contrôle du Moi s'identifie avec la survie, comme c'est le cas chez ceux qui font interve nir leur volonté de façon importante, l'abandon de ce contrôle est inconsciemment combattu, et les situations qui le nécessitent engen drent une fo rte angoisse. L'angoisse névrotique naît d'un conflit interne entre un mouvement ~ner~étique de l'organisme et un contrôle inconscient ou un blocage et~bh pour limiter ou arrêter ce mouvement. Ces blocages sont consti tues par les tensions musculaires chroniques que l'on rencontre princi palement dans la musculature striée ou voJontaire normalement sous le contrôle du Moi. On perd ce contrôle conscie~t du Moi lorsque la tension d'un ensemble de muscles devient chronique. Cela ne signifie ~as que le contrôle soit abandonné, mais qu'il est lui-même devenu Inconscient. Un contrôle inconscient du Moi ressemble à un gardien sur ",
194
195
La bioénergie lequel le Moi ou la personnalité a perdu son a utorité. Il fonctionne comme une entité indépendante de la personnalité, et son pouvoir s'ac croît proportionnellement à la quantité de tension chronique du corps. La charge et la décharge, le flux et le mouvement constituent la vie du corps que ce gardien doit restreindre et limiter pour survivre. On veut se laisser aller et se déplacer, mais le gardien dit : « Non, c'est trop dangereux . » Lorsque nous étions de jeunes enfants on nous restreignait de la même façon , en nous menaçant ou en nous punissant parce que nous étions trop bruyants, trop actifs, trop vivants. Nous savons tous qu'il est moins dangereux de tomber en (( se lais sant aller » ou en abandonnant toute tentati ve de contrôle par le Moi. En fa it, si on essaie anxieusement de contrôler sa chute, on ri sque de s'apercevoir qu'on peut se casser un os avant même d'avoir touché le sol. La fracture est causée par une contraction musculaire brusque. Les enfants, dont le contrôle du Moi est fai ble, et les ivrognes, chez qui il est affaibli, tombent en général sans se faire très mal. Le secret de la chute consiste à la suivre en permettant aux courants de circuler librement dans le corps, sans avoir peur de cette sensation. Pour cette raison certains athlètes, comme les joueurs de football américain, font des ch utes intentionnelles pour éviter de graves blessures qu i pourraient se produire sans cela. Tous les névrosés ne souffrent pas de l'angoisse de ch ute. J'ai signalé plus haut qu'on ne ressent pas d'ango isse si on arrive à bloquer cette sensation. C'était vrai pour Bill , l'alpiniste. C'est la sensation qui est effray ante. Si l'on peut bloquer la circul ation de l'excitation, ou s'empê cher de la percevoir, la peur disparaît. Cela explique pourquoi certains névrosés n'ont pas de diffi cultés à s'endormir. S'endormir n'est généra teur d'anxiété ou effrayant que si l'on sent l'énergie quitter la surface. Si aucune sensation n'est reliée à la transition entre la conscience et le sommeil, l'angoisse ne s'éveillera pas. Cette sensation n'est pas effrayante en elle-même; on peut la ressen tir comme un plaisir. Mais si elle est effrayante, c'est parce que le retrait de l'énerg ie de la surface du corps et l'évanouissement de la conscience qui en résulte rappellent la mort. Le même retrait se produit à la mort, sauf qu' il n'est pas réversible. Si l'on prenait conscience à un certain niveau du lien qui existe entre s'endormir et mourir, il devien drait im possible de soumettre le contrôle du Moi aux processus natu rels. Dans mon ouvrage Betray al of the Body, j 'ai rapporté le cas d'une jeune femme qui souffrait de cette ango isse. Elle décrivit un rêve et dit:
196
L 'angoisse de chute (( J'ai ressenti fortement la réalité de la mort - ce que cela signifie d'être enfouie dans le sol et d'y rester jusqu'à ce qu'on se décompose. » Elle ajouta alors: « J'ai réalisé que cela m'arriverait à moi, comme aux autres. Quand j'étais petite, je n'arrivais pas à m'endormir parce que j'avais peur de mourir pendant mon sommeil et de me réveiller dans un cercueil. Je serais prise au piège, sans issue 1.» Cette phrase contient une étrange contradiction. Si l'on meurt pendant son sommeil, on ne se réveille pas dans un cercueil. Elle a peur de mourir, mais elle a tout aussi peur d'être prise au piège~ ce qui équi vaudrait à la mort puisque la vie est mouvement. Mourir c'est être pris au piège sans pouvoir bouger, mais être pris au piège c'est aussi mourir. Pour cette patiente la conscience était plus que la connaissance; c'était une vigilance active contre l'éventualité d'être prise au piège. S'endor mir signifiait abandonner cette vigilance et amenait donc le danger d'être prise au piège ou de mourir. Pour continuer à interpréter ces remarques, je mettrai en parallèle le cercueil et son corps. Normalement, quand on se réveille, on commence par prendre conscience de son corps. La conscience revient dans l'ordre selon lequel elle est partie - d'abord conscience du corps puis conscien ce du monde extérieur. Tout repose donc sur la façon dont on ressent son corps. S'i! est dépourvu de vie on le sentira comme un cercueil qui emprisonne l'esprit. Il serait aussi soumis à la déchéance et à la décom position, ce qui n'arrive qu'aux cadavres. Se réveiller dans un corps vivant où l'on sent les passions de la vie est aussi agréable que de s'abandonner à un corps fatigué qui a besoin de sommeil. Lorsqu'on s'abandonne à son corps en dormant, il lui arrive quelque chose de très agréable. Il se dépouille des soucis de la journée et se retire du monde, dans un état de repos paisible et de quiétude. Le chan gement entre l'état de veille et le sommeil est particulièrement rem ar ~uable dans la respiration. On peut souvent déceler si quelqu'un qui est etendu à côté de nous s'est endormi au changement de rythme et de caractère de sa respiration. Ce caractère s'approfondit et devient plus bruyant, le rythme plus lent et plus calme . Ce changement vient de ce que le diaphragme se détend de l'état de tension dans lequel le maintien ne~t les activités diurnes. On revient pendant le sommeil à des centres ~'energie situés plus bas dans le corps. L.a même détenté diaphragma tlque se produit lorsqu'on tombe amoureux ou qu'on a un orgasme. Dans la philosophie ancienne, le corps était divisé en deux zones par 1. Lowen, L e Corps bafoué op . cil.. p. 190. ~
19 7
L'angoisse de chute
La bioénergie le diaphragme-muscle en forme de dôme, qui ressemble au contour de la Terre. La région au-dessus du diaphragme était liée à la conscience et au jour - c'est-à-dire à une zone de lumière. La zone inférieure du corps appartenait à l'inconscient et à la nuit; elle était considérée comme une zone de ténèbres. On mettait en parallèle la conscience et le soleil. Le lever du soleil à l'horizon, qui amène avec lui la lumière du jour, correspondait à une montée de l'excitation dans le corps, se diri geant des centres abdominaux vers ceux de la poitrine et de la tête. Ce déplacement de sensibilité vers le haut provoquait le réveil de la conscience. L'inverse se produisait pendant le sommeil. Le coucher du soleil, ou sa chute dans l'Océan selon les peuples primitifs, correspon dait au déplacement de l'excitation vers le bas du corps, vers les régions situées au-dessous du diaphragme. Il y a équivalence symbolique entre l'abdomen, la Terre et la mer qui sont des régions obscures. Mais c'est de ces zones, comme de l'abdo men, que naît la vie. C'est là que résident les forces mystérieuses qui interviennent dans les processus de vie et de mort. C'est là aussi que résident les esprits de l'obscurité qui se fixent dans les régions inferna les. Lorsque ces idées primitives s'associèrent à la moralité chrétienne, les régions infernales furent assignés au Diable: prince des ténébres. Il entraîne les hommes vers leur chute par la tentation sexuelle. Le Diable réside au creux de la Terre mais aussi au creux du ventre, là où brûle la passion sexuelle. S'abandonner à ces passions pourrait conduire à l'or gasme, où la conscience s'atténue et le Moi se dissout, phénomène appelé « mort du Moi». L'eau est également associée à la sexualité, probablement parce que la vie a commencé dans la mer. La peur de se noyer que beaucoup de patients associent à la peur de tomber peut être reliée à la peur de s'abandonner aux émotions sexuelles. Nous avons idéalisé l'amour à un tel point que nous oublions sa rela tion étroite et intime avec la sexualité, et particulièrement avec les aspects érotiques et sensuels de la sexualité. J'ai défini l'amour comme l'anticipation du plais'irl"mais c'est spécifiquement le plaisir sexuel qui nous pousse à tombèramoureux. Psychologiquement, cela implique l'abandon du Moi à l'objet aimé qui devient plus important pour le soi que le Moi. Mais abandonner le Moi implique une descente de la sensi bilité dans le corps, une circulation d'excitation dirigée vers le bas, au plus profond du ventre et du pelvis. Ce flux vers le bas produit la déli cieuse sensation de fondre ou de s'écouler. On fond littéralement 1. Lowen, Le Plaisir, op. Cil .
198
d' amour. Les mêmes sensations délicieuses se produisent lorsqu'on ressent une très forte excitation sexuelle qui ne se limite pas à la zone génitale. Elles précèdent toute détente orgastique totale. Curieusement, la chute engendre des sensations similaires; c'est pourquoi les enfants prennent tant de plaisir à se balancer. Lorsque la balançoire redescend, de délicieux courants de sensations circulent dans tout le corps. Certains d'entre nous se rappellent peut-être ces délicieu ses sensations. O n peut aussi les ressentir pendant la descente d'un toboggan, et c'est, j'en suis sûr, la raison pour laquelle les toboggans sont si appréciés . De nombreuses activités comprenant une chute procurent un plaisir semblable, par exemple plonger, le trampoline, etc. Ce phéno mène s'explique par la détente du diaphragme, qui permet à une forte excitation de circuler dans le bas du corps. Cela devient évident quand on réalise que retenir sa respiration pendant ces activités introduit l' angoisse et détruit le plaisir. La même chose se produit pour les rapports sexuels. Si on a peur de suivre la chute et que l'on retienne donc sa respiration, la sensation de fondre ne se produit pas, et le paroxysme n'est que partiellement satisfaisant. L'expression « tomber amoureux» peut sembler contenir une contra diction en ce que l' impression d'être amoureux vous fait marcher dans les nuages. Comment pourrait-on tomber dans un nuage? Mais la chute est le seul moyen d'atteindre un état d'excitation biologique qui mène vers le haut. Sur le trampoline, le sauteur tombe avant de remon ter, il appuie sur le trampoline pour obtenir la poussée qui lui permettra de monter. Cette montée permet une nouvelle descente qui entraînera à son tour une nouvelle remontée. Si l'orgasme constitue la grande descente, alors l'impression de hauteur que l'on ressent après un acte sexuel extrêmement satisfaisant est le rebond naturel de la décharge. Lorsque nous sommes amoureux, nous planons, mais ce n'est que parce que nous nou s sommes auparavant autorisés à tomber. Pour comprendre pourquoi la chute a un effet si puissant il nous faut envisager la vie en termes de mouvement. L'absence de mouvement est la mort. Mais le mouvement n'est pas forcément ces déplacements hori zontaux dans l'espace que nous passons tant de temps à accomplir. C'~st aussi la pulsation de montée et de descente à l'intérieur du corps qUi se manifeste par les bonds et les sauts la position debout et étendue la recherche d'aller toujours plus haut m~(s en ayant toujours besoin d~ retourner Sur un sol ferme, à la terre et à la réalité de notre existence terrestre. Nous consacrons tant de notre énergie à l'effort d'aller plus haut et d'en faire davantage qu'il nous est souvent difficile de descendre \,
199
La bioénergie ou de nous laisser aller. Nous nous « fixons» et nous avons peur de tomber. Si nous avons peur de tomber, nous recherchons constamment à nous élever, comme si nous pouvions ainsi gagner en sécurité. Les enfants chez qui la peur de tomber s'installe au stade du nourrisson deviendront nécessairement des adultes dont le but dans la vie sera de s'élever encore et toujours. Si on va en imagination jusqu'à la Lune on risque de devenir lunatique - froid, vide, isolé. Dépasser l'atmosphère terrestre nous désoriente. L'effet salutaire de la gravité, la poussée de la Terre sur notre corps, se perd et l'on devient facilement désorienté. Le sommeil et la sexualité sont étroitement liés, puisque c'est après des rapports sexuels satisfaisants que l'on dort le mieux. De la même façon, comme chacun sait, les rapports sexuels sont le meilleur antidote possible à l'angoisse. Mais pour qu'ils aient cet effet, il faut être capable de s'abandonner à ses sensations sexuelles. Malheureusement la peur de tomber s'attache aux rapports sexuels et limite leur fonction naturelle de principale voie de décharge de la tension et de l'excitation . On peut encore accomplir l'acte sexuel, mais on le fait au niveau horizontal, en termes énergétiques, et la chute qui détend ou la montée qui met la joie au cœur en sont absentes. Il nous faut aider nos patients à surmonter leur peur de tomber pour qu'ils puissent jouir pleinement de leurs rapports <;exuels et de leur sommeil, et s'en relever à la fois renouvelés et reposés par leur abandon.
CHAPITRE VIII
Tension et sexualité
La gravité. Considérations générales sur la tension Traiter de la tension et de la sexualité en un seul chapitre ne doit pas nous surprendre puisque la détente sexuelle, comme chacun sait, assume la fonction de décharge de la tension. Tout exposé sur la tension devrait donc inclure l'analyse de l'orgasme sexuel. Ma première tâche consiste toutefois à présenter des considérations générales sur la nature de la tension. La tension résulte de l'imposition d'une force ou d'une pression sur un organisme qui s'en défend en mobilisant son énergie. A l'évidence, si l'organisme peut échapper à cette force il ne subira pas de tension. Il y a, naturellement, des tensions naturelles associées à la vie et auxquelles aucun organisme ne peut échapper mais qu'il est, normalement, bien équipé pour affronter. Puis il y a les tensions résultant des conditions sociales d'existence, qui varient avec la situation culturelle de l'indivi du. Par exemple, conduire sur une route encombrée où il faut rester perpétuellement en alerte pour éviter d'avoir un accident. Dans une société hautement compétitive comme la nôtre de telles pressions sont presque trop nombreuses pour être énumérées. Les relations interper sonnelles engendrent souvent des tensions à cause des demandes auxquelles on est soumis. Partout où il y a menace de violence on est sous tension. Enfin, il y a toutes les ten~ions des contraintes que l'on s'impose à soi-même et qui agissent sur le corps tout comme des forces extérieures. Là gravité est la plus universelle de toutes les forces naturelles engen 201
La bioénergie drant des tensions. Nous pouvons lui échapper momentanément en nous allongeant, mais nous retombons sous son emprise dès que nous sommes debout ou que nous nous déplaçons. Se tenir debout ou bouger nécessite de mobiliser de l'énergie pour contrer la force de gravité. Se tenir debout n'est pas un processus mécanique. Bien que nous soyons aidés par l'alignement structurel de notre ossature, les muscles doivent effectuer un travail considérable pour maintenir cette position. Lorsque nous sommes fatigués ou que nous manquons d'énergie, il devient diffi cile, sinon impossible, de tenir debout. Il est arrivé à des soldats obligés de rester debout immobiles pendant de longues périodes de s'évanouir lorsque leur énergie s'était épuisée. L'évanouissement se produit aussi lorsqu'on reçoit un choc, physique ou psychologique, qui entraîne le retrait de l'énergie de la périphérie du corps. Tomber, ou s'évanouir, constitue la sauvegardt: naturelle contre le danger d'une tension ininterrompue. Il existe une limite à la quantüé de tension que le corps peut supporter avant de s'effondrer. On sait que des soldats qui ont dépassé cette limite pendant qu'ils étaient debout en sont morts. Nous connaissons aussi des cas de mort due à l'épuisement par la chaleur, lorsque l'aptitude du corps à contrecarrer la tension d'une forte température s'affaiblit. Mais, même dans cette situation, tomber ou s'étendre diminue le danger en éliminant la tension due à la gravité. On peut en général considérer la tension comme une force qui pèse sur quelqu'un du dessus, ou qui le tire vers le bas par en dessous. Les fardeaux pèsent sur nous, nous accablant; l'action de la gravité consis te à nous écraser. Nous résistons à ces pressions par notre énergie, en exerçant sur le sol une contre-pression. Au niveau du principe physique, cette action équivaut à une réaction: si nous exerçons une pression sur le sol, il en exerce une en retour, qui nous permet de tenir debout. Nous disons que quelqu'un « reste debout» face à une situation tendue ou difficile. Tenir debout est une position typiquement humaine. L'homme est le seul animal pour lequel ce soit une posture naturelle. Mais cela nécessi te une dépense considérable d'énergie . En dépit du fait que le corps humain y est anatomiquement adapté, je ne pense pas que nous puis sions expliquer cette position sur deux jambes uniquement par des raisons mécaniques. Il nous faut reconnaître que l'organisme humain est un système beaucoup plus chargé énergétiquement que celui des autres animaux, et que c'est cette énergie plus forte ou ce degré d'excita tion supérieur qui l'a rendu capable d'arriver à cette position debout et de s'y maintenir. 202
Tension et sexualité Il est à peine besoin de citer des sources pour montrer que l'organis me humain est un système très fortement chargé d'énergie. La liste des activités et des réalisations de l'homme en est une preuve suffisante. Il n'est pas nécessaire de déterminer immédiatement si cette énergie a un caractère « d'anti-gravité », comme le croyait Reich, ou si elle est utili sée par l'organisme pour s'opposer à la force de gravité. L'important est qu 'elle circule le long de l'axe du corps, de haut en bas et de bas en haut dans l'organisme humain. Cette forte pulsation a pour effet d'exciter fortement les deux pôles du corps qui deviennent le centre d'une intense activité. Nous avons l'habitude de penser que la domination de la Planète par l'homme est née uniquement du développement supérieur de son cerveau. C 'est certainement vrai. Mais il est tout aussi vrai, comme l'ont souligné de nombreux anthropologues, que le développement de la chasse de groupe, de la grégarité et d'un lien puissant entre le mâle et la femelle a été important pour sa croissance en tant qu'espèce dominante. En analyse finale, la socialité de l'homme est le reflet de sa sexualité l . Le fait que la sexualité de la femelle humaine ait échappé à la contrainte du cycle œstral a joué un rôle important dans la stabilité de la société humaine en fournissant la possibilité de plaisir et de satisfaction sexuel le continue à l'intérieur de la situation familiale. Cela a permis au mâle de prendre les engagements nécessaires envers la femelle et sa progéni ture, essentiels pour la sécurité des enfants humains. Je considère personnellement que le développement important du cerveau, l'intérêt et l'activité sexuelle accrue de l'animal humain comme la position debout résultent de la charge énergétique accrue de l'orga nisme humain. Cette augmentation de charge est également responsable de la position debout de l'homme. Les changements anatomiques et physiologiques ont nécessairement accompagné l'augmentation de la charge énergétique. Je ne crois pas qu'ils l'aient précédée, car toutes ces activités spécifiquement humaines nécessitent un degré d'excitation ou une quantité d 'énergie qui ne sont pas disponibles chez les autres animaux. D e nombreuses caractéristiques humaines dignes d'être mentionnées ont été attribuées directement à la position debout de notre espèce. Le plus important est qu'elle libère les membres de leur subordination aux fonctions de support et de locomotion, et permet leur évolution vers le p l. Weston LaBarre, Th e Human Animal (Chicago, The University of Chicago h ress,. 1954). Cet Ouvrage contient une excellente discussion sur l'importance du corps umam et de la sexualité humaine pour les relations sociales de l'homme.
203
La bioénergie bras et la main de l'homme. Nous pouvons tenir et manipuler des objets, des outils comme des armes; le bout de nos doigts a une sensibi lité extrêmement développée, ce qui nous permet de discriminer par le toucher, et nous sommes dotés d'une gamme de mouvements des bras et des mains qui a enrichi notre expression de soi par le mouvement. Toutefois, le deuxième aspect en est que l'homme fait face au monde en exposant la partie la plus vulnérable de son corps, la partie ventrale. Sa poitrine et son cœur, son ventre et ses reins sont plus accessibles au toucher et moins protégés de l'attaque. II est concevable que la caracté ristique tendre soit reliée à cette façon de se présenter au monde. En troisième lieu, le fait que l'homme tienne la tête au-dessus du reste de son corps est partiellement responsable, je pense, de l'introduction et de l'établissement d'une hiérarchie de valeurs dans sa pensée. Freud a vu dans l'élévation de la tête au-dessus du sol l'origine du dégoût. Chez la plupart des autres mammifères le nez est au même niveau que les orifices excréteurs et sexuels, et ces animaux échappent aux sentiments de répulsion quant à ces fonctions qui est typique ete l'homme. Je n'ai pas l'intention de discuter cette question, dont Freud pensait qu'elle contribuait en quelque façon à la prédisposition humai ne à la névrose. Nous avons certainement assigné de plus hautes valeurs aux fonctions de l'extrémité tête de notre corps qu'à celles de l'extrémité fesses. Logiquement on ne peut pas parler du cc côté postèrieur » puisque les fesses sont en réalité la partie la plus basse du corps. Étant humain et civilisé, j'ai accepté ce système de valeurs dont je crois qu'il a ses mérites, à condition qu'il ne pousse pas à se tourner contre sa nature animale fondamentale qui s'identifie si étroitement aux fonctions du bas du corps. Cependant si nous voulons comprendre les problèmes qui peuvent découler de la position debout quand elle est soumise à une tension il faut en comprendre les mécanismes. A cet égard, les fesses méprisées jouent un rôle important. Au niveau anatomique, je serais d'accord avec Robert Ardrey pour penser que le changement qui a stabilisé la position debout fut le développement des fesses. Ces deux masses musculaires importantes, conjuguées à l'inclinaison postérieure du pelvis, fournissent le support structurel de la position debout. Si je suis d'accord avec Ardrey, c'est parce que j'ai observé que lorsque les fesses sont contractées et le pelvis incliné vers l'avant, le corps est en état d'effondrement partiel. On le constate chez le caractère masochiste décrit plus haut. De façon intéressante, le corps du maso chiste revêt un aspect simiesque, dû en partie à l'affaissement de la 204
Tension et sexualité posture et en partie ,à la pilosité q~i peut se d~velopper. L~ structure masochiste est causee par une tensIOn sans relache - pressIOn venant d'en haut comme d'en bas à laquelle l'enfant ne pouvait ni échapper ni résister. Il n'a vait pas d'autre choix que de se soumettre. Pour tolérer cette tension continue, sa musculature se surdéveloppa, ce qui est l'un des symptômes physiques de cette structure caractérielle. Le masochisme est un troisième moyen de faire face à la tension. Parce qu'i l est incapable soit d'y échapper en s'éloignant de la situation qu i provoque la tension, soit d'affronter cette tension et de prendre en main la situation, le masochiste se soumet et ploie sous la tension. Ce schéma de personnalité se développe dans une situation où l'on ne peut ni échapper à la force qui impose la tension ni l'affronter. Malheureusement, le schéma adopté s'établit tôt dans l'enfance, quand on essaie de faire face aux pressions des parents et des autorités scolaires. Il déterm inera la façon dont, une fois adulte, on réagira aux ten sions. Nous avons vu que chez la structure masochiste c'est un schéma de soumission, avec la création d'une musculature hyperdéve loppée pour tolérer la tension. M ais si les pressions sont imposées très tôt, pendant la première année de vie, la soumission est impossible parce que le nourrisson ne peut pas élaborer la musculature nécessaire pour développer sa tolérance à la tension . Il lui est pratiquement impos sible d'échapper physiquement à la situation. Et, naturellement, il n'est pas question à cet âge de faire face à la tension. Le modus vivendi devient le retrait psychologique. Le no urrisson ou l'enfant se dissocie de la situation et de la réalité. Il habite dans un monde imaginaire, il rêve de voler - négation de la force de gravité - ou il s'évade dans l'autisme. Il continuera ultérieurement dans la vie à se conformer à ce schéma lorsqu'il sera confronté à une tension accablante. Lorsque les pressions sont exercées plus tard dans l'enfance, comme dans le cas du caractère rigide, l'individu résiste à la tension. Mais si les tensions sont continues, résister devient une attitude caractérologi que et entraîne la rigidité du corps et de l'esprit. Une personne à structure rig ide résiste à toutes les tensions, même lorsque cela n'est pas nécessaire et peut être nuisible. Et parce qu'elle s'est tant st ructurée, elle recherchera même les tensions pour montrer comme elle les supporte bien. . Il ~evrait maintenant être clair pour le lecteur que ces schémas de reachon à la tension sont structu rés dans le corps et font partie de l'atti tu~e caractérologique de l'individu. En effet, il réagit alors à la tension meme lorsque aucune pression extérieure ne pèse sur lui. D ans ce cas, nous pouvons parler de pres sions qu'on s'impose à soi-même. Le Moi 205
Tension et sexualité
La bioénergie (ou ce que Freud appelait le Sur-moi) incorpore la pression comme condition nécessaire d'existence. Prenons le cas d'une personne aux épaules redressées et carrées, exprimant qu'elle pense qu'il est viril d'endosser ses responsabilités. Il se peut qu'elle ne soit pas consciente de cette impression ni de son atti tude, mais c'est ce que dit son corps. Si nous supposons hypothétique ment que la quantité de tension musculaire de ses épaules équivaut à celle qui serait nécessaire pour porter cinquante kilos sur les épaules, il est logique d'en déduire qu'elle est soumise à cette pression . Au niveau de son corps elle se comporte comme si ce poids pesait sur elle. Il vaudrait mieux pour elle être réellement en train de porter un poids, car elle prendrait tôt ou tard conscience de ce fardeau et le déposerait. Mais elle# est en état de pression continue sans en être consciente, et elle est donc incapable de s'en défaire. Toute tension musculaire chronique constitue une tension constante s'exerçant sur le corps. C 'est une pensée effrayante. Comme l'a souligné Hans Selye l , la tension a un effet nuisible sur le corps. La nature de cette tension importe peu; le corps réagit à elles toutes par un syndro me général d'adaptation . Ce syndrome se compose de trois phases. La phase 1 est une réaction d'alarme. Le corps réagit à une tension violente en sécrétant des hormones surrénales médullaires, ce qui mobilise l'énergie du corps pour faire face à cette tension. Si la tension est une blessure physique, la réaction d'alarme prend la forme d'un processus inflammatoire. Si cette réaction réussit à surmonter la difficulté et à éloigner la tension, le corps se calme et retourne à son état homéosta tique habituel. Mais si la tension continue, la phase 2 commence. Pendant cette phase, le corps essaie de s'adapter à la tension. Cela met en jeu l'action des hormones cortico-stéroïdes surrénales qui ont une action anti-inflammatoire. Mais ce processus d' adaptation utilise aussi de l'énergie, qu' il faut mobiliser à partir des réserves de l'organisme. La phase 2 ressemble à une guerre froide, pendant laquelle le corps essaie de refréner l'agent qui cause la tension puisqu' il ne peut pas l'éliminer. La phase 2 peut durer longtemps, mais le corps finit par s'affaiblir. On appelle la phase 3 phase d'épuisement. Le corps n' a plus l'énergie de refréner la tension et commence à s'épuiser . Cette brève présentation des concepts de Selye sur les réactions à la tension ne rend pas assez justice à ses importantes contributions à notre compréhension du corps . Le caractére général de notre sujet rend 1. H ans Selye, The Stress of L ife (New York , McGraw-H ill, 1956).
206
cependant impossible de donner à ses travaux l'attention qu'ils méri tent. On ne peut, d'autre part, se permettre de les ignorer dés qu'on aborde le sujet de la tension. La phase 3 _ . !.e stade de l'épuisement est particulièrement significative pour nous. Si on la traduit par fatigue chronique ou par épuisement, c'est probablement la plainte la plus répandue dans notre culture. Je l'interprète comme le signe de ce que beaucOUp de gens sont sur le versant de l'épuisement, à cause des tensions continues auxquelles les soumettent leurs tensions musculaires chroniques. L'existence de ces tensions physiques limite l'énergie qui serait sans cela di sponible pour faire face aux tensions de la vie quotidienne. Lorsque les tensions musculaires de quelqu'un diminuent pendant la thérapie bioénergétique, il s'aperçoit qu' il peut affronter beaucoup plus efficacement les tensions de sa situation personnelle. Le secret de la résistance aux tensions consiste tout simplement à avoir une énergie suffisante pour leur faire face, mais ce n'est possible qu' avec un corps relativement dépourvu de tensions. En résumé, je décrirai ainsi la situation de nombreuses personnes: elles peinent sous de fortes tensions, et pourtant elles sentent que ne pas arriver à les supporter c'est admettre leur faiblesse, leur défaite et leur échec en tant qu 'être humain. Dans cette situation désespérée, elles contractent plus fermement les mâchoires, raidissent les jambes, bloquent les genoux et luttent en témoignant parfois d' une invraisem blable volonté. C omme disait mon patient Jim : «On ne peut pas être un tire-au-flanc. » A de nombreux égards, cette volonté de tenir bon est une qualité admirable mais elle peut avoir, et a effectivement, des effets désastreux sur le corps.
Douleurs lombaires Une douleur lombaire aiguë, qui immobilise quelqu 'un et le force parfo is à s'aliter quelque temps, constitue souvent le résultat direct et immédiat d'une tension. On soulève un objet lourd, on sent brusque ment une vive douleur de la région lombo-sacrale et on s'aperçoit qu'on ne peut plus se redresser. on dit que le dos a été pris de spasmes . Un ou plusieurs muscles, en général d'un seul côté, sont pris de violents spas mes qu i rendent tout mouvement du dos atrocement douloureux. Quel quefois, à cause du spasme, il y a formation d'une hernie d'un disque intervertébral qui presse sur l'une des racines nerveuses, ce qui entraîne 207
Tension et sexualité
La bioénergie l'irradiation de la douleur dans une jambe. La fo rm ation d'une hernie du disque est assez rare - la pression sur le nerf peut être causée par le muscle pris de spasmes. Bien que je sois psychiatre, j' ai traité de nombreux patients qui présentaient ces troubles. Certains étaient des patients en cours de thérapie bioénergétique, ayant une tendance aux douleurs lombaires et chez qui se produisait une crise de spasmes . D'autres me consultèrent parce que la thérapie bioénergétique s'intéresse aux tensions musculai res. Permettez-mo i de signaler dès le départ que je ne détiens pas de traitement facile ou rapide de ces douleurs . Si l'on est immobilisé par la douleur, il faut garder le lit jusqu'à ce qu'elle diminue. Garder le lit permet d'éliminer la tension due à la gravité, et les muscles commencent progressivement à se détendre. A ce stade, j'institue un programme d'exercices bioénergétiques destinés à com pléter la détente de ces mu scles contractés et à empêcher le retour des spasmes. Pour comprendre ces exercices, il faut savoir pour q uoi ces spasmes se prod uisent. Quelle posture ou quelle structure de rétention rend un ind iv idu vulnérable aux problèmes lombaires? Il est erroné de croire que les gens sont prédisposés aux problèmes lom baires par la position debout. II est erroné de supposer q u'il est normal d'en souffrir. C'est un problème fréquent et très répandu dans notre culture, mais il en est de même des maladies de cœur et de la myo pie . D evrions-nous dire que les gens risquent d'avoir une maladie de cœur parce qu' ils ont un cœur, ou d'être myopes parce qu 'ils ont des yeux ? Il y a des cultures où les douleurs lombaires sont inconnues, où les maladies de cœur sont rares, où la myopie n'existe pas. La différence ne tient pas aux gens. Eux aussi marchent debout, ont un cœur et des yeux. Mais ils ne sont pas soumis à la même sorte ni au même degré de tension que celle qui est le lot de l'Occidental. Est-il vra i q ue la tension soit responsable des problèmes lombaires? Je n'a i jusqu' ic i indiqué de lien que dans le cas où on soulève un objet lourd. Mais de no mbreu ses personnes sont prises de douleurs lombaires au cours d 'activités apparemment inoffensives. O n se penche pour ramasser un petit objet, et le bas du dos est pris de spasmes. Cela est assez fréq uent. J'ai entendu p arl er d'un cas où le spasme survint pendant le sommeil de l' intéressée. E ll e se retourna, et ce mouvement suffit à provoq uer le spasme. A l'évidence, la tension ne se trouve pas toujours dans l'acte qui provoque le spasme. Mais il y a tension dans chaq ue cas. Un jeune homme, dont le dos fut pris de sévères spasmes, était en 208
train d'emménager dans un appartement avec sa petite amie. Pendant deux jours, il n'avait pas arrêté de faire des paquets, et tout était presque terminé q uand il se pencha pour ramasser un livre, après quoi il fut hospitali sé. L'histoire qui se dégagea lorsque je le vis fut qu'il se trouvai t pris dans un conflit à propos du déménagement. Sa relation avec son amie était une relation intense, mais rarement sans querelles, jalousies et incertitudes . Il avait de graves doutes quant à ce déménage ment, et se sentait poussé à le faire pour préserver la relation. La nature intervint et l'empêcha de bouger. Il avait l'impression de ne plus pou voir reculer, et c'est son dos qui se déroba pour lui . Je crois que c'était au ssi sim ple que cela. La tension devint intolérable, et son dos céda. autre cas faisait intervenir une actrice qui jouait dans une pièce qu'elle désirait abandonner depuis quelque temps. Elle ne s'entendait pas très bien avec le directeur et certains membres de la troupe. De plus, elle était près de l'épuisement à cause des représentations supplé mentaires et des horaires tardifs. Elle voulait abandonner mais elle ne le pouvait pas. Elle fit alors ce qu'on peut appeler un « faux mouvement » et tomba de tout son long. Elle quitta la scène pour un lit à l'hôpital. Son corps s'effondra simplement sur elle. Dans ce cas aussi, je dirais que la tens ion était intolérable. La personne dont le dos fut pris de spasmes pendant son sommeil était elle aussi dans une période de tensions considérables. Toute la journée précédente, son dos avait commencé à l'inquiéter. Elle s'était précipitée dans to us les sens pour ses occupations ménagères, mais elle avait remarq ué qu'elle clopinait et qu'elle ne se tenait pas droite. Elle avait déj à eu une crise qui l'avait obligée à s'aliter une semaine, et elle en connaissait les symptômes. Elle pensa néanmoins: « Dès que j'ai fini, je rentre à la maison et je me repose, fi ni de me tenir sur mes jambes.» Elle termina, rentra chez elle, et se reposa quelques instants, mais ce ne fut évidemment pas suffisant. Lorsque le spasme la saisit, elle en eut pour une semaine il ne plus être sur ses jambes. Pourq uoi est-ce la région lombaire q ui cède ? Po urquoi est-ce une z?~e particulièrement vulnérable à la tension ? C'est parce que la re~lon lombaire est le lieu où deux forces opposées se rencontrent et c~eent une tension. L'un e est la gravité - avec toutes les pressions qui pesent sur q uelqu 'un, les exigences d' autorité, de devoir, de culpabilité et les fardeaux à la fois physiques et psychologiques. L'autre est une force qui tire par les jambes et qui va dans le sens de la posture debout et de la résistance aux demandes et aux fardeaux. Ces deux forces se rejc»gnent dans la région lombo-sacrale.
Un
209
Tension et sexualité
La bioénergie Ce concept devient clair si nous étudions la tension due à la gravité. Elle peut devenir écrasante si l'on est forcé de rester longtemps dans la même position. La question qui se pose alors est: «Combien de temps les jambes de quelqu'un peuvent-elles le soutenir? Tôt ou tard, elles vont céder, mais quand les jambes cèdent, le dos est épargné. Le danger naît pour le dos lorsque les jambes ne cèdent pas. Alors c'est le dos qui le fait. Je dois mentionner qu'il existe un état dans lequel on peut rester immobile pendant une incroyable longueur de temps - un jour, deux jours ou plus. Curieusement, ni le dos ni les jambes ne cèdent dans cet état. C'est la catatonie, qui est une modalité schizophrène. Lorsqu'on considère la catatonie, on réalise que c'est la personne qui a cédé c'est-à-dire qu'elle est partie. J'ai mentionné plus haut que la dissocia tion est l'une des façons dont on s'accommode d'une tension écrasante. Le catatonique est un être dissocié. L'esprit et l'intelligence ne sont plus unifiés au corps. Celui-ci s'est transformé en statue. Le catatonique prend des poses sculpturales. Les jambes sont naturellement structurées pour s'accommoder de la tension, non pas pour l'affronter mais pour y réagir. Cette aptitude est une fonction du genou. L'action du genou permet la flexibilité du corps. Le genou constitue l'amortisseur de chocs de l'organisme. Si la pression qui vient du dessus est trop forte, le genou fléchit et lorsque la pression est intolérable, il plie et on tombe. Lorsque la peur de tomber est présente dans la personnalité, le genou perd cette fonction. On se tient les genoux raides pour s'armer contre la pression et on contracte les muscles des jambes pour leur donner la fonction de supports rigides. On a peur de la flexibilité parce qu'elle implique l'aptitude à céder. Si les jambes sont flexibles et détendues, la pression qui vient du dessus se transmet aux jambes et se décharge dans le sol. Mais si on raidit les genoux et que l'on contracte les jambes pour faire face à la pression, cette rigidité s'étend jusqu'au sacrum et au pelvis. Toute la pression se localise à la jonction lombo-sacrale, qui devient vulnérable aux blessures. Je me servirai de trois silhouettes schématiques du corps humain pour illustrer cela:
210
TENSION
A
B
c
La silhouette qui est à gauche présente une posture à peu près normale. Les genoux sont fléchis et le pelvis est libre - il n'est pas verrouillé en position figée. Cette posture physique permet à la pression de se transmettre aux genoux, qui jouent le rôle d'amortisseurs. Si la pression est trop forte, les genoux vont céder. Mais cela arrive rare ment. Comme une personne qui adopte cette posture n'a pas peur de ~omber, elle n'a pas peur d'abandonner. Quand la pression devient lnSuflportable elle s'écarte de la situation.
211
La bioénergie La silhouette du centre présente une posture où les genoux sont raidis. Dans ce cas, le bas du corps, y compris le pelvis, fonctionne comme un support rigide. Cette position nous indique que l'individu est peu solide, il a besoin d'une base rigide pour le soutenir. Cette position a pour effet de centrer toute la tension sur la région lombo-sacrale, forçant les muscles de cette zone à se contracter très fortement. Comme on est continuellement sous tension, toute tension supplémentaire significative peut provoquer l'effondrement du dos dans cette région. Une autre conséquence de l'état des muscles de la région lombo-sacrale est de provoquer une fatigue et des efforts injustifiés des ligaments et des os des articulations intervertébrales, ce qui peut entraîner de l'ar thrite. La silhouette de droite montre une posture différente. Le haut du dos est courbé, comme si l'on transportait continuellement un lourd fardeau. Les genoux sont fléchis, mais c'est compensé par la position vers l'avant du pelvis. Dans cette posture, tout le dos s'est effondré sous la tension, ce qui épargne la région lombo-sacrale. C'est la posture, typique du caractère masochiste, qui se soumet à la pression plutôt que de l'affronter. La protection du bas du dos procurée par cette attitude se fait aux dépens de l'ensemble de la personnalité. Elle cédera si l'individu fait un effort violent pour faire face et se défendre. Lorsque cela se produit, comme c'est le cas au cours de la thérapie, on sent des tensions de la région lombaire. J'avertis toujours ce type de patients que cela se produira. Mais le problème ne devient jamais aigu, parce que le patient a déjà entrepris des exercices bioénergétiques destinés à libérer le pelvis et à diminuer la tension de la région lombo-sacrale. Il est significatif que les surrénales, qui sécrètent les hormones mobi lisant l'énergie du corps pour répondre aux situations de tensions, soient localisées dans la région lombaire, au-dessus des reins, contre la paroi postérieure du corps . Leur position leur permet donc d'évaluer la tension à laquelle le corps est soumis. L a manière dont elles le font est une question à laquelle je ne suis pas capable de répondre. Mais je ne crois pas que nous puissions considérer que leur emplacement est pure ment fortuit. A mes yeux, cela a pour signification de montrer que le corps est organisé selon des principes bioénergétiques. Cela est confirmé par la localisation d'une autre glande endocrine importante, la thyroïde. La thyroïde régularise le métabolisme de l'organisme, le processus d'oxydation de la nourriture pour la production d'énergie. On pourrait dire que la thyroïde régularise la production d'énergie. Elle le fait en
212
Tension et sexualité produisant une hormone, la thyroxine, qui circule dans le sang et qui stimule l'oxydation des métabolites des différentes cellules du corps. Trop peu de thyroxine donne une sensation d'engourdissement à cause du manque d'énergie; trop provoque une hyperactivité nerveuse. L'hor mone elle-même ne produit pas d'énergie. Celle-ci est directement déter minée par la quantité et le genre de nourriture que nous mangeons, la quantité d'air que nous respirons et les besoins énergétiques du corps . L'hormone coordonne la production d'énergie à ces besoins. La thyroïde entoure la trachée de trois côtés, juste en dessous de la pomme d'Adam. Elle est située dans l'étranglement du cou, tout comme les surrénales sont situées dans l'étranglement de la taille. Et tout comme la position des surrénales leur permet d'être sensibles à la tension, la position de la thyroïde lui permet d'être sensible à la respira tion. Embryologiquement elle se développe en tant que repli du pharynx, comme les poumons. Cela suggère que la sécrétion de thyroxi ne est directement liée à la quantité d'air respirée. La médecine connaît ce lien depuis longtemps et l'utilise pour tester le métabolisme basal. On a une indication de la sécrétion de thyroxine en mesurant la respiration par unité de temps, au repos. Mais on n'a jamais supposé que la posi tion de la glande avait quoi que ce soit à voir avec ce lien. Je pense que ce n'est pas fortuit, mais que grâce à cette localisation et à son origine embryologique, la glande réagit à la légère expansion et contraction de la trachée qui a lieu avec la respiration ou y participe, et qu'elle est donc capable de coordonner les activités métaboliques du corps et l'ap port d'oxygène. Revenons à la tension, à la région lombo-sacrale et aux glandes surrénales. Il est de notoriété publique que John F. Kennedy souffrait de sévères troubles lombaires. Rappeliez-vous qu'il tenait les épaules très hautes et très carrées, suggérant qu'il endossait de lourdes respon sabilités. Mais cette attitude physique se développa bien avant qu'ait commencé sa vie publique. On doit en rechercher les origines dans ses expériences infantiles. Une fois l'attitude structurée dans son corps, elle le prédisposait à accepter de telles responsabilités, sans considération ~e .Ieur coût personnel, et cela correspondait au type d'homme qu'il etait. Kennedy souffrait également de la maladie d'Addison, qui consis te en une perte presque totale du fonctionnement des surrénales, due à la fatigue de ces glandes. A mon avis, cela pourrait se produire si quel qu'un était soumis à une tension continuelle, ce qui entraînerait d'abord une hyperactivité de ces glandes, puis éventuellement leur épuisement. .ta tension affecte défavorablement la santé physique tout autant que
213
La bioénergie la santé émotionnelle. Comme nous vivons à une époque générntrice de nombreuses tensions, nous devons apprendre comment protéger notre corps et notre esprit des effets nocifs de la tension. Pour diminuer la vulnérabilité à la tension, il faut periaborer et libérer les défenses psychiques et physiques contre le « laisser-aller». Cela n'est pas une tâche facile dans une culture qui accorde une valeur primordiale à la réussite et aux réalisations, à arriver au sommet et être capable de l'em porter. Notre Moi n'est pas assez fort pour accepter l'échec, et nous i forçons donc notre corps à affronter des situations nocives pour notre santé. Finalement, notre succès reste creux et temporaire, car le corps cède sous ces tensions continues. Mais la peur de l'échec est si forte que, jusqu'à l'effondrement final, le Moi résiste pour ne pas capituler devant le corps. L'échec s'identifie en profondeur à cette capitulation. Il faut analyser soigneusement ces défenses du Moi dans chaque cas, c'est une partie de la thérapie. De plus, il faut travailler de façon suivie sur les éléments physiques ou structurels du corps qui bloquent le laisser-aller. Nous utilisons en thérapie bioénergétique deux groupes d'exercices pour aider quelqu'un à retrouver le contact avec les tensions musculaires qui empêchent la décharge de l'excitation ou de la tension et à les diminuer. Le premier groupe comprend tous les exercices qui visent à enraciner l'individu par ses jambes et à l'aider à surmonter son angoisse de chute et sa peur de l'échec. J'ai décrit plus haut certains de ces exercices, et je m'y réfèrerai de nouveau. Le second groupe a comme but spécifique de libérer le pelvis et de permettre à la sensibilité sexuelle de se révéler. Certains seront décrits dans le paragraphe suivant, qui traite de la détente sexuel le. Il devrait être évident, d'après ce que j'ai dit plus haut, que si le pelvis est immobile et maintenu rigidement en position fixe, il empêche ra toute pression venant d'en haut de le traverser pour aller jusqu'aux jambes où elle pourrait se décharger. La tension se concentrera alors dans la région lombo-sacrale, avec les conséquences que nous avons vues. La flexibilité du genou est fondamentale· pour tout travail efficace sur le bas du corps. Tenir les genoux raides empêche toute excitation et toute sensation de circuler librement dans les jambes et dans les pieds. L'une des premières injonctions de la thérapie bioé!1ergétique est donc: « Gardez toujours les genoux fléchis.» Il n'y a que quelques rares autres injonctions, comme laisser tomber les épaules et ne pas rentrer le ventre ni contracter les abdominaux. Ces simples injonctions peuvent faire beaucoup pour aider à établir une meilleure respiration et une circula-
214
Tension et sexualité tion plus importante de sensations; on peut les recommander à tous ceuX qui aimeraient avoir un corps plus vivant, qui réagisse davantage. Elles sont nécessaires pour contrer l'ordre culturel « Redressez les épau les. gonflez la poitrine, rentrez le ventre.» Ostensiblement, le but d'un tel ordre est d'aider à se tenir droit, mais en réalité cela force à se tenir raide. On sait que l'injonction de garder les genoux fléchis est importante lorsqu'on soulève un objet lourd. Ne pas le faire peut provoquer des spasmes lombaires. J'ai entendu un commentateur sportif donner ce conseil lors d'une partie de football jouée par des professionnels, souli gnant que la marche arrière perd en puissance si les genoux ne sont pas fléchis, et expose à de graves blessures. Pourquoi ne serait-ce donc pas vrai pour n'importe qui en position debout, puisque c'est une position de tension? Les patients qui n'ont pas l'habitude de se tenir ainsi rapportent que cela leur semble au début peu naturel et peut même leur donner une impression d'insécurité. Mais tenir les genoux raides ne crée qu'une illu sion de sécurité, et c'est cette illusion qui disparaît quand les genoux restent fléchis. Pour développer l'habitude de garder les genoux fléchis quand on est debout, il faut au début exercer une attention constante. On peut s'entraîner en se rasant, en faisant la vaisselle, ou en attendant qu'un feu de signalisation routière passe au vert. Au bout d'un moment on se sent détendu dans cette nouvelle position, et il paraît alors peu naturel et maladroit de tenir les genoux raides. On devient également conscient de ses jambes, et de la façon dont on se tient debout. On peut aussi se sentir plus fatigué, mais au lieu de lutter on cède et on se repo se. L'étape suivante consiste à faire vibrer les jambes. Cela a pour but de diminuer leur rigiditè. La vibration est la façon naturelle de détendre une tension musculaire. Lorsqu'on se laisse aller, le corps vibre comme un ressort qu'on cesse de tendre. Nos jambes sont semblables à des ressorts, et quand nous les tenons trop longtemps tendues elles se raidis sent et se durcissent, perdant leur élasticité. Il y a plusieurs façons d'amener les jambes à vibrer. L'exercice le plus fréquemment utilisé en bioénergétique consiste à se pencher en a~an.t, les mains touchant le sol et les genoux légèrement fléchis. J'ai decnt cet exercice plus haut, en relation avec l'enracinement. On l'utili se t?~jours après s'être servi du tabouret à respirer et après avoir pris la posItion de l'arc. Âu cours du traitement des problèmes lombaires je fais prendre alter 215
La bioénergie nativement au patient la position de l'arc et la pOSItIOn penchée en avant, le laissant se pencher en avant ou en arrière autant qu'il peut le faire sans avoir trop mal. Ce passage de l'avant à l'arrière relâche la musculature lombaire, mais on doit le faire graduellement si l'on se remet de sérieuses douleurs dorsales. Alors, quand le dos est relative ment dépourvu de douleur, il est conseillé de s'étendre sur le sol, sur une couverture enroulée placée au creux des reins. Cela peut être doulou reux. Il faut s'abandonner à la douleur et ne pas se tendre contre elle. Si l'on y arrive les muscles du dos se détendent. Mais il ne faut pas forcer, ni dans cet exercice, ni dans n'importe quel autre. Forcer crée la tension même que nous essayons de supprimer. Quand le patient arrive à faire cet exercice facilement, il se sert du tabouret à respirer en appliquant la pression sur la zone lombaire. On place le tabouret près d'un lit pour que la tête puisse reposer sur le lit. Là aussi, on dit au patient de s'aban donner à la douleur et de se laisser se détendre. Il s'aperçoit que dès qu'il se laisse aller la douleur disparaît. L'obstacle le plus difficile à surmonter pour dépasser un problème lombaire est la peur, la peur de la douleur. Nous devons aider les patients à surmonter cette peur s'ils veulent se libérer totalement de la douleur. J >a peur engendre une tension, et la tension produit la douleur. Ils sont pris dans un cercle vicieux qui semble n'avoir d'autre porte de sortie que la chirurgie. Je ne conseille jamais la chirurgie, puisqu'elle ne peut rien pour la tension musculaire qui est à la base du trouble. Eclis ser le dos peut supprimer la douleur en diminuant la motilité du dos, mais j'ai connu des personnes qui avaient subi plusieurs opérations de ce type, sans bénéfice appréciable. Elles obtinrent de remarquables améliorations de leur état par la thérapie bioénergétique. On peut éliminer la douleur en rétablissant la motilité du bas du dos. Mais pour y arriver il faut perlaborer la douleur. Ces patients n'ont pas seulement peur de la douleur, ils ont également peur de ce qu'implique la douleur - car la douleur est un signal d'alarme. En fait ils ont peur que leur dos se casse. Cette peur apparaît lorsqu'ils s'étendent sur le tabouret à respirer en s'appuyant sur le bas du dos. Si je leur demande de quoi ils ont peur quand ils commencent à avoir mal, ils répondent immanquablement: « J'ai peur que mon dos se casse. » Au cours de ma longue expérience, personne ne s'est jamais blessé le dos en faisant des exercices bioénergétiques, s'ils étaient faits correcte ment. Les faire correctement signifie ne pas s'en servir pour écraser un problème mais pour prendre contact avec Ce problème au niveau du corps. On ne devrait jamais poursuivre un exercice au-delà du point de
216
Tension et sexualité danger, qui est atteint lorsqu'on a peur. Lorsque cela se produit, il faut analyser cette peur. Il faut poser des questions telles que: « Qu'est-ce qui vous fait penser que votre dos pourrait se casser? » et « Pour quelle raison un dos pourrait-il se casser? ». Tôt ou tard, il deviendra possible pour Je patient d'associer cette peur de se casser à une situation infanti le. Par exemple, il peut se souvenir d'une menace de l'un de ses parents: « Si je t'attrappe, je te casserai les reins. » On peut dire cela à un enfant rebelle, la menace signifiant que le parent cassera l'esprit de l'enfant, ou sa résistance. L'enfant peut réagir à cette menace en raidissant son dos, comme pour dire « Tu n'arriveras pas à me casser. » Mais une fois que le dos s'est raidi de façon chronique, la peur qu'il se casse est structurée dans le corps et fait partie de la défense. Une menace verbale clairement exprimée n'est pas toujours nécessai re pour entraîner le raidissement du dos. Plus fréquemment, on trouve un conflit ouvert de volontés, situation dans laquelle l'enfant peut raidir son dos inconsciemment pour assurer son intégrité. Dans tous les cas, le raidissement du dos d6note une résistance inconsciente, une rétention contre la reddition ou l'abandon. Tout comme cette rétention a son aspect positif, préserver son intégrité, elle a l'effet négatif de retenir le besoin, le désir, l'amour. La raideur empêche de s'abandonner aux pleurs et de se laisser aller aux désirs sexuels. Lorsque quelqu'un pleure, on dit qu' il éclate en sanglots. La peur de se casser est fondamentale ment la peur de s'effondrer, de se rendre, de s'abandonner. Il est impor tant pour le patient de faire les associations qui lui permettront de comprend re d'où est venue sa peur. On ne peut se casser que si l'on est pris au piège, comme le sont les enfants dans leurs relations avec leurs parents. Les patients n'ont pas la même position. On dit à chaque patient qu'il est libre de faire ou de ne pas fa ire un exercice, et qu'il doit se sentir libre d'abandonner au moment où il le veut. Mais les patients, et les gens en général, sont pris au piège par leur raideur et leurs tensions musculaires chroniques, et ils projettent cette impression sur leurs relations. On ne devrait donc jamais faire les exercices de façon compuls ive, car cela augmente l'im pression d'être pris au piège. On devrait les faire comme un moyen de percevoir ce qui se passe dans le corps et pourquoi. On ne peut pas se p.ermettre de traverser l'existence avec l'impression qu'ell e nous brisera SI on ne fait pas attention, car c'est sûrement ce qui se passera alors. . J'ai mentionné qu'il y avait plusieurs moyens d'amener les jambes à v,l?rer. L'exercice le plus simple que nous utilisons est peut-être de faire s erendre le patient sur le dos, sur un lit, et de lui faire tendre les jambes 217
La bioénergie Tension et sexualité en l'air. Si les chevilles sont fléchies et les talons tirés vers le haut, la tension qui agit sur les muscles postérieurs des jambes suffit en général à les faire vibrer. Outre libérer la tension, faire vibrer le corps à une autre fonction importante. Cela permet de faire l'expérience des mouvements involon taires du corps, et de les apprécier. Ils constituent une expression de sa vie, de sa force vibrante. Si l'on a peur, parce qu 'on a l'impression qu'on devrait se contrôler parfaitement et tout le temps, on perdra sa sponta néité et on finira par être rigidement lié, un automate. Permettez-moi de le redire en insistant davantage. Les mouvements involontaires constituent l'essence de la vie du corps. Les battements du cœur, les cycles respiratoires, les mouvements péristaltiques de l'intes tin, tous sont des actes involontaires. Mais ces mouvements involontai res sont les plus significatifs, même au niveau de l'ensemble du corps. Nous nous convulsons de rire, nous pleurons de douleur ou de tristesse, nous sautons de joie, nous bondissons d'excitation et nous sourions de plaisir. Ces actes nous émeuvent de façon profonde et significative parce qu'ils sont spontanés, non décidés et involontaires. Et la plus gratifiante, la plus satisfaisante et la plus significative de ces réactions involontaires est l'orgasme, où le pelvis se déplace spontanément et 'l'en semble du corps se convulse dans l'extase de la détente.
La détente sexuelle Une détente sexuelle satisfaisante décharge l'excitation en excès dans
le corps, ce qui réduit fortement son niveau global de tension. Pendant
les rapports sexuels l'excitation en excès se centre sur l'appareil génital
et se décharge au paroxysme du plaisir. Après avoir ressenti une détente
sexuelle satisfaisante, on se sent tranquille, détendu, souvent somnolent.
L'expérience est en elle-même très agréable et gratifiante. Elle peut
inspirer la pensée: « Ah! Voilà autour de quoi tourne la vie. Cela
sem ble si bien, si naturel. » Cela implique qu'il existe des rencontres ou des expériences sexuelles qui ne sont pas satisfaisantes et qui n'amènent pas à une telle conclu sion. On peut avoir un contact sexuel non satisfaisant, pendant lequel l'excitation monte mais n'atteint pas un paroxysme et n'est pas déchar gée. Si cela se produit, on reste en état de frustration, d'agitation et d'ir ritabilité. Mais l'absence de paroxysme n'entraîne pas forcément la frustration. Quand le niveau d'excitation sexuelle est bas, l'impossibilité
de parvenir au paroxysme ne perturbe pas le corps. Cela peut entraîner une détresse psychique si l'on considère cette impossibilité comme un signe d'impuissance. Mais on peut éviter cette détresse psychique en reconnaissant que cette absence de paroxysme était due au bas niveau d'excitation sexuelle auquel cas le contact sexuel, s'il a lieu entre des personnes qui ont de l'affection l'une pour l'autre, peut être agréable en lui-même. De plus, chaque paroxysme n'est pas totalement satisfaisant. Il y a des détentes partielles, où ne se décharge qu'une partie de l'excitation. On peut parler de satisfaction partielle, mais il y a une contradiction dans ces termes. La satisfaction dénote un état de complétude ou de plénitude; pourtant de telles contradictions peuvent exister et existent de fait au niveau des émotions. On peut se satisfaire d'une détente à 80 % si c'est le mieux que l'on ait jamais pu atteindre, parce que des facteurs psychiques se lient aux émotions et les modifient. Une femme qui n'était jamais parvenue au paroxysme pendant les rapports sexuels le ressentira comme gratifiant et satisfaisant quel que soit le degré de décharge. Nous ne pouvons décrire une émotion qu 'en la comparant à une expérience précédente; dans ce cas la comparaison est très favora ble. J'ai évité jusqu'ici le mot « orgasme » parce que c'est un terme très mal employé et mal compris. Dire, comme le fait Albert Ellis, que « J'orgasme, c'est l'orgasme », c'est jouer sur les mots. Il identifie l'or gasme au paroxysme, ce qui est erroné et ne permet pas de distinguer les différents degrés de décharge et de satisfaction. Comme chacun devrait le savoir, il n'y a pas deux rapports sexuels semblables par la façon dont on les ressent. Aucun orgasme n'est comme un autre. Les choses et les événements ne sont semblables qu'en l'absence d'émotions. Là où les émotions entrent en jeu, chaque expérience est unique. Reich utilisait le terme « orgasme» dans un sens très spécial pour se référer à l'abandon complet à l'excitation sexuelle, tout le corps s'impli quant dans les mouvements convulsifs de décharge. L'orgasme, comme le décrivait Reich, ne se produit qu'occasionnellement et constitue une expérience extatique. Mais il est aussi très peu fréquent, comme le reconnaissait Reich lui-même. Réagir totalement à n'importe quelle situation est inhabituel dans notre culture. Nous sommes tous pris dans trop de conflits pour nous abandonner totalement à une émotion. . Je pense qu'on devrait réserver le mot « orgasme» pour d6crire une detente sexuelle pendant laquelle se produisent des mouvements sponta nés~ involontaires, convulsifs et agréables du corps et du pelvis, et que
218 219
Tension et sexualité La bioénergie l'on ressent comme satisfaisante. Si seul l'appareil génital intervient dans la sensation de décharge et de détente, c'est à mon avis une réac tion trop limitée pour être appelée un orgasme. On devrait l'appeler éjaculation chez l'homme et paroxysme chez la femme. Pour être qualifiée d'orgasme, la détente doit s'étendre à d'autres parties du corps - au moins le pelvis et les jambes - et il devrait y avoir quelques mouvements involontaires agréables du corps. L'orgasme doit être une expérience qui fasse vibrer. Il nous émeut. Si la totalité de notre corps ou de notre être vibre spontanément, surtout si le cœur réagit, c'est alors un orgasme total. C 'est ce que nous recherchons tous dans notre activi té sexuelle. L'orgasme, que le corps s'y implique totalement ou en partie, libère la tension des parties du corps qui réagissent activement. Mais cette détente n'est pas permanente. Comme notre existence nous soumet quotidiennement à des tensions, elles se structurent dans le corps. On a besoin d'un vie sexuelle satisfaisante et pas seulement d'une expérience satisfaisante pour arriver à maintenir la tension du corps à un faible niveau. Je ne veux pas créer une mystique à propos de l'orgasme, bien que je pense que cette fonction est d'une importance critique. Ce n'est pas la seule façon de se libérer des tensions, et on ne devrait pas l'utiliser consciemment dans ce but. On ne pleure pas pour se libérer d'une tension, on pleure parce qu'on est triste; et pourtant pleurer est une des façons fondamentales de décharger une tension. Même si l'orgasme total est le plus efficace et le plus satisfaisant des mécanismes de décharge, il ne s'ensuit pas que les rapports sexuels n'aboutissant pas à T'orgasme ou l'union sexuelle sans paroxysme soient dépourvus de signification et de plaisir. Nous entreprenons des rapports sexuels pour le plaisir, et cela doit rester le critère principal de notre comportement sexuel. Je me contente de soutenir que l'orgasme total est plus agréable, a u point d'attei ndre les sommets de l'extase. M ais comme le degré de plaisir dépend de la quantité d'excitations préliminaires, qui est au-delà de notre volonté ou de notre contrôle, nous devons nous sentir recon naissants de ce que nous ressentons de plaisir. Le problème qui se pose à la plupart des gens tient à ce que les tensions de leur corps sont si profondément structurées que la détente orgastique a rarement lieu. Les mouvements convulsifs agréables sont trop effrayants, l'abandon trop menaçant. Quoi qu'ils en disent, la plupart des gens ont peur de s'abandonner à de fortes émotions sexuel les et en sont imcapables. Et pourtant, de nombreux patients disent au
début de la thérapie que leur sexualité va bien, qu'ils en sont satisfaits et qu'ils n'ont pas de problèmes sexuels. Dans certains cas, ils ne connais sent rien de mieux, et le peu de plaisir qu'ils ressentent est tout ce qu'ils attendent des rapports sexuels. Dans d'autres cas, une duperie de soi est à l'œ uvre. Le Moi de l'homme, en particulier, élabore des défenses de refus contre toute impression d'insuffisance sexuelle. A mesure que la thérap ie progresse les deux types prennent conscience de l'insuffisance de leur sexualité. Ils arrivent à le réaliser en ressentant une décharge sexuelle plus gratifiante et plus satisfaisante. Dans tous les cas le corps montre l'état réel du fonctionnement
sexuel de l'individu. Une personne dont le corps est relativement
dépourvu de tensions importantes manifestera le réflexe orgastique lors
qu'elle respire, allongée sur le lit. J'ai décrit cette réaction du corps au
C hapitre Premier, pendant que je parlais de ma thérapie personnelle
avec Reich. Il est important de répéter cette description ici.
Le patient est allongé sur le lit, les genoux fléchis pour que ses pieds soient en contact avec le lit. La tête est renversée en arrière, pour pouvoir parler. Les bras sont étendus sur les côtés. Lorsqu'il respire de façon profonde et détendue et qu'aucune tension muscul aire ne bloque les vagues res pir atoires à mesure qu'elles traversent le corps, le pelvis se dépl ace spontanément à chaque mouvement respiratoire. Il se soulève à l'expiration et retombe en arrière à l'insp iration. La tête se déplace en direction inverse, vers le haut à l'inspiration et en arrière à l'expiration. Cela est illustré par les fig ures de la page suivante. Reich a décrit ce réflexe com me un m ouvement dans lequel les deux extrémités du corps se réun issent. C ependant, la tête ne participe pas à ce mouvement vers l'av ant, mais retombe en arr ière (voir figure 4). Si on regarde la figu re et qu'o n se représente les bras en train de se tendre, on pourr ait décrire ce m ouvement comme un encerclement. Cela ressemble à l'action d'une amibe s'étend ant autour d' une particule de nourriture pour l'enfermer et l'engloutir . Ce mouvement est beauco uP plus primitif que la succion, dans laquelle la tête joue le rôle domin ant. La succion est a ussi liée à l' aspiration, à l' inspiration . A u moment de l' inhalation, la tête se déplace vers l'avant, le gosier et le pelvis vers l'ar rière. On a ppelle ce mouvement réflexe orgastique parce qu'il se produit dan s tous les cas pendant l'orgasme total. Dans un or gas me partiel il y a aussi q uelques mouvements pelviens in volontaires, m ais l'ensemble du ~corps ne s'y ab andonne pas totalement.
221 220
La bioénergie
Tension et sexualité
l
1
EXPIRATION -
M OUVEMENT DU PELVI S VER S L'A VANT
--
j
r
INSPIRATION -
MOU VEMENT DU PELVIS VERS L'ARRIÈRE
Une chose devrait être claire. Le réflexe orgastique n'est pas un orgasme. Il se produit à bas niveau d'excitation, et c'est un mouvement doux. Ce réflexe donne une agréable impression de liberté et d'aisance intérieure. Il dénote l'absence de tension du corps.
><==
~
RÉFLE XE ORGASTIQUE
DÉTENTE DE LA POSITI ON EN ARC
DÉTENTE=
REFLEXE D'ORGASME
POSITION EN ARC
Arriver au réflexe orgastique en situation thérapeutique ne garantit
pas que le patient éprouvera des orgasmes complets pendant ses
rapports sexuels. Les deux situations sont radicalement différentes.
Pendant les rapports sexuels le niveau d'excitation est très élevé et rend
222
l'abandon plus difficile. Il faut obtenir l'aptitude de tolérer ce haut niveau d'excitation sans devenir anxieux ou contracté. Une autre diffé rence tient à ce que la situation thérapeutique est faite pour aider le patient. Le thérapeute est là pour lui. C 'est différent de la relation sexueIle où le partenaire sexuel a un intérêt personnel à la relation et fait des demandes. Il reste néanmoins vrai que si l'on est incapable de s'abandonner au réflexe orgastique dans l'atmosphère d'aide de la situa tion thérapeutique, il est peu probable qu'on soit capable de le faire dans l'atmosphère beaucoup plus fortement chargée de la rencontre sexuelle. Pour cette raison, la thérapie bioénergétique n'accorde pas autant d' importance au réflexe orgastique que ne le faisait Reich. Ce n'est pas qu'il soit dépourvu d'importance, ni que la thérapie n'ait pour but de l'établir, mais il faut tout autant mettre l'accent sur l'aptitude du patient à gérer ses tensions pour que ce réflexe puisse avoir lieu en situation sexuelle. On obtient ce résultat en faisant circuler la charge dans les pieds et dans les jambes, auquel cas le réflexe prend un caractère diffé rent. Quand la charge se déplace du sol vers le pelvis, elle ajoute un élément agressif à un acte tendre. Laissez-moi souligner immédiatement qu'agressif ne signifie pas sadique, dur ou avide. Cela signifie énergique, au sens positif du terme. L'agressivité, au sens où on emploie ce mot en théorie de la personnalité, signifie l'aptitude à poursuivre ce qu'on veut obten ir. C'est l'opposé de la passivité qui signifie attendre que quel qu'un réalise ce qu'on veut. Dans mon premier ouvrage l , j'ai postulé l'existence de deux instincts: le désir et l' agression. Le désir s'associe à l'Eros, à l'amour et à la tendresse, Il se caractérise par un mouvement d'excitation qui suit la face antérieure du corps et dont on perçoit le caractère tendre et érotique. L'agression résulte d'une circulation d'excitation dans le système musculaire, en particulier dans les grands muscles du dos, des jambes et des bras. Ces muscles participent à la position debout et au mouvement. La signification originelle du mot « agression» est « se déplacer vers», Cette action repose sur le fonctionnement de ces muscles. L'agression est une composante nécessaire de l'acte sexuel, pour l'homme comme pour la femme. En l'absence d'agression la sexualité se l. Lowen, Th e Phy sical Dynamics of Character Structure, op , cit" également dispo nible en édition de poche sous le titre Th e Language of the B ody, op , cit,
223
La bioénergie réduit à la sensualité, à la stimulation érotique sans paroxysme ni orgasme. Il ne peut y avoir agression que s'il y a un objet vers lequel se déplacer, objet d'amour pendant les rapports sexuels, objet de fantas mes pendant la masturbation. Je dois à nouveau souligner que l'agression ne contient pas nécessai rement une intention hostile. L'intention du mouvement peut être aimante ou hostile; c'est en réalité le mouvement qui constitue l'agres sion. L'agression est également la force qu i nous permet de nous heurter aux tensions, de les affronter et de les gérer. Si l'on ordonnait les diffé rentes structures caractérielles selon la qu antité d'agression dont chacun dispose, l'ordre reprodui rait celui de la hiérarchie des types caractédels qui a été établie plus haut. Il faut comprendre que l'agres sion du psychopathe est une pseudo-agression . Elle n'est pas dirigée vers ce qu'il désire mais vers la domination. Une fois qu'il détient le contrôle, il devient passif. Par ailleurs, le masochiste n'est pas aussi passif qu'il le paraît. Son agression est cachée. Elle apparaît dans ses gémissements et ses pl aintes. Le caractère oral est en grande partie passif à cause de sa musculature sous-développée. Le caractère rigide est hyperagressif pour compenser son impression intime de frustration. Maintenant que nous avons ètabli une base rationnelle à l'interven t ion de l'agression dans la sexualité, il apparaît que la thérapie doit aider à développer l'agressivité sexuelle, qui consiste à pousser le pelvis, chez l'homme comme chez la femme. Notez que j' util ise le terme « pousser» au lieu de « tendre » que j'avais utilisé pour décrire le réflexe. Il y a trois façons de pousser le pelvis vers l'avant : on peut le faire en contractant les muscles abdominaux. Mais cela a pour effet de contrac ter l'avant du corps et de séparer de la circulation des sensations tendres et érotiques dans l'abdomen . En langage du corps, c'est se tendre sans émotion. On peut aus si pousser le pelvis vers l'avant en poussant par-derrière, c'est-à-dire en contractant les muscles fessiers. C el a contracte le plancher pelvien et limite la décharge à l'appareil génital. Ce sont les façons habituelles de bouger le pelvis pendant les rapports sexuel s. On refait alors le même mouvement en thérapie, quand on demande de pousser le pelvis en avant.' La troi sième façon de déplacer le pelvis vers l'avant consiste à appuyer sur le sol avec les pieds. Cela fait basculer le pelvis vers l'avant si les genoux restent fléchis. Puis, quand on cesse d'exercer une pression sur le sol, il rev ient en arrière. Ce mouvement dépend toutefois de l'apti tude à diriger l'énergie vers les pieds. D ans ce type de mouvements
224
Tension et sexualité pelviens, toute la tension se trouve dans lei' jambes. Le pelvis est dépourvu de tensions et se balance plutôt qu'il n'est basculé. La dynamique énergétique de ce mouvement est présentée dans les figures suivantes qui illustrent trois mouvements fondamentaux du corps humain en relation avec le sol: marcher, se lever, faire basculer le pelvis. J'ai énoncé plus haut le principe sous-jacent à ces trois actions: action-réaction. Si on appuie sur le sol, il appuie en retour et on se déplace. Le même principe s'applique au déplacement d'une fusée. C'est la décharge énergétique de l'arriére qui la force à aller de l'avant. Voici comment ce principe opère dans les trois actions énoncées ci-dessus: M archer: se mettre en position de départ, pieds écartés d'environ 15 cm, genoux fléchis, le corps droit. Faire porter le poids sur les poin tes des pieds. Appuyer sur le pied droit, soulever le pied gauche et le laisser se balancer vers l'avant. En relâchant la tension du talon droit, on fait un pas en avant sur le pied gauche. En répétant ce processus alternativement sur chaque pied, on marche. A.
L
B.
'-L R
POS ITION D EB OUT
1
C
R
APPU I SUR U N PIE D
R
D ÉP LA CEME NT
V ER S L'AVANT
Se lever : prendre la même position de départ, mais en fléchissant davantage les genoux. Faire porter le poids sur les pointes des pieds et appuyer. Mais cette fois il ne faut pas laisser le pied gauche glisser, ni les talons quitter le sol. Si les talons restent collés au sol, on ne peut pas avancer. Comme la force résultante de la poussée qu'on exerce sur le S,ol doit é}.voir un effet, on s' aperçoit que les genoux se tendent et que 1 on se retrouve en position debout.
225
Tension et sexualité
La bioénergie S E LE V ER
•
1.A. POSITION DROITE, GENOU X FLÉCHIS
B, ON PENCHE EN AVA NT
~
1l C ON SE LÈVE
bascule en avant du pelvis, Si on bloque le pelvis, on se trouve en situa tion isométrique, les forces agissant sur la musculature sans qu'aucun mouvement puisse se produire. Le mouvement ne se fera pas si les tensions des jambes empêchent la force résultante de se déplacer vers le haut, ni si les tensions du pelvis le verrouillent et empêchent toute liber té de mouvement. On peut détendre les tensions de la zone pelvienne par toute une gamme d'exercices, et par des massages des muscles contractés. On peut palper un muscle contracté, il fait l'effet d'un nœud ou d'une corde très tendue. J'espère présenter de nombreux exercices utilisés en bioé nergétique dans un ouvrage séparé, sous forme d'un manuel d'exercices bioénergétiques. Le but de ce livre-ci est de permettre une compréhen sion générale de la relation intime qui lie le corps et la personnalité. J'utilise également pour libérer le pelvis une variante du dernier exer cice, où intervient une chute . Je le décrirai ici, au cas où le lecteur aime rait l'essayer (figure ci-dessous) :
Bascule du pelvis : prendre la même positIOn que pour se lever. Suivre le même processus que dans le deuxième exercice, mais sans lais ser les genoux se raidir. On ne peut pas se lever si on garde les genoux fléchis , et on n'avance pas si les talons ne quittent pas le sol. Le seul mouvement qui reste possible sous l'action de la force résistante est la BASCULE DU PELVIS
A
l
A. PO SITION DEBOUT, POIDS PORTÉ EN AVAN T
226
B. BASC ULE : DU PELVIS ' V ERS L'AVANT
TABOU RET OU CHAISE
COUVERTURE
227
La bioénergie Au départ, on se met à côté d'un tabouret ou d'une chaise, qu'on ne touche que pour assurer son équilibre. Les pieds sont écartés de 15 cm, les genoux presque totalement fléchis. On tend le corps vers l'avant jusqu'à ce que les talons quittent légèrement le sol. Le poids du corps devrait alors porter sur les pointes des pieds, mais pas sur les orteils. On doit arquer le corps en arrière et amener le pelvis vers l'avant sans forcer, pour former une ligne en arc régulière. Pendant l'exercice, il est important de pousser en arrière sur les deux talons, sans toutefois leur laisser toucher le sol. On peut y arriver en se penchant en avant et en gardant les genoux fléchis. La pression exercée sur les talons empêche de pencher en avant, la flexion des genoux ne permet pas de se lever. On demande au patient de tenir la position aussi longtemps qu'il le peut, sans en faire une épreuve de volonté ou d'endurance. La respira tion doit être abdominale, mais légère. On ne doit pas rentrer le ventre et le pelvis doit rester souple. Lorsqu'on ne peut plus tenir la position, on tombe en avant sur les genoux, sur un tapis. Dans cet exercice, il n'est pas nécessaire d'exercer une pression constante puisque la force de la pesanteur va servir de pression dirigée vers le bas. Elle est forte, et si les muscles des cuisses sont contractés on ressentira une assez vive douleur. Lorsqu'elle devient insupportable, on tombe. En général, les jambes se mettent à vibrer avant que l'on doive tomber. De plus, si la respiration reste profonde et détendue, et qu'on ne se contracte pas, les vibrations vont gagner le pelvis qui bascule alors involontairement d'avant en arrière et vice versa. Je fais exécuter l'exer cice deux ou trois fois aux patients, car les vibrations deviennent plus fortes chaque fois. Il m'a été dit que cet exercice était très utile pour les skieurs. Les exercices sont importants parce qu'ils permettent de percevoir différemment son corps. Ils aident aussi à prendre conscience des bloca ges et des tensions, et mènent ainsi à la compréhension des peurs et des angoisses. La peur que les patients expriment le plus fréquemment est celle d'être utilisés sexuellement s'ils s'abandonnaient à leurs émotions sexuelles. On peut faire remonter cette peur jusqu'à un parent ou une figure parentale, en général du sexe opposé. « Ëtre utilisé» recouvre un large éventail de fautes, depuis avoir eu des relations sexuelles avec le parent jusqu'à avoir simplement reçu un coup ou un blâme à cause de sa sexualité. Il faut élucider la peur de l'enfant, et cela peut être fait analytiquement ou par d ' autres moyens. D ans certains cas faire l'exer cice de chute dévoile cette peur. Une jeune femme était debout sur une jambe fléchie, et regardait la 228
Tension et sexualité couverture. En pensant à la chute, elle vit l'image d'un pénis. Elle établit alors un parallèle entre sa peur de tomber et sa peur de la reddition sexuelle - à ses propres émotions. L'image du pénis lui rappela son père. Elle dit qu'il était sadique: « Il me battait et m'humiliait. Il se promenait nu dans toute la maison, sans aucun égard pour mes senti ments.» Elle était particulièrement perturbée, ajouta-t-elle, par son regard: cc Il me déshabillait du regard.» Il n'était pas nécessaire qu'elle donne davantage de détails. Je pouvais comprendre son problème et sympathiser avec elle. Elle n'avait pas eu d'autre moyen de défense que de se séparer de ses émotions sexuelles. La seule façon dont elle pouvait le faire consistait à se renfer mer dans le haut de son corps. Cela impliquait le rétrécissement du diaphragme et la contraction du ventre et du pelvis. Le résultat fut qu'elle développa une angoisse de chute. Mais l'angoisse de chute n'est pas la seule conséquence de ce type de défense. Lorsqu'on reçoit des coups ou des insultes, la réaction naturel le est la colère. Et ce n'est que lorsque la colère est bloquée ou inhibée par la peur qu'on adopte une position de défense. La colère inhibée se transforme en hostilité et en négativisme. On se sent alors coupable, et la position défensive est dirigée contre ses propres sentiments hostiles et négatifs, tout comme elle l'est contre tout nouveau coup ou nouvelle insulte. Il ne suffit donc pas de réaliser et d'accepter qu'on n'est plus vulnérable au même type de coup ou d'insulte que quand on était enfant. Cela n'affectera pas substantiellement la position défensive, puisque la défense a une autre fonction - cacher son hostilité. J'ai souligné au Chapitre III que les deux couches extérieures de la ,e rsonnalité, les défenses du Moi et la cuirasse musculaire, ont une fonction de surveillance et exercent un contrôle sur la couche émotion nelle de la personnalité ou ça. Tout névrosé, comme tout psychotique, a peur de l'intensité de ses émotions, particulièrement des émotions négati ves. J'ai expliqué qu'il est nécessaire de lal'sser éclater ces é~otions ou de les exprimer pour que le noyau central d'amour puisse Circuler librement et totalement vers le monde. Cela devrait être fait en situation thérapeutique, pour empêcher toute actualisation de ces ~mot~ons sur des personnes innocentes. Encourager l'expression de ces ~mot.lOns, ch aque fois qu'elle est appropriée à la situation thérapeutique Immediate, est une pratique bien établie en thérapie bioénergétique. Cel~ était évidemment vrai pour la patiente que je viens de décrire, qui avaIt ressenti Son père comme sadique et humiliant. Avant de nous attenpre à ce qu'elle puisse s'abandonner de façon positive à ses
229
La bioénergie émotions sexuelles, il fallait lui permettre de s' abandonner à leur aspect négatif. Il faut admettre que n'importe quelle femme ayant subi un trauma semblable à celui de cette patiente a envers les hommes des émotions ambivalentes. En tant que jeune fille et que femme, elle aime les horrmes, y compris son père, mais en tant qu'enfant blessée et humiliée par un homme, elle les déteste tous. Dans une partie de sa personnalité elle aimerait leur faire ce qu'ils lui ont fait - les blesser et les humilier. Elle n'osait pas exprimer de telles émotions quand elle était enfant, et elle n'ose toujours pas le faire maintenant qu'elle est adulte. Elle sait au ssi que de tels sentiments sont tout aussi destructeurs pour n'importe quelle relation qu'ils l'ont été pour elle. Cela l'enferme dans une impas se difficile, dont la thérapie doit l'aider à se libérer. Le seul moyen de réaliser cela est de fournir une issue à ses sentiments négatifs. Il existe plusieurs exercices appropriés. L'un d'entre eux consiste à donner à la patiente une serviette éponge qu'elle puisse tordre dans ses mains. La serviette peut représenter n'importe qui. Dans ce cas, cela peut être le père, son ami du moment, ou moi, un autre représentant du sexe mâle abhorré. En tordant la serviette, la patiente peut dire tout ce qu'elle aurait aimé ou aimerait dire à son père ou à n'importe quel autre homme « Tu es un salaud. Je te déteste. Tu m'as humiliée et je te mépri se. Je voudrais te tordre le cou, tu ne pourrais plus me regarder de cet air lubrique.» Il est évident que la serviette peut aussi représenter le pénis. En la tordant elle peut libérer une bonne partie de son hostilité contre cet organe. L'exercice ne doit pas être utilisé de façon routinière. Il n'a de valeur que quand il suit la révélation par la patiente d'une expérience traumati que. Il n'est pas nécessaire que cette expérience soit sexuelle . On peut utiliser cet exercice pour libérer tout sentiment d'ho stilité ou de colère naissant de n' importe quelle blessure ou insulte. Yoici un exercice spécifiquement sexuel, qui peut être plus approprié dan s le contexte présent: la patiente se met sur un lit, sur les coudes. et les genoux, et enfonce ses orteils dans le matelas. C'est la position habi tuelle de l'homme pendant les rapports sexuels. Le patient, homme ou femme, frappe le pelvis contre le lit, d'un mouvement violent. On peut l'accompagner ou non d'expressions vocales. Si l'on émet des mots, ils seront nécessairement méprisables, sadiques, blessants et vulgaires. Quand un patient se laisse aller pendant un tel exercice, il ressent une forte impression de détente. Il a réussi à exprimer ses émotions négati ves, de façon qui n'a été destructrice ni pour lui-même ni pour a~trui.
230
Tension et sexualité La vulgarité est appropriée, car l'acte avait pour but de dégrader l'autre, mais on se sent propre, comme si on venait de se laver les mains. L'im pression nette qui suit est la colère, une franche colère envers la person ne qui a causé la blessure. Cette colère peut alors s'exprimer en frap pant le lit avec une raquette de tennis. Frapper n'est ni une dégradation ni un mode de punition. Cela affirme le droit du patient à être respecté en tant qu'individu et renforce son respect de lui-même. Nul ne peut se respecter s'il ne peut pas se mettre en colère ni faire face aux insultes ou aux blessures qu 'on lui inflige. L'angoisse de chute diminue chaque fois qu 'on libère un sentiment hosti le ou négatif. Cela reste vrai de toute expression valable de la colè re. Mais on ne peut éliminer l'angoisse de chute au moyen de ces seules manœuvres. Elle existe alors de son propre chef, peur à laquelle on doit se confronter et à qui l'on doit faire face. On ne peut apprendre à tomber sans ango isse au moyen de mots, mais seulement en le faisant. Et, au cours de ce processus, on apprend aussi à défendre le respect de soi-même et de sa sexualité vis-à-vis de tous , y compris le thérapeute. Je dois ajouter que tout exercice ne libère pas seulement les émotions refoulées, mais aussi les tensions musculaires. Tomber libère les jambes de la tension provoquée par l'obligation de se tenir debout par peur. Balancer le pelvis (ce que nous faisons faire vers l'arrière pour détendre les tensions musculaires associées au sadisme anal refoulé) diminue les tensions musculaires des hanches et de la ceinture pelvienne. Tordre la serviette et fr apper le lit ont des effets semblables sur d'autres parties du corps. C e sont des exercices typiques d'expression de soi. Ce ne sont pas les seuls que nous utilisions en bioénergétique, et ils ne se limitent pas aux émotions négatives, hostiles, coléreuses . Se tendre vers le contact, toucher tendrement et tenir servent à exprimer l'affection et le désir. Au prochain chapitre, je traiterai de la nature de l'expression de soi et je décrirai certains des moyens par lesquels nous traitons les problèmes d'expression de soi. Ma is il faut placer ici, en conclusion, deux commentaires . . L'accent mis sur l'expression des émotions négatives se fonde sur un fait cl.inique : si on ne pe ut pas dire non, on ne peut pas dire oui. Il est donc Important d'être capable d'exprimer une émotion hostile ou colé r~use, quand il est approprié de le faire. Je suis entré dans les implica tions philosophiques de ce point de vue dans mon ouvrage Pleasure : a Creative A pp roach to Life. Il serait irréaliste de concevoir que la persQpnalité hum aine est seulement positive par nature. Elle est positive
231
La bioénergie envers la vie, mais négative envers « l'anti-vie». Mais certains s'em brouillent et prennent l'une pour l'autre. Ces forces existent toutes deux dans l'univers, et il serait naïf de penser autrement. Si nous pouvons les distinguer, alors le négativisme a la place qui lui convient dans le comportement humain. L'emphase apparente portée sur l'expression physique pourrait pous ser le lecteur à croire que les mots n'ont pas d'importance dans la théra pie bioénergétique. Cela n'est certainement pas vrai de mes propres travaux, et je parlerai du rôle des mots au dernier chapitre. Je ne crois pas que nous mettions trop d'emphase sur l'expression physique. J'in siste dessus dans cet ouvrage parce qu'elle est ignorée dans. la plupart des autres thérapies. Les mots ne peuvent remplacer un mouvement du corps, et d'ailleurs un mouvement du corps n'équivaut pas au langage. Chacun a sa place, dans là thérapie comme dans la vie. Un bon nombre de mes patients ont des difficultés à s'exprimer de façon satisfaisante par leur langage. Comme tout autre thérapeute, je travaille ce problème avec eux. Mais tous mes patients ont des difficultés à s'exprimer totale ment au niveau du corps, et ce problème est le centre d'intérêt principal de la bioénergétique. Je me suis également aperçu que le problème du corps soutient le problème verbal, bien qu'il ne lui soit pas identique. Il est plus simple de parler avec facilité de la sexualité que de la vivre faci lement.
CHAPITRE IX
Expression de soi et survie
Expression de soi et spontanéité On appelle expression de soi les activités physiques libres, naturelles et spontanées; elle constitue, comme l'autodéfense, un caractère inhé rent à tous les organismes vivants. Toute activité physique contribue à l'expression de soi, de la plus terre à terre, comme manger ou dormir, à la plus élaborée, comme chanter ou danser. La façon de marcher, par exemple, ne définit pas seulement un être humain (aucun animal ne marche comme l'homme) mais aussi son sexe, son âge approximatif, sa structure caractérielle et son individualité. Il n'existe pas deux person nes marchant exactement de la même façon, ayant exactement la même apparence, se c'omportant exactement de la même façon. On s'exprime par tout acte qu'on accomplit, par tout mouvement de son corps. Les actes et les mouvements ne sont pas les seules modalités de l'ex pression de so i. La forme et l'allure du corps, son teint, les cheveux, les yeux, les sons identifient l'espèce et l'individu. Nous reconnaissons un lion ou un cheval d'après un dessin: aucun acte ni mouvement n'est impliqué dans ce cas. On peut même reconnaître un cheval donné d'après un dessin, si on le connaît, tout comme on peut reconnaître une personne sur un dessin. Les sons et les odeurs identifient également à la fois l'espèce et l'individu. J?'.a?rès cet.te définition, l'expression de soi n'es~ en général pa~ une actlVlte consciente. Nous pouvons nous exprimer de façon consciente, ou être conscients de nous exprimer. Mais, que nous en soyons conscients ou pas, nous exprimons ce que nous sommes tout le temps. Deu« points importants découlent de cela. Le premier est que le Soi ne
233
La bioénergie se limite pas au Soi conscient et n'est pas identique au Moi. Le second est que nous ne sommes pas obligés de faire quoi que ce soit pour nous exprimer. Nous faisons une impression tout simplement parce que nous existons, et cette impression est parfois plus forte quand nous ne faisons rien que quand nous essayons de nous exprimer. Dans ce dernier cas, nous risquons de donner l'impression que nous recherchons désespéré ment la considération. Et l'expression de soi peut être limitée par la conscience de soi. La caractéristique essentielle de l'expression de soi est la spontanéité, et non la conscience de soi . Abraham Maslow dit dans un article non publié, The Creative A tlitude : « Une totale spontanéité est la garantie de l'expression sincère de la nature et du style d'un organisme fonction nant librement, et de son unicité. Les deux mots, spontanéité et caractè re expressif, impliquent l'honnêteté, le naturel , la sincérité, le manque d'artifice, la non -imitation, etc., parce qu'ils impliquent également le caractère non instrumental du comportement, le manque de volonté d'impressionner, l' absence d'une pulsion ou d'une recherche laborieuse, l' absence d'interférences avec la circulation des impulsions et l'expres sion libre qui rayonne de la personnalité en profondeur. » Il est intéressant de noter qu'on doit définir la spontanéité en termes négatifs, comme « manque de volonté d'impressionner », « absence d'ar tifices», « absence d'interférences». On ne peut enseigner la spontanéité. On n'apprend pas à être spontané, et la thérapie ne peut donc pas l'en seigner. Comme le but de la thérapie est d' aider quelqu' un à devenir plus spontané et à mieux s'exprimer, ce qui le mène à une meilleure perception de lui -même, le comportement thérapeutique devrait être conç u pour écarter les barrières ou les blocages qui entravent l'expres sion de soi. Il est donc obligatoire de comprendre quels sont ces bloca ges . Cela représente à mes yeux l'approche bioénergétique au problème de l'inhi bition de l'expression de soi. Comparer un comportement spontané à un comportement appris rend plus clair le lien entre le premier et l'expression de soi. Un compor tement acquis reflète en général ce qu 'on a appris et devrait donc être considéré comme une expression du M oi ou du Sur-moi , mai s non du Soi . Mais on ne peut pas appliquer rigoureusement cette distinction, parce que la plupart des comportements comprennent à la fois des éléments appris et des éléments spontanés. La parole en est un bon exemple. Les mots que nous utilisons sont des réponses acquises, mais les propos sont davantage que des mots ou des phrases - ils compren nent l'inflexion, le ton, le rythme et les gestes, qui sont en grande partie
234
Expression de soi et survie spontanés et spécifiques du narrateur. Tous ces éléments colorent les propos et ajoutent à la richesse de l'expression. Par ailleurs , nul ne se prononcera en faveur de propos déformant la signification habituelle des mots et ignorant les règles grammaticales au nom de la spontanéité. La spontanéité dégagée du contrôle du Moi n'est que chaos et désordre, bien que l'on puisse parfois trouver un sens au babillage des bébés ou aux grom mellements des schizophrènes. Un équilibre heureux entre le contrôle du Moi et la spontanéité doit permettre aux impulsions de s'ex primer sous leur forme la plus efficace, tout en restant fortement impré gnées de la vie de l'individu. Alors que l'acte spontané constitue l'expression directe d'une impul sion et représente donc une manifestation directe du Soi intérieur, toutes les actualisations impulsives ne sont pas des expressions du Soi. Le comportement réactionnel a un aspect spontané trompeur, car il est conditionné et prédéterminé par une expérience antérieure. Ceux qui piquent une colère chaque fois qu 'ils sont frustrés peuvent donner l'im pression d'agir spontanément, mais cela est démenti par le caractère explosif de leur réaction. L'explosion naît du blocage des impulsions et de j'accumulation de l'énergie derrière ces blocages, dont elle se libère pour des provocations mineures. Le comportement réactionnel naît d'une « interférence avec la circulation des impulsions» et constitue l'ex pression d'un état de blocage de l'organisme. Mais il faut encourager de telles réactions explosives, à l'intérieur d'un cadre thérapeutique contrôlé, pour permettre de dissoudre ces blocages profondément struc turés. On critique parfois la bioénergétique à cause de cette position . De nom breux thérapeutes présument avec naïveté que la violence n'a pas de place ratio nnelle dans le comportement humain. Je me demande comment ils réagiraient si on menaçait leur vie! Cette menace a pesé sur beaucoup de mes patients lorsqu 'ils étaient jeunes. Il est hors de propos de se demander si cette menace aurait été ou non mise à exécu ti~m. Les jeunes enfants ne sont pas aptes à faire cette distinction. Leur reaction immédiate et réellement spontanée est une réaction de violence. ~rsque cette réaction est bloquée ou inhibée par peur des représailles, l'etat intérieur nécessaire à un comportement réactionnel s'établit. Ce b~ocag.e ne peut pas se dissoudre par ,la réassurance et l'amour, mais necesslte que la réassurance et l' amour aillent dans le sens du droit du patient à décharger sa violence dans les procédures contrôlées de la thérap ie, et Don en l' actualisant dan s sa vie quotidienne. ~a clé de l'express ion de soi est le plaisir. Chaque fois que nous nous
235
Expression de soi et survie
La bioénergie exprimons réellement, nous ressentons un plaisir qui peut être modéré ou extatique, comme dans les rapports sexuels. Le plaisir de l'expres sion de soi ne dépend pas de la réaction de l'environnement; l'expres sion de soi est agréable en elle-même. Je demande au lecteur de penser au plaisir qu'il éprouve quand il danse pour réaliser à quel point le plai sir dû à l'expression de soi est indépendant des réactions d'autrui. Cela ne signifie pas qu'une réaction positive à l'expression de soi soit dépour vue de valeur. Notre plaisir est augmenté ou diminué par les réactions d'autrui. Mais il n'est pas créé par ces réactions. On ne pense pas aux autres quand on chante sous la douche, et c'est pourtant une activité où l'on s'exprime et qui est agréable. Chanter est une façon naturelle de s'exprimer, comme danser. Mais cela perd un peu de cette caractéristique lorsque cela devient une repré sentation - c'est-à-dire lorsqu'il manque une partie de l'impulsion spontanée à chanter. On peut tirer de la représentation une satisfaction du Moi, mais si la part de spontanéité est faible, le plaisir en est diminué d'autant. Heureusement, ce type de représentation laisserait l'assistance assez froide et ne tendrait donc pas à être répété. Cela reste vrai de la danse, de la conversation, de l'écriture, de la cuisine, ou de n'importe quelle autre activité. Le défi qui se pose à l'artiste est d'arriver à mainte nir la haute qualité des représentations sans perdre la sensation de spontanéité qui donne à ses activités un caractère vivant et agréable. Dans les situations où on peut se montrer libre et spontané sans accorder aucune pensée consciente à l'expression, on ressent un plaisir très fort. C'est ce qui caractérise les jeux des enfants. On retrouve dans la plupart de nos actes un mélange de spontanéité et de contrôle, le contrôle servant à mieux centrer l'action et à la rendre plus efficace. Lorsque le contrôle et la spontanéité s'harmonisent de telle sorte que chacun complète l'autre au lieu de l'entraver, le plaisir est supérieur. D ans de tels actes, le Moi et le corps travaillent de concert pour arriver à un degré de coordination du mouvement qu'on peut qualifier de grâce. Nous prenons plaisir à la bonne apparence de notre corps parce qu'il exprime ce que nous sommes. Nous envions une personne à la belle chevelure, aux yeux brillants, aux dents blanches, au teint clair, qui se tient bien, qui a des manières gracieuses, etc. Nous sentons que ce sont des sources de plaisir pour elles, et que ce le serait pour nous. L'une des thèses bioénergétiques est que la santé et la vitalitç du corps se reflètent dans son apparence. Une apparence agréable va de pair avec des sensa tions agréables. La spontanéité est une fonction de la motilité du corps. Un corps
236
vivant n'est jamais complètement au repos, même lorsqu'il dort. Natu rellement les fonctions vitales ne s'arrêtent jamais, mais en outre de nombreux mouvements involontaires se produisent pendant le sommeil. Ils sont plus fréquents quand on est réveillé et actif. Ils varient en carac tère et en intensité avec le degré d'excitation. On sait que les enfants arrivent à s'exciter au point de bondir littéralement. Chez les adultes, ces mouvements involontaires constituent la base des gestes, des expres sions du visage et autres mouvements du corps. En général, on n'a pas conscience de ces activités par lesquelles on exprime le Soi bien davan tage que par des actes conscients. Il s'ensuit donc que plus la motilité de l'organisme est grande, plus il sera expressif. La motilité du corps est en relation directe avec son niveau d'énergie. Il faut de l'énergie pour bouger. Lorsque le niveau d'énergie est bas ou affaibli, la motilité diminue forcément. Une ligne directe relie l'énergie à l'expression de soi. Énergie -+ Motilité -+ Impressions -+ Spontanéité -+ Expression de soi. Cette séquence est tout aussi valable dans l'autre sens. Si l'expression de soi est bloquée, la spontanéité est diminuée. La diminution de spontanéité abaisse la tonalité émotionnelle, ce qui décroît alors la motilité du corps et affaiblit son niveau d'énergie. Adolf Portmann, l'un des principaux biologistes s'intéressant à l'expression de soi chez les animaux, en arrive à une conclusion similaire à partir de ses SOI
PERSONNALITÉ
VIE INTÉRIEURE
EXPRESSION DE SOI
237
La bioénerg,ie études: cc La richesse de l'existence intérieure... dépend en grande partie... du degré d'établissement du Soi qui va de pair avec la richesse de l'autoexpression.» La phrase de Portmann suggère une interrelation de trois éléments de la personnalité: vie intérieure, expression de soi et le Soi. Je les ai représentés comme les trois sommets d'un triangle, tous trois nécessaires pour lui donner sa forme. Lorsque l'expression de soi est bloquée ou limitée, on peut compen ser cela en projetant une image du Moi. La façon la plus fréquente de le faire consiste à utiliser le pouvoir, et le meilleur exemple de cette projec tion fut Napoléon. En vieillissant, il se rapetissa, la tête s'enfonçant dans les épaules. On l'appelait cc le petit caporal», mais son image était immense pour l'Europe. Il était empereur et exerçait un pouvoir autori taire. Je ne peux interpréter le besoin d'un tel pouvoir que comme le reflet d'un sentiment d'infériorité au niveau du Soi et de l'expression de soi. Si Napoléon avait pu danser et chanter, il n'aurait sans doute pas eu besoin de faire défiler ses armées dans l' Europe pour gagner une perception de soi que je doute qu' il ait jamais réussi à obtenir. Le pouvoir ne peut qu'agrandir l'image, et non l'importance du Soi. Un autre exemple de compensation se trouve chez celui qui a besoin d'avoir une grande maison, une voiture chère, ou un grand bateau pour surmonter une impression de petitesse intérieure . C'est son domaine d'expression de soi qui est petit. Il peut être riche d'argent, car telle est son ambition, mais il reste pauvre dans sa vie intérieure (spirituelle) et dans ses moyens de s'exprimer. En bioénergétique nous nous centrons sur trois des principales voies d'expression de soi: le mouvement, la voix et le regard. Normalement, on s'exprime simultanément par chacune de ces voies de communica tion. Par exemple si on est triste, les yeux pleurent, la voix est entrecou pée et le corps peut trembler. De même, la colère s'exprime par des mouvements du corps, des sons, des regards. Se séparer de n'importe laquelle de ces voies ou la bloquer affaiblit l'émotion et son expressîon, et la brise. Dans les pages précédentes, j'ai parlé des nombreux exercices et des divers moyens que nous utilisons pour réduire les tensions musculaires et libérer la motilité. Je voudrais dire ici un mot de certains des mouve ments expressifs utilisés en thérapie dans le même but. Nous faisons donner des coups de pied, frapper le matelas, se tendre vers un contact, y compris le toucher, suçer, mordre, etc. Peu de patients sont capables d'exécuter ces mouvements avec grâce et émotion. Leurs actes sont soit mal coordonnés, soit explosifs. Ils peuvent rarement combiner ces
238
Expression de soi et survie mouvements avec les émissions vocales appropriées et les regards qui les rendraient plus expressifs. Les blocages de ces mouvements expres sifs réduisent la motilité du corps et la spontanéité de l'individu. On ne peut se libérer de ces blocages qu'en travaillant sur ces mou vements. Donner des coups de pied est un bon exemple. Donner un coup de pied signifie protester. Comme on a refusé à la plupart des enfants le droit de protester, une fois devenus adultes, ils ne peuvent pas donner des coups de pied avec conviction ou de façon vraiment efficace. Ils ont besoin de provocations pour accomplir cette action de façon explosive. En l'absence de provocation, leurs coups de pied sont donnés au petit bonheur et mal coordonnés . Ils disent parfois: cde ne sais pas sur quoi taper à coups de pied. » Mais c'est une dénégation, car nul n'entrepren drait une thérapie si son existence ne contenait aucun sujet de protesta tion. Donner des coups de pied dans le lit, une jambe après l' autre, jambes tendues, constitue un fouettement qui, s' il est bien fait, fait participer l'ensemble du corps. Les tensions de n'importe quelle partie du corps interfèrent sur le caractère de ce fouettement. Il se peut, par exemple, que les jambes bougent mais que la tête et le torse restent immobiles. Dans ce cas, le mouvement des jambes est forcé et il n'y a pas sponta néité. On dit que le patient a peur de cc se laisser aller» à l'action. Bien qu'elle ait commencé de façon volontaire, si on s' y laisse aller elle prend un caractère spontané et involontaire et devient agréable et satisfaisan te. Utiliser la voix, par exemple dire non en tapant du pied, ajoute à la participation et à la détente. C'est vrai pour donner des coups de pied, et cela le reste pour tous les autres mouvements expressifs mentionnés ci-dessus. Je me suis aperçu qu' il était nécessaire que les patients répètent plusieurs fois les exercices comme donner des coups de pied, frapper , mordre, toucher pour que l'émotion arrive à s'écouler librement dans l'action. Chaque fois qu'ils donnent un coup de pied, ou qu'ils frappent le lit, ils apprennent à s'abandonner plus complètement au mouvement, permettant à une plus grande partie de leur corps de sentir l'action . Dans la plupart des cas, il est nécessaire de souligner au patient la faç~n dont il se retient de s'abandonner au mouvement. Par exemple, le patient tend ses mains vers moi tout en se retenant au niveau des épau les, sans qu'il soit conscient d' inhiber son geste avant que je le lui fasse rem~rquer. Frapper le lit, soit avec les poings, soit avec une raquette de tenOl~ , est un acte relativement simple, et pourtant peu de patients arri ve~t a le faire bien. Ils ne s'étirent pas assez, ils n'arquent pas le dos, ils
239
Expression de soi et survie
La bioénergie verrouillent leurs genoux, et tout cela les empêche de participer totale ment à l' action. Naturellement, frapper était un tabou pour la plupart des enfants. Ecarter psychologiquement le tabou dans le présent ne sert pas à grand-chose puisqu'il s'est structuré dans le corps sous forme de tension chronique. Mais avec la pratique, les coups deviennent mieux coordonnés et plus efficaces, et les patients commencent à éprouver du plaisir à faire cet exercice - signe qu'ils ont dégagé une nouvelle voie de l'expression de soi. J'ai toujours pensé que la thérapie nécessite une double approche l'une centrée sur le passé et l'autre centrée sur le présent. Le travail sur le passé est la partie analytique, qui insiste sur le p ourquoi du compor tement, des actes et des mouvements de l'individu . Le travail sur le présent insiste sur le comment, comment on agit et comment on bouge. La coordination et l'efficacité des actes et des mouvements sont pour la plupart des animaux des caractères acquis, appris pendant les jeux de l'enfance. Mais lorsqu'un enfant a des problèmes émotionnels, cet apprentissage n'est pas total , ni naturel. Toute thérapie implique donc, dans certaines limites, un programme de réapprentissage et de réentraî nement. A mon avis, la thérapie ne doit pas être soit un processus d'analyse, soit un processus d' apprentissage mais une judicieuse combi naison des deux .
Son et personnalité Le mot « personnalité » dérive de deux racines. La première vient de persona qui se réfère au masque que portait l'acteur pendant une pièce, qui définissait son rôle. En ce sens la personnalité est donc conditionnée par le rôle qu'on assume d ans l'exi stence ou par le visage qu 'on présente au monde. La seconde signification est à l'opposé de la première. Si nous scindons le mot « persona » en ses composantes per sona, la phrase que nous obtenons signifie « par le son ». D'a près cette signification la personnalité se reflète dans les sons que l'on émet. Le masque est un objet dépourvu d'existenèe, il ne peut transmettre le caractère vibratoire d'un organisme comme le fait la voix. On pourrait dire : « Si vous voulez connaître quelqu' un , ne faites pas attention à son masque, mais écoutez sa voix. » C 'est un assez bon conseil. La voix ne nous permet pas toujours de savoir le rôle que quel qu'un a adopté, bien qu'elle le fasse souvent. Il y a des façons spécifi ques de parler, qu 'on peut identifier à des rôles. Les prédicateurs, les 240
professeurs, les fonctionnaires et les sergents de ville ont des façons de parier caractéristiques qui les identifient à leur profession ou leur voca tion . Le masque influence et modifie la voix. Mais certains éléments de la voix ne sont pas toujours touchés par le masque, ils nous donnent d ifférentes in formations sur la personnalité. Je ne me demande même pas si la richesse de la voix constitue une richesse de l'expression de soi et dénote la richesse de la vie intérieure. Je crois q ue c'est quelque chose que nous ressentons tous à propos de quelq u'un et que cette perception est valable, même si elle n'est pas soutenue par des études objectives. Qu'entendons-nous par la richesse de la voix ? Le facteur essentiel est la présence d'harmoniques graves et aigus qui do nnent au son sa plénitude. La gamme de tons est un autre facteur. Si q uel qu' un parle d'une voie monotone, sa gamme d'expres- . sion est très limitée, et nous tendons à mettre cela en parallèle avec une personnalité lim itée. La voix peut être plate, manquer de profondeur ou de réso nan ce, elle peut être basse, comme si elle manquait d'énergie, ou elle peut être ténue et sans corps. Chacune de ces caractéristiques a certaines relat ions avec la personnalité de l'individu. La vo ix est si étroitement liée à la personnalité qu 'on peut établir un diagnostic de névrose à partir de son analyse. Je recommande à quiconque souha ite comprendre la relation entre la voix et la personna lité de lire attentivement l'ouvrage de Paul Moses The Voice of Neuro sis l • L'étude de la vo ix a progressé au point qu'on l'utilise dans la détec tion de men so nges. Le procédé est plus subtil que pour le détecteur de mensonges basé sur les réflexes psychogalvaniques de la peau, mais les mêmes principes opèrent dans les deux cas . Lorsqu'on émet un menson ge, la vo ix a une platitude qui peut être détectée par un appareil. Cette platitude, différenciée de la voix normale, indique qu'il y a blocage ou rétention de l'impulsion à dire la vérité. On appelle ce nouvel appareil de détection de mensonges un P.S.E. ou Psychological Stress Evaluator . Allan D . Bell, président de la socié té qu i commercialise l'appareil, décrit ainsi son fonctionnement: « Les mUscles d u corps hum ain ont des vibrations physiologiques naturelles, q.ui se produ isent sans interruption lorsqu'on les utilise. Mais la quanti te de vibrati ons di minue sous l'effet d ' une tension. Les muscles vocaux présentent eu x aussi ces vibrations, et sont affectés de la même façon par la tensio n. En utilisant l'équipement électronique que nous avons conçu, on peut examiner un enregistrement sur bande de la voix , et voir 1. Pau l M. Moses, The Volee 01 N eurosis (N ew York, Grune et Stratton, 1954). ~
241
La bioénergie ce qui arrive à ces vibrations . La quantité de vibrations est inversement proportionnelle à la quantité de tension dont témoigne la personne testée. » Les tremblements et les vibrations sont équivalents. L'absence de vibrations dénote une tension ou une rétention, que ce soit au niveau du corps ou au niveau de la voix. La relation est la suivante: tension = ré tention = diminution des vibrations = platitude de l'affection ou de l'émotion. Je ne fais pas autorité sur la voix, mais en tant que psychiatre je lui accorde une grande attention au cours de mon travail avec mes patients. Je ne m'en sers pas seulement au niveau du diagnostic, au mieux de mes aptitudes, mais aussi au niveau thérapeutique. Si quel qu'un veut retrouver son plein potentiel d'expression de soi, il est impor tant pour lui de regagner la totale utilisation de sa voix, dans tous ses registres et dans toutes ses nuances émotionnelles. Le blocage de n'im porte quelle émotion en affecte l'expression vocale. Il est donc nécessai re de débloquer les émotions, ce dont nous parlons depuis le début; mais il est également nécessaire de travailler spécifiquement sur l'émis sion des sons pour éliminer les tensions qui existent autour de l'appareil vocal. Pour comprendre le rôle joué par la tension dans les troubles de l'émission vocale, il nous faut considérer chacun des trois éléments qui participent à la création du son . Ce sont: la circulation d'air sous pres sion qui agit sur les cordes vocales en les faisant vibrer; les cordes vocales, qui fonctionnent comme un instrument à vent; et les cavités de résonance qui amplifient le son. Les tensions qui interfèrent avec la respiration, tout particuliérement celles de la région du diaphragme, vont se refléter par une déformation quelconque de la qualité de la voix. Par exemple, quand le diaphragme est pris de spasmes, en cas d'angois se grave, la voix devient chevrotante. Les cordes vocales sont en général dépourvues de tensions chroniq ues, mais elles peuvent être affectées par une tension violente et s'enrouer. Les tensions du cou et de la muscula ture du gosier, qui sont assez fréquentes, affectent la résonance de la voix, ce qui produit soit une voix caverneuse, soit une voix de tête. La voix naturelle est une combinaison de ces différents tons, qui peut varier et qui dépend de l'émotion mise en jeu. Une telle combinaison représen te une voix équilibrée. Le manque d'équilibre de la voix indique à l'évidence un problème de personnalité. Moses décrit deux cas qu'il a traités et que je citerai parce qu'il en parle en oto-Iaryngologiste : « Un patient âgé de vingt-cinq ans
242
Expression de soi et survie parlait d'une voix enfantine et haut perchée, ce qui l'embarrassait beau coup. Ses cordes vocales étaient parfaitement normales, avec un timbre de bon baryton, et il avait d'ailleurs une voix de baryton quand il chan tait. Mais il continuait à parler d'un ton de fausset. Un autre patient, jeune juriste, se plaignait d'enrouement chronique. Trop de basses inter venaient dans l'émission vocale. Ce jeune juriste avait un père, person nage éminent, qui jouait un rôle décisif dans la vie du comté, et le fils devait vivre conformément à un idéal élevé. D'où le ton forcé, pour créer une illusion destinée à cacher son manque de succès dans l'iden tification à l'image de son père. On pouvait de la même façon relier la voix de fausset de l'autre patient à sa façon de se cacher dans les jupes de sa mère 1.» Moses ne décrit pas la façon dont il a traité ces problèmes, mais nous pouvons voir à ses remarques qu'il se livrait à une certaine analyse de l'arrière-plan familial du patient. « Dans les deux cas, il leur fallut repar courir les étapes, réapprendre les leçons de leur jeune âge.» Je suis certain que tout analyste ou thérapeute pourrait puiser dans sa pratique personnelle de nombreux cas où la réussite de la perlaboration d'un problème de personnalité a été suivie d'un enrichissement de la voix. John Pierrakos a décrit l'une des méthodes qu'il emploie dans son travail bioénergétique sur les blocages de la voix, pour les ouvrir et libé rer les émotions refoulées qu 'ils cachent. « L'une des façons d'aborder directement ces problèmes consiste à placer le pouce de la main droite à deux centimètres au -dessous de l'an gle de la mâchoire, et le médius de l'autre côté du cou, en position correspondante. On tient ainsi le scalène et le sterno-cléido-mastoïde, et on y applique une pression ferme pendant que le patient fait des vocali ses de ton assez haut. On répète le processus plusieurs fois, au milieu et en bas du cou, en faisant varier le registre de la voix. ,Cela conduit SOuvent à un hurlement déchirant, qui se termine en profonds sanglots et où l'on perçoit une réelle participation émotionnelle et un abandon émotionnel. La peine s'exprime par des mouvements cloniques et tout le corps tremble d'émotion. La voix devient vivante et vibrante, et les blocages du gosier s'ouvrent. Il est souvent très surprenant de découvrir ~e qui se cache derrière la façade stéréotypée de l'ancienne voix. Une Jeune femme à la voix haut perchée d'adolescente, qui jouait le rôle de la petite fille avec son père, s'effondra et reprit une voix féminine, mûre et mélodieuse. Un homme à la voix plate et sèche changea de registre 1. Ibid., p. 47. \,
243
La bioénergie après cette détente pour retrouver une profonde voix masculine, qui défiait son "oppresseur de père". Je fus profondément ému par une patiente schizoïde qui se cachait derrière une voix sèche, au son sinistre, et qui, après que les blocages du gosier se furent ouverts, se mit à chan ter un petit air mélodieux et poignant, comme une petite fille de six ans l .» Le lien si étroit de la voix avec les émotions implique qu'il faut mobi liser les émotions refoulées pour les libérer, et arriver à les exprimer par le son. Il existe différents sons, correspondant à différentes émotions. La peur et la terreur s'expriment par un hurlement, la colère par une voix forte et dure, la tristesse par une voix basse et entrecoupée, le plai sir et l'amour par des sons doux et roucoulants. On peut dire de façon générale qu'une voix très haut perchée indique un blocage du registre des basses qui exprime la tristesse; une voix basse et profonde indique qu'on refuse la peur et qu'on inhibe son expression par le hurlement. Mais on ne peut pas affirmer que quelqu'un dont la voix semble équili brée ne limite pas son expression vocale. Cet équilibre peut représenter pour lui un contrôle et la peur de se laisser aller en exprimant de fortes émotions. En thérapie bioénergétique, on met constamment l'accent sur l'émis sion de sons. Les mots sont moins importants, bien qu'ils ne soient pas dépourvus d'importance. Les meilleurs sons sont ceux qui émergent spontanément. Je décrirai deux des procédés qui peuvent les évoquer. Tout bébé nait avec l'aptitude à crier. C'est l'acte qui établit la respi ration indépendante chez le nouveau-né. La force de ce premier cri est en quelque sorte une mesure de la vitalité du nourrisson; certains crient vigoureusement, d'autres faiblement, mais la plupart des bébés appren nent vite à crier bruyamment. Peu de temps après leur naissance, ils développent aussi l'aptitude à hurler. Le hurlement est l'une des princi pales formes de libération de la tension, que celle-ci soit due à la peur, à la colère ou à une intense frustration. La plupart des gens hurlent dans ce but. Il y a quelques années, je participai à une émission publique, à Boston. L'un des auditeurs me téléphona pour me demander comment surmonter ses difficultés à parler en public. Bien que je ne connaisse pas la cause de son problème, il fallait que je lui donne des conseils, et je lui suggérai de pousser des hurlements. Je savais que cela ne pouvait que 1. John C. Pierrakos, The Voice and Feeling in Self-Expression (New York , Insti tute for Bioenergetic Analysis, 1969), p. Il.
244
Expression de soi et survie l'aider. Le meilleur endroit pour hurler est une automobile, sur une route à grande circulation, vitres remontées. Le bruit de la circulation est si fort que personne ne risque d'entendre. Lorsque j'eus fini de faire cette suggestion, je reçus un autre coup de téléphone. Il venait d'un auditeur qui écoutait le programme. Il me dit qu'il était vendeur et qu'à la fin de la journée il se sentait tendu et contracté à cause de son travail. Il ne voulait pas rentrer chez lui dans cet état. Le meilleur moyen de se soulager qu'il avait trouvé consistait à hurler dans sa voiture. Il dit que cela l'aidait beaucoup, et qu'il était surpris que personne d'autre n'y ait pensé. Depuis lors, plusieurs personnes m'ont déclaré avoir employé cette technique avec des résultats similaires. Malheureusement, la plupart des gens sont incapables de hurler. Leur gorge est trop contractée pour permettre au hurlement de sortir. On peut palper les muscles des deux côtés de la gorge, qui sont extrême ment contractés. On peut libérer cette tension et provoquer un hurle ment en exerçant une pression sur ces muscles, spécifiquement sur les scalènes antérieurs, de chaque côté du cou. Comme nous l'avons vu plus haut, c'est ce que faisait Pierrakos, mais c'est tellement important que je vais également décrire la façon dont je le fais. Le patient est allongé sur le lit, et je lui demande d'émettre un son bruyant. J'applique alors sur ses muscles une pression modérée avec le pouce et le médius. La douleur initiale est en général assez forte pour que le patient ait un choc et se mette à hurler, surtout parce qu'il est déjà en train d'émettre un son bruyant. Le ton monte spontanément, et le hurlement sort. Curieusement, le patient ne ressent aucune douleur quand il hurle, bien que la pression continue. Le hurlement dure souvent bien après que j'aie enlevé mes doigts. Si le patient ne hurle pas, j'arrête la pression puisque la rétention du hurlement ne ferait que s'intensifier. Bien que ce procédé soit fort efficace pour produire un hurlement, il ne libère pas toutes les tensions de la bouche et de la gorge qui affectent l'émission de la voix. Lorsque la voix ne subit pas de contrai ntes, elle part du cœ ur. On parle alors de tout son cœur. Cela signifie que les c.a naux de communication entre le cœur et le monde sont dégagés et que n~n ne les obstrue. Si nous examinons ce canal du point de vue anato mique, nous trouvons trois zones où les tensions chroniques peuvent former des anneaux de constriction qui rétrécissent le canal et empê c?ent une émotion de s'exprimer totalement. L'anneau le plus superfi Ciel peut se former autour de la bouche. Une bouche serrée ou contrac tée peut effectivement bloquer toute communication d'émotions . Co~primer les lèvres et serrer les mâchoires constitue une façon de se
245
La bioénergie renfermer pour empêcher tout son de sortir. On dit de ceux qui ont cette attitude qu' « ils ont les lèvres pincées». Le second anneau de tension se forme à la jonction de la tête et du cou. C'est une zone critique parce qu'elle représente la zone de transi tion entre le contrôle volontaire et le contrôle involontaire. Le pharynx et la bouche sont à l'avant de cette zone, l'œsophage et la trachée juste derrière. L'organisme contrôle consciemment tout ce qui est dans la bouche ou dans le pharynx; on a le choix entre l'avaler ou le recracher. On n'a plus le choix dès que la substance, par exemple de l'eau ou de la nourriture, traverse cette zone et passe dans l'œsophage. A partir de là, c'est le système involontaire qui entre en jeu, et il n'y a plus de contrôle conscient. L'importance biologique de cette zone de transition est évidente, car elle permet à l'organisme de goûter une substance et de la rejeter si elle est inacceptable ou impropre. Son importance psycholo gique est également claire, bien qu'elle soit moins évidente. En n'ava lant pas un élément inacceptable ou nocif, on préserve l'intégrité psychologique de l'organisme. Malheureusement, on viole souvent l'intégrité psychologique des enfants en les forçant à avaler des « choses» qu'ils rejetteraient sans cela. Les c( choses» signifient de la nourriture,ties--médi-e-a1fiëllrs;-des remarcrue~rres-s-iUiati-OTI8,erc. Je SUIS sûr que nous avons tous fait des expériences de ce genre. Ma mère me faisait avaler de l'huile de ricin mélangée à du jus d'orange. Cette potion était extrêmement désagréa ble, et pendant plusieurs années, j'ai détesté le goût du jus d'orange pur. Nous avons tous dû subir des insultes ou des remarques désobligeantes, et beaucoup d'entre nous ont dû « ravaler leurs paroles ». L'une de mes patientes me raconta une histoire intéressante que sa mère rappelait fièrement. La mère mettait de la bouillie dans la bouche du bébé et avant qu'il ait pu la recracher elle mettait son sein dans sa bouche pour qu'il soit obligé d'avaler la nourriture pour ne pas s'étoufTerl. De tels procédés ont pour efTet de créer un anneau de tension à cette jonction critique. Cette tension resserre le chemin de passage entre le cou et la cavité orale, et représente une défense inconsciente contre l'obligation d'avaler tOU.le~eJ)-IDa.çceptab~ ~ enant de l'extérieur. C'est en même temps une défense ou une rétentIOn inconsciente contre l'expres sion de sentiments dont on redoute qu'ils ne soient inacceptables par autrui. Ce rétrécissement interfère obligatoirement avec la respiration 1. Combien d'entre nous ont-ils été forcés de ravaler leur larmes et leurs protesta tions parce qu'on n'en acceptait pas l'expression!
246
Expression de soi et survie en rétrécissant l'ouverture permettant le passage de l'air. Il contribue donc à l'angoisse. La figure suivante montre la localisation de cet anneau de tension :
PHARYN X ANNEAU DE TE N SION
>"
~
'W
BOUCHE OS DE LA MÂCHOIRE
ŒSOPHAGE
,l
." TRACHÉE
Cet anneau de tension n'est pas une unité anatomique mais une unité fonc tionnelle. De nombreux muscles participent à sa formation et pl usieurs structures, comme la mâchoire et la langue, à son fonctionne ment. La mâchoire inférieure joue un rôle spécial, car c'est en contrac tant la mâchoire qu'on maintient réellement la tension en place. Contracter la mâchoire, quelle qu'en soit la position, équivaut à dire « ils ne passeront pas». A cet égard, elle joue le rôle du pont-levis d'un château fort, qui empêche, les intrus d'entrer mais qui enferme égale ment ceux qui sont à l'intérieur du château. Lorsqu'un organisme a besoin de davantage d'énergie, comme c'est le cas quand on est fatigué ou somnolent, il faut ouvrir grand le portail pour que la respiration soit plus complète : c'est ce que nous faisons en bâillant. Pendant le bâille ment, l'anneau de tension qui comprend les muscles qui font bouger les mâchoires se détend spontanément, ce qui entraîne l'élargissement de la bouche, du pharynx et de la gorge pour laisser rentrer l'air dont on a besoin. A cause de leur position stratégique de pont-levis de la person nal~té, la tension des muscles qui font bouger les mâchoires est la clé de
247
La bioénergie voûte du schéma de rétention du reste du corps. On fait en bioénergé tique un travail considérable pour diminuer cette tension, qui est présente à différents degrés chez chacun de nous. Ce fut la premiére zon~) sur laquelle se centra Reich pendant ma thérapie avec lui. Reich soulignait constamment la nécessité de laisser tomber les mâchoires. Si je laissais tomber mes mâchoires et si j'ouvrais largement les yeux, je pouvais émettre un hurlement. Mais il est rare que laisser volontaire ment tomber les mâ<:hoires réduise de façon significative la tension de cette zone. Comme le découvrit Reich, il faut appliquer une certaine pression sur les muscles de la mâchoire pour arriver à les détendre. Il est également nécessaire de perlaborer les impulsions de morsure refou lées qui sont liées à la tension chronique des muscles de la mâchoire. l'aimerais décrire ici un procédé, qui fait intervenir l'utilisation de la voix, dont je me sers pour réduire cette tension. Le patient est allongé sur le lit et je me tiens debout à côté de lui. J'exerce une pression sur les muscles masséters, à l'angle de la mâchoire. Comme c'est douloureux, j'encourage le patient à protester. Je lui suggère de donner des coups Qe pied dans le lit et de crier « laissez-moi tranquille» quand j'appuie. Leur réaction est souvent spontanée, à cause de la douleur, et ils sont surpris de s'apercevoir à quel point leur protestation est véhémente. On n'a jamais « laissé tranquilles» de grandir paisiblement la plupart des patients, mais on les a soumis à des pressions considérables . Et on ne leur a pas permis de protester, ni d'exprimer leurs objections. Pour la plupart des patients, c'est une expérience nouvelle que de laisser leur voix et leurs actes exprimer de fortes émotions. Je ne veux pas donner à penser que la douleur est une part essentielle du travail bioénergétique. La plupart des procédés sont très agréables, mais on ne peut éviter la douleur si on veut se libérer des tensions chro niques. Comme le souligne Arthur Janov dans The Primai Scream, la douleur existe déjà chez le patient. Pleurer et hurler sont des moyens de la libérer. La pression que j'exerce sur un muscle contracté n'est pas si douloureuse en elle-même. Elle est mineure, comparée à la tension du muscle, et une personne aux muscles détendus ne la trouverait pas douloureuse. Cette pression, ajoutée à la tension du muscle, dépasse le seuil de la douleur, mais elle permet au patient de prendre conscience de ses tensions et d'arriver à s'en dégager. J'ai mentionné plus haut qu'il y a trois zones où peut se développer un anneau de tension qui obstrue ou qui rétrécit le passage de la poi trine au monde extérieur. Le premier est autour de la bouche, le deuxiè me à la jonction de la tête et du cou, le troisième se trouve à la jonction
248
Expression de soi et survie du cou et du thorax. L'anneau de tension qui s'installe dans cette zone a également une nature fonctionnelle et fait surtout intervenir les muscles scalènes antérieur, postérieur et moyen. Cet anneau de tension protège l'ouverture de la cavité thoracique, et donc du cœur. Lorsque ces muscles sont contractés de façon chronique, ils se soulèvent et immobi lisent les côtes supérieures, ce qui restreint l'élargissement du thorax. Comme cela interfère également avec les mouvements respiratoires naturels, cela affecte fortement l'émission vocale, particulièrement dans les basses. Il faut rester conscient de l'existence de cette zone de tension lorsqu'on travaille sur la voix. Laissez-moi ajouter que tout son a sa place dans l'expression de soi. n est aussi important de rire que de pleurer, de chanter que de gémir. Je demande souvent aux patients de ronronner, de roucouler, d'appeler pour les aider à éprouver le plaisir de s'exprimer vocalement, qu'ils ont déjà dû ressentir pendant leur petite enfance. Mais qu' il est difficile à la plupart d'entre eux de s'identifier au bébé qu'ils ont été, et à celui qu'ils portent encore dans le cœur!
Les yeux sont le miroir de l'âme Contact du regard Sur la première page du manuel d'ophtalmologie que j'étudiais à l'école médicale se trouvait la phrase: « Les yeux sont le miroir de l'âme.l) Je fu s intéressé par cette phrase, que j'avais déjà entendue, et avide d'en savoir davantage sur la fon ction d'expression du regard. Mais je fus amèrement désappointé. Le livre ne contenait pas d'autre référence à la relation entre les yeux et l'âme, pas plus qu'à celle entre les yeux et l'émotion . Il décrivait soigneusement l'anatomie, la physio logie et la pathologie des yeux, de façon mécaniste, comme si l'œil était une caméra et non un organe d'expression de la personnalité. Je suppose que l' ophtalmologie ignore cet aspect de l'œil parce ~u'une discipline strictement scientifique doit traiter des données objec tives. On ne peut pas soumettre la fonction expressive oe l'œil à une o.bjectivation ni à des mesures. Mais cela soulève la question de savoir SI un point de vue scientifique objectif peut appréhender totalement le fonctionnement de l'œil ou d'ailleurs de l'être humain. Les psychiatres, ainsi que tous ceux qui étudient la personnalité, ne peuvent se permettre un~ vision aussi étroite. Il nous faut considérer dans quelqu'un sa
249
La bioénergie nature expressive, et notre façon de le voir détermine non seulement notre compréhension mais aussi ses réactions envers nous. Le langage du corps témoigne de la sagesse des âges . Je ne doute pas que la phrase sur les yeux miroirs de l'âme soit vraie. C 'est l'impression subjective que nous donnent certains regards, et je crois qu'elle corres pond à l'expression que nous remarquons. Cette âme du regard est particulièrement évidente dans les yeux d'un chien ou d'une vache. Leurs doux yeux bruns évoquent la terre où ils se détendent. Leur expression pleine d'âme est associée dans mon esprit au contact, au sentiment d'appartenance ou à l'impression de faire partie de la vie, de la nature et de l'univers dont j'ai parlé au Chapitre II. Chaque espèce animale a un regard particulier, qui reflète ses carac téristiques particulières. Les yeux des chats, par exemple, ont un carac tère d'indépendance et de distance. Les yeux des oiseaux sont différents. Mais les yeux de n'importe quel animal peuvent exprimer des émotions. Q uand on a vécu quelque temps avec un chat ou avec un oiseau, on peut distinguer des expressions différentes dans son regard. On peut dire si ses yeux s'alourdissent de sommeil ou brillent d'excitation. Si les yeux sont le miroir de l'âme, alors la richesse de la vie intérieure d'un organisme doit s'exprimer dans la gamme d'émotions qu'on peut discer ner dans son regard. On peut dire de façon plus prosaïque que les yeux sont les fenêtres du corps, puisqu'ils en révèlent les émotions internes. Mais, comme toutes les fenêtres, ils peuvent être ouverts ou fermés . Dans le second cas, ils sont impénétrables, mais dans le premier on peut voir à l' intérieur de la personne. Ils peuvent avoir un regard vide ou distant. Un regard vide donne l'impression (( qu'il n'y a personne ». On constate souvent ce type de regard chez les schizoïdes!. En regardant leurs yeux on a l'impres sion d'un vide intérieur. Un regard distant indique que la personne est loin, ailleurs. On peut la faire revenir en attirant son attention. Son retour cOlncide avec l'établissement du contact entre son regard et le nôtre, quand elle nous regarde et que ses yeux se fixent sur nous. Le regard s'éclaire quand on est excité, et s'éteint quand l'excitation intérieure s'évanouit. Concevoir que les yeux sont des fenêtres (et nous verrons qu 'ils sont davantage) nous permet de supposer que la lumière qu'on y voit est une flamme intérieure émanant du feu qui brûle dans le corps. On parle des yeux brûlants du fanatique dévoré par un feu inté 1. On trouvera dans Lowen , Le Corps bqroué, op. cit., une desc ription plus co mpl ète du regard du schizoïde.
250
Expression de soi et survie rieur. Il y a aussi des yeux rieurs, des yeux étincelants, des yeux scintil lants, et il m'est arrivé de voir des étoiles dans les yeux de quelqu'un. Mais, le plus souvent, à peine les fenêtres s'entrouvrent-elles qu'on y discerne de la tristesse et de la peur. Bien q ue l'aspect expressif de l'œil ne puisse être dissocié de la région circum-oculaire et de l'ensemble du visage, l'expression est en grande partie déterminée par ce qui se passe dans l'œil lui-même. Pour lire l'ex pression du regard il faut regarder doucement les yeux d'une personne, sans la fixer ni la transpercer, mais en permettant à l'émotion de passer. Lorsque cela se produit, on ressent l'émotion. On sent cette personne. Je mets rarement en question ces impressions, car je fais confiance à mes sens. Vo ic i des émotions que j'ai vues s'exprimer dans différents regards:
Supplication: « Aime-moi, s'il te plaît.» No stalgie: (de voudrais t'aimer.» Attention: « Que vas-tu faire?» M éfiance: de ne peux rien te dire.» Érotisme: ( Tu m'excites.» Haine: de te déteste.» Perplexité: de ne comprends pas.» Il Y a quelques années, j'ai vu un regard que je n'oublierai jamais. Ma femme et moi étions dans le métro, et nous regardâmes tous deux en même temps les yeux d'une femme qui était assise en face de nous. Le contact de son regard me fit un choc. L'expression de ses yeux était si diabolique que j'en frissonnai presque d'horreur. Ma femme eut une réaction identique et, en en discutant ensuite, nous fûmes d'accord pour penser que nous n' avions jamais vu de regard aussi démoniaque. Avant cette expérience je ne croyais pas qu'il soit possible d'avoir un regard dèmoni aque. L' incident évoqua pour moi le souvenir des histoires que j'avais entendues quand j'étais enfant à propos du « mauvais œil» et de ses pouvoirs étranges et effrayants. Les processus physiologiques qui déterminent l'expression de l'œil sont inconnus. Nous savons que la pupille s'élargit sous l'effet de la peur ou de la douleur et se rétrécit sous l'effet du plaisir. Le rétrécisse ment de la pupille permet de mieux centrer . L'élargissement augmente le champ de vision périphérique, en réduisant l'acuité de la mise au point. Ces réactions sont liées au système nerveux autonome, mais elles n'expliquent pas les phénomènes subtils décrits ci-dessus. 251
La bioénergie En fait les yeux ont une double fonction: ils sont à la fois un organe de vision et un organe de contact. Lorsque les yeux de deux personnes se rencontrent elles ont la sensation d'un contact physique. La qualité de ce contact dépend du regard. Il peut être dur et fort au point de don ner l'impression d'une gifle, ou assez doux pour évoquer une caresse. Il peut pénétrer, déshabiller, etc. On peut regarder à l'intérieur de quel qu'un, à travers lui, au-dessus de lui, et autour de lui . Regarder implique une composante agressive ou active, qu'on peut au mieux décrire comme une «prise » du regard. Le regard a une fonction de contact. En revanche, voir est un processus plus passif, en ce qu 'on se contente de laisser le stimulus visuel pénétrer dans l'œil et engendrer une image. Quand on regarde, on s'exprime de façon active par ce regard. Le contact des yeux est une des formes de contact les plus puissantes et les plus intimes entre deux personnes . Il met en jeu une communica tion de l'émotion à un niveau plus profond que le niveau verbal, parce que c'est une manière de toucher. Pour cette raison , il peut être très excitant. Quand, par exemple, les yeux d'un homme et d'une femme se rencontrent, l'excitation peut être assez forte pour traversér le corps et atteindre le creux du ventre et les organes génitaux . On décrit une telle expérience comme «un coup de foudre )). Les yeux sont ouverts et enga geants, le regard a un caractère érotique. Quelle que soit l'émotion qui se transmette entre deux regards, elle a pour effet de développer la compréhension entre ces deux personnes. Le contact des regards est probablement le facteur le plus important dans la relation parents-enfants, surtout dans la relation de la mère au bébé. On peut observer comment l'enfant au sein regarde régulièrement vers le haut pour établir un contact avec les yeux de sa mère. Si la mère réagit avec amour, ils partagent le plaisir de l'intimité physique, ce qui renforce les sentiments de confiance et de sécurité du nourrisson. Mais ce n'est pas la seule situation où les enfants recherchent le contact avec le regard de leur mère. Chaque fois que la mère entre dans la chambre de l'enfant, il lève les yeux pour rencontrer son regard, anticipant avec peur et avec joie ce qu'apportera ce contact. Le manque de contact, dû à l'incapacité de la mère à rencontrer le regard de l'enfant, est ressenti par celui-ci comme un rejet et lui donne l'impression d'être isolé. Quelle que soit la façon dont un parent regarde l'enfant, ce regard affecte les émotions de l'enfant et peut influencer profondément son comportement. J'ai déjà dit que les regards sont beaucoup plus puis sants que les mots . Souvent ils les démentent. La mère peut dire à l'en fant qu'elle l'aime, mais si son regard reste froid et distant et sa voix
252
Expression de soi et survie plate ou dure l'enfant n'aura pas l'impression d'être aimé. Il peut, en fait, avoir l'impression opposée. Cela crée une confusion, qui se trans forme de façon névrotique lorsque l'enfant, désirant faire confiance aux mots, se tourne contre ses propres sens. Il n'y a pas que les regards haineux qui soient préjudiciables à la personnalité de l'enfant, les regards séducteurs sont encore plus difficiles à affronter. L'enfant peut difficilement se mettre en colère pour un tel regard , parce que le parent pourrait le justifier au nom de l' affection. Le fait que le parent regarde l'enfant de façon séductrice ou érotique excite aussi la sexualité de l'en fant et entraîne la formation d'un lien incestueux entre eux. Je suis certain que la majeure partie des relations incestueuses dans une famille se fonde davantage sur des regards que sur des actes. La plupart des gens évitent les contacts oculaires parce qu'ils ont peur de ce que montreraient leurs yeux. Ils sont embarrassés à l'idée de lais ser q uel q u'un voir leurs émotions, et ils détournent le regard ou regar dent fixement. On fixe des yeux pour éviter ou décourager le contact. Le point important est qu'il n'y a pas de contact sans commu nication o u échange d'émotions entre les deux parties. L'émotion n' a pas besoin d 'être davantage qu'une reconnaissance de l' autre en tant qu'indiv idu. A cet égard , je mentionnerai que certaines peuplades primi tives utilisent l'expression «je te vois )) comme une forme de salut. Comme le contact oculaire est une forme d' intimité, il peut avoir des impli cations sexuell es, surtout quand les deux personnes sont de sexe opposé. O n ne peut pas «reconnaître )) quelqu'un sans reconnaître son sexe. A cause de l' importance des yeux comme canal de communication, plusieurs des types les plus récents de thérapie de groupe encouragent les contacts oculaires entre les membres du groupe au moyen d'exerci ces spécifiq ues. En thérapie de groupe bioénergétique nous pratiquons des exercices similaires. La plupart des patients les trouvent très utiles parce q u'ils empl issent leurs yeux d'émotion, ce qui les fait se sentir plus vivants. Lorsqu'on est renfermé sur soi-même les yeux sont égale ment fermés et ne participent pas de façon affective à ce qui les entoure. Naturellement ils voient, mais cette vis ion ne contient ni excitation ni émotion . Je cherche constamment à établir un contact oculaire avec mon patient. Non seulement cela m' aide à savoir ce qui se passe à tout moment, mais en outre cela permet au patient d'être sûr en profondeur que je suis avec lui. Si l'on utilise le contact oculaire dans un exercice de sroupe ou une thérapie individuelle, il faut J'établir avec une certaine
253
La bioénergie spontanéité pour garantir la sincérité de l'expression. On peut y arriver en établissant des contacts brefs - un regard, une « touche», un éclat de compréhension, puis on détourne le regard. Maintenir un contact oculaire plus d'un bref instant n'est pas naturel et demande de faire un effort. Le regard devient forcé et mécanique.
Les yeux et la personnalité Les yeux sont le miroir de l'âme parce qu'ils reflètent directement et de façon immédiate les processus énergétiques de l'organisme. Quand on est chargé d'énergie les yeux brillent - c'est un bon signe de l'état de santé. Toute baisse du niveau d'énergie diminue l'éclat des yeux. Le regard s'éteint à la mort. Il y a également un lien entre la charge du regard et le niveau de la sexualité. Je ne parle pas de l'excitation géni tale qui a, elle aussi, un effet sur les yeux. La sexualité est un phénomè ne physique global, qui dénote le degré auquel on s'identifie à son fonc tionnement sexuel. Chez une personne qui a un haut degré de sexualité, la circulation de l'énergie est totale et les points périphériques de contact avec le monde sont en état de charge. Comme je l'ai mentionné plus haut, ces points sont les yeux, les mains, les organes génitaux et les pieds. Cela ne signifie pas que les organes génitaux soient en état d'exci tation. Cela n'a lieu que lorsque l'émotion ou l'énergie se centrent sur ces organes. Le lien entre les yeux et la sexualité se retrouve dans l'ex pression « l'œil vif et le poil fourni». S'identifier à sa sexualité est l'un des aspects de l'enracinement. Toute activité ou exercice qui augmente l'impression d'être enraciné augmente la charge du regard. On peut affecter le fonctionnement global des yeux en renforçant le contact avec les jambes et le sol. Les différents exercices d'enracinement apportent une aide à cet égard. De nombreux patients ont rapporté que leur vision s'améliore après qu'ils ont travaillé énergiquement sur leurs jambes, au point que les objets de la pièce leur semblent plus clairs et plus lumineux. Quand on n'a pas les pieds sur terre, on ne voit pas clairement ce qui se passe autour de soi - on est aveuglé par ses illusions. Ces considérations vont dans le sens de la proposition selon laquelle le degré de charge énergétique des yeux mesure la force du Moi . Celui dont le Moi est fort est capable de regarder quelqu'un d' autre directe ment dans les yeux. Il peut le faire facilement parce qu'il est sûr de lui. Regarder quelqu'un d'autre est une forme d'affirmation de soi, tout comme regarder est une forme d'expression de soi. Nous sommes tous
254
Expression de soi et survie naturellement conscients de ces faits , et il est donc surprenant que la plupart des discussions sur la personnalité contiennent si peu de réfé rences au regard. L'étape suivante de notre compréhension de la relation qui lie les yeux et la personnalité consiste à mettre en rapport le regard et les diffé rents types caractériels. Chaque structure caractérielle a un regard typi que, que l'observateur ne peut pas toujours percevoir, mais qui reste néan moins assez fréquent pour servir de critère de diagnostic. C'est certainement vrai pour le schizophrène, dont les yeux ont un regard « perdu dans le lointain». Reich l'a commenté, et je l'ai décrit dans The Betray al of the Body. Il suffit de voir ce regard dans les yeux de quel qu'un pour savoir qu'il est « ailleurs» ou qu'il peut « partir ». Permettez-moi d'insister sur le fait que les regards que j'associe aux différents types caractériels ne sont pas perpétuellement présents, et qu' un regard occasionnel n'est pas significatif à cet égard. Nous cher chons quel est le regard typique. Caractère schizoïde: on peut décrire le regard typique comme vide, ou inexpressif. Cette personnalité se caractérise par l'absence d'émotion du regard. On ressent immédiatement le manque de contact quand on est regardé par un schizoïde. Caractère oral: le regard typique est suppliant - demande d'aide et d'amour. Il peut être masqué par une attitude de pseudo-indépendance, mais il affieure assez souvent pour qu'on distingue cette personnalité. Caractère psychopathe: cette personnalité a deux regards typiques, correspondant aux deux attitudes ou approches psychopathes. Le premier est le regard pénétrant (dominateur) que l'on rencontre chez ceux d'entre eux qui ont besoin de contrôler ou de dominer les autres. Leurs yeux vous fixent, comme pour imposer la volonté de leur proprié taire. L'autre est un regard doux, séducteur ou mystérieux, qui enjôle celui vers qui il est dirigé et le pousse à s'abandonner au psychopathe. Caractère masochiste: le regard typique est un regard de souffrance ou de douleur. Mais il est souvent masqué par une expression de confusion. Le masochiste se sent pris au piège et il est plus en contact avec cette impression qu'avec sa souffrance sous-jacente. Chez la personnalité sado-masochiste - c'est-à-dire chez ceux dont la nature contient un fort élément sadique - les yeux sont petits et durs. On peut expliquer cela comme une inversion du regard masochiste normal qui est doux et triste. Caractère rigide: cette personnalité a en général des yeux assez bril lants~ et énergiques. Mais lorsque la rigidité est marquée les yeux se
255
Expression de soi et survie
La bioénergie durcissent sans perdre leur éclat. La dureté est une défense contre la tristesse qui s'étend sous la surface du caractère rigide, liée à l'impres sion de frustration en amour. Contrairement au caractère masochiste, la personne rigide compense cela par une attitude fortement agressive, qui illumine à la fois son regard et ses manières. Je peux ajouter à ce stade un commentaire révélateur sur mes propres yeux. J'ai toujours pensé que mon œil droit était le plus fort des deux. Il a un regard plus déterminé, auquel je m'identifiais. J'eus la surprise il y a quelques années, à l'occasion d'un test de conduite auto mobile, d'apprendre que cet œil était le plus faible des deux. Mon œil gauche m'avait toujours donné l'impression d'être faible parce qu'il pleurait plus vite et plus longtemps dans une situation triste ou quand le vent soumait fort . Je réalise maintenant que c'était cette caractéristique qui préservait son acuité visuelle alors que l'œil droit, apparemment fort, devait faire l'effort de se défendre contre la tristesse intérieure que l'œil gauche pouvait exprimer librement. Cette expérience personnelle m' a permis de réaliser à quel point l'expression de l'émotion par l'œil est liée à la fonction visuelle et l'affecte. Je n'ai jamais porté de lunettes, et je n'en porte toujours pas, bien que j'aie depuis longtemps passé l' âge où les lunettes sont supposées obliga toires pour la lecture. Cependant on me prescrivit de porter des lunettes quand j'avais quatorze ans. Pendant un examen d'acuité visuelle sco laire, je lus de travers une ou deux lettres sur la dernière ligne du ta bleau. On me fit un examen plus minutieux des yeux à la clinique, et on me prescrivit de porter des lunettes. O n ne me dit jamais quel était le trouble oculaire que je présentais. Je n'avais jamais eu de difficultés à cet égard, ni à l'école ni ailleurs. Je pense maintenant que j'étais presby te. Cela concorde avec ce que je connais de ma personnalité, mais cela ne me posait pas de problèmes pour la lecture proche. J'eus une paire de lunettes, mais je refusai de les porter pour autre chose que pour lire. Et je les laissais dans mon cartable. J' étais forte ment opposé à l'idée de porter des lunettes. Q uand j'étais jeune cela avait une signification négative. On se moquait de ceux qui portaient des lunettes (on les traitait de bigleux). Je suppose que ce fut en conséquence de cette attitude que je perdis mes lunettes dès la première semaine. Ma mère, qui était hyperpréoccupée par ma santé, insista pour que j'en fasse faire une autre paire. Je ne pouvais pas lui résister à cet époque, aussi y allai-je. Mais je ne réussis pas davantage à garder la seconde paire de lunettes. Elles disparurent elles aussi en moins d'une semaine. Mes parents ne pouvaient se permettre d'autres frais et donc, 256
malgré son inquiétude, ma mère dut abandonner l'idée que je porte des lunettes. J'attribue ma bonne vision actuelle à mon habitude de lire et de travailler au grand soleil, et à ce que la thérapie a développé mon apti tude à pleurer et à exprimer mes sentiments plus ouvertement. J'adorais le soleil et la luminosité claire et brillante des jours ensoleillés. Je jouais au tennis sur des courts en terre, où j'étais exposé à la violente lumino sité du soleil réfléchi. Je n'ai réalisé à quel point cela était précieux qu'il y a quelques années, quand j'ai appris que regarder le soleil et se visua liser (les yeux fermés) dans une atmosphère plaisante et ensoleillée sont des techniques utilisées par certains des praticiens qui se servent des méthodes de traitement de la myopie de Bates. Rétrospectivement, je vois que j'avais besoin d'y voir bien et clair. Pour moi voir c'est croire, et je peux me décrire comme une personne orientée visuellement, ce qui explique peut-être mon intérêt pour l'expression physique.
La bioénergétique et les problèmes oculaires et céphaliques La myopie est le trouble oculaire le plus répandu - si fréquent qu'il est presque statistiquement normal. A cet égard, on peut le comparer aux lombalgies et aux dépressions, que de nombreuses personnalités considèrent comme normales dans notre culture tant qu'elles n'entraî nent pas d'incapacité au travail. Il me semble que nous devenons telle ment désemparés, au niveau émotionnel comme au niveau physique, que nous tendons à considérer la santé comme un état anormal. Elle devient malheureusement de plus en plus rare. Beaucoup de ceux qui portent des lunettes sont conscients qu'elles interfèrent avec le contact oculaire et l'expression, ou les bloquent, tout en améliorant leur vision au sens mécanique. Quand je travaille avec les patients, je leur demande toujours d'enlever leurs lunettes pour pouvoir lire l'expression de leur regard et établir un contact avec eux. Dans certains cas, toutefois, le patient ne me distingue que comme une tache, et cela me pose un problème. Lorsque c'est nécessaire, j'établis un COmpromis en laissant le patient porter ses lunettes quand il me parle, mais en les lui faisant enlever quand nous travaillons physiquement. Les verres de contact ont le même effet que les lunettes, de façon moins mani~ste.
257
La bioénergie Je suis convaincu que la myopie est un trouble fonctionnel du regard qui s'est structuré dans le corps sous forme d'une distorsion de la pu pille. Elle ne diffère pas des autres distorsions physiques résultant de tensions musculaires chroniques. Ces distorsions se réduisent souvent de façon significative quand on libère les tensions. J'ai vu le corps de certaines personnes changer de façon considérable sous l'influence de la thérapie et des excercices bioénergétiques. Et je connais quelqu'un qui s'est entièrement débarrassé de sa myopie par la méthode de Bates. L'une des difficultés quand on travaille avec un myope est que les muscles oculaires contractés ne sont accessibles ni à la pression ni à la palpation. La difficulté de la méthode de Bates tient à ce qu'elle nécessi te d'entreprendre un programme d'exercices oculaires que peu de gens semblent capables de suivre. En tenant compte de telles difficultés il n'en reste pas moins qu'on peut améliorer la vision d'yeux myopes. J'ai vu se produire une telle amélioration au cours d'une séance thérapeu tique dramatique. Elle ne fut malheureusement que temporaire, et le gain ne se maintint pas totalement. Beaucoup de patients rapportent néanmoins que leur vision est améliorée de façon persistante à la suite de la thérapie bioénergétique. La bioénergétique s'intéresse à la structure du corps, et elle cherche à comprendre dynamiquement cette structure en l'évaluant par les forces qui la créent. Pour Reich la structure est un mouvement figé, et, bien que ce soit un énoncé général et philosophique, il a une application pratique dans les cas où la structure se développe comme résultat de ce qu'on appelle des traumatismes psychologiques. Cela est vrai de l'œil myope qui est largement ouvert et fixe. La pupille a peu de mobilité. Si on arrive à rendre à l'œil sa mobilité, sa myopie peut se réduire de façon substantielle. Mais pour y arriver, il faut comprendre ce qu'il exprime. Le regard écarquillé et la pupille légèrement saillante qui caractérisent la myopie expriment la peur. Une peur extrême provoquerait ce regard chez n'importe qui. Mais le myope ne ressent aucune peur, et n'a pas conscience d'un lien entre cette émotion et ses yeux. La raison en est que l'œil myope est en état partiel de choc, ce qui bloque l'inscription de toute émotion dans cet organe. La peur n'est pas difficile à expliquer. Quand l'enfant voit dans les yeux de sa mère un regard de rage ou de haine, son corps, et tout parti culièrement ses yeux, subit un choc. De tels regards venant des parents sont l'équivalent d'un coup de poing dans la figure. Beaucoup de mères ne sont même pas conscientes des regards qu'elles jettent à leurs enfants. J'ai vu dans mon bureau une mère regarder sa fille avec une
258
Expression de soi et survie colère si noire dans les yeux que cela m'effraya. La fille n'y fit pas atten tion ; c'était peut-être pour elle un événement banal, et la mère ne semblait pas consciente de ce regard. Mais je pouvais imaginer comment le problème de personnalité de la fille était lié à ce regard. Elle était myope. Elle avait bloqué depuis longtemps toute prise de conscien ce de l'expression de sa mère, mais ses yeux s'écarquillaient de peur. Toute peur représente pour l'organisme un choc passager. La peur comme le choc provoquent une contraction du corps. En général, le corps détend cette contraction par un éclat violent - des pleurs, des hurlements, de la colère. Ces réactions libèrent le corps du choc reçu, et les yeux reviennent alors à leur état normal. Que se passe-t-il si cette libération n'a pas lieu? Cela ne peut se produire quand les pleurs, les hurlements ou les éclats de colère de l'enfant stimulent encore davan tage la colère ou la haine de la mère ou quand l'enfant ressent de façon répétée l'hostilité de sa mère. Comme je l'ai raconté plus haut, j'ai personnellement éprouvé un tel choc vers l'âge de neuf mois, et cela eut sur moi un effet durable. Heureusement, ce ne fut pas un événement qui se répéta. Ma mère me regardait le plus souvent d'un œil affectueux, car j'étais « la prunelle de ses yeux ». Tous les enfants n'ont pas cette chance. Si un enfant s'attend constamment à recevoir des regards hostiles de ses parents, ses yeux ont tendance à rester largement écarquillés sous l'effet de la peur. Comme je l'ai dit plus haut, écarquiller les yeux élargit le champ de vision péri phérique, mais réduit la vision centrale. Pour retrouver son acuité visuelle, l'enfant va contracter vigoureusement les yeux, ce qui entraîne un état rigide et tendu. Un autre élément entre en jeu. Les yeux effrayés ont tendance à rouler vers le haut. Pour que l'enfant puisse maintenir Son aptitude à focaliser, il-lui faut également surmonter cette tendance par un effort de volonté. La tension due à tous ces efforts ne peut alors se maintenir indéfiniment. Les muscles de l'œil finissent par se fatiguer et l'enfant abandonne ses efforts pour y voir bien. La myopie s'installe lorsque cette compensation s'effondre. Sa durée dépend de nombreux facteurs, dont l'énergie disponible chez l'enfant et l'intensité de la tension qui règne au foyer. Dans de nombreux cas cette décompensation a lieu entre dix et quatorze ans, lorsque le développe ment de la sexualité de l'enfant réactive d'anciens conflits et en crée de nouveaux. Il cesse d'essayer de maintenir l'acuité de sa vision et ses yeux s'écarquillent à nouveau de peur, mais d'une peur dont la nature n'est pas spécifique: Une nouvel!e défense s'érige, à un niveau plus bas. Les tTIuscles de la base de la tête, en particulier dans la région occipitale
259
Expression de soi et survie
La bioénergie et autour des mâchoires, se contractent pour empêcher l'émotion de circuler jusqu'aux yeux. On rencontre cet anneau de tension dans tous les cas de myopie. Au niveau psychologique, l'enfant se retire dans un espace plus restreint et plus confiné, repoussant à l'extérieur tous les éléments troublants de son univers. Comme l'œil myope est en état de choc, les exercices oculaires spécifiques, tels que la méthode de Bates, bien qu'utiles et nécessaires, ne constituent pas la totalité de la réponse à ce problème. Leur valeur serait fortement accrue si les tensions se dissolvaient pour permettre à davantage d'énergie et d'excitation de se répandre dans le regard. Le plus important est d'évoquer la peur sous-jacente pour que le patient puisse la ressentir et s'en libérer. C'est la base de l'approche bioénergé tique de la myopie. Elle n'est limitée que par le fait que la plupart des patients ont tant d'autres problèmes requérant l'attention, accompagnés des tensions qui y sont liées, que nous ne pouvons accorder au problè me des yeux le temps qu'il nécessiterait. Ce que j'ai dit des différentes attitudes défensives nous amène à reconnaître qu'il y a des cas où la myopie ne s'installe pas, bien que les conditions de son apparition soient présentes. J'ai vu des patients dont l'existence contenait tout autant sinon davantage de peur mais qui n'étaient pas devenus myopes. Je ne crois pas que cela tienne à l'héré dité. Si l'hostilité ou le rejet parental causent à l'enfant un choc plus grave c'est l'ensemble du corps qui est affecté. Une sorte de paralysie s'installe, réduisant toute sensibilité à un profond niveau, qui limite toutes les formes d'expression de soi. C'est ce que l'on constate chez les schizoïdes. Leur niveau d'énergie est diminué, leur respiration forte ment réduite et leur motilité globale faible. Le conflit quitte la région oculaire pour gagner l'ensemble du corps. Les yeux sont apparemment épargnés parce qu'on s'est complètement renfermé dans son monde personnel intérieur, pas seulement dans son monde visuel. Mais bien que les yeux du schizoïde ne soient pas forcément myopes, ils ne sont ni chargés ni expressifs. La fonction visuelle s'est préservée en se disso ciant de la fonction d'expression émotionnelle. La thérapie bioénergétique des troubles oculaires est à la fois géné rale et spécifique. En principe il faut, comme pour les problèmes de motilité et d'expression vocale, améliorer le niveau énergétique du ~ patient en rendant la respiration plus profonde et plus globale. Cela augmente les sensations et perceptions physiques, et, en outre, cela fournit l'énergie supplémentaire qui est nécessaire pour charger les zones périphériques de contact avec le monde, y compris les yeux. La
260
respiration a un effet positif sur les yeux. La plupart des patients ont les yeux nettement plus brillants quand leur respiration reste profonde grâce aux différents exercices. Ils font souvent des commentaires sur l'amélioration de leur vision, comme je l'ai dit plus haut. Les exercices d'enracinement favorisent aussi ce processus. La thérapie spécifique des troubles oculaires nécessite de connaître les canaux de circulation de l'énergie dans les yeux. Il y en a deux, que je vais décrire et représenter sur une figure. Le premier passe à l'avant du corps, allant du cœur jusqu'aux yeux en passant par la gorge et le visage. L'émotion associée à ce déplacement d'énergie est un désir de contact, une façon de se tendre vers l'extérieur pour sentir et toucher au moyen des yeux. Elle provoque un regard doux, émouvant. Le second est situé le long du dos; il remonte en passant par le sommet de la tête jusqu'au front et jusqu'aux yeux. Ce déplacement donne au regard sa composante agressive. La meilleure façon de l'expliquer est l'expression « dévorer des yeux ». Dans un regard normal ces deux composantes se retrouvent, à différents degrés. Si l'on est dissocié de la composante tendre liée au désir d'amour le regard est dur et même hostile. Il peut être assez violent pour sembler repousser l'interlocuteur. Si la compo sante agressive est faible le regard est quémandeur, mais il n'arrive pas à toucher celui à qui il s'adresse. Les deux composantes sont nécessai res à l'établissement d'un bon contact oculaire. La figure ci-dessous montre les deux canaux décrits précédemment, ~
REGARD
ZON~
OCCIPITALE
...............
>
CENTRES
VISUELS
DU CERVEAU
C~AUX DE CIRCULATION DE LA CHARGE ÉNERGÉTIQUE MENANT AUX YEUX
261
Expression de soi et survie
La bioénergie ainsi qu'un troisième, situé à la base du cerveau, qui relie directement les centres visuels à la rétine. Bien qu'on n'ait actuellement aucune preuve objective de l'existence de ces canaux, l'expérience subjective comme l'observation clinique corroborent leur existence. De nombreux patients rapportent qu'ils sentent la charge se déplacer le long de ces canaux vers leurs yeux, à la suite de diverses procédures bioénergéti ques. Ces sensations sont confirmées par le fait qu'on voit les yeux du patient devenir plus brillants, plus chargés et établir un meilleur contact. Lorsque ces canaux sont dégagés et que l'énergie circule libre ment et totalement vers les yeux, ceux-ci sont détendus. On ressent alors un bien-être qui se manifeste par un front lisse, des sourcils déten dus, l'étroitesse de la pupille et la focalisation du regard. Le croquis suivant montre comment l'énergie se retire des yeux sous l'effet de la peur. Ce retrait énergétique provoque l'expression caracté ristique de la peur. Comme la composante agressive est refoulée le long de son canal, les sourcils se lèvent et les yeux s'ouvrent largement. Si la peur est intense, on peut réellement sentir ses cheveux se dresser et l'ar rière du cou se contracter. Quand la composante tendre se retire, les mâchoires tombent et la bouche s'ouvre largement. Si l'expérience est passagère, l'énergie revient vers les yeux et les traits se détendent. Mais si la peur se structure dans le corps sous forme d'un état chronique d'appréhension, l'énergie est verrouillée dans l'anneau de tension à la
TENSION
OCCIPITALE
~
262
base de la tête. Il faut alors faire un effort conscient pour focaliser la vision, ce qui impose une sévère tension à la pupille et aux muscles oculaires. Une partie de cet effort implique de serrer les mâchoires pour surmonter l'impression de peur. En serrant les mâchoires, on dit « je ne vais pas me laisser aller à avoir peur ». Mais cet effort crée un conflit interne entre l'émotion ressentie et l'at titude adoptée qui augmente la tension musculaire. Il y a quelques années, j'ai travaillé, pendant un temps assez bref, avec un jeune homme qui louchait. Il ne voyait que de l'œil gauche. Bien que l'œil droit ait une vision normale, il était obstrué pour éviter la formation d'une image double, les deux yeux ne pouvant focaliser ensemble. Ce garçon avait subi deux opérations dans son enfance pour corriger ce défaut, mais elles n'avaient pu produire d'amélioration dura ble. Non seulement l'œil droit était dévié vers l'extérieur, mais le côté droit de son visage était légèrement tordu. La palpation révéla un spasme musculaire important sur le côté droit de la zone occipitale. Ce jeune homme était le fils d'un psychologue qui participait à un séminai re bioénergétique pour professionnels. Il était venu pour enregistrer les réunions. Mon intervention constituait une expérience. Je désirais savoir si je pouvais ou non affecter son strabisme en libérant la tension de l'arrière de son crâne. J'exerçai avec mes doigts une pression ferme sur les muscles spastiques, pendant environ trente secondes, et je sentis les muscles se détendre. Plusieurs médecins observaient l'opération et ils furent stupéfaits de voir son regard devenir normal pendant que le jeune homme était étendu sur le lit. Celui-ci se tourna vers moi et me dit qu'il ne voyait plus qu'une seule image des deux yeux; je remarquai moi aussi qu'il focalisait avec les deux yeux. C'était un changement radical mais cela ne dura pas. Le spasme se réinstalla ultérieurement, et l'œil droit tourna de nouveau. Je ne sais pas si la poursuite d'une théra pie aurait entraîné une amélioration durable. Je n'ai jamais revu ce jeune homme, et je n'ai jamais travaillé sur un cas semblable. Mais je me suis fait une règle de diminuer à chaque fois la tension de la zone occipitale en exerçant une pression sélective sur les muscles pendant que le patient focalise le regard sur le plafond, et je me suis aperçu que cette manœuvre a en général un effet positif sur les yeux. La principale tâche thérapeutique quand on travaille sur les yeux reste toutefois de libérer la peur qtli y est bloquée. Pour réaliser cela, j'utilise la procédure suivante. Le patient est allongé sur le lit, genoux fléchis, la tête en arrière. Je lui demande de prendre une expression de frayeur - lever les sourcils, o~vrir largement les yeux et laisser tomber 263
Expression de soi et survie La bioénergie les mâchoires. Il place ses mains à environ 20 centimètres du visage, les paumes vers l'extérieur et les doigts écartés, dans une attitude de protec tion . Je me penche alors au-dessus de lui et je lui demande de me regar der droit dans les yeux, qui sont à environ 30 centimètres des siens. Bien que le patient soit dans une position vulnérable et ait adopté une expression de peur, il s'autorise rarement à se sentir effrayé. Il me regar de souvent avec un sourire sur le visage, comme pour dire «je n'ai pas besoin d'avoir peur. Vous ne me ferez pas de mal parce que je suis gentil ». Pour dépasser cette défense négative, j'applique avec les pouces une pression sur les muscles risorius, de chaque côté des ailes du nez. Cela empêche le patient de sourire et ôte le masque de son visage. Si c'est fait correctement (et je peux ajouter que c'est une manœuvre requérant une expérience et un savoir-faire considérables), cela évoque souvent une impression de peur et peut provoquer un hurlement quand la défense contre la peur s'écroule. Faire émettre un son par le patient avant d'exercer la pression aide à libérer ce hurlement. Je cesse d'exer cer la pression dès le début du hurlement, mais il continue souvent après que la pression est ôtée, tant que les yeux restent largement ouverts. Le lecteur se rappelle comment cela se passa pour moi lors de ma première séance avec Reich. Il n'eut pas besoin d'exercer une pres sion pour libérer le hurlement. Mais très peu de patients réagissent spontanément à une expression de peur en hurlant. Certains ne réagis sent même pas lorsqu'on exerce une pression . Dans ce cas, leur défense contre la peur est plus profondément enracinée. Je suppose que mon regard semble fort et peut-être dur au patient lorsque j'exerce la pression. Je le sens s'adoucir quand le patient commence à hurler, parce que je me sens en empathie avec lui ; après le hurlement, je demande en général au patient de tendre les mains vers moi et de toucher mon visage. Je me suis aperçu que hurler libère la peur et ouvre la voie à des sentiments tendres et aimants . Pendant que nous nous regardons, ses yeux s'adoucissent souvent et se remplissent de larmes à mesure que son désir de contact avec moi (en tant que subs titut du père et de la mère) jaillit en lui. La procédure se termine souvent par une profonde étreinte, le patient pleurant profondément. Comme je l'ai signalé, cette procédure n'est pas toujours efficace. Beaucoup de patients sont trop effrayés par leur peur pour lui permettre de faire surface. Lorsqu'elle émerge, l'effet est dramatique. Une patiente me raconta que lorsqu'elle hurla elle vit les yeux de son père la regarder avec colère, comme s'il allait la battre. Un autre me dit qu'il vit le regard furieux de sa mère, souvenir qui devait remonter à sa première
264
année. Une femme se sentit si libérée par la détente de sa peur qu'elle sauta à bas du lit et courut embrasser son mari qui était dans la pièce avec elle. Un homme qui était en thérapie depuis quelque temps se sentit si secoué par la terreur qu'il avait ressentie qu'il quitta mon bureau en état de choc. Il rentra immédiatement chez lui et dormit deux heures. J'eus des nouvelles de lui dès son réveil. Il me téléphona pour dire qu'il ressentait une joie telle qu'il n'en avait jamais connue aupara vant. Cette joie intense était l'éclatement qui traduisait la libération de sa terreur. Il existe de nombreuses autres procédures que l'on peut utiliser pour mobiliser une émotion dans le regard. Il est important d'en décrire une - un essai de faire s'exprimer le patient par son regard en lui faisant rencontrer le mien. Dans cette procédure, le patient est également allongé sur un lit, dans la même position. Je me penche sur lui et je lui demande de tendre les mains vers mon visage sans le toucher. Je place mes pouces sur ses sourcils et, d'un mouvement doux et apaisant, j'es saie d'enlever toute expression d'angoisse ou de souci qui pourrait les lui faire froncer. Pendant que je regarde ses yeux avec douceur, je vois souvent un petit enfant qui me regarde, cachb derrière un mur ou une couverture, qui désire sortir mais qui n'ose pas le faire. C'est l'enfant qu'il tient caché du monde. Je peux lui dire «sors et viens jouer avec moi. Tout va bien ». Il est fascinant d'observer ses réactions quand ses yeux se détendent et sont envahis d'émotions qu'ils me transmettent. Ce petit enfant désire désespérément sortir et jouer, mais il a mortellement peur d'être blessé, rejeté ou raillé. Il a besoin de mes encouragements pour se risquer en avant, et particulièrement d'un contact aimant. Et comme on se sent bien qua.nd on sort et qu'on s'aperçoit qu'on est accepté! Il se peut qu'une expérience comme celle-là donne au patient la première occasion depuis très longtemps de se révéler et de reconnaître l'enfant caché en lui. Mais une fois qu'il a consciemment fait cette reconnaissance, la voie est ouverte à l'analyse et à la perlaboration de toutes les angoisses et les peurs qui ont forcé l'enfant à se cacher et à enfouir son amour . Car l'enfant aime, et c'est l'amour que nous n'osons pas exprimer activement par nos yeux, notre voix et notre corps . Toutes ces réactions sont notées et discutées; elles constituent le meilleur grain du moulin analytique parce que ce sont des expériences immédiates et convaincantes. Beaucoup reposent naturellement sur la sensibilité du thérapeute et sa liberté à établir un contact, à toucher et à être touché, particulièrement sur son aptitude à rester libre de toute
265
L,a bioénergie
implication émotionnelle avec le patient. Une situation de ce genre peut facilement amener le thérapeute à décharger sur son patient son propre besoin de contact. Si cela se produit c'est une tragique erreur. Tout patient engage toutes ses forces à accepter ses propres besoins et ses propres émotions et à les affronter. Devoir assumer les émotions personnelles du thérapeute ajoute un obstacle impossible à franchir pour retrouver la possession de soi. Il va réagir aux émotions du théra peute pour échapper aux siennes; ii va trouver les besoins du thérapeu te plus importants que les siens et, finalement, il va perdre sa perception de lui-même comme cela se produisit quand il était enfant et qu'il se trouva pris dans le conflit entre ses droits et ses besoins et ceux de ses parents. Le patient paie pour que la séance thérapeutique ne soit orien tée que vers ses problèmes, et le thérapeute commet un abus de confian ce s'il tire profit de la situation à son bénéfice personnel. Il faut énoncer encore un avertissement, même si l'on semble se répé ter. Quel que soit le stade de régression du patient vers un état infantile pendant la séance, il est encore un adulte parfaitement conscient dé l'être. Le toucher entre adultes a toujours une connotation érotique ou sexuelle. On ne touche pas un corps neutre, on touche un homme ou une femme. C'est tout naturel. Mais si on est conscient du sexe d'une personne, on est également conscient de sa propre sexualité. Toutefois, sexualité ne signifie pas génitalité. La plupart des patients savent consciemment que je suis un homme lorsqu' ils me touchent. Certains peuvent en repousser la conscience au fond de leur esprit, mais elle est néanmoins là." Comment assume-t-on alors la situation? C'est pour moi une question de principe, et une règle de la thérapie bioénergétique, qu 'il ne doit pas y avoir d'actualisation sexuelle avec les patients; cela peut se produire très facilement, de façon subtile et parfois ouvertement. Le thérapeute doit être constamment sur ses gardes vis-à-vis de cette possibilité. Je sais que de nombreuses patientes ont développé envers moi des émotions sexuelles. Beaucoup me l'ont dit. Cela ne va pas plus loin . Mes émotions ne les regardent pas et ce serait une faute énorme que de les introduire dans la situation thérapeu tique. On peut en parler si c'est opportun, mais je ne peux pas faire une bonne thérapie si je ne peux les garder en moi . Le thérapeute doit être capable de contenir ses émotions - c'est-à-dire qu' il doit être en posses sion de lui-même. J'ai parlé de se laisser aller. Cela a certes tout autant d'importance, et on le souligne aussi en bioénergétique. Ce sera l'un des thèmes du prochain chapitre, le dernier. Contenir ses émotions est alors un acte
266
Expression de soi et survie
consc:ent et volontaire, qui présuppose l'aptitude à se laisser aller. Si on ne peut pas se laisser aller, parce qu'on est dixé» de façon inconsciente et structurée dans le corps, on ne peut dire que se contenir est une expression consciente du Soi. On ne peut pas se contenir: on est contenu.
Maux de tête Le sujet des céphalées fait partie du chapitre sur l'expression de soi parce que certaines sont dues à la tension oculaire et qu'à mon avis elles sont toutes liées à des blocages de l'expression de soi . Je ne fais pas autorité sur les céphalées, mais j'ai une expérience considérable de leur traitement chez mes patients et chez d'autres personnes . La compréhen sion bioénergétique de la tension fournit une base solide pour essayer de comprendre ce problème. J'ai montré assez souvent en public comment on peut soulager une cépbalée en dénouant les tensions musculaires. Au cours de conféren ces, je demandais si quelqu'un dans la salle avait mal à la tête. 11 y a en général au moins une personne dans ce cas, et je lui demande de venir devant l'assistance pour que je puisse essayer de faire disparaître la douleur. Le procédé est très simple. La personne s'assied sur une chaise pendant que je palpe les tensions de la base du crâne, dans la région occipitale, sur le sommet du crâne et dans la zone frontale. Puis, la main gauche tenant son front, je masse les muscles tendus de l'arrière de la tête et de la région occipitale de ma main droite'. Au bout d'une minute env iron, j'inverse les mains. La main gauche tenant l'arrière de la tête, je dégage la zone frontale de la main droite. L'étape suivante consiste à encercler le cuir chevelu des deux mains, les doigts sur le sommet du crâne, et à le déplacer dOÛcement d'un côté à l'autre. A ce moment-là, j 'expl ique à ['auditoire que je dévisse le couvercle qui serre la tête du patient. Jusqu'ici ce procédé n'a jamais connu d'échec et, à ma demande, la personne confirme que son mal de tête est parti . Cette manœuvre n'est cependant efficace que pour une céphalée de tension. La céphalée migraineuse constitue un problème différent et nécessite une approche différente. J'expliquerai cette différence dans un moment. J'ai découvert la manœuvre ci-dessus presque par accident. Il y a plusieurs années, je rendis visite à des parents que je n'avais pas vus depuis longtemps. Ils étaient curieux de savoir quel genre de travail
267
La bioénergie psychiatrique je pratiquais qui faisait intervenir le corps. J'expliquai le rôle des tensions musculaires dans les problèmes émotionnels, mais je pensai que mon approche serait plus compréhensible si j'en faisais une démonstration. Après leur avoir dit que la plupart des gens ont des tensions considérables à l'arrière du cou, à la base de la tête, j'allai vers mon cousin, mis mes mains sur sa tête et massai doucement cette zone. Il avait là une certaine tension, mais je n'y fis aucune allusion particu lière. Et ce fut tout. Lorsque nous fûmes rentrés chez nous, ma femme envoya à notre hôtesse un mot de remerciement. Deux semaines plus tard, je reçus une réponse:
COUV ER CLE
268
Expression de soi et survie Ce croquis montre le canal de circulation de l'excitation ou de l'éner gie qui monte le long de l'arrière du cou et passe au sommet de la tête pour atteindre les yeux et, bien que ce ne soit pas sur la figure, les dents du haut. Ce courant charrie la composante agressive de toutes les émotions. Il est nécessaire dans les actes tels que regarder et parler. Si nous refermons un couvercle sur notre agressivité, une pression s'éla bore inévitablement contre le couvercle, créant par là une céphalée. C'est au figuré qu'on parle de couvercle, mais dans certains cas tout le haut de la tête est si contracté qu'il joue le rÔle d'un couvercle. Dans ce cas, on ressent la céphalée dans l'ensemble de la tête. Dans d'autres cas, il y a une bande de tension autour dé la tête, au niveau du front, qui bloque le passage des impulsions agressives . La pression monte tout autour de la bande, et on ressent généralement une douleur dans le front, et quelquefois à l'arrière de la tête. Lorsqu'on libère ces tensions, le mal de tête disparaît. Il est aussi possible de supprimer le mal de tête en faisant s'exprimer l'émotion bloquée. Mais il est rare que l'on connaisse la cause du tour ment quand on a mal à la tête. Quand un conflit est conscient, on connaît l'émotion qui est en cause. Cela signifie qu'elle a atteint la surface de l'esprit. Il se peut qu'on ait la tête lourde, mais ce n'est pas la même chose qu'un mal de tête. Le mal de tête est causé par des forces inconscientes; l'émotion et la tension qui la contient sont toutes deux en dessous du seuil de conscience. On ne sent que la douleur due à la tension. Cela explique pourquoi un mal de tête peut, comme dans le cas de mon cousi n, persister très longtemps. D'après mon expérience, les migraines naissent du blocage de l'émo tion de désir. Celle-ci est principalement transportée par les artères. J'ai souligné dans mon premier livre que l'Eros est lié à la circulation sanguine, qui transmet les émotions venant du cœur. Il est connu médi calement qu' il y a dans les cas de migraine une constriction des artères de la tête, et que c'est la pression du sang qui provoque l'intense douleur pulsatile. '\ Mais bien que l'émotion de désir circule dans les vaisseaux sanguins, eUe ne s'y limite pas. L'excitation ou la charge énergétique reI)l-0nte en passant par l'avant du corps, comme on le voit sur la figure, cherchant à s'exprimer par les yeux, la bouche, en tendant les mains vers un contact. Je me suis aperçu qu'il y avait dans ce cas une zone de forte tension musculaire d'un des côtés du cou , juste au -dessous de l'angle de la mâchoire. U ne légère pression sur cette zone provoque une douleur fulgurante au fond de l'œil. Cette tension se trouve toujours sur le c'ôté 269
Expression de soi et survie
La bioénergie de la zone douloureuse, mais je ne sais absolument pas pourquoi elle se centre sur un côté seulement. Les migraines réagissent à la psychothérapie. J'ai travaillé plusieurs années avec une patiente souffrant de migraines; je parvins d'abord à réduire la fréquence et l'intensité des crises, et finalement à les éliminer. J'étais parfois capable de faire cesser une violente crise en aidant la patiente à libérer ses émotions par des pleurs et des hurlements. D'au tres fois, quand la crise durait depuis plusieurs heures, le · procédé en réduisait l'intensité mais ne supprimait pas la douleur. Mais celle-ci disparaissait immanquablement après une nuit de repos, suivant la séance. Il fallait toujours que les sanglots s'accompagnent de larmes pour que la douleur disparaisse derrière les yeux. Cette patiente avait énormément de difficultés à exprimer tout désir d'intimité et de contact. Elle était embarrassée et trouvait effrayant de toucher mon visage de ses mains, de façon douce et sensitive. Elle était aussi très inhibée sexuellement, comme on pouvait s'y attendre devant un blocage aussi sévère de toute expression de désir. Elle avait habituel lement des crises quand elle devait sortir, si elle éprouvait quelque senti ment pour celui avec qui elle sortait. Elles étaient plus graves quand j'étais absent, en voyage ou en vacances. Cela l'aidait de me téléphoner, et elle m'appelait souvent de très loin. Elle avait naturellement transféré fortement sur moi les émotions qu'elle avait ressenties envers son père et qu'elle ne pouvait admettre. La perlaboration analytique du problème de transfert et la libération de son désir d'intimité avec son père furent nécessaires pour écarter la cause de ses maux de tête. Mais je ne fus certain qu'elle resterait libérée de cet état qui la tourmentait que lors qu'elle devint capable d'exprimer ces émotions du regard et de la voix. Toute personne souffrant de migraines a une fixation sexuelle qui n'a rien à voir avec son activité sexuelle. J'ai connu de nombreux patients migraineux qui étaient sexuellement actifs. Le mal de tête naît d'un blocage des composantes tendres et érotiques de la sexualité. L'émotion va vers la tête au lieu d'aller vers l'appareil génital, où elle pourrait être prise en charge et libérée. L'extrémité tête du corps ne fournit pas de porte de sortie. Pleurer et hurler permet de libérer la tension immédiate, mais ne constitue pas la solution du problème. Celle-ci est l'aptitude à éprouver l'orgasme. L'une de mes patientes disait que, dans la migraine, les émotions vont « à rebrousse-poil». Il y a longtemps que je pense que c'est une observation juste. Inverser le sens doit aider le migraineux. On peut y arriver par des exercices d'enracinement; ils ne procurent aucune aide 270
quand la crise bat son plein, mais je me suis aperçu qu'ils sont très utiles soit lorsqu'on sent que la crise arrive, soit quand elle vient juste de commencer. La peur de se laisser aller vers le sol et vers sa sexualité est liée à l'angoisse de chute. Je mentionne cela à cause des nausées qui accom pagnent invariablement une forte crise de migraine - nausées provo quées par une contraction du diaphragme liée à la peur de se laisser aller. Quelle que soit l'efficacité dont moi ou d'autres thérapeutes bioéner géticiens pouvons faire preuve dans notre approche physique, on ne peut perlaborer aucun problème émotionnel ou de personnalité sans élargir d'abord la conscience du patient jusqu'à la compréhension de ces problèmes. Mais la compréhension n'est pas seulement une opéra tion intellectuelle. Elle signifie à mes yeux une empathie venant du bas. Elle implique d'aller jusqu'aux racines de la situation, et de sentir les forces qui influencent et délimitent les sentiments et le comportement.
c
271
CHAPITRE X
La conscience :
unité et dualité
Expansion de la consczence
Il s'est développé au cours de la dernière décennie un intérêt crois sant pour ce qu'on appelle l'expansion de la conscience. Cet intérêt fait partie de la nouvelle approche humaniste de la psychologie, qui naquit du développement de la sensibilité, des groupes de rencontre, de la gestalt thérapie, de la bioénergétique et autres méthodes permettant d'élargir la conscience qu'on a de soi et d'autrui. Comme la bioénergé tique a contribué à ce développement et fait partie de l'approche huma niste, il est important de comprendre le rôle de la conscience en thérapie bioénergétique et la façon dont la thérapie l'élargit. Il nous faut cependant reconnaître que cette idée n'est pas nouvelle pour la culture humaine, car la culture est le résultat de l'effort continu de l'homme pour élargir sa conscience. Tout pas en avant dans la crois sance culturelle - que ce soit la religion, les arts, les sciences de la nature ou celles de la politique - a représenté une expansion de la conscience. Ce qui est nouveau, c'est de centrer sciemment l'intérêt sur le besoin d'élargir la conscience. A mon avis, cette évolution suggère que la plupart des gens ont l'impression que la culture actuelle est restreignante et rétrécissante, et se sentent étouffés psychiquement par son orientation de plus en plus matérialiste. Ils ressentent le besoin désespéré d'apporter un peu d'air fnfis à leur esprit et à leurs poumons. Le désespoir est la plus puissante motivation de changement, mais ce n'est pas la plus sûre 1. Nous en savons très peu sur la nature de la 1. Lowen, Le Corps bafoué, op. cil., contient une discussion complète sur la Psychologie du dèsespoir.
273
L a bioénergie conscience, et notre besoin désespéré de changer nous fait souvent faire le mauvais changement. Le désespéré tombe souvent de Charybde en Scylla. Il est naïf de supposer que le changement entraîne toujours une amélioration. Les gens, comme les cultures, peuvent décliner comme progresser; l'histoire enregistre des périodes de déclin tout comme des périodes d'évolution. Il est presque invariablement vrai qu'on réagit à n'importe quelle situation en se situant à l'extrême opposé, après quoi se produit une lente intégration des deux positions qui permet de repar tir vers le haut. Si l'on peut qualifier de mécaniste notre culture actuelle et la conscience qu'elle représente, réagir contre elle mènera au mysticisme. Ces termes nécessitent d'être définis. La philosophie mécaniste repose sur l'hypothèse de l'existence d'un rapport direct et immédiat entre la cause et l'effet. Comme cette hypothèse soutient notre vision technolo gique et scientifique du monde, on peut dire que cette vision est méca niste. Un exemple simple de la pensée mécaniste consiste à considérer le crime comme un résultat direct de la pauvreté. Il y a naturellement une relation entre le crime et la pauvreté, relation définie par le dicton « La pauvreté nourrit le crime )J, mais il est simpliste de supposer que la pauvreté provoque le crime ; cela ne tient pas compte des facteurs psychologiques complexes et subtils qui influencent le comportement. L'échec de cette pensée se constate à l'augmentation de taux de crimi nalité dans les périodes de prospérité économique. L'attitude mystique refuse l'action de la loi de la cause et de l'effet. Elle considère tous les phénomènes comme des manifestations de la conscience universelle, et nie l' importance de la conscience individuelle. Dans un univers où la loi de causalité n'est qu'une illusion, l'action n'a plus de signification. Ses croyances forcent le mystique à se retirer du monde. Il se tourne vers l'intérieur pour trouver la signification réelle de l'existence, et il est vrai qu'il découvre alors qu'il ne fait qu'un avec la vie et l'univers. Ou, du moins, c'est ce qu'il essaie constamment de réali ser, car la vie ne permet d'autre retrait total du monde qui la soutient que la mort. Le mystique, pas plus qu'aucun être, ne peut totalement transcender son existence physique. Au stade actuel de réaction contre la philosophie mécaniste de notre culture, il nous est facile de nous abuser en pensant que le mysticisme est la solution. Et, de fait , beaucoup se tournent vers le mysticisme pour dégager leur conscience du garrot mécaniste. Je ne pense pas que ce soit un chemin qui élève. Ce n' est pas que le mysticisme ait tort, car il y a une part de vérité dans sa position . Mais le mécaniste n'a pas davantage 2 74
La conscience: unité et dualité tort, car la science a montré que dans certaines situations - c'est-à-dire des systèmes fermés dont on peut contrôler ou déterminer toutes les variables - la loi de cause et d'effet s'applique. Mais la vie n'est pas un système fermé, c'est un système ouvert; on ne peut jamais connaître ni contrôler toutes les variables affectant le comportement humain, et l'on De peut jamais donc appliquer totalement la loi de causalité. Par ailleurs la vie a un mécan isme, tout comme un dynamisme, et si je vous plonge un poignard dans le cœur vous en mourrez certainement, car j' aurai détruit l'aptitude du cœur à accomplir sa fonction mécanique de pompage du sang. Si aucun des deux n'a tort, tous deux ont partiellement raison, et il nous faut voir ce qu 'est la vérité globale et comment chacun d'eux s'in sère dans le tableau . Permettez-moi de l'exprimer de la façon suivante. La position mécaniste a une validité objective. Dans le monde des objets ou des choses, particulièrement des choses matérielles, la loi de cause et d'effet semble s'appliquer. Le mystique peut se prévaloir d'une validité su bjective, car il décrit un monde spirituel où les objets n'exis tent pas. Mais ces deux mondes existent, aucun des deux ne nie l'exis tence de l'autre, et un être humain normal est en contact avec ces deux mondes, se ressentant lui-même à la fois comme sujet et comme objet. Je ne crois pas que cela soit uniquement humain -les organismes animaux supérieurs semblent fonctionner eux aussi dans ces deux mondes -, mais la conscience de la polarité de ces deux positions est spécifique de l'homme. Tout aussi spécifique de l'homme est la possibi lité de scinder l'unité du monde intérieur et du monde extérieur, comme il a fini par scinder l'unité de l'atome, créant la terreur objective de la bombe nucléaire, qui justifie la terreur subjective de destruction du monde de la personnalité schizophrène. Un simple diagramme permet de pfésenter ces relations plus claire ment qu 'avec des mots. Nous représenterons l'organisme, l'homme, par un cercle comportant un centre, ou noyau. Les impulsions qui naissent au centre, ou dans le cœur, sous forme de pulsions énergétiques, se déplacent vers l'extérieur, comme des vagues, allant à la surface du cercle quand l'organisme entre en interaction avec l'environnement. En même temps, les stimuli qui naissent dans le monde extérieur se heur tent à l'organisme et celui-ci va réagir à certains d'entre eux. En regardant cette figure, on évoque un organisme unicellulaire limité par une membrane particulière, semi-perméable, représentée sur la figu re par le cercle . Au début de son existence l'organisme humain n'est constitué que d'une seule cellule, et bien que ceIle-ci se multiplie de 275
La conscience: unité et dualité
La bioénergie
0S
~
~
'"
STIMULUS
façon astronomique pour arriver à l'individu, celui-ci garde dans son unité énergétique une identité fonctionnelle avec la simple cellule qu'il était à l'origine. Une membrane vivante entoure chaque organisme, assurant son individualité en le séparant du monde. Mais cette membra ne n'est pas un mur; elle est sélectivement perméable et permet un inter échange entre l'individu et le monde. Un individu en bonne santé perçoit le contact entre son centre et le monde extérieur. Les impulsions qui naissent à partir des pulsations du centre (cœur) se déplacent vers le monde, et les événements du monde extérieur se dirigent vers son cœur et l'atteignent. En tant qu'entité responsable, il se sent ne faire qu'un avec le monde et avec le cosmos. Il ne se contente pas de l'atteindre au sens mécanique, comme voudrait nous le faire croire la théorie du comportement conditionné, mais il Y réagit avec une sensibilité qui vient de son cœur et de son unicité d'être humain. Mais comme il a aussi conscience de son individualité, il est conscient de l'impact causal qu'ont sur le monde et ceux qui l'habitent ses actes spontanés ou réactionnels, et il peut prendre la responsabilité cie ces actes. Car la causalité opère réellement: si je dis ou fais quelque chose qui vous blesse, je dois prendre la responsabilité de la peine que je vous ai causée.
276
Cette situation normale est perturbée quand l'individu se « cuirasse», comme l'a décrit Reich. Dans le diagramme ci-dessus cette cuirasse est représentée par une ligne circulaire dentelée qui s'étend sous la surface, ou membrane, de l'organisme. En effet, la cuirasse sépare les émotions centrales et les sensations périphériques. Ce faisant, elle scinde l'unité de l'organisme et l'unité réelle de sa relation au monde. Il a alors des émotions intérieures et des réactions extérieures, un monde intérieur et un monde extérieur auxquels s'identifier, mais, à cause de la scission, ces deux mondes ne sont pas réunis. La cuirasse joue le rôle d'un mur; on peut être d'un côté ou de l'autre mais pas des deux à la fois. Je crois que nous sommes maintenant en position de comprendre le problème mysticisme-mécanisme. Ces deux attitudes sont dues à la cuirasse. Le mystique vit dans le monde intérieur et s'est dissocié des événements extérieurs. Pour lui la loi de causalité est hors sujet; tout ce qu i com pte est d' essayer de rester en contact avec les pulsations centra les. S'il essaie de s'i ntéresser au monde des objets il lui faut passer de l'autre côté du mur, perdant ainsi le contact avec le centre. Le mécanis te, q ui est de l'autre côté du mur, a perdu le contact avec le centre. Il ne perçoit ou ne voit seulement que la façon dont il réagit aux événements de faço n causale, et il croit donc que la vie est simplement affaire de réflexe s conditionnés. Comme les objets et les événements déterminent ses réactions, il engage toute sqp énergie à manipuler un environnement qu'il sent étranger et hostile à son être. La conscience mystique est exactement à l'opposé de la conscience mécaniste. Cette dernière est étroite et très centralisée, car il faut isoler 277
La bioénergie chaque objet de son environnement pour pouvoir le contrôler. Les événements doivent eux aussi être détachés et étudiés comme des événe ments spécifiques, ce qui entraîne qu'on voit l'histoire comme une série d'événements plutôt que comme un effort et une lutte continue des hommes pour réaliser le potentiel de leur existence. Je ne tiens pas à donner l'impression que la conscience mécaniste est entièrement mauvaise; elle s'est développée à partir du sens poussé de l'individualité et de l'égoïsme de l'homme occidental, par des siècles d'effort pour assurer la liberté individuelle. Par contraste, la conscience mystique est large, mais si large dans sa forme finale qu'elle en devient diffuse et dépourvue de signification. Je suppose que nous pourrions dire simple ment que là où la conscience mécaniste voit les arbres et pas la forêt (parce qu'elle a l'intention de les abattre), la conscience mystique voit la forêt et pas les arbres. Je me souviens de certains êtres humains qui avaient « tant d'amour» pour les gens qu'ils ne voyaient pas la personne qui était en face d'eux et ne réagissaient pas à elle. Une autre analogie se suggère d'elle-même. Le mystique, qui marche en ouvrant grands les yeux sur les merveilles de l'univers, ne voit pas les pierres sur son chemin et trébuche dessus. Mais peu importe. Le mécaniste, occupé à regarder les pierres qui pourraient le faire trébucher, ne peut pas voir la beauté du ciel. On ne peut pas résoudre ce conflit en essayant de tout faire à la fois: regarder en bas, puis en haut, puis en bas. Il faudrait se transformer en acrobate pour escalader si souvent le mur. Le seul moyen consiste à abattre le mur, à ôter sa cuirasse ou à se libérer de ses tensions, toutes choses dont traite la bioénergétique. Tant que le mur est debout, on est scindé entre le mécanisme et le mysticisme, car tout mécaniste est inté rieurement mystique, et tout mystique est un mécaniste en surface. Ils sont fondamentalement semblables, et retourner leurs vêtements n'y change rien. Cela explique pourquoi un grand scientifique comme Erwin Schrodinger pense de façon mystique quand il se tourne vers l'in térieur et ses émotions dans What is Life ? La pensée qui n'est ni mécaniste ni mystique s'appelle pensée fonc tionnelle. Je considère que le concept de pensée fonctionnelle, tel que le dégagea Reich, est l'un des grands accomplissements de l'esprit humain. Il est particulièrement utile à la compréhension de la cons cience. Commençons par envisager la conscience comme une fonction et non comme un état, par exemple la fonction de parler. On peut parler ou se taire, selon la situation, comme l'on peut être conscient ou non
La conscience: unité et dualité selon la situation. Il est intéressant de noter à quel point la conscience est étroitement liée au discours subvocal que nous tenons la plupart du temps en l'appelant pensée. II est également intéressant de méditer sur le fait que lorsque nous parlons nous fournissons des informations à autrui, alors que la conscience est concernée par les informations que nous recevons. Il y a un lien étroit entre la conscience et l'attention, car plus nous faisons attention à quelque chose et plus nous en sommes conscients. Mais si la conscience est une fonction, elle garde une connotation d'aptitude. Élargir la conscience n'a de sens que si on l'interprète comme augmenter l'aptitude à être conscient. Déplacer son attention d'une chose à l'autre n'élargit pas la conscience, car pendant qu'on voit la nouvelle chose on ne peut plus voir l'ancienne. La conscience est comme un projecteur qui illumine une partie d'un pré, pour qu'on puisse la voir clairement, mais qui fait ainsi paraître plus sombre le reste du même pré. Déplacer la lumière n'augmente ni n'élargit la conscience, puisque la première zone s'assombrit et que le champ de vision (voir ou comprendre) n'a pas changé. Néanmoins, la mobilité de la lumière est l'un des aspects de la conscience. Celui dont le regard n'est fixé que sur l'un des aspects de la vie a une conscience plus limitée (aptitude) que celui qui peut déplacer son regard sur de nombreuses choses différentes. Comparer la conscience à une lumière me permet d'introduire plusieurs facteurs qui mesurent la fonction de conscience. A l'évidence, une lumière vive est plus révélatrice qu'une lumière terne. Il en est de même pour la conscience: celui qui a une vision plus claire, une ouïe plus fine, un odorat plus subtil, un goût plus affiné - en d'autres termes, qui a un meilleur degré de sensibilité perceptuelle - a un plus haut degré de fonctionnement de conscience que celui dont l'aptitude senso rielle est réduite. La profondeur ou la pénétration d'une lumière, qui est fon ction en partie de l'intensité de l'illumination et en partie du centra ge, correspond à un facteur semblable pour la conscience. Il y a des gens psychologiquement clairvoyants qui pensent profondément et voient loin. Cela reflète une caractéristique de leur conscience. Et ce serait un handicap s'ils ne pouvaient plus voir ce qui est sous leur nez. Finalement, il y a l'aptitude à élargir ou rétrécir le champ de perception, à être capable de se déplacer librement de la vision mécaniste à la vision mystique et vice versa, grâce à l'absence de mur. Lorsqu'on l'exprime de cette façon, il n'est pas difficile de voir que la fonction de conscience dépend de la vitalité de l'individu, et qu'elle est
2 78
279 -,.
La conscience .' unité et dualité
La bioénergie directement reliée à la santé émotionnelle. Mais il est plus important encore de conclure que l'aptitude à être conscient est liée aux processus énergétiques du corps - c'est-à-dire à la quantité d'énergie et à la liberté de la circulation d'énergie. La conscience reflète l'état d'excitation inté rieure; en fait elle est la lumière de la flamme intérieure projetée sur deux écrans - la surface du corps et celle de l'esprit. Une autre analogie peut aider à clarifier ces relations. On peut comparer le fonctionnement de la conscience à celui d'un appareil de télévision. L'appareil de télévision est un système comportant une unité de réception des signaux, un amplificateur, une source d'énergie (les électrons) projetée sur un écran sensible. Quand on allume l'appareil et qu'on le règle pour recevoir des signaux, l'écran s'éclaire et montre.une image. La luminosité et la clarté de l'image sont déterminées par la force du flux d'électrons et par la sensibilité de l'écran. Des facteurs similaires entrent en jeu dans le cas de la conscience - la charge énér gétique des impulsions venant du centre et la sensibilité des deux surfa ces, celle du corps et celle de l'esprit. Selon leur sensibilité, on dit des gens qu'ils ont la peau épaisse ou la peau fragile. Un corps dépourvu de peau ne pelut plus servir d'écran aux stimuli venant de l'extérieur, et l'in dividu est hypersensible et vulnérable au moindre souille. Un tel état est extrêmement douloureux (une sensibilité d'écorché vif). Un appareil de télévision est un système entièrement mécanique, mais on peut faire de telles comparaisons parce qu'il y a un aspect mécanique au fonctionnement du corps. Le corps possède toutefois son énergie propre, et un Moi ou une volonté capable de diriger cette éner gie vers la satisfaction de ses besoins. Nous pouvons à volonté diriger notre conscience vers l'une ou l'autre partie du corps . Nous le faisons en centrant notre attention sur cette partie. Par exemple, je peux regar der mon pied et en obtenir l'image, le déplacer et le sentir kinesthétique ment ou laisser y circuler l'énergie et la sensibilité, auquel cas il peut être pris de picotements ou vibrer. Ce n'est qu'alors que j'ai conscience de mon pied en tant que partie vivante et sensible. Il y a différents niveaux de conscience, qui nécessitent d'être clarifiés. J'ai discuté ce phénomène plus haut dans cet ouvrage, montrant comment on peut diriger son attention sur ses mains et augmenter ainsi leur charge. De plus, lorsque les mains, les pieds ou tout autre partie du corps se chargent énergétiquement, l'attention est dirigée sur cette partie, et la conscience qu'on en a augmente. L'augmentation de charge met cette partie du corps en état de tension, d'où l'attention. Ce n'est pas la tension chronique du muscle spastique ou contracté, mais un état 280
vivant et positif qui doit mener naturellement à une tension et à une détente. On dit des muscles qu'ils se tendent pour l' action. Dans le cas du pénis, c'est une condition nécessaire pour exprimer l'amour sexuel. Bien que nous puissions diriger notre attention par un acte volontai re, ce qui implique que le Moi contrôle dans une certaine mesure la circulation énergétique du corps, notre attention est la plupart du temps attirée par un événement interne ou externe. J'ai souligné plusieurs fois que la volonté est en général un mécanisme d'urgence. Si nos réactions sont spontanées, c'est que les parties périphériques du corps, en contact avec le monde, sont en permanence relativement chargées et prêtes à réagir. Cel a pour dire qu'en état d'éveil nous sommes normalement relativement attentifs ou en alerte . En d'autres termes, nous sommes conscients. Il s'ensuit également que l'éventail de la conscience est proportionnel à la quantité de charge du corps, alors que le degré de conscience dépend de l'intensité de cette charge. Pendant le sommeil, quand la charge qui tte la surface du corps, notre champ d' attention et de conscience tombe à zéro. Il en est de même quand on s'évanouit. J'ai signalé qu'il y a plusieurs niveaux de conscience. La conscience d'un enfant est à un niveau différent et plus bas que celle de l'adulte. Le nourrisson a une conscience du corps supérieure à celle de l'adulte, mais moins défi nie et moins affinée. Le nou rrisson est sensible à davan tage de sen sations physiques, mais il est moins consci ent de perceptions spècifiques comme les émotions ou les pensées. La conscience s'affi ne avec la croissance et le développement du Moi, qui est lui-même une cristallisation de la conscience. A mon avis, les niveaux de conscience se recoupent donc avec la hiérarchie de fonctions de la personnali té que j'ai décrite plus baut. Le diagramme présente ces fo nctions sous forme de niveaux de conscience. La conscience des p rocessus phy siques constitue le pl us profond et le plus étendu des niveaux de conscience . Ces processus sont la respira tion rythmée, l'état vibratoire de la musculature, les actes spontanés involontaires, les sensations de circulation, l'expansion pulsatoire et la contraction du système cardio-vasculaire. Nous ne sommes en général conscients de ce dernier que si nous sommes très excités, ou en état mystique. C'est le niveau auquel nous ressentons notre identification avec la vie, la nature et le cosmos. Chez les peuples primitifs, cette conscience est décrite comme une participatio n mystique, dénotant une identification mystique avec les processus naturels et un iversels . A l'ex trême. on perd la perception de son individualité unique, tandis que la front ière du Soi devient nébuleuse au point qu 'on ne puisse plus difTé 281 ..,.
~
La conscience: unité et dualité
La bioénergie rencier le Soi de l'environnement. C'est également le niveau de la conscience infantile qui a toutefois une direction opposée à la conscien ce mystique. La première va vers une différentiation du Soi, alors que la dernière va vers l' indifférentiation. CO N SC IEN CE DE SOI
E
D
PENSÉE
C
PRINCIPES
ÉM OTION S SENTIMENTS
B
SENS ATIONS PRO CESSU S PHYSIQUES
A
PRO CESSUS N ATUREL ET UNI V ER S EL
ÉLÉ V ATI O N S DE S N IV EAU X DE CON SC IEN CE
Le niveau de conscience suivant implique à mon avis la perception d 'émotions spécifiques. Le tout jeune nourrisson ne se sent pas en colè re , triste, effrayé, ni heureux. Ces émotions reposent sur un e certaine conscience du monde extérieur. La colère, par exemple, implique de diriger un effort contre une force « hostile » extérieure à l'organisme. Le jeune nourrisson lutte contre une force contraignante, mais ses actes sont non dirigés et dus au hasard. Il lui manque le contrôle conscient de
282
ses mouvements, et il ne sent pas encore la nature des forces extérieures. Se sentir triste implique que l'on perçoive une perte, ce que le tout jeune nourrisson ne peut faire. Ses pleurs sont une réaction à la tension qui résulte d'une situation douloureuse (faim, inconfort, etc.). Cela ne veut pas dire qu 'il n'y a pas de perte; le nourrisson qui pleure pour attirer sa mère pleure parce qu 'il a perdu le lien avec celle qui lui est nécessaire, mais jusqu'à ce qu' il la considère comme l'agent extérieur associé à une im pression de plaisir, il ne ressent pas de perte. La conscience s'épanouit comme un bouton de fleur, si graduelle ment qu'on ne peut percevoir les changements. Notre conscience peut cependant discerner des stades, que nous décrirons au profit de l'analy se. Les souvenirs jouent un rôle important dans les fonctions de la conscience. Quand l'enfant devient-il conscient de ses p ensées, ou pense-t-il consciem ment? Bien que je ne puisse fournir une réponse exacte à cette question, je suis certain qu'il y a une période à laquelle ces aspects de la foncti on de conscience se mettent en œuvre. Il me semble que la conscience de penser est liée à l'usage des mots, du moins pour la plupart d 'entre nous. Mais comme les mots naissent des relations socia les et sont utilisés pour communiquer des informations, ce stade de conscience est associé à l'augmentation de la connaissance consciente du monde social. A mesure que le monde s'élargit, l'espace personnel diminue en comparaison et la position personnelle (Moi, individu) devient mieux définie. L a pensée consciente ou objective donne naissance à la conscience du Moi. On se considère soi-même comme un acteur conscient par rapport au monde, avec des choix de comportement. Le choix impor tant consiste à dire la vérité ou à mentir 1. Ce choix signifie que la conscience peut revenir sur elle-même pour reconnaître le Soi en tant que facteur objectif de la pensée. Pour parler plus simplement, on peut penser à ses propres pensées . C ette évolution engendre la dualité qui caractérise la conscience moderne. O n est à la fois sujet et objet, conscient d'être un acteur mais aus si d'être manipulé. A u niveau du M oi la conscience est soumise à la dualité mais non à la scission. Il y a scission quand la conscience transcende la personnali té, produisant la conscience de soi. Ce n'est pas la même chose qu'être conscient du Soi, c'est un état pathologique dans lequel la conscience se 1. Lowen , L e Plaisir, op. cil ., di sc ute le rô le du men songe d ans la fo rm ati o n du Mo i.
.,
283
La bioénergie centre si intensément sur le Soi que le mouvement et l'expression deviennent douloureux et difficiles . Un tel état de la conscience, fréquent chez les schizophrènes, peut se produire momentanément chez n'importe qui. L'intensité de la concentration rétrécit la conscience jusqu'au point où elle pourrait se rompre et disparaître, ce qu i est extrê mement effrayant. L'analyse ci-dessus éclaircit un point: à mesure que la conscience s'élève vers des niveaux supérieurs elle ne s'élargit p as, mais se rétrécit pour augmenter sa concentration et son aptitude à discriminer. D'autre part, à mesure que la conscience s'approfondit pour englober les senti ments, les sensations et les processus physiologiques qui les engendrent, elle s'élargit et devient pl us vaste. Pour fa ire ressortir cette différence, j'utilisera i deux termes très généraux - conscience intellectuelle et conscience du corps - qui représentent respectivement le sommet et la base du triangle. Beaucoup de gens, et spécialement ceux qu'on traite d'i ntellectuels, ont principalement une conscience intellectuelle. Ils pensent à eux mêmes comme à des personnes très conscientes, et ils le sont, mais leur conscience est étroite et limitée - lim itée à leurs pensées et à leurs images, et étroite parce q u'ils ne se voient eux-mêmes et ne voient le monde qu'en termes de pensées et d' images . Ils communiquent facile ment leurs pensées, mais ils ont d'immenses difficultés à savoir ce qu' ils ressentent et à l'exprimer. Ils ne sont en général pas conscients de ce qui se passe dans leur corps, et ils ne sont donc pas conscients de ce qui se passe dans le corps de ceux qui les entourent. Ils parlent de leurs èmotions, mais ils ne les ressentent pas et ne basent pas leurs actes sur elles. Ils ne sont conscients que de l'idée de l'émotion. On peut dire de ces gens-là qu'ils ne vivent pas leur vie mais qu'i ls la pensent. Ils vivent dans leur tête. La conscience du corps se place au pôle opposé. Elle caractérise les enfants, qui vivent dans le monde du corps et de ses sensations, et les adultes qui sont restés étroitement en rapport a vec l'enfant qu 'ils étaient et qui est encore en eux. Quelq u'un qui possède la conscience de son corps sait ce qu'il ressent et où il le ressent dans son corps. Mais il peut au ssi vous dire ce q ue vous ressentez et comment votre corps le lui montre. Il vous ressent comme un corps et réagit à vous en tant que corps ; il n'est pas induit en erreur par « les habits neu fs de l'empereur ». I! y a une grande différence entre être conscient de son corps et avoir conscience de son corps. On peut être conscient de son corps avec une conscience intellectuelle, et cela est vrai d'un bon nombre de ceux qui
284
La conscience: unité et dualité entreprennent de la culture physique (par exemple en fréquentant des salles de gymnastique pour améliorer leur silhouette) ou de l'athlétisme professionnel , ou des arts de représentation. Le corps est alors considé ré comme l'instrument du Moi et non comme le vrai Soi. J'ai travaillé avec beaucoup d'entre eux en thérapie bioénergétique, et il y a long temps que je ne suis plus stupéfait de voir le peu de contact qu'ils ont avec leur corps. Je n' affirme pas là que la conscience du corps est supérieure à la conscience intellectuelle, bien qu'on rencontre assez souvent la position inverse. J'ai peu de considération pour la conscience intellectuelle dissociée, mais je respecte très profondément la conscience intellectuel le totalement intégrée à la conscience physique. De la même façon , je considère la conscience .physique quand elle existe seule comme un niveau immature du développement de la personnalité. La bioénergétique vise naturellement à élargir la conscience en déve loppant la conscience physique. En faisant cela on ne peut se permettre (et on ne le fait pas) de négliger l'importance de la conscience intelleç tuelle. On peut toutefois augmenter la conscience pendant la thérapie bioénergétiq ue par l'utilisation du langage et de mots. Il nous faut pour tant reconnaître que notre culture est de façon prédominante Ulle cultu re « intellectuelle» et que nous manquons tristement de conscience corporelle. La conscience corporelle occupe une position médiane entre la conscience intellectuelle et l'inconscient, et sert ainsi à nous mettre en rapport avec les forces mystérieuses de notre nature et à nous orienter vers elles. Nous pouvons schématiser cela dans la figure suivante pour montrer cette relation. Alors que la conscience intellectuelle n'a pas de lien direct avec l'in conscient, la conscience corporell e en a un . L' inconscient est cet aspect de notre fo nctionnement physique que nous ne percevons pas, ou ne pouvons percevoir. Ainsi, alors que nous pouvons prendre conscience momentanément de notre respiration ou de notre cœur en fai sant atten tion, nous ne pouvons pas prendre conscience de l'action de nos reins, sans parler des réactions subtiles qui se produisent dans les tissus ou au niveau cell ulaire. Les processus métaboliques les plus vitaux restent au-delà de la perception. Une immense partie de notre vie se déroule dans une région sombre que ne peut illuminer la flamme de l'es prit conscient. Et comme la conscience spirituelle n'est que lumière, elle a peur du noir. Au niveau de la conscience intellectuelle, le monde est une série de
.,
285
La conscience: unité et dualité
La bioénergie discontinuités, de causes et d'événements non reliés . Cela fait partie de la nature essentielle de la conscience du Moi, ou conscience spirituelle, que de créer des dualités et de scinder l'unité essentielle de toutes les fonctions naturelles. Cela fut magnifiquement exprimé par Albert Camus, de façon poétique 1 : « Tant que l'esprit se tait dans le monde immobile de ses espoirs, tout se reflète et s'ordonne dans l'unité de sa nostalgie. Mais à son premier mouvement, ce monde se fêle et s'écrou le : une infinité d'éclats miroitants s'offrent à la connaissance. » L'intru sion de l'esprit conscient a un effet explosif. Le problème théorique qui se pose est: comment reconstruire consciemment cette unité?
/\
CONSCIENCE DU MOI
CONSCIEN CE DU CORPS
noir, de l'inconscient et de ces processus mystérieux qui nous font vivre. Malgré tous les progrès de la science ils restent mystérieux, et je suis satisfait qu' il reste quelque JP.ystère dans notre existence. Une lumière sans ombre aveugle dOUIO!:'eusement. Si nous voulons tout éclairer nous risquons de créer un « lanc» qui pourrait détruire la conscience. Cela pourrait ressembler à 'éclair dans le cerveau de l'épileptique, qui précède la convulsion et le noir. Comme nous continuons à élever la conscience vers le sommet de la pyramide, nous pouvons facilement dépasser le stade de la conscience de soi et nous immobiliser. La bioénergétique procède différemment. En élargissant la conscien ce vers le bas elle la rapproche de l'inconscient. Notre but n'est pas de rendre l'inconscient conscient, mais de le rendre plus familier et moins effrayant. Lorsque nous descendons vers la frontière où la conscience corporelle touche à j'inconscient nous prenons conscience de ce que l'inconscient est notre force, alors que la conscience est notre gloire. Nous sentons l'unité de la vie, et nous réalisons que la signification de la vie est la vie elle-même. Nous pouvons même descendre plus bas et permettre à l'inconscient de nous envelopper comme dans un sommeil magnifique ou un orgasme extatique. Nous nous trouvons alors rénovés dans les sources profondes de notre être, et nous pouvons nous lever pour une nouvelle journée avec une conscience rehaussée, qui n'a pas besoin de s'accrocher à sa lumière éphémère par peur du noir.
INCONSCIENT
Les mots et l'élévation de la conscience Parce qu'on ne peut y arriver, Camus qualifie le monde d'« absurde ». y est-on obligé? Ce problème, qui tourmente tant de penseurs, ne
perturbe pas l'individu moyen. Je n'ai jamais entendu un patient s'en plaindre. Leurs plaintes sont centrées sur des questions pratiques et des émotions conflictuelles. Je n'ai jamais vu de patient qui souffre d'an goisse « existentielle ». Dans tous les cas sur lesquels j'ai travaillé, on pouvait relier l'angoisse à « un étouffement dans d'étroits passages ». Pourquoi supposer que la conscience peut fournir toutes les réponses, quand l'évidence montre qu'elle engendre autant de problèmes qu'elle en résout? Pourquoi sommes-nous assez arrogants pour croire que nous pouvons tout savoir? Ce n'est pas nécessaire. En réponse à ces questions, nous. nous sommes mis à avoir peur du 1. Albert Camus, le My th e de S isyphe (collection Idées), p. 33 .
286
En 1949, Reich changea le nom de la forme de thérapie qu'il prati quait de végétothérapie caractéro-analytique en orgonthérapie. L'orgo ne est le nom qu'il attribua à l'énergie cosmique fondamentale. Ce changement coïncida avec la croyance en la possibilité de se passer de mots dans le processus thérapeutique, puisqu'on pouvait obtenir des améliorations significatives de la personnalité par un travail direct sur les processus énergétiques du corps. L'orgonthérapie impliquait aussi l'utilisation d'accumulateurs d'orgone pour charger le corps. J'ai relaté au Chapitre 1 que Reich était capable d'aider certains patients à développer le réflexe orgastique en très peu de temps, mais qu'il ne se maintenait pas dans la période qui suivait la thérapie. SQf s la presS'ion de l'existence quotidienne les problèmes réapparaissaient, et l'aptitude du patient à se laisser aller à son corps s'effondrait. Mais que 287
.,
----La bioénergie signifie exactement la « perlaboration d'un problème»? Nous nous servons sans hésiter de ce terme, sans en définir les dimensions. En termes analytiques, un problème est perlaboré quand on en connaît le quoi, le comment et le pourquoi. Quel est ce problème? Comment affecte-t-il mon comportement dans l'existence? Pourquoi ai-je ce problème? La technique de la psychanalyse a pour but de four nir des réponses à ces questions. Pourquoi alors n'est-elle pas plus efficace? La réponse est qu'il y a un quatrième facteur, économique ou énergétique. Reich a montré que sans changement du fonctionnement sexuel du patient ou de son économie énergétique - c'est-à-dire à moins qu'il n'ait davantage d'énergie et qu'il ne la décharge plus totalement le patient ne fait pas de progrès significatifs. Il ne suffit pas de savoir. Nous connaissons tous des gens qui en savent long sur le quoi, le comment et le pourquoi de leurs problèmes, sans être capables pour cela de changer leurs réactions émotionnelles. On a écrit tant de livres sur la psychologie qu'il est assez facile d'obte nir une connaissance correcte des problèmes de la personnalité. Ces ouvrages aident rarement quelqu'un à perlaborer ses problèmes, même s'ils fournissent une information complète sur le quoi, le comment et le pourquoi. La raison en est que le savoir est une fonction de la conscien ce intellectuelle, qui ne pénètre et n'affecte pas obligatoirement la conscience corporelle. Bien sûr, cela peut affecter la conscience corpo relle. C'est ce qui se produisait aux débuts de la psychanalyse, avant q ue les gens ne deviennent aussi sophistiqués au niveau psychologique. A cette époque, le patient qui apprenait par l'interprétation d'un rêve qu'il avait un lien incestueux avec sa mère était bouleversé émotionnel lement et ému physiquement par ce savoir. C ela avait un impact sur lui, auquel il réagissait de tout son être . C 'était réellement une prise de conscience en profondeur. Aujourd'hui, les patients parlent facilement de leur haine pour leur mère, ou de leur expérience du rejet maternel, sans que leurs paroles reflètent une forte charge énergétique ou émotionnelle. Ce fut précisément cette situation, parler de sentime[lts sans rien ressentir, qui amena Reich à développer d'abord la technique de l'ana lyse caractérielle, puis les techniques de «décuirassage» du corps. Et nous sommes toujours enfermés dans la mystique dcs mots, comme si dire changeait quelque chose. Je pense que cela va encore plus loin. Nous nous servons souvent de mots pour arriver à ne rien changer. Nous nous sentons en sécurité tant que nous pouvons parler, car parler diminue le besoin de sentir et d'agir. Les mots sont un substitut à l'ac-
288
La conscience: unité et dualité tion, substitut parfois tout à fait nécessaire et valable, mais à d'autres moments ils constituent un blocage à la vie du corps. Et lorsqu'on utili se des mots comme substituts des sentiments, ils rendent la vie abstraite et l'affadissent. Il reste toujours le danger de faire confiance à des mots qui n'expri ment pas la vérité de l'individu. Les gens mentent délibérément. Cela ne leur est pas possible au niveau du corps puisque masquer une émotion trahit le manque de sincérité. Je ne rencontre pas souvent en thérapie de patients qui me mentent consciemment, bien que cela se produise parfois. Mais on peut se duper soi-même, en énonçant une phrase dont on croit qu'elle est vraie mais qui ne s'accorde pas à la vérité de son corps. On dit souvent «je me sens en pleine forme» alors que même un regard superficiel montre qu'on a l'air fatigué, triste ou abattu. Cela peut ne pas être un mensonge délibéré; c'est souvent une façade qu'on érige avec des mots, plus pour se convaincre soi-même que pour convaincre autrui. Qui oserait prétendre qu'il croit toutes les paroles qu'on prononce? Il faudrait être d'une naïveté ou d'une bêtise achevées. Tout thérapeute se méfie des paroles du patient jusqu'à ce qu'il soit parvenu derrière la façade ou les défenses que le patient a érigées contre la mise à découvert du Soi. Il est donc compréhensible que Reich ait essayé d'aller au-delà des mots et de ne traiter les problèmes du patient qu'au niveau du corps ou au niveau énergétique. Dans ce cas, pourquoi échoua-t-il ? Parce q!.lC, compte tenu de leur inexactitude, les mots sont indispensables au fonc tionnement humain. Les mots constituent le principal dépôt de l'expérience. Ils accom plissent cette fonction au niveau culturel, par les histoires qu'on raconte et par les livres qu'on lit. Ils ne constituent pas le seul dépôt, mais ils sont de loin le plus important. L'histoire n'est pas' seulement enregis trée par des mots - il reste les objets du passé qu'on découvre ou qu'on conserve -, mais étudier l'histoire sans avoir recours au langage, écrit et parlé, serait une tâche surhumaine . Les mots ont la même fonction par rapport à l'indiVidu que par rapport à la société. Le vécu d'une personne est dans son corps, mais l'histoire consciente de sa vie est dans ses mots. Si elle a perdu le souve nir de ses expériences, il lui manquera les mots pour les décrire. Si elle en a gardé le souvenir, celui-ci se traduira en mots qu'elle agencera à sa convenance pour en parler ou pour l'écrire . Dans tous les cas le souve nir prend une réalité objective une fois qu' il est traduit en mots, et
.,
289
-
La conscience ,' unité et dualité
La bioénergie encore plus si ces mots sont exprimés. Pendant ma propre thérapie, quand je vis l'image du visage de ma mère me regardant avec colère parce que je l'avais dérangée par mes pleurs, je dis à voix haute :« Pour quoi es-tu en colère contre moi? Je pleure parce que je te veux. » Je ressentis l'émotion comme un enfant, mais je parlai avec des mots d'adulte. Et, ce faisant, je pris réellement conscience à la fois d'une sensation de peine et d'une sensation de choc devant sa réaction. Sachant cela, je pouvais comprendre pourquoi j'avais réagi ultérieure ment dans l'existence avec des sensations similaires de choc et de douleur quand je me heurtais à la même réaction en me tendant vers quelqu'un. En en parlant, j'objectivai l'expérience, à la fois pour moi et pour celui qui m'écoutait, Reich. Il comprit lui aussi ce que j'avais ressenti et le partagea avec m@i. Partager l'expérience la rendait encore plus réelle, car si je l'oubliais, lui pouvait s'en souvenir. Cela est un exemple isolé. Pendant la thérapie on découvre et on raconte beaucoup d'expériences oubliées qui sont des parties cachées du Soi. Rev ivre l'expérience au niveau du corps procure une sensation de conviction qu'on ne peut atteindre d'aucune autre façon. Mais en parler à autrui donne une impression de réalité que seuls les mots peuvent offrir. Cela rattache à la partie du Soi ou du corps qui est impliquée dans l'expérience, favorisant son intégration dans la personnalité. Il est important d'éprouver et de ressentir, car sans cela les mots restent creux. Mais il ne suffit pas d'éprouver. On a besoin de parler de façon répétée de ce qu'on a éprouvé, d'en sonder toutes les nuances et toutes les significations, et de le faire devenir objectivement réel pour la conscience. Si on accomplit cela, on n'a pas à revivre sans cesse l'expé rience pour en faire un agent de changement. Dans ce cas, les mots évoquent les émotions et deviennent des substituts appropriés à l'action. Je pense qu'il est si important pour le processus thérapeutique de parler que je consacre à peu près la moitié du temps à parler avec mes patients . Des séances entières se passent parfois à discuter de leur comportement et de leurs attitudes et à en cherchcer le lien avec les expériences passées~' Et le travail physique s'accompagne toujours de quelques échanges de paroles. Il y a cependant des moments où je sens que la discussion est répétitive et ne mène nulle part. Lorsque cela se produit, nous faisons des exercices, destinés à fournir les expériences dont nous parlons. Les lecteurs familiarisés avec l'emphase répétée que je porte sur le lien direct entre la réalité et le corps pourront être surpris et troublés 290
que je parle maintenant de la réalité des mots . Cette confusion est inévi table si nous ignorons le fait que l'homme moderne a une dualité de conscience, comme je l'ai souligné précédemment. Les mots ne procu rent pas la même sensation de réalité immédiate que l'expérience physi que; leur réalité est liée aux sentiments qu'ils évoquent ou expriment. Les mots peuvent donc être irréels quand ils sont complètement disso ciés de toute émotion. Mais, pour beaucoup de gens, en particulier pour les enfants, les mots peuvent avoir un impact beaucoup plus important qu'un coup. Les enfants ne sont pas seuls à pouvoir être profondément blessés par les mots. Je pense que nous sommes tous conscients de ce fait. Une personne hautement consciente choisit soigneusement ses mots quand elle communique une critique ou une réponse négative, pour éviter de porter atteinte à l'estime de soi d'autrui. Tout comme les mots peuvent blesser, ils peuvent avoir un effet très positif. On apprécie profondément une louange ou un éloge. C 'est une chose de sentir qu'on reconnaît vos efforts, et c'en est une autre d'enten dre cette reconnaissance exprimée verbalement. Même lorsqu'on sent qu'on est aimé, entendre l'autre dire « Je t'aime » est excitant, gratifiant et enrichissant. Je pourrais donner bien d'autres 'exemples: « tu es beau», « tu es un amour», etc. Je ne peux bâtir que des spéculations sur la raison de ce pouvoir des mots. Les sentiments sont subjectifs, mais les mots ont un caractère objectif. Ils sont émis pour pouvoir être lus ou entendus. De plus, ils restent. Nous savons tous qu'il n'est pas facile d'annuler l'effet d'une parole. Une fois émis, les mots semblent survivre. Certains peuvent résonner à travers l'éternité. « La liberté ou la mort » de Patrick Henry est resté immortel pour l'esprit humain bien après que l'homme et la situation furent sortis des mémoires. De la même façon, les mots de Shakespeare ont un caractère immortel. Comme les mots sont le dépôt de l'expérience, ils servent aussi à modeler et à façonner les expériences futures. Quand la mère dit à sa fille « les hommes sont égoïstes. Ne leur fais pas confiance», elle communique tout d'abord sa propre expérience, et ensuite structure les expériences futures de sa fille avec les hommes. Il n'est pas nécessaire pour cela d'ajouter l'injonction. Dire simplement « les hommes sont égoïstes» ou « il ne faut pas faire confiance aux hommes » a le même effet. C'est ce que nous appelions l'éducation. Le but de l'école est de communiquer les expériences passées à l'enfant, principalement sous la forme de mots et, par le même processus, de structurer les relations
291
..,
La conscience: unité et dualité
La bioénergie futures de l'enfant avec le monde dans la ligne de ces expenences. Je ne peux pas aborder le problème des valeurs ou des handicaps créés par le processus d'éducation des enfants. L'institution de l'école était nécessaire au développement de notre culture actuelle. Tout programme scolaire pose la question de savoir si l'expérience commu niquée a été perçue exactement et est honnêtement restituée. Il n'est certes pas rare de rencontrer des distorsions dans l'enseignement de l'histoire. Nous sommes concernés par ce pouvoir qu'ont les mots de façonner l'expérience. Considérons l'enfant auquel un de ses parents dit « tu ne seras jamais bon à rien ». L'enfant souffrira dans une certaine mesure toute sans vie de l'impression de ne jamais pouvoir être bon à quelque chose. Ce sentiment d'incompétence persistera quelle que soit la façon dont il réussit en réalité dans l'existence. Les mots se sont imprégnés dans l'esprit de l'enfant, et il n'est pas facile de les effacer. Dans la plupart des cas que j'ai traités, j'ai trouvé des preuves d'im prégnation, en général d'un caractère négatif. Une patiente me raconta que sa mèreJui avait dit « aucun homme ne voudra de toi » et ces mots avaient été une malédiction jetée sur elle. Voici un autre exemple: un patient me dit: « Je ne peux pas avoir d'amis. J'en attend trop et je leur en demande trop. » Je savais que c'était vrai, mais je ne savais pas pour quoi il persistait à faire des demandes dont il savait qu'elles étaient déraisonnables. Nous avions découvert que sa mère lui avait été hostile de diverses façons. Aussi lui demandai-je: « Est-ce trop demander qu'une mère ne soit pas hostile? » Il répondit immédiatement « oui, c'est trop ». Quand je demandai cc pourquoi? » il dit qu' il ne pouvait pas avoir une telle mère. Je soulignai que ma question portait sur la deman de et non sur l'obtention. « Est-ce trop que de demander? » Il répondit c( pas pour les autres, mais pour moi si ». Puis « ma mère m'a toujours dit que j'en demandai trop ». Un enfant n'en demande jamais « trop ». Il demande ce qu'il veut. Le « trop » est une évaluation d'adulte dont le résultat est de pousser l'en fant à se sentir coupable de ce qui est seulement son « désir ». La culpa bilité pousse à en demander trop pour se faire rejeter . Le rejet renforce la culpabilité et referme le cercle où on est pris au piège. Le pouvoir des mots ne peut être contré que par d'autres mots. Ces nouveaux mots doivent sonner vrai, doivent faire vibrer le patient pour le libérer du piège que lui ont tendu des mots. C'est ce que nous faisons quand nous perlaborons un problème en élucidant analytiquement le quoi, le comment et le pourquoi. Ce processus mène à ce que les analys-
~
tes appellent la prise de conscience en profondeur, que l'on pourrait définir par « voir la distorsion de l'imprégnation ». Je ne soutiens pas que l'analyse et la prise de conscience en profon deur changeront seules une personn alité. Il y a un autre facteur impor tant, le facteur énergétique, et on do it le traiter au niveau du corps. Je soutiens qu'un changement de la personnalité ne peut se maintenir que si la prise de conscience en profondeur est suffisante, ce qui résulte d' une soigneuse perlaboration des problèmes. On pouvait appeler transformation magique, le « traitement » rapide que Reich était capable d'accomplir, une expérience transcendentale. Cela arrivait au patient à cause de ce qu'était Reich et de ce qu'il faisait. J'ai accompli, moi aussi, de tels miracles pour mes patients, mais je sais également que de tels changements ne durent pas. Tout comme le changement a pu se produire dans un certain ensemble de circonstances, il peut se perdre dans d'autres circonstances. Quand il s'est perdu, le patient ne connaît pas le chemin qui mène à sa libération. Il a beso in d'une carte, comme Conway lorsqu'il cherchait Shangri-La. L'un des buts de l'analyse est d'établir cette carte dans l'esprit du patient. C'est une carte de mots, faite de souvenirs, et c'est donc l'histo rique complet du vécu du patient. Lorsqu'on le rassemble totalement, cela finit par prendre un sens, comme les morceaux d'un puzzle, et on voit qui l'on est, et comment on est par rapport au monde, tout comme l'on connaît le pourquoi de son caractère. Il en résulte une conscience accrue du Soi, de sa vie et du monde. Tout au long de mes thérapies des patients, je passe alternativement de l'élargissement de la conscience au niveau du corps à l'él argissement de la conscience au niveau verbal. L'une de mes patientes exprima succinctement cette idée. Elle me dit : « Si l'on ne verbalise pas ses émotions, ça ne marche pas. C'est le coup de pouce final, le fixateur. » Je compris immédiatement. Les mots fixent l'image. pour le meilleur ou pour le pire. J'irai plus loin et dirai que les mots créent dans notre esprit l' image du monde qui nous entou re. Sans elle nous sommes perdus, et c'est une des raisons pour lesquel les le schizophrène est perdu. Il n'a pas d'image globale du monde ni de lui-même, seulement des fragments di ssociés qu'il ne peut réun ir. Si le tableau semble complet, mais inexact à cause des illusions, nous voilà en situation névrotique. A mesure que la thérapie progresse, on se fait une image de plus en plus claire et exacte de ce qu' a été sa vie et de qui l'on est. Aucune thérapie n'est finie tant que l'image n'est pas complète. Mais il me fau t répéter que cette image est verbale, et non visuelle. C'est à travers ~es mots exacts que nous nous voyons et que nous nous
292
293
..,
La bioénergie connaissons. Nous pouvons par conséquent nous exprimer totalement. Se servir des mots corrects est une fonction énergétique parce que c'est une fonction de la conscience. C 'est la connaissance consciente de l'ajustement exact entre un mot (ou une phrase) et une émotion, entre une idée et un sentiment. Lorsque les mots et l'émo tion se rejoignent ou se raccordent, la circulation énergétique qui en résulte augmente l'état d'excitation de l'esprit et du corps, élevant le niveau de conscience et la focalisant mieux. Mais établir le ,contact n'est pas une opération consciente. Nous faisons un effort conscient pour trouver les mots exacts qui s'ajustent à notre émotion - tout écrivain fait cela - mais l' ajustage lui-même se produit spontanément. Les mots exacts se glis sent à la bonne place, quelquefois sans qu'on s'y attende quand on est o uvert à ses émotions et qu 'on les laisse circuler. Je crois que la charge énergétique associée à l'émotion excite et active les neurones du cerveau qui participent à la formation des mots. Lorsque ces neurones réagis sent de façon appropriée à la perception de l'émotion, l'ajustage correct se fait et on a comme un éclair de compréhension. Certains utilisent des mots qui ne sont pas en rapport avec leurs émotions. On dit qu' ils parlent du bout des lèvres. Cette expression peut également signifier que les mots ne sont pas liés à la réalité de la situa tion. Je m'intéresse à l'express ion elle-même, car elle appartient au langage du corps et dénote une certaine connaissance des processus dynamiques impliqués dans la communication verbale. Cela devient évident quand nous opposons cette expression aux expressions oppo sées « c'est son cœur qui parle » ou « ces mots venaient du cœur ». Parler avec son cœur se manifeste au ton de la voix et par l'utilisation de mots qui expriment directement et simplement le sentiment sincère de celui qui parle. Lorsque les mots de quelqu'un viennent du cœur, nous sommes immédiatement frappé s par son intégrité et par l' intégrité de ses phrases. Lorsque les mots de quelqu'un ne vien nent que de ses lèvres, il leur manque cette simplicité et cette relation intime. Ils sont techniques et intellectuels, et reflètent davantage les intérêts fondamentaux de celui qui · parle que de l'émotion. Je ne critique pas de telles paroles quand elles sont appropriées. M ais, même dans ce cas, la plupart de ceux qui parlent bien infusent dans leur discours le langage du corps et des senti ments. Ils le font parce qu'ils ne peuvent dissocier totalement leurs idées de leurs émotions. La dissociation des deux conduit à un intellectualisme stérile que certains prennent à tort pour de l'érudition . On trouve que les rem ar-
La conscience,' unité et dualité ques de l'orateur ne sont pas intéressantes et ne mènent nulle part, sans tenir compte de ce qu'il dit. Je vis récemment un entretien télévisé entre William Buckley Jr et Malcolm Muggerid::;p. Le contraste entre leurs paroles était frappant. Muggeridge exprimait ses idées dans un langage relativement simple, et avec émotion. Par ailleurs, Buckley employait des termes qu'on ne rencontre en général que dans des traités de philo sophie. Muggeridge était intéressant et Buckley ennuyeux, et cette diffé rence apparaissait au niveau de leur corps. Muggeridge, le plus âgé, avait les yeux clairs et brillants, des manières vivantes ~ et aisées. Buckley était raide, contenu et ses yeux paraissaient délavés. Les mots sont le langage du Moi tout comme le mouvement est le langage d u corps. La psychologie du M oi est donc concernée par les mots qu'utili se quelqu 'un. Aucune étude sérieuse de la personnalité humaine ne peut ignorer l' importance du Moi et de sa psychologie, m ais elle ne peut non plus se limiter à cet aspect de la personnalité. Le M oi n'est pas la personne et ne fonctionne pas indépendamment du corps. Un Moi dissoc ié et une intellectualité dissociée représentent une perte d'intégrité de la personnalité. La psychologie du Moi est impuis sante à dépasser ce problème, car sa centralisation exclusive sur le Moi va dans le sens de cette dissociation . Il faut approcher le problème par le biais du corps et de ses émotions pour établir un processus de cicatri sation. M ais cette approche doit également tenir compte du fait qu 'elle n'envisage qu'un aspect de la question . Ce n'est que par les mots que nous po uvons amener le conflit vers la tête et le résoudre. J'utilise le mot « tête » en son sens littéral: la tête du corps. Tous les organismes se déplacent tête en avant dans la vie comme ils sont nés la tête la première. la tête et les fonction s du Moi sont le fer de lance du co rps. Im aginez une flèche sans pointe et vous aurez l'i mage d'un corps avec ses émotions, sans tête pour traduire ces émotions en action efficace dans le monde. Mais n'oublions pas qu'une pointe de flèc he sans flèche ou un M oi sans le corps n'est que le reliquat de ce q ui fut une force de vie.
Principes et caractère L'i mpuissance de la psychologie du Moi à résoudre le problème de la dissociation intellectuelle a conduit dans les dernières années à dévelop per des techn iques qui mettent l'accent sur la régression , conçue comme
294
295
.,
La conscience: unité et dualité
La bioénergie un moyen d'aider l'individ u à atteindre un plus profond état émotionnel. Dans de nombreux cas, ces techniques régressives élargissent la conscience en mettant en contact avec les émotions infantiles refoulées. La bioénergétique utilise de telles techniques depuis des années . Mais la régression ou l'élargissement de la conscience ne constituent pas une fin en soi, pas plus qu 'un but thérapeutique valable. Tout patient veut être capable de fonctionner dans l'existence en tant qu'être humain totale ment intégré et efficace. On ne peut atteindre ce but que si la régression est contrebalancée par la progression, l'élargissement de la conscience par son élévation, le mouvement vers le bas par un mouvement équiva lent vers le haut et vers la tête. On retourne en arrière dans le passé pour avancer dans le présent. L'équilibre est une caractéristique importante d'une existence saine. Cette phrase est d'une telle évidence qu'elle n'a pas besoin d'être étayée. Nous parlons d'un régime équilibré, d'un équilibre convenable entre le travail et les loisirs, entre l'activité mentale et l'activité physique, etc. Nous ne sommes toutefois généralement pas conscients de la profon deur à laquelle opère ce principe d'équil ibre dans notre corps ni dans la nature, bien que nous soyons à ce point de vue de plus en plus conscients de son importance critique. Nous avons considéré la nature comme chose établie et nous l'avons exploitée, détruisant l'équilibre écologique très précis dont dépend notre survie. Maintenant que la survie est menacée, nous commençons à réaliser les dangers de notre ignorance et de notre avidité. Et nous en avons fait de même avec notre corps. Le meilleur exemple du principe d'équili bre tel qu'il opère dans un organisme vivant est ce qu'on appelle les mécanismes homéostatiques du corps. Les processus chimiques de l'organisme nécessitent la mainte nance d'un étroit équili bre entre les ions hydrogène et les ions hydroxy le du sang et des autres liquides du corps. La proportion optimale est représentée par un pH de 7,4. Trop d'ions hydrogène entraine une aci dose, trop peu une alcalose. Les deux peuvent mener au coma et à la mort. Comme la vie n'est pas un état statique mais un processus qui implique une interaction et un échange continuel avec l'environnement, l'acidité du sang n'est pas constante. Elle oscille dans d'étroites limites, de 7,38 à 7,4 2, contrôlée par un système de feed-back qui régularise l'acidité par l'intermédiaire de la respiration. Q uand l'équil ibre se dépl ace trop du côté acide, ['accroissement de la respiration laisse échapper le dioxyde de carbone, ce qui réduit la concentration en ions hydrogène. Lorsqu'il se déplace du côté alcalin,
la diminution de la température mène à la rétention de dioxyde de carbone et à l'augmentation d'ions hydrogène dans le corps. Nous savons que la température interne de notre corps doit se main tenir environ à 37 °C. Mais nous ne sommes pas conscients des méca nismes subtils qui stabilisent notre température. Lorsque nous avons fro id, nous frisso nnons. Les frissons ne sont pas une réaction inutile. L'hyperactivité des muscles pendant les frissons produit la chaleur nécessaire à la maintenancè de la température du corps. Le frisson stimule la respiration, ce qui amène un apport d'oxygène aux combus ti ons métaboliques. Les tremblements involontaires des muscles pendant la thérapie bioénergétique ont un effet semblable. La chaleur supplémentaire du corps est déchargée par un accroissement de la suda tion et diminuée par une activité musculaire réduite. Considérons notre état liq uide, qui doit être maintenu à un niveau optimal pour que nous ne soyons ni déshydratés ni imbibés d'eau. A un niveau inconscient, le corps crée un équilibre entre les apports liquides et l'émission de liquides. L'esprit conscient ne joue qu'un faible rôle dans ce processus, li mité à la recherche et à l' absorption d'eau quand le corps lui envoie un signal de besoin. Le corps « sait » ce qu'il lui faut et que faire. Ce « savoir » est si surprenant que W. B. C annon. qui a fait des recherches sur ces processus, a appelé son li vre la Sagesse du corps. L'homme intervient consciemment dans ces processus lorsque ces mécanis mes homéostatiques se dérèglent à' cause de la maladi e. Son intervention a pour but de restaurer l'équilibre pour que le corps puisse se guérir de lui-même et maintenir ses fonctions vitales . Le principe important est l'équilibre. L'équilibre est également essentiel en ce qui concerne nos activités plus importantes. Cela s'ill ustre clairement par la position debout et la marche. Nous nous tenons sur nos deux pieds, et notre équilibre n'est correct que q uand nous nous tenons sur les deux pieds. O n peut désé quili brer quelqu 'u n en lui demandant de se tenir sur une seule j ambe. C'est ce que nous faisons dans les exercices de chute. Nous marchons et nous courons sur deux jambes, en mainten ant magni fiquement notre équil ibre en passant d'une jambe à l' autre. No us ne fa isons pas cela consciemment. Si notre conscience intervenait trop fortem ent dans cette activité, nous n' irions pas loi n. C'est l'histoire du mille-pattes qui se demand ait laquelle de ses pattes avançait la première. La pau vre bête ne pouvait plus bouger. L'équilibre implique la dualité - comme avoir deux jambes - ou la polarité, comme celle des pôles nord et sud d'un aimant. Elle est repré 297
296
.,
La bioénergie sentée dans le sang par l'équilibre entre les ions H + et OH. Mais l'équilibre n'est pas un phénomène statique, car s' il en était ainsi aucun mouvement ne serait possible. On ne pourrait pas marcher si les deux j am bes étaient activées simultanément et de la même façon. On saute rait, on ne marcherait pas. La vie est en même temps mouvement et éq uil ibre, ou équilibre dans le mouvement. Cet équilibre dans le mouve ment s'obtient par un décalage de la charge, une alternance de l'excita tion d'un pôle à l'autre, du pied gauche au pied droit et vice versa, de l'inspiration à l'expiration, de l'expansion à la contraction, de la conscience diurne à l'inconscience du sommeil. Cette activité ryth mique du corps est l'unité sous-jacente à toutes les dualités dont nous sommes conscients. II n'y a pas dans la vie de dualité sans une unité sous-jacente. Et il n'y a pas d'unité sans les dualités correspondantes. Ce concept de l'uni té et de la dualité de tous les organismes vivants me vient de Wilhelm Reich. Je considère que ce fut sa plus importante contribution à la compréhension de la personnalité humaine comme à celle de la vie. Il l'énonça comme le principe d'unité et d' antithèse de toutes les fonctions naturelles. Les dualités sont toujours antithétiques. Notre esprit logique ne considère les choses que comme des dualités - la cause et l'effet. C'est l'attitude mécaniste. Notre esprit spirituel, si je peux me permettre ce terme, ne voit que l'unité sous-jacente. Cela donne naissance à l'attitude mystique. Comprendre le paradoxe de l'unité et de la dualité est du ressort de la pensée fonctionnelle. Cela nécessite une nouvelle conscience, ni mystique, ni mécaniste. Et la vie • est un paradoxe. C'est un feu qui brûle dans l'eau, non pas sur l'eau, comme le pétrole qui s'enflamme, mais au sein de l'eau. L'étonnant est que ce feu ne nous consume pas, que cette eau ne nous noie pas et ne nous perde pas. II y a là un mystère dont je pense qu'il ne sera jamais résolu, du moins je l'espère. Les mystères sont essentiels pour les humai ns, car sans eux nous perdrions cette impression de crainte respectueuse et finalement notre respect et notre vénération pour la vie elle-même. La pensée fonctionnelle est dialectique, et je me suis servi de diagrammes dialectiques tout au long de ce travail pour expliquer les relat ions. J'en utiliserai maintenant un autre pour montrer les relations entre les deux modes de conscience. A partir de la conscience, on n'en peut voir que les dualités, conscience spirituelle ou corporelle, pensée ou sentiment. L'unité n'exis te qu'au niveau de l'inconscient ou dans les processus physiques qui
La conscience: unité et dualité restent au-delà de la perception. Comment pouvons-nous savoir que l'unité existe si nous ne la percevons pas? Nous pouvons déduire logi quement son existence, nous pouvons avoir l'intuition de cette relation, et nous pouvons vaguement percevoir l'unité puisque la frontière entre la conscience et l'incons(;:ient n'est pas un mur mais une zone crépuscu laire. Au moment de notre passage diurne par cette zone, nous recevons de nombreux signes de l'unité sous-jacente. Les mystiques, dont la conscience s'étend plus facilement dans cette zone crépusculaire sont plus conscients que les autres de l'existence d'une unité. Il y a un autre moyen de sentir cette unité. La conscience intellectuel le ou' spirituelle et la conscience corporelle n'interagissent pas seule ment l' une sur l'autre, mais se touchent et fusionnent occasionnelCONSCIENCE INTELLECTUELLE
CONSCIENCE CORPORELLE
PENSÉE
ÉMOTIONS CONSCIENCE ÉLARGIE
CONSCIENCE ÉLEVÉE
INCONSCIENT PROCESSUS PH Y SIQUES AUGMENTATION DE L'EXCITATION OU DE LA CHARGE ÉNERGÉTIQUE
lement. D ans la chaleur et l'excitation de la fusion elles se s\.lbliment et se tr ansforment en une conscience unitaire qui est à la fois consciente et inconsciente (autre paradoxe). J'ai ressenti au cours de mon existence un certain nombre de ces fusions. Lorsque j ' étais enfant, il m'arriva de m'exciter tellement en regardant un jeu que je ne pus dire pendant un moment si je dormais ou si j:étais éveillé. Je dus me pincer pour le savoir. Et pendant des rapports sexuels, je ressentis un orgasme qui me fit m'envoler, fit dispa
298
299 ."
La bioénergie raître mes frontières et me rendit conscient de mon inconscient. Ce sont des expériences extatiques. Beaucoup de gens les ont ressenties. Lorsque cela se produit, on « sait» et l'on sent l'unité de la vie, Notre conscience fonctionne toutefois la plupart du temps sous la forme d'une dualité. Et c'est normal, car l'extase ne peut être une expé rience extraordinaire que si c'est réellement une extase. Toutefois, nous sommes plus proches de cet état quand la conscience est à la fois rehaussée et élargie. C'est là que les deux flèches du diagramme sont les plus proches l'une de l'autre. Pour y arriver, il nous faut accepter la dualité naturelle de la conscience. II n'y a pas d'extase sur un seul des côtés, c'est la réunion des opposés qui crée l'étincelle de la fusion. Si nous acceptons la dualité de la conscience, il nous faut accepter de connaître au niveau conscient la nature double de notre personnalité. Q uand on se concentre sur la pensée, comme je le fais quand j'écris, on est conscient de son esprit et de ses processus mentaux. A partir de l'unicité de sa propre pensée, on réalise qu'on a un esprit bien à soi. Puis, si on se concentre sur son corps, on prend conscience qu'il a une vie bien à lui. Du point de vue de la conscience, on doit se demander: « Q ui suis-je ? Cet esprit qui pense ou ce corps qui vit? » On est natu rellement les deux à la fois, mais on ne pell Len général être conscient des deux à la fois . II est impossible à la conscience de se concentrer sur deux opérations distinctes en même temps. Imaginez deux avions volant dans deux secteurs de direction différente, et un proj ecteur essayant de les envelopper tous deux dans la zone de lumière ; il ne peut pas y arri ver. Mais à l'ordinaire ce problème de la dualité de l'homme ne nous trouble pas. Le projecteur de la conscience est sur une table tournante qui tourne vite et facilement. Elle peut aller d'un quadrant à l'autre assez rapidement pour ma intenir les deux perspectives sous portée normale de l'attention. Je peux illustrer ce concept car j'utilise constamment cette possibilité quan d je parle en public. Avec les années, j'ai appris qu'un orateur efficace ne perd jamais le contact avec son public . Q uand je fais une conférence je me suis fait une règle, qui est maintenant devenue une habitude, de regarder les gens dans la salle pour les sentir et leur parier. Je peux ajouter qu'il est plus difficile depuis que j'ai pris cette habitude de parier devant un micro, sans public. Mais cette pratique pose un autre problème. Si on se concentre trop fortement sur le public, on perd contact avec soi-même, ce que l'on est, où l'on se tient et ce qu'on a à dire. Et on ne peut pas se tenir à deux endroits à la fois.
La conscience,' unité et dualité Tous les orateurs doivent affronter ce problème. Lorsqu'on lit un texte préparé à l'avance, on perd facilement le contact avec l'auditoire. n faut donc le regarder et prendre le contact avec lui de temps en temps. Personnellement, je fais aller mon attention de l'auditoire à moi-même et vice versa, selon un schéma rythmique et régulier pour qu'il ne semble pas y avoir de rupture de contact. C'est le principe qui est à la base du moteur alternatif. C'est le principe rythmique qui est continuel lement à l'œuvre en nous, bien que la plupart d'entre nous ne soient habituellement pas conscients de son activité. C'est comme la marche, qui n'est possible que parce qu'on déplace alternativement une jambe après l'autre. Je crois à la valeur de la dualité au niveau conscient. Sans elle, nous ne pourrions nous déplacer aussi régulièrement et aussi efficacement que nous le faisons pour affronter les différentes contingences de l'exis tence. La bioénergétique travaille sur cette base. Elle déplace la concen tration de l'esprit au corps et vice versa, afin de développer la conscien ce du patient jusqu'à ce qu'il puisse englober les deux aspects de son être conscient dans son champ d'attention. Naturellement, cette dualité n'existe qu'au niveau conscient. Au-delà du niveau conscient se trouve l'unité; on n'est plus un esprit qui pense ni un corps qui ressent, mais un organisme vivant. Mais comme la plus grande partie de notre existence se déroule au stade conscient, nous devons être capables de fonctionner en dualité. Toute la théorie de la psychologie gestalt se fonde sur cela - c'est-à-dire qu'il n'existe pas d'avant-plan sans arrière-plan, pas de silhouette sans le fond sur lequel elle se détache, pas de caractéristique sans son opposée. Pour la personnalité, cela signifie qu'aucune pensée n'existe sans le cadre d'émotions qui l'engendre. Mais concentrer la vision de la conscience sur la pensée rejette dans l'ombre le reste de la zone, et on perd facilement de vue l'émotion qui a motivé la pensée. Nous pouvons naturellement vérifier nos émotions et nous confirmer qu'elles s'harmo nisent avec nos pensées. Mais il n'est pas rare que la pensée et les émotions soient en conflit. Je n'essaierai même pas d'expliquer pour quoi il en est ainsi. On ressent fréquemment ce conflit. Je veux acheter un bateau plus grand, mais je pense à son prix et aux frais d'entretien, et je suis en conflit. Ou bien j'ai envie de me faire plaisir en mangeant un dessert délicieux, mais je pense au poids que je risque de prendre et il y a conflit. Tous les thérapeutes traitent des conflits qui ne ressemblent pas à ceux décrits ci-dessus mais qui leur sont similaires en ce qu'il y a conflit
300
301
,
La conscience: unité et dualité
La bioénergie entre une émotion ou un désir qu'on aimerait exprimer et la peur des conséquences. Comme les conséquences ne se sont pas encore produi tes, la peur qui est là est une perception mentale - c'est-à-dire une pensée associée à une réaction physique. Je ne dis pas que cette péur est imaginaire parce qu'elle est mentale. Elle est physiquement ressentie comme une peur, bien qu'elle naisse d'une activité mentale. La thérapie traite de conflits inte.nses, où les émotions qui cherchent à s'exprimer sont importantes pour l'intégrité de la personnalité et où les conséquen ces menacent cette intégrité. Quand on ne peut résoudre un conflit intense, la seule solution consiste à refouler le désir ou l'émotion, ce qui élimine la peur et peut se terminer par le refoulement du conflit. L'en semble de la situation s'est éloignée de la conscience et n'existe plus, en un sens. Toutefois le conflit ne disparaît pas. Il se structure dans le corps au niveau inconscient. Simplement, on ne le voit plus. Cette manière de gérer les conflits crée les différentes structures caractérielles que j'ai décrites. Nous considérons que de telles adapta tions sont névrotiques parce qu'elles perturbent sérieusement l'aptitude de J'individu à fonctionner en tant que personne efficace et totalement intégrée. Mais comment les personnes relativement peu névrosées gèrent-elles les innombrables conflits entre leurs émotions et leurs pensées qui se présentent dans l'existence? Je réponds à cela qu'elles élaborent consciemment des codes de comportement acceptés, qui sont à l'opposé des schémas de comportement structurés inconsciemment. Ces codes de comportement prennent la forme de principes. Il est intéressant de noter que bien que nous utilisions le mot « carac tère » au sens négatif, il n'a pas toujours cette implication. On utilise en fait souvent le mot « caractère » pour désigner certaines qualités, auquel cas on l'associe à « bon » comme dans « il a bon caractère », alors que d'autres ont « mauvais caractère ». Le mot « caractère » est lié à « carac téristique» et implique qu'un individu se comporte de façon typique ou prévisible, qu'elle soit bonne ou mauvaise. La prédictabilité équivaut également à inspirer la confiance; on peut faire confiance à une person ne ayant bon caractère pour être vertueuse, et à celle qui a mauvais caractère pour être immorale ou dépourvue de principes. Mais si le comportement de quelqu'un n'est ni structuré ni schémati que, d'où vient cette prédictabilité ? En d'autres termes, comment une personne relativement saine, spontanée et pleinement capable d'autoex pression peut-elle avoir un caractère? Il nous faut d'abord reconnaître la différence entre caractère et structure caractérielle. Ajouter le mot 302
(' structure » dénote que le schéma de comportement n'est pas consciem ment déterminé, mais qu'il s'est fixé inconsciemment et rigidifié au niveau du corps. Lorsque le comportement de quelqu'un est gouverné par des lignes de conduite ou des principes conscients, il se comporte de façon caractéristique tant que ces principes favorisent son bien-être. On mentionne rarement le concept de principe dans les théories de la personnalité. Notre culture en est presque au point où tout principe est ma uvais parce qu'il établit des limites et détermine des réactions. Cela est relié aux principes moraux où tant de gens voient une restriction de leur liberté ou de leur droit à s'exprimer. C'est une évolution malheu reuse, car les principes dénotent qu'on a atteint un haut niveau de conscience. Je parle naturellement de principes développés consciem ment, bien qu'ils puissent être les mêmes que ceux que la société soutient et encourage. Nous avons vu que la conscience commence avec la perception de la sensation. Les sensations sont en général vagues ou localisées. A cet égard, elles contrastent avec les impressions qui sont plus pénétrantes et mieux définies. Lorsque ces impressions deviennent plus fortes et plus définies, on les appelle des émotions. Par exemple, on dit qu'on se sent cafardeux ou déprimé (impression), mais la tristesse est une émotion. Le problème tient à ce que nous utilisons le mot « impression» pour parler de toutes les perceptions du corps. On peut alors parler de principe lorsque nos émotions s'intègrent à nos pensées. Voici l'ordre d'évolu tion : 1° 2° 3° 4°
Sensation; Impression; Émotion; Principe.
Au niveau du principe, la pensée et l'émotion sont intégrées en une unité consciente. L'un des principes auquel souscrivent la plupart des gens est la sincé rité. On peut dire la vérité parce qu'on a peur d'être puni par un dieu à qui rien n'échappe, ce qui est un processus compulsif, ou parce qu'on a la conviction intérieure que c'est la bonne façon de se conduire. Mais pour en arriver à cette conviction, il faut faire un choix entre la vérité et le mensonge. La conviction naît alors de ce qu'on ressent quand on dit la vérité et de ce qu'on ressent quand on dit un mensonge. Dans le premier cas, on sent l'harmonie entre ce qu'on ressent et ce qu'on a dit,
..
303
La bioénergie et on perçoit le plaisir qui naît de cette harmonie. Dans le second cas, cette harmonie est absente et on peut réellement sentir la douleur due au conflit. On peut alors faire un choix conscient basé sur ses impressions physiques. Tout enfant ment à un moment ou à un autre. Ille fait pour explorer le rôle de la tromperie et sentir le pouvoir qu'elle procure. Les enfants vont mentir pour tester leur aptitude à tromper leurs parents. S'ils s'en tirent, cela leur donne l'impression d'exercer un contrôle. Mais ils mentiront aussi s'ils ont peur des conséquences qu'entraînerait la vérité. D ans ces deux cas ils ont gagné quelque chose et perdu quelque chose. Le gain consiste en l'impression d'exercer un pouvoir ou à avoir évité la punition. Mais ils y perdent le plaisir d'être francs. Si la perte est plus forte que le gain, l'enfant saura que mentir, sauf dans des circonstances inhabituelles, ne paie pas. Il saura que le prix du mensonge est de ne pas se sentir bien, et il en tirera la conclusion qu'il est mal de mentir. Son corps et son esprit le lui diront, il ne le croira pas seulement avec la tête mais avec le cœur. Cette conviction se fonde sur deux bases: la connaissance et l'impression. Avec le temps et l'expérience, la sincérité deviendra pour lui une question de principe. Il évitera le conflit et la perte d'énergie qui consisterait à décider devant toute situation affron tée dans l'existence s'il faut mentir ou dire la vérité. Un principe fonctionne comme le balancier d'une horloge: il assure la régularité du rythme du mécanisme. Le principe maintient l'équilibre entre pensée et émotion, pour qu'elles s'harmonisent toutes deux sans devoir sans cesse se contrôler consciemment l'une l'autre. Les principes permettent d'ordonner sa vie ; sans eux je suis convaincu qu'il ne pour rait y avoir que désordre et chaos. A mon avis, la vie ne peut être équilibrée en l'absence de principes. Il est alors trop facile d'aller aux extrêmes, de penser que la fin justifie les moyens et de suivre les caprices du moment. On peut adopter la posi tion absurde selon laquelle toute émotion doit entraîner une action, puisqu'on ne sait pas où établir la limite, ou croire tout aussi absurde ment que tout comportement doit être contrôlé logiquement. Dans ce dernier cas, la rigidité est extrême, dans le premier il n'y a aucune struc ture. Ceux qui ont des principes évitent ces deux extrêmes parce que le princ ipe représente en lui -même une harmonie des extrêmes, l'intégra tion de la pensée et des émotions, l'équilibre si essentiel à la régularité du flux vital. 1 Il est important de reconnaître qu'on ne peut inculquer des principes moraux sincères par des sermons, des menaces ou des punitions. Ces
La conscience: unité et dualité moyens peuvent faire hésiter quelqu'un à mentir, par peur, mais pour t0ute situation il lui faudra reprendre une décision. Ce n'est pas la même chose que d'avoir un principe qui écarte ce conflit. En outre, imposer une force extérieure, que ce soient des menaces ou des sermons, rompt l'harmonie intérieure et rend plus difficile le développement de la conviction qui permet d'élaborer un principe. Permettez-moi de l'expri mer sous cette forme: les principes ne sont pas des commandements mais des convictions. Voici un exemple de la façon dont un principe s'établit. J'ai traité un jeune homme qui était fortement entraîné dans un processus de drogue, bien qu'il n'en soit pas encore arrivé à l'héroïne. Travailler sur son corps et lui faire exprimer ses émotions (par exemple, frapper le lit avec colère) le ramena au stade où son corps ressentait des impressions agréables. Puis, un jour, il arriva dans mon bureau et me dit qu'il avait fumé de la marijuana chez un ami le soir précédent. cc J'ai perdu toutes les impressions agréables que j'avais eu tant de mal à retrouver », me d it-il. cc Je sais maintenant que la marijuana ne me vaut rien.» La pensée et l'émotion s'étaient réunies pour engendrer cette conviction. Ce fut le premier énoncé d'un principe qui deviendrait de plus en plus fort à mesure qu'il se sentirait mieux, car il savait maintenant ce qu'il avait à perdre en se droguant. Il est impossible d'élaborer des principes quand on n'a rien à perdre. Sans émotions agréables, on n'a aucune motivation à protéger l'intégri té de sa personnalité. Le problème des principes n'est j amais abordé en thérapie avant d'avoir ramené le corps du patient au stade du plaisir en diminuant substantiellement ses tensions musculaires et ses blocages. Le problème des principes se pose alors spontanément, quand le patient essaie de comprendre pourquoi il perd ces impressions agréables au cours de ses activités quotidiennes. Il finit par élaborer ses propres prin cipes de conduite qui le guident et l'aident à conserver le plaisir et les im pressions agréables, si importants pour sa perception de lu i-même et de la faço n dont il opère en tant qu'être humain intégré. Je ne pense pas que la société ait tort d'essayer d' in culquer ses princi pes moraux aux jeunes. Chaque génération essaie de transmettre son expérience à la suivante pour faciliter son voyage à travers l'existence. Des principes comme les D ix C ommandements sont issus de l'expérien ce accumulée par la race. Mais on ne peut enseigner un principe de façon efficace que si la croyance en ce principe naît de ses propres convictions ou émotions intérieures. Dans ce cas on peut s'attendre à suivre ses propres principes avec plaisir. L'absence de plaisirs et d'im
304
305 ".>
,..
La conscience : unité et dualité
La bioénergie pressions agréables chez la vieille génération pousse la nouvelle à remettre ses principes en question . De façon similaire, il n'y a aucun sens à offrir des principes à des corps qui souffrent. Le but du principe n'est pas de le réconcilier avec ses souffrances, mais de fournir l'harmo nie intérieure qui permet une vie joyeuse et équilibrée. Les principes ne sont pas des techniques de survie. Lorsque la survie entre en jeu, les principes sont déplacés. Il faut être sûr que les adolescents se sentent bien dans leur corps et en eux-mêmes avant de leur parler de principes. Les principes leur permettent de protéger leurs impressions agréables. On a découvert de nombreux principes pour guider la conduite afin de se sentir bien. La sincérité en est un ; le respect pour la propriété ou la personne d'autrui en est un autre. Il y a plusieurs années, ma femme et moi passâmes une semaine à la Guadeloupe, avec le Club Méditerra née. Ma femme fit la connaissance d'un habitant de l'île, qui travaillait aux champs. Au cours d'une conversation, elle remarqua qu'elle n'avait jamais goûté à la canne à sucre. Il lui offrit de lui en procurer et ils se fixèrent un rendez-vous pour aller dans un champ de canne. Quand ils se retrouvèrent, il la prévint que le champ était assez éloigné de l'hôtel. Sur leur chemin, ils virent plusieurs champs de canne et ma femme se tourna avec expectative vers le premier. Voyant son mouvement, l'hom me dit simplement: « Oh ! Mais ce n'est pas mon champ. » Et il l' ame na jusqu'aux champs qu 'il possédait, où il ramassa pour elle quelques cannes à sucre. Il aurait été très facile de prendre quelques tiges dans n'importe lequel des champs, mais prendre ce qui l'le lui appartenait pas était contraire à ses principes. Je n'ai pas besoin de vous dire quel respect ma femme éprouva pour l'intégrité de cet homme. Au niveau · bioénergétique, le principe est un déplacement d'excita tion o u d'énergie qui relie la tête, le cœur, les organes génitaux et les pieds dans un mouvement ininterrompu. Il donne une impression de justesse. car on se sent relié, unifié, total. On n'a besoin de personne pour en affirmer la validité, et on ne la discute pas. M ais c'est une con viction personnelle et on ne l' impose à personne. Le problème le plus important qu'affronte notre société est peut-être le manque de principes moraux de tant de ses membres. Mais je ne crois pas qu 'une moralité imposée puisse faire l'affair~ . Elle pourrait contrôler une minorité avec l'aide de la majorité, mais elle ne pourrait jamais contrôler une majorité. Je ne crois pas qu 'une morale imposée ait jamais fait l'affaire. Les codes moraux du passé n'étaient pas impo sés, malgré toutes les preu ves du contraire. Moïse a apporté à son peuple les Dix Commandements, mais s'ils n'avaient pas été en accord
avec les convictions intérieures du peuple juif sur le bien et le mal, celui-ci les aurait rapidement rejetés. Les principes moraux ne sont pas des absolus, bien que certains soient assez près de l'être. Ils s'élaborent pour aider les gens à se sentir bien et ils sont efficaces dans une situation culturelle donnée. La sincéri té peut sembler un principe moral naturel , mais dans certaines conditions dire la vérité peut être un acte de faiblesse ou de couardise. On ne dit pas la vérité à un ennemi quand cette vérité trahirait un ami. Ici joue un principe plus profond de loyauté. Mais quelle que soit la situation culturelle, on a besoin de principes moraux pour guider et gouverner son comportement. Sans cela la société se désintégrerait en chaos et on s'aliénerait. Si l'on élabore ses propres principes, je suis sûr qu'ils seront identiques dans un contexte culturel donné, puisque la nature humaine est la même. En 1944, j'écrivis un article sur la sexualité adolescente pour le jour nal de Reich Sex Economy and Organ e Research. On considérait à cette époque qu 'il était dangereux de plaider les droits des adolescents à l' accomplissement sexuel. En discutant cette question avec moi , Reich me dit: « Lowen, il n'est pas toujours judicieux de dire la vérité. Mais si on ne peut pas dire la vérité, on se tait. » Reich était un homme de prin cipes. Il vécut par eux et mourut pour eux. On peut ne pas être d'accord avec ses principes, mais on ne peut pas mettre en doute leur intégrité. Le principe sous-jacent à la bioénergétique est la simultanéité de l'unité et de la dualité de la personnalité humaine. L'ho mme est un penseur créatif et un animal sensible - et il est tout simplement un homme ou une femme. Il est un esprit rationnel et un corps non ration nel - et il est tout simplement un organisme vivant. Il doit vivre à tous les niveaux à la fois, et ce n'est pas une tâche facile. Pour être un indivi du intégré il lui faut s' identifier à son corps et à ses paroles. On dit qu'un homme vaut ce que vaut sa parole. On considére l'homme de parole. Po ur réussir cette intégration il faut commencer par être son corps - vous êtes votre corps. Mais cela ne s'arrête pas là.!l faut arriver à être sa parole - vous êtes votre parole. M ais cette parole doit venir du cœur .
306 '>
Table des matières
9
9
CHAPITRE PREMIER: D E REICH A LA BIOÉNERGIE ... M a thérapie avec Reich, 1940- 1945 .. .. ..... .. " .. ... 1945- 1953. Mon activité de thérapeute reichien ......... . Le développement de la bioénergie . .... ... .. .... ... ..
. . . .
C HAPITRE II: LE C ONCEPT D'ÉNERGIE ............ Charge, décharge, circulation et mo uvement ............ Vous êtes votre corps ... . . , . , ........... , ... . .... . . Espri t, personn alité et âme ... .. , .. ........ . ......... La vie du corps: les exercices bioénergétiques ..... . ....
. . . . .
37
37
C HAPITRE III: LE LAN G AGE DU C ORPS . ..... . .... . Le centre de vie: le cœur du prob lème ... ............. , Interactions avec la vie ...... .. , . . .. "" .. . . . .... . . . Signes ph ysiques et expressions physiques . , . , . , ... , .. , ..
71
71
85
C HAPITRE IV: LA THÉRAPIE BIOÉNERGÉTIQU E U n voyage à la découverte de soi . . .... . ....... .. .... . Le centre de la thérapie .. .. ... . ......... .. ....... .. . Angoisse ...... , . , . ...... . .... ..... . .. ... ... ... .. .
91
91
102
108
C HAPITRE V: L'ORIENTATION PRIMAIRE : LE PLAISIR Le principe de plaisir ......... , .. . ... . . . . . . ..... . .. .
Le Mo i et le corps ..... .. .... ... ... . ..... . ........ . Une caractérologie .... , . .. .. . .. .... . ... . .......... . La structure de caractère schizoïde . .. ..... .. " .. .... . La structu re de caractère orale . .. , .. , ... ........ .. . . .
119
11 9 ~-
19
28
45
51
58
76
125
133
134
137
309
..,
La bioénergie La La La La
structure de caractère psychopathe .... . . . . . . . . . . . . . structure de caractère masochiste ............... . .. structure de caractère rigide . . ...... . ........... . . hiérarchie des types caractériels, une déclaration de droits
CHAPITRE VI : UNE O RIE NT ATIO N SECONDAIRE: LA RÉALITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Réalité et illusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Être fixé ... .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S'enraciner .... ... ...... .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . .
155
155
162
17 1
C HAPITRE VII : L'AN GOI SSE D E CHUTE . .. . . . . . . . . . . Le vertige. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un exercice de chute ..... . ... . ....... . ........ ..... L'origine de l'angoisse de chute. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Tomber amoureux ...... . . ...... .. . ...... ... ... . ...
177
177
181
190
194
C HAPITRE VIII : TENS ION ET SEX UA LITÉ. . ... La gravité. Considérations générales sur la tension . . Do uleurs lombaires .. . ...... .. ..... . .... . ... . La détente sexuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
... ... ...... .. . ... ......
201
201
207
218
CHAPITRE IX : E X PRESSION DE SOI ET SUR VIE . . . . . . Expression de soi et spontanéité . .. . .. . ..... . ......... Son et personnalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les yeux sont le miroir de l'âme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La bioénergétique et les problèmes oculaires et céphaliques. Maux de tête .... . ..... . ...... . .. . ....... . ..... .. .
233
233
240
249
257
267
C HAPITRE X : UN ITÉ ET D U ALITÉ . . Expansion de la conscience ...... . . . . Les mots et ['élévation de la conscience Principes et caractère . . . . . . . . . . . . . . .
273
273
287
295
. . . .
... ... ... ...
..... ..... .. ... .....
.. .. .. ..
. . . .
.. .. .. ..
. . . .
140
144
147
150
.... .... .... ....
;1
L' imp ress ion de ce liv re
été réa lisc e sur le s presses
dcs 1mp rimeries Au bi n
~ Po itic rs/ Li gugé
A
po ur les Éd iti ons T c hllli
..,
i Le corps n'est-il pas un tout ? Vouloir ne soigner que des organes, c'est-à dire ne soigner qu'en partie, est une aberration . On ne traite pas un patient comme une machine dont il suffirait de réparer (ou de changer) les pièces défaillantes. Le corps réclame autre chose: il exige la santé, c'est-à-dire un véritable équili bre de tous les éléments qui le consti tuent. Il va de soi que cet équilibre ne peut être obtenu que par une thérapie d'ensemble. Dans tous les cas, il s'agira de retrou ver l'unité profonde de la vie, en recherchant comment chaque disci pline peut déchiffrer, dans le chemi nement des autres, l'écho de sa pro pre démarche . Docteur Jacques Donnars Dans la même collection Le Plaisir
La Dépression nerveuse et le Corps
Le Corps bafoué
Amour et orgasme
par Al exander Lowen
La Médecine chinoise par les plantes par Ming Wong
L' Acupuncture sans aiguilles parYukiko Irwin Chassez vos tensions
par une nouvelle Diététique
par Daniel Palm
Touchez-moi s'il vous plaît par Jane Howard Ma Gestalt-thérapie par Frederick S. Peris Jouir par J .-L Rosenberg
A chevé d'.i mprim er le l '" avril 1977 N" d'éd ition 509. N ° d'i mpressio n L 9729 D épôt légal 2" trim est.re 1977
La M .T. Méditation transcendantale par H.- H. Bloomfield, M .- P. Caim , D.-T. Jaffe
ISBN 2 7J 0 7-00 15-8 rSS N 0-337-08 79
Réagir par la Détente par H. Benson et M.-Z. Klipper
Imprimé en Fran ce
Mangez le Brut pour bien Manger par A. Stanway Les vitamines ont leur secret par Adelle Davis Que dites-vous
111\11111 \\1111\111 1\111111
~I~I\(I\I
Il 11\\ 11\\1 11\1\111 1\\11\
3 6701 00048723 2 Ce Livre: La société actuelle, de plus en plus urbaine, dE: plus en plus mécani sée, multiplie les agressions contre l'homme. Lu stimulation forcenée et la réussite sociale à tout prix placent le paraître au-dessus de ~ a paix intérieure et de l'être. A la suite de Wilhem Reich, Alexander Lowèn, directeur de l' Institut d'analyse bioénergétique de New York, nous rappelle ce' te vérité très simple et très ancienne (mais par trop oubliée): c'est en apprenant au corps à vivre selon l'harmonie qui lui est propre que l'esprit pourra trouver l'équilibre qui lui fait si sou vent défaut. Car, tel est bien le but que s'assigne la bioénergie: rendre à l'homme le plein usage de son corps (de ses mouvements, de ses capacités à en tirer du plaisir). En un mot, lui redonner le ~~ ût (et les moyens) de vivre. Alors que la cure psychanalytique maintie le corps à dis tance par la médiation du langage, la thérapeutiq e bioénergétique le place au centre même du processus de guérison. De ce fait, elle est une des rares méthodes capable d'amener la personne à une pleine connaissance d'elle-même .
et son auteur: Alexander Lowen passe aujourd'hui pour le chef de file de cette nou velle école de praticiens américains qui s'efforcent de faire accéder leurs patients au plein exercice de la vie physique (et psychique, les deux plans n'étant pas séparables). Le succès de ses livres aux États-Unis est à la mesure de celui qu'il remporte auprès de ses consultants. On considère de plus en plus que son œuvre est en passe de conduire à une véritable révo lution médicale.
ISBN 2-7107-0015-8 ISSN 0337-0879
Photo de couverture : Babout-Rapho